Notes
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[1]
Au Québec, les pompiers n’ont pas de formation militaire et les services incendie sont sous juridiction municipale.
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[2]
Ne pas confondre le terme « volontaire » et « bénévole ». Les pompiers volontaires sont rémunérés lorsqu’ils interviennent sur un incident.
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[3]
Notons qu’arroser rapidement le feu n’est pas toujours la bonne tactique pour les pompiers : le feu, s’il est petit, ne doit pas être éteint immédiatement, car cela cause beaucoup de fumée dense, qui empêche alors de vérifier dans la pièce s’il n’y a pas d’autres foyers d’incendie. Une fois cette vérification terminée, ils peuvent arroser le feu qu’ils ont découvert.
La problématique
1Le travail de pompier est considéré comme étant l’un des métiers les plus exigeants, tant au niveau physique que psychologique (Woodall, 1998). Différents auteurs (Revicki et Gershon, 1996 ; Woodall, 1998 ; Brown et al., 2002 ; Maltais et al., 2001 ; Ponnelle, 2002 ; Regehr et al., 2003 ; Dean et al., 2003, etc.) cernent les conditions de travail particulièrement difficiles de ce métier : entourés d’éléments dangereux tels que le feu, l’électricité, les produits chimiques et les vapeurs toxiques, les pompiers sont confrontés au risque de se blesser, de se brûler et frôlent même parfois la mort. Leur corps est mobilisé et poussé à la limite de l’effort physique, et ce, de façon soutenue : il leur faut travailler fort, pousser fort, tirer fort et, tout cela, rapidement. Chaque geste posé et chaque déplacement sont une course contre la montre, une course contre le temps qui fait des ravages et qui augmente, à chaque seconde, la dangerosité de l’endroit dans lequel ils se trouvent. Tout comme le travail de policier (Oligny, 1990 ; Thiboutot, 2000), l’imprévisibilité caractérise le métier de pompier. Ils sont par conséquent régulièrement confrontés à des situations uniques qui demandent réflexion et décisions rapides. Aussi, la prise rapide de décisions peut-elle parfois semer le doute sur la justesse même de la décision. Des décisions d’autant plus difficiles qu’elles doivent s’effectuer sans avoir à disposition toute l’information nécessaire ou sans avoir le temps d’analyser toutes les possibilités (Woodall, 1998). De plus, certains auteurs évoquent les temps de travail inégaux des intervenants en situation d’urgence, c’est-à-dire l’absence (ou les trop brèves périodes) de repos entre les interventions, jumelées avec le travail échelonné sur de longues heures (Mitchell et Dyregrov, 1993 ; Gibbs et al., 1996). La charge de travail fluctuante est généralement considérée comme étant une contrainte exigeante pour les travailleurs, notamment dans une étude réalisée auprès des téléopérateurs (Hoekstra et al., 1995 ; Hurrel et al., 1996).
2Dans le métier de pompier, le corps des travailleurs peut être marqué par des blessures et la charge émotive liée aux contraintes présentes dans leur travail peut également ouvrir la voie à une perturbation de leur santé psychologique (Revicki et Gershon, 1996 ; Brown et al., 2002 ; Regehr et al., 2003 ; Dean et al., 2003). Considérant le nombre élevé de contraintes auxquelles ils sont exposés, il serait normal de trouver chez certains des séquelles psychologiques importantes liées au travail. En effet, plusieurs études effectuées dans des milieux de travail diversifiés permettent de bien documenter les liens entre différentes contraintes présentes dans le travail et leurs impacts sur la santé psychologique des travailleurs (Raphael et Wilson, 1994 ; Revicki et Gershon, 1996 ; Van der Doef et al., 2000 ; Brisson et al., 2001 ; Peter, 2002 ; Brown et al., 2002 ; Regehr et al., 2003 ; Dean et al., 2003 ; Bourbonnais et al., 2005 ; Marchand et al., 2005, Stansfeld et Candy, 2006, etc.). Or, malgré la dangerosité du métier et les nombreuses contraintes qui y sont liées, les pompiers semblent en bonne santé mentale, tel que l’indique une étude de prévalence menée auprès de 426 pompiers permanents du Québec, en milieu urbain (Douesnard, 2010, 2011). Comparés à d’autres groupes professionnels qui ont à conjuguer avec la peur d’être blessés ou tués dans l’exercice de leurs fonctions (ex. Vézina et al., 2006), les pompiers semblent tenir face aux contraintes de leur travail. Lorsqu’il présente l’analyse d’un incendie de forêt dans lequel plusieurs pompiers ont trouvé la mort aux États-Unis, Weick (1993) indique que certains aspects du travail des pompiers et certains comportements de ces derniers favoriseraient, tel que le nomme l’auteur, la résilience face à des événements bouleversants et qui sortent de l’ordinaire. L’auteur pointe notamment, parmi ces éléments favorisants, la capacité d’inventer des pratiques pour faire face à l’imprévu, de tenir une structure du travail et des rôles ainsi que l’importance des relations respectueuses.
