Notes
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[1]
Angelus Silesius, L’errant chérubinique, Arfuyen, 1993, p. 15.
-
[2]
Stanislas Breton, De Rome à Paris, Paris, Desclée de Brouwer, 1992, p. 14.
-
[3]
Plotin, Ennéades 5, 2
-
[4]
« Pour toute la beauté », Poésies complètes, traduction par Bernard Sesé, Paris, José Corti (coll. « Ibériques »), 2003, p. 94-96.
-
[5]
Dans Research and phenomenology, Vol. 34, Boston, 2004, p. 255 sq.
-
[6]
Stanislas Breton, Le vivant miroir de l’univers, Paris, Cerf (coll. « Philosophie et théologie »), 2006, p. 33.
-
[7]
Stanislas Breton, Que penser de la résurrection ?, Inédit, 2004, Fonds Breton 786.31.7.g.
-
[8]
Diderot, Le paradoxe du comédien.
-
[9]
Stanislas Breton, Rien ou quelque chose, Paris, Flammarion, 1987, p. 14-26.
-
[10]
Stanislas Breton, Le vivant miroir de l’univers, op. cit., p. 124.
1Titre étrange pour une communication qui se doit de présenter non pas seulement la figure du philosophe Stanislas Breton, mais les figures, j’entends les traits, les masques, les métamorphoses, de celui dont on pourrait dire qu’il n’est personne : personne, rien, mais aussi à nul autre pareil.
2Pour beaucoup de ceux, amis qui l’appelaient de son nom de baptême, Paul, il fut et demeure un homme d’interrogations, toujours en recherche avec un goût non seulement pour le raisonnement mais pour la logique et, malgré les traces de la scolastique dans son écriture, un écrivain. N’a-t-il pas donné comme sous-titre à son livre Rien ou quelque chose, roman de métaphysique ?
3Pourquoi donc ce titre : « Un philosophe face à la religion » pour vous parler de ce singulier philosophe, créateur d’une œuvre immense : une quarantaine de livres, plus de 900 articles et encore des inédits ? Transgressant les usages académiques, jusqu’à être nommé maître de conférences à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, titre auquel, dans notre république, devait renoncer tout prêtre, il était un professeur passionné et modeste d’une clarté incomparable. Lorsque Breton, vous l’avez sans doute entendu dire bien des fois, déclinait d’une étonnante manière son identité : « je suis un homme du Moyen Age, né dans un faubourg d’Athènes, sous un arbre de Judée », il la détermine un peu plus que l’Errant Chérubinique :
je ne sais pas qui je suis, je ne suis pas qui je saisune chose et non une chose, un point nul et un cercle [1]
5Breton se réfère non seulement au temps, mais au lieu, catégorie à laquelle il porte le plus grand intérêt et qu’il a repensé dans ses articles sur l’espace. Les temps et les lieux supposés sont marqués par la religion. Le Moyen Age, en dépit de ses lumières trop souvent oubliées ou ignorées, est bien un temps et un lieu où la religion règne sur les empires et les royaumes. Le faubourg d’Athènes en marge de la grande cité évoque, en rappelant la modeste naissance de Breton, de grands philosophes mais aussi tout le polythéisme antique, savant et populaire ; autrement dit, encore la religion. Quant à l’arbre de Judée, c’est le lieu de la source même de l’inspiration bretonienne : le corpus biblique.
6Breton, qui parlait latin et donnait à Rome ses cours dans cette langue, se désigne en des termes qui font penser à l’opposition de Michel Foucault entre la morale d’état civil et celle du lecteur : « Ne me demandez pas qui je suis, ne me dites pas de rester le même ». Breton, qui, dans la dernière partie de son œuvre, ne cite que peu d’auteurs est un lecteur aussi assidu qu’impitoyable, qui, en lisant, s’est laissé dépossédé de ses certitudes, grâce à la lecture de textes qui l’ont métamorphosé, non seulement ceux des philosophes occidentaux, mais les écrivains et les poètes et encore les textes d’Orient qui, dès 1974 (Essences japonaises) marquent son œuvre. Il fut aussi l’écoutant de paroles recueillies auprès des souffrants, rencontrés sur ses chemins : malades, mourants, souvent visités par le dévot de Matthieu 25 et dont sa passion pour la philosophie ne l’a jamais détourné.
7J’ai choisi de vous présenter les figures de Breton à partir de Breton lecteur, à travers des textes qui sont devenus, dans son œuvre, des intertextes, sur lesquels il a donné six entretiens dans un cours inédit qu’il fit à l’ENS de la rue d’Ulm en 1972-1973 sur le sujet « philosophie et religion », plus précisément selon l’intitulé du deuxième entretien : « foi chrétienne, religion, philosophie ».
8La problématique même du sujet permet de rencontrer Breton, de pressentir cet homme toujours en devenir, ce philosophe pour qui la philosophie n’est jamais achevée.
