Notes
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[1]
Le jeu Mecagenius® est développé par l’équipe sgrl (Serious Game Research Lab) à l’Institut universitaire J.-F.-Champollion d’Albi, regroupant des chercheurs en génie mécanique, en sciences de l’éducation, en informatique, et psychologie et en sociologie. Développé de 2009 à 2013, il sert à l’apprentissage des procédés d’usinage et à la manipulation des machines-outils à commandes numériques en présentant à l’apprenant l’environnement futuriste d’un vaisseau spatial abîmé, à réparer à l’aide de machines similaires à celles de l’atelier de formation.
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[2]
Dans ce texte, donc, nous considérons que l’apprentissage est un « travail ».
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[3]
Dans Mecagenius®, le joueur y campe le commandant d’un vaisseau spatial écrasé à la surface d’une planète inconnue. Pour réparer seul son vaisseau, le personnage a à sa disposition un ensemble de machines-outils à commande numérique et d’outils similaires à ceux que l’apprenant de génie mécanique trouve lors de sa formation aux procédés d’usinage.
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[4]
Dossier de presse, ministère de l’Éducation nationale, 2013 : http://multimedia.education.gouv.fr/2013_strategie_numerique_DP/#/20/
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[5]
Étude économique de l’Ocde, France, Septembre 2017, Synthèse, Graphique 38, p. 46 [En ligne] http://www.oecd.org/fr/economie/etudes/France-2017-OCDE-etudes-economique-synthese.pdf
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[6]
Ces nouvelles ressources sont nombreuses, parmi lesquelles nous distinguons les portails d’accès à des ressources pédagogiques (comme Éduthèque, Expérithèque ou encore Éduscol) et les outils numériques destinés à reconfigurer les modes de coordination collectifs ou les pratiques professionnelles individuelles (comme M@gistère, ou comme les dispositifs expérimentaux tels que Mecagenius® et les jeux sérieux par exemple).
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[7]
Par exemple, le dossier de presse ministériel lors de l’annonce du plan de « l’entrée de l’École dans l’ère du numérique » en date de 2013 énonce comme atout à la réalisation de ce plan « une tradition pédagogique forte et des enseignants motivés et créatifs qui utilisent d’ores et déjà le numérique ».
Source : « Faire entrer l’école dans l’ère du numérique », 2013. [En ligne] http://multimedia.education.gouv.fr/2013_strategie_numerique_DP/#/10/ -
[8]
Voir les travaux en didactique de Benjamin Bloom sur les verbes d’action (Bloom, Engelhart, Committee of College and University Examiners, 1956).
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[9]
Nous avons traité par ailleurs de ces moments d’émulation entre étudiants, voire de débordement ludique du cadre réglé proposé par l’outil (Potier, 2016) ainsi que de la signification sociale de cette activité pour les apprenants en voie de socialisation professionnelle (Potier et al., 2015 ; Potier, 2017).
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[10]
Elle est littéralement évacuée en dehors de ses frontières spatiales et temporelles, puisque plusieurs enseignants utilisent le Training Mode en espérant qu’il donne envie aux apprenants de retourner jouer en Game Mode à domicile, ou en leur demandant explicitement de le faire.
1Le jeu et le travail sont deux manières de faire quelque chose. Pour définir le jeu, les sciences du jeu ont longtemps cherché à dégager une ontologie du jeu, sur la lancée des travaux désormais classiques de J. Huizinga (1938) et de R. Caillois (1958). Pour le philosophe J. Henriot, le jeu survient quand sont réunis un support de jeu, le jouet, un individu, le joueur, et le fait qu’il juge en conscience que son action est du jeu, ce que J. Henriot (1989) appelle « jouant ». L’apport de Henriot permet de penser le phénomène de distanciation métaphorique que le joueur entretient à son activité (Genvo, 2013) : une activité devient du jeu quand l’individu adopte une posture ludique visant à faire quelque chose (manipuler des pièces en bois aux échecs) « comme si » il faisait autre chose (mener une bataille contre le Roi adverse sur un champ de bataille). Ce faisant, la notion de distanciation permet de déplacer l’analyse qui portait sur la notion de jeu vers celle de la fonction de l’activité de jeu (Bonenfant, 2010). Le jeu n’est donc pas une activité à part entière, séparée du réel, mais une modalité du faire, située dans une semi-réalité où l’action du joueur n’a de conséquences que dans l’espace métaphorique du jeu (Juul, 2005, 2013).
2Nous distinguons donc l’activité de jeu (« play » en anglais) du jouet, qui est un objet ou une structure de règles (« game » en anglais). Nous distinguons également le travail et le jeu, notions abstraites, définies ou prescrites institutionnellement, du fait de « jouer » et de « travailler », deux modalités observables de l’action résultant de l’activité des individus. Comme sociologue du travail, nous trouvons alors de grandes similitudes entre le jeu et le travail, défini comme une activité réglée, collective et consistant en l’invention permanente de solutions et de nouvelles normes (Terssac, 2002). C’est dans ce cadre théorique, avec le concept de « travail d’organisation » (Terssac, 2016), et à l’aide de la théorie de l’acteur stratégique (Crozier et Friedberg, 1977) que nous proposons de penser ces rapports, à partir d’une étude de cas.
3Nous analysons ici l’usage individuel fait par les enseignants du jeu sérieux Mecagenius®, dispositif d’apprentissage en génie mécanique destiné à des élèves de la seconde au bac+3 [1]. Les jeux sérieux empruntent à la forme du jeu vidéo pour encapsuler des savoirs et des savoir-faire et proposer à l’apprenant de jouer le travail d’apprentissage [2]. L’ambition portée par le jeu sérieux est double : sur le plan culturel, elle est de séduire une génération d’apprenants supposément socialisée au numérique et amatrice de jeu vidéo, pour rendre l’apprentissage épanouissant et plaisant. Sur le plan didactique, son ambition est de signifier à l’apprenant que, dans l’espace métaphorique du jeu, il est autorisé à perdre et à recommencer. En prétextant le fait de faire « comme si » l’apprenant était un personnage dans un récit fictif, le jeu sérieux favorise une approche pragmatique d’acquisition du savoir par l’expérience de la pratique. Ce faisant, le jeu sérieux porte une représentation dichotomique des rapports entre jouer et travailler : la première activité étant sans conséquence réelle et divertissante, tandis que la seconde peut comporter des risques réels, notamment en cas d’échec de la tâche (l’élève peut échouer à son examen, casser la pièce d’une machine réelle, etc.), et être pénible et lassante. Le jeu sérieux est donc un outil de gamification du travail (Savignac, 2017 ; Savignac et al., 2017). En l’occurrence, il vise à gamifier l’apprentissage de l’élève, puisqu’il mobilise des mécaniques de jeu comme l’utilisation d’objectifs fictifs ou de système de comptage de score pour orienter et dynamiser la réalisation de l’activité de travail sous forme de jeu. Notre étude de cas porte donc sur le travail des enseignants chargés de mettre en œuvre un jeu sérieux dans l’apprentissage du futur travail des élèves. Devoir transformer le travail d’apprentissage de l’élève en jeu change-t-il le travail de l’enseignant ?
