Travailler 2010/1 n° 23

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Article de revue

« Pour être serveuse, tu dois avoir toute ta tête » : efforts et reconnaissance dans le service de table au Québec

Pages 27 à 57

Notes

  • [1]
    Afin d’alléger le texte et étant donné que les femmes représentent la majorité des travailleurs dans ce métier, le terme « serveuses » sera employé dans tout le texte et comprendra aussi les serveurs.
  • [2]
    Environ 8 700 €, en date de novembre 2009.
  • [3]
    Au Québec, si la majorité du personnel d’une entreprise vote en faveur de l’appartenance à un syndicat, tout le personnel paie ses cotisations à ce syndicat et, à moins de s’en dissocier explicitement, y appartient (« formule Rand »).
  • [4]
    Main dominante : si vous êtes droitier, la main dominante sera la main gauche et inversement pour les gauchers.
  • [5]
    Silex de café : cafetière.
  • [6]
    Dommage.
  • [7]
    Collège d’enseignement général et professionnel, équivalent du lycée français.
  • [8]
    Un cri.
  • [9]
    Petits gâteaux au chocolat.

Contexte

1La présente étude tire son origine d’une demande d’une centrale syndicale québécoise, celle de la Fédération du commerce de la confédération des syndicats nationaux, à la suite d’une préoccupation exprimée par des serveuses [1] qui disaient effectuer un métier très peu valorisé par les employeurs et par la population en général. La littérature sur ce secteur est pauvre à propos de la santé et surtout au sujet des situations de travail et des stratégies mises en œuvre par ces travailleuses pour garder l’équilibre entre leur productivité et leur santé physique et mentale. La présente étude a pour objectif d’examiner, par l’analyse ergonomique de l’activité de travail, les efforts déployés par les serveuses de restaurant ainsi que la reconnaissance reçue, tels que décrits par le modèle de déséquilibre effort-reconnaissance de Siegrist (1996) et ainsi d’évaluer de façon qualitative la présence et l’importance de ce déséquilibre chez ces travailleuses.

2Le modèle du déséquilibre effort-reconnaissance (« effort-reward imbalance ») de Siegrist (1996) présente les effets sur la santé d’un effort élevé combiné à une faible reconnaissance au travail. Dans ce modèle, Siegrist inclut l’effort extrinsèque (exigences psychologiques et physiques du travail) et l’effort intrinsèque (attitudes et motivations, besoin de se dépasser ou expérience autogratifiante de relever des défis ou de contrôler une situation menaçante). La reconnaissance inclut l’argent (salaire, autres avantages), l’estime (respect, soutien, traitement) et le statut social (sécurité d’emploi et opportunités de carrière).

3Voici une brève description de la situation des serveuses de restaurant au Québec selon le Conseil québécois des ressources humaines en tourisme (cqrht) et Emploi Québec (2004). Environ 47 000 personnes sont employées comme serveuses d’aliments et boissons, dont 79 % sont des femmes (en comparaison avec 46 % de femmes au sein de la population active québécoise). On retrouve dans ce métier une présence marquée des moins de 25 ans (35 %) ainsi qu’une faible présence des plus de 45 ans (18 %), comparé respectivement à 15 % et 35 % pour l’ensemble des professions. Il s’agit d’un travail souvent à temps partiel (47 %, contre 18 % pour l’ensemble des professions). Ces travailleurs ont un faible niveau moyen de revenu à temps plein annuel (13 791 $CAD[2], sans les pourboires, contre environ 32 000 $CAD pour l’ensemble des travailleurs québécois). Le montant reçu sous forme de pourboires est très variable et difficilement quantifiable. Il correspond à environ 15 % des ventes effectuées, bien que le client soit libre de décider du montant, selon son degré de satisfaction du service rendu par la travailleuse. Finalement, le roulement de main-d’œuvre dans ce métier est qualifié d’important (cqrht et Emploi Québec, 2004).

4Le métier de serveuse d’aliments et boissons est typique d’un certain nombre de professions de femmes du secteur des services, parce que les exigences physiques et cognitives qu’il comporte sont généralement considérées comme minimales et relevant des qualités « naturelles » des femmes, et qu’il s’exerce souvent à temps partiel et à faible niveau salarial (Messing, 2000). Ce métier se classe au 7e rang des principales professions féminines en termes de nombre de travailleuses (Statistics Canada, 2004).

5La littérature scientifique est rare au sujet des conditions de travail de serveuses de restaurant, bien qu’un certain nombre d’études portent sur l’exposition à la fumée secondaire (ex : Johnsson et al., 2003; Jones et al., 2001 ; Al-Delaimy et al., 2001). Étant donné qu’une loi bannit totalement l’usage du tabac des restaurants et des bars depuis le 31 mai 2006 au Québec, la présente étude ne s’attarde pas sur les influences d’un environnement enfumé sur l’activité de travail des serveuses de restaurant.

6Du côté de la charge physique, quelques études (Chyuan et al., 2004 ; Dempsey et Filiaggi, 2006 ; Mardis et Pratt (2003 Chau et al., 1987 ; Courthiat et al., 1990) ont porté sur les troubles musculo-squelettiques et autres blessures ainsi que sur les nuisances subies par des travailleurs de la restauration. Aussi, Godin et Massicotte (2006) ont présenté un rapport de recherche sur le profil statistique des indemnisations payées par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (csst) reçues par les employés de la restauration au Québec. On y apprend que la restauration est un secteur où l’on dénombre plusieurs lésions professionnelles et que la moitié des travailleurs accidentés sont âgés de moins de trente ans, alors qu’un peu plus de la moitié des travailleurs atteints d’une maladie professionnelle sont âgés de plus de quarante ans.

7Par ailleurs, quelques études en ergonomie ou en psychodynamique du travail (Soares, 1998 ; Falzon et al., 1998 ; Caroly et Weill-Fassina, 2004 ; Gonzales et Weill-Fassina, 2005) se sont penchées sur la relation avec le client dans le travail de service. Laperrière et al. (2006) et Messing et al. (2005) ont examiné les déterminants et effets du travail en posture debout prolongée dans les métiers de service incluant des serveuses. Aussi, à propos du travail collectif dans un travail de service, l’étude de Cahour et Pentimalli (2005) montre une facette importante du travail de serveuses en discutant des fonctions de la conscience périphérique (« awareness ») pendant le travail coopératif entre les serveuses et les cuisiniers d’un café-restaurant ainsi que les différents niveaux de conscience périphérique des serveuses.
La présente étude apporte un regard qualitatif sur un potentiel déséquilibre entre les efforts et la reconnaissance chez les serveuses de restaurant au Québec, dans un contexte d’employées majoritairement féminines, et dans une relation de service en situation d’inégalité avec le client.

Méthodologie

8Deux employeurs ont accepté de participer à l’étude. Une étude préliminaire, descriptive, a été menée dans le restaurant A « haut de gamme » comptant des serveurs surtout de sexe masculin ; il est situé à Montréal. Une deuxième étude, plus élaborée, a été menée dans deux succursales, B et C, d’une chaîne de restaurants « familiaux », avec un personnel surtout féminin. Les restaurants B et C sont situés à Québec. Les employés de ces trois restaurants sont syndiqués [3].

