Notes
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[1]
Article 4 des Droits de L’Homme : La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi.
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[2]
Article 224-1 du Code Pénal : Le fait, sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi, d’arrêter, d’enlever, de détenir ou de séquestrer une personne, est puni de vingt ans de réclusion criminelle. […] Toutefois, si la personne détenue ou séquestrée est libérée volontairement avant le septième jour accompli depuis celui de son appréhension, la peine est de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, sauf dans les cas prévus par l’article 224-2.
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[3]
Sabine Dardenne. (2004). J’avais 12 ans, j’ai pris mon vélo et je suis partie à l’école… Oh Édition. p. 14 & p. 17.
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[4]
Natascha Kampusch. (2010). 3096 jours. Éditions Jean-Claude Lattès Paris. p. 52.
-
[5]
Sabine Dardenne. op.cit. p. 34.
-
[6]
20 min, Le 9 décembre 1975, Christophe Mérieux est enlevé..., [en ligne], 2006,http://www.20minutes.fr/lyon/98217-20060716-lyon-le-9-decembre-1975-christophe-merieux-est-enleve
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[7]
Jean-Miche Comte, C’était dans « France-Soir », Avril 1960, l’enlèvement du fils Peugeot, [en ligne], 2015, http://www.francesoir.fr/culture-medias/avril-1960-lenlevement-du-fils-peugeot
-
[8]
Natascha Kampusch. op.cit. p. 265
-
[9]
Bertrand M. (2009). L’identification à l’agresseur chez Ferenczi : masochisme, narcissisme. Revue française de psychanalyse, vol. 73, (1), 11-20. doi : 10.3917/rfp.731.0011.
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[10]
Skurnik N. (1987). Le syndrome de Stockholm, essai et étude ses critères, Annales médico-psychologiques, vol. 146, n°1-2, octobre 1987, 174-181.
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[11]
SMPR : Service Médico Psychologique Régional.
« C’est dans les prisons que l’idée de liberté prend le plus de force et peut-être ceux qui enferment les autres dedans risquent-ils de s’enfermer dehors. »
Introduction
1 Évaluer la souffrance, les dommages psychiques des victimes, des « rescapés » (Crocq & al., 2007) permet d’appréhender les mécanismes intrapsychiques derrière les blessures de la psyché pour adapter les prises en charge. Entrevoir derrière, leurs gestes, leurs conduites, leurs paroles, leurs affects, les modalités de leur trauma, leur subjectivité, entendre les circonstances de l’effraction et en déduire les probables conséquences. Pour les victimes de séquestration, enlevées, maltraitées ou encore prises en otages, les violences psychologiques, physiques ou sexuelles, « le bloc défense/trauma » (Bokanowski, 2002/3) doit ainsi s’entendre dans le contexte spécifique de l’enfermement et de l’isolement sans omettre le mode de relation à l’objet imposé par l’agresseur durant le temps de la captivité.
L’enfermement
2 Dans la séquestration criminelle, la victime est atteinte dans sa liberté fondamentale [1], elle est enfermée, privée de ses possibilités de mouvements, retenue sous la menace et la contrainte d’un espace clos et d’un geôlier transgressif [2]. Souffre-douleur d’une famille maltraitante, otage ou proie d’un enlèvement, les victimes peuvent être de surcroît droguées, attachées ou immobilisées sous la menace d’une arme. Cette situation est plus que déplaisante pour le Moi confronté à un danger réel extérieur. Les émotions légitimes dans de telles circonstances sont l’angoisse « l’attente du danger » et la peur « la préparation à celui-ci » (Freud, 1920), elles alarment et permettent à l’organisme de planifier une réponse. Les choix d’ordinaire possibles sont l’attaque, la fuite ou la défense, dictées par les pulsions d’autoconservation. Cependant, la fuite semble impossible et l’attaque risquée face aux répercussions, reste la défense, encore faut-il que le pare-excitation de l’appareil psychique n’ait pas été déjà au préalable effracté et le moi sidéré par l’effroi lors des prémices du crime « état qui survient quand on tombe dans une situation dangereuse sans y être préparée » (Freud, 1920) ce qui entraînerait une perturbation des défenses à la manière d’une victime sidérée. Un état décrit au moment de l’enlèvement lorsque les victimes sont déplacées en voiture jusqu’à leur lieu d’enfermement comme Sabine Dardenne « Cet instant de ma vie est peut-être le plus violent de ceux que j’ai vécus, si soudain et si effrayant que j’en étais sidérée […] ce moment précis et cet endroit sont restés figés dans ma tête. C’est à ce moment-là qu’un monstre a tué mon enfance [3]» et Natascha Kampusch « Ai-je crié ? Je ne le crois pas. Et pourtant tout en moi était un cri, il monta en moi mais resta coincé dans ma gorge […] me suis-je défendue ? [4] ». La séquestration est cependant un trauma complexe et répété où l’angoisse de mort, la peur de mourir ne quitte plus les victimes rendues vulnérables et exposées par l’enfermement. D’autant qu’il s’agit d’un espace de vie avant une mise à mort sous forme de tortures ou d’exécution sans l’intervention d’un tiers sauveur ce qui n’échappe pas aux victimes : « l’ombre de la mort est entrée avec moi dans ce caveau sinistre et ne m’a plus quittée. J’avais peur tout le temps, même seule dans la cache. La mort courait après moi [5] ».
