Jean-Louis Souletie (dir.), Les grands mots de la foi. Trente-six questions pour entrer dans la vie chrétienne, Paris, Desclée de Brouwer, 2010, 193 p.
1Fruit d’un dialogue avec un membre du Service national de la catéchèse et du catéchuménat, le livre de J.-L. Souletie présente, en une série de brèves notices (la plus longue fait moins de neuf pages), le vocabulaire lié à l’expérience chrétienne. La signification théologale de cette expérience est manifestée entre autres par le fait que les trente-six thèmes qui composent ce livre sont regroupés en trois parties, intitulées respectivement « La foi », « L’espérance » et « La charité ». Cependant, la relation de cette expérience à notre situation culturelle n’est pas occultée. Cette combinaison entre le théologal et la situation représente l’originalité et la valeur de l’ouvrage.
2La première partie présente la foi comme expérience spirituelle et s’appuie sur l’attente qu’il faut reconnaître chez nos contemporains. Le pluralisme religieux de nos sociétés est tel que prendre le risque de la rencontre avec ceux qui croient différemment de nous appartient au croire. Là se trouve l’aptitude de l’expérience spirituelle à nous faire trouver Dieu, qui est le Tout Autre et dont la rencontre bouleverse nos vies. Presque imperceptible, la relation au Christ se fait alors par une écoute obéissante et patiente de la Parole et suppose de répondre, malgré les obstacles, à un appel. De ce fait, cette écoute a lieu dans un combat spirituel qui consiste en un discernement de cette parole. Dans ce processus, la célébration dominicale, qui nous apprend à vivre la vie comme un don, a un rôle déterminant.
3La deuxième partie présente cette expérience comme une expérience de bonheur, lequel doit s’inscrire dans notre existence et notre histoire. Ici, le discernement des signes des temps est capital, puisque Dieu est présent à notre monde et que la conversion est précisément une exigence de notre rapport au monde. Il s’agit d’y assumer nos responsabilités pour construire une paix, même avec l’ennemi, et ceci malgré les crises. D’un point de vue chrétien, ces crises ne peuvent être envisagées que dans la perspective de la résurrection qui doit avoir lieu à la fin des temps. La joie pascale, celle qui se réjouit du royaume, est ainsi en relation dialectique avec la croix.
4La troisième partie présente la charité comme amitié avec le Christ, à laquelle contribue la célébration des sacrements. La mesure de cette relation proprement théologale est présentée au travers des exigences actuelles de la charité : l’amour des ennemis ; la mission, et plus précisément celle de l’Église auprès des autres religions ; et enfin, la vocation à la sainteté.
5Voilà donc un petit livre agréable à lire, et très utile à celui qui veut avancer plus avant dans son expérience spirituelle.
6Benoît-Marie Roque
Laure Solignac, La théologie symbolique de saint Bonaventure, Paris, Parole et Silence, 2010, 130 p.
7Ce livre est une réussite. Il présente, en effet, en trois chapitres d’une grande clarté, la théologie symbolique d’un docteur franciscain du Moyen-Âge, non seulement dans son contexte historique, en tant que fils de saint François d’Assise (p. 77, 91, 105, 117) et héritier de la scolastique universitaire parisienne du xiiie siècle (p. 8, 21, 107), mais selon une présentation qui sait immédiatement s’adresser à l’homme de notre temps. Quel est aujourd’hui notre rapport avec la nature ? Quel devrait-il être ? Nous percevons aujourd’hui que notre relation à la nature est faussée. Mais comment retrouver le rapport qui conviendrait ? Existe-t-il un juste rapport ? Celui-ci a-t-il jamais existé ? Nous ne savons plus communiquer avec la nature, notre langage est fort pauvre. Tout se passe comme si nous avions perdu le langage de la nature. La théologie symbolique a précisément pour fonction de nous faire redécouvrir ce langage. Une telle attitude s’apparente à l’apprentissage d’une langue étrangère. Nous devons quitter nos habitudes et nos syntaxes pour découvrir la langue, et ce faisant la culture d’un autre. La théologie symbolique nous apprend que Dieu parle et qu’il est Trinité. Que Dieu parle non seulement à travers la nature, mais dans la nature ; et que nous-mêmes, êtres de sensibilité, pouvons ainsi le connaître et l’aimer.
8Chapitre I. Ce chapitre est un modèle. Il serait bon que les études contemporaines sur Bonaventure s’en inspirent. D’une part, l’auteur y montre toute sa compétence. En effet, en chaque point de sa présentation, le livre nous donne et la source historique et ce en quoi la pensée de Bonaventure s’en distingue ; il en est ainsi pour Denys le Pseudo-Aéropagite (p. 9, 78, 116), Augustin (p. 21, 78, 97) et Anselme (p. 30). C’est avec une grande pédagogie, d’autre part, que L. Solignac expose le cheminement de la pensée bonaventurienne, qui tente de répondre à la question suivante : comment pouvons-nous et devons-nous user du monde ? Finalement, la réponse de Bonaventure est celle-ci : « Lorsque l’homme fut tombé [ …], il n’y avait personne pour reconduire les créatures à Dieu. C’est pourquoi ce livre, c’est-à-dire le monde était alors comme [ …] effacé. C’est pourquoi un autre livre fut nécessaire [ …]. Ce livre est celui des Écritures qui expose les [ …] propriétés [ …] des choses écrites dans le livre du monde. Donc ce livre de l’Écriture répare le monde entier et le réordonne, à la connaissance, à la louange et à l’amour de Dieu. » Nous ne pouvons connaître la nature, sans nous connaître nous-mêmes. Or cette double connaissance, qui se veut rédemptrice, vient de l’Écriture. Ce faisant, l’homme réconcilié, « l’homme tout entier » (p. 117), peut cheminer vers Dieu au moyen du monde sensible.