Foi chrétienne, folie ou sagesse ? En marche vers un post-christianisme
De la folie de la croix
9Breton commence par interroger les deux textes de Paul qui, décrivant quelque chose de son « être dans », le conduisent à voir dans la folie de la croix un dépassement du principe de raison et annonce sa propre lecture, laquelle prend sa distance par rapport à l’interprétation de la parole de la croix, comme sagesse suprême. Breton ne se dispense jamais, fut-ce par rapport à son « être dans » de prendre la posture philosophique par excellence, celle du point d’interrogation. « La parole de la croix est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui vont au salut, elle est puissance de Dieu » (I Co 18, 24). La parole de la croix, à ne pas entendre comme le contenu dogmatique d’une révélation – elle est folie – appelle la confiance en cette parole qui met en cause toute puissance et en opère le retournement. Voilà ce qu’est pour Breton la foi chrétienne. Breton est donc toujours l’homme de la critique, porteur d’une contestation jamais figée et toujours à reprendre. C’est aussi l’extraordinaire comique qui, de son grand rire, porte sur le monde un regard de dérision ; « dérision qui n’est pas seulement une critique de la raison pure, mais qui met au défi toutes les puissances gouvernementales, savantes et même ecclésiastiques » (Cours). L’hymne de la kénose (Phi. 2, 5-11) chante le dépassement du logos par le verbe effondré qui se réalise dans la figure du serviteur obéissant jusqu’à la mort de la croix, supposant la dépossession du vouloir et jusqu’au vouloir de soi. Mais paradoxalement, le Verbe de la croix est au plus proche de la causa sui : en se dépossédant lui-même il est ce qu’il veut être. Le Dieu dont il est la figure ne saurait être soumis au principe d’identité et d’immuabilité. La croix n’est-elle pas la croix de Dieu, déchirement à l’intérieur de lui-même, devenu assez pauvre, assez rien, pour donner place à l’histoire (nous sommes proche de l’interprétation de Hegel). La parole de la croix réfute le principe d’extériorité de Dieu : pas de Dieu architecte, ni législateur ; en conséquence la folie de la croix est au principe d’une théologie négative. Dieu ne saurait se penser autrement qu’en termes de néant actif bousculant les idoles de la puissance. Le néant de Dieu est une sorte d’énergie critique et révolutionnaire incessante.
Interprétation thomiste de la folie de la croix
10Remarquable lecteur de saint Thomas d’Aquin, Breton ne peut admettre l’idée d’une philosophia perennis qui supposerait que la folie de la croix constitue une sagesse supérieure à la sagesse philosophique et à laquelle la sagesse philosophique serait subordonnée. Baptisée dans et par la foi chrétienne, la philosophie d’Aristote serait l’instrument favorable à l’élucidation de la foi chrétienne. C’est une vraie sagesse qui ne peut aller au bout d’elle-même sans la révélation ; elle ne peut connaître les mystères de Dieu mais elle a néanmoins une valeur théologique. La sagesse philosophique n’est pas niée, pas même bousculée par la folie de la croix. La philosophie, en tant que sagesse et non en tant que question est nécessaire à l’intelligence de la foi.
Prise au sérieux de la folie de la croix, refus de toute concordance entre foi et raison, foi et religion
11Breton, dans son intrépide mise en question, récuse la conciliation entre la puissance de Dieu et le renoncement obligé à la sagesse et aux signes. « Le Christ crucifié, folie pour les gentils, est aussi bien scandale pour les juifs… les grecs cherchent la sagesse, les juifs demandent des signes. Quant à nous, nous proclamons le Christ crucifié » (I Co 5, 22-24). Breton suivant avec une indéniable sympathie Bultmannn, montre le lien entre puissance et maîtrise. « L’homme a le désir de maîtrise des choses par le savoir, le désir de maîtrise des hommes par la politique, le désir de maîtrise de Dieu par la religion » (Cours). Nous reconnaissons là trois sphères de domination que la folie de la croix met radicalement en cause. La science, qui seule peut-être conduirait à un scepticisme modéré, n’est-elle pas inachevée ? Or la folie de la croix signifie qu’on ne peut disposer ni de Dieu ni de nous-mêmes, si toutefois nous consentons à être en relation avec le Dieu qu’exprime le Verbe de la croix. La foi, la confiance en la croix, est reconnaissance de cette double indisponibilité et s’oppose ainsi à l’humanisme en tant que foi en la seule grandeur de l’homme. Breton, lecteur de saint Thomas, des philosophes néoplatoniciens, des mystiques des différentes traditions, des sages hindouistes et bouddhistes, refuse nettement de suivre Bultmannn sur ce point. De même, il ne se résout pas à réduire la religion à un instrument d’emprise sur Dieu et sur l’homme, mais il rejoint Bultmannn sur l’idée que la folie de la croix est jugement définitif sur la puissance : « Une critique sans pitié du monde, des concepts philosophiques et des religions » (Cours). La pureté de la foi est toujours actualisation de la kénose. Nul ne peut s’emparer de Dieu ni prétendre à sa mondanisation. Dieu est toujours le Dieu qui vient (ce que je développerai à la fin de mon intervention). Il est toujours au-delà, à venir, tout autre. L’enjeu de la foi dans sa dimension critique est de démythologiser les textes et les traditions. Le mythe, qui peut avoir un sens existentiel, fait de Dieu un objet, une réalité disponible. La théologie comporte une large part de mythologisation, de même que les premiers écrits néotestamentaires. La démytologisation est une exigence de la foi, mais elle est elle-même historique et, pour cela même, jamais achevée. La lecture des écritures, loin d’apporter la sécurité et de satisfaire comme le pensait Freud, le désir déçu d’une protection parentale sans faille, ouvre une ère d’intranquillité. Elle ne constitue pas en effet une vérité originaire que garderait et garantirait l’institution destinée à sa transmission. Les écritures ne correspondent pas à un principe de permanence et de conservation. On est chrétien non par état mais par les actes qu’on accomplit. Dieu désormais, si Dieu…, ne peut se penser que comme l’inattendu, l’inespéré, il ne se possède pas plus que la vérité, c’est un futur perpétuel et imprévisible.
