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Article de revue

Prévenance de la sagesse et désir de l’homme. Le mystère de la relation entre Dieu et l’homme selon Sagesse de Salomon 6,12-16

Pages 93 à 119

Notes

  • [1]
    Cf. Pr 8,17.
  • [2]
    Cf. Pr 1,20-21 ; 8,1-3.
  • [3]
    Cf. Pr 9,1-6.
  • [4]
    Cf. Si 4,11-19 ; 6,18-37 ; 14,20 – 15,10.
  • [5]
    Cf. Si 6,22.
  • [6]
    Cf. Si 14,22-25, en parallèle à 6,34-36, et s’inspirant de Pr 8,32-36.
  • [7]
    C’est le cas de José Alonso Díaz (« La sabiduría divina anticipándose a que le sale al encuentro [Sab 6,13-17] », Sal Terrae, LX, 1972, p. 838-845) et de Michel Coune (« La quête de la Sagesse. Sg 6,12-16 », Assemblées du Seigneur, n.s. LXIII, 1971, p. 6-12), dans des articles proprement théologiques destinés à la liturgie, le texte étant lu lors du 32e dimanche du temps ordinaire de l’année A. Parmi les exégètes, mentionnons Chrysostome Larcher, qui renvoie à d’autres auteurs anciens, Le Livre de la Sagesse ou La Sagesse de Salomon, vol. II, Paris, Gabalda, 1984, p. 420, José Vílchez-Líndez, qui renvoie à José Alonso Díaz, Sabiduría, Estalla (Navarra), Editorial Verbo Divino, 1990, p. 232, ou encore Hans Hübner, Die Weisheit Salomons, Göttigen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1999, p. 85-86.
  • [8]
    Cette structure concentrique est aujourd’hui largement acceptée ; Maurice Gilbert donne un résumé de l’histoire de la recherche dans « The Literary Structure of the Book of Wisdom : A Study of Various Views », dans Maurice Gilbert, La Sagesse de Salomon. Recueil d’études, Rome, Gregorian and Biblical Press, 2011, p. 9-25 (première parution dans Giuseppe Bellia et Angelo Passaro [éd.], Il Libro della Sapienza. Tradizione, redazione, teologia, Rome, Città Nuova Editrice, 2004, p. 33-46). Pour sa présentation détaillée, voir l’étude de Michael Kolarcik, The Ambiguity of Death in the Book of Wisdom 1-6. A Study of Literary Structure and Interpretation, Rome, Editrice Pontificio Istituto Biblico, coll. « Analecta Biblica », n° 127, 1991, p. 29-62.
  • [9]
    L’accord n’est pas total concernant la délimitation de la deuxième et de la troisième partie, surtout en raison du statut transitionnel du ch. 10 ; à ce sujet, cf. Maurice Gilbert, art. cit., p. 20-25.
  • [10]
    Cf. La délimitation proposée par Paolo Bizetti, Il Libro della Sapienza. Struttura e genere letterario, Brescia, Paideia Editrice, 1984, p. 63, citant le cours d’introduction au Livre de la Sagesse donné par Maurice Gilbert à Rome en 1976, et reprise par ce dernier dans « Sagesse de Salomon (ou Livre de la Sagesse) », Supplément au Dictionnaire de la Bible, t. 11, 1986, col. 68, puis par Michael Kolarcik, op. cit., p. 48-50.
  • [11]
    Il est possible que l’adjectif « brillante » prépare l’idée que la sagesse n’est pas cachée et se laisse trouver facilement (cf. José Vílchez-Líndez, op. cit., p. 232 ; Paul Heinisch, Das Buch der Weisheit, Münster, Aschendorff, 1912, p. 116). L’autre adjectif, « immarcescible », semble moins relié au contexte, mais sa présence est peut-être motivée par le ton de louange dont l’auteur est animé et prépare ainsi l’éloge de la deuxième partie du livre.
  • [12]
    Les normes internationales étant variables et peu satisfaisantes, nous faisons le choix de translittérer en utilisant comme critère la prononciation de la langue cible, le français.
  • [13]
    Selon Maximilianus Zerwick, le verbe phthaneïn à l’époque hellénistique a tendance à perdre le sens précis de « devancer » (praevenio) et se trouve couramment utilisé pour signifier simplement « arriver », « atteindre » (advenio/pervenio), comme on le voit par son emploi néotestamentaire (cf. Mt 12,28 // Lc 11,20 ; 1 Th 2,16 ; Rm 9,31 ; Ph 3,16) ; cf. le commentaire philologique de Mt 12,28 dans Analysis philologica Novi Testamenti graeci, Rome, Institut biblique pontifical, 19844. Dans notre texte, le verbe a certes le sens de devancer, mais comprend en même temps l’idée plus générale d’« arriver », de « venir au devant de », ce qui de ce point de vue le rapproche du simple « rencontrer » au v. 16c. Il est proche du verbe hébreu qdm, qui lui aussi conjugue les divers sens « précéder », « venir au devant », « rencontrer » (cf. Ps 18,6.19 ; 95,2 ; prophthaneïn dans la LXX), et peut même prendre la nuance de « secourir » (cf. Ps 59,11 ; 79,8).
  • [14]
    Cf. Chrysostome Larcher, op. cit., p. 420.
  • [15]
    Michel Coune, art. cit., p. 9, parle de « chassé-croisé ». José Vílchez-Líndez commente ainsi le lien entre le v. 12 et le v. 16 : « Au v. 12 l’homme va à la recherche de la sagesse ; au v. 16, la sagesse à la recherche de l’homme ; si l’homme cherche la sagesse, il la trouvera ; si la sagesse cherche l’homme, il a déjà été trouvé par elle et jugé digne d’elle. » (op. cit., p. 233).
  • [16]
    Cf. Luis Alonso Schökel (Eclesiastés y Sabiduría, Madrid, Ediciones Cristiandad, 1974, p. 118), qui écrit : « Nous pouvons appeler ces versets la rencontre de la sagesse et du sage, ou vice-versa. Pour une rencontre, nous avons besoin de deux mouvements ou d’un seul ; l’auteur en envisage deux ; théoriquement les deux peuvent commencer en même temps ; l’auteur dit que la sagesse devance ».
  • [17]
    Nous verrons plus loin pour quelles raisons les traductions habituelles sont conduites à utiliser, pour rendre les verbes en question, les périphrases verbales « elle se laisse contempler », « elle se laisse trouver » et « en se faisant connaître la première ».
  • [18]
    Cette orientation, que James M. Reese a été le premier à développer (cf. Hellenistic Influence on the Book of Wisdom and its Consequences, Rome, Editrice Pontificio Istituto Biblico, coll. « Analecta Biblica », n° 41, 1970), n’est cependant pas la seule manière de qualifier le genre du livre, qui relève aussi de l’éloge (c’est l’aspect que Maurice Gilbert a privilégié, cf. « La Sagesse de Salomon et l’hellénisme », dans Maurice Gilbert, op. cit., p. 27-44) ; globalement sapientiel, il intègre en outre des traits apocalyptiques et midrashiques.
  • [19]
    L’emploi de ce mot rappelle PrLXX 3,15 (cf. David-Marc d’Hamonville, La Bible d’Alexandrie. t. 17 : Les Proverbes, Paris, Cerf, 2000, p. 177).
  • [20]
    Ce terme a des résonances bibliques fortes qui le chargent d’un sens théologique complexe et déjà bien élaboré, comme le montre bien Chrysostome Larcher, op. cit., p. 420-421.
  • [21]
    Ce mot permet à l’auteur de suggérer de manière imagée le fait que la sagesse sert de médiation entre l’homme et Dieu : en 9,4 elle est « parèdre » du trône divin.
  • [22]
    Cette parabole pourrait être prise comme un parfait exemple de « sérendipité », dont un des sens possibles est le fait de trouver ce que l’on cherchait d’une manière inattendue ; à ce sujet, voir l’étude de Sylvie Catellin, Sérendipité. Du conte au concept, Paris, Seuil, 2014. Pour l’aspect théologique, voir Marie-Hélène Robert, « Sagesse biblique et révélation trinitaire dans l’annonce du salut », dans Marie-Hélène Robert et alii (éd.), Sagesse biblique et mission, Paris, Cerf, 2016, p. 238-241.
  • [23]
    Comme par exemple Chrysostome Larcher, op. cit., p. 421. Karl L. W. Grimm argumente de manière assez convaincante en sens contraire et estime que, si l’on comprend bien le sens des mots, le stique est parfaitement relié à ce qui précède en ce qu’il « expliqu[e] […] comment déjà le simple souhait de la sagesse amène avec soi la possession de celle-ci » (Commentar über das Buch der Weisheit, Leipzig, Hochhausen und Fournes, 1837, p. 155).
  • [24]
    C’est la traduction la moins mauvaise de ce verbe grec sans équivalent satisfaisant en français.
  • [25]
    Un verset de la prière du chapitre 9 éclaire bien le sens de 15a : l’auteur demande la sagesse, car « même si quelqu’un est parfait parmi les fils des hommes, s’il lui manque la sagesse qui vient de toi, il sera compté pour rien » (9,6) ; la perfection de l’intelligence n’est pas fermeture sur soi, mais sagesse, c’est-à-dire ouverture sur l’altérité de Dieu et dynamique relationnelle.
  • [26]
    Le parallélisme entre « sur les chemins » 16b, et « en toute pensée » 16c (relevé par Karl L. W. Grimm, op. cit., p. 156, ou encore Alfred T. S. Goodrick, The Book of Wisdom, Londres, Rivingtons, 1913, p. 175) suggère en outre une généralisation (peut-être aussi entraînée par le retour au pluriel ?) : il ne s’agit plus seulement du moment de la rencontre tel que l’envisageait le v. 14 (l’unicité d’un tel moment, d’ailleurs, relève pour une part d’un schématisme fictionnel propre à la parabole, qui lui permet de fixer l’idée de manière plus saisissante), mais d’une sorte de compagnonnage habituel (cf. Chrysostome Larcher, op. cit., p. 423-424).
  • [27]
    On peut appliquer à notre péricope les remarques de Michael Kolarcik à propos de l’ensemble de la première partie (1,1 – 6,21), dont la structure est à la fois concentrique et dynamique : « Les unités parallèles ne se reflètent pas simplement l’une l’autre. [… Les] différences entre les unités parallèles donnent l’espace pour un développement et une dynamique (momentum) au sein de la structure concentrique » ; la meilleure image est finalement celle d’une « spirale en mouvement » (op. cit., p. 63).
  • [28]
    Ici apparaît donc déjà le paradoxe de la puissance miséricordieuse de Dieu, essentiel au propos du livre, et auquel l’auteur consacrera plus loin un long développement (cf. 11,17 – 12,18).
  • [29]
    Chrysostome Larcher signale quelques occurrences de cette forme pléonastique (phthaneïn suivi d’un participe auquel est adjoint le préfixe pro-) dans la littérature grecque classique (op. cit., p. 420).
  • [30]
    C’est là une forme développée de la précédente, dans laquelle l’infinitif actif « connaître » a déjà, en français, un sens passif.
  • [31]
    Pace Hans Hübner, qui estime que la sagesse, avant qu’on la désire, « a déjà fait le principal (das Entscheidende) », et qu’« elle détermine (bestimmt) déjà celui qui la cherche avant sa recherche » (op. cit., p. 86).
  • [32]
    Cf., à ce sujet, Chrysostome Larcher, Études sur le Livre de la Sagesse, Paris, Gabalda, 1969, p. 101-103.
  • [33]
    Bruce K. Waltke et Michael Patrick O’Connor, An Introduction to Biblical Hebrew Syntax, 23,4,f, Winona Lake (Indiana), Einsenbrauns, 1990, p. 389 ; cf. aussi Paul Joüon, Grammaire de l’hébreu biblique, 51c, Rome, Institut biblique pontifical, 1923, p. 115.
  • [34]
    Jean Margain, « Causatif et tolératif en hébreu », Comptes rendus du Groupe Linguistique d’Études Chamito-Sémitiques, XVIII/XXIII, 1974, p. 26.
  • [35]
    Cf. par exemple Gn 18,1 ; Ex 6,3.
  • [36]
    Cf. Bruce K. Waltke et Michael Patrick O’Connor, op. cit., 23,4,g, p. 389-390.
  • [37]
    C’est spécialement le cas quand il s’agit d’expliquer comment l’homme peut « trouver », « voir » ou « connaître » Dieu (pour ce dernier verbe, cf. par ex. Ez 20,5). Mais un passif à nuance tolérative peut aussi s’utiliser, dans d’autres cas, avec un sujet humain, comme par ex. en Qo 12,12 pour l’hébreu (« laisse-toi avertir »), ou en Rm 12,2 pour le grec (« laissez-vous transformer »). Signalons aussi le passif tolératif présent un peu plus loin dans le texte de Sagesse : « laissez-vous instruire » (6,25).
  • [38]
    « Cherchez YHWH pendant qu’il se laisse trouver, appelez-le pendant qu’il est proche. »
  • [39]
    « Je me suis laissé approcher (ou bien : chercher) par/à ceux qui ne me questionnaient pas, je me suis laissé trouver par/à ceux qui ne me cherchaient pas. »
  • [40]
    « Et je me suis laissé trouver par/à vous… »
  • [41]
    « … Si tu le cherches il se laissera trouver par/à toi, mais si tu l’abandonnes, il te rejettera pour toujours… »
