Topique 2019/3 n° 147

Couverture de TOP_147

Article de revue

Nijinski face au poids de la volonté divine

Pages 171 à 178

Notes

  • [1]
    Nijinski Vaslav, Cahiers, Babel Actes Sud, 1995. Succession V. Nijinski, 2000 pour le quatrième cahier. Version intégrale et non expurgée, p. 206.
  • [2]
    Nijinski Vaslav, Cahiers, Babel Actes Sud, 1995. Succession V. Nijinski, 2000 pour le quatrième cahier. Version intégrale et non expurgée, p. 164.
  • [2]
    Nijinski Vaslav, Cahiers, Babel Actes Sud, 1995. Succession V. Nijinski, 2000 pour le quatrième cahier. Version intégrale et non expurgée, p. 14.
  • [4]
    Nijinski Vaslav, Cahiers, Babel Actes Sud, 1995. Succession V. Nijinski, 2000 pour le quatrième cahier. Version intégrale et non expurgée, p. 173.
  • [5]
    Ibid., p. 172.
  • [6]
    Ibid., p. 182.
  • [7]
    Ibid., , p. 138.
  • [8]
    Nijinski Vaslav, Cahiers, Babel Actes Sud, 1995. Succession V. Nijinski, 2000 pour le quatrième cahier. Version intégrale et non expurgée, p. 111.
  • [9]
    Ibid., p. 334.
  • [10]
    Nijinski Vaslav, Cahiers, Babel Actes Sud, 1995. Succession V. Nijinski, 2000 pour le quatrième cahier. Version intégrale et non expurgée, p. 336.
« Comme la beauté, Nijinski est un drame. Un drame et une énigme. »
Jean Cocteau.

1« J’ai envie de pleurer, mais je ne peux pas, car mon âme me fait si mal que j’ai peur pour moi. Je sens de la douleur. Je suis malade de l’âme. Je suis malade de l’âme et pas de l’esprit. Le docteur Fränkel ne comprend pas ma maladie. Je sais ce dont j’ai besoin pour retrouver la santé. Ma maladie est trop grave pour qu’on puisse me guérir rapidement. Je suis incurable. Je suis malade de l’âme. Je suis pauvre. Je suis misérable. Je suis malheureux. Je suis affreux. Je sais que tout le monde souffrira en lisant ces lignes, car je sais qu’on me ressentira. Je sais bien ce qu’il me faut. Je suis un homme fort, et pas faible. Je ne suis pas malade du corps. Je suis malade de l’âme. Je souffre. Je souffre. Je sais que Kostrovski me ressentira, mais je sais que tout le monde me ressentira. Je suis un homme et pas une bête. J’aime tout le monde. Moi aussi, j’ai des fautes. Je suis un homme et pas Dieu. Je veux être Dieu. C’est pourquoi je travaille sur moi-même. Je veux danser, dessiner, jouer du piano, écrire des vers. Je veux composer des ballets. Je veux aimer tout le monde, voilà le but de ma vie. Je ne veux pas la guerre, les frontières. Je suis chez moi partout où la paix est. Je suis un homme, Dieu est en moi et je suis en Lui. Je Le veux. Je L’appelle. Je Le cherche. Je suis un chercheur parce que je sens Dieu. Dieu me cherche, aussi nous trouverons-nous l’un l’autre. »

2Il signe : Dieu Nijinski/ Saint Moritz-Dorf/ Villa Guardamunt. 27 février 1919. [1]

3Il a 29 ans. Il est au repos à la montagne. Le « Dieu de la danse », « le Tsar des airs », « Nijinski l’oiseau » vient d’y danser sa dernière chorégraphie le 19 janvier, jour de son mariage avec Dieu, il y a dansé tragiquement les horreurs de la guerre qui l’avait tant marqué. Il y avait travaillé jusqu’à 16 heures par jour, jusqu’à l’épuisement, comme il a toujours travaillé ses gestes, ses figures, ses chorégraphies, avec une volonté tenace, un acharnement hors du commun. Ce texte, texte charnière, nous met à un point de bascule dans ses Cahiers, son point de bascule.