12Pour Breton, le christianisme est historiquement déchiré par une dualité. Si Breton garde toute sa liberté de pensée, qui précède chez lui toute lecture, il ne peut cacher sa sympathie pour Bultmannn. Déjà pointe dans sa lecture même l’idée d’un avenir du christianisme qui signerait un post-christianisme. Breton, fin lecteur de saint Thomas n’est plus thomiste, il ne l’a sans doute jamais été. C’est en philosophe, dans le présent de la question qu’il interroge Bultmannn comme il a interrogé Thomas. Le deuxième entretien du cours se termine par l’ouverture d’un débat à mener sur les rapports entre philosophie et foi chrétienne. La philosophie dans le christianisme a été longtemps considérée comme une préparation à la foi. Saint Augustin en est peut-être l’exemple le plus célèbre. Mais la philosophie est-elle d’essence théologique ou bien le théologique n’est-il que l’usage caché de concepts philosophiques ? Ou bien encore, dépassant la théologie et la philosophie dans leurs références séculaires, le moment n’est-il pas venu d’envisager, dans la logique de la folie de la croix, une philosophie qui ne serait pas d’essence théologique ni un préambule à la foi ni la pratique d’une morale qui rejoindrait à son insu la foi chrétienne ou y préparerait ? La philosophie serait bien cette instance critique, dont Socrate est peut-être l’inventeur, et une nouvelle relation entre philosophie et foi pourrait naître, sans jamais être une philosophie chrétienne. Dans la problématique même élaborée par Breton qui élargit la relation entre philosophie et religion à celle entre foi chrétienne, religion et philosophie, je vais en quelques tableaux faire porter votre regard sur les traits de Breton philosophe. Ces traits surgissent de sa lecture des textes sur lesquels il s’est appuyé et qui sont des intertextes de son œuvre. Naviguant sur les hautes mers de la pensée, il le fait en chrétien insolite, toujours mu par le principe d’incertitude, parce qu’il est philosophe, non pas un philosophe chrétien. Des textes de Platon, des néoplatoniciens, de Spinoza, des textes sur l’athéisme, vont vous faire rencontrer Breton toujours en devenir, questionnant au risque de questions sans réponse et reformulant sans cesse la question Dieu. Je terminerai mon propos sur le dépassement de l’athéisme qu’opère le philosophe et conclurai sur son admirable pratique de l’amitié.
Lectures bretoniennes du rapport entre religion et philosophie
Le philosophe et la piété : un philosophe face à un prêtre (Platon)
13Les deux personnages principaux du dialogue de Platon, Euthyphron, sont un philosophe et un prêtre. Avant de les distinguer et même de les opposer, Breton propose de voir en Platon un philosophe pieux qui ouvre une grande lignée dans laquelle s’inscrit la mystique spéculative d’Eckart et de Nicolas de Cues. Breton aime les mystiques. Le procès de Socrate, condamné à mort pour irréligion alors qu’il est le plus religieux des hommes, est à l’arrière fond du dialogue. Socrate, faiseur de nouveaux dieux, ne croit plus aux anciens. La philosophie se présente comme une rupture avec la tradition, avec le passé. La religion, elle, comme le montrent les Réformes, se définit comme un retour incessant à l’origine. C’est le passé qui fonde la religion. L’essence du religieux, c’est le passé. Par extension, on peut dire que Jésus est la figure exemplaire de l’écart avec la tradition. L’auteur du Verbe et de la croix en est peut-être aussi une figure.
14a) Le prêtre spécialiste de la religion :
15Dans le dialogue de Platon, Euthyphron est le représentant de la piété, celui qui s’y connaît en matière de piété. Il est censé savoir ce qui est établi par la loi divine, dont la religion serait la pratique. Euthyphron porte contre son père une accusation d’impiété, la religion se présente comme transcendante par rapport à toute autre valeur, y compris celle de la famille. Euthyphron croit avec assurance et même certitude savoir ce qu’est le pieux et l’impie. Aucune identification de Breton au prêtre. Il partage l’étonnement de Socrate face à une telle assurance et, distinguant opinion et savoir, il va de question en question tenter de fournir à la religion son concept, sans toutefois y parvenir dans ce dialogue.
