La maladie à corps de Lewy, mal connue
1La maladie à corps de Lewy est une maladie neurodégénérative mal connue alors qu’elle est très fréquente puisqu’on estime qu’en France, il y aurait plus de 150 000 personnes atteintes. Les Britanniques la surnomme « la maladie la plus commune dont vous n’avez jamais entendu parler ».
2C’est une maladie pour laquelle deux tiers des malades ne seraient jamais diagnostiqués. Les raisons en sont multiples. D’abord c’est une maladie qui a été identifiée relativement récemment, au milieu des années 90 et beaucoup de médecins non pas été formés ou très peu sur cette maladie. Ensuite, c’est une maladie apparentée Alzheimer et apparentée Parkinson. Cette dénomination « maladie apparentée » apporte une confusion qui ne facilite pas le premier diagnostic. En effet, le premier symptôme lorsqu’il est un symptôme cognitif fait souvent penser à un trouble de la mémoire et le premier diagnostic auquel se réfère le médecin est alors celui de maladie d’Alzheimer. Si les premiers troubles sont des troubles moteurs, le médecin va annoncer une maladie de Parkinson. Dans les deux cas, l’erreur de diagnostic sera considérée comme vénielle puisque toutes ces maladies sont censées être « apparentées ». Ce terme de « maladie apparentée » pouvait se justifier au milieu du XXe siècle, lorsqu’on n’avait pas encore identifié certaines maladies neuro-évolutives, mais il n’a plus lieu d’être pour les maladies parfaitement identifiées, telle que la maladie à corps de Lewy.
3La multiplicité des symptômes ajoute une difficulté au diagnostic. Les tableaux cliniques des patients sont différents d’un malade à l’autre, surtout en début de maladie.
4Ainsi, l’un des premiers symptômes cognitifs auquel ma femme a été confronté a été le syndrome de Capgras, (ou syndrome des sosies, quand le malade prend son proche pour un sosie, souvent malveillant) alors que pour d’autres malades ce symptôme n’apparaîtra jamais.
580 % des patients vont avoir des hallucinations visuelles, mais pour d’autres, elles seront auditives et pour d’autres encore, totalement absentes. Beaucoup de malades, mais pas tous, vont avoir des troubles moteurs parkinsoniens qui débuteront parfois longtemps avant les troubles cognitifs. On parlera alors de démence parkinsonienne qui est en réalité une des formes de la maladie à corps de Lewy.
6Les malades à corps de Lewy présentent des troubles du comportement et de l’humeur qui sont très difficiles à vivre pour eux-mêmes et pour leur entourage. Ils ont également des troubles du comportement en sommeil paradoxal (TCSP) qui prennent souvent la forme d’un somnambulisme très particulier, où le malade « vit » ses rêves et le manifeste parfois de façon tellement réaliste que l’entourage peut croire qu’il est éveillé.
7La dépression et l’anxiété sont présentes dans la majorité des cas. Elles sont d’autant plus difficiles à traiter que les malades à corps de Lewy supportent souvent très mal les psychotropes, c’est d’ailleurs un des critères du diagnostic.
8Mais les grandes fluctuations du malade dans son comportement et ses capacités cognitives constituent certainement le symptôme le plus difficile à gérer. Le malade est perdu, il ne sait plus qui il est, ne reconnaît pas son proche, tient des propos incohérents et l’instant d’après, il retrouve une lucidité totale donne des explications claires, posent des questions pertinentes pour retomber peut-être aussitôt ou une heure plus tard ou des jours plus tard dans l’état cognitif précédent voire pire. Ces fluctuations sont difficiles à vivre pour le proche mais aussi pour le malade qui a parfaitement conscience de ce phénomène.
9Les médecins et les soignants ne perçoivent pas toujours ce symptôme. Devant une autorité médicale, inconsciemment, le malade va chercher à se montrer sous son plus beau jour. Il se met « en représentation », ce que les Américains appellent le show time. Ainsi, un jour où j’accompagnais ma femme, dans un grand hôpital parisien, alors qu’elle était là pour confirmation du diagnostic de maladie à corps de Lewy, une infirmière du service de neurologie me prend à part dans le couloir pour me dire : « On voit bien que votre femme simule… ». Je demande à cette infirmière pourquoi elle fait cette terrible observation. Elle me répond : « Ce matin, dans sa chambre, votre femme était pratiquement grabataire, ne répondait à nos questions que par des propos incohérents et regardez, maintenant elle marche normalement dans le couloir et elle parle avec la neurologue à côté d’elle comme vous et moi. »
Le parcours diagnostique
10Les parcours diagnostics commencentpresque toujours par une trèslongue errance. Pour ma femme, le premier diagnostic a été celui d’une dépression, ce qui n’était pas inexact mais incomplet. Elle a consulté une psychiatre qui essayait de comprendre pourquoi, à 64 ans, alors que ma femme n’avait jamais souffert de dépression, sans qu’aucun événement extérieur ne puisse expliquer sa souffrance, elle se mettait à sombrer dans une dépression profonde. La psychiatre lui a alors administré des antidépresseurs, qui n’apportaient aucun bénéfice même en modifiant vigoureusement la posologie. Un cardiologue qu’elle consultait par ailleurs lui a demandé pourquoi elle souffrait de dépression et lui a alors conseillé, puisqu’elle ne trouvait pas de raison à sa dépression, de consulter un neurologue.
11Quelques semaines plus tard, une neurologue diagnostiquait une maladie de Parkinson, à laquelle aurait été associée une dépression.