L’isolement et les conditions de captivité
3 Pour un temps indéfini, les victimes vont alors devoir survivre enfermées sans certitude de libération, soumises à la volonté d’un objet externe malveillant. Certaines vont lutter seules, isolées, en proie à la solitude, au sentiment d’abandon et à l’ennui quand d’autres seront confrontées aux problématiques interpersonnelles du groupe. Cependant, en fonction de la valeur et de l’utilité que le ravisseur projette sur elles, les conditions de vie vont alors varier. Certaines victimes accèderont à un confort relatif notamment les enfants enlevés contre rançon comme Christophe Mérieux : « L’enfant raconte que ses ravisseurs l’ont bien traité. En lui donnant des livres à lire, en le laissant écouter la radio... [6]» et Éric Peugeot : « L’enfant a été bien traité, a mangé de la viande et du chocolat, a joué aux cartes avec les ravisseurs et a regardé la télévision [7]. » D’autres au contraire seront maintenues dans la privation avec la suppression des repères spatio-temporels, de la lumière, de la nourriture, de l’hygiène, etc. Ce sont des techniques supplémentaires de tortures psychologiques qui peuvent participer à un conditionnement opérant : « Pour me discipliner, il m’avait à nouveau fait jeûner et coupé l’électricité [8]. » Par exemple, si les victimes se soumettent aux ordres elles vont recevoir une récompense (une brosse à dent, une lampe, une radio, une couverture, une télé, des jouets, des habits, de la nourriture, de l’eau, pourra accéder à la douche, sortir de son cachot) c’est ce qu’on appelle le renforcement positif ou être levée d’une punition ou d’une privation, c’est un renforcement négatif. Dans le sens contraire, si elles se montrent opposantes, virulentes, désobéissantes, elles vont être punies (ex : par des coups) c’est une punition dite positive ou être privées d’objet ou de permissions précédemment accordées c’est une punition dite négative. Les victimes sont ainsi maintenues enfermées et isolées dans une position de dépendance dans des conditions déshumanisantes et humiliantes qui vont les pousser à la régression infantile sans autonomie et seront vulnérables à la manière d’un petit enfant. Une phase de captivité où les victimes vont devoir puiser dans leurs ressources internes et mobiliser l’ensemble de leurs défenses psychiques comme le recours à l’identification à l’agresseur selon la définition de Sandor Ferenczi pour s’adapter en miroir et tenter de survivre car « la peur, quand elle atteint son point culminant, les oblige à se soumettre automatiquement à la volonté de l’agresseur, à deviner le moindre de ses désirs, à obéir en s’oubliant complètement et en s’identifiant totalement à l’agresseur [9] ».