16Euthyphron se contente de désigner une pratique sans se demander quel est l’être du pieux. Il s’en tient à l’étant religieux. Au contraire, ce que cherche le philosophe, c’est savoir ce qui fait que l’être du pieux est ce qu’il est. Il se tient donc du côté de la recherche du principe et des causes. D’échec en échec dans son travail de définition, Euthyphron poursuit sa tentative en recourant à un psychologisme transcendant, le pieux serait ce qui est agréable aux dieux. S’il rejoint là les traditions spirituelles du bon plaisir divin, il reste que les esprits n’arrivent pas à s’accorder sur ce qui plait aux dieux. Dieu commande-t-il ce qui est bon, ou ce qui est bon est-il bon parce que commandé par Dieu ? La conscience religieuse est traversée par une incertitude et n’échappe pas à la catégorie de l’arbitraire. Le philosophe décèle dans la religion le risque de tomber dans le fanatisme. Pour soustraire Dieu à l’arbitraire, il faudrait qu’il soit soumis au principe de raison et Dieu serait alors pensé sous la catégorie de la nécessité. Le bon plaisir de Dieu échoue donc à définir la piété. Le philosophe propose alors de chercher un principe d’objectivité dans la justice. Le pieux serait la partie de la justice qui concernerait le soin dû aux dieux. Mais comment les dieux auraient-ils besoin d’être soignés ? Comment auraient-ils besoin d’être mieux qu’ils ne sont ? Ou le service de Dieu serait un service inutile, ou le service des dieux par les hommes sert au salut des hommes, et notamment au bien de la cité. On offre aux dieux des sacrifices et ils donnent en retour. La piété serait un art commercial. Mais Platon insiste sur la gratuité et on est renvoyé à la définition de la religion comme œuvre au plaisir de Dieu ; on retombe dans la contradiction et le dialogue tourne court. Mais les traits du philosophe sont tels qu’il ne renonce pas à chercher, il ne se décourage pas et se donne pour tâche d’examiner à nouveau. On reconnaît là notre intrépide chercheur, Stanislas Breton.
17b) Le prêtre et le philosophe, deux mondes :
18Comme Socrate, Breton n’a rien appris du prêtre. L’homme religieux apparaît comme :
- l’homme d’un passé primordial,
- il norme sa pensée et son action au titre d’une autorité définie,
- il se réfère à un arbitraire primordial.
19Au contraire le philosophe est :
- l’homme qui met à distance les traditions,
- il se méfie de la normativité du passé et de l’étant religieux,
- il démasque les illusions de l’étant religieux,
- il est l’homme de l’interrogation sur l’être du religieux comme tâche infinie, d’une recherche aux résultats provisoires qui peut conduire à la contradiction.
20A la limite, la philosophie n’a plus rien de religieux. Peut-être convient-il de rappeler que Breton s’est toujours imaginé, s’il y avait quelque existence après la mort du je, prendre la forme incertaine mais tenace du point d’interrogation. Le Verbe de la croix, irréductible à un passé essentiel, le pousse à ne jamais consentir à rien d’achevé. S’il est quelque consolation au cœur mélancolique du vieil homme, n’est-ce pas de se perdre dans le regard d’un enfant ? (Rien ou quelque chose). Sans cesse, Breton remet son ouvrage sur le métier et toute son œuvre, comme sa vie, est traversée par le principe d’incertitude sans jamais tomber dans un scepticisme sûr de lui-même. Il y aurait alors de quoi rire !
Philosophie religieuse et mystique (les néoplatoniciens)
21C’est sous ce titre que Breton fait circuler ses auditeurs dans sa lecture du néoplatonisme.
22a) Le style de vie des philosophes néoplatoniciens : une vie monastique :
23L’exercice spirituel que constitue pour Breton l’activité philosophique s’inscrit dans un mode de vie qui n’est pas si éloigné que cela de l’ascetère néoplatonicien. La vie fraternelle en petite communauté, sans être un « mini-monastère » n’a rien d’un séminaire. En s’entendant le dire, Breton rit. Peut-être se rappelle-t-il qu’il fut, à dix ans, exclu d’un petit séminaire pour avoir dessiné l’appareil génital d’un bovin [2] ? Comme les néoplatoniciens, Breton pratiquait le commentaire et en particulier le commentaire cordial qui ne manquait jamais de rendre inventif. Le concept fondamental est le principe qui traverse toute l’œuvre de Breton : Plotin le premier donne au principe, sous la forme du rien, la plus haute importance. Au-delà de l’être et de la pensée, le principe n’est rien de ce qu’il est, rien de ce qu’il produit [3]. En ce sens, il est l’Un bien plutôt que l’unique. L’Hénologie récuse toute onto-théologie et quelles que soient les apories pour penser l’Un en se passant de l’être, aucun attribut ne peut se prédiquer de l’Un. L’Un est ineffable. L’âme qui demeure dans le principe demeure par le contact avec ce principe, en tant que rien, dans le néant de toute détermination. Elle a à se faire ce qu’elle veut devenir ; telle est sa dignité. En se constituant, l’âme fait un monde. C’est parce qu’elle demeure dans le néant de son principe qu’elle se fait elle-même. Quant au principe premier devant lequel s’efface toute pensée, Dieu peut-être, l’Ennéade VI, 8 traite de théologie négative, parle du principe en termes de causa sui, en prenant la précaution de faire précéder d’un « comme si » qui en marque le doute, l’affirmation prononcée « il est comme s’il était ce qu’il veut être », mais à peine ceci dit ou écrit, le philosophe est saisi de crainte à l’idée de blasphémer et implore le pardon pour son audace. Si Dieu… nous ne pouvons porter sur lui aucune affirmation. C’est une méontologie qui déjoue toute ontologie.