3Également, les avancées théoriques de la psychodynamique du travail nous invitent à faire l’hypothèse que les pompiers soumis aux contraintes inhérentes au travail avec le feu ne resteraient pas impassibles face à la souffrance au travail, principalement la peur d’être tué, blessé, d’être responsable de la mort de l’autre. De fait, les travailleurs soumis aux contraintes du travail organisent des défenses, et ce, de façon collective, afin de faire face aux éléments pénibles et souffrants de leur travail (Dejours, 1980, 1993). En référence aux travailleurs du bâtiment, Dejours (2000, p. 100) révèle que : « Mieux que tous les autres, ils le connaissent [le risque] et ils l’éprouvent dans leur vie quotidienne. Le vécu de peur existe effectivement, mais il n’apparaît qu’exceptionnellement à la surface. C’est qu’il est contenu, autant que faire se peut, par les systèmes de défense. » Ce système de défense permet de contenir la peur, car laisser la peur envahir l’être humain a des conséquences paralysantes pour un travailleur : « si la peur n’était pas neutralisée, si elle pouvait surgir à tout moment pendant le travail, alors, les ouvriers ne pourraient continuer leurs tâches plus longtemps » (Dejours, 2000, p. 100). Les stratégies élaborées en réponse aux contraintes spécifiques de l’organisation peuvent être individuelles ou collectives. Les stratégies collectives existent seulement dans un collectif, en ce sens qu’elles tiennent par le consensus, à la différence des défenses individuelles qui peuvent exister même si elles sont vécues par un individu seul (Dejours et Abdoucheli, 1990).
4La présente recherche consiste donc à faire émerger une compréhension éclairée par la psychodynamique du travail, qui permet « de montrer comment, confrontés à des contraintes psychiques spécifiques à certains milieux de travail, les gens parviennent à préserver leur santé grâce à des stratégies individuelles et collectives de défense » (Molinier, 2006, p. 8). Ainsi, plutôt que de s’attarder sur ce qui fait « tomber » les pompiers, cette étude porte sur la façon dont les pompiers s’organisent pour se protéger des effets néfastes des contraintes présentes dans leur activité de travail. Nous verrons qu’ainsi non seulement les pompiers « tiennent » dans ce métier à risque, mais aussi tiennent à leur métier.
5Dans un premier temps, nous exposerons la méthode de recueil des données et présenterons la population enquêtée. Ensuite, nous décrirons comment sont constitués les collectifs de travail et le rôle de la parole échangée dans le rapport au travail. Dans un troisième temps, nous mettrons en lumière le système défensif érigé par les pompiers dans le rapport au risque et à la peur. Enfin, nous terminerons par une réflexion sur l’intériorisation de l’importance de la vie d’autrui, valeur cardinale chez les collectifs de pompiers étudiés.
La méthode
6Cette étude a été réalisée selon une méthode de recherche qualitative, à partir d’entretiens de groupe, auprès de huit groupes de pompiers permanents œuvrant en milieu urbain au Québec [1], chaque groupe étant composé de quatre à huit pompiers.
7Les pompiers rencontrés travaillent dans deux des six services incendie de la province de Québec employant majoritairement des pompiers à temps plein (pompiers permanents). Le reste des services incendie du Québec embauche des pompiers volontaires. Selon le ministère de la Sécurité publique du Québec (Mspq, 2010), on dénombre 724 services municipaux de sécurité incendie. Cela représente près de 21 800 pompiers et officiers. La majorité de cet effectif (environ 18 000) sont des pompiers volontaires [2] (volunteer firefighters) qui travaillent habituellement dans des municipalités de moins de 200 000 habitants. Le reste de l’effectif, soit environ 3 800 pompiers, œuvre dans des plus grandes municipalités et concerne des pompiers permanents (career firefighters). Les pompiers permanents travaillent en liens étroits avec leurs collègues et partagent de longs quarts de travail ensemble (entre dix heures et vingt-quatre heures de suite, sur des horaires de jour et de nuit). Un pompier permanent va entrer le matin à la caserne, manger et s’entraîner à la caserne puis repartir le soir chez lui lorsque son quart de travail est terminé ou encore rester pour dormir à la caserne s’il travaille de nuit. Il est présent à la caserne, avec son équipe, pour attendre les alarmes et occupe la fonction de pompier comme principal emploi. Le quotidien du travail des pompiers permanents est donc vécu de façon soutenue comparativement aux pompiers volontaires qui répondent aux appels d’urgence, sans vivre au quotidien dans une caserne. En effet, ces derniers n’occupent pas la fonction de pompier comme principal emploi : ils ont habituellement un autre emploi, qu’ils quittent lorsqu’ils sont appelés à intervenir sur une alarme incendie. En ce sens, la présente étude s’est déroulée auprès de pompiers permanents afin d’étudier les particularités d’une population de travailleurs qui ont le métier de pompier comme principale occupation professionnelle, en vivant toutes les dimensions que cela implique, c’est-à-dire les interventions ainsi que le temps passé en caserne entre collègues à attendre les alarmes. Par ailleurs, les deux services incendie choisis pour la recherche ont été sélectionnés pour leurs similitudes au niveau du territoire urbain desservi et du nombre de pompiers permanents qui y travaillent.