4De 2013 à 2015, nous avons observé l’activité des enseignants ayant utilisé Mecagenius® par l’observation vidéo-ethnographique de 16 sessions de jeu pendant près de 32 heures, dans des classes allant de la seconde en bac professionnel à la licence 3 professionnelle, à l’aide de captations vidéo et photographiques de l’ensemble de la classe. Nous avons également suivi la mise en place et le déroulement d’expérimentations locales dans ces académies, débutées par des sessions de formation des enseignants à l’usage du jeu vidéo et terminées par des sessions de retour d’usage, en présentiel ou non, des enseignants aux concepteurs du jeu. Enfin, nous avons mené une analyse documentaire des productions ministérielles présentant la politique de modernisation du système d’enseignement français. Ces protocoles permettent d’analyser les mécanismes de l’innovation pédagogique et la mise en œuvre de politiques publiques sous la forme de la diffusion de nouveaux dispositifs pédagogiques comme le jeu sérieux. Mais en résulte également une compréhension fine des enjeux portés par les transformations professionnelles du métier d’enseignant, ainsi que des manières de faire de ces enseignants face à l’innovation pédagogique numérique et au jeu sérieux.
5Pour étudier la façon dont les enseignants s’approprient le jeu dans leur travail, nous montrerons dans une première partie que l’usage du jeu sérieux est prescrit au sein d’un contexte organisationnel et politique d’innovation producteur d’injonctions paradoxales. Dans une seconde partie, nous étudierons la façon dont les enseignants utilisent le jeu sérieux pour résoudre des prescriptions normatives et techniques contradictoires.
Un contexte paradoxant
Jeu, « jouer » et activité professionnelle
6L’intérêt pour le jeu en sociologie du travail n’est pas nouveau, à considérer le jeu des acteurs comme appropriation stratégique de marges de manœuvre dans un système de règles (Crozier et Friedberg, 1977). Les relations de pouvoir au sein des zones d’incertitude produisent un jeu social entre l’organisation et l’acteur, duquel les travailleurs tirent leur autonomie dans le travail (Crozier, 1963 ; Terssac, 2012). En ce sens, l’analyse du jeu au travail rejoint celle, plus classique, de l’activité comme façon dont les individus s’approprient des normes et des règles et s’organisent pour en produire de nouvelles (Terssac, 1992).
7Cet article part d’un double constat : le premier est qu’une grande partie des études sur le jeu au travail, notamment en sociologie, porte principalement sur les destinataires du jeu ou sur les joueurs eux-mêmes. On y voit que les individus peuvent se servir du jeu pour s’approprier les contingences matérielles et organisationnelles (Roy, 2006 ; Burawoy, 2008) de leur environnement professionnel, fait de normes et de prescriptions. En psychodynamique du travail, les travaux sont centrés sur la production de jeu comme mécanisme de défense, restant pareillement du côté des « joueurs ». Les travaux de Stéphane Le Lay et de Duarte Rolo présentent côte à côte des mobilisations différentes du jeu dans un atelier municipal d’éboueurs et dans un centre d’appels téléphoniques (Le Lay et Rolo, 2014). Selon le cas, le jeu est mobilisé par l’individu lui-même ou prescrit par le management, faisant du fait de jouer ou non un moyen de mettre en forme la tension entre engagement et distanciation aux prescriptions et de faire face aux aspects anxiogènes issus de l’activité de travail (Le Lay, 2013).
8Concernant le jeu sérieux, la recherche gravite depuis le début des années 2000 autour d’une approche que nous qualifions de « techno-ontologique ». Cette approche consiste à interroger la compatibilité du jeu à des situations de non-jeu. Elle procède en produisant des définitions ontologiques de ce que serait par essence le « jeu », le « travail », ou « l’apprentissage », en étudiant un jeu sous l’angle du dispositif technique (les jeux vidéo sérieux par exemple). Cette approche techno-ontologique procède donc souvent en produisant des taxinomies, notamment des différents types de mécaniques ludiques (Alvarez, Djaouti, 2010), afin de remobiliser ces caractéristiques en situation dite « sérieuse » (Michael et Chen, 2005). À la frontière des sciences informatiques, de la didactique, des sciences de l’information et de la communication et de la psychologie, la recherche sur le jeu sérieux gravite donc autour d’une étude de la notion de jeu. Mais, en 2010, la thèse de Maude Bonenfant propose un renouvellement de l’étude du jeu au profit d’une analyse de sa « fonction » (Bonenfant, 2010). Par cette nouvelle entrée, l’auteure relance l’exploration de la tension entre engagement et distanciation à l’activité de jeu par le joueur (Bonenfant, 2015a), des ressorts de l’appropriation de son activité (Bonenfant, 2015b) et du concept de gamification (Bonenfant et Genvo, 2014). Ce tournant fonctionnaliste entre en résonance avec les développements sociologiques sur le concept d’activité. Mais l’étude du jeu sérieux reste davantage centrée sur les usages qu’en fait l’apprenant lui-même, et plus encore sur les modèles de conception des dispositifs (Fourquet-Courbet et Courbet, 2016) plutôt que sur les contextes sociaux de leurs usages.
9Or, l’enseignant n’est pas le joueur ; mais il doit travailler à faire jouer ses élèves, à « gamifier » leur apprentissage, et il doit donc repenser en profondeur les rapports culturels du travail au plaisir, à la contrainte, au gain, ou au sérieux de la tâche. Car les jeux sérieux formulent implicitement les promesses behaviouristes de la gamification du travail (Bogost, 2016), postulant que la mobilisation d’un dispositif technique (le jeu sérieux) permettrait de faire basculer automatiquement l’activité de travail vers celle, plus plaisante, de jeu.