24La piété des philosophes néoplatoniciens, Plotin, Proclus, Damacius, ne cèdent jamais à une critique sans pitié de toutes choses. Breton est ainsi un des leurs, pieux dans son genre comme Plotin et Proclus, il accomplissait avec ferveur les rites et les gestes quasi liturgiques avec la plus grande liberté. Ne bénissait-il pas les maisons avec le persil du jardin ? N’utilisait-il pas l’huile d’olive de la cuisine pour le sacrement des malades, donné et reçu avec ferveur, lui qui ne craignait pas de modifier quelque peu les formules rituelles en fonction de la singularité de ses destinataires ? Mais toujours il gardait et regardait quelque chose de leur Orient. N’oublions pas que Damacius, avec sa distinction d’un double néant, un rien par excès et un rien par défaut a peut-être inspiré le très beau livre Matière et dispersion, à moins que ce soit Breton qui l’ait ici rejoint.
25b) Mysticisme et philosophie :
26La philosophie religieuse n’est pas seulement pieuse, elle a une dimension mystique. L’attitude critique se développe du point du langage dans une théologie négative et elle représente en raison même du principe d’incertitude, une menace permanente pour les institutions, leurs représentations, leurs discours. L’âme en son germe de non être regarde toute détermination sous l’aspect du négatif. Pourtant, les biographies de ces ascètes philosophes ont un point commun avec les Vitae médiévales : ce sont des hagiographies (voir les premières lignes de la vie de Plotin par Porphyre). Le philosophe est le saint de la pensée, un être séparé du monde, qui fait silence sur ses parents et reste de fait célibataire, sans descendance. Entre dévotion et extase, qui signifient la présence de l’absolu, ces philosophes font se rejoindre le pios et le logos dans une spiritualité. Ils invitent le lecteur à se recueillir comme eux-mêmes dans l’absolu de l’Un, dont ils recherchent obstinément la présence en pratiquant l’invocation qui donne à leurs écrits un tour méditatif. Le philosophe est « en théos ». Cependant les philosophes reprennent les mythes, les interprètent, en découvrent le sens allégorique. Précurseurs peut-être de la démythologisation, ils sont aussi les précurseurs de la mystique spéculative d’Eckart ou de Tauler, Tauler, cher aux passionnistes. Philosophie et religion ont le même objet.
27Le mouvement de l’âme est semblable à celui du mystique : habiter en Dieu (esse in), aller sur les chemins et devenir ce qu’on veut être (esse ad), puis faire retour à la maison du Père (esse in). La métaphore de la contemplation se déplace de la vue au toucher. C’est par le contact avec le principe, c’est-à-dire le rien, que s’effectue le mouvement fondamental, monè, prodos, epistrophè. Le schème métaphysique du néoplatonisme est un schème religieux, la piété de Breton, comme celle des néoplatoniciens, est imaginative et affective ; piété qu’il conjuguait avec un exceptionnel discernement qui implique un esprit critique radical. Breton s’inscrit certes dans la ligne du néoplatonisme, mais il fait son œuvre propre de philosophe d’aujourd’hui, c’est pourquoi il n’est pas un philosophe religieux, lui qui refusait de se dire et d’être un philosophe chrétien. C’est en philosophe qu’il se tient au pied de la croix et se meut dans le logos de la croix. Dans une telle mouvance, on comprend, et j’y reviendrai dans ma conclusion, que Breton ait eu tant d’amis, si divers, d’ici et d’ailleurs, amis auxquels il fut d’une disponibilité exemplaire, car il s’est toujours tenu en dehors de tout dogmatisme et de tout fanatisme.