8Les pompiers ont participé à l’étude sur une base volontaire et les groupes étaient composés de pompiers travaillant à la même caserne, sur les mêmes quarts de travail, partageant ainsi une expérience commune du travail. Les groupes ont été rencontrés à deux reprises et chaque séance a duré de deux à trois heures. Lors de la première rencontre, l’émergence d’une parole libre et spontanée des idées des participants a été encouragée afin d’aborder avec eux le rapport au travail, à leurs collègues, leurs sources de plaisir et de souffrance. En d’autres mots, lors de ces entretiens de groupe, les pompiers nous ont « raconté leur travail » en abordant spontanément diverses facettes de leur métier. Avec l’accord des participants, tous les entretiens ont été enregistrés et retranscrits verbatim. Un premier travail de traitement et d’analyse a été réalisé sur le matériel recueilli afin de faire émerger les différents éléments qui composent leur métier et leur rapport au travail, tels que la vie en caserne, l’intégration des nouveaux dans un groupe, la reconnaissance, les critiques, la performance, les craintes, les sources de plaisir, la relation avec le feu, le temps d’attente en caserne, les pratiques de métier, l’organisation du travail, les valeurs sous-jacentes au métier, les récits d’événements, les relations entre collègues, etc. Ce premier niveau d’analyse a permis de cerner les idées fortes, les mots porteurs de sens et de faire émerger les thèmes signifiants. Progressivement, une analyse compréhensive, par un travail de va-et-vient entre la théorie et l’empirie, a permis de cerner les dynamiques défensives, ainsi que l’investissement de l’espace de parole et la dynamique relationnelle qui se construit au fil des temps longs.
9Ces interprétations ont également été soumises à la discussion à deux reprises au sein d’un collectif de chercheurs en psychodynamique du travail. Ensuite, lors des seconds entretiens, une synthèse des interprétations et de l’analyse a été discutée avec les pompiers qui ont participé à l’étude. Cette deuxième rencontre a été l’occasion d’approfondir les éléments qui avaient été abordés lors des premiers entretiens et qui nécessitaient certaines clarifications. Elle a aussi constitué une forme de restitution et de validation des analyses.
Entre les alarmes, à la caserne : la mise en mots de l’expérience de travail
10La façon dont est organisé le travail des pompiers leur permet d’avoir des moments d’échange entre eux, lorsqu’ils sont à la caserne, entre les alarmes. Dejours (1998) souligne l’importance pour les travailleurs d’avoir accès à un espace de parole afin de mettre en discussion certaines impasses du travail, d’échanger au sujet de certaines souffrances, de valoriser le travail de chacun, etc. D’ailleurs, l’auteur mentionne que l’espace ouvert à la parole se réduit de plus en plus dans différents milieux de travail et cette situation engendre des drames tels que « des tentatives de suicide ou suicides réussis, sur le lieu du travail, qui témoignent probablement de l’impasse psychique générée par l’absence d’interlocuteur pour écouter la parole de celui qui souffre de son travail » (p. 50).
11Ainsi, au retour de chaque intervention, l’équipe de pompiers se réunit et réfléchit à propos du travail qui vient d’être effectué : ils parlent et reparlent de l’intervention qui vient de s’achever, tentent de trouver de meilleures façons d’intervenir, d’imaginer comment s’améliorer, etc. Ils refusent de considérer qu’ils ont été parfaits, car, selon eux, ils pourraient toujours faire mieux.
« Même si ça va bien, on réévalue toujours notre intervention. Il y en a qui disent qu’on exagère ou qu’on accroche dans les détails, mais ce sont ces détails-là, à la longue, qui font qu’on s’améliore. On ne se fera pas croire qu’on a été parfaits. On ne croit pas à l’intervention parfaite. »
13C’est ainsi qu’en groupe, au retour des interventions, chaque mouvement est décortiqué, analysé, parlé, pensé, répété, les gestes sont dits et redits. Par cette reprise en parole, une technique et une rapidité de penser et d’agir peuvent se développer, et l’intériorisation du travail et l’intégration mentale des gestes à poser deviennent possibles. Cette parole s’ancre dans l’inconscient des pompiers en modes opératoires puissants qui ressortent en une fraction de seconde sous la forme d’actions lors des interventions ultérieures. Cette mise en parole joue un rôle de facilitation de l’action (Teiger, 1995) et permet que toute leur concentration soit dirigée, lors d’une intervention, vers l’application des techniques qu’ils ont préparées, pratiquées par la parole lorsqu’ils étaient à la caserne. C’est ainsi que les pompiers deviennent hyperopérants dès leur arrivée sur les lieux de l’intervention, sans se laisser envahir par l’émotion suscitée par la situation, puisque l’attention peut être focalisée sur la technique qui doit être appliquée.