  • [42]
    « YHWH est avec vous quand vous êtes avec lui (litt. dans votre être avec lui). Si vous le cherchez, il se laissera trouver par/à vous, mais si vous l’abandonnez, il vous abandonnera. » (2) ; « … et il se laissa trouver par/à eux. » (4.15).
  • [43]
    Tout le passage, en mettant au premier plan la figure de la sagesse et en se concentrant sur le monde de l’intériorité, développe l’idée de « bonté » et de « simplicité de cœur » qui, dès le v. 1, qualifient l’attitude demandée au lecteur (cf. 1,1b-c.3a-b.4a.5b) ; cf. 2 Ch 15,12.15.
  • [44]
    Cf. l’emploi de ce verbe en Mt 27,53. Friedrich V. Reiterer interprète les deux verbes comme des « moyens-réflexifs », sans toutefois noter la nuance qui les distingue, « Philosophische Lehre und deren Wirkung aus der Sicht eines Weisheitslehrers. Untersuchung von Weish 1,1-15 », dans Géza G. Xeravits et József Zsengellér (éd.), Studies in the Book of Wisdom, Leiden, Brill, 2010, p. 140, n. 50 et 51.
  • [45]
    La BHS fait l’hypothèse que l’hébreu devrait se lire venir’éti, « je me laisserai/ferai voir », ce qui correspond mieux au grec (cf. Biblia Hebraica Stuttgartensia, Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 1997, ad loc.) ; mais on peut opposer à cette correction le fait qu’il s’agirait là de l’unique occurrence d’une telle traduction : il ne fait aucun doute que les traducteurs auraient rendu l’hébreu venir’éti par ophthèsomaï, ce qui correspond à l’immense majorité des occurrences (plus de 44 fois, cf. Takamitsu Muraoka, A Greek-Hebrew/Aramaic Two-way Index to the Septuagint, Leuven, Peeters, 2010, p. 86).
  • [46]
    Les deux traductions paraissent même interchangeables, comme le suggère Rm 10,20 qui cite Is 65,1 en inversant les deux verbes, que cette inversion soit due à une défaillance de la mémoire de Paul ou à l’existence d’une telle variante à son époque.
  • [47]
    À ce sujet, cf. Xavier Léon-Dufour, Résurrection de Jésus et message pascal, Paris, Seuil, 1971, p. 75-78.
  • [48]
    Ceci semble confirmer l’avis de P. A. Siebesma, qui estime qu’« en hébreu biblique, les notions distinctives de réfléchi-passif-tolératif, telles qu’elles sont applicables dans les langues européennes, ne s’appliquent pas » (The Function of the Niph’al in Biblical Hebrew, Studia Semitica Neerlandica, Assen, Van Gorcum, 1991, p. 170). L’étude de Jean Margain conduit toutefois à une opinion plus mesurée ; certes, il faut se garder de plaquer « sur l’hébreu des catégories étrangères au système de la langue et à la conscience des “hébréophones” de jadis » (art. cit., p. 27), mais ce n’est pas parce que les distinctions en question ne s’expriment pas morphologiquement qu’elles ne sont pas présentes, à titre de nuances induites par le contexte et le sens global du discours. Puisque, dans de nombreux cas, on peut de fait reconnaître au causatif une valeur tolérative, il est permis à une traduction de la donner à voir, à condition de rester bien conscient que le sens du texte n’a pas à être ordonné à une absence d’ambiguïté qui, en réalité, ne vaut que pour le monde du traducteur.
  • [49]
    De Abrahamo, 79-80, trad. Jean Gorez, Paris, Cerf, 1966, p. 56-57 (trad. modifiée).
  • [50]
    « Trouver (heureïn) l’auteur et le père de cet univers est laborieux, et une fois trouvé, le dire à tous est impossible ».
  • [51]
    Le datif, au lieu du complément d’agent introduit par hupo semble indiquer une nuance tolérative ou causative.
  • [52]
    Ici encore au datif.
  • [53]
    Contre Celse, VII, 42, trad. Marcel Borret, t. IV, Paris, Cerf, 1969, p. 114-115 (trad. modifiée).
  • [54]
    Comparez par exemple 1,6 avec 11,27 ; 7,17 ; 8,6 et 14,2 avec 13,1 ; 7,17 avec 7,21. C’est ce rapport d’identité et de différence que 7,25-26 tente d’exprimer en désignant la sagesse comme « haleine », « émanation », « rayonnement », « miroir », « image ».
  • [55]
    Elle n’est pas plus hypostasiée qu’en Proverbes ou Siracide, ainsi que les commentateurs le reconnaissent aujourd’hui ; cf. à ce sujet l’étude approfondie de Martin Neher, Wesen und Wirken der Weisheit in der Sapientia Salomonis, Berlin – New York, Walter de Gruyter, 2004, p. 152-153 et 240.
  • [56]
    Cet emploi étonnant du verbe élegkhô au passif a quelque peu gêné les commentateurs, comme par exemple, récemment, Friedrich V. Reiterer, art. cit., p. 146, note 71. De même, Chrysostome Larcher, Le Livre de la Sagesse, t. 1, Paris, Gabalda, 1983, p. 178, cherche à atténuer le sens passif. Émile Osty, dans la Bible de Jérusalem, traduit le verbe en lui donnant une nuance réfléchie qui en atténue aussi le sens : « elle s’offusque ».
  • [57]
    L’effort de l’homme, logiquement, peut être exprimé comme un mélange, inverse, d’actif et de passif. Ceci ne se produit pas dans notre péricope mais juste avant, quand l’auteur invite en 6,11 les puissants à l’écouter en disant : « désirez et vous serez instruits », on pourrait interpréter le deuxième verbe, païdeuthèsesthé, comme un nifal tolératif signifiant plus précisément « vous vous laisserez instruire », cf. supra, note 37.
  • [58]
    Les mots équivalents en hébreu, ḥokhmah et tevounah, sont toujours employés comme synonymes ou quasi-synonymes en Proverbes, où ils sont constamment mis en correspondance au sein de parallélismes synonymiques, comme c’est le cas en 3,13 par exemple : « Heureux l’homme qui a trouvé la sagesse, et l’homme qui obtient l’intelligence » (cf. aussi 2,2 ; 2,6 ; 3,19 ; 5,1 ; 8,1 ; 24,3) ; l’autre mot rendu par phronèsis, binah, est lui aussi souvent utilisé en parallèle avec ḥokhmah, comme en 4,5 ; 4,7 ; 7,4 ; 9,10 ; 16,16.
  • [59]
    D’après Karl L. W. Grimm, op. cit., p. 154, c’est le cas en 3,15 ; 4,9 ; 7,7 et 8,21.
  • [60]
    Comme en 6,15 ; en 8,7, comme vertu cardinale, elle est enseignée par la sagesse.
  • [61]
    Selon la grande majorité des commentateurs, c’est le mot « sagesse », présent deux versets auparavant et dans tout le développement précédent, qu’il faut ici sous-entendre comme complément du nom « possesseur ».
  • [62]
    Commentant 8,21, Karl L. W. Grimm varie par rapport à ce qu’il affirme au sujet de 6,15 (cf. supra note 59) et écrit : « Ici, phronèsis ne peut être synonyme de sophia, puisqu’elle est déjà attribuée à l’auteur avant la possession de cette dernière, mais plutôt quelque chose d’analogue à la sophia, qui la prépare… » (op. cit., p. 225).
  • [63]
    L’expression « cela aussi » renvoie en effet au bilan des versets précédents (8,17-18), qui évoquent la réflexion personnelle qui a conduit l’auteur à chercher la sagesse : c’est bien l’intelligence qui, avant le don, comprend aussi que la sagesse ne peut être qu’un don. Il faut, selon nous, nuancer ce qu’écrit Paul Heinisch, op. cit., p. 177 : « À partir de sa propre force, l’homme ne peut même pas reconnaître que la sagesse est une grâce de Dieu. Celui-ci doit d’abord l’illuminer et le pousser à la demander. C’est ainsi que la sagesse elle-même vient au devant de l’homme (6,13.15) ».
  • [64]
    C’est ce que pensent, à la suite de Paul Heinisch (cf. note précédente), Hans Hübner (op. cit., p. 123, cf. supra note 31) ou Helmut Engel (Das Buch der Weisheit, Stuttgart, Verlag Katholisches Bibelwerk, 1998, p. 145-146). Selon nous, l’auteur renvoie plutôt aux capacités naturelles qu’il vient de décrire en 8,19-20 et dont l’insuffisance le pousse à prier. Ce bon naturel, euphuïa (8,19), il l’a bien sûr reçu mais, pour expliquer comment, il semble vouloir éviter d’utiliser le registre du don (réservé à la sagesse qu’il va demander) et préfère dire qu’il l’a « reçu par le sort » : élakhon. L’interprétation que Giuseppe Scarpat donne de ce mot nous paraît forcée et sans réel appui dans le texte : « Le verbe élakhon indique la gratuité du don d’être une âme bonne, non pas tant une causalité qu’une grâce sans mérite concédée par Dieu », Libro della Sapienza, vol. 2, Brescia, Paideia Editrice, 1996, p. 174. De même, Luis Alonso Schökel, commentant 6,12-21, cherche à atténuer l’idée que l’intelligence en est venue par elle-même à désirer la sagesse : « Le premier désir de l’homme a déjà été suscité par [la sagesse], ce qui est premier, c’était une présence sans figure, en forme de splendeur (“est brillante”), qui illumine et attire. » (op. cit., p. 118) ; pourtant le texte, à aucun moment, ne dit explicitement que l’auteur a été « attiré » par le caractère brillant de la sagesse, noté au v. 12. La gêne des commentateurs s’explique en réalité par des précompréhensions dépendant d’élucidations théologiques ultérieures ; mais l’auteur de Sagesse, lui, tâtonne encore, comme en témoignent ses hésitations dans l’emploi du concept difficile de nature (cf. 7,1-6 ; 8,19 ; 12,10 ; 13,1.6.8).
  • [65]
    Commentant 8,21, John J. Collins note subtilement : « Ce n’est pas un raisonnement platonicien, mais pas non plus une révélation apocalyptique. La sagesse aide les facultés naturelles de raisonnement, elle ne les remplace pas simplement d’en haut » (« La reinterpretazione delle tradizioni apocalittiche nella Sapienza di Salomone », dans Giuseppe Bellia et Angelo Passaro [éd.], op. cit., p. 164).
  • [66]
    On peut, par exemple, comparer la description de la sagesse que fournit le long titre des Proverbes avec la définition stoïcienne qui en est donnée en 4 M 1,16.
  • [67]
    Le parallélisme poétique, en particulier, permet de ne pas trancher quand une seule réalité montre divers aspects mêlés.
  • [68]
    Selon Michael Kolarcik (op. cit., p. 29-34), qui s’appuie sur des distinctions empruntées à Paul Ricœur (« Biblical Hermeneutics », Semeia, n° 4, 1975, p. 29-145, trad. française dans Paul Ricœur, L’herméneutique biblique, Paris, Cerf, 2010, p. 147-255, cf. en particulier p. 217-252), l’utilisation constante de l’ambiguïté dans le livre est aussi fondamentalement liée au caractère poético-religieux du discours, qui ne cherche pas seulement à persuader par mode d’argumentation, mais aussi par mode de présentation, en utilisant le pouvoir de « redescription » propre aux techniques poétiques ; l’équivoque, l’ambiguïté, la métaphore, les expressions-limites comme le paradoxe proposent un monde en rupture avec l’expérience ordinaire.
  • [69]
    Selon Box et Osterley, cités par Alexander A. Di Lella, The Wisdom of Ben Sira, New York, Doubleday, coll. « The Anchor Bible », n° 39, 1986, p. 146, le v. 26 « offre un bon exemple de combinaison de la grâce et de la volonté libre ».
  • [70]
    André Barucq relève bien le renversement qui se produit dans le texte : « La seconde partie (v. 6-9) invite à faire le chemin inverse. Yahweh une fois trouvé, s’avère être la source de toute sagesse, science et intelligence. » (Le Livre des Proverbes, Paris, Gabalda, 1964, p. 35).
  • [71]
    Cette expression s’inspire de Philon, qui écrit dans le De Praemiis, 41 et 43 (trad. A. Beckaert, Paris, Cerf, 1961) : « S’il en est qui ont été capables de se représenter par science le créateur et guide de l’univers, ils ont – comme on dit – procédé de bas en haut […] comme par une échelle céleste, induisant par un raisonnement vraisemblable le démiurge à partir de ses œuvres. »
  • [72]
    Le tiraillement identitaire propre au judaïsme de diaspora, spécialement en Égypte et en Syrie, explique qu’il ait eu besoin de mêler, autant que possible, l’héritage biblique et ce qu’il estimait le meilleur de la culture hellénistique. Selon John J. Collins, la « tentative de combiner la théologie naturelle, à travers le medium de la philosophie grecque, avec la tradition biblique, donne le ton d’une bonne part de la théologie occidentale jusqu’aux temps modernes » (Jewish Wisdom in the Hellenistic Age, Louisville, Kentucky, Westminster John Knox Press, 1997, p. 231).