Étapes préliminaires de la recherche

9Une analyse de la demande à l’origine de la recherche a d’abord été effectuée afin d’établir les priorités des différents partenaires (employeurs, délégués syndicaux, serveuses). À cet effet, à l’été 2003, nous avons procédé à :

  • un entretien collectif avec des serveuses des restaurants B et C ;
  • des entretiens téléphoniques avec trois patrons de quatre restaurants différents des régions de Québec et Montréal ; des observations générales dans les restaurants B et C ;
  • ainsi qu’à l’analyse des données d’incidents survenus dans le restaurant B.
Une préétude a été également effectuée dans un premier restaurant (le restaurant A), comprenant cinquante heures d’observation et sept entrevues avec des serveurs. Les résultats de cette préétude ont été présentés pour validation lors d’une assemblée sectorielle de la Fédération du commerce de la csn avec une douzaine de travailleurs de la restauration qui n’avaient pas été impliqués dans la collecte des données originales.

Population de l’étude

10Les participants à la préétude dans le restaurant A ont été recrutés par l’intermédiaire du syndicat. Le président du syndicat avait fourni une liste de volontaires à la chercheure. Les participant(e)s à l’analyse de l’activité de travail ont été recrutés dans les restaurants B et C à l’aide d’une affiche sur laquelle les serveuses qui étaient volontaires inscrivaient leur nom et numéro de téléphone. La chercheure les contactait par la suite pour prendre rendez-vous.

Entretiens initiaux

11Pour chaque sujet volontaire des restaurants B et C, un entretien dirigé d’une heure était planifié avant la période d’observation. Cet entretien avait pour but de documenter les caractéristiques personnelles des sujets telles que l’âge, l’ancienneté, la main dominante [4], le nombre d’heures en moyenne travaillées par semaine et le fait d’occuper ou non un autre emploi. Aussi, le sujet était appelé à décrire un début et une fin de quart de travail normal, la façon dont il ou elle accueille un client, les aspects du métier de serveuse qu’ils soient appréciés ou non, etc. (voir schéma d’entretien en annexe).

Observations

12Un total de 33,75 heures d’observation ont été effectuées dans les restaurants B et C. La période d’observation couvrait habituellement tout le quart de travail de la personne observée, donc sa durée était variable (de deux heures à six heures et demie). Le travail était observé de façon globale, mais les opérations étaient notées ainsi que les stratégies utilisées. À la suite des observations préliminaires aux restaurants B et C, plusieurs tâches réalisées régulièrement avaient été choisies pour être l’objet d’observations systématiques, soit : la préparation du café, la préparation de salade, le service de sauce, le service de soupe, le service de boissons gazeuses, les transactions monétaires, les commandes de boissons, les tâches autour du comptoir des cuisines, la plonge et le travail à l’ordinateur. De plus, nous avons filmé des participantes en train d’apporter des plats vers des clients ainsi que de transporter de la vaisselle sale vers la plonge. Nous avons aussi compté le nombre de pas qu’effectuaient les serveuses à l’aide d’un podomètre.

Autoconfrontation

13Chaque période d’observation était suivie d’un entretien d’une heure avec la serveuse observée, visant à valider avec elle les observations. La chercheure leur montrait les opérations et les stratégies observées à des fins de validation ou de précision. Aussi, les participantes pouvaient décrire différentes variantes d’opérations ou de stratégies qui n’avaient pas été observées ainsi que les difficultés rencontrées pendant l’accomplissement de la tâche observée. D’autres thèmes, apparus importants lors des observations préliminaires, étaient abordés au cours de ces entretiens, tels que la relation avec les clients, le stress vécu dans le travail, les qualités que doit posséder une serveuse, etc.

14Finalement, les résultats de l’étude ont été validés lors d’un entretien collectif qui a eu lieu le 11 avril 2007 avec cinq serveuses qui avaient de une à cinq années d’ancienneté.

15Une fiche de consentement a été signée par chaque sujet observé ou interviewé. Le projet a été accepté par le comité de déontologie du Département des sciences biologiques de l’université du Québec à Montréal.

Résultats

16L’analyse de la demande a permis d’identifier les aspects du travail jugés prioritaires à documenter. Le désir de reconnaissance des compétences et de la charge de travail accomplie a été déclaré prioritaire par les travailleuses. Les efforts déployés par les serveuses dans leur travail seront ici présentés sous la forme des défis relevés, catégorisés en trois types de défi.

17Dix personnes étaient volontaires pour participer à l’étude, mais, l’une d’entre elles s’étant blessée au travail la veille du rendez-vous, ce dernier a dû être annulé. Neuf personnes ont donc été observées entre novembre 2005 et janvier 2006. Elles étaient âgées de vingt et un à quarante-trois ans et possédaient entre deux et vingt-deux années d’ancienneté.

Tableau i

Âge et ancienneté des participants des restaurants B et C

Tableau i
Âge (années) H (N = 1) F (N = 8) Ancienneté (années) H (N = 1) F (N = 8) Moyenne plus jeune* 34,13 moins ancien 14,25 Médiane – 34,50 – 15,00 Écart-type – 7,55 – 6,45 * Le détail a été supprimé afin de ne pas identifier le (seul) participant masculin.

Âge et ancienneté des participants des restaurants B et C

Les efforts/défis des serveuses de restaurant

18Dans l’accomplissement de leur travail, les serveuses ont à relever des défis d’ordres physique, cognitif et émotionnel. D’abord, parmi les défis physiques, on trouve la rapidité d’exécution, la posture debout prolongée ainsi que le transport de charges. Du côté des défis cognitifs, ce sont les tâches simultanées et entrecoupées, l’organisation des opérations dans le temps ainsi que la mémorisation qui ont été observées. Finalement, le travail des serveuses implique une part importante de travail émotionnel, c’est-à-dire qu’elles doivent créer une atmosphère de confort en favorisant un roulement rapide, offrir de la chaleur humaine en maintenant l’intimité à un niveau optimal, servir de tampon entre l’organisation et le client, rester toujours gentilles et souriantes tout en exigeant le respect, et aussi gérer le mépris que certaines personnes entretiennent à leur égard et conserver leur estime de soi. Par ailleurs, les observations et les entretiens effectués ont permis de mettre en lumière plusieurs stratégies déployées pour faire face aux défis physiques, cognitifs et émotifs. Avant de décrire davantage les différents défis précédemment énumérés, voici d’abord une brève description générale du travail de serveuse.

19La serveuse a pour responsabilité de veiller à ce que les clients soient servis rapidement, qu’ils reçoivent ce qu’ils ont commandé, qu’ils aiment l’expérience au restaurant, qu’ils y trouvent un certain confort, qu’ils ne restent pas trop longtemps à la table et qu’ils paient leur repas, de préférence avec un pourboire généreux. Les tâches effectuées par les serveuses sont nombreuses, diversifiées et souvent réalisées simultanément. Les tâches que les serveuses doivent réaliser dans les restaurants B et C où ont été effectuées les observations systématiques sont :

  • prendre la commande à la table du client ; préparer et servir les boissons chaudes ; apporter les plats aux clients après en avoir fait une dernière préparation ; débarrasser les tables des clients et rapporter la vaisselle sale, qu’elles préparent pour la plonge ; effectuer les transactions monétaires avec le client.
Il est important de souligner ici que les serveuses doivent se plier à plusieurs règles et prescriptions telles qu’un temps maximal alloué pour accueillir un nouveau client, une façon spécifique de saluer ce dernier, ou encore un produit en particulier à lui proposer selon la saison.

20Nous décrivons ici les exigences du travail des serveuses, organisées selon le type d’exigence (physique, cognitive, émotionnelle). Cependant, il n’y a pas de coupure nette entre les exigences, puisque plusieurs situations posent à la fois des défis physiques, cognitifs et émotionnels. Par exemple, vouloir accéder à un pourboire satisfaisant exigerait un rythme accéléré de travail, accompli sans erreur, avec le sourire.