« Moi, quand je vois une victime, je n’ai pas le temps de m’attarder à la tristesse de l’événement, il ne faut pas y penser. On a un travail à faire, et je dois me concentrer sur mon travail. »
15Cette reprise en parole des interventions passées que les pompiers effectuent lorsqu’ils sont à la caserne, cette révision minutieuse de chacune de leurs interventions, permet également de calmer les émotions liées à la peur de commettre une erreur, crainte partagée par tous les pompiers.
« La peur de se planter, de vivre une intervention qui a mal tourné. Je sais que ça peut arriver n’importe quand. »
17Cette peur, de ne pas agir assez rapidement, de ne pas remarquer un signe leur permettant de mieux intervenir, de mal faire une recherche, d’être responsables d’un décès, les habite continuellement. Ils connaissent d’ailleurs des pompiers qui ont affronté les cruelles conséquences d’une erreur.
« Je connais une histoire qui est arrivée dans une autre ville : l’équipe est entrée dans la bâtisse, mais ils ont oublié de regarder en arrière de la porte. Eh bien, le citoyen était là, il a fini par cuire en arrière de la porte. Mais ils étaient sans doute trop pris par le reste des événements, ils n’ont pas pensé aller voir là. »
19Ainsi, par le langage, les pompiers pratiquent les gestes qui seront posés et développent ainsi l’intelligence qui sera déployée en situations presque toujours nouvelles et imprévues. Cette stratégie qui s’érige permet alors aux pompiers de conjurer la peur de se tromper et de préparer, autant que faire se peut, la prochaine intervention. En ce sens, par la parole, ils trouvent un moyen de prévoir l’imprévisible, de faire face à la surprise, de diminuer l’impression de hasard et d’appréhender toutes les situations afin de réduire la marge d’erreur. Pour rependre les termes de Bruner (2005, p. 110), à travers leurs récits d’interventions passées, ils « domestiquent l’inattendu, le rendent un peu plus ordinaire ». C’est donc par cette mise en parole de l’expérience passée que ces pompiers décortiquent et analysent les gestes, effectuent une relecture de l’expérience et un retour réflexif sur les gestes posés, tout en établissant des scénarios afin de minimiser l’effet de surprise une fois rendus sur les lieux du prochain incident. C’est ainsi que s’opère une domestication de l’erreur et de la surprise (Bruner, 2005) et que s’effectuent l’apprentissage de la gestion des imprévus et le développement d’une réponse appropriée à un événement inédit (Perrenoud, 1999). En somme, cet espace de discussion auquel ils ont accès à la caserne, entre les interventions, leur permet d’établir des mécanismes afin de contrer divers éléments liés à la peur, au danger. En outre, c’est dans l’espace de parole commun que les affects négatifs engendrés par une intervention difficile émotionnellement peuvent être déversés, extériorisés et partagés avec les collègues. Lorsque les groupes « parlent de situations qu’ils vivent, lorsqu’ils s’expriment sur les événements qui les touchent ou qu’ils tiennent pour extérieurs, ils donnent à voir leurs représentations » (Giust-Desprairies, 2003, p. 15). La reprise en parole permet alors, de façon générale, la régulation des émotions, ce qui a pour effet de réduire les risques de détresse post-traumatique ou d’autres atteintes psychologiques (Mitchell et Dyregrov, 1993 ; Bierens de Haan, 1998 ; Aulagnier et al., 2004). C’est également dans ces moments de mise en mots de l’expérience passée que les pompiers peuvent, au fil du temps, intérioriser les valeurs sous-jacentes qui structurent le travail et le collectif.
Les pompiers et le combat incendie : des prédateurs du feu
20Lorsque les pompiers parlent du feu, c’est avec plaisir, défi et fascination. Ils le décrivent également comme étant un ennemi à abattre et ils se sentent investis d’une mission dont la quête est d’attraper ensemble, en équipe, ce feu.
« C’est nous contre le feu, il ne faut pas qu’il gagne », « C’est un combat avec le feu, on est ensemble contre l’ennemi. »
22Un univers de guerre est créé par les pompiers et cet univers a comme point central la chasse du feu. Différents éléments de l’univers des pompiers traduisent l’ambiance guerrière qui s’est installée : les pompiers parlent de stratégie de guerre, ils analysent la guerre qu’ils viennent de terminer, écoutent les récits de guerre de leurs pairs pour apprendre et développer de meilleures tactiques, etc. Cette représentation guerrière du métier est palpable jusque dans les termes utilisés par les pompiers pour désigner leurs outils de travail et leurs tactiques d’intervention : par exemple, c’est avec une lance qu’ils attaquent le feu. Ainsi est nommé le boyau d’arrosage, tel un outil de combat utilisé depuis des millénaires lors des affrontements guerriers de l’homme à travers l’histoire. Puis, leurs tactiques d’intervention sont aussi nommées en des termes guerriers : une stratégie offensive (entrer à l’intérieur du bâtiment pour trouver et éteindre le feu), une stratégie défensive (rester à l’extérieur du bâtiment et tenter de contenir la propagation du feu), attaquer le feu, faire un déploiement de la troupe, du peloton (l’équipe de pompiers), guidé par le chef, etc.