1Parmi les thèmes habituels de la littérature sapientielle, qui concernent les différents aspects de la vie bonne que la sagesse permet de mener, il en est un qui, en quelque sorte, se situe en amont de tous les autres, celui de la recherche de la sagesse elle-même. Dans les Proverbes, les appels répétés à écouter l’enseignement expriment l’effort attendu de la part du disciple dans cette recherche. Pour l’encourager et le responsabiliser à la fois, on l’assure que cet effort, s’il l’accomplit, ne peut manquer d’aboutir à un heureux résultat [1], car la sagesse, de son côté, fait tout pour se rendre accessible. Par le truchement de la personnification, on la montre soit postée dans les lieux publics et fréquentés, lançant son invitation au tout-venant, visible et audible de tous [2], soit prête à recevoir chez elle, dans la maison qu’elle a bâtie, tous ceux qui veulent goûter son festin symbolique [3]. Ben Sira reprend le thème [4], mais semble un peu moins optimiste quant à l’accessibilité de la sagesse [5] et préfère insister sur les difficultés qui attendent le disciple : à lui surtout de la suivre sur ses chemins et de veiller, voire camper, devant sa maison [6], s’il veut que sa recherche soit couronnée de succès. La Sagesse de Salomon, elle aussi, propose un développement sur le même sujet ; là encore, effort du disciple et accessibilité de la sagesse sont les deux aspects complémentaires de la réflexion. Mais ce qui frappe immédiatement, c’est l’insistance de l’auteur sur la facilité de la recherche : le disciple, selon lui, n’a qu’à désirer la sagesse pour qu’elle se donne immédiatement à lui, car c’est elle qui, en réalité, s’est déjà déplacée pour venir à sa rencontre. Voici le poème :

6,12a. Brillante et immarcescible est la sagesse
b. et facilement elle est contemplée par ceux qui l’aiment
c. et elle est trouvée par ceux qui la cherchent ;
13. elle devance ceux qui la désirent en étant préconnue.
14a. Celui qui s’est levé tôt pour elle ne peinera pas,
b. car il la trouvera assise à sa porte.
15a. Car penser à elle avec désir est la perfection de l’intelligence.
b. Et celui qui a veillé à cause d’elle sera vite sans souci ;
16a. parce que ceux qui sont dignes d’elle, elle-même va çà et là les chercher
b. et sur les chemins elle leur apparaît avec bienveillance
c. et en toute pensée elle vient à leur rencontre.
La sagesse n’est donc pas seulement accessible : elle prend l’initiative de la rencontre et va elle-même au devant de l’homme. Cette idée d’une « prévenance » de la sagesse semble bien être la pointe du passage, ce qui conduit certains commentateurs à voir ici une évocation de la « grâce prévenante » [7]. L’expression est bien sûr ultérieure, mais la problématique théologique à laquelle elle renvoie ne paraît pas très éloignée des questions que l’auteur de Sagesse cherche à résoudre. En effet, le passage, s’il insiste si fortement sur la part active de la sagesse dans le processus de la rencontre, n’en évoque pas moins la part de l’homme ; celle-ci semble seulement d’autant plus réduite que celle-là est mise en relief. Ainsi, l’idée d’une prévenance de la sagesse, même si elle remplit aussi, au moins en partie, une fonction rhétorique, ne fait que rendre plus complexe, du point de vue théologique, la question de l’articulation de son initiative avec le désir et l’initiative propres de l’homme. Tel est, selon nous, l’enjeu profond du texte, qui cherche à élucider les modalités de cette articulation : c’est ce que peut montrer une étude précise de sa structure et de sa dynamique, à quoi nous consacrerons le premier temps de notre réflexion, avant d’examiner ses liens avec la première partie et l’ensemble du livre ; nous évoquerons, pour finir, les raisons pour lesquelles le contexte alexandrin de l’auteur, en rendant plus sensible la difficulté d’une telle problématique théologique, a pu en favoriser l’émergence explicite.

Analyse

2Notre péricope se situe au chapitre 6, qui conclut la première partie du livre et amorce la deuxième. L’organisation concentrique de l’ensemble de la première partie (1,1 – 6,21) conduit l’auteur à revenir dans cette section conclusive sur le thème déjà abordé au tout début du livre (1,1-15) : les rois de la terre sont à nouveau invités à pratiquer la justice en cherchant la sagesse [8]. Pour les encourager à se laisser instruire par lui, l’auteur développe deux arguments : d’une part, ils pourront ainsi échapper à la condamnation lors du jugement sévère qui les attend (6,1-11), et, d’autre part, peu d’efforts leur seront nécessaires, car la sagesse en question, heureusement, est facile à trouver (6,12-16). Les v. 17-21 expliquent pour finir, à l’aide d’une forme de raisonnement affectionnée par les stoïciens, le sorite, que la sagesse conduit à la vraie royauté, celle que les justes partagent éternellement avec Dieu. Les derniers versets du chapitre (6,22-25) forment l’introduction de la deuxième partie du livre (6,22 – 9,18) [9]. L’unité littéraire du poème sur la recherche de la sagesse est assez claire, tant du point de vue de sa délimitation que de sa cohérence interne. Aux impératifs adressés aux « tyrans » du v. 11 fait suite sans transition la déclaration solennelle du v. 12 concernant la nature de la sagesse, « brillante et immarcescible », et la deuxième personne disparaît désormais du texte au profit de la troisième : le discours passe alors à l’énonciation de vérités générales et se fait plus gnomique. Le sorite des v. 17-21, en raison de sa forme bien particulière, peut être considéré comme une nouvelle unité. Le v. 16 est donc bien la conclusion de notre passage, dont l’unité est signalée par l’auteur grâce à la répétition du verbe « chercher » au v. 12 et au v. 16, qui produit une inclusion ad verbum[10].

3Cette inclusion est un premier indice de la structure de la péricope. En effet, on peut isoler 12a qui, en proposant une courte description, assez statique, de la sagesse (notez le verbe « être » et les attributs), forme une sorte d’introduction au développement suivant, qui décrit plutôt un processus, à l’aide de verbes d’action [11]. On constate alors que les trois stiques formant les v. 12b-13 ont leur correspondant dans les trois stiques du v. 16 : le participe zètountôn[12] (« ceux qui [la] cherchent ») en 12c se retrouve sous une forme à peine différente en 16a (zètousa, littéralement « [les] cherchant ») ; du point de vue du sens, les verbes théôreïtaï (« elle est contemplée ») en 12b et phantazétaï (« elle apparaît ») en 16b se complètent l’un l’autre ; enfin, 13 et 16c se répondent selon l’idée, dans la mesure où les deux stiques, d’une part, évoquent plus directement le monde intérieur de l’esprit et de la pensée avec les mots prognôsthènaï (« être préconnue », 13) et épinoïa (« pensée », 16c) et, d’autre part, décrivent l’action de la sagesse à l’aide des termes assez proches que sont phthaneï (« elle devance ») et hupanta (« elle rencontre »), qui se recoupent partiellement [13]. Ajoutons que les deux groupes de trois stiques décrivent de la même manière un rapport entre la sagesse et « ceux » qui la cherchent et la désirent, désignés ici par un pluriel généralisant. Au verset 14, ce pluriel disparaît pour laisser la place à un singulier évoquant plutôt l’homme « qui s’est levé tôt pour elle » comme un type ; les deux stiques formant ce verset font de cet homme le héros d’une sorte de parabole miniature, qui parvient très vite à un heureux dénouement. On peut dire la même chose de 15b, qui met en scène un personnage semblable, « celui qui a veillé à cause d’elle », et dont l’histoire, racontée de manière encore plus rapide, se termine elle aussi très bien. Entre ces deux paraboles, le v. 15a énonce une vérité générale concernant le rapport entre intelligence (phronèsis) et sagesse. La péricope révèle ainsi une forme concentrique que l’on peut présenter comme suit :

tableau im1
6,12a. Introduction Brillante et immarcescible est la sagesse b. A et facilement elle est contemplée par ceux qui l’aiment c. et elle est trouvée par ceux qui la cherchent ; 13. elle devance ceux qui la désirent en étant préconnue. 14a. B Celui qui s’est levé tôt pour elle ne peinera pas, b. car il la trouvera assise à sa porte. 15a. C Car penser à elle avec désir est la perfection de l’intelligence. b. B’ et celui qui a veillé à cause d’elle sera vite sans souci ; 16a. A’ parce que ceux qui sont dignes d’elle, elle-même va çà et là les chercher b. et sur les chemins elle leur apparaît avec bienveillance c. et en toute pensée elle vient à leur rencontre.

Segment A (v. 12b-13)

4Dans chacun des trois stiques qui forment le segment A (v. 12b-13), la sagesse est le sujet d’un verbe qui spécifie ses rapports avec ceux qui sont à sa recherche : théôreïtaï (« elle est contemplée »), heuriskétaï (« elle est trouvée ») et phthaneï (« elle devance »), dont le sens est précisé par prognôsthènaï (« en étant préconnue ») ; c’est aussi le cas dans le segment A’ (v. 16). Mais cette comparaison montre immédiatement une différence significative : tandis qu’au v. 16 les verbes périerkhétaï (« elle va çà et là »), précisé par zètousa (« cherchant »), phantazétaï (« elle apparaît ») et hupanta (« elle vient à la rencontre ») sont à la voie active ou moyenne, aux v. 12b-13 les verbes sont clairement conjugués au passif ; bien sûr, ce n’est manifestement pas le cas du dernier, phthaneï, mais, dans la mesure où l’infinitif passif qui suit, prognôsthènaï, lui donne son contenu propre (tout comme, de manière plus courante, un participe serait censé le faire [14]), il prend lui aussi une nuance passive. La structure syntaxique complexe de ce dernier stique, qui s’efforce de mêler les voix active et passive, indique de manière condensée le sens dans lequel il faut comprendre la structure de la péricope dans son ensemble, qui cherche à exprimer la rencontre entre l’homme et la sagesse comme le résultat de leurs initiatives respectives. Ainsi, dans le segment A, la sagesse est bien le sujet des verbes, mais la tournure passive fait de l’homme l’agent de l’action qu’ils expriment : quant au sens, c’est en fait la sagesse qui est l’objet de la contemplation (12b), de la découverte (12c) et de la « préconnaissance » (13) de l’homme ; le segment A’, dans lequel la sagesse est sujet de verbes à l’actif qui ont clairement l’homme pour objet, apparaît alors comme le complément du segment A, en ce que la rencontre est cette fois envisagée du point de vue inverse : c’est la sagesse qui cherche et trouve l’homme (16a), lui apparaît (16b) et vient à sa rencontre (16c) [15]. Mais dès le début, l’auteur tente visiblement de nuancer la complémentarité des deux mouvements [16], qui risquerait de suggérer une égalité entre l’homme et la sagesse, alors que celle-ci est chargée de représenter le pôle divin de la relation. Ainsi s’explique la tournure passive des deux premiers stiques et, dans le troisième, le sens complexe, quasi contradictoire, de l’expression « devancer en étant préconnue » [17]. Cependant, cette complexité syntaxique n’est pas seulement due au problème théologique de fond que révèle la structure de la péricope. À un niveau plus explicite, elle est aussi liée à l’orientation protreptique du discours [18] : il s’agit surtout pour l’auteur d’encourager à chercher la sagesse, en insistant sur la facilité de cette recherche ; si la sagesse est « facilement » (12b) [19] trouvée, c’est parce qu’elle n’est pas seulement l’objet mais aussi le sujet d’une recherche et d’une découverte dont l’homme est en quelque sorte le « complément d’agent ». Dans l’action de l’homme, c’est elle qui, d’une manière mystérieuse, est déjà à l’œuvre et le « devance ». Toutefois, pour des raisons esthétiques et théologiques à la fois, l’auteur tient pour l’instant à retarder le développement explicite de cette idée jusqu’au segment conclusif du poème, où apparaîtront enfin des tournures clairement actives. La construction mixte du v. 13 est seulement destinée à amorcer la transition.

