1La publication d’un entretien avec Cédric Villani, mathématicien de renom, surprendra plus d’un lecteur de la revue Travailler. En effet, ses travaux – notamment la démonstration qui lui a valu la médaille Fields en 2010 – n’ont pas a priori de lien avec les questions traditionnellement abordées dans Travailler et on voit mal, au premier abord, en quoi les mathématiques contribueraient à mieux saisir le rapport entre santé et travail, sujet de prédilection de la revue.
2Mais ce n’est pas tellement au sujet de son œuvre mathématique à proprement parler que nous nous sommes adressés à Cédric Villani. En effet, ce dernier n’est pas seulement un mathématicien brillant. Il est également un chercheur engagé dans un dialogue fréquent avec le public. Une des dernières propositions d’échanges est parue sous la forme d’un ouvrage autobiographique, intitulé Théorème vivant (Grasset, 2012), dans lequel C. Villani révèle au grand public ce qui reste d’habitude dans les coulisses de la découverte scientifique, à savoir le travail du chercheur. C’est précisément cette description, d’une richesse considérable, qui nous a retenus.
3À vrai dire, celle-ci constitue un matériel clinique remarquable pour tous ceux qui s’intéressent au travail vivant, c’est-à-dire à la façon dont le génie pratique investit les interstices de ce qui est prévu, attendu, planifié. Le récit de C. Villani rend palpable la lutte quotidienne du chercheur aux prises avec le réel et les aléas de son activité, contribuant de la sorte à désacraliser la chimère d’une découverte dont le moteur serait l’illumination, plutôt que le travail. Ce dernier est bien au contraire anobli, lorsqu’il apparaît comme le fruit d’un effort et d’une persistance que l’on ne peut que louer.
4L’entretien reproduit ci-dessous ne rend certainement pas compte de la richesse de l’ouvrage de Cédric Villani. Telle n’est pas son ambition. Il tente tout simplement de faire ressortir les éléments originaux de ce « Théorème vivant » qu’est le travail de la recherche scientifique.
5Duarte Rolo : Deux raisons principales nous ont amenés à vouloir vous rencontrer. Tout d’abord, nous nous sommes récemment intéressés au travail des chercheurs. Il existe un certain nombre de travaux en sciences sociales sur cette question, notamment sur le rapport entre santé et travail dans les métiers de la recherche ; deuxièmement parce que votre livre nous est apparu comme une description assez magistrale de ce que nous cherchons à comprendre, c’est-à-dire le travail vivant, qui n’est pas simplement l’organigramme ou la description, un peu abstraite, que l’on peut avoir du travail des chercheurs, mais la manière dont le travail de la recherche se passe réellement. Bref, votre livre nous est apparu comme un matériel clinique fantastique, notamment en ce qui concerne la question de l’intelligence au travail, de la créativité.
6Cédric Villani : Je m’en doutais un peu…
7D. R. : En guise d’entrée en matière, une première question : il y a beaucoup de mathématiciens qui font des découvertes extrêmement importantes, mais tous ne choisissent pas d’écrire un roman sur ce que l’on peut appeler « la cuisine » de ces découvertes, sur les coulisses de la recherche quotidienne. Peut-être pouvez-vous nous dire quelques mots sur ce qui vous a donné envie de revenir, via un roman, sur ce processus ?
8C. V. : Tout d’abord il faut dire qu’il existe quelques précédents qui parlent des coulisses, le plus proche de mon travail étant très certainement Henri Poincaré. Je n’avais pas conscience de cette parenté en rédigeant l’ouvrage, mais, à la relecture de Poincaré, cette filiation m’apparaît manifeste : je pense qu’il y a eu une influence inconsciente. Ensuite, il y a d’autres exemples, mais qui relèvent d’une présentation radicalement différente, comme Grothendieck qui lui parlait en long et en large de sa vie de chercheur, mais dans une forme beaucoup plus solennelle.
9Par ailleurs, je n’aurais jamais publié cet ouvrage s’il n’y avait pas eu une interaction avec un éditeur : il y a eu cette rencontre, que j’ai racontée de nombreuses fois dans les présentations de l’ouvrage, avec Olivier Nora. Je n’aurais jamais eu en tête de faire ce travail-là si je n’avais pas rencontré Nora. Mon idée c’était d’écrire des livres oui, mais des ouvrages de vulgarisation, qui expliquent le produit fini si l’on peut dire, mais je n’aurais jamais eu l’idée de dévoiler les coulisses de mon travail de chercheur. Cet ouvrage est en réalité une réponse à une interrogation de sa part : « Qu’est-ce que vous faites ? », « Qu’est-ce que vous faites dans la vie ? » Cet ouvrage répond donc à cette question très générale. J’ai choisi de l’axer autour d’une découverte pour donner une unité, un fil conducteur à l’ensemble, me disant qu’il fallait introduire un élément de suspens pour tirer le fil de l’histoire et qu’ensuite je pourrai à travers cette histoire évoquer tous les éléments, tous les aspects de la vie du chercheur.