Spinoza, exégète et philosophe de la religion
28C’est peut-être parce que Breton n’est pas un philosophe religieux qu’il a fait de sa lecture de Spinoza non pas un commentaire mais plusieurs ouvrages. Ce qui a fasciné Breton chez Spinoza, c’est son esprit critique qu’il exerce autrement que les philosophes néoplatoniciens. Spinoza élimine toute idée de mystère et d’ineffable. La philosophie, savoir absolu, est au-delà du religieux. Et même si l’idée adéquate de Dieu comme infini joue le rôle d’un principe de limitation – nous ne connaissions pas la totalité de l’infini –, nous avons une idée claire et distincte de Dieu comme causa sui. Le discours négatif, refuge de l’ignorance, est abandonné. Il n’y a aucune substance métaphysique du religieux que Spinoza limite à un comportement pratique, ce qui ne l’empêche pas d’inventer une nouvelle méthode d’interprétation, une exégèse des textes bibliques. Spinoza est un solitaire dont Deleuze ose faire un homme de chasteté et de pauvreté. Il n’est rattaché à aucune institution religieuse ou universitaire. Toujours en quête de libération, il ne se laisse pas inféodé. Rêve de Breton, peut-être ?
29Combat pour y parvenir, certes. L’Ethique, comme le Traité téologicopolitique, constitue une critique de la théologie, une rupture totale avec elle. Dénonçant l’anthropomorphisme du langage de la théologie, Spinoza critique l’idée de libre arbitre attribuée à Dieu, l’idée de création qui suppose la suprématie de Dieu sur le monde et la critique d’une contingence du temps. L’Ethique substitue à un Dieu doté de libre arbitre et créateur, une liberté nécessaire. Spinoza décèle le lien entre théologie et téléologie ; ainsi se trouvent renversés l’homme comme centre de l’histoire et la providence, qui n’est autre qu’une impulsion définie sur le mode de la nécessité. Quant à l’amour de Dieu, Spinoza lui donne un sens nouveau, c’est l’amour de l’homme pour la perfection divine, non un affect toujours mêlé de haine.
30La philosophie de la religion prend la religion pour objet et exige une mise à distance du religieux. Elle s’interroge sur l’expérience religieuse en s’inspirant de la science. A quelle condition telle religion, en l’occurrence le judéo-christianisme, a-t-elle été produite ? L’Ecriture est traitée du point de vue de la physique : on la considère comme des plans et des lignes. Spinoza s’interroge sur les conditions sociales d’apparition des phénomènes religieux. La philosophie s’oriente ainsi vers un savoir positif de ces phénomènes en dévoilant l’imaginaire, ce qui n’empêche pas Spinoza d’accorder à l’imagination la place qui lui revient. Mais Spinoza rompt de façon décisive avec l’herméneutique religieuse en son interprétation ontologique et théologique. L’exigence de Spinoza se dégage de tout postulat herméneutique et de toute philosophie de l’histoire. Elle substitue aux illusions liées à la finalité et à la providence la recherche des conditions de possibilité de la réalité existante.
31Cette lecture de Spinoza nous montre Breton sous ses traits spéculatifs et sa passion pour le principe de raison. C’est à Spinoza, et non à Leibniz, qu’il attribue la formulation de celui-ci, qui trouve dans la causa sui son expression. La causa sui ne correspond-elle pas au rêve fou d’être sans père ni mère – c’est le paradigme de la liberté, bien différente du libre arbitre ? La vraie religion pour Spinoza est celle qui permet de se comporter conformément à la raison en aimant le prochain et en se soumettant au souverain, garant de la sociabilité. La vraie religion s’écarte des institutions religieuses.
De la vraie religion à la querelle de l’athéisme : la philosophie en question
32L’histoire nous confronte à l’athéisme polémique et à l’athéisme dogmatique. Spinoza, et beaucoup plus tard Fichte, se défendent contre l’accusation d’athéisme polémique : ils ne font que décaper les présupposés des théologiens. Quant à l’athéisme dogmatique de Feuerbach, Marx et Freud qui, après Hume, dénoncent la conclusion de l’existence de Dieu à partir du monde sensible et ne font que projeter sur une substance extérieure, illusoire, leur sagesse ou leur désir, Breton se situe au-delà. Il renvoie dos à dos le Dieu qui sanctionne et le Dieu qui couvre de sa protection idéalisée l’humain misérable et déçu. Ce dieu a une forme humaine souvent empruntée à la famille ; c’est une idole.
33Breton ne néglige pas la tentative de Engels et Marx de se situer par delà l’athéisme, en cette science qu’est le matérialisme de l’histoire en lequel disparaissent religions et philosophies, qui apparaissent alors comme des idéologies. La philosophie perd ainsi sa fonction. Breton, en dépit de ses affinités pratiques avec le parti du peuple, n’a jamais suivi cette voie. Il ne s’oriente pas davantage sur les chemins de Heidegger. Contestataire des idoles, des totalités et des totalitarismes, de toutes les formes de fanatisme, le romancier de la causa sui garde en mémoire et met en œuvre la fonction du daimon socratique toujours en recherche de l’essence de la philosophie et de sa fonction.
