Notes
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[1]
Mijolla-Mellor, S., de, Le choix de la sublimation, Paris, PUF, 2009.
-
[2]
Mijolla-Mellor, S., de, La mort donnée, Paris, PUF, 2012.
-
[3]
Le Rider, J., « Kultur contre Civilisation » in Topique, 1993, n° 52. Mes références ici ainsi que celles qui précédent font appel à cette étude approfondie.
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[4]
Kant, E., OC II, Pléiade, vol 2, 1985, p. 199.
-
[5]
In Rolland, R., Au-dessus de la mêlée, Paris, P., Ollendorf, 1915, p. 7.
-
[6]
J’emprunte le terme « nomos de la terre » à l’ouvrage éponyme de Carl Schmitt publié en 1988 à Berlin, Der nomos der Erde im Völkerrecht des Jus Publicum Europeaum, Tr fce Paris, PUF, Quadriges, 2008.
-
[7]
Ce terme ne trouve pourtant pas son étymologie dans le précédent mais dans le « nomenclator », c’est-à-dire l’esclave chargé d’appeler les clients par leur nom (onoma). Cf. Ernoult et Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris, Klincksieck, 1985, p. 444.
-
[8]
De manière moins métaphysique, si l’on considère que le droit du fœtus est une notion relativement récente, on peut aussi penser cet acte de séparation comme une naissance où l’expulsion de l’enfant hors du corps de la mère en fait un sujet à part entière.
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[9]
Sydney Levy dans sa thèse de doctorat « L’identité autochtone » (dir. Pr S. de Mijolla-Mellor, ED, Recherches en psychanalyse, Université Paris-Diderot, 2009) a montré en quoi il est nécessaire de penser le rapport entre « Gê », la Terre, et « Chtôn », le sol. Cf. son livre Freud et l’homme vertical, éd. des Crépuscules, Paris, 2010.
1En 1929 dans L’avenir d’une illusion, Freud rappelle sa théorie de la formation des groupes sociaux en dépit de l’agressivité qui conduit à la disruption. Le mouvement qu’il décrit est double car le « narcissisme des petites différences » est simultanément rejet de l’autre qui correspond au mouvement de la pulsion de mort et cohésion du même correspondant à Éros, l’un s’étayant sur l’autre.
2« Il est toujours possible, écrit-il, d’unir les uns aux autres par les liens de l’amour une plus grande masse d’hommes, à la seule condition qu’il en reste d’autres en dehors d’elle pour recevoir les coups » (1930, a, p.68).
3Il s’agit donc, pour des communautés voisines et même apparentées, de se combattre et de se railler mutuellement, satisfaction – que l’auteur juge « commode et relativement inoffensive » – de l’instinct agressif par laquelle la cohésion de la communauté est rendue plus facile à ses membres. Querelles de clochers ? Non, pas seulement. Il faut aussi y lire le mécanisme du bouc émissaire qui, chargé de toutes les fautes, sera chassé de la communauté voire immolé. Freud remarque au passage avec ironie que la fonction du juif à cet égard n’a cependant pas toujours permis une vie paisible aux « frères chrétiens » qui les avaient accueillis.
4Il y a donc deux aspects relativement différents du narcissisme des petites différences suivant qu’il concerne des communautés partageant un même espace ou bien des groupes nationaux bien délimités. Les exemples choisis par Freud (Allemands du Nord et du Sud, Espagnols et Portugais, Anglais et Ecossais) impliquent une juxtaposition de voisinage alors que le cas des Juifs est typiquement celui d’un mélange réalisé et souvent ancien mais contesté.
5Tentant d’entremêler les deux mouvements, l’auteur note :
6« Ce ne fut pas l’œuvre d’un hasard inintelligible si les Germains firent appel à l’antisémitisme pour réaliser plus complètement leur rêve de suprématie mondiale et l’on voit comment la tentative d’instauration en Russie d’une civilisation communiste nouvelle trouve son point d’appui psychologique dans la persécution des bourgeois. »
7On sait que le déclenchement de l’agressivité contre l’autre peut se prolonger sans limite dévoilant ainsi l’action souterraine de la pulsion de mort qui se défléchit vers l’extérieur et se fait force vitale transformée en Éros destructeur. Processus qui se doit d’être infini car sinon il se retournera sur le sujet lui-même d’où il est issu. Aussi, comme poursuit Freud : « On se demande avec anxiété ce qu’entreprendront les Soviets une fois tous leurs bourgeois exterminés »… Le phénomène est en effet entropique et à ce titre, infini.
8Narcissisme des « petites » différences… La différence y est bien attestée mais son importance est contestée. En effet, l’apparence des habitants d’une même partie du monde ne se modifie pas radicalement avec le passage des frontières nationales et, vu de l’extérieur, rien ne ressemble plus à un Tutsi qu’un Hutu, à un Juif sépharade qu’un Arabe palestinien, à un Serbe qu’un Croate. Pour protéger le narcissisme national, il va donc falloir revendiquer cette différence, l’amplifier pour qu’elle soit reconnue comme une « grosse différence », une différence irréductible imposée violemment. Le sang alors versé de part et d’autre ne scelle pas un pacte mais constitue une limite infranchissable, y compris pour les générations qui vont suivre. Car on ne pactise pas avec l’ennemi, sauf si bien sûr si l’on est un traître.