4Il écrit fébrilement, se sentant sombrer. Il écrit sans ordre, parle de tout, revient sur sa vie, Diaghilev, sa belle-famille, son travail, sa femme. Vaslav écrit comme un enfant. Il le dit : « Je suis un enfant. » Les phrases sont minimales. Quelques énoncés servent de matrices à toutes les phrases. Les énoncés peuvent devenir contradictoires. Pas d’image, pas de métaphore. Sentir et ressentir sont déclinés d’une façon répétitive et lancinante car il veut dire les choses simples autour de thèmes de la vie et il y place la chose et son contraire. Il pense n’être pas compris par ceux qui ne « ressentent » pas. C’est ce langage en spirale qui va nous mettre en contact avec sa souffrance, sa peur de devenir fou. Vaslav ne dansera plus et son écriture va se distordre, se disloquer de pages en pages, pour ne plus devenir, à certains moments que successions de sons. Le poids de la volonté de Dieu a eu raison de son inimaginable légèreté.

5C’est ce trajet de vie d’un être d’exception, devenu un mythe, une source d’inspiration sans cesse renouvelée pour danseurs et chorégraphes jusqu’à nos jours, considéré comme un des pères de la danse moderne occidentale, que je vous propose de découvrir ou redécouvrir dans ce récit à deux voix. Ainsi, comment un oiseau dont l’envol n’a pas été égalé jusqu’à présent, a-t-il été écrasé par la volonté de Dieu ? Ce Dieu, son Dieu, composite et oppressant. Le journal clinique que représentent les Cahiers a été mon corpus. J’ai tiré un fil pour visiter les passages de sa vie écrits au fil de sa plume et sans le moindre ordre chronologique. Dans ce récit sur un mode associatif et de plus en plus chaotique, j’ai choisi de dérouler les moments fondateurs de son histoire, puis son écrasement par la volonté divine.

6Vaslav était né à Kiev en 1889, de parents polonais. Danseurs, ils ont été les premiers professeurs de leur fils. Le père les quitte et la mère part avec ses trois enfants à Saint-Pétersbourg. À l’âge de 9 ans, Nijinski entre à l’École impériale du ballet (Michel Fokine, Anna Pavlova, Tamara Karsavina, Georges Balanchine, Rudolph Noureev et Mikhail Barishnikov).

7« Ma mère ne savait pas quoi nous donner pour vivre. Ma mère est allée au cirque Cinizelli, pour gagner un peu d’argent. Ma mère avait honte d’un tel travail, car c’était une artiste connue en Russie. Je comprenais tout en étant enfant. Je pleurais dans mon âme. Ma mère pleurait aussi [2]. »

8Exceptionnellement doué, il est rapidement repéré comme jeune prodige. Pour ses camarades, avec lesquels il communiquait peu, le petit Vaslav ne semblait pas se rendre compte de ses prouesses, il semblait insignifiant, un peu attardé disait Karsavina devenue son amie de toujours, mais… il faisait des bonds extraordinaires !

9Diplômé, il intègre le Ballet impérial de Saint-Pétersbourg, directement comme coryphée, sans voir à faire ses preuves en tant que quadrille. Il a un succès immédiat, et c’est pour le voir danser qu’on se déplace.

10Cependant, un justaucorps trop près du corps l’en fera renvoyer par l’impératrice, elle l’avait trouvé indécent. Le côté sensuel de Vaslav qui pourra faire scandale plus tard, ne lui avait pas échappé.

11Nijinski avait rencontré le prince Pavel Lvov, qui était devenu son amant. Le Prince l’avait sorti du dénuement, et lui avait proposé de rencontrer Serge de Diaghilev. Alors âgé de 35 ans, Serge de Diaghilev était l’une des figures les plus influentes du monde de l’art à Saint-Pétersbourg. Il avait formé une troupe de ballet d’avant-garde. Le Prince Lvov semblait avoir poussé Nijinski dans le lit de Diaghilev, car, il pensait que celui-ci pourrait lui être utile. Utilité réciproque, on va le voir.

12Immédiatement engagé dans la compagnie, Nijinski participe à la tournée organisée à Paris en 1909. L’immense succès de celle-ci permet à Diaghilev d’organiser une compagnie permanente, les fameux Ballets russes, dont Nijinski sera l’étoile.

13À 15 ans, Nijinski dansait déjà comme une étoile, à 16 ans il devenait célèbre, enfin, à 19 ans à Paris, il a conquis une gloire qui n’a pas d’égale dans le ciel de la danse.