34Breton, le philosophe des deux matières, le philosophe des deux néants, toujours habité par le principe d’incertitude à l’œuvre dans tout travail de pensée et dans la quête inachevée du principe, s’oriente au-delà de l’athéisme, au-delà de tout arrêt sur la religion, sans souscrire pour autant à l’opposition bultmannienne entre foi et religion. Entre saint Thomas et Bultmann, pris dans une logique des contraires, Breton ouvre une voie, des voies peut-être. Bien que la question de l’être ne puisse être en toute rigueur éliminée, Breton n’est-il pas le philosophe de l’odologie ? Breton dénonce la faiblesse de la distinction entre christianisme et humanisme parce que l’histoire du christianisme, aussi entachée soit-elle de fanatismes et de cruautés, a sans relâche développé des dimensions humanistes. Sans épuiser l’avenir du christianisme, l’humanisme est un des chemins de cet avenir imprévisible. L’humanisme, la dignité de l’humain, se trouve et se reconnaît dans la rencontre de l’autre, ici et ailleurs. L’avenir du christianisme, c’est l’autre « autre », l’autre dans son altérité.
Au delà de l’athéisme : des voies pour s’orienter dans la pensée d’un « je ne sais quoi qui se trouve d’aventure » (Jean de la Croix), d’un rien, d’un peut-être
35Le titre m’est inspiré par un poème de Jean de la Croix [4], et d’une lecture d’un texte de Breton, publié en anglais : The God who may be [5].
36Dès la première page, avec l’irrépressible insolence qui lui est familière, Breton cite Rabelais : je m’avance vers le grand Peut-Etre. Faut-il y voir un reflet du doute universel relatif à toute vérité se proposant comme telle [6], ou plutôt l’entendre comme un nouveau nom divin d’autant plus convenable qu’il est d’une infinie ouverture ? Dieu Rien, Dieu Peut-Etre, Dieu peut être au-delà de l’être. Breton ose émettre l’idée d’un renoncement à toute représentation de la résurrection pour laisser celle-ci s’actualiser dans le mouvement qu’ouvre le geste du lavement des pieds qui engendre la communauté [7]. La résurrection se réalise encore par l’extension infinie du « je » christique, dans les petits, les manquants, les souffrants, les tout-petits qui attendent tout de leur mère ou d’un autre. Comment le Christ peut-il dire de ces dons faits à l’autre et qui ne sont rien de plus pour lui que des exigences vitales « c’est à moi que vous le ferez » ? Ce futur n’advient ni du présent ni du passé, c’est le futur à l’état pur.
Un Dieu qui s’anéantit et disparaît dans les autres
37Le Verbe de la croix va à l’extrême de la dérision : le fils de l’homme, dévisagé – il n’a plus ni forme ni figure – dit quelque chose de Dieu : un Dieu qui trouve une expression nouvelle dans la scène du jugement dernier ; là, il n’est pas question de religion, il n’y a pas de credo ni d’observance. La puissance d’un Dieu mort en croix consiste à aller jusqu’à disparaître dans les autres, affamés, assoiffés, prisonniers, malades, mendiants (Matthieu 25, 35 et sq.). En un mot, dans les moins que rien. Ces autres, manquant du nécessaire, sont la flamme des bénis, de ceux qui donnent à boire, à manger, à habiter, de ceux qui partagent ce qu’ils ont comme des frères (Psaume 132). Dieu disparaît sous la figure des plus humbles au profit de la relation fraternelle. Dieu n’est rien, il est tous ces autres sans en être aucun, car il n’est rien de ce qui est, rien de ce qui devient et en lui pourtant toute vie se déploie. Il n’est rien, personne, il a tous les noms, on peut le traiter de tous les noms, ce qu’on ne manque pas de faire. Rien. Mais de cela peut-être nous n’avons pas à demander pardon car nous sommes loin du blasphème.
Et si Dieu, dans un humour extrême, était comédien ?
38Qu’est-ce qu’un comédien ? Le comédien est celui qui peut jouer tous les rôles [8]. C’est en s’interdisant toute complicité avec le personnage, dans une sensibilité qui conduirait à se fondre avec lui, que le comédien joue son rôle en artiste. C’est parce qu’il n’est rien qu’il peut tout devenir. C’est ainsi que les mystiques s’apparentent au comédien quand l’âme devient le « nu pâtir ». Le comédien trouve dans le héros de l’Odyssée, Ulysse, sa figuration exemplaire. « Je m’appelle personne », dit l’homme aux mille tours déjouant ainsi la tempête qui le menace, et, par la ruse, se moquant de la force qu’il met hors combat [9].
39Pour devenir autre, pour se faire autre, pour exister, il faut n’être personne, être personne, ne rien avoir. La condition de la création de soi par soi, se transforme en obligation de façonner un devenir qui n’est pas pré-contenu dans ce qu’il est ou a été. C’est dans cet espace intervallaire que se constitue la liberté. Le jeu de comédie fournit le schème d’une pensée du divin.
40Mais quel est ce « je », énigmatique, qui identifie le « je » du Christ à celui des pauvres ? Il ne concerne ni le moi empirique, ni le moi transcendantal, ni le moi éthique, ni le moi divin. C’est le moi humilié, transfiguré, par la compassion et le goût du quotidien ; une présence qui prend pour demeure les plus déshérités. La foi quant à elle est saisie par le Verbe en croix et rejoint par la vertu de ce Verbe un Dieu de faiblesse et de folie qui scandalise les juifs et les grecs. « Au-delà d’un Dieu de plénitude, le langage de kénose, c’est-à-dire du vide, indique à son tour la nécessité de prendre ses distances non seulement à l’égard des représentations du désir mais aussi à l’encontre des obsessions du moi et de son intégrité » [10].