10J’ai vérifié ensuite qu’ils y étaient tous, par exemple les interactions formelles au déjeuner, les interactions en séminaire, les échanges en groupe de travail qui ne relèvent pas du même style. Le seul élément qui n’est pas vraiment dans le livre, c’est l’enseignement (sauf des extraits de cours, mais de cours très avancés) parce que cela aurait fait une diversion trop importante. Mais tout le reste on le retrouve, y compris tout ce qu’il peut y avoir de coopératif, tout ce qu’il peut y avoir de tensions aussi : l’angoisse du chercheur qui expose pour la première fois, les commentaires critiques, mais aussi les commentaires solidaires, les voyages bien sûr, le fait que dans des environnements variés vous avez des moyens différents, des temps différents, des ressources et des idées différentes. Il y a aussi le travail de publication avec le moment certainement le plus traumatisant de la vie du chercheur quand votre article est rejeté ; puis la resoumission, les remords, les temps de réécriture. On trouve donc tout, mais attention : ce ne sont pas des habitudes spécifiques à moi, ce sont les habitudes de l’ensemble de la communauté. Mais, dans ce cas, elles sont toutes liées à un fil conducteur qui est le théorème et auquel s’ajoute la tension autour de la Médaille Fields : quand j’ai commencé à écrire cet ouvrage, je ne savais pas encore que j’aurais la médaille, la rédaction a commencé au printemps 2010 et l’architecture était bien en tête pour la rentrée 2010. Et il m’a fallu un an pour mettre l’ouvrage au point.
11D. R. : D’accord.
12Pierre Lénel : Vous parlez des interactions avec les collègues : dans votre livre on a beaucoup le sentiment d’une confiance, d’une coopération entre collègues, comme si tous les chercheurs étaient orientés par une même recherche. La concurrence apparaît assez peu ou de manière souterraine. Or, dans nos univers, on a l’impression que la concurrence est de plus en plus forte, que tout est fait pour que la concurrence entre chercheurs soit stimulée, notamment au regard des questions de publication.
13C. V. : Sur ce projet en particulier, il y a une crainte de la concurrence qui apparaît, ou plutôt qui transparaît, à plusieurs endroits, même si elle n’est pas explicite. Il y a l’épisode où je reçois l’article de la collègue coréenne et je me dis : « Ça y est, malheur, ils ont préempté le problème avant nous. » Tout le long du travail, il y avait aussi la crainte d’être dépassé, ce phénomène qu’on connaît bien en recherche : au fur et à mesure que vous comprenez, vous êtes persuadé que les autres sont en train de comprendre aussi et qu’ils vont aller plus vite et mieux. C’est un phénomène classique qui, à grande échelle, s’est manifesté de manière spectaculaire au moment du projet Manhattan : tous les alliés travaillaient sur la bombe atomique, ils avançaient beaucoup plus vite que les Allemands et puis, tout d’un coup, ils n’avancent plus et ils sont persuadés que les Allemands sont en avance et qu’ils ont déjà tout « ficelé ». J’ai un peu vécu ce sentiment. Pourtant, à l’époque où se passe le récit – j’étais entièrement concentré sur mon travail de recherche –, je peux dire que sur mon sujet, qui est « la théorie cinétique », je m’étais fait une réputation suffisante, j’étais un peu l’expert incontesté du domaine, personne ne cherchait à me concurrencer. J’avais un article sur l’hypocoercivité, un long article qui n’est paru qu’en mémoire de l’Ams (American Mathematical Society) finalement que j’ai dû laisser sous forme de « preprint » pendant deux ans environ avant de le publier, sans aucune crainte que quelqu’un vienne me concurrencer ou « piquer » des idées. À propos du travail sur l’équation de Vlasov dont je parle dans le livre, qui était plus nouveau, j’étais beaucoup plus inquiet de possibles concurrents. Mais il n’y a jamais eu de démarches de défiance, j’ai toujours annoncé les choses, même avant le moment où j’aurais dû les annoncer et j’ai toujours discuté avec les collègues sans aucune rétention d’informations.
14P. L. : Oui, c’est ça, on a ce sentiment-là. C’est-à-dire qu’on a l’impression que les autres collègues vous pressent, vous aident, vous portent même…
15D. R. : J’ai été très marqué par ce rapport à la communauté mathématique, alors je me demande s’il n’y a pas quelque chose de particulier aux mathématiques par rapport à d’autres domaines du savoir…
16C. V. : En mathématiques, on est très coopératifs dans l’ensemble, et ça dépend aussi des sujets ! Mais, de manière générale, « porter » c’est une façon de dire les choses assez juste, c’est une bonne expression littéralement.
17D. R. : Vous parlez des ancêtres aussi…
18C. V. : Oui, il y a les ancêtres !