9Reste à savoir pourquoi il était si important d’affirmer cet écart. On en vient dès lors à la dimension topologique, celle qui fonde les contours d’une identité en dessinant en plein ce qui est en creux dans l’espace limitrophe. La similitude est en effet dangereuse entre voisins immédiats parce que le risque de confusion, donc de perte identitaire, est maximal.
10C’est de fait exactement le même processus, mais sous une forme inversée, qui se produit avec le « coup de foudre » amoureux réciproque. Chacun reconnaît chez l’inconnu qui lui fait face une étrange familiarité qui n’est autre que l’intense plaisir de retrouver l’objet originaire perdu, le lien archaïque à la mère... Les amoureux, surtout s’ils sont éloignés d’une manière ou d’une autre, s’émerveilleront d’avoir enfin découvert l’« âme sœur » et de pouvoir fusionner avec elle, non plus comme avec un autre mais comme s’il s’agissait d’un jumeau homozygote.
11À l’inverse, le voisin étranger offre certes un étayage possible contre la solitude et son déplaisir voire ses risques mais il est aussi une permanente menace potentielle d’envahissement. Plus fondamentalement, sa présence aux frontières immédiates constitue un risque de perte pour ce repos tranquille, clos en soi-même, que les Latins appelaient « acquiescentia in se ipso », autre manière de dire le sentiment de jouissance de son propre moi.
12Et de fait, une telle menace porte toujours sur l’identité du sujet comme si celle-ci n’était jamais totalement assurée. C’est pourquoi tout voisinage implique une frontière réelle ou imaginaire et la maintenir de manière pacifique est un exercice délicat. La diplomatie s’y emploie en politique et, dans les relations quotidiennes, la politesse – qui se dit aussi la « civilité », la manière d’être citoyen – sait parfois atteindre la dimension d’un art. Pensons par exemple aux conversations volontairement anodines et essentiellement météorologiques échangées de part et d’autre de la haie du jardin dans les petits villages, si bien décrits par Agatha Christie en Angleterre…
13Pourquoi le narcissisme est-il tellement fragile qu’il nécessite d’être entouré de tant de manœuvres protectrices ? Il faut en fait un travail psychique d’élaboration dont j’ai tenté de montrer [1] qu’il relevait de l’opération de sublimation pulsionnelle pour fonder son narcissisme, non pas sur la relation à l’autre et la contrainte qui lui est imposée pour vous reconnaître, mais sur ce que l’on « fait », sur l’œuvre quelle qu’en soit la nature et non directement sur la personne.
14À l’inverse, la reconnaissance primitive de soi-même passe toujours par l’espace occupé par le sujet, d’abord dans l’espace familial puis dans le cercle relationnel immédiat. C’est ce mécanisme qui, élargi à l’échelle groupale voire nationale, va se retrouver à un niveau géopolitique. Mais du coup, cela implique que le narcissisme du sujet ait pu momentanément se souder à celui de ses proches (famille, tribu, nation..) jusqu’à reconstituer une unité indissoluble opposable à ceux de l’extérieur.
15Le narcissisme des petites différences est donc toujours double :
- Cohésion groupale reposant sur la lutte contre l’étranger ;
- Renforcement des bordures de l’identité par l’attaque contre l’extérieur.
17C’est pourquoi la cohésion est garantie par la fixité des frontières et le supposé « bon droit » de chacun quant à cette place.
18Le terme même « narcissisme des petites différences » frise alors l’insulte car il implique que le tiers tienne ces dernières pour négligeables. Il va donc falloir imposer la reconnaissance par la force. Cela peut alors aller loin car, se battre pour faire reconnaître son droit à la différence implique de générer des alliés et donc immanquablement d’étendre le conflit jusqu’au point où il faudra y mettre fin d’une manière ou d’une autre. La reconnaissance passera par la reddition de l’une des parties, s’avouant vaincue pour se préserver en vie mais n’ayant de cesse que de reprendre le combat dès que possible.
19Ce n’est pas la différence qui est alors reconnue et matérialisée selon une équitable répartition mais le désaccord qui se fige dans un ordre artificiel maintenu par la force.
20Le « narcissisme des petites différences » aura pour fonction de rappeler cet état de fait et il n’est en aucun cas la reconnaissance de spécificités identitaires qu’il serait plaisant de rencontrer pour jouir de leur variété. Il consiste en revanche dans leur utilisation à des fins de propagande dans une guerre permanente qui peut être « froide » ou déclarée.
21Bien loin de la curiosité vis-à-vis de l’étranger, sa langue, sa culture, son pays, ce narcissisme implique un dénigrement, une ridiculisation, bref une perception de l’autre qui vise à en faire simultanément un rebut et un danger. C’est pourquoi il contient potentiellement la mise à mort de l’autre voire sa destruction totale.