Segment B (v. 14)

5Peut-être conscient de la difficulté que pose la tournure paradoxale du v. 13, l’auteur propose maintenant un autre moyen d’exprimer sa réflexion, en la transposant dans le genre du récit. Précédemment, l’initiative humaine était signifiée par les compléments d’agent agapôntôn (« ceux qui [l’]aiment ») et zètountôn (ceux qui [la] cherchent ») au v. 12 et par le complément d’objet épithumountas (« ceux qui [la] désirent ») au v. 13 ; elle est maintenant envisagée comme sujet à part entière, et mise en scène comme un personnage, celui de l’homme « qui s’est levé tôt », c’est-à-dire avant l’aurore, pour (ou vers) la sagesse, c’est-à-dire pour la chercher (orthrisas ep’autèn) [20]. La sagesse est donc cette fois-ci franchement l’objet de la recherche, et d’une recherche dont le caractère actif, urgent et appliqué est souligné par l’effort qu’implique le fait de « se lever tôt » : ainsi sont bien mis en relief la réalité et le sérieux de la volonté et de l’initiative humaines. Le verbe suggère aussi habilement que la recherche pourra se révéler difficile : s’il faut se lever tôt, c’est que le chemin est supposé long. Une forme d’intrigue est donc nouée dès le début, et l’enjeu dramatique consiste à découvrir comment cette recherche pourra, malgré la difficulté, parvenir à son terme. Or, contre toute attente, un heureux dénouement vient aussitôt clore le récit, à l’aide d’un simple mot : l’homme qui s’est levé tôt « ne peinera pas ». Ainsi, toute difficulté a été surmontée avant même de se présenter réellement. Mais la rapidité de ce happy end ne fait que raviver la curiosité du lecteur, car l’auteur omet volontairement d’en indiquer la cause et les modalités précises, ménageant, pendant une fraction de seconde, un subtil suspense. Introduit par un gar explicatif, l’énoncé de cette cause ne se fait cependant pas longtemps attendre : l’homme ne peinera pas « car il trouvera [la sagesse] assise (parédron) [21] à sa porte ». Il n’est pas nécessaire de raconter la réaction de l’homme, car l’effet de surprise que cette habile mise en scène est censée produire sur le lecteur a pour but de lui faire ressentir directement l’étonnement du personnage : finalement, c’est l’objet de la recherche qui la fait lui-même aboutir.

6Cependant, cette explication du succès « facile » de l’homme (cf. v. 12b), si elle met un terme au récit de sa recherche, ouvre en même temps une perspective nouvelle et inattendue, celle d’un autre récit présent en filigrane qui, pour l’instant, n’est que suggéré par le dénouement et demeure donc implicite, mais sera clairement développé un peu plus loin, dans le segment final, au v. 16. Cet autre récit, qui naît du questionnement attendu de la part du lecteur (pourquoi la sagesse était-elle déjà là, assise à la porte de l’homme ?) est parfaitement renversé par rapport au premier : son intrigue prend pour point de départ l’initiative de la sagesse elle-même, partant à la recherche de l’homme. Son dénouement rejoint exactement celui du récit précédent, et se produit aussi en surmontant une difficulté : arrivée à l’entrée de la maison de l’homme, la sagesse a dû constater que sa porte était fermée ; elle s’est alors assise pour attendre. Mais finalement, comme précédemment, c’est l’objet de sa recherche qui la fait lui-même aboutir : l’homme ouvre sa porte et la rencontre peut ainsi se produire. La symétrie est parfaite, hormis peut-être concernant la surprise, puisque, comme nous l’apprend la suite du texte, la sagesse, même si elle a attendu que l’homme ouvre et n’a ni frappé à sa porte ni ne l’a ouverte elle-même, n’avait pas orienté sa recherche au hasard (cf. v. 16a).

7Au moyen du récit, le segment B parvient donc à exprimer de manière saisissante la complexité du problème théologique. La parabole, d’une concision extrême, développe et articule avec la plus grande précision possible les deux aspects de la réflexion engagée depuis le début : d’une part, la nécessaire complémentarité des deux initiatives, qui n’aboutissent chacune que grâce à l’autre, et, d’autre part, la non moins nécessaire asymétrie de la relation, qu’illustrent ici la prévenance de la sagesse et la facilité qui en résulte pour la recherche de l’homme. L’originalité de l’auteur, à cet égard, est bien visible si l’on compare le texte avec ses précédents bibliques : en Si 14,20 – 15,10 par exemple, l’homme doit rechercher avec attention les traces d’une sagesse qui ne se donne pas facilement, presque comme le ferait un chasseur sur la piste d’un animal sauvage (cf. 14,22). Il doit faire tous ses efforts pour l’apercevoir en guettant les entrées de sa maison, pour finalement établir son campement contre ses murs (cf. 14,24s). Comme en Pr 9,1-6, le discours de Ben Sira se focalise sur la maison de la sagesse, dont la dignité exige que l’on vienne à elle et non l’inverse. Dans Sagesse, au contraire, la focalisation porte sur la maison de l’homme du début à la fin, puisque celui-ci n’a même pas eu le temps d’en sortir pour atteindre son but. Pourtant, de manière subtile, cette focalisation met autant en valeur le rôle actif de l’homme que celui de la sagesse ; en effet, en situant la totalité de l’action dans l’espace propre de l’homme, l’auteur fait ressortir la bienveillance active de la sagesse, qui va jusqu’à se déplacer elle-même au lieu d’attendre d’être trouvée chez elle ou ailleurs, et fait tout ce qui lui est possible pour atteindre l’homme, sans toutefois le forcer, autrement dit sans ouvrir elle-même sa porte [22].

Segment C (v. 15a)

8Le v. 15a, qui constitue le segment central du poème, semble à première vue sortir du cadre narratif installé par la parabole du segment B, au point que certains n’y ont vu qu’une parenthèse [23]. Il est vrai que le caractère abstrait du verbe enthumèthènaï (« penser avec désir » [24]) et de l’expression phronèséôs téléiotès (« perfection de l’intelligence ») rappelle plutôt les éléments présents dans le segment A, en particulier au v. 13, où le participe épithumountas faisait déjà apparaître l’idée de désir. Pourtant la conjonction gar relie fortement le stique à ce qui précède, comme pour y ajouter une explication. Si l’on tient compte de ces deux observations, on peut considérer que l’auteur cherche ici à renforcer la continuité de son texte en éclairant la parabole du segment B à l’aide de la réflexion engagée dans le segment A. En effet, « penser avec désir » renvoie aussi bien à l’attitude de ceux qui cherchent et désirent la sagesse (v. 12c-13) qu’à celle de l’homme qui s’est levé tôt pour elle (v. 14a). La « perfection de l’intelligence », quant à elle, désigne en fait l’achèvement d’un processus qui, en l’occurrence, ne peut être que celui de la recherche évoquée de manière conceptuelle en 12c puis de manière narrative en 14a ; l’expression équivaut alors à « trouver la sagesse ». Ce segment C fournit donc bien une explication de ce qui précède, en donnant une réponse, non narrative, à la question soulevée par la présence inattendue de la sagesse que l’homme « trouve » devant sa porte en 14b : elle est déjà là, « car » se mettre à sa recherche, c’est déjà l’avoir trouvée. La circularité d’un tel raisonnement, qui pourrait laisser penser que les capacités humaines suffisent pour atteindre la sagesse, puisque la désirer, c’est être déjà sage, est tempérée par le choix du mot « intelligence », qui en est un quasi-synonyme et permet d’envisager la sagesse sous un double aspect, l’un accessible à l’homme et l’autre au-delà de lui. L’intelligence devient sagesse quand elle se fait désir, c’est-à-dire comprend son propre accomplissement non comme l’assimilation d’un objet recherché mais comme une relation avec une altérité à la fois au-delà et en amont d’elle-même, une relation avec un sujet qu’elle ne rencontre que dans la mesure où lui-même la recherche. La rencontre est immédiate car le désir même qui la motive est l’ouverture d’un espace relationnel dont la possibilité, en fait, le précède. C’est ce que signifie la prévenance de la sagesse : le pas encore de la recherche est aussi bien le déjà là de la découverte.

9Ajoutons que l’explication fournie par le segment C permet de faire ressortir un autre aspect du symbolisme de la parabole du v. 14 et confirme sa précision : l’histoire de l’homme qui rencontre la sagesse au moment même où il sort de chez lui pour la chercher exprime parfaitement l’idée que l’entrée dans la relation est en fait une sortie de soi, c’est-à-dire une reconnaissance des limites de l’intelligence autonome symbolisées par l’espace clos de la maison. Le désir de la sagesse est une porte qui s’ouvre sur l’extérieur [25].

Segment B’ (v. 15b)

10Sans transition, le segment B’ revient au genre narratif du segment B, auquel il est strictement parallèle, et ouvre ainsi l’autre versant de la structure concentrique du poème. Un simple « et » réintroduit le lecteur dans le contexte de la parabole du v. 14 : on retrouve les mêmes personnages, un homme et la sagesse, mais cette fois-ci l’homme, plutôt que de se lever tôt, « veille » ; c’est là simplement une autre manière de suggérer pareillement l’effort que suppose sa quête, en utilisant le même registre. Comme précédemment, ce rapide récit se termine parfaitement bien, puisque l’homme est « vite sans souci » ; et l’auteur, de la même manière, diffère un instant l’énoncé de la cause de ce succès. Au lieu toutefois de donner l’explication dans un stique supplémentaire, comme dans le segment B, il la réserve au segment final, ce qui permet de clore la structure en évitant les répétitions.

Segment A’ (v. 16)

11L’explication de la facilité de la recherche forme tout le contenu du v. 16. Puisqu’elle vaut à la fois pour le segment B’ et pour le poème entier, elle est cette fois introduite par la conjonction de subordination hoti (« parce que »), plus forte que le simple « car » de 14b. Il s’agit, bien sûr, de la prévenance de la sagesse, mais son initiative est maintenant franchement développée, à l’aide d’une série de trois stiques destinée à donner son pendant au segment A, dont on retrouve le ton gnomique. Le personnage type des deux paraboles disparaît lui aussi au profit du pluriel généralisant utilisé au début du poème. La sagesse est à nouveau le sujet de trois verbes dont le sens est ici clairement actif, à l’inverse de ceux du segment A.

12Le premier, périerkhétaï (« elle va çà et là »), forme une unité de sens avec le participe qui l’accompagne, zètousa (« cherchant »), et tous deux répondent clairement à zètountôn (« ceux qui [la] cherchent »), qui désignait l’action des hommes au v. 12c. La mention de la recherche active effectuée ici par la sagesse « elle-même » (hautè) et non plus par les hommes vient en même temps compléter la forme passive qui était donnée à son action en 12c, où elle « était trouvée », tout en expliquant pourquoi il en est ainsi. Inversement, les hommes qui, là, étaient agents de l’action, se retrouvent ici en position d’objet. Au deuxième stique, phantazétaï (« elle apparaît ») correspond quant à lui à théôreïtaï (« elle est contemplée ») en 12b, et le complète. L’idée est simple et, là encore, fait se répondre l’aspect passif et l’aspect actif du comportement de la sagesse : elle « est contemplée » par les hommes qui l’aiment parce qu’elle « leur apparaît ». Le dernier stique, 16c, exprime à nouveau l’initiative de la sagesse, mais en atténuant le registre imagé de la recherche et du voir, pour viser de manière plus abstraite, comme au v. 13, la réalité mentale qui est en question. Il s’agit bien encore d’un mouvement de la sagesse, d’un déplacement qu’elle effectue, d’une « rencontre » qu’elle provoque, mais c’est dans la « pensée » que cela se passe et même « en toute pensée » [26].