Les défis physiques

Le défi d’effectuer les opérations avec rapidité sans avoir d’accident

21Le premier défi physique que doivent relever les serveuses est la rapidité d’exécution de toutes ces tâches. « C’est toujours une course contre la montre. » Toutes les tâches s’entrecoupent (plusieurs tables de plusieurs clients étant servies en même temps) et sont constamment interrompues (des clients étant toujours susceptibles de faire une nouvelle demande à la serveuse). Cela fait aussi partie du défi cognitif d’organisation qui sera abordé plus loin.

22Voici un bref extrait d’une chronique d’activités effectuée dans le cadre des observations préliminaires dans le restaurant B :

  • 12 h 08 : la serveuse revient avec des serviettes et des ustensiles, va à l’ordinateur, accueille un nouveau client ;
  • 12 h 10 : elle apporte des menus, va vers la plonge, revient avec un verre, va au comptoir de salade et prend des verres et des bols de salade, les apporte aux clients, à un autre client elle apporte un verre et une salade, à un autre client elle demande « à votre goût ? », à un autre client elle prend une assiette sale ;
  • 12 h 11 : elle se rend à la plonge avec l’assiette sale, va voir un client et prend une autre assiette sale ;
  • 12 h 12 : elle va voir un autre client, va à la machine à café, apporte un café à un client, va à la plonge avec la deuxième assiette sale ;
  • 12 h 13 : elle revient avec des serviettes et des ustensiles, va au comptoir de soupe, va vers un client, un autre client et prend une assiette ;
  • 12 h 14 : va vers la plonge ;
  • 12 h 15 : elle revient avec des verres, les apporte à des clients, va à l’ordinateur, va à la plonge, revient ;
  • 12 h 16 : va vers un client, prend des assiettes sales et retourne à la plonge…
Cet extrait illustre la grande variété et le nombre important d’opérations effectuées (trente dans une période de huit minutes), mais aussi la superposition de celles-ci à cause du nombre de clients que la serveuse doit servir à des moments très rapprochés. Cet aspect sera aussi traité plus loin en tant que défi cognitif.

Le défi de marcher continuellement en minimisant le nombre de pas

23Le travail en posture debout prolongée constitue un défi physique important du travail de serveuse de restaurant. En effet, la gestion des pas est une dimension importante de leur travail et le souci d’en diminuer le nombre, pour gagner du temps, est constant. Le nombre moyen de pas par minute chez les neuf personnes observées est de 22,02 (±11,63), mesuré à l’aide d’un podomètre pour une durée de 2 à 6,5 heures par personne. Lors des observations, aucune période assise n’a été répertoriée. Les serveuses disent ne pas avoir le temps de prendre des pauses assises pendant qu’elles travaillent.

24

« Quand on s’assoit une première fois, on réalise la fatigue. » « Faut pas arrêter. »

25Quelques exemples de stratégies mises en place pour diminuer le nombre de pas lors d’un quart de travail :

  • apporter le plus possible de plats, tasses, assiettes en même temps pour avoir à retourner moins souvent à la table des clients ; mettre plus de salade de chou dans les bols pour éviter de retourner en servir une deuxième fois au client ; apporter la boisson en même temps que la salade ; insister lors de l’accueil pour demander au client s’il désire quelque chose à boire (parce que le client oublie de commander la boisson et la demande plus tard, ajoutant un déplacement à la serveuse) ; prévoir un plus gros verre de boisson gazeuse à un client connu pour en boire beaucoup (pour éviter un deuxième remplissage) ; demander lors de la commande si le client prendra des condiments ; demander à des clients s’ils ont besoin de quelque chose en passant (pour éviter de se faire rappeler plus tard) ; organiser des « gros voyages » (servir trois tables différentes en même temps) ; utiliser un plateau quand il y a plusieurs verres à transporter ; donner l’addition en même temps que le dessert ; rapporter le plus de vaisselle sale possible à laver, lorsque plusieurs clients terminent leur repas dans le même laps de temps ou rapporter la vaisselle sale à la plonge à mesure que les clients terminent leur repas. Celles qui fument sortent quelques instants quand elles sentent que leurs clients n’ont pas besoin d’elles pour quelques minutes et les autres serveuses prennent en charge leurs tables. Cependant, elles ne s’assoient pas pendant cette période.
D’autres risques sont associés par les serveuses au fait de parcourir de longues distances : planchers souvent glissants ou possibilité de trébucher sur des enfants qui se promènent dans les allées, les banquettes étant trop hautes pour les voir venir.

Le défi de transporter des charges lourdes

26Le transport de charges lourdes est un autre défi physique important du métier de serveuse. Par exemple, dans le restaurant A, la vaisselle avait été changée pour une nouvelle, censée être plus belle, mais plus lourde. Dans les restaurants B et C, plusieurs serveuses ont mentionné que certains plats impliquaient le transport de plus lourdes charges, telles que des brochettes ou le steak servi directement dans une poêle. Plusieurs ont aussi signalé que les menus sont lourds à cause de la reliure utilisée.

27Voici quelques stratégies déployées pour diminuer ou prévenir les douleurs des membres supérieurs lors du transport de charges :

  • transporter moins d’assiettes à la fois ; transporter plus d’assiettes (pour faire une seule fois le trajet et diminuer le temps de transport), utiliser une technique pour apporter cinq assiettes en même temps ; utiliser ses deux mains pour transporter deux assiettes ; transporter le silex [5] de café dans une main et les crèmes dans l’autre (par opposition à garder une main libre et disponible pour une autre tâche) ; répartir les choses de manière équilibrée sur le plateau ; marcher plus vite quand la charge transportée est lourde, pour diminuer le temps de transport ; rapporter tout de suite une assiette à la plonge pour avoir moins de vaisselle à porter à la fin du repas, tel que l’on peut le remarquer ci-dessus, lorsque la serveuse observée rapporte cinq assiettes à la plonge en cinq déplacements qu’elle a combinés avec les transports de plats vers les clients ; se dépêcher d’aller à la plonge pour déposer la vaisselle quand c’est très lourd ; à la plonge, déposer d’abord ce qui est dans la main droite et utiliser cette main pour débarrasser la main gauche ; ne pas empiler les assiettes lors du débarrassage de la table, les prendre comme lors du service des plats ; s’entraîner pour renforcer les muscles du ventre et du dos.
Par ailleurs, elles considèrent important de développer leur propre méthode de travail. Elles ont développé des techniques, par exemple, pour prendre plusieurs verres dans la main, pour plusieurs assiettes ou pour passer dans des endroits restreints avec les mains pleines. Les stratégies observées qui consistent à porter plusieurs assiettes en même temps permettent aux serveuses de prévenir la douleur aux membres supérieurs en diminuant ainsi le temps passé avec une charge dans les mains, mais elles sont d’abord mises en œuvre pour gagner du temps.

Le défi de protéger sa santé

28Sept personnes sur neuf dans les restaurants B et C déclarent au moins un endroit de douleur, le dos et les membres inférieurs occupant les premières places. Les douleurs surviennent pendant et après le travail, mais sont plus vives au réveil.

29

« Le lendemain, quand on débarque du lit, les 5-6 premiers pas, ô boy ! »

30Il semble que préserver la santé de leurs membres supérieurs ne soit pas une priorité pendant le travail.

31

« Je veux tellement tout amener. » « Sur le coup je n’y pense pas [au fait que je vais avoir mal]. » « J’évite certaines stratégies [qui pourraient améliorer la santé musculo-squelettique] parce que je veux avoir l’air professionnel. »

32Aussi, l’image professionnelle exige d’elles d’accomplir leur tâche avec aisance, apparemment sans effort. Ainsi, elles favorisent la plupart du temps la rapidité et l’image de service au détriment de leur santé. En deuxième lieu seulement, elles voudront préserver la santé de leurs membres inférieurs en optimisant le transport de vaisselle pour minimiser les pas par exemple.