23Dans cet univers de guerre, l’ennemi qu’est le feu est appelé « le diable, la bête ». Par un processus de personnification (anthropomorphisme), le feu devient un personnage familier à qui les pompiers peuvent s’adresser, se mesurer, se confronter et qu’ils peuvent essayer de traquer et de taper.
« Quand on regarde les flammes sortir d’une fenêtre, on peut facilement voir le diable se dessiner dans les flammes… de la même façon qu’on voyait des animaux dans les nuages quand on était jeune. »
25En donnant une vie et une forme au feu, il est ainsi plus facile de contrôler le personnage, la bête, que de contrôler le feu, élément hautement dangereux, dommageable, imprévisible et destructeur et qui n’est pas sans engendrer pour l’être humain qui y est confronté la peur de mourir ou d’être gravement blessé (Bachelard, 1949). Tout comme certains autres travailleurs qui sont en situation de risque dans leur travail (Brun, 1992 ; Dejours, 2000 ; Vézina et al., 2006), les pompiers doivent conjuguer avec une réalité comprenant des dangers et trouver des moyens pour minimiser les réactions de peur qui sont associées à ces situations périlleuses.
26L’élément destructeur qu’est le feu devient donc un personnage à défier et à vaincre en équipe. C’est alors que s’opère la modification de la perception de la réalité qui permet d’inverser la relation au danger : d’une position passive face au danger, les pompiers deviennent proactifs, dominant le feu en allant à sa rencontre.
« Ce que l’on aime le plus, c’est d’avoir la bête en avant de nous, avoir la lance et contrôler la bête. »
28Ce n’est plus le feu qui peut les tuer, mais bien les pompiers qui, en équipe, cherchent la bête pour la tuer.
« On est fiers parce qu’on l’a eue, la bête. On se regarde tous les quatre et on est fiers de l’avoir tuée, la bête. »
30De la position de proie ou de potentielles victimes, ils deviennent chasseurs, prédateurs du feu : il faut tuer avant d’être tués. Ils vont au-devant du danger pour le maîtriser ou du moins, se donner l’illusion qu’ils le maîtrisent.
31Modifier la perception du danger ne change en rien le danger réel, ne réduit pas les risques réels (Brun, 1992 ; Canino, 2005 ; Molinier, 2006), mais rend supportable l’idée pour le travailleur de faire face quotidiennement à un danger et diminue, par conséquent, la peur de cet élément. Chez les pompiers, cette transformation de la réalité en un univers guerrier et le renversement de position passive à une position active sont à mettre en lien avec un processus de déni d’une certaine partie des risques encourus, mais également avec un processus de négation des affects liés aux situations périlleuses. Selon Laplanche et Pontalis (1976), le déni serait un refus de reconnaître la réalité, en en modifiant la perception, alors que la négation consisterait pour l’individu à nier le fait que certains sentiments lui appartiennent. Ainsi, chez les pompiers, dans l’univers de chasse rempli de défis, de quête et même de plaisir, dans lequel ils s’unissent pour capturer, traquer et tuer le diable, la bête, s’opère alors la négation du caractère anxiogène et pénible de la situation réelle de danger qu’ils affrontent. En ce sens, bien que les pompiers soient en partie conscients que leur travail est dangereux et conscients de leur vulnérabilité, ils affirment que cela n’engendre pas de peur et que, bien au contraire, ils aiment intervenir sur les événements d’ampleur et présentant de nombreux risques.
« Je me souviens de mon plus beau feu en carrière, il était gros. J’avais vraiment aimé ça. Il était tellement beau ! J’avais travaillé longtemps, dans la fumée. Travailler sans fumée, c’est vraiment ennuyant, parce que le niveau de “challenge” (difficulté) n’est pas important. Tandis que, quand on travaille et que l’on ne voit rien à cause de la fumée, ça augmente le plaisir. »
33L’absence d’évocation de la peur tend à penser que les pompiers bénéficient des effets sédatifs de la stratégie collective de défense visant à nier le caractère angoissant des interventions. Ainsi, la transformation de la réalité en un univers de guerrier et la négation des affects qui y sont liés empêcheraient la peur d’advenir à la conscience des pompiers, et ces derniers pourraient alors travailler efficacement dans cet univers rempli de dangers et côtoyer quotidiennement des situations risquées. Plutôt que de craindre cet élément, les guerriers du feu l’affrontent de pied ferme, se lancent à sa poursuite, le cherchent et s’adressent à la bête qu’ils ont déjà vue, au diable qui a déjà tenté de les piéger, de les tuer :
« On en fait une affaire personnelle. On se dit : il a essayé de nous avoir une fois, il ne nous aura pas deux fois. »
35Dans l’univers collectif de chasseurs, dans ce corps à corps avec le feu, lorsqu’ils réussissent ensemble à l’éteindre, c’est que la bête a été maîtrisée, le diable vaincu, l’ennemi s’est soumis. Dans cet esprit, la solidarité, la solidité du collectif devient nécessaire pour la survie de chaque pompier. L’équipe solidifiée, qui travaille à un même rythme, d’un même souffle, à l’unisson, devient primordiale pour réussir la chasse : seul contre le feu, un pompier ne peut y arriver, mais, en équipe, il est possible de chasser le diable, le feu. Ainsi, la maîtrise du feu n’est envisageable qu’à travers un clan solidement lié et c’est dans cet esprit que l’image d’une équipe de guerriers unis prend son sens. Ce collectif fort permet aux pompiers d’effectuer leur travail de façon efficace et de circonscrire les moments de doute. Un pompier doit donc toujours pouvoir compter sur ses partenaires de travail.