10Le jeu sérieux Mecagenius® mobilise des « canons » culturellement institués dans le jeu vidéo : barre de score, gain de pièce, nombre de vies limité, ou encore indicateurs visuels de réussite (vert) ou d’échec (rouge), le tout inséré dans un environnement virtuel scénarisé et futuriste [3]. Dans sa constitution, Mecagenius® est conçu comme un « couloir » de progression duquel le joueur ne peut pas s’écarter. Il présente trois salles à l’élève, chacune comportant des exercices spécifiques (manipulation d’une machine virtuelle, agencement des étapes d’un procédé d’usinage, ou encore reconnaissance d’outils et de termes techniques) qui, une fois réussis, permettent de débloquer l’accès à la salle suivante. La structure du dispositif pédagogique balise le cheminement de l’apprenant, de salle en salle, de sorte que chaque activité gagne en complexité et permette à l’élève d’acquérir de nouvelles compétences. Enfin, le jeu peut être joué de deux façons ; en Game Mode le joueur suit le scénario du jeu et doit accomplir les missions pour débloquer successivement les verrous, jusqu’à la fin de l’histoire. En Training Mode, au contraire, le joueur appuie sur la touche F8 du clavier pour faire apparaître un menu déroulant lui permettant de sélectionner directement l’un des exercices du jeu, indépendamment de son niveau d’avancement. Par ces canons vidéoludiques, Mecagenius® est identifié facilement comme un jeu vidéo par les enseignants et leurs apprenants (Potier, 2016).
11Le jeu est donc à la fois un mode de réalisation de l’activité prescrite de l’enseignant à l’élève, mais aussi un outil prescrit à l’enseignant par son insertion dans la politique d’innovation pédagogique impulsée au plan national. Il nous amène donc à nous interroger tant sur les rapports entre activité de travail et activité de jeu que sur le contexte professionnel, normatif et technique, dans lesquels s’échafaudent ces rapports. En ce sens, l’analyse de l’insertion du « jouer » de l’élève en classe est menée au prisme de son articulation complexe avec les transformations plus larges du « travailler » de l’enseignant, et les contradictions qu’elles portent.
Les injonctions organisationnelles
12Le déploiement du jeu sérieux dans l’apprentissage s’insère depuis le début des années 2010 dans une vaste politique publique de numérisation du système éducatif français. Ce « Plan de numérisation » annoncé en 2013 s’articule autour d’un ensemble des propositions politiques que le jeu catalyse sous la forme de promesses de plaisir, d’épanouissement et de développement de l’autonomie de l’élève, ainsi que d’une remise « en phase » de l’école avec les progrès techniques de la société [4]. Dans l’Éducation nationale, ces prescriptions aux enseignants sont récentes, et peu d’études portent aujourd’hui sur les recompositions sociales et techniques prescrites lors du passage à ce « régime numérique » d’enseignement (Cottier et Burban, 2016). Sur le plan des usages, les pratiques numériques des élèves sont moins cadrées que « foisonnantes » et, à dispositifs similaires, les pratiques en milieu scolaire divergent potentiellement des pratiques hors du cadre de l’apprentissage (Cottier, Michat et Lebreton, 2016). Du côté des enseignants, plusieurs registres d’engagement dans l’innovation se dégagent selon que cette accélération est vécue comme une opportunité didactique et pédagogique ou comme un empêchement à l’ajustement professionnel (Hétier et Cottier, 2016). De cette façon, les enseignants vivent parfois ces prescriptions comme des changements organisationnels, remettant en question leur conception du métier et les principes éthiques de l’institution scolaire. Entre renforcement des logiques marchandes dans l’organisation et le financement de l’innovation, et la multiplication des outils techniques sans démonstration de leur plus-value pédagogique, ils en viennent parfois à se sentir dépossédés de leur pouvoir d’agir (Lanéelle, 2016).
13Enfin, la politique de numérisation vise également à profiter d’une « modernisation » technique des pratiques pour renforcer la création de collectifs de travail. Dans un document produit par l’Organisation de coopération et de développement économique (Ocde) en date du 14 septembre 2017, les enseignants français se déclarent les moins bien préparés sur le plan pédagogique (seuls 40 % se déclarent bien préparés) ; ils arrivent derniers en nombres d’heures consacrées au travail en équipe et au dialogue avec leurs collègues (moins de 2 % du temps de travail contre 2,8 % en moyenne dans la zone des états membres), et arrivent en troisième position des enseignants qui n’observent pas le travail en classe de leurs collègues et ne fournissent pas un retour d’observation sur ce travail (79 % contre 50 % des enseignants en moyenne parmi les états membres [5]).
14Le contexte institutionnel d’innovation par le jeu sérieux est donc caractérisé par l’ambition ministérielle plus large de moderniser les outils et les procédés pédagogiques, mais également de reconfigurer une partie de l’organisation de travail individuelle et collective des professionnels. Pour en rendre compte, nous avons observé une expérimentation des usages du jeu pendant un an, au sein d’une académie scolaire française. L’expérimentation commence par une journée de formation à l’utilisation du jeu sérieux, visant à réunir à la rentrée de septembre 2015 les enseignants en génie mécanique de l’académie sur convocation de leur inspecteur. Malgré l’obligation de présence, seuls quinze enseignants sont présents sur les trente-deux convoqués. Au mois de mars, sept mois après le lancement de l’expérimentation et dans la dernière partie de l’année scolaire, 30,4 % des classes ayant demandé l’activation de licences n’ont jamais joué à Mecagenius®. Parmi les classes ayant joué, 64,8 % des comptes utilisateurs ont été utilisés au moins une fois, ce qui signifie que 35,2 % d’apprenants au sein même de ces classes n’ont jamais utilisé le jeu. Au total, sur l’ensemble des comptes de joueurs créés, moins de la moitié (44,8 %) ont été activés par une première connexion. Par ailleurs, 75 % des classes ayant utilisé le jeu montrent une première connexion des élèves distante d’un mois de la dernière connexion, 56,2 % montrent une première connexion distante de deux semaines de la dernière, et 25 % montrent une seule et unique utilisation au cours de la même journée. Les connexions sont majoritairement épisodiques, voire uniques, et ne témoignent pas d’une insertion du jeu dans les procédés pédagogiques des enseignants. En bref, le taux d’usage de Mecagenius® au cours de cette expérimentation est d’une faiblesse remarquable.
15Pour expliquer ce faible taux d’usage, l’inspecteur académique déclare au mois de mars 2016 avoir recueilli des retours de plusieurs enseignants relatifs à des « problèmes de réseaux », ce qui les avait conduits à abandonner l’usage de Mecagenius®, en dépit d’une absence d’erreurs inscrites dans les serveurs informatiques hébergeant le jeu vidéo. Toutefois, il nous invite à assister à une visioconférence tenue à la mi-mars, au cours de laquelle huit des enseignants rencontrés formulent leurs avis sur l’usage du jeu. Ces retours sont succincts. Ils déclarent que « cinq élèves sur quinze n’avaient pas d’adresses mail pour s’inscrire et les élèves ne voulaient pas se créer d’adresse, alors on a décidé de ne pas l’utiliser cette année », que « l’écran fige », des « problèmes de saturation de réseau » avec des temps de chargement longs, ou que des problèmes de lecture chez certains élèves, « un peu réfractaires à l’informatique », les empêchent de bien comprendre les exercices du jeu. Mais à l’issue de la visioconférence, en interrogeant l’inspecteur sur la différence entre les dysfonctionnements techniques déclarés par les enseignants et ceux effectivement inscrits dans les données informatiques, ce dernier qualifie le faible taux d’usage comme une « résistance » enseignante à des « machines à gaz » mises en place « par vagues régulières dans le milieu éducatif ».
