Notes
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[1]
R. Roussillon (1991) qualifie de « type passionnel » ces transferts qui comportent un élément de confusion moi/non moi, où l’analyste doit accepter de n’être pour l’autre qu’un objet subjectif, nié dans son altérité.
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[2]
Les objets bizarres sont des parties de la personnalité du patient, encapsulés dans un objet réel externe (W.R. Bion, 1957).
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[3]
D.W. Winnicott (1962), définit la dépersonnalisation comme la perte d’une union solide entre le moi et le corps, la perte du développement du sentiment que l’on a de sa personne dans son corps.
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[4]
Définie par M. Mahler (1990) comme « une unité duelle à l’intérieur d’une seule frontière commune », un état d’indifférenciation et de fusion à la mère.
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[5]
D. Anzieu (1985) nomme « Moi-peau » cette figuration dont le Moi se sert au cours des phases précoces de son développement pour se représenter lui-même comme Moi contenant les contenus psychiques, à partir de son expérience de la surface du corps.
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[6]
Voir à ce sujet l’article de G. Szwec (1993).
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[7]
Après avoir considéré la pulsion de cruauté comme partielle, composante de la pulsion sexuelle, Freud avance l’indépendance de cette pulsion par rapport à l’activité sexuelle et par là-même en réfute sa dimension sadique (1905). D. Cupa (2004) prolonge les propos de Freud en formalisant la pulsion de cruauté comme une forme originaire de la pulsion de mort. Ce mouvement destructeur sans visée destructrice décharge vers le non-moi ce qui est non supportable, non liable pour atteindre le calme que confèrent les premiers contenants de l’objet. La pulsion de cruauté résulte de la mise à mal de l’alliance entre les parties bonnes internes du nourrisson et les parties bonnes de l’objet, qui permet l’établissement des premières enveloppes psychiques par internalisation du Moi-peau.
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[8]
P. Aulagnier (1982) apporte le concept de pare-désinvestissement pour définir cet éprouvé auquel pense un sujet afin de lier sa souffrance à une cause, et ainsi ne pas rompre ses investissements à chaque déception.
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[9]
Nous pouvons parler de « contre-identification projective », à propos du ressenti du thérapeute.
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[10]
L’identification projective est un concept apporté par M. Klein (1946) pour définir les processus par lesquels le sujet cherche à contrôler et prendre possession d’un objet extérieur devenu extension de son moi.
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[11]
W.R. Bion avance qu’il existe un « degré normal d’identification projective », qui, associé à l’identification introjective, constitue le fondement du « développement normal ». Si la mère accepte les sentiments de terreur dont cherche à se débarrasser l’enfant, elle pourra les détoxiquer et les renvoyer à l’enfant sous une forme tolérable. Dans le cas contraire l’enfant réintrojectera une « terreur sans nom » (1962).
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[12]
Définie par R. Roussillon (1999) comme la triple capacité à se sentir soi-même, se voir et s’entendre.
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[13]
Freud (1920) décrit ce jeu dans lequel l’enfant jette une bobine attachée à une ficelle qu’il tient dans sa main, afin de la faire disparaître, et qui lui permet à l’enfant le départ de sa mère sans manifester d’opposition.
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[14]
K. Abraham (1924) dit que dans le deuil, le sujet se console : « L’objet aimé n’est pas perdu car maintenant je le porte en moi et ne le perdrai jamais ! »
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[15]
E. Bick (1968) formule notamment le processus d’« introjection », construction de l’objet dans l’espace interne.
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[16]
D.W. Winnicott (1971) met en évidence que la survivance de l’objet à la destructivité du sujet est ce qui permet d’en reconnaître son extériorité.
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[17]
Le clivage du moi est un concept apporté par Freud (1938), comme la réponse du sujet face à un conflit entre reconnaître le danger de la réalité et la débouter, qui engendre une « déchirure dans le moi ».
-
[18]
H. Segal (1981) nomme « équation » ces symboles qui ne sont pas sentis comme tels par le Moi mais comme l’objet objet originel lui-même. Dans un mouvement d’identification projective massive, le moi retourne à l’état de confusion avec l’objet, et le symbole se confond avec la chose symbolisée, se transformant en équation. H. Searles (1965) avait formulé déjà, un « manque de différenciation entre le concret et le métaphorique ».
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[19]
Freud énonça en 1937 ce caractère général de l’hallucination qui est d’être « le retour d’un événement oublié des toutes premières années ».
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[20]
R. Roussillon (1999) relate notamment les différentes solutions (délirantes, « biologiques », groupales…) que peut trouver un sujet confronté à la réactivation hallucinatoire des traces perceptives de l’expérience clivée.
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[21]
Concept défini par R., Roussillon (1991) comme un moyen de « faire vivre activement à l’objet ce que l’on a soi-même eu à endurer passivement dans la rage, l’impuissance, la détresse, la honte, le désespoir », suite aux apports de S. Ferenczi (1933) sur l’identification à l’agresseur.