33Les serveuses rencontrées ne prenaient pas de pauses, assises ou non, pendant leur quart de travail. Pendant le service, elles ne souhaitent pas laisser leurs clients quelques minutes, car cela pourrait ralentir leur service. Elles choisissent de ne pas profiter des moments prévus pour des pauses, car elles considèrent n’en avoir pas le temps pour bien faire leur travail. Aménager une pause à l’intérieur du restaurant leur est interdit, car il est inapproprié que les clients les voient assises pendant qu’ils attendent le repas. Elles ne s’arrêtent pas non plus pour manger.

34

« On n’a pas le temps de souper, mais, aussi, on n’a pas le goût tellement. »

35Elles croient cependant qu’une pause formelle pourrait être intégrée dans leur quart de travail et pourrait être bénéfique à leur santé.

Défis cognitifs

36Les défis cognitifs constituent un aspect important du travail des serveuses. En effet, elles s’entendent à dire :

37

« Pour être serveuse, tu dois avoir toute ta tête. »

38La difficulté reliée à la demande cognitive est illustrée par la citation suivante :

39

« Tu arrêtes de travailler, ton cerveau fonctionne encore. »

Le défi de servir plusieurs clients, en intercalant les opérations ou comment être rapide sans escamoter le service

40Le nombre de clients à servir simultanément est très variable et dépend de l’heure, du moment de l’année ou de la semaine, de l’expérience des coéquipiers et des prévisions d’affluence de la part des gestionnaires, entre autres. Lorsque la serveuse doit servir plusieurs clients à la fois, elle doit leur assurer une certaine équité. Mais, quel que soit le nombre de tables dont la serveuse a à s’occuper, elle se doit toujours d’offrir le service le plus rapide possible à chacun de ses clients. C’est pourquoi toutes les stratégies mises en œuvre, qu’il s’agisse d’exécuter les multiples tâches plus rapidement, pour diminuer le nombre de pas ou encore pour transporter plus d’assiettes, sont déployées dans le but de gagner du temps, et ainsi servir les clients plus rapidement et augmenter leur satisfaction. Elles apprennent les différentes méthodes de travail surtout en les expérimentant, mais aussi en observant les serveuses plus anciennes.

41

« J’ai regardé les autres, celles que cela fait longtemps qu’elles travaillent. » (On veut aller vite) « pour pas être dans le stress, pour le moral, pas se sentir dans l’urgence. »

42Mais urgence il y a.

43

« Au début, t’en rêves la nuit. »

44En effet, une partie importante de leur salaire provenant du pourboire reçu, ce dernier étant proportionnel à la satisfaction du client, satisfaire le client est la priorité dans le travail de serveuse de restaurant. Voici quelques exemples de stratégies visant à augmenter cette satisfaction et qui contribuent à augmenter le nombre d’opérations à effectuer :

  • vérifier la température de la nourriture ; mettre le café dans la tasse avant de déposer la tasse dans la soucoupe, au risque de se brûler, pour ne pas salir la soucoupe ; remplir directement la tasse dans la machine à café plutôt que d’attendre que la cafetière ait terminé la torréfaction, pour aller plus vite ; placer le sachet en avant du bec de la théière, pour éviter de renverser du thé dans la soucoupe ; faire plusieurs cafés en même temps pour différentes tables, pour aller plus vite ; remplir le bol de soupe en le prenant dans une main et le déposer ensuite dans l’assiette de service pour ne pas la salir, au risque de se brûler ; communiquer directement les commandes de boisson à la serveuse du bar plutôt que de poinçonner la commande dans l’ordinateur d’abord, pour gagner du temps ; vérifier l’exactitude des commandes et demander aux cuisiniers de corriger s’il y a lieu.

Le défi de ne pas perdre le fil des opérations en attente

45Toujours pour être le plus rapide possible, les serveuses doivent être mentalement très organisées.

46

« Pour être serveuse, tu dois avoir toute ta tête. »

47Il y a les opérations de base, c’est-à-dire prendre les commandes, les acheminer aux cuisines, apporter les commandes aux clients et effectuer les transactions monétaires. S’y intercalent les opérations de surveillance du fonctionnement de la salle à manger, c’est-à-dire veiller par exemple à ce que la machine à café soit remplie et fonctionnelle, que les plats de soupe, sauce, salade ou autres soient remplis. Finalement, pour que le service au client soit optimal, il est essentiel de surveiller le client lui-même, c’est-à-dire être disponible lorsqu’il sera prêt à passer sa commande, veiller à ce qu’il ne manque de rien (ketchup…), vérifier s’il désire quelque chose à boire ou s’il est disposé à recevoir son addition, être disponible pour toute autre demande. En effet, elles prévoient les cinq ou six étapes suivantes à effectuer. Elles ont en tête une liste d’opérations organisées par ordre de priorité et doivent donc rester très concentrées.

48

« Dans ma tête, je me répète : verre d’eau/facture/ketchup/café+thé/verre d’eau/facture/ketchup/café+thé… »

49De plus, elles doivent bien choisir le moment où entrer dans l’ordinateur l’information sur la commande du client pour transmission aux cuisines, c’est-à-dire qu’elles deviennent capables d’évaluer le temps de préparation du mets pour l’apporter au client au moment opportun. Les anciennes ont ainsi appris à « commander » l’assiette ou le dessert d’un client au moment qui tient compte de l’achalandage et du personnel présent aux cuisines.

50Les opérations s’organisent selon un système de priorités qui prévoit que le nouveau client soit servi d’abord. Le client qui vient d’arriver porte de suite son attention sur la serveuse, alors que celui qui a déjà quelque chose à manger est davantage en mesure d’attendre. Une autre stratégie consiste à éviter le regard du client si on n’a pas le temps de s’en occuper, sans oublier de revenir à lui aussi vite que possible.

Le défi de prendre les commandes sans oublier quel client a commandé quoi

51Parmi les défis cognitifs du travail de serveuse se trouve aussi la mémorisation. Pour aider à la mémorisation des commandes, des serveuses utilisent un système d’abréviations efficace pour la notation des commandes. D’autres préfèrent écrire la commande en entier, mais certaines peuvent recourir à des associations visuelles pour se rappeler sans devoir écrire, si leurs mains sont déjà occupées (ex : apporter du ketchup au monsieur à la chemise rouge). Encore une fois, les stratégies mises en œuvre le sont d’abord pour gagner du temps afin d’augmenter la satisfaction du client et, en second lieu seulement, pour diminuer la charge mentale et le stress de la travailleuse. Parfois, la mémoire flanche « C’était quoi le dessert ? », et la serveuse peut devoir à le redemander au client.

Le travail d’équipe

52Pendant les entretiens individuels avec huit serveuses et un serveur, nous avons demandé dans quelles circonstances il leur était donné de communiquer avec :

  1. les travailleurs des cuisines,
  2. les autres serveurs et serveuses,
  3. les supérieurs immédiats.
Toutes les serveuses interrogées déclarent qu’offrir de l’aide aux autres constitue l’objet des principales communications entres elles et la majorité ; 8 sur 9 disent communiquer avec leurs collègues pour demander de l’aide. Aussi, elles disent discuter et rigoler avec leurs collègues serveuses et avec les travailleurs des cuisines pendant et après les heures de travail.