19D. R. : … de toute une tradition où on fait quelque chose, qui est vraiment…
20C. V. : Il y a les ancêtres, votre environnement intellectuel qui vous porte, mais aussi les collègues qui discutent, et évidemment le principal collaborateur, Clément. Avec lui, c’est, à un moment, une relation quasiment symbiotique. Mais il y a aussi tout ce qui donne des trucs, si vous regardez l’article, ça appartient à une autre ère d’ailleurs : le projet a commencé par une conjonction improbable, une discussion avec diverses personnes en particulier Yan Guo, Dong Li, Freddy Bouchet, Étienne Ghys – qui sont tous les quatre dans le début de l’ouvrage. Et puis des remerciements chaleureux à neuf personnes pour des échanges importants, et puis à d’autres qui ont fait des suggestions… Donc, c’est un ensemble, assez rare pour un travail de ce type.
21D. R. : En tout cas, et peut-être par rapport à d’autres univers de référence, ça nous a paru déjà une communauté scientifique très structurée…
22C. V. : Ah oui, ça, c’est certain.
23D. R. : Avec des échanges très structurés et des formes de coopération assez institutionnalisées. Mais, sur ce registre des tensions, un des éléments qui nous intéresse beaucoup, c’est aussi la tension entre l’élément scientifique et l’élément non scientifique, c’est-à-dire comment on voit que dans le travail des chercheurs il y a tout un tas de choses qui vous viennent, mais qui ne viennent pas, en soi, de l’intérieur du travail de recherche.
24C. V. : Oui oui.
25D. R. : Que ce soit la musique, que ce soit…
26C. V. : C’est la musique, c’est plein de choses. Et il y a effectivement toute une démarche, un ensemble de règles dans la communauté mathématicienne qui est propre à cette communauté. Les mathématiciens sont ceux qui obéissent le plus aux règles : n’importe quel mathématicien en France serait parfaitement prêt à l’accepter tout de suite si on décidait, par exemple, que le recrutement local des maîtres de conférences est interdit. Peu de communautés scientifiques seraient prêtes à faire de même. On l’applique déjà entre nous. Pendant six ans où j’ai été en commissions de spécialistes, à chaque recrutement on avait de nombreuses discussions pour savoir qui il fallait considérer comme local ou non, avec l’idée que notre devoir était de ne pas recruter localement. Et les règles d’âge ? C’est particulier aux matheux, c’est 40 ans ? C’est 50 ans ? Et ainsi de suite, il y a beaucoup de règles comme celles-là qui sont faites pour garantir le renouvellement de la communauté.
27P. L. : C’est sans doute lié à l’existence d’une science, que l’on appelle « science normale ». Dans les sciences humaines et sociales, on n’a pas les mêmes processus qu’en régime de sciences « normales », c’est-à-dire que personne ne se concentre à un moment donné sur un problème ou une question qui est partagée par 95 % de la communauté scientifique. Vous, c’est le cas, la tentative de démonstration est présente, ce qui fait que tout le monde peut apporter sa petite pierre, même si c’est vous qui êtes le spécialiste. On voit qu’il y a un rapport spécifique à la concurrence, différent du nôtre.
28C. V. : Ah c’est certain, tous les gens qu’on remercie, ils ne pouvaient pas faire ce travail, mais ils peuvent aider.
29D. R. : Après il y a une découverte. Et la question de la découverte semble primer sur son auteur à un moment donné…
30C. V. : Disons que c’est un peu idéalisé de dire les choses comme ça, mais oui, oui un peu. Mais, pour revenir à votre autre question sur l’environnement, c’était effectivement un des buts de l’ouvrage : mettre en évidence tout ce qui est extrascientifique et qui pourtant influence la recherche. Il y a dans le livre la partie recherche proprement dite qui prend de plus en plus de place de manière parallèle à l’obsession qui s’établit peu à peu dans le cerveau du chercheur. C’est en partie pour cela qu’arrivent des pages entières de formules, au moment où vraiment ça envahit le quotidien du chercheur. Puis, ça va décroissant dans la suite de l’ouvrage, quand on commence à prendre un peu plus de recul par rapport à l’œuvre. En revanche, il y a tout au long de l’ouvrage des références à des questions annexes qui souvent viennent de la littérature ou de la musique. C’était important à plusieurs titres. D’abord, parce qu’il y a de l’influence effectivement au niveau du cerveau ; ensuite, parce que ces éléments sont importants pour l’aspect sociologique du travail du mathématicien ; enfin, parce que ça joue un rôle considérable de rapprochement du lecteur avec l’auteur. J’ai d’ailleurs eu énormément de commentaires là-dessus, j’ai des centaines d’avis de lecteurs (six cents environ), puisque j’avais mis un appel à m’envoyer des contributions.