La domination
4 Dans la séquestration la violence physique directe n’est pas systématique car la menace sur la vie, la contrainte de l’enfermement, le mensonge et les techniques de manipulation suffisent à soumettre. Cependant, certains agresseurs ont recours à la violence plus que nécessaire pour asseoir leur supériorité ou pour satisfaire leurs pulsions de destruction projetées sur la victime. Sachant que de toute manière, la relation entre la victime prisonnière et le criminel geôlier est une relation de dominant-dominé qui contient dès lors le risque de dériver à l’exemple de l’expérience de P. Zimbardo (Expérience de Stanford, 1971). Ce faisant, les victimes sont assujetties par la peur de mourir à un rôle passif dans une relation asymétrique, contrôlées physiquement puis psychiquement par des criminels qui satisfont ainsi leurs pulsions d’emprise. Cette relation d’aliénation peut dès lors modifier durablement chez les victimes leur propre rapport à l’objet, notamment dans leur rapport aux figures d’Autorité et entraîner des réactions parfois surprenantes vis-à-vis de leur agresseur tellement elles ont intériorisé leurs injonctions. Comme Sabine Dardenne demandant la permission à Marc Dutroux pour sortir de son cachot et suivre les gendarmes ou Natascha Kampusch partant skier avec son ravisseur. Il se crée en effet, dans cette relation exclusive une véritable prison psychique basée sur le socle de l’identification à l’agresseur à ne pas confondre avec le Syndrome de Stockholm [10] car les victimes ne prennent pas pour autant cause pour leur ravisseur.
Évaluation et prise en charge
5 Les manifestations traumatiques des victimes de séquestration sont à évaluer et à analyser au regard de leur vécu subjectif de ces modalités d’enfermement, d’isolement, de privation et de domination. Ces éléments paraissent nécessaires pour adapter leur prise en charge et éviter une victimisation secondaire mais également pour reconnaître dans les situations susceptibles de rappeler l’évènement comme dans les établissements fermés, la souffrance inhérente aux symptômes de répétition traumatique « essai d’infiltration du moi clivé, porteur de message de mort » (Barrois, 2012) et prévenir le risque suicidaire. Comme en prison, où les détenus sont contraints par décision judiciaire à l’enfermement, isolés du monde extérieur. Une privation de liberté successive à une transgression de la Loi. Un passage entre le dehors et le dedans matérialisé par de lourdes portes sécurisées, des fenêtres à barreaux, des murs grillagés surplombés de miradors et du personnel de surveillance en uniforme. À l’intérieur des maisons d’arrêt, des cellules de 9 m2 sont verrouillées de l’extérieur, leurs ouvertures rythmées de manière journalière par le temps des promenades, des repas, etc. Le risque de passage à l’acte auto et hétéro agressif y est quotidien. En témoignent le nombre de mises en surveillance adaptées par le personnel soignant et les bruit des alarmes qui résonnent dans les couloirs. Dans ce contexte carcéral où la souffrance psychique est omniprésente, l’évaluation et la prise en charge remplissent des rôles de prévention pour tenter de contenir et d’apaiser les tensions internes. Le terme de choc carcéral (Lhuillier, 2001) évoque cette entrée en détention où les détenus doivent à présent s’adapter à un nouvel environnement et à de nouvelles règles, confrontés à l’enfermement, à la séparation familiale, à la proximité avec les autres détenus, à la limitation de ses déplacements et aux règles de conduite : « Ces méthodes qui permettent le contrôle minutieux des opérations du corps, qui assurent l’assujettissement constant de ses forces et leur imposent un rapport de docilité-utilité, c’est cela qu’on peut appeler « les disciplines ». » (Foucault, 1975). Dans ce sens, il est normal que l’emprisonnement soit une source d’angoisse légitime : « L’angoisse à une relation indiscutable avec l’attente ; elle est l’angoisse avant quelque chose. » (Freud, 1926). Cependant, pour certains détenus, ces conditions de captivité viennent également réveiller des souvenirs traumatiques d’un passé de séquestration. L’angoisse n’est plus alors simplement un signe de peur, de crainte normale mais de trauma qui s’inscrit dans un tableau psychopathologique au côté de la répétition et de l’évitement. C’est le cas de Mme V. incarcérée pour violences et source de moquerie et d’incompréhension en détention car elle éprouve de l’angoisse dans sa cellule. Elle est cependant signalée pour des attaques de panique puis pour des tentatives de suicide par pendaison. En effet, Mme V. ne supporte pas d’être enfermée et quand la porte de sa cellule est verrouillée, elle est envahie par l’angoisse jusqu’au passage à l’acte auto-agressif. Prise en charge par le SMPR [11] elle évoque également des flash-back, « c’est comme un écran de télé » et de cauchemars, « je me réveille en sueurs », ce sont des réminiscences de la séquestration infligée par son beau-père dans son enfance qui la terrorisait, « il m’enfermait et j’ai l’impression qu’il va a nouveau rentrer pour me frapper quand j’entends le bruit des pas, de la clé ». Un discours empli d’affect de colère, d’incompréhension et de tristesse et une identification à l’agresseur dans ses passages à l’acte violents qu’elle va progressivement réussir à élaborer ce qui ne l’empêchera pas de tenter de se défenestrer du bureau du juge à l’annonce d’un nouveau placement en détention : « Plutôt mourir que d’être à nouveau enfermée. » Quel sens donner alors à la peine d’incarcération dans ces conditions psychologiques ?