Tableau ii

Objectifs des communications entres les serveuses et les travailleurs des cuisines, les collègues serveurs(euses) et les supérieurs immédiats n = 9

Tableau ii
Cuisines 0 Serveurs (euses) 8 Supérieurs Demander de l’aide 6 Offrir de l’aide 0 9 0 Commander quelque chose, rectifier une commande (erreur) ou vérifier l’état d’une commande qui tarde 9 0 0 Demande d’intervention avec clients 0 0 2 Horaires, annulations 0 0 3 Discuter, faire des blagues, etc. 6 7 2

Objectifs des communications entres les serveuses et les travailleurs des cuisines, les collègues serveurs(euses) et les supérieurs immédiats n = 9

53Par ailleurs, le travail d’équipe et les relations avec les collègues font partie des aspects appréciés du travail de serveuse, tandis que les relations avec les cuisines sont un aspect désagréable.

Tableau iii

Aspects aimés et non aimés du travail de serveuse de restaurant n = 9

Tableau iii
Aspects appréciés Aspects désagréables Contact avec le monde 9 Horaires 5 Salaire, pourboires 4 Clientèle exigeante, difficile 5 Le travail en général 3 Stress 3 Travail d’équipe, collègues 3 Relation avec cuisiniers 2 Horaires 2 Salaire 2 Latitude, liberté dans travail 2 Planchers glissants 2 Relation avec supérieurs 2 Travail très physique 1 Pouvoir rire en travaillant 2 Difficile sur le sommeil 1 Stabilité d’emploi 1 Peu de considération pour travail accompli 1 Se sentir aimée 1 Commandes lentes à sortir 1 Travail terminé à la sortie 1 Ménage 1 Conditions de travail 1 Quand quelqu’un sort ses assiettes 1 Pouvoir s’impliquer 1 Ne pas être dans le jus (être très occupée, dans l’action) 1 Travailler sous pression 1 Chaleur l’été 1 Travail qui bouge 1 Diversité de la clientèle 1

Aspects aimés et non aimés du travail de serveuse de restaurant n = 9

54Le travail d’équipe est une partie importante du travail pour les serveuses interrogées. La nouvelle organisation du travail (introduite depuis nos observations) qui consiste à apporter toute assiette prête, même si elle est destinée au client d’une autre serveuse, est très appréciée et renforce l’esprit d’équipe tout en diminuant le stress et la charge mentale, selon les travailleuses rencontrées après l’instauration de cette mesure.

Défis émotionnels

55Le travail émotionnel consiste à gérer ses émotions pour servir la clientèle (Hochschild, 1983). Les émotions sont très présentes dans le travail de serveuse et les défis qu’elles ont à relever pour les gérer sont nombreux et complexes. Les émotions ressenties sont d’abord le plaisir, ensuite le stress et finalement la colère, la frustration et la tristesse. Il y a plus de plaisir que des autres émotions. Selon elles, les clients réguliers augmentent le plaisir.

56

« Parfois il y a de la joie… les clients disent souvent merci et aussi qu’ils ont été bien servis, les enfants qui disent que c’est bon, les clients qui sont heureux en partant… »; « Les plaisirs sont les bons commentaires, avoir le temps de bien servir ses clients, le contact avec les autres travailleurs. »; « Je suis contente de revoir des clients réguliers. »

57Les serveuses sont aussi soumises à plusieurs agents producteurs de stress et y réagissent de différentes façons. Elles sentent la pression de l’employeur et des clients :

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« L’ensemble du travail est stressant : on est surveillée, le client est pressé, on désire plaire et offrir un bon service et une bonne nourriture. »

59Elles ont l’impression qu’elles doivent s’investir entièrement dans leur travail.

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« On donne le maximum de nos capacités. »

61Ainsi, elles soulignent qu’elles doivent garder le stress qu’elles vivent à l’intérieur et elles doivent toujours garder leur sourire.

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« Le stress se vit en dedans… on veut que tout le monde soit content. » ; « quand il y a trop de clients, on n’a pas l’impression de bien les servir ».

63Afin de gérer leurs émotions, certaines ont besoin d’en parler (au conjoint) et d’autres optent plutôt pour une coupure stricte quand le quart de travail est terminé (« passé la porte, c’est fini »).

Le défi de créer une atmosphère de confort tout en favorisant un roulement rapide de la clientèle

64Il est important pour ces travailleuses que le client se sente bien accueilli, mais aussi qu’il soit servi efficacement et surtout rapidement, et ainsi augmenter les pourboires ainsi que les profits de l’entreprise.

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« On subit une pression constante. » « Les attentes du client sont élevées, le rythme de travail est imposé. »

66Elles doivent offrir une attention suffisante à chaque client, sans en négliger d’autres et risquer de leur déplaire. Les serveuses doivent gérer efficacement leurs propres émotions ainsi que celles de leurs clients, tout en étant performantes dans leur travail de service et en conservant le calme et le sourire, quelle que soit la situation. Certaines serveuses poussent plus loin en se fixant le défi de changer l’humeur des clients maussades ou difficiles.

« On peut mettre du bonheur dans la journée d’un client. »

Le défi de servir de tampon entre l’organisation et le client

67Les serveuses ont d’une part à faire face aux exigences des clients (et de celles de l’employeur) et, d’autre part, à négocier le travail accompli par les travailleurs de la cuisine.

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« On est entre les deux (les cuisines et les clients). »

69Elles servent donc de tampon et peuvent se sentir coincées. Les réactions négatives des clients face à une situation où les assiettes sont plus longues à arriver suscitent des émotions de colère et de tristesse.

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« Parfois on est en colère, quand on est dans le jus et que ça arrive pas comme on souhaite, on sait plus où aller. C’est fâchant de voir le regard des clients sur soi quand les assiettes ne sortent pas des cuisines. »

Le défi d’offrir de la chaleur humaine, tout en exigeant le respect

71La serveuse doit être gentille et offrir de la chaleur humaine pour que le client soit satisfait de son expérience au restaurant, mais elle doit aussi en exiger le respect. Le non-respect du client peut prendre deux formes : le mépris et-ou le harcèlement sexuel.

72Les serveuses ont parfois à faire à des clients qui leur manquent de respect et même qui montrent du mépris. Elles sont souvent représentées comme des personnes non scolarisées ou non intelligentes. Les serveuses ont même déclaré ressentir une certaine gêne lorsqu’elles révèlent à un groupe de personnes qu’elles travaillent dans la restauration. Il est même arrivé qu’une serveuse ait eu sa conversation sur un site de rencontres (clavardage sur Internet ) interrompue lorsqu’elle a appris à son interlocuteur qu’elle est serveuse. La même serveuse s’est déjà entendu dire par un client qui la trouvait à son goût : « C’est platte [6] que tu sois rien qu’une serveuse… » Un client à qui elle venait de dire qu’il manquait tellement de stationnement qu’elle avait dû laisser sa voiture près du Cégep [7] lui a répondu : « Tu devrais en profiter pour retourner à l’école ! » Parfois, aussi, les clients les hèlent en claquant des doigts, les interpellent par des « heille [8] ». Une autre fois, une serveuse s’est fait apostropher par un : « Heille, aux pieds ! » L’auteur de la phrase a expliqué que c’était une déformation professionnelle parce qu’il était éleveur de chiens. Aussi, les serveuses et les serveurs ont, selon eux, une réputation de personnes « faciles » qui sortent avec les clients qui leur donnent de gros pourboires.