16Malgré les menaces de sanction académique, l’inspecteur présente comme un phénomène connu le fait que les enseignants modèrent leur degré d’implication face aux dispositifs d’innovation pédagogique déployés par le ministère de l’Éducation nationale. Ces sanctions académiques révèlent à l’observation un régime de prescriptions, malgré tout, plutôt « molles ». Les enseignants sont évalués ponctuellement par un inspecteur académique. En cas de non-application par l’enseignant des prescriptions institutionnelles, l’inspecteur peut décider de ne pas lui accorder un avancement par échelon supérieur. Mais, dans la réalité, inspecteurs et enseignants travaillent régulièrement ensemble – comme autour de cette expérimentation par exemple. Les inspecteurs possèdent donc une représentation fine des dispositions de chacun à se conformer aux prescriptions. Des inspecteurs connaissent certains enseignants depuis des années, et ils connaissent leurs pratiques professionnelles avant même de procéder officiellement à l’inspection. Mais, en dehors de l’incitation à l’avancement ou du regard réprobateur de l’inspecteur, aucune autre menace de sanction ne pèse sur les enseignants. Aussi bénéficient-ils d’une autonomie importante pour appliquer les prescriptions à leur manière, ou ne pas les appliquer du tout. Par ailleurs, nous pouvons faire l’hypothèse que ce régime de sanctions peu contraignantes explique pourquoi notre étude débouche moins sur l’observation de phénomènes de souffrance au travail chez les enseignants que d’un travail d’organisation face aux injonctions techniques et normatives.
17Pour mieux considérer les rapports entre jouer et travailler tels que les conçoivent les enseignants, il nous faut donc d’abord interroger le contexte institutionnel de la numérisation et de la ludicisation du système de formation. D’une part, le système d’innovation dans l’Éducation nationale maintient traditionnellement une organisation hiérarchique et nationale. Les politiques publiques, comme celles de la numérisation, sont impulsées de façon centralisée par le ministère jusqu’aux enseignants, suivant un schéma classique, observé par ailleurs, d’adaptations successives pour leur mise en application locale (Jeannot, 2001). D’autre part, ce projet de numérisation s’articule autour d’une base normative forte, qui formule à l’intention des enseignants des injonctions à l’autonomie, à la flexibilité et au travail collectif, tout en valorisant la création de projets d’innovation locaux.
18Le suivi de l’implantation du jeu sérieux dans les lycées donne donc à voir l’ambivalence qui pèse sur leur activité professionnelle : les enseignants sont inscrits dans un système à la fois prescriptif et vertical, et destinataires d’une injonction à inventer de nouveaux usages sur un plan horizontal, par l’association sous forme de groupes de projets au sein des établissements ou des académies. Cette mise en tension organisationnelle entre prescriptions verticales et autonomie horizontale participe à définir, en creux, l’enseignant idéal comme moderne, réactif, autonome dans la construction de l’enseignement, et apte à rendre plaisante à l’élève la transmission du savoir, tout en respectant la standardisation des procédés pédagogiques et les injonctions hiérarchiques. En étant ponctuellement testé par le biais d’expérimentations locales, le jeu sérieux est l’un de ces dispositifs qui arrivent entre les mains des enseignants, contextuellement chargés de prescriptions institutionnelles à innover en matière de pratiques professionnelles.
Quid du jeu ? Une double prescription normative
19Le jeu sérieux n’est pas un dispositif numérique comme les autres, puisqu’il comporte plusieurs propositions de changement : la première est d’ordre organisationnel et tient en la proposition d’utiliser de nouveaux outils numériques pour enseigner. La seconde, d’ordre plus culturel, consiste en l’utilisation de ressorts ludiques pour gamifier l’apprentissage de l’élève – et donc en une reterritorialisation traditionnellement proscrite du jeu badin et oisif dans le cadre du travail sérieux et utile. Mais, pour que le jeu vidéo permette aux élèves de jouer, il faut d’abord que l’enseignant puisse l’utiliser en classe. Les acteurs associés au développement et au déploiement institutionnel de Mecagenius® ont donc conçu le jeu sérieux de sorte qu’il parvienne à « capter » (Cochoy, 2004) plusieurs dispositions des enseignants.
20Ces dispositions sont ainsi d’ordres technique, pédagogique et culturel. Premièrement, concernant leurs dispositions techniques, l’État déploie d’importants dispositifs de formation en présentiels et à distance pour former les enseignants et normaliser leurs pratiques numériques pédagogiques [6]. Or, en n’interrogeant jamais la motivation à utiliser des outils numériques, la mise en œuvre de la politique d’innovation pédagogique s’appuie sur deux présupposés implicites. D’une part, celui d’une propension à utiliser des dispositifs numériques qui serait largement répandue chez les enseignants, due au progrès technique. D’autre part, la normalisation de ces dispositions individuelles en compétences de métier. Mais, sur le terrain, l’habileté technique est inégalement répartie parmi les enseignants, sans pour autant que ces derniers soient réfractaires à toute évolution technologique. Ainsi, un professeur de Midi-Pyrénées nous confiait en 2014, alors que nous l’interrogions sur sa perception de l’entrée du jeu vidéo dans la classe :
« L’évolution de la technologie doit se faire de toute manière. Moi, j’ai commencé il y a 15 ans avec des calques, puis en passant à l’informatique j’ai trouvé ça extraordinaire alors qu’aujourd’hui, quand il faut entrer des valeurs numériques dans le logiciel, les étudiants trouvent ça lourd ! L’avenir, c’est d’allonger les pièces en tirant dessus à la souris, ou à la main avec le tactile ! »
22Une telle mise en perspective relègue le jeu sérieux au rang de maillon dans une perception évolutive du progrès technique, quelque part entre le calque et le tactile. Mais, si les enseignants interrogés ne sont pas réfractaires à la numérisation de l’enseignement, le postulat institutionnel de dispositions techniques vastement réparties dans le corps enseignant tend à naturaliser et à homogénéiser des compétences inégalement réparties, sur la base d’une représentation de la société comme étant vastement numérisée [7].
