Topique 2016/2 n° 135

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Article de revue

Mères aveugles de bébés en souffrance

Pages 85 à 93

1 En tant que psychanalyste psychosomaticien travaillant sur les adultes, je voudrais évoquer des mères qui sont dans l’incapacité de comprendre et de ressentir psychologiquement les douleurs de leur enfant et vous livrer ma propre expérience clinique.

2 Cette union synchrone et en accord complet entre la mère et le bébé depuis la naissance de celui-ci existe grâce à ce que Winnicott (1965) appelle « ordinary devoted mother ». L’investissement de la mère à son enfant permet au bébé de vivre et de ressentir réellement le monde. Ici Winnicott souligne qu’il ne suffit pas que la mère comprenne les besoins de son bébé et qu’elle doit par ailleurs prendre conscience aussi des choses subtiles qu’il appelle « holding » et précise que les poètes peuvent certainement trouver un meilleur correspondant à ce terme.

3 Winnicott décrit le « holding » comme la base de l’empathie et de la contenance des sentiments qui permettent à la mère de définir les besoins du bébé présentant une menace pour son existence. Celui-ci procure au bébé l’environnement sécurisant et calme qui lui permet de nourrir sa « continuité d’être », de renforcer son intégration du moi qui est le développement du sens de soi spatio-temporel. Le bébé, en s’identifiant et en intériorisant les soins de la mère, acquiert une base solide mentale pour le futur. En d’autres termes, si la mère ne présente pas de comportements emphatisant les besoins du bébé mais d’elle-même, ceci peut entraîner une menace pour le soi de ce dernier.

4 Suite à notre réflexion sur le lien entre ce couple et le processus de survie qui se fait sentir dès les premiers moments de l’existence (Winnicott appelle cela « existing »), le cas que je vais présenter illustrera je pense l’importance du « holding » dans la douleur vécue lors des périodes de l’enfance et de l’adolescence.

LE CAS

5 Il y a 10 ans, Madame Z. m’a demandé un rendez-vous en précisant que c’était urgent. Lors du premier entretien, elle était très inquiète et nerveuse, elle a commencé par me dire qu’elle a des problèmes avec sa fille de 14 ans. Cette avocate couronnée de succès n’avait pas de problèmes dans sa vie personnelle, avec un air accusateur elle me précisa que son seul problème provenait de sa fille, qu’elle avait consulté plusieurs médecins mais en vain et qu’elle ne savait toujours pas ce que sa fille avait. Ici ce qui a le plus attiré mon attention était son discours monotone et plein de répétitions avec une énumération des noms de tous les médecins consultés. Les hormones de sa fille ont été examinées et aucune anomalie physique n’a été détectée, quant aux problèmes psychologiques, c’est normal chez une adolescente et elle ne comprend pas pourquoi l’aide d’un psychologue est nécessaire. Cette madame Z. qui apparaît comme une narcissique phallique nous affirme avec colère que si sa fille n’avait pas eu de problèmes, elle ne se serait jamais adressée à un psychologue.

6 Elle a raconté très brièvement qu’elle ne peut surmonter les problèmes d’adolescence de sa fille et que par ailleurs elle, elle n’avait créé aucun problème à ses parents. Elle voulait que je l’aide à comprendre sa fille. Par la suite, lors de l’entretien, nous découvrons qu’elle a laissé sa fille de quelques mois à sa mère durant un an et elle se contente de dire avec hâte que quand elle est revenue, sa fille n’était nullement affectée et que tout allait bien pour elle. Et sans s’attarder plus longtemps sur le sujet, elle ajoute : « D’ailleurs moi-même j’ai grandi chez ma grand-mère paternelle, et ma fille n’a eu aucun problème avec ma mère. » Comme ses succès académiques passaient avant tout et comme toute sa famille la soutenait, sans hésiter une seconde elle est partie dans un pays outremer et durant ce temps, elle n’a pu voir sa fille que deux fois en un an.