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« C’est difficile quand le client te traite comme si t’étais rien. »

74Certaines serveuses ont dit se récompenser après un quart de travail particulièrement difficile (« on mange des brownies [9] »). Lorsqu’on a demandé aux serveuses de restaurant ce qu’elles voudraient que les gens sachent sur elles et leur métier, elles ont répondu : « On est toutes intelligentes! »

75Elles gèrent ces situations de différentes façons. Elles peuvent dire directement au client qu’il dépasse la limite

76

« Il faut que je me fasse respecter »

77ou encore lui faire savoir qu’elles sont insultées. Elles apprennent à se distancier :

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« J’ai jamais pleuré (au restaurant). C’est juste un emploi. » « Un client est bête? Dans une demi-heure, il va être parti. Je pleurerai pas pour des gens que je connais pas, qui me connaissent pas. »).

79Elles désirent plaire et aussi se faire respecter, ce qui n’est pas toujours compatible et entraîne certaines frustrations.

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« Parfois on est triste, quand le client n’est pas satisfait et qu’on a fait de son mieux. »

81Selon les serveuses rencontrées, les clients difficiles ne sont pas ceux qui retournent quelque chose, car ils payent cette nourriture. Les clients difficiles sont ceux qui n’ont pas de compréhension, qui coupent la parole, qui n’écoutent pas ou ne disent pas bonjour, qui sont pressés, mais exigent des choses compliquées ou, encore, quand dans un groupe les gens se déplacent ou ne paient pas. Le client a toujours raison, même quand il est irrespectueux et les serveuses ne se sentent pas toujours soutenues par leurs supérieurs. Pour faire face à ces situations, il leur arrive de faire appel à leur supérieur immédiat :

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« J’ai de la difficulté à négocier avec un client fâché, je fais appel au gestionnaire. »

83Elles utilisent aussi la stratégie des excuses :

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« … on s’excuse toujours ».

85Créer une atmosphère chaleureuse peut donner l’impression à certains clients que la travailleuse s’intéresse personnellement à lui. Ainsi, les serveuses doivent toujours surveiller leurs paroles et leurs gestes afin de garder l’équilibre souhaité entre chaleur humaine et ouverture personnelle ou sexuelle. Dans notre étude, les serveuses s’accordent à dire qu’il est plus facile de satisfaire les clients hommes que les femmes, « à cause du flirt ». Une serveuse raconte qu’après qu’un client lui eut laissé 10 $ de pourboire, son épouse lui a déroulé la main pour en reprendre 5 $.

86Le risque de harcèlement sexuel est toujours présent et doit faire l’objet d’une gestion de la part de la serveuse. Il peut se manifester sous forme de simple blague, par exemple :

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« Je vais prendre une belle grosse poitrine. »

88ou

89

« Je vais prendre ta cuisse. »

90sont des remarques fréquemment entendues. Parfois, ça va plus loin et elles peuvent entendre des phrases telles que

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« Il te manque juste un poteau de danseuse. »

92ou

« Ça doit être le fun à tenir dans ses mains ces petites boules-là. »
Elles utilisent donc des stratégies pour gérer le risque constant de harcèlement sexuel, comme : ne pas regarder le client dans les yeux, ignorer ce genre de propos des clients ou rétorquer par une blague. Afin de prévenir le harcèlement sexuel, les serveuses doivent maintenir l’intimité avec le client à un niveau optimal, c’est-à-dire qu’elles doivent se montrer à la fois proches et accueillantes, mais suffisamment distantes pour ne pas lui laisser croire qu’elles peuvent s’intéresser à lui d’un point de vue personnel. Les serveurs ne sont pas non plus à l’abri du harcèlement sexuel. L’un a raconté que, sous le prétexte qu’il sentait bon, une dame s’est rapprochée trop de lui, un autre s’est fait prendre la main ou le bras de façon insistante, un autre encore s’est fait toucher les fesses : « Personne aime ça, se faire pogner le cul ! les gars non plus ! » ont-ils déclaré.

Travail de serveuse et santé mentale

93Relever les différents défis du métier de serveuse nécessite de conserver un équilibre entre sa santé et sa production (le service). Lorsque la marge de manœuvre de la travailleuse est trop mince, l’équilibre est rompu, ce qui peut parfois se traduire en différentes conséquences sur la santé.

94Les situations rencontrées peuvent mener à de la détresse. Parfois, aux pleurs :

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« Il m’arrive de craquer sous la pression et de pleurer. »

96Dans ces cas-là, elles vont se cacher et ne sont pas portées à demander un répit. Une serveuse relate qu’elle a déjà pleuré devant un client (elle avait oublié une commande). Les serveuses trouvent qu’au début de leur emploi, il y a plus de stress, voire de l’anxiété et de l’angoisse.

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« J’avais envie de vomir. »

98Une serveuse moins expérimentée trouve que c’est toujours stressant et elle considère que le métier de serveuse requiert plus d’un an d’apprentissage.

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« Moi je vous regarde, j’ai juste un an. Je cours encore. »

100Elle dit faire face à la difficulté de faire une coupure dans sa tête au moment de quitter le travail et qu’elle continue d’y penser à la maison et même pendant la nuit.

101

« Tu arrêtes de travailler, ton cerveau fonctionne encore. » « Je rêve [du restaurant] tout le temps. « [Il y a un] impact sur le mental. »

102Certaines stratégies sont d’abord mises en œuvre pour augmenter la satisfaction du client, représentée, entre autres, par le pourboire. Mais le pourboire n’est pas proportionnel à l’effort. Ainsi, elles fournissent parfois beaucoup d’efforts à servir un client qui, en bout de ligne, laisse peu ou pas de pourboire :

103

« T’as rien sur la table. » « C’est très frustrant. »

104Plus généralement, la reconnaissance de la charge de travail accomplie et de leurs compétences n’est pas à la mesure de l’effort déployé, selon les serveuses interrogées. En effet, elles trouvent injustes les préjugés sur les serveuses et le mépris qu’elles perçoivent.

« Tu te donnes et, en bout de ligne, tu te remets en question. »

Discussion

Principaux résultats

105Les serveuses font face à des préjugés qu’elles veulent voir disparaître. Elles désirent être reconnues pour leurs compétences et la charge de travail accomplie. Pour gérer les efforts extrinsèques et relever les défis physiques et cognitifs, les serveuses ont développé plusieurs stratégies pour, par exemple, diminuer les pas, transporter les charges grâce à différentes techniques ou encore être organisée et concentrée. Dans ce contexte, elles doivent aussi gérer l’apparition de douleurs et de fatigue ainsi que le maintien de leur santé mentale. Souvent, elles ne prennent pas de pauses, ce qui est un autre type de stratégie. Par ailleurs, elles s’investissent affectivement dans leur travail qui comporte une part de gestion des émotions, les leurs (toujours sourire) et celles des clients (tenter de faire sourire sans séduire). La gestion des efforts physiques, cognitifs et émotifs, se fait toujours dans l’objectif premier d’augmenter la satisfaction du client et ainsi recevoir une reconnaissance sous forme de pourboire, mais aussi de respect.