23Deuxièmement, sur le plan des dispositions d’ordre pédagogique, le jeu fait s’opposer deux méthodes d’enseignement, l’une plus classique et l’autre innovante et orientée vers davantage de plaisir et de participation de l’élève. L’outil reconfigure ainsi la médiation de l’enseignant entre le savoir et l’apprenant, structurante dans la perception de l’enseignant quant à son propre rôle professionnel. Le jeu vidéo s’insère comme média qui transmet le savoir à l’apprenant, et invite l’enseignant à repenser sa place dans le processus d’apprentissage de l’élève. Aussi la prescription de l’usage enseignant du jeu sérieux s’appuie-t-elle sur la capacité de l’enseignant d’intégrer le jeu vidéo dans le cadre standardisé de ses procédures pédagogiques, appelées « séquences d’apprentissag servant à uniformiser les procédures pédagogiques à l’échelle nationale. Elles sont basées sur la taxinomie de Bloom [8] (identifier, traiter, décider, restituer, etc.), puis arrimées aux « compétences » que l’apprenant doit acquérir. Cette taxinomie, aussi appelée « classification des objectifs », formalise six niveaux de progression : la connaissance, la compréhension, l’application, l’analyse, la synthèse et l’évaluation.
24Cette approche standardisée de l’enseignement et du processus de transmission envisage la progression pédagogique comme la mise en place d’une stratégie de formation linéaire et croissante, dont la finalité est l’atteinte des objectifs définis par les référentiels de compétences produits par l’Éducation nationale. La proximité entre la construction en couloir de Mecagenius® et la structure des séquences d’apprentissage est intentionnelle de la part des concepteurs, pour en faciliter l’appropriation par les enseignants. De la même manière, l’existence du Training Mode permet à l’enseignant de sélectionner un ou plusieurs exercices pour faire travailler l’ensemble de sa classe sur le même sujet, indépendamment des avancements de chacun dans leur partie respective.
25Troisièmement enfin, l’usage pédagogique du jeu vidéo suppose une disposition plus culturelle : celle de laisser plus d’autonomie et de liberté à l’élève dans la construction de son parcours de formation, ou de se déprendre d’une partie du rôle de médiateur du savoir au profit d’une amélioration de sa transmission. En ce sens, l’organisation du déploiement de la métaphore ludique dans la classe par l’enseignant requiert de sa part des compétences de supervision et d’explicitation du caractère métaphorique du jeu ; l’enseignant doit être capable d’encadrer l’apprentissage individuel de chaque élève au détriment d’une partie de son organisation, et d’arrimer les actions dans le jeu aux réalités d’apprentissage de l’apprenant. La gamification de l’apprentissage de l’élève s’appuie donc sur l’acceptation par l’enseignant d’une remise en cause d’un ordre social traditionnel reposant sur le triptyque enseignant-savoir-apprenant. Bien que les compétences de gestion et de supervision nécessaires à l’usage du jeu ne soient pas étrangères à son métier, l’évolution par le jeu sérieux des interactions entre l’enseignant et les apprenants tend à reconfigurer l’importance de leur mobilisation.
26Au-delà de la crainte d’une potentielle automatisation de leur travail par le numérique (Wallet, 2013), les enseignants doivent donc adhérer au principe même de faire jouer l’apprenant. Même si l’enseignant ne doit pas jouer lui-même, les contingences techniques, pédagogiques et culturelles qui caractérisent l’usage du jeu sérieux transforment son activité professionnelle. Cette prescription excède la seule modification de construction du cours de l’action, puisqu’elle engage également une dimension symbolique forte sur la représentation que l’enseignant a de son propre travail, et de la place que peut y occuper l’usage d’un jeu. Or, la prescription à utiliser le jeu passe sous silence le changement paradigmatique qu’il suggère quant à la représentation que l’enseignant a de son propre travail et de celui de ses élèves. Les faire travailler ou les faire jouer ? Transmettre collectivement le savoir ou superviser chaque parcours d’apprentissage individuel ? La prescription à faire jouer l’élève invite les enseignants à changer leur façon de travailler pour faire changer celle de l’élève. En cela, l’arrivée du jeu sérieux en classe cristallise une double prescription normative : celle d’innover en matière pédagogique, et celle de consentir à ce que l’activité de jeu est une activité de travail.
Le « serious game » comme outil de convergence normative
L’appel aux compétences : un mode de prescription du ludique
27L’enseignant moderne saurait donc faire de l’apprentissage un jeu, et se montrer autonome et flexible pour travailler à organiser la place du jeu au sein d’un enseignement plaisant et épanouissant pour l’élève. Ce travail d’organisation est envisagé au sens que Gilbert de Terssac lui donne (Terssac, 1992, 2002), comme production de règles dans l’action selon un principe d’autonomie et de coopération des individus, pour produire ordre social à la fois individuel et local (dans le cas de l’activité de l’enseignant au sein de sa classe et dans l’agencement de son activité à celle de ses apprenants), mais aussi collectif vis-à-vis des prescriptions institutionnelles.
28Dans un article paru en 2013 intitulé « Déconstruire la compétence pour comprendre la production des qualifications », Sylvie Monchatre propose de comprendre la compétence moins comme un concept que comme une « catégorie de la pratique », comme « potentiel à développer » plutôt que comme reconnaissance légale d’un apprentissage (p. 3). L’auteure relève que le passage d’une logique de qualification à la logique compétence se comprend dans une individualisation de la mobilisation de la main-d’œuvre, en substituant à une logique de classification portée par les corps professionnels intermédiaires une logique d’évaluation portée par l’organisation de travail (management, direction des ressources humaines, etc.). Déjà en 2001, Catherine Paradeise et Yves Lichtenberger éprouvaient empiriquement l’opposition de ces deux modèles. Les auteurs concluaient que la grande diversité des méthodes de valorisation de la compétence ne permet pas d’en dégager un modèle unifié, mais que ces modèles participent toutefois à définir de nouvelles normes régulatrices dont l’acceptabilité sociale reste à interroger. Pour autant, les travaux de Sylvie Monchatre et de Lise Demailly sur les modes de requalification du travail des enseignants (Demailly, 1987) convergent vers l’observation d’une activation de compétences individualisées chez les enseignants.
29L. Demailly note ce que nous observons dans l’application de la politique de numérisation : un déplacement du « cadre de référence de l’acte pédagogique », qui n’est plus la classe, mais qui renvoie à des structures par projet et à une délégation à l’enseignant de tâches « politiques et de gestion traditionnellement attribuée à l’administration » (p. 66), amenant à de « nouveaux modes de contrôles plus diffus » et « remplaçant l’égalitarisme formel entre enseignants par la valorisation de leaders » (p. 68). Dans la classe, l’auteure analysait, il y a trente ans, ce que suggère l’utilisation du jeu sérieux pour les enseignants d’aujourd’hui : la valorisation accrue d’un « potentiel » de qualités personnelles, de capacités définies par le projet politique comme « socialement requises et institutionnellement valorisées » (p. 62). Le rapport du jeu au travail de l’enseignant est donc prescrit par un passage à un modèle de compétences nouvellement valorisées, telles que celles de sociabilité dans la classe (animer l’apprentissage par le jeu, par exemple), de traduction ou de gestion de projets collectifs en dehors.
30En effet, la prescription du jeu sérieux sur les enseignants les invite à se porter participants au sein de collectifs d’innovation pédagogique en dehors de la classe, sur le modèle des groupes de projets, et à mobiliser des compétences personnelles informatiques ou sociales dans la gestion et l’animation d’un apprentissage gamifié. Ces compétences de gestion de projet ou d’appropriation en acte des outils innovants sont ainsi présupposées comme des dispositions chez les enseignants, au sens de Pierre Bourdieu, comme des inclinations ou une tendance à agir d’une certaine façon (Bourdieu, 1980), et plus spécifiquement comme des habiletés potentiellement actualisables dans le répertoire d’action que l’individu emploie pour travailler (Lahire, 2005). Or, en contexte d’usage institutionnel de la compétence comme critère d’évaluation, l’usage du jeu sérieux requiert des compétences potentiellement développées en dehors du cadre professionnel, mais tout autant évaluées lors des inspections académiques. Ce faisant, la prescription de l’outil « serious game » traduit plus largement le passage vers une évaluation des compétences individuelles plutôt que des qualifications professionnelles. Mais il invite aussi à observer le travail d’organisation (Terssac, 2002) des enseignants qui, face à un outil inconnu et pris dans un modèle d’individualisation des ressources de l’action, doivent inventer des normes et des procédures pour l’utiliser.
Usages en acte, ou comment travailler le jeu
31En ce sens, il est d’intérêt d’étudier le travail en acte des enseignants, pour comprendre quelle place occupe le jeu entre prescriptions institutionnelles et conditions sociotechniques de l’enseignement en classe, dans ce que Terssac (2006) qualifie de « creuset » dans lequel les individus travaillent à résoudre les flux normatifs paradoxaux. Sans pour autant que l’enseignant ne joue, l’usage (ou le non-usage) du jeu sérieux fait infléchir les cours individuels et collectifs de ses actions (Theureau, 2004). L’objet produit une double contrainte pour l’enseignant : ce dernier doit être capable d’inventer de nouveaux usages pédagogiques visant l’accroissement du plaisir et de l’autonomie de l’élève, tout en maintenant l’application de normes prescrites rigides qui standardisent et encadrent l’enseignement.
32Au cours de nos observations en classe entre 2013 et 2016, le taux d’usage du jeu reste stable et l’outil continue de séduire en priorité les enseignants volontairement engagés dans des projets d’innovation pédagogique plutôt que des enseignants qui se voient prescrire son usage. Nous observons également une régularité dans les pratiques des enseignants qui utilisent le jeu sérieux : l’utilisation du Training Mode est fréquente, même si l’enseignant laisse parfois le choix aux apprenants, entre ce mode et le Game Mode. Mais aucun des enseignants que nous avons observés n’a donné pour consigne de se connecter en Game Mode. Dans la salle de classe, on observe en fait les enseignants détourner le jeu sérieux, et reporter sur lui des pratiques pédagogiques plus classiques. Pour le montrer, nous discernons deux modalités d’usage du jeu sérieux que nous caractérisons comme un réencadrement du jeu sérieux, et comme un dessaisissement des ressorts de jeu allant vers la déludicisation de l’apprentissage.
33La première modalité d’usage se caractérise par un réencadrement de l’usage du jeu sérieux lors de son utilisation en classe, par le recours à une supervision classique de l’activité de l’élève. La vidéo ethnographie donne à voir la répétitivité de postures physiques des enseignants, plus en retrait que lors de séances de cours plus classiques. Ils déambulent entre les rangs, surveillant le travail des étudiants, ou se tiennent prêts à leur porter assistance dès qu’une main se lève. Ces postures traduisent l’assimilation de l’activité de l’élève avec le jeu sérieux à une session classique d’examen ou d’exercices, durant laquelle l’enseignant se place en retrait pour favoriser l’entraînement des apprenants. Ce faisant, il ne prend pas part à l’usage du jeu sérieux ni aux temps d’émulation qui parfois surviennent entre les apprenants [9]. Au contraire, en s’asseyant à son bureau ou en déambulant silencieusement et discrètement entre les rangées, les enseignants signifient que l’usage du jeu est encadré comme n’importe quelle autre activité d’apprentissage classique, basé sur l’acquisition de l’expérience par l’action.
34La seconde modalité se caractérise par ce que nous appelons « un dessaisissement des ressorts de jeu ». Les enseignants favorisent majoritairement l’usage du Mode Training, en utilisant le jeu sérieux pour faire réaliser à l’apprenant une liste classique d’exercices, imprimée sur une feuille ou écrite au tableau. Cette fragmentation de l’outil pour n’en extraire que les activités pédagogiques dégagées de leur contextualisation ludique traduit la volonté des enseignants observés de mettre littéralement la main sur le jeu sérieux, de fragmenter et de réagencer suffisamment l’objet technique pour prescrire un apprentissage dans lequel est favorisé le fait de travailler (s’entraîner pour acquérir de l’expérience) et évacué le fait de jouer (réparer le vaisseau spatial pour s’échapper de la planète inconnue). Car l’usage du Training Mode suppose de ne pas avoir à suivre le scénario du jeu, ni d’explorer les salles du vaisseau spatial ni de faire augmenter sa barre de score, d’expérience ou la somme de ses pièces d’or pour débloquer la suite des activités. En utilisant ce mode, l’enseignant conserve la main sur sa pédagogie : il organise l’activité de l’élève en le faisant se dessaisir du jeu pour ne garder que le sérieux accolé à une manière classique d’apprendre.
35Pour autant, ce dessaisissement des ressorts ludiques traduit aussi un phénomène de redéfinition par les enseignants de ce qu’est l’activité de jeu de l’élève. Pour eux, l’activité d’utilisation du jeu sérieux peut correspondre à une réalisation des prescriptions institutionnelles d’une part, au sens où les élèves jouent puisqu’ils utilisent le jeu sérieux, tout en conservant un mode d’enseignement classique. Car les enseignants organisent leur activité pour satisfaire à la fois aux prescriptions organisationnelles et aux impératifs sociotechniques comme professionnels de l’activité en classe. Si le discours institutionnel assimile automatiquement l’utilisation du jeu à l’usage du jeu sérieux, alors les enseignants peuvent déclarer avoir fait jouer les élèves. En même temps, dans la classe, l’usage du jeu sérieux se fait selon des modalités classiques d’apprentissage qui ne déplacent pas l’encadrement de l’apprentissage sur l’outil et qui n’individualise pas la relation entre l’élève et l’outil dans la classe, ce qui permet au travail de l’enseignant de s’insérer dans l’évacuation du jeu de l’apprenant. Les enseignants négocient leur adhésion aux prescriptions institutionnelles, en organisant l’activité de jeu de leurs élèves de sorte qu’elle ressemble au plus près à une activité d’apprentissage classique.
36Cette appropriation du jeu, comme outil et comme activité, se traduit dans leur discours par une séparation entre utilisation du dispositif et fait de jouer au travail. Un enseignant dispensant ses cours à des secondes et à des bac+2 nous dit ainsi en mars 2015 :
« [VP] Si je comprends bien, tu fais vraiment la séparation entre le côté travail, exercice en classe, avec des choses très ciblées et des objectifs à tenir, et la possibilité pour l’élève de se réserver le côté ludique à la maison ?
Oui. Je ne sais pas si j’ai raison ou tort. […] Je pense que c’est ma perception… Pour moi le jeu, ça n’a rien à faire à l’école. Je suis peut-être un peu carré.
[VP] Du coup, il y a vraiment à la fois le côté jeu et le côté sérieux. Tu m’arrêtes si je me trompe, mais l’intérêt que tu as vu c’est la double exploitation qu’on peut en faire ?
Oui, et pour éviter que l’on me reproche après d’avoir fait jouer les élèves. Tu vois, j’ai toujours cette appréhension du genre “Tu fais jouer tes élèves, tu ne t’en occupes pas.” Je n’ai pas envie que ça soit perçu comme ça, ni vis-à-vis des parents ni vis-à-vis de quiconque en fait. »
38Contrairement aux approches cliniques réalisées en psychodynamique du travail, notre approche ethnographique par observations ne permet pas de saisir la dynamique souffrance/plaisir chez les enseignants, comme d’éventuelles dimensions anxiogènes face aux injonctions paradoxales qui leur sont adressées. Ce qui est visible en revanche, c’est que les enseignants se servent du jeu sérieux comme d’une soupape entre les prescriptions institutionnelles et leur activité en classe. Ils renormalisent ce qu’est le jeu de l’apprenant en organisant son activité au contact du dispositif. Ils « braconnent » le jeu jusqu’à sa dimension culturelle et organisatrice de l’activité (Certeau, 1990), et gardent la main sur leur rôle de médiateur du savoir. Selon une approche psychodynamique du travail, ces phénomènes de « triches », de l’enseignant et non pas des élèves, contribuent davantage à la production d’un travail jugé de qualité par le travailleur (Molinier, 2008), plutôt qu’ils ne s’apparentent à des cas de tromperies et de souffrance éthique (Dejours, 1998). Par ailleurs, ces torsions permettent également aux enseignants d’affirmer leur conformité au cadre normatif de l’innovation pédagogique. En évacuant aux frontières de la classe [10] la dimension métaphorique, les enseignants travaillent le jeu plutôt qu’ils ne font jouer le travail. Ils maintiennent à la fois la standardisation de leur enseignement (sous forme de séquences pédagogiques notamment) et la faisabilité de leur activité d’enseignement au regard des conditions sociotechniques de la classe.
La déludicisation : une évacuation de la métaphore ludique
39Nous faisons donc l’hypothèse que ces détournements du jeu sérieux servent à faire converger les paradoxes qui naissent de la rencontre entre les prescriptions institutionnelles à l’innovation et la réalité de l’enseignement en classe. Nous proposons le terme de « déludicisation », qui signifie l’évacuation de la dimension métaphorique venant du jeu au profit d’une représentation réaliste de l’activité, orientée vers les conséquences immédiates de l’action. Si l’on reprend les développements d’Henriot, la distanciation métaphorique réalisée dans l’acte de jouer consiste, pour l’individu, à devenir un joueur et à faire « comme si » il faisait autre chose. Aussi la gamification de l’activité d’apprentissage consisterait-elle en une modification par l’enseignant du jugement que l’élève pose lui-même sur les conséquences directes de son action, au profit d’une distanciation à la réalité du travail d’apprentissage.
40Mais, dans le cas de cette étude, la déludicisation consiste en une suppression par l’enseignant de la distanciation métaphorique dans l’activité de travail de l’élève. Or, l’évacuation du jeu n’a pas pour cause unique un conflit de représentations culturelles sur les rapports entre jeu et travail, puisqu’elle permet également à l’enseignant de maintenir sa souscription à un principe de standardisation de son activité et d’organisation collective de l’apprentissage (impossible si chaque élève avance différemment dans sa partie). Par ailleurs, cette déludicisation est organisée de sorte que les enseignants se conforment aux prescriptions qui leur sont formulées : en utilisant le jeu sérieux, ils souscrivent à la politique d’innovation pédagogique, et ils utilisent effectivement l’outil prescrit. Ce faisant, la déludicisation procède d’une appropriation normative des rapports entre activité de jeu et activité de travail. Elle rend significatives les représentations des enseignants sur le rapport du jeu au travail. Les usages qui sont faits du jeu sérieux catalysent les formes de réponses que les enseignants adressent aux prescriptions institutionnelles à redéfinir leur activité professionnelle.
41En ce sens, le cas de Mecagenius® montre que le jeu peut servir à soutenir le travail d’organisation des individus : objet comme activité, la dimension normative du jeu est appropriée par l’enseignant pour maintenir la faisabilité organisationnelle, technique et pédagogique de son travail.
42La déludicisation sert ainsi deux fonctions dans le travail de l’enseignant. D’une part, elle donne du sens à son activité, à la fois comme direction et comme signification. Comme direction, elle lui donne une verticalité par la supervision de l’apprenant par l’enseignant, là où le jeu incorporait plus d’horizontalité et plus d’autonomie dans la relation entre le dispositif pédagogique et l’activité de l’élève. Comme signification, la déludicisation permet de s’approprier et de faire converger des prescriptions paradoxales, entre verticalité et horizontalité de la circulation des prescriptions, et perte de repères entre compétences nouvellement valorisées et qualifications traditionnelles de métier. D’autre part, cette déludicisation permet aux enseignants d’ordonner et de hiérarchiser les flux normatifs et les prescriptions organisationnelles. En l’occurrence, ils renoncent (du moins partiellement) à la prescription secondaire à utiliser le jeu, mais, en le détournant, ils utilisent le dispositif et adhèrent à la prescription principale à numériser leurs pratiques professionnelles.