14« Je n’aimais pas Diaghilev, mais je vivais avec lui. J’ai détesté Diaghilev dès les premiers jours de notre rencontre, car je connaissais le pouvoir de Diaghilev. Je n’aimais pas le pouvoir de Diaghilev car, il en abusait. J’étais pauvre. […] Je le détestais mais j’ai fait semblant, car je savais que ma mère et moi nous mourrions de faim. J’ai compris Diaghilev dès la première minute, c’est pourquoi j’ai fait semblant d’être d’accord avec toutes ses idées. J’ai compris qu’il fallait vivre, c’est pourquoi le sacrifice à faire m’était égal. Je travaillais beaucoup la danse, c’est pourquoi je me sentais toujours fatigué. Mais je faisais semblant de ne pas être fatigué et d’être gai pour que Diaguilev ne s’ennuie pas[2]. »

15Pendant dix ans 1909-1919, l’étoile de Nijinski a brillé d’un éclat incomparable. Danseur étoile des Ballets russes, il interprète des chorégraphies de Fokine : Cléopâtre, Shéhérazade, Carnaval, Petrouchka, Le spectre de la rose, Le Dieu Bleu, Daphnis et Chloé. Il était capable de peindre toutes les nuances du caractère qu’il incarnait. Sa virtuosité technique était époustouflante. Capable de réaliser des entrechats -10, de « filer » des pirouettes vertigineuses et de parcourir la scène d’un bond unique, il donnait l’impression de voler. Le public occidental qui n’avait jamais vu danser de la sorte, n’en croyait pas ses yeux. Nijinski traînait avec lui un parfum de scandale, attaché à sa relation ouverte avec Diaghilev et aux rôles androgynes et fortement sexualisés que lui confiait Fokine. Le plus emblématique est sans doute celui de l’Esclave doré dans Shéhérazade, qui concentre toute l’esthétique fin de siècle : exotisme, violence, androgynie, servitude.

16Mais, c’est en tant que chorégraphe, en quatre œuvres, qu’il a révolutionné le vocabulaire de la danse : L’après-midi d’un faune, Le sacre du printemps, Jeux et Till Eulenspiegel. Ces chorégraphies propulsent le ballet dans la modernité, elles ne ressemblent à rien de ce qui existait auparavant. Nijinski fait voler en éclat le ballet académique, les cinq positions des bras et jambes, l’en-dehors. Le Sacre du printemps, sur la musique de Stravinski, provoque une telle émeute au théâtre des Champs-Élysées que la police doit intervenir.

17L’après-midi d’un faune, (1912) est toujours inscrit au répertoire des plus grandes compagnies de danse du monde entier. Marcel Proust spectateur confiait : « Je n’ai jamais rien vu d’aussi beau. »

18Le sacre du printemps (1913) dont la chorégraphie est aujourd’hui perdue, a inspiré quelques-uns des créateurs les plus importants du XXe siècle. On dit volontiers encore aujourd’hui : « l’année du Sacre ». Le sacre raconte la renaissance du printemps dans une Russie archaïque et le sacrifice rituel d’une jeune fille qui meurt d’épuisement après avoir dansé. Actuellement, la technologie permet de réaliser un travail sur les quelques scènes filmées et plusieurs chorégraphes tentent de reconstituer le ballet.

19En août 1913, la troupe des Ballets Russes s’embarque pour une tournée en Amérique du Sud. Diaghilev, à qui une gitane avait prédit qu’il périrait sur l’eau, ne les accompagne pas. Cette absence va laisser place libre à une passagère : Romola de Pulsky. Éprise de Nijinski depuis qu’elle l’a vu danser à Budapest, elle a intrigué pour faire le voyage avec la troupe et va déployer tous ses charmes pour le séduire. Ils ne parlent pas la même langue, elle en parle pourtant quatre, mais pas le russe. Ils se marient à Buenos-Aires en septembre 1913, par hasard, sans réfléchir, dira-t-il plus tard dans ses Cahiers.

20La nouvelle du mariage de Vaslav parvient à Diaghilev et le plonge dans colère et désespoir. Il le congédie brutalement de la troupe. Vaslav va être dévasté par les conséquences de son passage à l’acte. Double séparation, avec Diaghilev et l’aventure des Ballets russes. Première fracture de sa vie d’adulte.

21Par la suite, il réunira sa propre compagnie et acceptera un engagement à Londres mais le monde des affaires n’était pas le sien, il avait conscience qu’il fallait gagner de l’argent, lui qui avait eu faim, mais la façon de le gagner dans ce monde lui échappait totalement. Sa personnalité ne lui permettait pas de diriger une troupe. Il avait été contraint d’annuler les représentations.