Comparaison des résultats

106Au sujet des défis physiques, les résultats rejoignent la littérature disponible. Ainsi l’étude préliminaire de Labarre (2004) sur les douleurs rapportées ici comme conséquences de la posture debout et du transport de charges. En effet, Chyuan et al. (2004) et Dempsey et Filiaggi (2006) avaient conclu que les épaules, le cou et le dos sont les sites de douleur les plus fréquemment déclarés. Il en est de même pour les travailleurs d’hôtels et de restaurants danois, qui présentent, à cause de différents problèmes de santé, un plus grand risque d’hospitalisation que la population générale (Hannerz et al., 2002). Récemment, Tsai (2009) a relevé, dans son étude concernant dix-huit immigrants chinois travaillant dans des restaurants aux États-Unis, que les blessures les plus communes sont les coupures et les brûlures et que les troubles musculo-squelettiques constituent les maladies les plus gênantes pour eux. Par ailleurs, deux études (Chau et al., 1987 ; Courthiat et al. 1990) avaient déjà souligné le nombre important de tâches variées effectuées par les travailleurs de la restauration et ont répertorié vingt et une nuisances subies par ceux-ci, telles que la température du local, le port de charges et la position debout avec parcours importants. Ces travailleurs se plaignaient aussi de « précipitation », ce qui rejoint la grande quantité d’opérations réalisées dans de courts laps de temps, observée dans la présente étude. À propos de la position debout à la marche, le nombre de pas mesurés (vingt-deux par minute) a d’abord paru peu élevé aux serveuses en entretien de validation, car elles ont l’impression de marcher davantage, mais, en considérant les moments où elles sont avec le client et où elles ont à préparer de la nourriture, le chiffre leur semble réaliste. Dans une étude antérieure, les femmes qui travaillaient dans un restaurant ont effectué trente-trois pas par minute ; cependant, celles-ci ne préparaient pas la nourriture, une tâche statique qui requiert peu ou pas de déplacement (Laperrière et al., 2006).

107Du côté de la charge cognitive, les défis d’ordre mental retrouvés chez les serveuses de restaurant rappellent ceux spécifiques aux caissières de banque (Seifert et al., 1997), chez qui la mémoire et la concentration sont aussi très sollicitées. De plus, tout comme les serveuses de restaurant, elles aussi doivent gérer, et la superposition de tâches, et des interruptions fréquentes. L’étude de Cahour et Pentimalli (2005) rejoint les résultats de notre étude dans le sens où offrir et demander de l’aide semblent être la forme de communication la plus utilisée entre les serveuses. Ces auteurs ont examiné la charge cognitive sous l’angle de la conscience périphérique. Les auteurs ont montré que le niveau de conscience périphérique peut changer rapidement et qu’il est en relation avec le degré de charge cognitive. En effet, quand la charge cognitive est élevée (la serveuse est concentrée sur une commande en même temps qu’elle en prépare une autre), la conscience périphérique est faible. Elle n’entend alors que ce qui est pertinent à son activité. En ces moments, les serveuses ont conscience des actions des autres dans la mesure où celles-ci sont pertinentes à l’accomplissement de leurs propres tâches. Toutes les stratégies instaurées par ces travailleuses, tant au niveau du maintien de l’équilibre entre la production et la santé (techniques de transport ou diminution du nombre de pas) que la gestion du travail purement mental (ex. : mémoire, organisation), témoignent que la charge cognitive représente une part importante du travail.

108De plus, le travail émotionnel des serveuses représente une autre part considérable. Les serveuses ont rapporté qu’en plus de toujours offrir le service aux clients avec le sourire, elles se donnent parfois comme mission de changer l’humeur des clients désagréables. Soares (1998) mentionne aussi cette attitude chez les caissières de supermarché. Hochschild (1983 ; cité par Johnson et Specter, 2007) a défini le travail émotionnel comme étant l’effort que fournissent les travailleurs pour gérer leurs sentiments pour créer une expression faciale et corporelle publiquement acceptable. Les deux stratégies décrites pour y parvenir sont le « deep acting » (modifier les émotions ressenties pour correspondre aux émotions démontrées) et le « surface acting » (simuler des émotions non ressenties ou réprimer les émotions ressenties) (Diefendorff et al. 2005). Les serveuses de restaurant ont une part importante de travail émotif dans leur métier et il serait intéressant de mesurer leurs stratégies, décrites par Diefendorff et al. (2005), et de quelle façon elles les utilisent. Aussi, en parlant de la dimension sexuelle du travail de caissières de supermarché, Soares (1998) a nommé l’usage du « refroidissement diplomatique », la situation souvent vécue par les serveuses de repousser le harcèlement sexuel sans froisser le client.

109La gestion des émotions et de la dimension sexuelle dans ce travail est, encore une fois, une partie invisible du travail de service. Le « travail émotionnel » fait référence de façon plus large à l’acte qui vise à évoquer ou à façonner, ou tout aussi bien à réprimer un sentiment (Hochschild, 2002). Garder son calme et son sourire (et même en faire apparaître un sur le visage des clients!), dans des situations où le stress, le mépris et le harcèlement sexuel sont continuellement présents, s’avère être un défi de chaque instant pour les serveuses de restaurant. Il serait important donc d’étudier davantage les compétences émotionnelles des serveuses telles que discutées dans l’article de Chanlat (2002). Il relate en effet que la distinction existe maintenant dans la littérature entre l’intelligence émotionnelle et les compétences émotionnelles, ces dernières renvoyant aux aptitudes personnelles et sociales qui mènent à une performance supérieure au travail. De la même façon que l’on a pu l’observer pendant notre étude, Jeantet (2002) souligne l’évidence que l’implication diffère selon les clients, selon les employés et selon les moments. Cela s’explique d’abord par le fait que les clients sont caractérisés par leur diversité et leur imprévisibilité et parce que les employés n’appliquent pas une méthode unique avec les clients. Par son étude du travail des guichetiers, Jeantet (2002) explique qu’ils doivent s’adapter à chaque client, sous peine d’avoir à subir les conséquences de leurs méprises ; leur sexe, leur âge, leur parcours, le hors-travail, l’intégration à un collectif de travail, sont autant d’éléments qui sont actifs dans leurs façons de vivre leurs relations avec les clients. Telle qu’abordée par les serveuses rencontrées, l’une des marques de professionnalisme, commune à beaucoup de métiers selon Jeantet (2002), qui est aussi une question de préservation de soi, est de pouvoir imposer des limites à la relation et de trouver la bonne distance, entre distanciation et implication.

110Les serveuses indiquent qu’il leur arrive de pleurer. Soares (2000) souligne dans son étude que, parfois, le stress est intense et chronique et produit un sentiment d’impuissance ou d’être au bout de ses forces. Les larmes apparaissent alors au travail, car l’impuissance face au travail, associée au stress intense et chronique, pousse les individus à la limite où les émotions sont au-delà des paroles et deviennent alors une façon de communiquer, de demander du soutien, de l’aide. Il souligne aussi que pleurer demeure une activité privée, comportement que l’on retrouve aussi chez les serveuses. Cet auteur raconte que les larmes surviennent aussi à cause d’un stress intense, parfois ponctuel, et mentionne le cas d’une serveuse qui a vu toute une équipe de jeunes joueurs se lever pour payer en même temps leurs factures. Il conclut en rappelant que les larmes au travail sont un indicateur d’une surcharge émotive.

111Messing et al. (1999) soulignent, en guise d’introduction à leur analyse du travail de préposée à l’accueil, que plusieurs postes de travail occupés par des femmes exigent de la finesse, un rôle de tampon, une continuité malgré de nombreuses interruptions, la capacité d’exécuter de multiples opérations simultanément, de l’endurance physique ainsi que du travail « émotionnel ». L’analyse des défis relevés par les serveuses de restaurant permet de constater qu’ils correspondent aux emplois typiquement féminins, pour lesquels il est exigé toutes ces compétences non reconnues parce qu’étant des qualités « naturelles » par opposition au « faire » (Jeantet, 2002) et surtout chez les femmes (Messing, 2000). Effectivement, les serveuses de restaurant font face à plusieurs défis, certains étant plus « visibles » que d’autres, tels que le transport de charges qui demande sans contredit des habiletés. Toutefois, la grande quantité de tâches et d’opérations réalisées avec superpositions et interruptions fréquentes, le rôle de tampon entre le public et l’organisation ainsi que la position debout prolongée à la marche et sur de longues distances sont des aspects plutôt invisibles du travail physique, et souvent non considérés de leur travail, que l’on a pu mettre en lumière au cours de cette étude.