« Quand je rentre dans une bâtisse en flammes avec mon équipe, je sais qu’ils vont me sortir de là s’il m’arrive quelque chose. Et ils savent que je vais faire la même chose pour eux. Notre vie dépend de l’autre. Mon collègue peut voir quelque chose que moi je n’ai pas vu : interpréter une couleur, une fumée, etc. »
37« L’autre » représente un associé dans le travail pour effectuer un bon travail, pour rester en vie, et le collectif est primordial pour affronter le danger, pour vaincre la bête.
38À propos de certains travailleurs qui ont à affronter des situations extrêmes (ex. : l’équipage d’un sous-marin, d’un bombardier atomique, les pétroliers d’un forage, etc.), Anzieu (1975) explique que ces travailleurs « ont le même intérêt, les mêmes besoins, ils affrontent ensemble la même situation, soit qu’ils la subissent, soit qu’ils aient délibérément choisi de s’y mesurer, et ils ne peuvent réussir qu’en restant étroitement solidaires. Tout les incline donc à se montrer coopératifs, bienveillants, disciplinés, unis » (p. 120). Cette coopération, cette discipline est primordiale pour les pompiers : chacun doit tenir sa place lors des interventions, doit aligner toutes ses actions vers l’atteinte de l’objectif commun : en d’autres mots, être structurés dans leur travail étant donné qu’ils sont tous interdépendants les uns des autres pour que l’intervention se déroule bien et que le collectif puisse bien fonctionner. Tenir son rôle, tenir sa place, tenir la structure n’est pas une mince tâche pour les pompiers. En effet, ces travailleurs sont extrêmement stimulés par le feu, souhaitent toujours être aux premières loges pour voir la bête et, dans leur for intérieur, aimeraient être celui qui réussira à trouver et à tuer la bête.
« Le plus excitant, c’est d’être le premier en avant, c’est d’éteindre le feu, c’est de le voir » ; « Le “crunch”, le plaisir, c’est d’entrer dans la bâtisse pour taper la bête. La première équipe qui va arriver va pouvoir le faire. C’est pour ça qu’on aime ça, arriver les premiers. Tout le monde sait que, le matin, on se lève pour aller au feu. »
40D’ailleurs, lorsque la cloche sonne en caserne et que les pompiers sont appelés sur une intervention, une fébrilité et une hausse d’adrénaline sont vite ressenties. Il s’agit du moment le plus apprécié et le plus exaltant pour ces travailleurs : ils retombent en enfance, sautent de joie dans le camion et sont souvent fébriles à l’idée de découvrir le feu qui les attend.
« C’est le but de notre travail. On est devenus pompiers parce qu’on aime le feu, on aime ça. »
42D’ailleurs, un pompier décrit le passage entre l’état d’attente et le moment où la cloche sonne en caserne :
« Je crois que les pompiers, on est des consommateurs d’adrénaline. C’est notre drogue à nous. On part d’un état tranquille, on est assis en train de prendre un café et puis, bang, une alarme : nos pulsations cardiaques montent à 200 %, puis l’adrénaline embarque, le cœur bat vite. Moi, c’est ce “rush-là” que j’aime. Je crois qu’aucune drogue ne peut donner ça. »
44Cependant, ils doivent savoir gérer leur niveau d’adrénaline, l’excitation qu’ils ressentent en voyant le feu lorsqu’ils arrivent sur les lieux d’intervention. Il s’agit là d’une des principales difficultés de leur travail : trop d’adrénaline et d’excitation peuvent les conduire à vouloir entrer trop rapidement dans la bâtisse en flammes ou poser des gestes qui peuvent engendrer des erreurs lors des interventions, ce qui aurait comme effets de mettre leur propre vie, ou celle de leurs collègues en danger, en plus de mettre en péril la réussite de l’intervention. Par exemple, les participants mentionnent que des jeunes pompiers ont parfois de la difficulté à gérer cette adrénaline au début de leur carrière : en effet, ceux-ci sont tellement énervés et préoccupés à trouver le feu quand ils arrivent sur l’intervention, que certains vont oublier de mettre leurs gants, ou encore vont arroser trop rapidement le feu [3]. De plus, les pompiers expliquent que, certaines fois, ils ressentent tellement d’adrénaline qu’ils pourraient ne pas être conscients qu’ils se blessent et continuer à travailler malgré une blessure. Selon leurs dires, ils éprouvent une sorte de puissance qui les pousse à foncer et à pouvoir entrer dans un édifice en flammes, mais cet aveuglement causé par un trop-plein d’excitation peut également les conduire à prendre de mauvaises décisions et exposer l’équipe à des dangers. L’adrénaline doit donc être dosée et les pompiers doivent trouver l’équilibre entre le désir de foncer et la prudence. Les pompiers considèrent que cette frontière entre en faire trop ou pas assez est parfois mince. Il faut savoir doser l’énergie, trouver la juste mesure.