31Certains sont très émouvants, j’ai par exemple reçu des témoignages de personnes qui ont connu de près certaines personnes mortes aujourd’hui et qui sont évoquées dans l’ouvrage ; d’autres parlent du rôle du livre dans leur motivation au travail ; beaucoup de commentaires sont spécifiquement liés à la musique, ils permettent de voir tout ce que ça peut avoir comme rôle rapprochant. Un en particulier écrit : « Votre ouvrage je l’ai regardé comme ça et je n’y comprenais trop rien jusqu’à ce que je vois la référence à William Sheller. » Pourtant, la référence n’est pas explicite, mais il y a une phrase de chanson évidente pour quelqu’un qui connaît William Sheller, j’en ai disséminé une petite dizaine, des allusions pour les initiés, qui elles ont un rôle encore plus fort.
32D. R. : Bien sûr, ces tensions-là, c’est extrêmement intéressant parce qu’il existe aussi une vision du chercheur qui participe à quelque chose d’autre, c’est-à-dire qui n’est pas… Alors, comment dire… Il y a cette tension quand même où il y a un moment où il faut penser uniquement mathématiques…
33C. V. : Oui, oui.
34D. R. : C’est-à-dire il faut penser uniquement à ça et, en même temps, c’est en faisant une visite au muséum, par exemple, qu’il y a quelque chose qui vient pour la découverte, il y a une « intuition », il y a quelque chose qui surgit quand même : cette tension-là est vraiment très intéressante à analyser. Il y a quelque chose qui me frappe beaucoup autour de comment se joue cette tension entre la passion, l’envahissement nécessaire (on a tous pu le ressentir, il faut être possédé par un objet à un moment donné), et en même temps le risque de surcharge considérable. Dans votre ouvrage, on voit bien les échanges de mails à Noël, le travail tard dans la nuit, etc. Comment se joue cette tension justement, est-ce qu’à un moment donné l’envahissement peut aussi avoir un effet paralysant ?
35C. V. : Je ne saurais pas le dire sauf que oui, effectivement, il y a cette tension permanente avec le risque d’envahissement. Les échéances jouent là un rôle important : les échéances qui sont liées d’abord à votre vie personnelle, et qui rythment vos recherches : un rythme scolaire si vous avez des enfants, des obligations liées à votre vie de tous les jours. Ça joue un rôle important. Il y a aussi les rythmes liés à vos autres obligations professionnelles : des cours, ou des séminaires dans lesquels vous annoncez éventuellement des travaux (résultats) de recherche. Cette question-là est fondamentale dans l’ouvrage : il y a un moment en particulier où je fais une annonce, alors qu’en fait je ne suis pas encore en possession des éléments qui me permettraient de la faire, et qui après donne une sorte de mouvement de panique à l’ensemble. Il faut absolument avancer et, en même temps, il y a « qu’est-ce qu’on va dire ? ». Il est vrai qu’il y a une obsession qui s’installe, mais il y a aussi un rythme qui est donné et on doit aller au plus pressé, on n’a pas le temps de s’enfermer complètement dans le processus. Les moments pendant lesquels on annonce ou on explique ses résultats sont extrêmement importants pour ça, ça permet de discuter avec les autres, ça donne un jalon, ça motive, mais en même temps c’est une respiration dans le processus. J’ai eu deux travaux dans ma carrière qui ont été les plus obsessionnels : c’est celui-ci puis mon nouveau livre dont je parle un petit peu aussi, une vraie obsession.
36D. R. : On voit bien que, d’une certaine façon, cet envahissement est récompensé lorsque précisément ça se débloque. Mais là où c’est vraiment très intéressant, c’est comment vous montrez que la majorité du travail du chercheur c’est quand même de chercher et pas de trouver !
37C. V. : Heureusement ! La quantité d’articles produits est déjà tellement phénoménale à travers le monde, si en plus les gens se mettaient à produire plus qu’ils ne cherchent ce serait simplement intenable.
38D. R. : Mais il y a quand même une vraie interrogation : on sent bien que, les moments où ça coince, c’est quand même difficile, ce n’est pas évident toujours à supporter. Alors, le plaisir de ce travail de recherche, on sent bien qu’il n’est pas que dans la trouvaille…
39C. V. : Non. On apprend beaucoup à aimer le moment où l’on est tout seul face au problème, même à 3 h du matin, on apprend à aimer ça, et on apprend aussi à aimer la phase obsessionnelle. Quand vous êtes dans cet état-là, avec l’espoir de trouver, tout le reste importe peu, vous pouvez avoir des soucis par ailleurs, ça va venir tout effacer, vous pouvez avoir des soucis d’argent, vous pouvez avoir des soucis sentimentaux, ou n’importe quoi d’autre, quand vous êtes dans l’état d’immersion dans la recherche avec l’espoir de trouver sur le problème qui vous tient à cœur, on oublie tout le reste.
40D. R. : Est-ce que c’est ça la « ligne directe » dont vous parlez à un moment donné ? C’est quand même extrêmement intéressant cette expression…
41C. V. : Ah ! La ligne directe, non la ligne directe c’est vraiment le truc que vous n’arrivez pas à expliquer.
42D. R. : (Rires).
43C. V. : La ligne directe c’est le flash.
44P. L. : Il y a de nombreux mots comme ça : « mystère », « illumination »…
45C. V. : Oui c’est vraiment comme ça.