9Chapitre II. Toujours avec la même pédagogie, reprenant l’approche de Bonaventure, l’auteur nous conduit de la réalité de « la présence » de Dieu dans le monde (p. 40) à la marque de cette présence qui s’établit selon un triple degré de ressemblance (p. 46) : le vestige (sensible), l’image (intellectuelle), la ressemblance (spirituelle). Placé entre la nature et Dieu, l’homme apparaît ainsi comme un véritable médiateur (p. 60), et cela du fait même de sa nature sensible. Ce en quoi Bonaventure s’oppose définitivement à Jean de la Croix (p. 87). Avec le maître franciscain, il faut alors considérer, en raison même de notre rapport de médiation, que notre relation à la nature est double : soit nous en usons pour aller du monde à Dieu (p. 63), soit pour aller de Dieu au monde (p. 76). Ce qu’il y a de remarquable en cette théologie est qu’il s’agit de notre usage du sensible, et non pas d’une simple réflexion sur le sensible. La sensation est ici promue comme un véritable « acte théologique » (p. 39).
10Chapitre III. Le Christ, qui est le « seul maître » (p. 96), nous enseigne également « la théologie symbolique » (p. 13). Ressemblance du Père et du monde (p. 94), personne médiane dans la Trinité, le Verbe créateur reconduit à la Trinité. Pasteur et pâture, médiateur entre Dieu et les hommes, le Verbe incarné se donne au monde dans l’Eucharistie (p. 98) et les Écritures (p. 109).
11Laissons la parole de conclusion à Laure Solignac : « Au lieu d’exiger de son lecteur qu’il renonce, autant que possible, à l’exercice de sa sensibilité, le Docteur séraphique fait de notre usage des créatures un chemin possible et légitime vers Dieu. Par là même, il ouvre la voie à une expérience quotidienne authentiquement trinitaire de toutes choses. »
12Marc Ozilou
Jean-Louis Vieillard-Baron, La religion et la cité, Paris, Le félin, 2010
13Où en sommes-nous du rapport entre religion et cité ? C’est la question que traite et traverse Jean-Louis Vieillard-Baron dans cette réédition actualisée d’un livre qui intéressera non seulement le spécialiste de la philosophie des religions mais aussi le novice, qui trouvera une matière riche pour comprendre un peu plus et un peu mieux la situation et le statut de la religion dans les sociétés modernes. Si le religieux semble toujours avoir une place dans des formes nouvelles et renouvelées, un « religieux sans religion », est-ce encore le cas de la religion ? Faire silence sur la religion – affirme l’auteur – c’est s’exposer à une véritable aliénation de l’esprit. Il faut donc, pour qui veut aujourd’hui réfléchir sur la cité, réengager la question de la religion, mais sous l’horizon d’une philosophie de la religion qui, épistémologiquement, ne peut se placer que « d’un point de vue non croyant ». C’est ce à quoi l’auteur nous invite afin d’éviter le risque réductionniste des lectures sociologiques, politiques et croyantes de la question. L’actualité et la récurrence du débat sur la laïcité rend ce livre précieux en ce qu’il livre des mises au point conceptuelles pour engager sereinement et rigoureusement le débat, sans céder aux logiques d’appartenance idéologique qui ne rendent que rarement justice à la complexité des réalités étudiées.
14L’argumentation constructive de ce livre passe par une déconstruction rigoureuse de la réduction de la religion, soit à une expérience subjective de la conscience, soit à une réalité sociologique et politique. Il désamorce les antinomies de la religion entre prétention à la vérité et liberté, entre religiosité individuelle et communauté religieuse, conscience religieuse et présence testimoniale de Dieu. La tâche est de pallier à la fragilité, voire à l’absence de définitions, qui faussent et génèrent de nombreux malentendus. Au terme de ce parcours, stimulant par la discussion avec les auteurs les plus représentatifs, se pose la question de l’avenir du christianisme. Comment peut-il être encore d’actualité et faut-il qu’il le soit ? Ici, l’auteur répond philosophiquement. « Si tout s’accomplissait dans l’histoire, la religion serait sans doute inutile », mais voilà, l’homme ne peut se passer d’une intersubjectivité spirituelle. Celle-ci est Esprit, transcendant à la communauté historique et immanent en elle. La religion en est traversée. En refermant ce livre, on se sent plus intelligent et le croyant sans doute plus apte à réengager la question de la religion dans l’actualité contemporaine d’une société qui imagine pouvoir s’en passer.
15Marc Grassin