« Le défi, c’est d’être capable de tirer la ligne entre trop en faire ou pas assez en faire. »
46Dans cet esprit, être capable de tenir sa place lors des interventions peut alors être considéré comme la capacité d’arbitrer correctement entre son propre désir (tenir la lance et trouver la bête) et garder sa place pour que l’intervention se déroule bien, dans le dessein de réussir l’atteinte du but commun, grâce à la solide structure coopérative de tous.
« Il ne faut pas se le cacher : on est tous devenus pompiers pour être celui qui éteint les feux. Mais, avec le temps, on comprend que tous les postes sont importants, que chacun a son rôle. C’est juste avec le temps que tu le comprends et que tu acceptes de ne pas être celui qui a toujours la belle place dans l’intervention, celui qui trouve et affronte le feu. »
48Ainsi, le collectif, en maintenant chacun dans son rôle, dans la structure, assure la participation de tous à ce projet commun du travail, aux défis qui nécessitent l’implication de tous, c’est-à-dire l’alignement des désirs personnels dirigés vers le travail coopératif pour assurer le succès de l’intervention. C’est une forme de renoncement à ses désirs personnels et narcissiques (être celui qui trouvera le feu) pour le bien de l’équipe, agir prudemment, pour le bon déroulement de l’intervention, pour la sécurité de tous et laisser la chance à chacun de jouer son rôle, de tenir sa place dans la structure. Ces pratiques pourraient relever de ce que Dejours nomme une forme de « renoncement » qui implique une discrétion, « la prise en considération des aspirations de l’autre, au point de sacrifier une partie de ses propres aspirations à soi et de son propre plaisir » (Dejours, 2009, p. 129).
49Aussi, il y a une fine connaissance de la limite à ne pas franchir pour ne pas mettre sa vie et celles des collègues en danger. La réciprocité de la protection que les pompiers s’offrent entre eux est au cœur des relations entre collègues, tel qu’en témoigne cette expression entendue à maintes reprises lors des entretiens de groupe : « Tu tombes, on tombe. » Cela signifie que, si un pompier est en danger, toute l’équipe fera le nécessaire pour lui prêter main forte, jusqu’à risquer sa vie pour l’autre s’il le faut. Cela implique inévitablement qu’un pompier est conscient des impacts qu’auront ses décisions sur son équipe. Du point de vue du pompier, l’expression « tu tombes, on tombe » devient alors « si je tombe, ils tombent ». En d’autres mots, s’il met sa vie en danger, c’est aussi celle de ses partenaires qu’il met en danger. Dans la réciprocité de la protection qu’ils s’assurent entre eux, chacun souhaite le bien de l’autre, comme l’autre souhaite son bien. « Un pour tous et tous pour un » devient alors une entente tacite, un serment d’aide inconditionnelle que les pompiers développent entre eux et prend la forme d’un pacte : « Je me fie à toi, tu peux te fier à moi. » Ainsi se joue l’habile équilibre entre les désirs du pompier de foncer et de se mettre en avant, et la conscience de l’impact de certains gestes, impact sur la vie de ses collègues. Ne pas prendre de risque inutilement, pour ne pas mettre ses coéquipiers en danger. Être capable de renoncement. Ainsi « c’est de la capacité de tolérer ce conflit entre l’excitation de se “défoncer” dans un travail qu’on aime et l’analyse intellectuelle de l’autolimitation qu’implique le respect de la situation de l’autre que dépend en fin de compte la possibilité de mener à bien le travail psychique (Arbeit) du renoncement ». (Dejours, 2009, p. 129.)
Accepter de risquer sa vie pour sauver celle d’autrui
50Lorsque les pompiers apprennent leur métier, on leur enseigne à ne pas prendre de risque lors des interventions : en théorie, ils ne doivent pas mettre leur vie en danger pour en sauver une autre. C’est la ligne officielle. Cependant, dans l’exercice de leurs fonctions, les pompiers peuvent être confrontés, au cours de leur carrière, à la décision ultime suivante : foncer pour sauver une vie, ou battre en retraite et laisser mourir quelqu’un. Or, certains choisiront de foncer, malgré le risque important, voire la quasi-certitude, d’y laisser leur peau. Dans l’ultime, certains choisiront de façon volontaire et consciente de sauver et de périr. Pour qu’une telle décision puisse être prise, qu’une telle perception de l’importance de la vie de l’autre (collègue ou citoyen) puisse être ancrée si solidement, tout un travail sur soi et sur son rapport à l’autre doit être patiemment articulé par les pompiers. De fait, ce geste exceptionnel s’appuie sur un travail collectif d’élaboration de normes et de valeurs constituant une base sur laquelle peuvent s’ancrer un consentement et une participation de tous les travailleurs. Cette capacité pour les pompiers de faire le saut de l’ange, cette capacité de rencontrer de pied ferme le danger, et même la mort lorsque nécessaire, est à l’origine du collectif. De fait, le collectif de travail met tout en place pour valoriser celui qui s’oublie pour ses collègues, celui qui est capable de renoncement, au nom du collectif, au nom de la cause.