46P. L. : Tout d’un coup, ça se met en ordre, et ça vous permet…
47C. V. : Dès que je l’ai raconté, c’est rigoureusement estampillé ressenti.
48D. R. : D’accord, il y a aussi une autre expression qui est assez intéressante : vous dites que « tout d’un coup la machine, elle est en marche ». Est-ce que vous pourriez en dire un petit peu plus sur ce moment-là ? Comment se met-elle en marche ? Qu’est-ce que ça veut dire cette machine qui tout d’un coup commence à tourner ?
49C. V. : Je ne saurais pas trop dire, mais, quand vous sentez toutes vos capacités intellectuelles se mettre en action, que tous les réflexes et automatismes que vous avez acquis vont ensemble aller concourir du même but, c’est ça la machine qui se met en marche. Alors vous avez la sensation qu’on ne peut plus vous arrêter.
50P. L. : Même quand un collègue, que par ailleurs vous respectez comme chercheur, vous dit qu’une hypothèse avancée lui semble aberrante, même un moment de ce genre ne vous empêche pas d’avancer ? Ça ne vous arrête pas, ça ne vous ralentit pas ?
51C. V. : Oui sans doute, c’est plus démobilisateur, mais il faut avoir confiance dans la pertinence de votre recherche. Les critiques venant de l’extérieur peuvent être dures, mais, en même temps, vous défendez toujours mieux le problème que l’on critique, donc, après, vous êtes plus sûr. C’est une chose à laquelle vous tenez et, par ailleurs, c’est vous qui connaissez l’intérêt de la chose mieux que lui puisque vous avez travaillé en profondeur et pendant longtemps. La bonne connaissance du problème est indispensable pour tenir face aux critiques.
52D. R. : Et on voit bien qu’il y a une grande partie du travail qui est de cerner le problème…
53C. V. : Considérable. Il y a deux choses : d’abord, savoir sur quoi on va travailler et ensuite comment on le formule, d’abord quel est le problème et ensuite quel est l’énoncé.
54D. R. : Il y a une grosse partie du travail qui ne fournira pas en soi de résultats, ce qui peut paraître un peu en contradiction parfois avec ce qu’on peut observer aujourd’hui, c’est-à-dire une demande assez pressante de résultats lorsqu’on veut ou on tente d’évaluer le travail scientifique, comme si l’évaluation pouvait se faire essentiellement à partir des résultats alors que, ce qui nous paraît souvent intéressant, c’est aussi tout ce qui existe autour du « résultat ». Les résultats sont la pointe de l’iceberg et le reste de l’iceberg c’est précisément tout ce qui va permettre…
55C. V. : C’est l’échec oui, c’est vrai et, en même temps, je suis un peu gêné quand vous mettez ça en rapport avec les évolutions actuelles de la recherche. Je vais vous donner seulement des réponses liées à ces processus, des réponses qui se limitent au périmètre de l’activité scientifique proprement dite, pas de sa mise en relation avec les transformations que vous évoquez. Si vous étiez journaliste, je vous ferais des réponses différentes.
56P. L. : Il y a aussi une chose qui apparaît peu dans votre ouvrage, c’est le sujet des questions transversales. Vous vous situez apparemment dans une, deux, voire trois disciplines, il y a aussi des sous-champs dans lesquels vous serez peut-être sollicité, mais c’est ce qui fait, vous le dites à plusieurs reprises, votre particularité.
57C. V. : Oui, je pense que, dans les gens de mon âge, c’est assez unique, si l’on excepte quelqu’un comme le sorcier Terry Tao, je suis vraiment l’un des plus diversifiés. Il y en a d’autres qui se sont montrés très performants, extrêmement productifs, mais sur un domaine plus restreint. Chacun son style, on va dire !
58P. L. : Vous parlez du style, d’un genre…
59C. V. : Ouais.
60P. L. : Alors est-ce qu’il y a des types de problème qui correspondent à des types d’esprit, à des types de genre ?
61C. V. : Oui sans aucun doute.
62D. R. : Si vous pouviez nous en parler un petit peu de ces styles en mathématiques…
63C. V. : J’essaie d’en parler un peu dans la description de John Nash par exemple. Nash, il se caractérise par sa façon « analyste » de voir les choses et sa manière de jeter toutes ses forces intellectuelles dans une bataille ; ce n’est pas du tout un Grothendieck, voire un Poincaré qui, eux, passent des décennies à construire, à empiler les théories de manière extrêmement originale : c’est un travail de longue haleine dans lequel l’élégance de la construction d’ensemble joue un rôle fondamental.