22La haine de l’autre s’insinue dans les consciences par le langage, comme l’ont montré Viktor Klemperer et Georges Orwell, et sa nomination vise d’abord à le stigmatiser en faisant de sa spécificité un trait odieux ou ridicule. Contrairement à l’humour qui s’exerce sur soi-même, l’ironie à l’égard du voisin sera délétère et prétendra amuser aux dépens de ses traits supposés typiques. L’idée d’un « génie national » (Herder) ou celle de l’« esprit d’un peuple » trouve ici sa formulation la plus négative, comme si son existence même était devenue une insulte voire une menace.
23J’ai choisi de développer dans ce qui suit l’exemple des relations entre la France et l’Allemagne dans la première partie du XXe siècle. On y voit que le narcissisme des petites différences s’est conjugué dans la double dimension de l’ennemi intérieur et extérieur sans que les deux puissent pour autant se confondre. La montée du nazisme en Allemagne identifiera simultanément un ennemi intérieur (juif et bolchevique) et un ennemi extérieur (la France, principale responsable du « Diktat » de Versailles).
24Mais l’antisémitisme ne constituera pas pour autant un terrain d’entente sur lequel une union aurait pu se constituer. On sait pourtant qu’au cours du XXe siècle, c’est d’abord en France que l’antisémitisme s’était développé et seulement ensuite en Allemagne. En France, il s’agissait d’un mouvement ancien théorisé au XVIIIe siècle avec l’Essai sur la théorie des races de Gobineau tandis que l’Allemagne à la même époque, imprégnée de luthéranisme, s’était montrée plus accueillante. Il est intéressant de constater qu’au cours des guerres successives entre ces deux pays, l’antisémitisme – qui s’était développé en Allemagne entre temps – ne les a pour autant pas rapprochées, même si en France des courants d’extrême droite ont pu se rallier au nazisme dès 1930 notamment autour de ce motif.
25L’Occupation allemande à partir de 1940 sera favorisée par un mouvement de collaboration autour du Maréchal Pétain qui facilitera la traque et la déportation des juifs en France mais ne générera pas pour autant un mouvement de cohésion entre les deux pays. L’extrême droite française cependant revendiquera son patriotisme au nom d’un renouveau national étayé sur l’Allemagne nazie tandis que les mouvements de Résistance gaullistes et communistes bâtiront l’idée de la France à partir de la lutte contre le nazisme, bien au-delà de l’opposition entre la nation allemande et française.
26Mon propos consiste donc à interroger le fait que la notion de « narcissisme des petites différences » puisse servir à expliquer aussi bien la lutte entre des pays frontaliers que la stigmatisation de l’ennemi de l’intérieur transformé en bouc émissaire, mais sans que l’un puisse permettre d’épargner l’autre. Comme je l’ai évoqué dans un livre récent [2], il y a dans ces deux situations un enjeu qui conduit dans le premier cas à la guerre mais dans le second au massacre propre aux guerres civiles.
27Est-ce qu’on entre en guerre pour s’opposer à un massacre commis par une nation suffisamment « étrangère » pour ne menacer ni vos frontières ni votre identité ? On en a un exemple particulièrement douloureux pour les Occidentaux : deux guerres mondiales en 30 ans, l’une préfigurant et, en un sens, engendrant l’autre, des morts par millions, un génocide froidement organisé, une boucherie fratricide comme en témoigne encore aujourd’hui l’ossuaire du fort de Douaumont près de Verdun où des milliers de cadavres de soldats qui constituaient la jeunesse des deux pays ont été entassés sans distinction de nationalité, parce qu’ils étaient trop nombreux et trop emmêlés pour que l’on puisse même les distinguer.
28Comment passe-t-on de l’amour patriotique à la revendication nationaliste et finalement à la mort industrielle ?
29Mais qu’est-ce qu’une nation ? Cette entité se définit étymologiquement (natio) comme un lieu de naissance commun que l’on obtient soit du fait des circonstances géographiques de sa venue au monde, soit du fait d’une transmission parentale, soit par un choix qui se nomme alors « naturalisation » qui doit rendre « naturel » ce qui a relevé en fait d’une décision individuelle. Mais la volonté de vivre ensemble est de toutes manières impliquée tant dans la reconnaissance d’un passé commun que dans la mise en acte politique d’un présent et l’anticipation d’un futur.
30Il n’y a donc pas de nation sans cohésion, sans une langue et une culture communes, impliquant aussi une solidarité garantie notamment par le partage de l’impôt et par la défense nationale. La nation est donc toujours simultanément un fait donné et un objectif potentiel à construire. Peut-on dire pour autant que la revendication de cette entité soit en elle-même porteuse d’un risque de conflit du fait que la différence qui la constitue demanderait toujours à être soutenue, voire défendue ? Est-ce que le nationalisme découle en droite ligne du fait même de l’existence des nations ou bien s’agit-il d’autre chose ?