Bibliographie
- BARROIS, C, . « Réaction et répétition dans les états psychotraumatiques ». Le traumatisme dans tous ses éclats. Édition In Press. 2012.
- BOKANOWSKI, T, . « Traumatisme, traumatique, trauma », Revue française de psychanalyse 2002/3 (Vol. 66), p. 745-757. DOI 10.3917/rfp.663.0745.
- CROCQ, L., CREMNITER, D., DEMESSE, D., VITRY, V., « Principes de la prise en charge psychologique des sujets traumatisés ». Traumatismes psychiques. Masson. 2007.
- FREUD, S., Au-delà du principe de plaisir. (1920). Petite Bibliothèque Payot. 2010.
- FREUD, S., Inhibition, symptôme et angoisse. (1926). Petite Bibliothèque Payot. 2014.
- FOUCAULT, M., « Les corps dociles ». Surveiller et Punir. Galimard. 1975. p. 161.
- LHUILLIER, D., LEMISZEWSKA, A., Le choc carcéral : Survivre en prison. Bayard. 2001.
Mots-clés éditeurs : Séquestration, Traumatisme, Torture, Privation sensorielle, Privation, Syndrome de Stockholm, Isolement, Enfermement
Date de mise en ligne : 10/01/2019
https://doi.org/10.3917/top.144.0085Notes
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[1]
Article 4 des Droits de L’Homme : La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi.
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[2]
Article 224-1 du Code Pénal : Le fait, sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi, d’arrêter, d’enlever, de détenir ou de séquestrer une personne, est puni de vingt ans de réclusion criminelle. […] Toutefois, si la personne détenue ou séquestrée est libérée volontairement avant le septième jour accompli depuis celui de son appréhension, la peine est de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, sauf dans les cas prévus par l’article 224-2.
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[3]
Sabine Dardenne. (2004). J’avais 12 ans, j’ai pris mon vélo et je suis partie à l’école… Oh Édition. p. 14 & p. 17.
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[4]
Natascha Kampusch. (2010). 3096 jours. Éditions Jean-Claude Lattès Paris. p. 52.
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[5]
Sabine Dardenne. op.cit. p. 34.
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[6]
20 min, Le 9 décembre 1975, Christophe Mérieux est enlevé..., [en ligne], 2006,http://www.20minutes.fr/lyon/98217-20060716-lyon-le-9-decembre-1975-christophe-merieux-est-enleve
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[7]
Jean-Miche Comte, C’était dans « France-Soir », Avril 1960, l’enlèvement du fils Peugeot, [en ligne], 2015, http://www.francesoir.fr/culture-medias/avril-1960-lenlevement-du-fils-peugeot
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[8]
Natascha Kampusch. op.cit. p. 265
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[9]
Bertrand M. (2009). L’identification à l’agresseur chez Ferenczi : masochisme, narcissisme. Revue française de psychanalyse, vol. 73, (1), 11-20. doi : 10.3917/rfp.731.0011.
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[10]
Skurnik N. (1987). Le syndrome de Stockholm, essai et étude ses critères, Annales médico-psychologiques, vol. 146, n°1-2, octobre 1987, 174-181.
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[11]
SMPR : Service Médico Psychologique Régional.