« Un vrai pompier, il veut servir à son meilleur, du mieux qu’il peut. Un vrai pompier, pour moi, c’est qu’il a l’instinct du don de soi, d’aider les autres, naturellement. »
52L’organisation collective des pompiers représente la trame de fond menant à la mise en place et à l’intériorisation du don de leur vie et c’est le collectif de travail qui donne la force nécessaire pour sauver, peut-être au prix de sa propre vie. Pour les pompiers, mourir au combat pour sauver quelqu’un, lors d’une intervention, c’est mourir avec honneur.
« C’est en dedans de toi, tu es prêt à donner tout pour l’autre. »
54L’analyse du fonctionnement du collectif de travail des pompiers révèle que, dans l’univers de ces travailleurs, tout est mis en place pour qu’ultimement, certains aillent jusqu’à sacrifier leur vie pour sauver un collègue ou un citoyen. Envisager qu’il faudra peut-être donner sa vie pour l’autre peut être terrifiant. Cela dépasse l’entendement. C’est face à ce sentiment que le métier s’est développé et que tout est dirigé pour préparer le pompier à affronter la mort. Chez les pompiers, la force, le dressage contre la peur, la valorisation de la précision et de l’hyperattention aux détails de la guerre, le grand respect d’autrui, le renoncement au nom de la coopération, représentent donc la trame de fond. Cette dernière sous-tend l’intime force qui lie le collectif, la coopération et le renoncement :
55« Lorsque la participation à l’œuvre commune génère l’enthousiasme, comme dans la création d’un spectacle, ou dans une action de sauvetage de rescapés, l’œuvre commune joue un rôle de médiation extraordinaire dans les relations entre pairs, en conjurant la rivalité entre frères et ses déchaînements, mais aussi en relayant le sexuel par le travail. Le travail et la coopération, plus que l’amour et la libido, peuvent être au principe des liens qui unissent les humains dans un monde commun, dans la mesure où le renoncement à la jouissance du sexuel peut céder la place à la réjouissance du pouvoir d’œuvrer ensemble. » (Dejours, 2009, p. 130.)
56En somme, la grande majorité des pompiers intériorisent, au fil des années de service, l’importance d’être là pour les autres, pour sauver autrui, que ce soit par le développement assidu d’une pratique rigoureuse des gestes et des techniques à poser pour réussir l’intervention sans faillir, par la détermination qui est mise au premier plan pour atteindre l’objectif commun selon les standards de performances élevés, le grand respect qui se développe entre les collègues d’une même équipe, la valorisation de la coopération et la place primordiale réservée à la conception de l’importance de la vie d’autrui.
Conclusion
57Contrairement à certains milieux de travail dans lesquels on assiste à un éclatement des collectifs de travail, cette recherche met en avant la force du collectif de travail des pompiers dans lequel sont patiemment élaborés des savoir-faire et des stratégies collectives de défense permettant d’affronter la réalité dangereuse en la transformant en un contexte guerrier empreint de défis et de réussite en groupe. La mise en mots des expériences passées lors des moments d’échange en caserne entre les alarmes prépare le travail qui sera effectué lors de situations inattendues et offre la possibilité de subvertir la peur de faire une erreur en développant par la parole une technique hyperopérante qui ressort en actions rapides et précises dans l’urgence. Ainsi, la force du collectif de travail et la façon dont ils organisent leur rapport au travail et aux collègues permettent d’imbriquer solidement tous les éléments nécessaires à la construction de la trame de fond menant les pompiers à valoriser le péril de sa vie pour sauver celle d’autrui. La conviction de l’importance de la vie de l’autre est alors au cœur de l’identité des pompiers et, au-delà du fait de tenir dans le métier, les pompiers en viennent à tenir à ce métier qui constitue pour certains d’entre eux une voie significative menant à l’équilibre de leur santé mentale. Cette dynamique collective à travers laquelle les pompiers permanents construisent le ciment de leur rapport au travail et aux collègues nécessite donc un temps commun, un espace de délibération, qu’ils ont la possibilité de réinvestir quotidiennement en équipe.
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Notes
-
[1]
Au Québec, les pompiers n’ont pas de formation militaire et les services incendie sont sous juridiction municipale.
-
[2]
Ne pas confondre le terme « volontaire » et « bénévole ». Les pompiers volontaires sont rémunérés lorsqu’ils interviennent sur un incident.
-
[3]
Notons qu’arroser rapidement le feu n’est pas toujours la bonne tactique pour les pompiers : le feu, s’il est petit, ne doit pas être éteint immédiatement, car cela cause beaucoup de fumée dense, qui empêche alors de vérifier dans la pièce s’il n’y a pas d’autres foyers d’incendie. Une fois cette vérification terminée, ils peuvent arroser le feu qu’ils ont découvert.