13La composition d’ensemble de la péricope, particulièrement minutieuse, a pour but de donner à voir dans la forme même du discours la problématique de son contenu : il s’agit bien d’art littéraire, et non d’un simple artifice. L’idée que la sagesse est trouvée facilement parce qu’elle est prévenante, thème essentiel du poème, est exposée au moyen d’une progression linéaire : le segment A’ dit plus que le segment A ; mais la structure concentrique donnée à l’ensemble permet en même temps d’articuler cette idée avec celle de la responsabilité humaine, qui correspond à l’orientation éthique de toute la première partie du livre, placée sous l’horizon du jugement eschatologique [27]. L’argument de la facilité, en effet, prend sens dans le cadre d’un encouragement, d’une exhortation, qui font appel à l’initiative de l’homme. Le salut auquel conduit la sagesse ne peut être que le produit d’une rencontre, d’une relation. La structure concentrique a donc un sens directement théologique : aux deux extrémités, l’auteur décrit alternativement l’aspect passif de la sagesse correspondant à l’aspect actif de l’homme et l’aspect actif de la sagesse correspondant à l’aspect passif de l’homme. Mais ce ne sont là que les points de départ opposés de deux trajectoires qui ne trouvent leur sens que dans leur jonction ; aussi nécessaires l’une que l’autre, les deux initiatives sont en même temps nécessaires l’une à l’autre pour que la rencontre puisse se produire. Cette complémentarité est encore suggérée dans le segment final, qui est pourtant dominé par la description de la part active de la sagesse : elle va chercher « ceux qui sont dignes d’elle » (v. 16a), c’est-à-dire ceux qui déjà la désirent et la recherchent. Ainsi, sa prévenance, tout en renvoyant à l’asymétrie fondamentale de la relation, peut être articulée à la complémentarité dans la mesure où elle est décrite comme, en quelque sorte, une disponibilité maximale. L’asymétrie n’est pas liée à une puissance dominatrice, mais « bienveillante », comme le suggère le v. 16b. On peut en effet remarquer que l’auteur a tenu à renforcer encore la correspondance entre les segments extrêmes du texte en y introduisant deux adverbes dont les sonorités se font écho : si la sagesse « est contemplée facilement (eukhérôs) par ceux qui l’aiment » (v. 12b), ce n’est pas parce qu’elle s’impose, mais parce qu’elle « leur apparaît avec bienveillance (euménôs) » (v. 16b), donc sans les forcer [28].

Le contexte littéraire

Le lien entre Sg 6,12-13 et Sg 1,2

14Jusqu’à présent, nous avons vu comment la problématique théologique du texte s’exprime à travers sa forme littéraire. Mais la structure concentrique, en jouant sur les possibilités syntaxiques offertes par l’usage avisé des voix active et passive, montre que cette problématique renvoie, plus fondamentalement, à la question des possibilités du langage. De ce point de vue, un aspect important n’a pas encore été abordé : celui de la traduction. Or, il révèle que la complexité du problème se reflète jusque dans la morphologie. L’auteur exploite en un sens théologique l’ambiguïté de formes verbales que les langues européennes, trop précises, ne peuvent rendre de manière adéquate.

15Nous avons considéré les verbes du segment A comme des formes passives, en remarquant néanmoins que le troisième de la série, phthaneï prognôsthènaï (« elle devance en étant préconnue », v. 13) montrait un curieux mélange d’actif et de passif, dont le sens est mentalement difficile à fixer ; c’est pour laisser voir cette difficulté que nous avons préféré respecter la forme passive de prognôsthènaï au lieu de suivre les traductions habituelles, qui proposent : « en se faisant connaître la première ». En effet, la périphrase verbale employée par l’auteur a manifestement pour but d’exprimer l’idée que l’on ne peut connaître la sagesse que parce qu’elle s’offre elle-même à la connaissance ; le passif « être connu » ne peut à lui seul exprimer la relation dont nous avons exploré les modalités, car il renvoie uniquement à l’initiative humaine : c’est bien l’homme qui connaît. Or, son initiative est précédée par celle de la sagesse, ce que signifie le verbe phthaneï (« elle devance »). Mais ce couplage d’un verbe à l’actif et d’un verbe au passif est apparemment insuffisant : l’auteur veut introduire ce mélange jusque dans le verbe même qui exprime l’action de connaissance, en adjoignant à l’infinitif passif gnôsthènaï le préfixe pro-, qui vient alors redoubler le verbe principal phthaneï[29] en insistant sur la priorité du sujet qui subit l’action d’être connu ; ces efforts semblent donc exiger que l’infinitif passif soit plutôt à traduire comme un réfléchi causatif (« en se faisant connaître la première » ou « à l’avance ») ou, mieux, comme un passif-réfléchi causatif (« en se faisant être connue la première » ou « à l’avance » [30]). Mais de quelle priorité s’agit-il ? Elle ne peut être à proprement parler temporelle, comme si l’on avait affaire à une connaissance en deux étapes (la sagesse se fait connaître avant d’être connue), car si c’était le cas, cette préconnaissance apparaîtrait comme la cause du désir de l’homme, et lui ferait perdre, du même coup, la consistance nécessaire à la complémentarité des initiatives que tout le passage cherche pourtant à exprimer ; en effet la sagesse irait çà et là chercher ceux qu’elle a elle-même rendus dignes qu’elle les cherche [31]. De plus, en tant qu’expression du pôle divin de la relation, la sagesse devance éternellement l’action de l’homme ; et l’éternité, sans proportion avec le temps, ne peut, au sens strict, le devancer puisqu’elle ne se situe pas avant lui. Il faut alors reconnaître que le registre temporel introduit par phthaneï et par le préfixe pro- a une fonction métaphorique anticipant le cadre narratif de la parabole qui suit immédiatement au v. 14 ; conscient, d’ailleurs, que la temporalité doit y jouer un rôle illustratif, l’auteur forge un récit qui se déroule dans un temps le plus court possible. En fait, la priorité en question est plus métaphysique que temporelle : il s’agit d’aider à se représenter une forme de connaissance qui diffère non seulement de la connaissance d’un objet assimilable par un sujet qui est lui seul actif, mais aussi de la connaissance mutuelle de deux sujets égaux, qui sont à la fois sujet actif et objet passif de la connaissance qu’ils ont l’un de l’autre. Une telle complémentarité est bien sûr nécessaire, comme nous l’avons vu, à la connaissance relationnelle visée par l’auteur, mais elle est articulée, c’est là son originalité, à une asymétrie selon laquelle l’homme est par définition plus connu que connaissant et la sagesse plus connaissante que connue. C’est cette articulation paradoxale qu’il tente d’exprimer au moyen d’une forme verbale elle-même nécessairement paradoxale, qu’on peut alors interpréter comme un passif-réfléchi causatif et traduire « en se faisant connaître la première ».

16Cet aspect causatif, assez clair au v. 13 en raison de l’actif phthaneï et du préfixe pro-, influence l’interprétation des verbes présents dans les deux stiques précédents : bien qu’ils aient une forme passive, théôreïtaï (« elle est contemplée ») en 12b et heuriskétaï (« elle est trouvée ») en 12c sont généralement traduits : « elle se laisse contempler » et « elle se laisse trouver ». Ces formes, moins causatives, correspondent à ce qu’on appelle le passif-réfléchi tolératif, et nous renvoient au substrat biblique qui sous-tend constamment l’expression grecque de l’auteur [32]. En hébreu, le nifal tolératif, selon Bruce K. Waltke et Michael Patrick O’Connor, « combine l’idée de réfléchi et l’idée de permission » [33] ; il n’est pas le pendant passif-réfléchi du qal (actif), mais plutôt une forme passive-réfléchie du hifil (causatif). En effet, selon l’expression de Jean Margain, le tolératif est « une atténuation du causatif » [34], c’est-à-dire qu’il occupe une position intermédiaire entre le passif à proprement parler, qui exprime le cas où le sujet subit sans en avoir la volonté l’action de l’agent exprimée par le verbe (dans ce cas, par exemple, le sujet « est vu ») et le passif-réfléchi causatif, qui dénote la volonté du sujet de subir l’action (dans ce cas, le sujet « se fait voir », ou plus précisément « se fait être vu » [35]) ; le mélange des deux exprime alors la permission donnée par le sujet de subir l’action, ce qui équivaut à une demi-volonté, grâce à laquelle l’action peut s’accomplir [36] (dans ce cas le sujet « se laisse voir », ou plutôt « se laisse être vu »). Alors que, dans le cas d’un nifal franchement passif, le complément d’agent peut être introduit par be ou le, dans celui d’un nifal tolératif il ne l’est que par le ; ceci se comprend dans la mesure où le propre de cette construction est précisément de donner au complément d’agent l’aspect d’un complément d’attribution, de même que, inversement, le sujet qui subit l’action est présenté comme permettant à l’agent de l’accomplir. Ainsi le caractère passif du sujet de l’action et le caractère actif de son agent sont tous deux tempérés de manière inversement proportionnelle. Ceci se produit en particulier quand le sujet du verbe est Dieu [37], que la piété la plus élémentaire rechigne à se représenter comme subissant l’action de l’homme ; le nifal tolératif permet alors de le désigner comme objet passif de la connaissance de l’homme sans qu’il la subisse, tout en désignant l’homme comme agent d’une connaissance seulement permise. Les traducteurs de la Septante connaissent la spécificité de cet usage, qu’ils retranscrivent en traitant pareillement le complément d’agent comme un complément d’attribution, donc au datif, au lieu d’en faire un génitif introduit par hupo, comme on l’attendrait normalement après un verbe au passif ; c’est le cas dans l’exemple type d’Is 65,1 : nimts’éti le- est rendu en grec : heuréthèn toïs, ce qui équivaut à « je me suis laissé trouver/être trouvé par/à ceux… ». Les périphrases verbales possibles en français, on le voit, ne fournissent pas d’équivalent satisfaisant.

17Sagesse utilise une formulation semblable au tout début du livre, où l’auteur encourage à chercher Dieu « parce qu’il se laisse trouver (heuriskétaï) par/à ceux (toïs) qui ne le mettent pas à l’épreuve, et qu’il se manifeste à ceux qui ne lui refusent pas leur foi » (1,2). Il s’inspire ici de Is 55,6 [38] ; 65,1 [39] et de Jr 29,14 [40], mais glose, semble-t-il, plus précisément, 1 Ch 28,9 [41] et 2 Ch 15,2.4.15 [42], qui ajoutent à ce thème le motif de la nécessité des bonnes dispositions du cœur et de l’âme, et évoquent aussi l’éventualité inverse de l’éloignement de Dieu dû à l’absence de ces mêmes dispositions. En effet, Sagesse insiste ensuite sur les dispositions intérieures qui conditionnent le succès de la recherche [43]. Au v. 2, le passif heuriskétaï suivi du datif retranscrit clairement le nifal tolératif hébreu, comme c’est le cas dans la version grecque des références qu’on vient de citer en 1 et 2 Ch ; mais il est immédiatement développé, en parallélisme synonymique, par le verbe emphanizétaï, un moyen-passif dont le sens se rapproche nettement d’un passif-réfléchi causatif (« il se fait manifeste ») [44] ; l’auteur suit peut-être ici le modèle de Is 65,1 (où emphanès égénomèn, « je suis devenu manifeste », traduit nidrashti, « je me suis laissé chercher », en parallèle à heuréthèn suivi du datif et traduisant nimts’éti, « je me suis laissé trouver ») et de JrLXX 36,14 (où épiphanoumaï, « je me manifesterai », rend le verbe venimts’éti, « je me laisserai trouver », de JrTM 29,14 [45]). Ces passages de la LXX montrent une tendance des traducteurs à utiliser la racine de l’« apparaître » pour traduire le nifal tolératif de « trouver » [46], ce qui pourrait indiquer qu’ils le rapprochent du nifal réfléchi causatif du verbe « voir », comme en Gn 18,1 ou Ex 6,3, où ils utilisent la forme ôphthè, « il se fit voir », rendue célèbre par son usage néotestamentaire [47]. C’est qu’en fait la nuance qui sépare le causatif et le tolératif est aussi subtile que l’est la distinction entre une volonté entière et une demi-volonté, et souvent on ne peut pas décider entre « je me fais » ou « je me laisse » voir, trouver ou connaître [48]. Ces formes comportent une ambiguïté irréductible qui rend impossible une distinction parfaitement claire entre le passif et l’actif ; c’est là précisément leur intérêt pour la question qui nous occupe, car elles permettent de bien cerner sa difficulté : exprimée d’un point de vue logique, il s’agit de la possibilité de penser une relation entre deux grandeurs incommensurables, c’est-à-dire d’articuler complémentarité et asymétrie.

18Voyons, avant de revenir à Sagesse, comment le problème est traité par deux autres auteurs alexandrins, dans des développements qui présentent de fortes affinités avec notre texte. Le premier, Philon, dans un commentaire célèbre de Gn 12,7 (« Dieu se fit voir [ôphthè] à Abraham »), tente de clarifier la manière dont se croisent, dans cette rencontre, les initiatives humaine et divine. Pour lui, Abraham, comme type du sage, a bien effectué une recherche active du vrai Dieu et son âme s’est peu à peu élevée au-dessus du sensible ; mais en raison de la difficulté de cette opération, l’âme d’Abraham

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put à peine saisir, comme par temps clair et pur, la vision de celui qui auparavant était caché et sans forme ; celui-ci, puisqu’à cause de sa philanthropie il ne s’est pas détourné d’elle mais l’a pré-rencontrée (proüpantèsas), [lui] montra sa propre nature, autant qu’était capable de voir celui qui regardait. C’est pourquoi il est dit, non pas que le sage vit Dieu, mais que Dieu « se fit voir » au sage ; et en effet il était impossible que quelqu’un saisisse par lui-même l’être véritable sans que celui-ci se soit lui-même manifesté et montré [49].

20On peut noter ici la volonté de Philon de préserver la priorité de l’initiative divine en ajoutant le préfixe pro- au verbe exprimant la rencontre (hupantaô, utilisé aussi en Sg 6,16), tout comme le fait l’auteur de Sagesse pour tempérer le passif gnôsthènaï en 6,13.

21De la même manière, Origène, en un passage du Contre Celse où il commente Timée 28c [50], cherche à spécifier et à distinguer la part humaine et la part divine ; le problème est, là encore, de préserver la priorité divine malgré la nécessaire complémentarité des initiatives :

22

Mais nous, nous déclarons que la nature humaine ne peut en aucune manière être suffisante pour chercher (zètèsaï) Dieu et le trouver (heureïn) de manière pure, si elle n’est pas aidée par celui qui est cherché (zètouménou), qui est trouvé (heurikoménou : qui se laisse trouver) par/à ceux qui confessent [51], après avoir fait ce qui leur était possible, avoir besoin de lui, qui se manifeste (emphanizontos) lui-même à ceux à qui il juge raisonnable de se faire voir (ophthènaï), autant qu’il est naturel à Dieu d’être connu (ginôskesthaï : se faire connaître) par/à l’homme [52], et à l’âme de l’homme, encore dans le corps, de connaître Dieu [53].

23Les fortes ressemblances lexicales qui rapprochent ce texte des versets de Sagesse que nous examinons permettent de penser qu’Origène, ici, les a certainement en tête.

24La comparaison entre notre péricope et le début du livre suggère que l’auteur de Sagesse, au fond, cherche lui aussi à élucider les modalités de la relation entre Dieu et l’homme. Alors qu’en 1,2 il affirme que Dieu « se laisse trouver à ceux qui ne le mettent pas à l’épreuve et se manifeste à ceux qui ne lui refusent pas leur foi », en 6,12, c’est la sagesse qui « est contemplée par ceux qui l’aiment et est trouvée par ceux qui la cherchent ». Dans le premier cas, le complément d’attribution indique clairement que le passif heuriskétaï est bien un passif-réfléchi tolératif ; mais dans le second, les compléments d’agent conduisent plutôt à interpréter les formes comme strictement passives. Dans la mesure, cependant, où le même verbe « trouver » a pour sujet, alternativement, Dieu et la sagesse, il est compréhensible que les traductions usuelles aient tendance à rapprocher les formes en question. Le fait qu’ailleurs dans le livre, Dieu et la sagesse soient parfois sujets des mêmes attributs, des mêmes verbes ou des mêmes actions [54], indique en effet que l’auteur lui-même veut les confondre et les distinguer à la fois. En tant que la sagesse se distingue de Dieu, elle permet, tout en préservant sa transcendance, d’exprimer sa dimension relationnelle [55], en vertu de laquelle il renonce à exercer sa toute-puissance et laisse ou fait dépendre son action de celle de l’homme ; c’est ce qui se produit dans le cas positif de la rencontre décrite en 6,12-16 (anticipé en 1,1-2), où la sagesse doit attendre l’initiative de l’homme pour se donner à lui, mais aussi dans le cas négatif, évoqué en 1,3-5, où le péché sépare l’homme de Dieu : la sagesse « n’entre pas dans une âme malfaisante ni n’habite dans un corps tributaire du péché », car face à l’injustice, elle « fuit », « se retire », et même « est confondue » [56]. Si l’on rangeait les formes en question sur une échelle de degrés (causatif, tolératif, passif), les deux premières conviendraient plutôt à Dieu et les deux dernières à la sagesse ; de même qu’en 1,2 on peut, concernant Dieu, hésiter entre causatif et tolératif, de même en 6,12 (surtout si l’on tient compte du v. 13), on se situe entre tolératif et passif [57].

Le lien entre Sg 6,15a et Sg 8,21

25Comme on le voit, l’auteur développe son propos théologique en exploitant l’ambiguïté non seulement au niveau syntaxique mais aussi au niveau morphologique. Elle apparaît comme un moyen de préserver une tension qui permet d’articuler les deux dimensions nécessaires et pourtant contradictoires de la relation entre Dieu et l’homme : l’asymétrie et la complémentarité. Il reste à évoquer l’aspect lexical, abordé plus haut dans l’analyse du v. 15a. Pour expliquer la facilité de la recherche, l’immédiateté de la rencontre, l’auteur y propose un raisonnement à la limite de la circularité : le désir de la sagesse (sophia), c’est la perfection de l’intelligence (phronèsis), c’est-à-dire déjà, d’une certaine manière, la sagesse. En effet, les deux mots se distinguent et se recoupent à la fois, en ce que phronèsis est un quasi-synonyme de sophia ; ils ne désignent pas vraiment deux réalités différentes, mais deux aspects complémentaires d’une réalité complexe [58], et l’auteur, à plusieurs reprises, les emploie l’un pour l’autre [59]. Quand il les distingue, c’est selon un rapport hiérarchique qui réserve phronèsis à une forme de sagesse accessible à l’homme [60] et sophia à une forme accomplie de la même sagesse, en tant que c’est Dieu qui la donne. Ainsi l’intelligence, en se faisant désir, atteint sa perfection, c’est-à-dire devient sagesse dans la mesure où elle s’ouvre à la relation avec Dieu. L’ambiguïté lexicale due à cette quasi-synonymie se voit bien dans un passage stratégique du livre, où l’auteur introduit le texte de sa prière pour obtenir la sagesse en expliquant les raisons qui l’ont amené à s’adresser à Dieu : « Mais sachant que je ne serais pas possesseur [de la sagesse] [61] autrement que si Dieu [me la] donnait, – or cela aussi relevait de l’intelligence : savoir de qui est la grâce – je sollicitai le Seigneur et le suppliai, et je dis de tout mon cœur… » (8,21). Le jeu subtil de la quasi-synonymie introduit ici la même difficulté qu’en 6,15a [62]. Faut-il comprendre que l’intelligence, ce « savoir de qui est la grâce », est, par elle-même, devenue désir, relation et sagesse, comme semble l’impliquer la parenthèse [63] ? Dans ce cas, Dieu apparaît complètement soumis à l’initiative propre de l’homme. Cette intelligence doit-elle donc être comprise comme une forme de sagesse inchoative, elle aussi donnée préalablement par Dieu ? [64] Si oui, c’est l’initiative humaine qui cette fois perd sa consistance, puisque Dieu en est à l’origine [65]. Dans les deux cas, non seulement la complémentarité disparaît, et avec elle la relation, mais aussi l’asymétrie, dans la mesure, tout simplement, où une réponse définitive est apportée à la question. En effet, en dernière analyse, il semble que l’impossibilité d’une solution logique univoque soit elle-même l’expression de cette asymétrie, non pas en tant qu’elle serait visée, désignée et circonscrite par le discours théologique et trouverait ainsi une place parmi ses éléments en faisant nombre avec eux, mais en tant qu’elle renvoie, dans l’expérience même de l’aporie, à une extériorité irréductible, à une altérité, celle précisément d’un objet recherché qui se révèle sujet à jamais inassimilable. L’ambiguïté que l’auteur de Sagesse, autant que possible et par divers moyens, s’efforce d’entretenir, permet au mystère de s’attester lui-même dans le discours.

Le contexte historique

26Il est en la matière héritier d’une tradition sapientielle qui, plutôt que de rendre compte du réel en procédant par mode d’abstraction et de définition, c’est-à-dire en séparant le particulier et l’universel comme le font les philosophes grecs, préfère l’envisager comme un continuum, un tout d’expérience aux aspects multiples, éventuellement en tension ou en contradiction les uns avec les autres [66]. Cette différence, même s’il ne faut pas l’exagérer, est due, entre autres, aux possibilités spécifiques des langues et se reflète aussi dans le style [67] et dans le ton des textes issus de l’une et l’autre cultures [68]. Ainsi, concernant l’origine de la sagesse, Ben Sira ne craint pas la contradiction : alors qu’en Si 1,14 on peut lire : « Le principe de la sagesse, c’est de craindre le Seigneur, et pour les fidèles, elle a été créée avec eux dans la matrice », le sage déclare en 1,26, à peine quelques versets plus loin : « Ayant désiré la sagesse, garde les commandements, et le Seigneur te la procurera » [69]. Une ambiguïté semblable est présente, avant lui, dans les Proverbes. Au chapitre 2, les v. 1-4 décrivent l’effort actif demandé au disciple, qui doit écouter l’enseignement et rechercher la sagesse comme un trésor ; s’il le fait, alors il « comprendr[a] la crainte de YHWH et trouver[a] la connaissance de Dieu ; car c’est YHWH qui donne la sagesse, de sa bouche [proviennent] la connaissance et l’intelligence » (Pr 2,5-6) [70]. Dans le cadre de la foi monothéiste, qui sépare radicalement Dieu et le monde, la réflexion sur l’origine de la sagesse prend nécessairement un aspect paradoxal.

27Or, cet aspect n’a pu que se renforcer dans le contexte alexandrin de Sagesse, qui mettait l’auteur en présence d’une culture philosophique capable de donner une forme « scientifique » [71] au monothéisme dont le judaïsme s’estimait le dépositaire privilégié. D’un côté, cette théologie naturelle pouvait lui apparaître comme une alliée de taille pour la défense de l’identité juive dans le cadre de l’hellénisme (il la prend d’ailleurs à son compte en 13,1-9) ; mais d’un autre côté, elle faisait, par contraste, mieux ressortir le caractère proprement religieux de l’approche biblique de la connaissance, qu’il ne fallait pas moins valoriser [72]. Ainsi s’explique la présence de l’ambiguïté dans notre texte et à de multiples niveaux dans l’ensemble du livre. Fort d’un héritage biblique dont les spécificités, en particulier linguistiques, savent peut-être mieux que la philosophie approcher le mystère sans le dissiper, il y propose une synthèse qui refuse de choisir entre universalisme et particularisme, entre eschatologie et histoire, entre âme et corps, entre genre sapientiel et genre apocalyptique, entre théologie naturelle et révélation.