31Hitler en 1926 louait le « chauvinisme » de la France et regrettait que l’Allemagne ne sache pas l’inculquer aux jeunes aussi efficacement que ne le font les Français :
32« Ce que nous appelons l’éducation chauvine du peuple français n’est que l’exaltation excessive de la grandeur de la France dans les domaines de la culture ou comme disent les Français, de la “civilisation”… Chez nous au contraire, au péché d’omission d’un caractère négatif, s’ajoute la destruction positive du peu que chacun a eu la chance d’apprendre à l’école… Il faut implanter dans les jeunes cœurs l’union intime du nationalisme et du sentiment de la justice sociale… Si j’étais français, et si par conséquent la grandeur de la France m’était aussi chère que m’est sacrée celle de l’Allemagne, je ne pourrais et ne voudrais agir autrement que ne le fait en fin de compte un Clémenceau. » (Mein Kampf, cité dans l’article « Chauvinisme » de Wikipédia).
33Le chauvinisme est ici conçu comme une fierté nationale qui porte non pas sur des détails mais sur la grandeur du pays en matière de politique ou de culture. On aurait pu croire que la culture est précisément ce qui permet de dépasser le particularisme national. C’est loin d’être toujours le cas et non seulement une culture peut se voir opposée à une autre comme meilleure mais les « intellectuels » qui ont pour fonction d’en être les porteurs peuvent dans certains cas en faire un cheval de bataille au lieu d’un instrument de paix et de communication. En temps de conflit, l’exploitation du narcissisme des petites différences devient le cheval de bataille de la propagande qui s’emploie à entretenir la haine de l’autre pour faire supporter l’effort de guerre au peuple concerné.
34Cela peut prendre toutes sortes de formes allant de l’ironie du caricaturiste, qui s’entend à relever les traits nationaux les plus saillants pour en faire un objet de moquerie, à la diatribe calomnieuse afin de communiquer la crainte et de transmettre une image purement et simplement inventée. Intoxiquer et non informer devient alors le seul but.
35Dans la mesure où l’on pourrait imaginer au contraire que la hauteur des vues des « intellectuels » leur permettrait d’échapper à de tels travers, on est d’autant plus surpris d’apprendre que des écrivains, philosophes, artistes se soient souvent livrés au même exercice durant les guerres du début du XXe siècle qui ont opposé l’Allemagne à la France. Qui plus est, il ressort de ce travail, fait pour marquer les différences afin de justifier les conflits, une sorte d’étrange définition de l’« esprit national » bien loin de l’universalité des valeurs des Lumières. Je vais donc développer à titre d’exemple dans ce qui suit la manière dont deux termes aussi proches que ceux de « Culture » (Kultur) et « Civilisation » (Zivilisation) ont pu devenir des armes contre l’adversaire.
36Comment les « intellectuels » en France et en Allemagne ont-ils contribué à l’expression du « narcissisme des petites différences » ?
37Dans L’avenir d’une illusion, en 1927, soit un an après la parution de Mein Kampf, Freud note qu’il dédaigne de séparer la « civilisation » – notion qui qualifie la domestication des mœurs et la bonne conduite extérieure – de la « culture » qui désigne les élaborations intellectuelles, artistiques et religieuses d’un peuple. Pour lui en effet la culture, loin d’être un jaillissement authentique sinon spontané, n’est pas exempte d’un tel assujettissement, d’où le « malaise dans la culture » qu’il évoquera ultérieurement.
38La distinction entre civilisation et culture était en outre porteuse de tout un contentieux entre la France et l’Allemagne laquelle contestait la tendance hégémonique des Anglais et des Français en la matière [3]. Kant, en 1984, dans « Idée d’une histoire universelle du point de vue cosmopolitique » [4], soulignait que si l’art et la science nous « cultivent », que l’urbanité et les bienséances sociales nous « civilisent », néanmoins il s’en faut de peu pour que nous soyons pour autant « moralisés ». Il rappelait en effet qu’« il faut un long effort intérieur de chaque communauté en vue de former ses citoyens », effort mis en péril par les visées expansionnistes des États au nom précisément d’une civilisation qu’ils prétendent imposer aux autres.
39La civilisation s’apparenterait donc à une fausse culture sans moralité authentique et surtout sans le travail que constitue la Bildung, l’éducation personnelle, qu’il s’agisse d’un individu ou d’une communauté. Herder à peu près au même moment (1985), soulignait la notion de « génie national » et affirmait que chaque culture nationale en vaut une autre en ce qu’elle réalise une des virtualités de l’Humanité.
40Culture bourgeoise allemande contre civilisation aristocratique à la française, l’opposition ne disparaîtra pas avec la fin de l’Ancien Régime. En effet, la civilisation, devenue substitut laïcisé de la religion dans l’esprit des Lumières, fondera la certitude de la France dans le bienfondé de sa vocation missionnaire tant en Europe qu’ailleurs, dans le cadre du programme de colonisation.
41Du côté allemand, renouant avec la critique luthérienne de Rome, il s’agira de défendre le « Sonderweg » (voie particulière) de la culture bourgeoise à la fois respectueuse des autorités et indifférente au politique comme un Theodor Fontane l’a ultérieurement magistralement dépeint. Avec Nietzsche, comme le rappelle Jacques Le Rider, apparaît un point de vue différent mettant du même côté culture et corruption car la Kultur tirerait sa vitalité d’une barbarie canalisée – nous dirions sublimée – tandis que la civilisation ne serait qu’une culture délaissée par la vie, un domptage et donc une intolérance à la hardiesse et à la nouveauté. Moyennant quelques déformations, le IIIe Reich y puisera à la fois la défense du nationalisme allemand et le mépris d’un raffinement superficiel qui lui avait été opposé comme supérieur. Un pas de plus, et c’est l’énoncé même du mot « culture » qui donnera envie à Goebbels de tirer son pistolet !