7 Comme madame Z. s’était concentrée sur mes interprétations concernant les comportements de sa fille et sur ce que j’entreprenais de faire, il lui a fallu beaucoup de temps avant de comprendre qu’il m’était nécessaire de faire un travail sur elle aussi. À chaque séance, elle s’empressait de me raconter quelque chose sur sa fille et elle me disait que c’était urgent ; soit celle-ci fuyait l’école, soit elle ne rentrait pas à la maison soit elle passait la nuit dehors, et durant le peu de temps qu’il leur restait, toutes les deux n’arrêtaient pas de se disputer violemment à la maison. Dans la première partie de cette thérapie, la difficulté de Madame Z. à comprendre l’autre qui ne pense pas comme elle, cette situation d’aveuglement était assez fréquente. Dans ses propos où elle me relatait les remarques qui lui sont faites de la part du proviseur du lycée ou bien de la part des mères des copines de sa fille et sa surprise face à cela, je remarquais l’excès des difficultés qu’elle avait à affronter pour comprendre les sentiments de sa fille. Et le plus important sentiment qui dominait les séances était la honte que Madame Z. ressentait parce qu’elle avait une telle fille.

8 Le fait que la patiente, sans montrer aucun sentiment, se contente de me raconter son histoire ou alors le fait qu’elle pose sans cesse les questions suivantes : « Que dois-je faire à présent, comment peut-on résoudre ce problème », bien que je sois familiarisée au terme « fonction opérationnelle », en tant que contre-transfert, crée chez moi des sentiments intenses. Comme chez la patiente les voix de l’affect ne fonctionnent pas, j’ai dû moi-même vivre ces sentiments.

9 Par ailleurs, je pense que le miroir affectif de l’analyste anime l’appareil psychique du malade. Refouler ses sentiments entraîne des problèmes dans le fonctionnement psychique du malade, c’est pourquoi parfois celui-ci adopte une attitude agressive et présente des sentiments de colère. Au début de la thérapie, Madame Z. avait des difficultés à intégrer le matériel psychique et durant les séances j’ai très souvent pensé à Bion (1994, p. 7) : si le patient n’est pas capable de transformer ses expériences émotionnelles en éléments alpha », il ne peut même pas rêver. Le bébé projette les éléments « bêta » sur le monde psychique de la mère (ou bien sur un adulte soignant), ainsi l’adulte prête à l’enfant son propre « appareil psychique » pour permettre la transformation des éléments « bêta » en éléments « alpha » afin de remodeler et de désintoxiquer. Par la suite ceci est assimilé par l’enfant et intégré dans son fonctionnement mental. Cette transformation représente la « fonction alpha » du monde psychique de la mère ou bien la « capacité de rêverie maternelle ». De même celle-ci permet de désaturer le débordement que créent les éléments « bêta » ressentis chez l’enfant (ou chez le patient).

10 Ici, la première chose qui nous vient à l’esprit est de savoir où est le père ; Madame Z. répétait sans cesse que son mari est un avocat très occupé et que tous les deux sont en compétition au niveau professionnel. Comme ils partagent tous les deux le même bureau, c’est un environnement de travail où règne une jalousie semblable à celle qui peut exister entre frère et sœur (combien de clients ont-ils eus ? à combien de réunion ils ont participé ?, etc.). Le fait que ma patiente me révèle qu’elle est fatiguée de cette concurrence et qu’elle abandonne la compétition, explique la difficulté à inclure le père dans la relation mère-fille. D’ailleurs peu de temps après, sous les avertissements de l’entourage, le père est intervenu dans la relation entre la mère et la fille mais lui aussi n’ayant pas compris les problèmes psychiques de sa fille, il a pensé pouvoir régler les difficultés en appliquant plus de contrôles mais cela a aggravé l’ampleur des problèmes de leur fille de 14 ans. De même, ma patiente a tenté de m’inclure dans cette jalousie de frère et sœur qu’elle vit avec son mari, elle m’a dévoilé que son mari ne croit pas du tout aux psychologues.