Mots-clés éditeurs : Salomon, ambiguïté, relation, chercher, trouver, Sagesse, tolératif, prévenante, nifal

Mise en ligne 30/01/2019

https://doi.org/10.3917/trans.148.0093

Notes

  • [1]
    Cf. Pr 8,17.
  • [2]
    Cf. Pr 1,20-21 ; 8,1-3.
  • [3]
    Cf. Pr 9,1-6.
  • [4]
    Cf. Si 4,11-19 ; 6,18-37 ; 14,20 – 15,10.
  • [5]
    Cf. Si 6,22.
  • [6]
    Cf. Si 14,22-25, en parallèle à 6,34-36, et s’inspirant de Pr 8,32-36.
  • [7]
    C’est le cas de José Alonso Díaz (« La sabiduría divina anticipándose a que le sale al encuentro [Sab 6,13-17] », Sal Terrae, LX, 1972, p. 838-845) et de Michel Coune (« La quête de la Sagesse. Sg 6,12-16 », Assemblées du Seigneur, n.s. LXIII, 1971, p. 6-12), dans des articles proprement théologiques destinés à la liturgie, le texte étant lu lors du 32e dimanche du temps ordinaire de l’année A. Parmi les exégètes, mentionnons Chrysostome Larcher, qui renvoie à d’autres auteurs anciens, Le Livre de la Sagesse ou La Sagesse de Salomon, vol. II, Paris, Gabalda, 1984, p. 420, José Vílchez-Líndez, qui renvoie à José Alonso Díaz, Sabiduría, Estalla (Navarra), Editorial Verbo Divino, 1990, p. 232, ou encore Hans Hübner, Die Weisheit Salomons, Göttigen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1999, p. 85-86.
  • [8]
    Cette structure concentrique est aujourd’hui largement acceptée ; Maurice Gilbert donne un résumé de l’histoire de la recherche dans « The Literary Structure of the Book of Wisdom : A Study of Various Views », dans Maurice Gilbert, La Sagesse de Salomon. Recueil d’études, Rome, Gregorian and Biblical Press, 2011, p. 9-25 (première parution dans Giuseppe Bellia et Angelo Passaro [éd.], Il Libro della Sapienza. Tradizione, redazione, teologia, Rome, Città Nuova Editrice, 2004, p. 33-46). Pour sa présentation détaillée, voir l’étude de Michael Kolarcik, The Ambiguity of Death in the Book of Wisdom 1-6. A Study of Literary Structure and Interpretation, Rome, Editrice Pontificio Istituto Biblico, coll. « Analecta Biblica », n° 127, 1991, p. 29-62.
  • [9]
    L’accord n’est pas total concernant la délimitation de la deuxième et de la troisième partie, surtout en raison du statut transitionnel du ch. 10 ; à ce sujet, cf. Maurice Gilbert, art. cit., p. 20-25.
  • [10]
    Cf. La délimitation proposée par Paolo Bizetti, Il Libro della Sapienza. Struttura e genere letterario, Brescia, Paideia Editrice, 1984, p. 63, citant le cours d’introduction au Livre de la Sagesse donné par Maurice Gilbert à Rome en 1976, et reprise par ce dernier dans « Sagesse de Salomon (ou Livre de la Sagesse) », Supplément au Dictionnaire de la Bible, t. 11, 1986, col. 68, puis par Michael Kolarcik, op. cit., p. 48-50.
  • [11]
    Il est possible que l’adjectif « brillante » prépare l’idée que la sagesse n’est pas cachée et se laisse trouver facilement (cf. José Vílchez-Líndez, op. cit., p. 232 ; Paul Heinisch, Das Buch der Weisheit, Münster, Aschendorff, 1912, p. 116). L’autre adjectif, « immarcescible », semble moins relié au contexte, mais sa présence est peut-être motivée par le ton de louange dont l’auteur est animé et prépare ainsi l’éloge de la deuxième partie du livre.
  • [12]
    Les normes internationales étant variables et peu satisfaisantes, nous faisons le choix de translittérer en utilisant comme critère la prononciation de la langue cible, le français.
  • [13]
    Selon Maximilianus Zerwick, le verbe phthaneïn à l’époque hellénistique a tendance à perdre le sens précis de « devancer » (praevenio) et se trouve couramment utilisé pour signifier simplement « arriver », « atteindre » (advenio/pervenio), comme on le voit par son emploi néotestamentaire (cf. Mt 12,28 // Lc 11,20 ; 1 Th 2,16 ; Rm 9,31 ; Ph 3,16) ; cf. le commentaire philologique de Mt 12,28 dans Analysis philologica Novi Testamenti graeci, Rome, Institut biblique pontifical, 19844. Dans notre texte, le verbe a certes le sens de devancer, mais comprend en même temps l’idée plus générale d’« arriver », de « venir au devant de », ce qui de ce point de vue le rapproche du simple « rencontrer » au v. 16c. Il est proche du verbe hébreu qdm, qui lui aussi conjugue les divers sens « précéder », « venir au devant », « rencontrer » (cf. Ps 18,6.19 ; 95,2 ; prophthaneïn dans la LXX), et peut même prendre la nuance de « secourir » (cf. Ps 59,11 ; 79,8).
  • [14]
    Cf. Chrysostome Larcher, op. cit., p. 420.
  • [15]
    Michel Coune, art. cit., p. 9, parle de « chassé-croisé ». José Vílchez-Líndez commente ainsi le lien entre le v. 12 et le v. 16 : « Au v. 12 l’homme va à la recherche de la sagesse ; au v. 16, la sagesse à la recherche de l’homme ; si l’homme cherche la sagesse, il la trouvera ; si la sagesse cherche l’homme, il a déjà été trouvé par elle et jugé digne d’elle. » (op. cit., p. 233).
  • [16]
    Cf. Luis Alonso Schökel (Eclesiastés y Sabiduría, Madrid, Ediciones Cristiandad, 1974, p. 118), qui écrit : « Nous pouvons appeler ces versets la rencontre de la sagesse et du sage, ou vice-versa. Pour une rencontre, nous avons besoin de deux mouvements ou d’un seul ; l’auteur en envisage deux ; théoriquement les deux peuvent commencer en même temps ; l’auteur dit que la sagesse devance ».
  • [17]
    Nous verrons plus loin pour quelles raisons les traductions habituelles sont conduites à utiliser, pour rendre les verbes en question, les périphrases verbales « elle se laisse contempler », « elle se laisse trouver » et « en se faisant connaître la première ».
  • [18]
    Cette orientation, que James M. Reese a été le premier à développer (cf. Hellenistic Influence on the Book of Wisdom and its Consequences, Rome, Editrice Pontificio Istituto Biblico, coll. « Analecta Biblica », n° 41, 1970), n’est cependant pas la seule manière de qualifier le genre du livre, qui relève aussi de l’éloge (c’est l’aspect que Maurice Gilbert a privilégié, cf. « La Sagesse de Salomon et l’hellénisme », dans Maurice Gilbert, op. cit., p. 27-44) ; globalement sapientiel, il intègre en outre des traits apocalyptiques et midrashiques.
  • [19]
    L’emploi de ce mot rappelle PrLXX 3,15 (cf. David-Marc d’Hamonville, La Bible d’Alexandrie. t. 17 : Les Proverbes, Paris, Cerf, 2000, p. 177).
  • [20]
    Ce terme a des résonances bibliques fortes qui le chargent d’un sens théologique complexe et déjà bien élaboré, comme le montre bien Chrysostome Larcher, op. cit., p. 420-421.
  • [21]
    Ce mot permet à l’auteur de suggérer de manière imagée le fait que la sagesse sert de médiation entre l’homme et Dieu : en 9,4 elle est « parèdre » du trône divin.
  • [22]
    Cette parabole pourrait être prise comme un parfait exemple de « sérendipité », dont un des sens possibles est le fait de trouver ce que l’on cherchait d’une manière inattendue ; à ce sujet, voir l’étude de Sylvie Catellin, Sérendipité. Du conte au concept, Paris, Seuil, 2014. Pour l’aspect théologique, voir Marie-Hélène Robert, « Sagesse biblique et révélation trinitaire dans l’annonce du salut », dans Marie-Hélène Robert et alii (éd.), Sagesse biblique et mission, Paris, Cerf, 2016, p. 238-241.
  • [23]
    Comme par exemple Chrysostome Larcher, op. cit., p. 421. Karl L. W. Grimm argumente de manière assez convaincante en sens contraire et estime que, si l’on comprend bien le sens des mots, le stique est parfaitement relié à ce qui précède en ce qu’il « expliqu[e] […] comment déjà le simple souhait de la sagesse amène avec soi la possession de celle-ci » (Commentar über das Buch der Weisheit, Leipzig, Hochhausen und Fournes, 1837, p. 155).
  • [24]
    C’est la traduction la moins mauvaise de ce verbe grec sans équivalent satisfaisant en français.
  • [25]
    Un verset de la prière du chapitre 9 éclaire bien le sens de 15a : l’auteur demande la sagesse, car « même si quelqu’un est parfait parmi les fils des hommes, s’il lui manque la sagesse qui vient de toi, il sera compté pour rien » (9,6) ; la perfection de l’intelligence n’est pas fermeture sur soi, mais sagesse, c’est-à-dire ouverture sur l’altérité de Dieu et dynamique relationnelle.
  • [26]
    Le parallélisme entre « sur les chemins » 16b, et « en toute pensée » 16c (relevé par Karl L. W. Grimm, op. cit., p. 156, ou encore Alfred T. S. Goodrick, The Book of Wisdom, Londres, Rivingtons, 1913, p. 175) suggère en outre une généralisation (peut-être aussi entraînée par le retour au pluriel ?) : il ne s’agit plus seulement du moment de la rencontre tel que l’envisageait le v. 14 (l’unicité d’un tel moment, d’ailleurs, relève pour une part d’un schématisme fictionnel propre à la parabole, qui lui permet de fixer l’idée de manière plus saisissante), mais d’une sorte de compagnonnage habituel (cf. Chrysostome Larcher, op. cit., p. 423-424).
  • [27]
    On peut appliquer à notre péricope les remarques de Michael Kolarcik à propos de l’ensemble de la première partie (1,1 – 6,21), dont la structure est à la fois concentrique et dynamique : « Les unités parallèles ne se reflètent pas simplement l’une l’autre. [… Les] différences entre les unités parallèles donnent l’espace pour un développement et une dynamique (momentum) au sein de la structure concentrique » ; la meilleure image est finalement celle d’une « spirale en mouvement » (op. cit., p. 63).
  • [28]
    Ici apparaît donc déjà le paradoxe de la puissance miséricordieuse de Dieu, essentiel au propos du livre, et auquel l’auteur consacrera plus loin un long développement (cf. 11,17 – 12,18).
  • [29]
    Chrysostome Larcher signale quelques occurrences de cette forme pléonastique (phthaneïn suivi d’un participe auquel est adjoint le préfixe pro-) dans la littérature grecque classique (op. cit., p. 420).
  • [30]
    C’est là une forme développée de la précédente, dans laquelle l’infinitif actif « connaître » a déjà, en français, un sens passif.
  • [31]
    Pace Hans Hübner, qui estime que la sagesse, avant qu’on la désire, « a déjà fait le principal (das Entscheidende) », et qu’« elle détermine (bestimmt) déjà celui qui la cherche avant sa recherche » (op. cit., p. 86).
  • [32]
    Cf., à ce sujet, Chrysostome Larcher, Études sur le Livre de la Sagesse, Paris, Gabalda, 1969, p. 101-103.
  • [33]
    Bruce K. Waltke et Michael Patrick O’Connor, An Introduction to Biblical Hebrew Syntax, 23,4,f, Winona Lake (Indiana), Einsenbrauns, 1990, p. 389 ; cf. aussi Paul Joüon, Grammaire de l’hébreu biblique, 51c, Rome, Institut biblique pontifical, 1923, p. 115.
  • [34]
    Jean Margain, « Causatif et tolératif en hébreu », Comptes rendus du Groupe Linguistique d’Études Chamito-Sémitiques, XVIII/XXIII, 1974, p. 26.
  • [35]
    Cf. par exemple Gn 18,1 ; Ex 6,3.
  • [36]
    Cf. Bruce K. Waltke et Michael Patrick O’Connor, op. cit., 23,4,g, p. 389-390.
  • [37]
    C’est spécialement le cas quand il s’agit d’expliquer comment l’homme peut « trouver », « voir » ou « connaître » Dieu (pour ce dernier verbe, cf. par ex. Ez 20,5). Mais un passif à nuance tolérative peut aussi s’utiliser, dans d’autres cas, avec un sujet humain, comme par ex. en Qo 12,12 pour l’hébreu (« laisse-toi avertir »), ou en Rm 12,2 pour le grec (« laissez-vous transformer »). Signalons aussi le passif tolératif présent un peu plus loin dans le texte de Sagesse : « laissez-vous instruire » (6,25).
  • [38]
    « Cherchez YHWH pendant qu’il se laisse trouver, appelez-le pendant qu’il est proche. »
  • [39]
    « Je me suis laissé approcher (ou bien : chercher) par/à ceux qui ne me questionnaient pas, je me suis laissé trouver par/à ceux qui ne me cherchaient pas. »
  • [40]
    « Et je me suis laissé trouver par/à vous… »
  • [41]
    « … Si tu le cherches il se laissera trouver par/à toi, mais si tu l’abandonnes, il te rejettera pour toujours… »
  • [42]