22En 1914, lorsqu’éclate la première guerre mondiale, Romola et Nijinski se trouvent à Budapest, dans la famille de celle-ci, après la naissance de leur fille Kyra. Les autorités hongroises déclarent Nijinski prisonnier de guerre. Il est assigné à résidence chez ses beaux-parents pendant un an et demi. Il danse peu car il est triste. Pour lutter contre cette tristesse, il va s’attacher à mettre au point un système de notation chorégraphique. L’après-midi d’un faune devient ainsi le premier ballet du XXe siècle entièrement noté.

23Il est libéré en 1916. Diaghilev à contre cœur réengage Nijinski pour participer à la saison new-yorkaise, puis à une longue tournée américaine. Il est bien conscient que seul Nijinski peut en assurer le succès. C’est ainsi que Nijinki va retrouver le succès. Mais la malencontreuse idée du directeur du Metropolitan Opera House de lui confier la direction de la compagnie plutôt qu’à Diaghilev va le confronter encore à une rencontre désastreuse avec la réalité de la direction d’une troupe et le fiasco financier.

24Le succès de la tournée ne contrebalancera pas les difficultés de cette nouvelle expérience. En septembre 1917, il doit se produire avec Arthur Rubinstein à Montevideo, il retarde son entrée en scène, a l’air « plus triste que s’il dansait la mort de Petrouchka ». Ce fut sa dernière apparition sur scène. Il était âgé de 28 ans.

25À partir de janvier 1919, il sera à Saint-Moritz, où il écrira ses Cahiers avec fébrilité, jusqu’au 4 mars où on l’emmènera à Zurich rencontrer le Docteur Bleuler, qui diagnostiquera une « confusion schizophrénique ». Il entrera à la clinique de Bellevue, où il va sombrer inexorablement. Il mourra le 8 avril 1950. Il a 60 ans. C’est la fin de ses deux vies : la danse et la clinique psychiatrique.

Vaslav Nijinski et Dieu

26Lorsqu’un phénomène ou un personnage est hors norme, exceptionnel, il est fréquent que des raisons « surnaturelles » soient avancées pour expliquer ce qui ne s’explique pas quelquefois. Ainsi, la rumeur a dit qu’il étudiait les pratiques orientales, répétait des rituels indiens et pratiquait le yoga, ainsi que la lévitation. On a dit aussi qu’il s’intéressait au spiritisme, et qu’il possédait le don de prédire l’avenir. Il a beaucoup été dit et écrit.

27Je voudrais revenir aux images que Vaslav nous donne dans ses Cahiers. L’une : le prodige, l’autre : petit, perdu, solitaire, silencieux, presque mutique dans l’École, habitué à une discipline de fer. On y décidait de tout pour lui. Il n’avait qu’à obéir, tout était réglé.

28« J’ai terminé l’école à 18 ans. On m’a lâché au-dehors. Je ne savais pas comment faire, car je ne savais pas m’habiller. On m’avait accoutumé à l’uniforme. Je n’aimais pas les vêtements civils, c’est pourquoi, je ne savais pas comment les porter[4]. »

29Il ne savait que danser, créer, et ce, tout au long de sa vie. Dieu a-t-il été un compagnon depuis son enfance ? La première mention de Dieu se situe vers 15 ans, il dit : « J’ai décidé de travailler la danse encore plus. J’ai commencé à maigrir. Je me suis mis à danser comme Dieu. Tout le monde s’est mis à en parler[5]. »

30Danser comme Dieu ou comme un dieu sans majuscule ? À cette époque, il était moins seul, le succès attire et ses camarades d’École cherchaient à danser avec lui. Karsavina aussi, mais Karsavina était devenue son amie, et l’était restée jusqu’à la fin.

31La mention plus claire de la présence de Dieu apparaît lorsqu’il crée la chorégraphie de son ballet L’après-midi d’un faune. Dieu est là. Une présence. Bienveillante. On passe d’une compagnie à une présence, la bascule vient lorsque Dieu commande et voilà « le clown de Dieu [6] ».

32Le clown de Dieu ne dit jamais clairement si Dieu parle dans sa tête ou s’il entend la voix de Dieu. Il dit aussi :

33« J’aime Dieu. Il m’aime. Je sais que tout le monde a oublié ce qu’est Dieu. Tout le monde pense que c’est un mensonge. Les savants disent que Dieu n’existe pas. Moi je dis que Dieu existe. Je le sens au lieu de le penser [7]. »

34De compagnie, présence, pour cet enfant solitaire, cet adolescent désarmé par la vie, Dieu est devenu son mentor, puis sa pensée, puis sa volonté. Nijinski est devenu Pétrouchka, petit pantin triste qui regarde la vie qui se vit sans lui.