64D. R. : Est-ce que vous pourriez nous dire un mot de cette originalité, qu’est-ce que ce serait ? Il y a de nombreux mots très riches qui la qualifient dans l’ouvrage, il y a « monstrueux » par exemple qui revient souvent avec différentes significations…
65C. V. : Oui ce mot renvoie clairement au fait qu’on n’a pas été effrayé par des calculs considérables ni par des difficultés techniques considérables, car, même si au sein de la communauté de la théorie cinétique j’étais certainement l’un des plus à même de les faire, c’est de loin, je pense, l’une des deux ou trois preuves les plus complexes de tout le domaine depuis qu’il existe. Si on élargit un peu le spectre, dans d’autres domaines on va trouver d’autres chercheurs qui sont capables de faire des démonstrations d’une complexité phénoménale. En soi, cela n’est pas extrêmement original. Si vous allez chercher des gens comme Bourgain qui est plus âgé, qui a eu la médaille Fields en 1994, en termes de puissance technique on rencontre un autre « calibre » que le mien ; ou quelqu’un comme Charles Fefferman, eux, vous pouvez les appeler des « monstres », qui sont capables de se battre avec des difficultés techniques phénoménales. Demetri Christodoulou est un autre exemple actuel, avec une démonstration-fleuve d’un problème de relativité générale de mécanique des fluides qui prend un livre entier de 800 pages environ pour la démonstration d’un certain théorème sur lequel il a travaillé pendant des années… dans certains cas, il y a une combinaison de choses particulières. Par exemple, la simple manière de poser le problème, un problème que les gens n’attendaient pas : Yan Guo en particulier, ça a été une grande surprise que la question soulevée soit aussi intéressante, qu’elle soit aussi compliquée, aussi riche, qu’elle soit rattachée à autant de choses. Ça a été vraiment une grosse surprise, dans le champ du problème et dans sa formulation. Il y avait quelque chose d’inattendu et ça a compté au moins autant que le fait que la preuve était très complexe. Il y avait aussi cette idée, l’intuition qu’il s’agissait de questions intéressantes. Et ça a servi après, il y a eu une suite, deux autres chercheurs, Jacob Bedrossian et Nader Masmoudi, qui ont adapté nos méthodes pour résoudre un autre problème, un problème de mécanique des fluides, un vieux problème.
66D. R. : Est-ce que vous pourriez nous dire quelques mots sur la spécificité du contexte français, puisque, apparemment, il y a là quelque chose comme un petit trésor français mathématique…
67C. V. : Un gros trésor français ! On en voit certains éléments dans mon ouvrage. En premier lieu, il y a l’environnement de l’Ens, des Ens puisque j’ai été élève à celle de Paris puis enseignant à celle de Lyon et l’on voit que, dans un cas comme dans l’autre, ce sont des petites structures, un peu élitistes, avec une interaction de haut niveau, entre élèves et élèves, entre professeurs et élèves, entre professeurs et professeurs. Et puis il y a une histoire, une tradition : dans mon cas, les différents chercheurs que je considère comme mes mentors ou mes maîtres, trois des quatre que je cite sont français, et ils s’inscrivent eux-mêmes dans de longues traditions. On peut aussi parler, mais c’est beaucoup plus dur à apprécier, de la question de la forme d’esprit, avec le goût français qui est porté vers l’abstraction, vers l’idéal, vers la recherche de grandes vérités. Il y a comme un tropisme messianique dans l’esprit français.
68D. R. : Et vous diriez donc que c’est quelque chose que l’on retrouve moins, ou en tout cas pas de la même façon, dans le contexte américain ?
69C. V. : Le contexte américain est bien sûr plus pragmatique, ce n’est pas le même état d’esprit. Mais, cela étant dit, les plus grandes universités américaines restent encore aujourd’hui le premier réservoir de richesses intellectuelles mathématiques, même s’ils sont en perte de vitesse.
70P. L. : Pour revenir un petit peu en arrière, la question de la puissance technique, est-ce que vous pourriez nous en dire un peu plus ?
71C. V. : La puissance technique, c’est l’identification du nombre de faces qu’a un problème énorme et extrêmement compliqué. Vous arrivez alors à mettre en œuvre les outils qui permettent de le « saucissonner » comme il faut, de le surmonter. Ça passe par un ajustement de nombreux paramètres, par exemple passer par l’introduction de problèmes auxiliaires, ça peut passer par des changements de fonctions, des changements de coordonnées. Mais, vous voyez, il y a la force technique qui est votre force de frappe et qui vous permet d’avancer contre une expression compliquée, ça peut être différent de l’intuition ou de la stratégie qui va au contraire vous permettre parfois d’aller dans une direction simple là où il y a une direction complexe. Il arrive que des gens soient trop forts techniquement au sens où leur facilité technique les empêche ou ne les motive pas pour chercher le raccourci malin, qui lui pourra être plus intéressant : de la même façon que, quand on interagit dans le domaine du sport, un joueur de rugby qui serait une véritable armoire à glace, un monstre de puissance, ne sera pas motivé pour travailler sa rapidité ou son déplacement. Bref, certaines qualités peuvent être handicapantes ; alors, en tout cas quand cela a été écrit, j’avais une belle force technique qui était cependant bien moindre que certains autres mathématiciens.
72D. R. : Par rapport peut-être au même thème, on voit apparaître plusieurs fois dans l’ouvrage une espèce d’intuition, une intelligence qui est presque visuelle, c’est-à-dire que vous « voyez » le problème, vous « voyez » que ça colle ou ça ne colle pas, ou ça sonne bien ou ça ne sonne pas bien : de quoi s’agit-il ?
73C. V. : La représentation, la métaphore visuelle est courante chez les mathématiciens, tel truc tel autre, entre nous quand on…
74P. L. : Excusez-moi, mais qu’est-ce que vous voyez ?
75C. V. : Je ne sais pas, on dit il y a un concept ici, un autre là, on fait souvent des diagrammes pour représenter la façon dont telle et telle qualité font comme ci ou comme ça, c’est même toute une sorte d’exercice de style. Les spécialistes de management vont vous faire des diagrammes dans lesquels on voit les différentes qualités de gestion qui sont comme ci ou comme ça, mais, pour un mathématicien aux prises avec sa preuve, ça pourrait être des morceaux de la preuve qui vont venir s’imbriquer comme ça.
76D. R. : Comment voyez-vous la question plus générale de la vulgarisation ? Quel est l’effort à faire du côté des scientifiques ? Comment s’y prendre ?
77C. V. : Le plus important dans la démarche de transmission, c’est la façon dont vous arrivez à vous faire un allié du lecteur ou de l’auditeur. Cela passe presque toujours par un lien émotif. Sauf pour quelqu’un qui est déjà préparé, ce n’est pas tellement l’explication en elle-même qui construit le lien – l’émotion de l’explication pour un cours c’est très bien –, mais, pour le grand public dans son ensemble, ce ne sera pas suffisant. Dans cet ouvrage, ce n’est pas un travail de vulgarisation au sens habituel que j’ai pratiqué, puisque, quand on referme le livre, on n’en sait pas essentiellement plus qu’en l’ouvrant en termes de mathématiques (j’ai même éliminé de l’ouvrage des éléments sur lesquels le lecteur aurait pu s’appuyer pour comprendre ce qui se passe mathématiquement). Mais on en sait plus sur le travail du mathématicien. Le travail de vulgarisation est différent du point de vue de la rédaction : on va se concentrer sur les propriétés d’une équation, d’un théorème ou un résultat, sur ce qu’il signifie ; et ça n’empêche pas qu’il faudra aussi travailler sur l’émotion qui va être transmise, l’émotion et la tension narrative, si l’on peut dire. Du point de vue de la vulgarisation, il faut qu’il y ait une histoire, et il y a trois façons de raconter une histoire : il y a une façon qui vous conduit à vous intéresser aux personnes, à la trajectoire intellectuelle d’un chercheur, son aventure ; il y a une autre histoire dans laquelle vous vous intéressez à des projets, des réalisations, à la résolution de tel problème, untel a travaillé dessus, tel autre également et ainsi de suite ; enfin, il y a une troisième manière, c’est l’histoire des concepts. Et le travail de vulgarisation est optimal quand vous arrivez à imbriquer les trois histoires à la fois, de sorte que, dans votre récit, il y a à la fois l’histoire des concepts, l’histoire des scientifiques et l’histoire des projets.
78J’ai tâté de toutes les formes, je n’ai pas écrit d’ouvrage de vulgarisation, mais j’ai parrainé une collection avec Le Monde, j’ai écrit des petites chroniques, aussi pour Le Monde, j’ai fait des chroniques radio, des interviews, des « talk-shows », des plateaux télé. J’ai pratiqué un peu toutes les formules, elles sont différentes, certains préfèrent l’écrit, d’autres, l’oral. L’émission radio est très efficace aussi, mais elle touche un public beaucoup plus restreint.
79P. L. : Il y a deux ou trois notations sur le corps : le sachet de thé que vous êtes allé chiper sous les yeux d’un autre chercheur réprobateur, la nuque qui touche la moquette, et des expressions comme « se vider de l’intérieur »…
80C. V. : Le geste des doigts aussi.
81P. L. : Voilà, mais je ne sais pas si c’est très pertinent, jusqu’où on peut aller sur ce sujet.
82C. V. : Je ne sais pas jusqu’où on peut aller, mais c’est dire que le chercheur est un être humain avec son corps.
83P. L. : Vous dormez peu, notamment dans les phases intenses d’obsession…
84C. V. : Dans les phases intenses, je dors peu, oui. C’est d’abord un exercice physique. Et puis réfléchir ça consomme, mais ce n’est pas le seul exercice physique intellectuel bien sûr. Ces dernières années, j’ai été mis à l’épreuve physique de manière considérable, pas par des activités de recherche, mais par d’autres activités, par des discours à préparer, des conférences à donner, les voyages, etc. Là aussi, c’était vraiment une épreuve physique, il y a même eu un moment où je me suis fait refaire un bilan cardiaque complet parce que je commençais à avoir le cœur qui faisait n’importe quoi. Cette question physique, je l’ai ressentie de manière encore plus dure qu’avec le travail de recherche qui est décrit dans l’ouvrage. Mais la recherche est un exercice physique aussi, c’est clair, les activités physiques qui l’accompagnent, les gestes qui l’accompagnent ne sont pas négligeables, les rituels qui vont avec ne sont pas négligeables, moi c’est le thé, pour certains c’est la cigarette, il s’agit de mettre le corps dans la bonne disposition.