11 Le père au lieu de cerner les problèmes fait en sorte que ceux-ci s’accentuent. Selon l’expression de Winnicott (1965), la mère n’a pu créer un environnement parfait, et dans cet environnement qui se perd peu à peu, des défaillances surviennent au niveau de l’empiétement sur la liberté. Et dans cette atmosphère où le père aussi au lieu d’essayer de comprendre sa fille se contente d’endurcir les règles ou d’en créer de nouveaux, c’est la fille qui est forcée de résoudre les problèmes en consultant un thérapeute. Et ici, ce n’est pas sous les conseils du père ou de la mère, la fille choisit elle-même son thérapeute parce qu’elle ne supporte plus les douleurs qu’elle ressent, et c’est ainsi que le problème est cerné. C’est parce que l’environnement primaire a été défaillant que l’enfant (ou le bébé) vit un chaos, prend en charge sa propre préoccupation maternelle primaire et crée son propre environnement en décidant d’aller voir un thérapeute. Ainsi nous comprenons mieux ce que Winnicott veut dire quand il prévient les parents pour qu’ils n’abandonnent pas leurs enfants à l’adolescence à leur propre sort.

12 D’ailleurs comme le précise ma patiente, lors de son absence à la maternité de l’enfant et durant toute la période infantile, sa fille n’a créé aucun problème, et jusqu’à son adolescence c’était une personne très obéissante. À ce titre je pense que, suite à ce manquement maternel durant la période primaire, notre patiente a reposé toute la responsable sur les épaules de sa fille et celle-ci a muri avant l’âge. Elle affirme que lorsque sa fille grandissait elle a pu participer à toutes les réunions, qu’elle n’a pas eu besoin de faire des sacrifices au niveau de son sommeil car sa fille n’avait pas de problèmes de sommeil, qu’elle la laissait facilement à sa famille quand elle devait s’absenter. En d’autres termes, elle veut dire que durant la période où elle devait normalement assumer le devoir de créer un environnement stable (holding) à son enfant, elle n’a pas eu à payer le prix ni au niveau physique ni au niveau sentimental.

13 Au tout début de nos entretiens il y a 10 ans, Madame Z. me parlait de son désir d’avoir un deuxième enfant, qu’elle aurait cette fois-ci plus de facilité et plus la chance de s’en occuper, un désir qui lui ferait oublier tout ce qu’elle a fait vivre ou qu’elle a vécu. Son mari alors avait prétexté son âge avancé, qu’il n’avait pas envie lui de revivre une deuxième fois les mêmes choses, et si cela devait se produire qu’il laisserait l’entière responsabilité à sa femme. La patiente a accouché de sa deuxième fille à l’âge de 45 ans et de ce fait, a dû terminer la thérapie. Selon ces propres termes : « Suite à cette longue thérapie les conflits et les disputes avec ma fille ont pris fin, celle-ci avait des problèmes au lycée mais a réussi à être acceptée dans une bonne université, j’ai eu mon deuxième bébé, donc ma thérapeute a réussi à m’aider en me transposant la fonction maternelle. »

14 Quand sa deuxième fille a eu 5 ans, elle m’a appelée pour me dire qu’elle désirait reprendre la thérapie, qu’elle ne voulait pas que sa deuxième fille vive les mêmes problèmes à son adolescence et c’est pourquoi elle souhaitait cette fois agir à l’avance. (Elle ne disait pas « il faut que j’intervienne », elle s’adressait bien à moi en disant « nous devons intervenir ».) Cette fois-ci elle était nettement consciente de ses affects dépressifs et qu’elle n’avait pas la capacité elle-même de calmer les excitations de son monde psychique dues aux troubles dans sa vie.

15 Le père de Madame Z. était tombé malade et, suite à des internements en milieu de soin intensifs, il était rentré et avait besoin de soins à la maison. Sa mère quant elle n’avait pas accepté la maladie de son époux et créait des problèmes. Madame Z. devait donc en quelque sorte courir sans cesse et faire les trajets entre son lieu de travail, sa maison et la maison de son père. Elle était en fait dans la même position que sa grande fille quand celle-ci a dû tout organiser, c’est-à-dire qu’elle se sentait en position de personne responsable de toute la famille et elle devait par conséquent subvenir aux besoins de la maison de ses parents. Sa sœur et son frère ne l’aidaient pas. Cela l’avait rendu malheureuse et tout comme sa grande fille, c’était à elle de trouver des solutions aux problèmes entraînés par les événements. Elle devait en d’autres termes faire le holding à ses parents et en particulier, elle était très affectée par le mode dépressif de son père. Pour le mettre en action elle avait organisé une activité pour presque chaque jour et pour cela elle proposait les mêmes occupations à sa petite fille et à son père.

16 Dans cette situation, elle se sentait très dépressive, elle devait sortir son père deux jours par semaine, elle devait consacrer du temps aux activités de sa petite fille, de ce fait il ne lui restait plus de temps à elle. Pour se libérer des affects dépressifs, tout le monde a recours au même procédé, c’est-à-dire bouger sans cesse et faire en sorte que les gens autour de vous bougent aussi. Mais suite à ces actions antidépressives qui nécessitent une organisation et une évaluation de chaque minute entraînant ainsi une anxiété continue, la personne ressent une très grande fatigue.

17 Évidemment, le système pare-excitation joue un rôle transitionnel dans la fonction maternelle ; ce système qui est indispensable pour permettre au bébé de faire face aux excitations qui durent longtemps, dans le cas de ma patiente, a été endommagé par la maladie de son père et les problèmes de sa petite fille, c’est pourquoi elle a eu recours de nouveau à la thérapie. Elle devait sans cesse trouver des occupations pour son père et sa petite fille et un jour cette dernière a crié en disant « ça suffit » et c’est là que ma patiente a pris conscience de la gravité de la situation.

18 Sa petite fille a eu certains problèmes depuis le plus jeune âge. Elle la qualifie de tyrannique et capricieuse et affirme que personne d’autre qu’elle ne peut la calmer et que celle-ci vit presque comme collée à ma patiente. Et ce fait d’être collé sans cesse à elle, est vécu de manière agressive. La très forte timidité de sa petite fille durant ces premières années a entraîné chez Madame Z. une inquiétude, elle ne pouvait participer aux activités qu’elle préconisait pour celle-ci, et à chaque fois qu’elle la faisait monter dans la voiture celle-ci vomissait.

19 Ici nous percevons clairement la situation que Mahler (1973) surnomme le problème de la séparation-individuation ; plus l’enfant se rapproche de sa mère plus il a la volonté de se différencier d’elle/ de s’en détacher. L’enfant d’un côté garde le contact de l’œil avec la mère et en même temps de l’autre côté pour découvrir l’univers extérieur se meut physiquement et ainsi se sent libre. Ce phénomène traduit dans le même lieu la séparation psychique avec la mère. Et c’est ce processus qui ne fonctionne pas très bien chez ma patiente car chaque fois qu’elle veut se séparer de sa fille celle-ci pleure fortement et s’agrippe à la jupe de sa mère.

20 Si la mère utilise moins ou de manière insuffisante les pare-excitations pour son bébé, cela peut entraîner chez ce dernier une diminution du mécanisme de défenses et une désorganisation somatique. Madame Z. s’est rendu compte durant les premières séances de thérapie que les problèmes tels que l’otite, les nausées et les maux d’estomac de sa petite fille provenaient peut-être d’elle.

21 La petite fille a depuis ses premières années des otites chroniques et elle est hospitalisée à chaque fois ; quand je lui fais part des dimensions psychologiques de ces problèmes, elle me rétorque : « Moi aussi je suis souvent malade, je dois longuement me reposer pour me remettre de mes grippes. »

22 Entre temps, elle m’informe qu’elle s’est renseignée auprès des pédopsychiatres pour en savoir plus sur le problème de sa fille et ils lui auraient dit que tous les enfants pouvaient avoir cette maladie. À chaque fois, ils lui prescrivent des antibiotiques, elle et la pédiatre s’inquiètent beaucoup pour la petite, comme sa fille vomit quand elle prend la voiture elle est obligée de la raccompagner à pied jusqu’à l’école, et cela aggrave encore plus sa maladie.

23 En tant que somaticienne, bien que je pense que certaines affections somatiques chez les bébés peuvent disparaître d’elles-mêmes, que celui-ci n’y fait aucun obstacle, les fluctuations dans l’économie psychosomatique de la mère traduisent les problèmes existant dans le couple (le fait que sa mère tombe malade et qu’elle soit en conflit avec son père).

24 Le fait que le corps tombe malade : tout bébé grandissant peut attraper quelques maladies peu importantes. Mais quand les infections ou autres maladies banales se répètent plusieurs fois, alors cela doit attirer notre attention. Pendant tout ce processus, moi je tentais de comprendre mon contre transfert et de définir les sentiments de colère et d’exaspération que je ressentais envers ma patiente.

25 Les symptômes de « grippe » qui se répétaient au moment de la séparation entre la mère et l’enfant, se sont multipliés entre 2 et 5 ans. Le personnel de la crèche facilitait peu à peu ces séparations et c’est ainsi que nous avons pu comprendre que ce problème reprenait à chaque rentrée scolaire. La mère insistait pour retirer son enfant de l’école et pour le faire garder à la maison, durant la thérapie elle a pris conscience qu’elle veut faire cela car elle culpabilise, se sent insuffisante, mauvaise mère et responsable de la maladie de son enfant et par conséquent la réalité objective n’a pas un rôle important.

26 À 16 et 19 mois, nous rencontrons ce que Roiphe et Galenson (1987) appellent la prise de conscience de l’identité sexuée, et si durant cette période l’investissement des parents sur l’enfant est suffisant cela influe sur cette prise de conscience. Les jeunes filles supportent ces transformations/différences grâce à l’individuation, la symbolisation et le jeu, et ainsi elles peuvent se séparer de leur mère et se rapprocher/s’occuper de leur père. Dans cette période de conceptualisation, si la jeune fille noue des rapports faibles avec la mère, elle développe ce qu’on appelle une ambivalence conflictuelle et montre par conséquent des comportements régressifs. À ce titre, la mère nous précise que sa fille veut toujours mettre des vêtements de garçon, qu’à l’école elle met toujours le même pantalon et se promène ainsi en disant aux autres qu’elle est un garçon.

27 Cette situation s’est aggravée avant la période de l’école ; la mère a des difficultés à tolérer les problèmes de sa fille. De l’école, celle-ci fait appeler sans cesse sa mère. Quand il y a un voyage organisé elle ne veut pas y aller parce qu’elle a peur de se perdre et de ne pas pouvoir retrouver le chemin de l’école. Sous la perspective bionnienne (1994), je peux affirmer que ma patiente ne peut supporter cette situation car elle n’a pas la capacité de contenance et de transformation de l’angoisse de la mort que ressent sa fille. La mère ne peut transposer intérieurement ses angoisses et ne peut donc les transformer. Durant les séances, elle attendait de moi que je contienne et que par la suite je transforme ses angoisses. C’était la seule façon pour elle de donner une signification à ces angoisses.

28 Dans le même temps, nous remarquons dans sa relation avec sa mère que cette capacité de contenance et de transformation lui fait défaut à nouveau. En ce qui concerne les difficultés qu’elle vit avec sa fille, elle dit lors d’une séance : « Je pense sans cesse à ma grand-mère, j’aurais aimé qu’elle soit présente aussi pour ma petite fille, elle m’avait tellement aidée lors de mon enfance et celle de ma grande fille. » Ainsi elle avait formulé en pleur et concrètement son besoin à être contenue.

29 La fonction d’encadrement de ce que Winnicott appelle « la fonction paternelle » était dans le cas de la grande fille trop stricte et pleine de manquements, alors que pour la petite fille elle intervient et endosse dans ce deuxième cas le rôle de stabilisateur dans la relation entre mère, père et fille.

30 Cette patiente qui me répétait sans cesse que sa grande fille n’avait pas eu ce genre de maladies, je l’ai suivie pendant de longues années. Il lui a fallu beaucoup de temps pour prendre conscience du lien entre les multiples somatisations chez sa fille et les inquiétudes et angoisses qu’elle ressent dans son monde intérieur. Alors qu’elle me faisait remarquer sans cesse qu’elle n’avait jamais ce genre de maladie, j’ai appris par la suite qu’elle s’est fait hospitaliser à deux reprises dans le service d’ORL (pathologie du nez de l’oreille et de la gorge). Cette incapacité à contenir les excitations venant du monde extérieur et ces signes de lassitude sont les preuves de cet état d’angoisse et de dépression toujours présent chez elle.

31 Lorsque Madame Z. s’est aperçue de l’échec des quelques thérapies que sa fille a suivies pour les problèmes qu’elle avait durant sa scolarité primaire, elle m’a dit lors d’une de nos séances : « Je voudrais que vous me donniez un nom de thérapeute qui conviendrait à ma fille. » Elle a ajouté qu’elle avait pris conscience lors de notre thérapie que les problèmes de sa fille pourraient la rendre malheureuse plus tard et qu’elle admettait son incapacité à résoudre ces problèmes elle-même. Désormais elle emmène régulièrement sa fille chez un psychologue. « Je pense que je n’étais pas en situation pour comprendre les problèmes de ma première fille, dans ma propre adolescence je n’avais créé aucun problème à mes parents parce qu’en réalité je n’avais rien vécu. C’est pour cette raison qu’à l’âge de 20 ans, quand j’ai accouché de ma première fille je n’avais qu’une chose en tête, c’était de vivre mon adolescence, je ne me souciais pas du tout de ma fille, j’ai voyagé, je me suis amusée et j’ai fait tout ce que je voulais. Mais les problèmes de ma petite fille sont beaucoup plus sérieux et je me dois de lui trouver un bon thérapeute pour qu’elle ne soit pas malheureuse plus tard. »

32 Par ailleurs, la grande fille qui est devenue adulte aujourd’hui n’est pas indifférente aux problèmes de sa petite sœur, elle rappelle à ses parents qu’ils ne doivent pas répéter les problèmes que crée le fait de ne pas être présent pour contenir la tristesse, les angoisses et la colère de l’enfant.

33 En conclusion, la fonction maternelle de l’analyste joue un rôle important dans le travail sur les mères qui ont du mal à percevoir la souffrance de leur enfant.

Bibliographie

Bibliographie

  • Bion, W. R., (1994), Learning from experience, Jason Aranson Books.
  • Mahler, M., & Pine, F., & Bergman, A. (1973), The psychological birth of the human infant, New York Basic Books.
  • Roiphe, H., & Galenson, E., (1987) La naissance de l’identité sexuelle, Paris, PUF.
  • Winnicott, D.W., (1965) The maturation process and the facilitating Environment ; studies in the theory of emotional development, İnternational Psychoanalytic Library, 64 : 1- 276 London, The Hogarth Press and the İnstitution of Psychoanalysis.

Mots-clés éditeurs : Pare-excitation, Aveuglement, Séparation-individuation, Holding

Date de mise en ligne : 02/08/2016.

https://doi.org/10.3917/top.135.0085

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