112Si le travail physique est sous-estimé, le côté cognitif et émotionnel est insoupçonné. Les expressions de mépris rapportés et observés chez les serveuses rappellent certains incidents soulevés par Sam (2008), décrivant son activité de caissière, qui raconte être montrée en contre-exemple à un enfant qui n’étudie pas à l’école.

113En somme, les serveuses s’attendent à recevoir des bénéfices pour les efforts qu’elles emploient à réaliser leur travail. Les récompenses monétaires ainsi que la reconnaissance de leurs compétences ne leur semblent pas à la hauteur des efforts qu’elles mettent à effectuer leur travail et de l’implication émotive qu’elles déploient. Le modèle du déséquilibre effort-récompense (« effort-reward imbalance ») de Siegrist (1996) s’applique de façon évidente au travail des serveuses de restaurant. En effet, parmi les pathologies associées au déséquilibre effort-reconnaissance, tel que décrit par Siegrist (1996), on retrouve les maladies et les risques cardiovasculaires (Siegrist, 1996 ; Kivimaki et al., 2002), les troubles de santé mentale (Stansfeld et Candy, 2006), la dépression (Siegrist, 2008), l’absence pour maladie (Head et al., 2007) et la santé globale (Hansen et al., 2009 ; Siegrist et Rödel, 2006 ; Van Vegchel et al., 2005). Aucune étude ne s’est penchée sur les risques à plus long terme sur la santé des serveuses, en rapport avec la santé mentale.
Quelques articles sont disponibles dans la littérature sur les facteurs qui pourraient modifier le montant du pourboire donné par les clients d’un restaurant, dont plusieurs sont hors du contrôle de la serveuse, tels que la musique d’ambiance (Milliman, 1986). D’autres facteurs, soulignés dans la littérature comme susceptibles d’influencer le pourboire reçu par la serveuse et qui peuvent être contrôlés par celle-ci, sont par exemple le fait de se présenter au client (Garrity et Dugelman, 1990), se pencher au niveau des yeux du client (Lynn et Mynier, 1993) ou le toucher (Hubbard et al., 2003) et le remercier (Rind et Bordia, 1995). Les serveuses sont donc susceptibles de mettre en place une foule de stratégies dans le but d’accueillir le client de façon chaleureuse, et ainsi d’augmenter sa satisfaction et, par conséquent, le pourboire. Toutefois, en accord avec les commentaires recueillis lors de la présente étude, la relation n’est pas claire entre la qualité du service rendu et l’importance du pourboire reçu (Lynn et McCall, 2000).
Si le pourboire ne représente pas fidèlement la reconnaissance du travail accompli, il traduit un rapport économique et social inégal entre la serveuse et son client, qui la soumet au risque de souffrance psychique. Les remarques méprisantes, la honte parfois ressentie face à sa profession, l’identité professionnelle difficile à défendre, montrent bien cette inégalité. Plus généralement, le mépris envers les personnes de classe sociale inférieure et ses conséquences ont été explorés par certains auteurs (Sennett et Cobb, 1972 ; Dejours, 1998 ; Ehrenreich, 2001).
Plusieurs pistes de recherche seront intéressantes à explorer dans les années à venir. En effet, vu les horaires atypiques et des quarts de travail souvent coupés, on peut supposer que la conciliation travail-famille est un enjeu important chez les serveuses. Messing (2009) mentionne que, pour les femmes, du fait de leur insertion plus fragile et éphémère dans le monde du travail, le choix entre santé, vie familiale et reconnaissance professionnelle se vit de manière plus explicite et surtout plus quotidienne. En effet, tel que montré dans le tableau iii, les horaires de travail figurent parmi les aspects les moins appréciés du travail de serveuse chez les neuf personnes interrogées. Aussi, il serait intéressant d’examiner le fonctionnement du collectif de travail plus en profondeur, dans un contexte où le travail d’équipe est imposé par une organisation du travail, instaurée depuis notre étude, qui consiste à apporter les assiettes aux clients des autres serveuses dès qu’elles sont prêtes et aussi d’étudier davantage les relations vécues avec les travailleurs en cuisine. De plus, il serait aussi intéressant de connaître de quelles façons les serveuses utilisent certains moments ou certains lieux pour se ressaisir quand elles en ont besoin. En effet, les coulisses (lieux et moments où le retrait est possible) sont indispensables à tout travail de représentation, elles permettent à l’acteur de tenir son rôle, de composer ou d’ajuster sa face, de trier entre ce qu’il doit montrer et cacher de son personnage (Jeantet, 2002). Du côté de la santé des serveuses de restaurant, la suite de la présente étude consiste en une enquête épidémiologique chez des serveuses de restaurants syndiquées au Québec et fournira des données sur la santé physique et mentale ainsi que sur les facteurs psychosociaux tels que la tension au travail et le déséquilibre effort-reconnaissance auxquels elles sont soumises.
Les serveuses veulent rendre les clients heureux, pour obtenir un pourboire généreux, mais aussi pour obtenir la reconnaissance de leurs efforts et de leurs compétences. D’ailleurs, le pourboire est en grande partie la démonstration de la reconnaissance du client. Le déséquilibre rapporté par ces travailleuses entre la reconnaissance reçue et les efforts déployés semble être grand et constitue souvent une blessure qui pourrait avoir des conséquences sur la santé et qui mérite qu’on s’y attarde dans les recherches futures en santé au travail.

Remerciements

Nous remercions les travailleurs, les travailleuses et l’employeur qui nous ont permis de faire cette recherche. Nous reconnaissons l’apport énorme de Madame Christine Gagnon, représentante syndicale, qui nous a aidées tout au long de la recherche, ainsi que de Mmes Micheline Boucher et Marie-France Benoit, conseillères de la Confédération des syndicats nationaux. Nous remercions l’Institut de recherche Robert-Sauvé de recherche en santé et en sécurité du travail ainsi que la fondation de l’uqàm (Bourse aon-iss) et le girost (Groupe interdisciplinaire de recherche sur l’organisation et la santé au travail) qui ont offert des bourses à Ève Laperrière pendant ses études doctorales. La recherche fait partie du programme l’Invisible qui fait mal subventionné par le Fonds québécois de recherche sur la société et la culture.

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : femmes, restaurant, ergonomie, compétences, stratégies, reconnaissance, serveuses

Date de mise en ligne : 17/03/2010.

https://doi.org/10.3917/trav.023.0027

Notes

  • [1]
    Afin d’alléger le texte et étant donné que les femmes représentent la majorité des travailleurs dans ce métier, le terme « serveuses » sera employé dans tout le texte et comprendra aussi les serveurs.
  • [2]
    Environ 8 700 €, en date de novembre 2009.
  • [3]
    Au Québec, si la majorité du personnel d’une entreprise vote en faveur de l’appartenance à un syndicat, tout le personnel paie ses cotisations à ce syndicat et, à moins de s’en dissocier explicitement, y appartient (« formule Rand »).
  • [4]
    Main dominante : si vous êtes droitier, la main dominante sera la main gauche et inversement pour les gauchers.
  • [5]
    Silex de café : cafetière.
  • [6]
    Dommage.
  • [7]
    Collège d’enseignement général et professionnel, équivalent du lycée français.
  • [8]
    Un cri.
  • [9]
    Petits gâteaux au chocolat.
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