    « YHWH est avec vous quand vous êtes avec lui (litt. dans votre être avec lui). Si vous le cherchez, il se laissera trouver par/à vous, mais si vous l’abandonnez, il vous abandonnera. » (2) ; « … et il se laissa trouver par/à eux. » (4.15).
  • [43]
    Tout le passage, en mettant au premier plan la figure de la sagesse et en se concentrant sur le monde de l’intériorité, développe l’idée de « bonté » et de « simplicité de cœur » qui, dès le v. 1, qualifient l’attitude demandée au lecteur (cf. 1,1b-c.3a-b.4a.5b) ; cf. 2 Ch 15,12.15.
  • [44]
    Cf. l’emploi de ce verbe en Mt 27,53. Friedrich V. Reiterer interprète les deux verbes comme des « moyens-réflexifs », sans toutefois noter la nuance qui les distingue, « Philosophische Lehre und deren Wirkung aus der Sicht eines Weisheitslehrers. Untersuchung von Weish 1,1-15 », dans Géza G. Xeravits et József Zsengellér (éd.), Studies in the Book of Wisdom, Leiden, Brill, 2010, p. 140, n. 50 et 51.
  • [45]
    La BHS fait l’hypothèse que l’hébreu devrait se lire venir’éti, « je me laisserai/ferai voir », ce qui correspond mieux au grec (cf. Biblia Hebraica Stuttgartensia, Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 1997, ad loc.) ; mais on peut opposer à cette correction le fait qu’il s’agirait là de l’unique occurrence d’une telle traduction : il ne fait aucun doute que les traducteurs auraient rendu l’hébreu venir’éti par ophthèsomaï, ce qui correspond à l’immense majorité des occurrences (plus de 44 fois, cf. Takamitsu Muraoka, A Greek-Hebrew/Aramaic Two-way Index to the Septuagint, Leuven, Peeters, 2010, p. 86).
  • [46]
    Les deux traductions paraissent même interchangeables, comme le suggère Rm 10,20 qui cite Is 65,1 en inversant les deux verbes, que cette inversion soit due à une défaillance de la mémoire de Paul ou à l’existence d’une telle variante à son époque.
  • [47]
    À ce sujet, cf. Xavier Léon-Dufour, Résurrection de Jésus et message pascal, Paris, Seuil, 1971, p. 75-78.
  • [48]
    Ceci semble confirmer l’avis de P. A. Siebesma, qui estime qu’« en hébreu biblique, les notions distinctives de réfléchi-passif-tolératif, telles qu’elles sont applicables dans les langues européennes, ne s’appliquent pas » (The Function of the Niph’al in Biblical Hebrew, Studia Semitica Neerlandica, Assen, Van Gorcum, 1991, p. 170). L’étude de Jean Margain conduit toutefois à une opinion plus mesurée ; certes, il faut se garder de plaquer « sur l’hébreu des catégories étrangères au système de la langue et à la conscience des “hébréophones” de jadis » (art. cit., p. 27), mais ce n’est pas parce que les distinctions en question ne s’expriment pas morphologiquement qu’elles ne sont pas présentes, à titre de nuances induites par le contexte et le sens global du discours. Puisque, dans de nombreux cas, on peut de fait reconnaître au causatif une valeur tolérative, il est permis à une traduction de la donner à voir, à condition de rester bien conscient que le sens du texte n’a pas à être ordonné à une absence d’ambiguïté qui, en réalité, ne vaut que pour le monde du traducteur.
  • [49]
    De Abrahamo, 79-80, trad. Jean Gorez, Paris, Cerf, 1966, p. 56-57 (trad. modifiée).
  • [50]
    « Trouver (heureïn) l’auteur et le père de cet univers est laborieux, et une fois trouvé, le dire à tous est impossible ».
  • [51]
    Le datif, au lieu du complément d’agent introduit par hupo semble indiquer une nuance tolérative ou causative.
  • [52]
    Ici encore au datif.
  • [53]
    Contre Celse, VII, 42, trad. Marcel Borret, t. IV, Paris, Cerf, 1969, p. 114-115 (trad. modifiée).
  • [54]
    Comparez par exemple 1,6 avec 11,27 ; 7,17 ; 8,6 et 14,2 avec 13,1 ; 7,17 avec 7,21. C’est ce rapport d’identité et de différence que 7,25-26 tente d’exprimer en désignant la sagesse comme « haleine », « émanation », « rayonnement », « miroir », « image ».
  • [55]
    Elle n’est pas plus hypostasiée qu’en Proverbes ou Siracide, ainsi que les commentateurs le reconnaissent aujourd’hui ; cf. à ce sujet l’étude approfondie de Martin Neher, Wesen und Wirken der Weisheit in der Sapientia Salomonis, Berlin – New York, Walter de Gruyter, 2004, p. 152-153 et 240.
  • [56]
    Cet emploi étonnant du verbe élegkhô au passif a quelque peu gêné les commentateurs, comme par exemple, récemment, Friedrich V. Reiterer, art. cit., p. 146, note 71. De même, Chrysostome Larcher, Le Livre de la Sagesse, t. 1, Paris, Gabalda, 1983, p. 178, cherche à atténuer le sens passif. Émile Osty, dans la Bible de Jérusalem, traduit le verbe en lui donnant une nuance réfléchie qui en atténue aussi le sens : « elle s’offusque ».
  • [57]
    L’effort de l’homme, logiquement, peut être exprimé comme un mélange, inverse, d’actif et de passif. Ceci ne se produit pas dans notre péricope mais juste avant, quand l’auteur invite en 6,11 les puissants à l’écouter en disant : « désirez et vous serez instruits », on pourrait interpréter le deuxième verbe, païdeuthèsesthé, comme un nifal tolératif signifiant plus précisément « vous vous laisserez instruire », cf. supra, note 37.
  • [58]
    Les mots équivalents en hébreu, ḥokhmah et tevounah, sont toujours employés comme synonymes ou quasi-synonymes en Proverbes, où ils sont constamment mis en correspondance au sein de parallélismes synonymiques, comme c’est le cas en 3,13 par exemple : « Heureux l’homme qui a trouvé la sagesse, et l’homme qui obtient l’intelligence » (cf. aussi 2,2 ; 2,6 ; 3,19 ; 5,1 ; 8,1 ; 24,3) ; l’autre mot rendu par phronèsis, binah, est lui aussi souvent utilisé en parallèle avec ḥokhmah, comme en 4,5 ; 4,7 ; 7,4 ; 9,10 ; 16,16.
  • [59]
    D’après Karl L. W. Grimm, op. cit., p. 154, c’est le cas en 3,15 ; 4,9 ; 7,7 et 8,21.
  • [60]
    Comme en 6,15 ; en 8,7, comme vertu cardinale, elle est enseignée par la sagesse.
  • [61]
    Selon la grande majorité des commentateurs, c’est le mot « sagesse », présent deux versets auparavant et dans tout le développement précédent, qu’il faut ici sous-entendre comme complément du nom « possesseur ».
  • [62]
    Commentant 8,21, Karl L. W. Grimm varie par rapport à ce qu’il affirme au sujet de 6,15 (cf. supra note 59) et écrit : « Ici, phronèsis ne peut être synonyme de sophia, puisqu’elle est déjà attribuée à l’auteur avant la possession de cette dernière, mais plutôt quelque chose d’analogue à la sophia, qui la prépare… » (op. cit., p. 225).
  • [63]
    L’expression « cela aussi » renvoie en effet au bilan des versets précédents (8,17-18), qui évoquent la réflexion personnelle qui a conduit l’auteur à chercher la sagesse : c’est bien l’intelligence qui, avant le don, comprend aussi que la sagesse ne peut être qu’un don. Il faut, selon nous, nuancer ce qu’écrit Paul Heinisch, op. cit., p. 177 : « À partir de sa propre force, l’homme ne peut même pas reconnaître que la sagesse est une grâce de Dieu. Celui-ci doit d’abord l’illuminer et le pousser à la demander. C’est ainsi que la sagesse elle-même vient au devant de l’homme (6,13.15) ».
  • [64]
    C’est ce que pensent, à la suite de Paul Heinisch (cf. note précédente), Hans Hübner (op. cit., p. 123, cf. supra note 31) ou Helmut Engel (Das Buch der Weisheit, Stuttgart, Verlag Katholisches Bibelwerk, 1998, p. 145-146). Selon nous, l’auteur renvoie plutôt aux capacités naturelles qu’il vient de décrire en 8,19-20 et dont l’insuffisance le pousse à prier. Ce bon naturel, euphuïa (8,19), il l’a bien sûr reçu mais, pour expliquer comment, il semble vouloir éviter d’utiliser le registre du don (réservé à la sagesse qu’il va demander) et préfère dire qu’il l’a « reçu par le sort » : élakhon. L’interprétation que Giuseppe Scarpat donne de ce mot nous paraît forcée et sans réel appui dans le texte : « Le verbe élakhon indique la gratuité du don d’être une âme bonne, non pas tant une causalité qu’une grâce sans mérite concédée par Dieu », Libro della Sapienza, vol. 2, Brescia, Paideia Editrice, 1996, p. 174. De même, Luis Alonso Schökel, commentant 6,12-21, cherche à atténuer l’idée que l’intelligence en est venue par elle-même à désirer la sagesse : « Le premier désir de l’homme a déjà été suscité par [la sagesse], ce qui est premier, c’était une présence sans figure, en forme de splendeur (“est brillante”), qui illumine et attire. » (op. cit., p. 118) ; pourtant le texte, à aucun moment, ne dit explicitement que l’auteur a été « attiré » par le caractère brillant de la sagesse, noté au v. 12. La gêne des commentateurs s’explique en réalité par des précompréhensions dépendant d’élucidations théologiques ultérieures ; mais l’auteur de Sagesse, lui, tâtonne encore, comme en témoignent ses hésitations dans l’emploi du concept difficile de nature (cf. 7,1-6 ; 8,19 ; 12,10 ; 13,1.6.8).
  • [65]
    Commentant 8,21, John J. Collins note subtilement : « Ce n’est pas un raisonnement platonicien, mais pas non plus une révélation apocalyptique. La sagesse aide les facultés naturelles de raisonnement, elle ne les remplace pas simplement d’en haut » (« La reinterpretazione delle tradizioni apocalittiche nella Sapienza di Salomone », dans Giuseppe Bellia et Angelo Passaro [éd.], op. cit., p. 164).
  • [66]
    On peut, par exemple, comparer la description de la sagesse que fournit le long titre des Proverbes avec la définition stoïcienne qui en est donnée en 4 M 1,16.
  • [67]
    Le parallélisme poétique, en particulier, permet de ne pas trancher quand une seule réalité montre divers aspects mêlés.
  • [68]
    Selon Michael Kolarcik (op. cit., p. 29-34), qui s’appuie sur des distinctions empruntées à Paul Ricœur (« Biblical Hermeneutics », Semeia, n° 4, 1975, p. 29-145, trad. française dans Paul Ricœur, L’herméneutique biblique, Paris, Cerf, 2010, p. 147-255, cf. en particulier p. 217-252), l’utilisation constante de l’ambiguïté dans le livre est aussi fondamentalement liée au caractère poético-religieux du discours, qui ne cherche pas seulement à persuader par mode d’argumentation, mais aussi par mode de présentation, en utilisant le pouvoir de « redescription » propre aux techniques poétiques ; l’équivoque, l’ambiguïté, la métaphore, les expressions-limites comme le paradoxe proposent un monde en rupture avec l’expérience ordinaire.
  • [69]
    Selon Box et Osterley, cités par Alexander A. Di Lella, The Wisdom of Ben Sira, New York, Doubleday, coll. « The Anchor Bible », n° 39, 1986, p. 146, le v. 26 « offre un bon exemple de combinaison de la grâce et de la volonté libre ».
  • [70]
    André Barucq relève bien le renversement qui se produit dans le texte : « La seconde partie (v. 6-9) invite à faire le chemin inverse. Yahweh une fois trouvé, s’avère être la source de toute sagesse, science et intelligence. » (Le Livre des Proverbes, Paris, Gabalda, 1964, p. 35).
  • [71]
    Cette expression s’inspire de Philon, qui écrit dans le De Praemiis, 41 et 43 (trad. A. Beckaert, Paris, Cerf, 1961) : « S’il en est qui ont été capables de se représenter par science le créateur et guide de l’univers, ils ont – comme on dit – procédé de bas en haut […] comme par une échelle céleste, induisant par un raisonnement vraisemblable le démiurge à partir de ses œuvres. »
  • [72]
    Le tiraillement identitaire propre au judaïsme de diaspora, spécialement en Égypte et en Syrie, explique qu’il ait eu besoin de mêler, autant que possible, l’héritage biblique et ce qu’il estimait le meilleur de la culture hellénistique. Selon John J. Collins, la « tentative de combiner la théologie naturelle, à travers le medium de la philosophie grecque, avec la tradition biblique, donne le ton d’une bonne part de la théologie occidentale jusqu’aux temps modernes » (Jewish Wisdom in the Hellenistic Age, Louisville, Kentucky, Westminster John Knox Press, 1997, p. 231).
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