42Toutefois, les choses ne sont pas simples puisque, comme on l’a vu dans la citation de Mein Kampf, Hitler revendique au contraire les bienfaits du chauvinisme à la française, reconnaissant à la France la pratique du culte des héros et non seulement celui des bonnes manières. Paradoxe provocateur destiné bien évidemment à fouetter l’amour-propre national !
43Les intellectuels français auraient pu en retour chercher exemple auprès de l’Allemagne en la personne de l’auteur de la Mort à Venise chantant les bienfaits de l’extension de la Kultur comme une « sublimation du démoniaque », au-dessus de la morale, de la raison et de la science. Dans la Neue Rundshau, Thomas Mann publiait en effet en octobre 1914 un article qui reste célèbre (Gedanken im Kriege) dans lequel il affirme qu’il n’y a rien de commun entre la Kultur et la Civilisation et que la guerre se mène entre ces deux visions du monde. Il définit la civilisation par la Raison (Aufklärung), la douceur, l’esprit (Geist) et la Kultur, au contraire, par « une organisation spirituelle du monde » qui n’exclut pas « la sauvagerie sanglante ». Kultur et militarisme seraient donc frères, l’idéal de l’un étant la même chose que celui de l’autre. Morale de Calliclès donc, pour qui le droit c’est la force tandis que la justice ne vise qu’à aplatir le monde pour le bénéfice des faibles.
44Les « intellectuels » sont-ils aptes à dépasser le narcissisme des petites différences ? Entre 1914 et 1915, publiant une quinzaine d’articles dans lesquels il revendique de partager avec eux l’héritage culturel de « notre Goethe », Romain Rolland s’adresse aux Allemands et tente aussi bien de faire entendre aux belligérants de toutes nationalités une voix « au-dessus de la mêlée » [5]. Son argumentation tient dans l’idée que l’Allemagne a été entraînée contre sa propre tradition dans le pangermanisme belliciste de l’impérialisme prussien, perspective qui pourrait tout autant s’appliquer deux décennies après à l’Allemagne nazie. C’est donc au nom de sa culture qu’il adjure le peuple allemand de ne pas suivre le bellicisme prussien :
45« Êtes-vous les petits fils de Goethe ou ceux d’Attila ?... Vous vous montrez indignes de ce grand héritage, indignes de prendre rang dans la petite armée européenne qui est la garde d’honneur de la civilisation », écrit-il après les destructions de Louvain et de Reims par les soldats allemands en 1914.
46C’est bien la raison pour laquelle le fait que les « intellectuels » puissent en appeler à la guerre l’emplit de colère et de tristesse. Au lieu d’exercer leur pouvoir critique, ces « pédants de la barbarie » (il cite ici le philosophe Miguel de Unamuno) lui apparaissent comme une meute aboyant sur la piste où le chasseur les lâche.
47Bergson avait de fait pour sa part doctement affirmé que « la lutte engagée contre l’Allemagne est la lutte même de la civilisation contre la barbarie ». Et l’historien allemand Karl Lamprecht lui avait répondu en miroir : « La guerre engagée entre le germanisme et la barbarie (…) est la suite logique de ceux que l’Allemagne a livrés au cours des siècles contre les Huns et contre les Turcs » (p. 27). On est toujours le « barbare », c’est à dire l’étranger de l’autre, au mépris du degré de civilisation de celui-ci qui est alors ignoré, annulé.
48Que penser des notions d’« esprit d’un peuple », et de « génie national » ? Il est intéressant de constater combien il est difficile aux esprits les plus épris d’universalisme de se défaire de ces poncifs. Romain Rolland comparant les dangers du panslavisme et du pangermanisme y revient comme malgré lui après avoir rappelé que plus la tradition culturelle d’un peuple est élevée, plus il est impardonnable de se livrer à la destruction et à la conquête du voisin. Mais il ne se contente pas de souligner que Tolstoï et Dostoïevski sont au moins égaux à Leibniz, Goethe ou Nietzsche, il dit aussi son espoir que la Russie se débarrasse de son impérialisme grâce aux forces révolutionnaires nouvelles tandis que l’Allemagne « étaye sa dureté systématique sur une trop ancienne et savante culture » pour que l’on puisse espérer qu’elle s’amende. Il en vient à parler du « caractère des deux races » en des termes qui loin de pallier le narcissisme des petites différences en fait une distinction essentielle. Écoutons-le :
49« Les Allemands oppriment d’une manière systématique et, par cela même, toujours efficace. De plus, leur hauteur méprisante pour tout ce qui n’est pas eux, la logique, le sang-froid avec lesquels ils exercent leurs persécutions partout où ils dominent, les rendent intolérables. Les Russes sont, de nature, moins conséquents ; leur esprit n’est pas aussi ordonné, ils suivent plutôt leur cœur et pour cela, ils sont moins redoutables comme oppresseurs… Ils sont dans leurs manières plus rudes et plus brutaux que les Allemands mais ils sont au fond plus humains que ceux-ci, qui cachent souvent sous les dehors d’une parfaite courtoisie des intentions d’une animosité féroce. » (p. 53).
50Quelle aurait été l’opinion de l’auteur confronté d’un côté au génocide de la Shoah et au nombre à peu près équivalent des victimes du stalinisme ? Qu’aurait-il pensé des morts de la « révolution culturelle » chinoise, des exécutions de Pol-Pot pour ne citer que celles-là ? En d’autres termes, le caractère d’un peuple est-il appréhendable par la manière dont il massacre son voisin ou ses nationaux ?
51On sait qu’en 1945, les Allemands vaincus ont redouté l’occupation soviétique bien plus que celle des Alliés européens ou celle des Américains. Faut-il y voir pour autant la recherche d’une communauté de cultures ou ne doit-on pas plutôt considérer que l’impérialisme soviétique leur apparaissait d’autant plus terrifiant qu’ils venaient eux-mêmes de faire l’épreuve de celui du nazisme ?
52Pour les psychanalystes la notion de narcissisme des petites différences pose donc une question théorique majeure que l’on pourrait résumer ainsi : comment parvient-on à soi-même, faut-il pour cela détruire tout ce qui pourrait s’avérer menaçant du seul fait qu’il est proche ?
53Je tenterai de répondre à cette question en montrant qu’au niveau politique le « narcissisme des petites différences » défend aussi bien l’avoir que l’être du sujet.
54Commençons par l’avoir et par ce que le juriste Carl Schmitt appelle le nomos de la terre. La prise de pouvoir commence par l’acte de possession de la terre qui constitue, au regard de la philosophie politique depuis les Grecs, l’imposition d’un ordre qui va valoir comme loi, un nomos [6] d’où découle une « nomenclature » [7] tant des pays définis à l’intérieur de leur frontières que des familles liées à leurs terres. Un tel ordre va prétendre légitimer l’acte agressif et destructeur sur lequel il se fonde.
55Au commencement donc était la clôture mais celle-ci ne s’est évidemment pas établie sans tuer pour chasser les premiers occupants et ensuite pour en défendre les limites.
56La théorisation que propose Carl Schmitt distingue la « prise de terres » (Landnahme) – dans laquelle, ainsi que Rousseau et bien d’autres, il voit l’événement fondateur de tout ordre juridique, interne ou international – de l’ordre juridique lui-même qui est réciproquement situé dans l’espace et quasiment ancré dans le sol (Konkretes Ordnungsdenken).
57Selon lui, le nomos n’est donc pas encore une loi à proprement parler mais la division spatiale qui va donner naissance à un ordre juridique. De fait, tout ordre ne repose-t-il pas sur la coupure qui va faire sortir la forme de l’informe et de la confusion originelle, de même que l’acte créateur divin a séparé les éléments et les espèces ? [8]
58En l’occurrence toutefois, le phénomène du nomos n’est fondé ni sur une volonté divine ni sur une causalité biologique mais sur une conduite humaine que nous sommes donc fondés à interroger d’un point de vue psychologique et éthique. La prise de territoires répond pour un groupe ou un individu à une nécessité vitale, du moins chez les sédentaires.
59Il faut s’assurer la jouissance et le bénéfice du travail de la terre qui a été labourée, ensemencée et donc il faut pour cela affirmer qu’on la possède. En travaillant le sol, l’homme l’humanise, il y laisse sa marque qu’il entend transmettre à ses enfants. On est déjà entrés dans l’affirmation d’une identité et il suffit pour s’en convaincre de voir comment, en France par exemple, les noms des lieux, parfois des châteaux, sont aussi ceux des familles. La conviction d’un droit imprescriptible naît pour le sujet de l’affirmation que ses ancêtres ont fécondé de leur activité un espace neutre, anonyme, informe avant qu’ils ne l’occupent. Prise de possession, travail, propriété et identité familiale vont alors de pair.
60Pour Carl Schmitt, la prise de terre fonde le droit dans une double direction : vers l’intérieur et vers l’extérieur du groupe. À l’intérieur, il définit la propriété foncière patrimoniale fixée en fonction du cadastre et vers l’extérieur il pose les frontières vis-à-vis d’autres puissances qui ont aussi pris possession de terres. Il écrit :
61« La prise de terres précède l’ordre qui en découle du point de vue logique mais aussi historique. Elle contient l’ordre initial qui se déploie dans l’espace, l’origine de tout ordre concret ultérieur et de tout droit ultérieur. » (op. cit., p. 53).
62Cette perspective est difficilement contestable sur le plan des faits historiques ou sur celui de l’histoire du droit. Sauf en effet à attendre qu’une instance divine attribue le sol et ses richesses à chacun selon ses mérites, il faut bien que chacun se serve, ce qui, comme on le sait, n’est jamais mieux fait que par soi-même. De plus, la limite que crée la prise de possession de la terre assure en principe une coexistence pacifique selon le principe « chacun chez soi ».
63L’absence d’ordre est pour l’auteur synonyme de chaos et donc de violence potentielle. Cette dernière n’a cependant bien sûr pas disparu pour autant, puisqu’il faut faire respecter les frontières, mais elle est par définition limitée par ces mêmes frontières, du moins en principe. Car l’histoire est faite d’invasions successives dont certaines s’inscrivent à l’intérieur d’un ordre établi – c’est par exemple le cas lorsque des tribus en migration se sont fait assigner des terres romaines par l’empereur romain – tandis que d’autres se font sans égard à la situation juridique de l’empire envahi et la font alors éclater.
64Conscient de ce retour possible du chaos, Carl Schmitt propose une distinction entre les violences qui s’autodétruisent, inefficaces donc puisqu’elles n’empêchent pas un retour au statu quo ante, et celles qui durent et constituent un nouvel ordre spatial du point de vue du droit des gens. L’argument est purement pragmatique ou pourrait tout au plus impliquer que, dans un sens hégélien, le tribunal de l’Histoire soit finalement seul apte à statuer en la matière.
65On voit donc que l’acte originel de prise de terres ne comporte en réalité aucune limitation interne logique. Qui a pris peut se faire prendre et va donc chercher à légitimer sa prise selon divers motifs allant de la légitimité de l’ordre, à perpétuer parce qu’il existe avant, à la fondation nouvelle de cet ordre sur une raison supérieure qu’on l’appelle « sens de l’histoire » ou « volonté divine »...
66Carl Schmitt, en citant Aristote, cherche cependant à donner une légitimité autre que factuelle à cette répartition. Il rappelle que la domination du nomos se confond chez Aristote avec le régime d’une propriété foncière bien répartie assurant une sorte d’uniformisation par la classe moyenne par opposition à la domination des très riches ou des très pauvres cherchant à gouverner par des décrets populaires au lieu de tenir compte d’une juste mensuration.
67Ce que retient Carl Schmitt c’est que « le nomos au sens originel est précisément l’immédiate plénitude d’une force juridique qui ne passe pas par la médiation de la loi ».
68C’est ajoute-t-il « un événement historique constituant, un acte de légitimité grâce auquel seulement la légalité de la simple loi commence à faire sens » (p. 77).
69Mais le narcissisme des petites différences défend aussi l’être du sujet en liant l’identité et la terre d’origine.
70Le risque fantasmé n’est pas celui d’une réduction en esclavage et d’une exploitation par le voisin mais d’une destruction identitaire.
71Ne plus avoir droit à sa langue, ne plus pouvoir adorer publiquement ses dieux, ne plus pouvoir transmettre à ses descendants une image identificatoire spécifique parce que leur assimilation au dominant rend ces récits inintéressants voire mal venus, constitue les bases d’une réduction de la différence sur laquelle le narcissisme défendait l’identité du sujet.
72C’est dans le cadre d’une nomenclature de ce type que l’individu vient au monde, à l’intérieur de données qui lui préexistent et dont il s’imprègne car elles se diffusent subtilement en lui dès sa naissance avec les bruits et les odeurs familiers, les goûts des aliments cuisinés, les vêtements, les coutumes et plus encore la langue. Ultérieurement il apprendra à les connaître lorsqu’elles lui seront enseignées avec l’histoire et la culture de son pays, de sa région, voire de sa famille. L’identité familiale et nationale apparaît donc à la fois donnée par les sens et inculquée par les aînés comme une valeur à transmettre et l’on peut penser que les deux processus s’ils n’opéraient pas conjointement seraient inefficaces. Elle est terrienne, liée à un sol, d’où l’idée d’« autochtonie », naissance à partir du sol même où s’installent villes et maisons [9].
73Au regard du psychanalyste toutefois la chose semble plus complexe dans la mesure où l’identité personnelle est le résultat d’une construction qui se fonde sur une démarche psychique active quoique en grande partie inconsciente : l’identification.
74Certes, les identifications de l’enfant se font spontanément en direction des objets familiaux disponibles, parents, grands-parents, fratrie, etc., et l’on retrouve donc les cas de figures précédemment évoqués. Mais les personnages de la constellation familiale ont eux-mêmes traversé bien des tribulations pour parvenir à cette image qu’ils appellent « moi » et celle-ci porte la trace de marques beaucoup plus largement étendues. La découverte d’autres personnages que ceux de la famille ou de la nation, d’autres cultures, d’autres langues et d’autres horizons peut avoir ouvert un espace de liberté qui va très largement dépasser la donne de départ, entrer en interrelation avec elle, permettre que se compensent des frustrations, et parfois que se réalisent des rêves que la génération d’avant avait dû abandonner…
75Sous des formes diverses allant de l’expatriation volontaire à la pratique phobique et limitée des croisières organisées, l’adulte va négocier le fantasme de rompre les amarres. Ce désir est tout aussi fort que celui de s’assurer que celles-ci existent et qu’il sera possible de les retrouver ne serait-ce qu’au moment de revenir être enterré au sein du sol de la Mère patrie.
76Cependant l’identité, celle du groupe ou du sujet, n’existe qu’en fonction des contrastes qui la différencient des autres, raison pour laquelle par exemple la possibilité du clonage humain angoisse. Elle doit en permanence être vérifiée, confirmée, en même temps que le sujet pourra se réjouir de se sentir semblable à l’autre tant il est en fait convaincu d’en être profondément différent par essence.
77On ne s’étonnera pas de ce fait que celui qui perd sa maison, le droit à parler sa langue ou à exercer ses coutumes, celui à qui l’on retire sa terre se sente enfermé dans une violence qui est pire qu’un meurtre puisqu’il est privé de son identité tout en devant continuer à vivre. Le mot « liberté » au nom de laquelle tant de morts se sont égrenées signifie en réalité la liberté d’être soi, c’est un combat pour l’identité nationale ou individuelle. Mais sa garantie ultime n’est autre que la mort acceptée qui permet toujours d’échapper à l’oppression par le suicide.
78Quant à la possession de la terre, elle se confond avec la reconnaissance de sa propre identité ainsi qu’en attestait dans l’Antiquité le culte des dieux Lares et des Pénates. C’est donc ce caractère tellurique indubitable qui va donner au sujet la force de combattre pour défendre sa terre mais aussi la folie de prétendre la purifier de tout élément qui viendrait souiller la pureté identitaire du groupe qui l’habite. On entre alors dans une autre dimension où la mort sera donnée sans limite, dans l’ivresse identitaire du Même.
79On voit donc que la spécificité nationale peut engendrer selon les cas la curiosité des voisins, mais aussi la rivalité, voire l’envie destructrice. Quelles motivations vont dès lors pousser au lieu de ce que Jurgen Habermas appelle « l’unité de la raison en la pluralité de ses voix », vers l’ethnocentrisme, la xénophobie, et finalement le conflit ? Le narcissisme des petites différences n’est pourtant pas en soi générateur de conflits, il est en revanche utilisé afin de justifier l’ambition hégémonique qui est seule responsable de la guerre.
80« Était-il impossible, demande Rolland, d’arriver entre vous sinon à vous aimer, du moins à supporter chacun, les grandes vertus et les grands vices de l’autre ?... Faut-il que le plus fort rêve perpétuellement de faire peser sur les autres son ombre orgueilleuse et que les autres perpétuellement s’unissent pour l’abattre ? » (p. 25).
81Si le voisin génère par sa différence autant d’inquiétude que d’attirance, celle-ci devrait normalement conduire soit au renfermement phobique sur soi qui n’est pas conflictuel soit à la curiosité et au désir de s’identifier au-delà des traits familiaux ou nationaux.
82« Non pas dominer le monde par la force et par la ruse mais absorber pacifiquement tout ce qu’il y a de grand dans les pensées d’autres races et en rayonner en retour l’harmonie », tel était le programme rappelé par Romain Rolland en 1914.
83Lorsqu’ils appellent à la guerre au nom de la culture, les intellectuels, qui ont vocation à l’universel, font en revanche courir à la civilisation dans sa diversité un risque majeur.
Mots-clés éditeurs : Narcissisme, Guerre, Culture, Nation, Communauté, Civilisation, Chauvinisme
Date de mise en ligne : 08/03/2013
https://doi.org/10.3917/top.121.0007Notes
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[1]
Mijolla-Mellor, S., de, Le choix de la sublimation, Paris, PUF, 2009.
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[2]
Mijolla-Mellor, S., de, La mort donnée, Paris, PUF, 2012.
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[3]
Le Rider, J., « Kultur contre Civilisation » in Topique, 1993, n° 52. Mes références ici ainsi que celles qui précédent font appel à cette étude approfondie.
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[4]
Kant, E., OC II, Pléiade, vol 2, 1985, p. 199.
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[5]
In Rolland, R., Au-dessus de la mêlée, Paris, P., Ollendorf, 1915, p. 7.
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[6]
J’emprunte le terme « nomos de la terre » à l’ouvrage éponyme de Carl Schmitt publié en 1988 à Berlin, Der nomos der Erde im Völkerrecht des Jus Publicum Europeaum, Tr fce Paris, PUF, Quadriges, 2008.
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[7]
Ce terme ne trouve pourtant pas son étymologie dans le précédent mais dans le « nomenclator », c’est-à-dire l’esclave chargé d’appeler les clients par leur nom (onoma). Cf. Ernoult et Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris, Klincksieck, 1985, p. 444.
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[8]
De manière moins métaphysique, si l’on considère que le droit du fœtus est une notion relativement récente, on peut aussi penser cet acte de séparation comme une naissance où l’expulsion de l’enfant hors du corps de la mère en fait un sujet à part entière.
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[9]
Sydney Levy dans sa thèse de doctorat « L’identité autochtone » (dir. Pr S. de Mijolla-Mellor, ED, Recherches en psychanalyse, Université Paris-Diderot, 2009) a montré en quoi il est nécessaire de penser le rapport entre « Gê », la Terre, et « Chtôn », le sol. Cf. son livre Freud et l’homme vertical, éd. des Crépuscules, Paris, 2010.