Conclusion
43Finalement, d’une certaine façon, les enseignants jouent ; non pas avec le jeu sérieux, mais avec les conditions normatives et techniques d’élaboration de leur activité professionnelle. Ce jeu ne leur permet pas uniquement de participer à l’élaboration des règles pratiques et normatives, en redéfinissant ce qu’est leur travail de faire jouer l’élève, mais bien de transcrire en actes leur travail d’appropriation normatif appliqué à une situation technique problématisée. Tout au plus est-ce alors une innovation par le jouet, mais pas par le « jouer ». Notre approche sociologique et ethnographique de l’activité des enseignants montre des individus qui utilisent un outil technique, le jeu sérieux, pour résoudre les paradoxes qui naissent de la rencontre entre prescriptions institutionnelles et conditions de réalisation de l’enseignement. La supervision et l’encadrement du jeu de l’élève par le travail de l’enseignant donnent à voir ce qui, dans l’activité professionnelle de ce dernier, tient d’une compétence d’organisation, d’agencement des flux normatifs et des contingences techniques et organisationnelles. Car c’est dans l’évacuation de l’activité de jeu de l’élève, et par l’appropriation du jeu sérieux, que l’enseignant régule son activité et s’empare tant des dispositifs techniques que de la production normative (re)définissant son métier. L’étude de ce phénomène de déludicisation du travail est donc celle d’un phénomène d’évitement et de rationalisation de l’activité, là où les prescriptions paraissent à l’individu comme des sources de désorganisation et d’empêchement de leur travail enseignant.
44L’apport de notre analyse sociologique montre que l’activité des enseignants consiste en une série de braconnages et de détournements du jeu sérieux, traduisant en acte l’invention de règles afin de résoudre dans le travail des prescriptions plurielles (Terssac, 2016). Nos observations montrent que la prescription au jeu s’insère plus largement dans l’adoption institutionnelle d’un modèle de compétence qui valorise l’aptitude individuelle de l’enseignant à maintenir la cohérence de son activité, indépendamment des nouvelles prescriptions qui pèsent sur lui. Finalement, dans le cas des enseignants observés, l’analyse des rapports du jeu au travail renvoie à celle des transformations professionnelles auxquelles leur métier est en proie, et dont la prescription à faire jouer n’est qu’une manifestation passagère.
45Ces résultats pourraient être confrontés à celles que feraient des psychodynamiciens du travail, avec la prise en compte de la dimension collective de ces renormalisations, en y intégrant la problématique de la reconnaissance, et des dynamiques subjectives à l’œuvre. L’une des limites de cette recherche réside également dans la méthodologie adoptée, qui ne permet pas d’accéder aux stratégies défensives des enseignants. Cela invitera à poursuivre l’analyse en deux endroits. D’une part, les prolongements pourront s’attarder à analyser la dimension collective de ce travail d’organisation là où, observés dans le contexte de leur classe, les enseignants paraissent esseulés, sans leurs pairs. D’autre part, de telles ouvertures permettront de mieux interroger la déludicisation non pas comme phénomène de résistance isolé, lié au refus de l’usage du jeu vidéo, mais comme volonté de conserver la main sur la pédagogie au-delà du cas spécifique du jeu vidéo d’apprentissage. Car en la resituant dans une perspective élargie, prenant en compte les rapports de force organisationnels, les collectifs de travail et leur réelle autonomie dans un système de sanctions peu pénalisant, la question du jeu dans l’activité de l’enseignant s’efface derrière la problématique plus générale de l’appropriation de transformations professionnelles par les travailleurs eux-mêmes.
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Mots-clés éditeurs : éducation, travail, jeu sérieux, activité, déludicisation
Mise en ligne 14/03/2018
https://doi.org/10.3917/trav.039.0033Notes
-
[1]
Le jeu Mecagenius® est développé par l’équipe sgrl (Serious Game Research Lab) à l’Institut universitaire J.-F.-Champollion d’Albi, regroupant des chercheurs en génie mécanique, en sciences de l’éducation, en informatique, et psychologie et en sociologie. Développé de 2009 à 2013, il sert à l’apprentissage des procédés d’usinage et à la manipulation des machines-outils à commandes numériques en présentant à l’apprenant l’environnement futuriste d’un vaisseau spatial abîmé, à réparer à l’aide de machines similaires à celles de l’atelier de formation.
-
[2]
Dans ce texte, donc, nous considérons que l’apprentissage est un « travail ».
-
[3]
Dans Mecagenius®, le joueur y campe le commandant d’un vaisseau spatial écrasé à la surface d’une planète inconnue. Pour réparer seul son vaisseau, le personnage a à sa disposition un ensemble de machines-outils à commande numérique et d’outils similaires à ceux que l’apprenant de génie mécanique trouve lors de sa formation aux procédés d’usinage.
-
[4]
Dossier de presse, ministère de l’Éducation nationale, 2013 : http://multimedia.education.gouv.fr/2013_strategie_numerique_DP/#/20/
-
[5]
Étude économique de l’Ocde, France, Septembre 2017, Synthèse, Graphique 38, p. 46 [En ligne] http://www.oecd.org/fr/economie/etudes/France-2017-OCDE-etudes-economique-synthese.pdf
-
[6]
Ces nouvelles ressources sont nombreuses, parmi lesquelles nous distinguons les portails d’accès à des ressources pédagogiques (comme Éduthèque, Expérithèque ou encore Éduscol) et les outils numériques destinés à reconfigurer les modes de coordination collectifs ou les pratiques professionnelles individuelles (comme M@gistère, ou comme les dispositifs expérimentaux tels que Mecagenius® et les jeux sérieux par exemple).
-
[7]
Par exemple, le dossier de presse ministériel lors de l’annonce du plan de « l’entrée de l’École dans l’ère du numérique » en date de 2013 énonce comme atout à la réalisation de ce plan « une tradition pédagogique forte et des enseignants motivés et créatifs qui utilisent d’ores et déjà le numérique ».
Source : « Faire entrer l’école dans l’ère du numérique », 2013. [En ligne] http://multimedia.education.gouv.fr/2013_strategie_numerique_DP/#/10/ -
[8]
Voir les travaux en didactique de Benjamin Bloom sur les verbes d’action (Bloom, Engelhart, Committee of College and University Examiners, 1956).
-
[9]
Nous avons traité par ailleurs de ces moments d’émulation entre étudiants, voire de débordement ludique du cadre réglé proposé par l’outil (Potier, 2016) ainsi que de la signification sociale de cette activité pour les apprenants en voie de socialisation professionnelle (Potier et al., 2015 ; Potier, 2017).
-
[10]
Elle est littéralement évacuée en dehors de ses frontières spatiales et temporelles, puisque plusieurs enseignants utilisent le Training Mode en espérant qu’il donne envie aux apprenants de retourner jouer en Game Mode à domicile, ou en leur demandant explicitement de le faire.