12Nous avons été soulagés. Nous avions enfin une explication à tous ces troubles de l’humeur et à la très grande anxiété qui envahissaient ma femme. Mais nous sommes restés sur ce diagnostic pendant plusieurs mois alors qu’elle a rencontré très vite des symptômes qui me semblaient ne pas appartenir aux maladies diagnostiquées. J’en faisais part à sa neurologue qui me répondait systématiquement que les troubles cognitifs avaient pour cause la dépression ou les effets secondaires des médicaments.
13Pourtant, certains troubles comme le syndrome des sosies, ou ces très grandes fluctuations étaient présents très tôt. Même les hallucinations qui ont commencé par des simples impressions de passages étaient mises sur le compte des effets secondaires des médicaments.
14Finalement, je suis allé fouiller sur Internet pour essayer de comprendre comment ces symptômes dont j’ignorais même le nom, pouvaient apparaître dans une maladie comme Parkinson. J’ai fini par trouver sur des sites américains et canadiens des descriptions de la maladie à corps de Lewy qui me semblaient correspondre à ce dont souffrait ma femme. Je suis allé voir sa neurologue, et en tête à tête, je lui ai demandé de s’assurer qu’il n’y avait pas une autre maladie que Parkinson. Après quelques jours d’hospitalisation, la neurologue prononçait enfin le diagnostic de maladie à corps de Lewy.
15Entendre le bon diagnostic, parfaitement cohérent avec les symptômes rencontrés, est d’abord un énorme soulagement alors même qu’on sait que la maladie à corps de Lewy sera bien plus difficile à vivre et accompagner qu’une simple maladie de Parkinson.
16Notre cas est très banal. Cette errance diagnostique est toujours vraie, dans la très grande majorité des cas et nous n’évoquons ici que les malades qui finissent par être convenablement diagnostiqués. Les deux tiers des malades à corps de Lewy ne sont jamais correctement diagnostiqués.
Vivre avec la maladie
17Ma femme n’a pas bien compris le diagnostic. Sa neurologue était restée vague dans la description des symptômes, entretenant une certaine confusion en évoquant une « forme de Parkinson ».
18Pour ma part, je cherchais le maximum d’informations sur cette maladie. Je voulais connaître l’adversaire. Je me suis tourné vers les associations censées apporter du soutien au famille. Il n’existait pas d’association spécialisée dans la maladie à corps de Lewy, mais puisque la maladie était « apparentée » Parkinson ou Alzheimer, j’ai sollicité les associations spécialisées dans ces maladies mais elles m’ont répondu qu’elles n’avaient pas de soutien particulier pour la maladie à corps de Lewy qu’elles assimilaient à la maladie de Parkinson ou d’Alzheimer. J’ai demandé à rencontrer d’autres aidants de malades à corps de Lewy, pour au moins partager les expériences que nous avions, sans succès.
19Petit à petit, avec d’autres aidants rencontrés sur Internet, nous avons créé un petit réseau d’échange, puis un site Internet, puis une association.
20Pour le malade et pour l’aidant, une bonne connaissance de la maladie va considérablement faciliter le difficile parcours qu’il vous reste à accomplir tous les deux. Si le médecin décrit précisément au malade les symptômes qu’il rencontre ou qu’il va rencontrer, en en expliquant la cause, ce dernier les vit et les accepte beaucoup mieux. C’est vrai aussi pour l’aidant pour qui la confrontation à un comportement aberrant de la part de son proche est une source d’angoisse considérable. Lorsque le malade et l’aidant savent qu’une fluctuation peut arriver, que d’un seul coup, le malade sera alors perdu, ils peuvent laisser passer l’orage, en se projetant sur l’instant d’après quand le malade soudainement ira bien. De la même façon, un malade à qui on a expliqué que voir des petits animaux passer sur le tapis n’est pas anormal avec cette maladie, vivra beaucoup mieux ses hallucinations. Il pourra même en rire, ou même en tirer profit, par exemple en les décrivant sous forme poétique comme l’a fait ci-dessous un malade diagnostiqué il y a deux ans : Une silhouette masquée
21Ou encore :
22Dans la maladie à corps de Lewy, le malade conserve malgré ses troubles une très grande lucidité. J’ai été frappé comment ma femme, même lorsque la maladie avait beaucoup évolué, était capable d’avoir des réflexions très pertinentes sur des événements qu’elle avait parfaitement perçus et analysés alors que nous avions l’impression que ses troubles l’avaient écartée de notre réalité. Le malade développe aussi une sorte d’hypersensibilité qui le rend particulièrement dépendant du comportement de son entourage. Une aide-soignante ou un aidant qui, devant un trouble du comportement va se contenter de tenir des propos calmes et empathiques va immédiatement apaiser le malade. Cette empathie est certainement un des meilleurs traitements non médicamenteux.
23La maladie à corps de Lewy n’est pas une forme de la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson. C’est une maladie qui a ses propres symptômes souvent d’allure psychiatrique et qui méritent une prise en charge adaptée.
24L’Association des Aidants et Malades à Corps de Lewy (A2MCL) tente de faire en sorte que cette maladie soit reconnue, et que les personnes atteintes ainsi que leurs aidants puissent alors sortir de l’isolement.
Mots-clés éditeurs : Fluctuations, Parcours diagnostique, Maladies neuro-évolutives, Maladie à corps de Lewy
Date de mise en ligne : 14/12/2020
https://doi.org/10.3917/top.150.0029