35Il y a un autre qui prend une place bien réelle dans sa vie, un autre qui commande, c’est Diaghilev. Il gouverne la vie de Vaslav pendant des années et son rejet violent a été tragique pour lui. À l’appui de ceci, j’ai mis en parallèle des vers destiné à Dieu et d’autres à Diaghilev. Leur lecture avait fait écho en moi. Les voici :

« Je te veux de l’amour.
Tu ne peux pas me dire.
Je t’aime toujours. Je suis à toi et tu es à moi
Je te veux mon Dieu, Tu es à moi et je suis à toi.
Je veux te dire. Tu es l’amour en moi.
Je veux te dire. Tu es l’amour dans mon sang.
Je ne suis pas le sang en toi. Je suis le sang.
Je suis sang en toi. Je ne suis pas le sang.
Je suis sang dans l’âme. Je suis âme en toi.
Tu n’es pas sang dans l’âme. Je suis âme en toi.
Je t’aime toujours. Je veux t’aimer.
Je t’aime toujours. Je veux l’amour toujours.
Je te veux toi toi. Je suis Dieu, je suis Dieu [8]. »
Lettre à Diaghilev
« Tu es à moi. Je suis Dieu.
Tu as oublié que Dieu existe.
J’ai oublié que Dieu existe.
Tu en moi, et je suis en toi.
Tu es à moi et je suis à toi.
Tu es celui qui veut la mort
Tu es celui qui aime la mort
J’aime l’amour, l’amour
Je suis amour, et tu es mort
Tu as peur de la mort, de la mort
J’aime, j’aime, j’aime
Tu es mort et je suis sang
Ton sang n’est pas amour
Je t’aime, toi, toi [9]. »

36Béjart avait, dans son ballet Nijnski, clown de Dieu représenté Diaghilev comme un immense personnage, inquiétant et un peu ridicule, avec une voix de stentor, violente et sans appel.

37Je donnerais volontiers cette image pour représenter ce qui écrase Vaslav, cette présence, cette « voix » qui gouverne peu à peu tous les actes de sa vie, qui commande de façon contradictoire ses mouvements affectifs et psychiques, l’enserrant dans un carcan glacé comme la neige dans laquelle Dieu lui commande de rester allongé, jusqu’à ne plus sentir ses membres, jusqu’à se sentir mourir. Cette « voix » va désarticuler son langage, ses poésies, qui deviennent des jeux sur les mots, par assonances, jusqu’aux jeux de sons dans différentes langues. Ce poème-ci est en français.

« Je suis tu mes pas tu tu.
Tu tu tu tu tu tu tu
Je suis tu tu je suis tu tu
Mes tu tu nes tes tu tu
Je suis tu tu ne pas toi
Toi tu tu moi pas tu [10]. »

38Les feux de la rampe sont éteints. La nuit est tombée.


Mots-clés éditeurs : Diaghilev, Prodige, Dieu

Mise en ligne 05/12/2019

https://doi.org/10.3917/top.147.0171

Notes

  • [1]
    Nijinski Vaslav, Cahiers, Babel Actes Sud, 1995. Succession V. Nijinski, 2000 pour le quatrième cahier. Version intégrale et non expurgée, p. 206.
  • [2]
    Nijinski Vaslav, Cahiers, Babel Actes Sud, 1995. Succession V. Nijinski, 2000 pour le quatrième cahier. Version intégrale et non expurgée, p. 164.
  • [2]
    Nijinski Vaslav, Cahiers, Babel Actes Sud, 1995. Succession V. Nijinski, 2000 pour le quatrième cahier. Version intégrale et non expurgée, p. 14.
  • [4]
    Nijinski Vaslav, Cahiers, Babel Actes Sud, 1995. Succession V. Nijinski, 2000 pour le quatrième cahier. Version intégrale et non expurgée, p. 173.
  • [5]
    Ibid., p. 172.
  • [6]
    Ibid., p. 182.
  • [7]
    Ibid., , p. 138.
  • [8]
    Nijinski Vaslav, Cahiers, Babel Actes Sud, 1995. Succession V. Nijinski, 2000 pour le quatrième cahier. Version intégrale et non expurgée, p. 111.
  • [9]
    Ibid., p. 334.
  • [10]
    Nijinski Vaslav, Cahiers, Babel Actes Sud, 1995. Succession V. Nijinski, 2000 pour le quatrième cahier. Version intégrale et non expurgée, p. 336.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.9.171

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions