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Article de revue

Rapport de soutenance de thèse

Pages 141 à 144

Notes

  • [1]
    La thèse établit la diachronie de cette séparation : Du soutien mutuel au désaccord tragique.
    1894-1997 : front commun mais quiproquo en germe
    1998-1906 : débat à propos du raisonnement métaphysique et du chemin de divinisation
    1906-1921 : disharmonies des voies jusqu’au désaccord profond
    1922-1925 : écart infranchissable sur la question du don
    1925-1928 : durcissement des incompréhensions mutuelles
    1932 : envoi par Blondel à Laberthonnière de son texte Problème de la philosophie catholique dédicacé : Animae carissimae semper memor.

Clémence Rouvier, La divinisation de l’être. Le différend entre Maurice Blondel (1861-1949) et Lucien Laberthonnière (1860-1932) dans leur correspondance. Volume I : 454 pages, Volume II : 124 pages

1 Thèse de doctorat canonique en théologie soutenue à l’Institut Catholique de Paris le 14 février 2015. Mention obtenue : Excellence (Summa cum laude).

2 Jury composé du Doyen Thierry-Marie Courau, président, du Pr. Jean-Louis Souletie, directeur de la thèse, du Pr. Vincent Holzer, lecteur expert, et du Pr. Emmanuel Gabellieri, lecteur expert (Université Catholique de Lyon).

3 La thèse de Madame Clémence Rouvier, directrice du cycle C au Theologicum, a reçu la plus haute distinction du jury pour sa recherche inédite et originale. Elle a identifié le différend entre Blondel et Laberthonnière à travers leur correspondance privée de 1894 à 1928. Elle rétablit les passages omis par la publication ancienne de C. Tresmontant et ajoute des lettres inédites à partir du Fonds Laberthonnière de la BnF, annexées à la thèse. Le titre de la thèse, fait remarquer le professeur E. Gabellieri de l’Université Catholique de Lyon, est très blondélien alors que le propos défend souvent davantage les arguments de Laberthonnière.

4 Alors qu’ils sont tous les deux pourtant considérés comme les tenants de la « méthode d’immanence », ces deux auteurs divergeront jusqu’à la séparation radicale. Les deux pensées se rencontrent et collaborent, mais là où Blondel annonce une « métaphysique expérimentale » (1894), Laberthonnière construit une « introduction à la théologie vivante » (1894).

5 La thèse de C. Rouvier démontre que le désaccord est en germe dès le départ de leur relation [1]. En effet, très vite pointent deux approches irréductibles : Blondel affirme l’impossibilité d’une continuité réelle entre les deux ordres du naturel et du surnaturel, tandis que Laberthonnière pense la solidarité des deux.

6 Plus encore, la dissertation établit que, dans ce débat philosophique, se joue la question théologique du salut chrétien : le salut ne reste-t-il pas extérieur à l’homme, si l’homme n’est pas partie prenante de sa divinisation ? Henri de Lubac dira sa dette envers Lucien Laberthonnière pour sa réflexion sur le surnaturel (cf. lettre du 31 janvier 1932). Après un status quaestionis élaboré, la thèse prend position quasiment à l’inverse de la publication des lettres entre les deux auteurs par C. Tresmontant qui insistait sur ce qui les rapproche.

7 Blondel reproche dans ses lettres de plus en plus nettement à Laberthonnière une théologie du don qui pourrait laisser penser que la christologie ne serait que fonctionnelle (pour nous) et non ontologique, et la divinisation de l’homme immédiate. Laberthonnière critique Blondel pour sa philosophie de l’action qui reste figée dans les catégories de pensée aristotélicienne. Elle l’empêcherait d’aborder de manière dynamique la divinisation de l’homme et aboutirait à une philosophie pragmatique incapable de sortir du dualisme cartésien.

8 Trois parties organisent la thèse et identifient le différend par leur titre : « Entre réalisme intégral et réalisme spirituel et moral » ; « Entre être et amour » ; « Entre nature et surnature ».

9 Le statut donné au réel diverge chez les auteurs et indique aussi la différence théologique concernant le salut. Cette proposition pouvait être inversée, selon le professeur Holzer, donnant une autre architecture à la thèse et mettant moins la philosophie en position ancillaire à l’égard de la théologie. Le directeur du CED ajoute que le lexique méritait une définition plus précise notamment entre réel, réalisme, réalité. Là où Blondel reproche à Laberthonnière sa tendance gnostique à abolir « la figure du monde » (1898), Laberthonnière critique sa substantivation du réel qui le conduit au dualisme cartésien source d’athéisme. Une analyse des sources souvent cryptées chez Laberthonnière aurait permis de mesurer l’influence de Descartes et de Malebranche chez l’oratorien.

10 La deuxième partie établit le caractère infranchissable de la philosophie aristotélicienne de Blondel pour Laberthonnière. Le débat se concrétise dans l’opposition entre l’Ipsum Esse Subsistens et l’affirmation du Dieu de la Générosité. En conférant un rôle premier au don divin, l’oratorien a récusé tout le schéma théologique déterminé par les notions de cause première et de cause seconde. La conception de la déification de la personne s’en trouvera différenciée dans les deux postures. Mais, interroge le professeur Holzer, existe-t-il encore une théologie trinitaire chez Laberthonnière ?

11 De la même manière, les deux auteurs se séparent sur la définition du principe d’individuation : notre existence individuelle passe nécessairement par un principe matériel sans lequel il n’y aurait pas de singularité possible, l’humain est « composé » pour Blondel, qui se fait en cela un disciple d’Aristote. Notre existence est d’abord spirituelle ou morale et nous participons activement à notre « surnaturalisation ». Il n’y a pas d’existence propre de la créature indépendamment du vouloir divin. L’Individuation s’opère par le don de Dieu. Bref, à une ontologie du don relationnelle s’oppose un don lié à l’Acte pur comme causalité (228).

12 La troisième partie porte le différend à son comble. Blondel pose que la dimension surnaturelle est inaccessible à l’homme en raison d’une ontologie défaillante, mais se trouve dévoilée en creux dans le réel. Une nature pure lui apparaît nécessaire pour sauvegarder la gratuité du surnaturel. Le philosophe aixois souligne ici la liberté de l’option humaine par opposition à l’indifférence : l’action est source de l’agir qui permet de dépasser la factualité en l’ordonnant librement. A l’inverse, Laberthonnière insiste sur la dimension surnaturelle qui se découvre dans la vie dès lors que l’homme reçoit activement la part divine qui lui est donnée et y coopère. Le Surnaturel sourd de l’intérieur de l’homme dans son essence même.

13 Doit-on alors penser un seul don ou la nécessité d’un double don pour comprendre la déification de l’homme ? (1923) Le professeur Gabellieri a proposé de penser un triple don chez Blondel avec celui de la liberté qui permettrait de dépasser l’aporie que soulève Laberthonnière entre un Dieu « créateur » et un Dieu « surnaturalisateur » (1923). Le professeur Holzer souligne dans ce débat que l’oratorien pourrait bien être néo-scotiste alors que lui-même semble se séparer de la thèse scotiste sur l’Incarnation (1925).

14 Tout au long de la thèse, C. Rouvier adresse ses questions aux auteurs jusqu’à diagnostiquer leur influence réciproque. Le rapport entre philosophie et théologie, qui est ici élaboré en raison même du sujet de manière originale, s’avère très fécond pour l’actualité de la recherche en théologie.

Notes

  • [1]
    La thèse établit la diachronie de cette séparation : Du soutien mutuel au désaccord tragique.
    1894-1997 : front commun mais quiproquo en germe
    1998-1906 : débat à propos du raisonnement métaphysique et du chemin de divinisation
    1906-1921 : disharmonies des voies jusqu’au désaccord profond
    1922-1925 : écart infranchissable sur la question du don
    1925-1928 : durcissement des incompréhensions mutuelles
    1932 : envoi par Blondel à Laberthonnière de son texte Problème de la philosophie catholique dédicacé : Animae carissimae semper memor.
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