85D. R. : Oui avec un rapport aux objets aussi qui paraît assez important, des objets qui ont un sens, un environnement qui est habité par des objets qui mettent dans une certaine disposition pour travailler, pour être productif.
86C. V. : Oui, oui, c’est important, c’est comme dans ce bureau il y a des objets. Je ne crois pas vous avoir dit grand-chose d’original par rapport au livre, mais le livre en soi est un objet assez original.
87P. L. : Le titre Le Théorème vivant pour nous qui nous intéressons au travail vivant c’était tout à fait…
88C. V. : Comme il se doit, le titre a fait l’objet de nombreux essais, c’est la partie qui a été décidée la plus tardivement. Au début, je pensais à « Naissance d’un théorème » ou « Un théorème est né », il y en a eu d’autres, et puis finalement j’ai trouvé « Le théorème vivant » qui a l’intérêt d’être plus ambigu, qui a l’intérêt d’insister sur le fait que la recherche est un processus vivant, fait par des êtres vivants, et puis qui insiste sur le fait que c’est actuel aussi, que ça bouge. Le titre est bon finalement.
89P. L. : Vous connaissez les travaux de Bruno Latour sur les sciences…
90C. V. : Latour, oui. Mais je suis très sceptique. Je n’ai pas les qualifications pour m’engager dans une démarche de critique ou de polémique à ce sujet, mais c’est ma conviction de chercheur, et j’allais dire de chercheur-pratiquant, même si dans pratiquant y a une notion religieuse. On m’a d’ailleurs posé beaucoup de questions sur mes croyances religieuses, par rapport au champ sémantique que j’évoquais tout à l’heure. Or, de ce côté-là je suis un rigoureux agnostique. Quand je dis en tant que scientifique pratiquant, c’est ma conviction qu’il y a, conviction de mathématicien pratiquant, qu’il y a des vérités scientifiques qui sont préexistantes et qui existent indépendamment d’une construction sociale et que, si la société influe sur la manière dont se pratique la science, elle n’influe guère sur le résultat : le résultat, lui, transcende les différentes sociétés et les différents comportements.
91P. L. : Alors vous êtes plus poppérien que latourien, c’est-à-dire qu’il y a d’une part le contexte de découverte et d’autre part une autonomie forte du contexte de justification…
92C. V. : Oui, oui, la science, qu’est-ce que c’est une science ? C’est une méthode, une discipline de découverte du monde qui procède selon trois grands axes : le premier est la description, le deuxième est la compréhension, le troisième est l’action. Dans le troisième se retrouvent mêlées toutes les questions technologiques, mais la mathématique est aussi une technologie de l’intellect, de même que les autres sciences théoriques. Les trois axes en eux-mêmes ne suffisent pas à distinguer la science d’autres activités humaines. En religion aussi il y a décrire, comprendre et agir ; en philosophie aussi on décrit, on comprend et on agit en se donnant des règles. Ce qui caractérise la science par rapport aux autres disciplines, c’est dans la façon d’accéder à cet idéal, et les principes sur lesquels ce processus repose, c’est d’abord le fait que tout le monde a voix au chapitre, a priori. Il n’y a pas de voix plus autorisée qu’une autre. En religion, vous avez un concept d’évêque, un concept de Pape, des autorités morales qui, elles, ont un avis plus autorisé que les autres. En sciences non, n’importe qui a le droit de participer, il y a un contexte de collaboration massive, chacun peut ajouter à tout ce que font tous les autres. Il y a aussi la règle du jugement par les pairs pour la publication : un résultat n’est pas accepté s’il n’est pas validé par les pairs. Je préfère cette idée-là plutôt que la validation par l’expérience. La validation par l’expérience, ça n’a pas de sens en mathématiques. Il s’agit que les autres tombent d’accord. Alors, ce faisant, évidemment, comme les gens ont des façons de penser, on n’aboutit pas à quelque chose d’absolu dans ce concept de validation par les pairs ; et même quand on dit « validation par l’expérience », après tout, quelle expérience ? On a aussi des exemples dans lesquels les pairs se trompent, dans lesquels un truc a été accepté puis réfuté plus tard, mais, en dépit de cela, je pense globalement que l’objet qui est ainsi fabriqué parvient à être résistant à toute forme de perturbation, il va s’imposer à quiconque ne fait pas preuve de mauvaise foi et a suffisamment d’instruction pour comprendre de quoi il est question et quelle a été la démarche.
93D. R. : D’accord, c’est une belle note, un beau message pour terminer notre entretien !