41Nous ne pouvons pas parler de l’ineffable et nous sommes contraints d’en parler, c’est pour soutenir ce paradoxe que les mystiques mettent en scène, en la somatisant, la folie de la croix ou en écrivant la fable de leur expérience qui développe toujours un cantique au silence comme si la parole ne pouvait que s’effacer devant un Verbe fait chair. Le corps, le monde lui-même et ses éléments deviennent le lieu d’une vérité mystique, qui comme dans un autre ordre, la vérité psychique demande à être distinguée de la vérité historique. La fable mystique est de même étoffe que la sacramentalité qui n’existe que dans l’absence de ce qu’elle donne, que sur un mode mystérieux. C’est à cela que nous entraine Breton par la rencontre permanente de l’autre qui de façon déconcertante appelle encore et toujours à se faire autre. C’est ainsi que Breton a pu passer du souffrir de la mélancolie à une autre manière d’éprouver la vie, en disant « vive la joie ».
42Pour conclure, j’introduirai ce qui chez Breton n’est pas objet de discours mais bien plutôt d’une poétique de l’existence : l’amitié. Breton n’a pas eu de maître, il n’a pas voulu avoir de disciples mais il a eu beaucoup d’amis. Il a vécu des autres, par et pour eux sans jamais peser sur eux, sans jamais exercer sur eux une quelconque domination, sans jamais tenir les autres sous tutelle ; il les laissait être, comme si chacun était cause de soi, lui qui ne s’est jamais laissé aliéner par quiconque. J’ai eu bien tort, croyez-moi, de ne pas oser l’approcher lorsque j’ai suivi son cours en 1972-1973, tant je craignais qu’il porte quelque trace d’un directeur spirituel. J’ai perdu sept ans pour faire cette belle rencontre, mais je ne les aie pas perdues parce que l’amitié, pour bénéficier de l’épreuve du temps, n’est pas une affaire de temps, elle échappe à toute logique comptable. Les amis étaient son salut parce que l’homme étendu sur la croix est d’abord l’ami des humains. Chacun était reçu par Breton dans la fraîcheur de son commencement toujours renouvelé, comme un enfant, comme ces petits enfants dont il était le complice et qu’il préférait rejoindre dans leur originaire en deçà de toute activité intellectuelle ; ces petits enfants avec lesquels il dansait en pensée dans le tourbillon d’une ronde, lui qui a tant joué avec eux et qui les a entourés d’une attention maternelle. Ceux qui sont in-fans, dans le temps d’avant la parole, ceux-là d’abord étaient ses amis. Amitié sans amitié, dirait Blanchot. De ceux qui parlent et qui questionnent, de ses élèves qui, dans leur posture temporaire étaient déjà des amis potentiels, sujets à part entière d’une recherche anonyme de la vérité sur laquelle nul n’a prise, il savait faire des amis. Chacun était pour lui tel un ange, en perpétuel transit mais la rencontre était cultivée avec une fidélité sans faille. Toujours bienveillant et cordial, lui qui exerçait avec intrépidité son jugement, ne jugeait jamais personne. Sans pitié pour la sottise et la prétention toujours sotte, il cultivait l’amitié à temps et à contre-temps, sans aucune discrimination de sexe ; il en faisait dans la discrétion et la patience, l’enveloppe des relations fraternelles de sa communauté. C’est l’amitié qui nourrit le compagnonnage religieux, vécu avec humour et décapé par l’éclat de son rire, de celui que beaucoup appelait « père Breton ». Homme d’une tendresse maternelle en sa composante féminine, il était bien un père en étant pour chacun un Orient vers l’autre et vers l’ailleurs. Mais c’était d’abord un ami.
Notes
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[1]
Angelus Silesius, L’errant chérubinique, Arfuyen, 1993, p. 15.
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[2]
Stanislas Breton, De Rome à Paris, Paris, Desclée de Brouwer, 1992, p. 14.
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[3]
Plotin, Ennéades 5, 2
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[4]
« Pour toute la beauté », Poésies complètes, traduction par Bernard Sesé, Paris, José Corti (coll. « Ibériques »), 2003, p. 94-96.
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[5]
Dans Research and phenomenology, Vol. 34, Boston, 2004, p. 255 sq.
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[6]
Stanislas Breton, Le vivant miroir de l’univers, Paris, Cerf (coll. « Philosophie et théologie »), 2006, p. 33.
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[7]
Stanislas Breton, Que penser de la résurrection ?, Inédit, 2004, Fonds Breton 786.31.7.g.
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[8]
Diderot, Le paradoxe du comédien.
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[9]
Stanislas Breton, Rien ou quelque chose, Paris, Flammarion, 1987, p. 14-26.
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[10]
Stanislas Breton, Le vivant miroir de l’univers, op. cit., p. 124.