-
[22]
La symbolisation est d’une façon générale la « mise en scène et en sens de son vécu » (Roussillon R., 2008b). Roussillon R., (2001) différencie ce qui est symbolisé de façon secondaire en représentation de mots, de ce qui est symbolisé primairement en représentations de choses.
1« Je l’aimais si fort, c’était plus que de l’amour, c’était de l’admiration… et je ne peux que donner mon cœur à l’autre de cette façon ». Tels sont les mots employés par Dorian pour décrire l’attachement ressenti à l’égard de son ancienne compagne au point de devoir la tuer. Au-delà de l’image du coup de foudre, vécu de façon passive par un sujet « frappé » d’amour fou, la passion est avant tout une forme de possession de l’autre.
2Bien souvent le passionné explique avoir investi intensément d’autres objets, avant même d’avoir connu sa conjointe. Le sujet parle ainsi du besoin de s’accrocher à l’autre, comme on s’agrippe à un objet quand la menace est la chute, le précipice... Tout se passe comme si l’objet de passion n’était pas reconnu dans sa totalité propre et différente, et qu’il servait avant tout de réceptacle à l’affectation débordante d’un besoin d’investir in extremis. Ce qui est investi intensément dans la passion semble être le lien de passion lui-même, c’est-à-dire le brasier sensoriel qui recouvre un vécu d’effondrement abyssal. La passion est passion de la passion.
3Dans cette clinique de la dépendance affective et sensorielle, l’acte violent émergera comme un élan de survie chez le sujet pour tenter de retrouver un objet à travers lequel il tente, coûte que coûte, de maintenir un lien.
AVANT-PROPOS
4La passion est généralement associée à un vécu d’attraction incontrôlable à l’égard d’un objet, ce qui entraîne une grande dépendance. P., Aulagnier (1984) définit la passion comme une relation dans laquelle un objet est déplacé par lesujet dans le registre des besoins, cet objet devenant ainsi une « condition de vie » « pour que le Je investisse le fonctionnement de la psyché et du corps ». Mais si le sujet est dépendant de son objet de passion comme d’une condition vitale pour pouvoir s’investir, il exprime paradoxalement une perte de contact avec lui-même dans ce lien d’investissement intense. Il en est de même pour l’acte qui émerge dans un mouvement passionnel, où le sujet se sent hors de lui. C’est en effet par cette « affection par qui l’être affecté se sent hors de lui » que M., Pradines (1946) définit la passion. Freud (1914) également, parle d’un dessaisissement de la personnalité dans l’état de passion amoureuse, qui se ferait au profit de l’investissement d’objet. Il écrit que dans l’état amoureux extrême, l’objet est conservé et surinvesti par le moi et aux dépens de celui-ci (Freud, 1921), la libido du moi débordant ainsi sur l’objet (Freud, 1914). Du point de vue économique, nous pouvons donc parler d’une « libido extra égo » (M., De M’uzan, 1974), libido narcissique investie dans la représentation du sujet à l’intérieur de l’image de l’objet. M., De M’uzan formule d’ailleurs que ce processus peut entraîner, dans les cas extrêmes, une véritable « translation du moi dans l’objet ». D’un point de vue topique, A., Houel et col. (2008) mettent en évidence le caractère fusionnel de la passion : « Le moi de chacun s’absorbe dans le moi de l’autre, […] si l’autre lui échappe, le sujet perd une partie de lui-même ». Ainsi, le sujet se vit comme en dehors de lui-même dans sa relation à l’objet. Habiter l’objet, le coloniser, serait à la fois une manière de maintenir un investissement, en même temps qu’une manière de lutter contre des vécus internes non subjectivables.
CADRE DE LA RENCONTRE
5Les unités de consultations et de soins ambulatoires (U.C.S.A.) sont des lieux de consultations implantés dans les établissements pénitentiaires. Les U.C.S.A. qui se trouvent en maison d’arrêt confrontent brutalement le clinicien à l’après-coup des faits pour lesquels lepatient est encarcéré. L’acte est ainsi présent au cours des entretiens, mais difficilement verbalisable. Ce qui a poussé le sujet à l’acte, habite le lien d’une façon infra-verbale et se rejoue dans un type de transfert par retournement (R., Roussillon 1991), où le patient fait vivre au clinicien une expérience de passivation pulsionnelle subie historiquement. Le fonctionnement psychique du patient se rejoue ainsi au sein même de l’équipe soignante, par le biais privilégié de l’expression de clivages entre les professionnels. Entre les limites matérielles érigées par les portes de la prison, se joue dans ces unités la question du trop près / trop loin dans la relation à l’autre, question qui implique en outre celle de la présence et de l’absence de l’objet.
6Nous allons retracer la rencontre avec Dorian, marquée par son intensité affective, la passion dans le transfert se rejouant en deçà des mots.
DORIAN
7La rencontre avec Dorian se déroule au cours d’une recherche clinique effectuée au sein d’une U.C.S.A. Sur le mode du transfert passionnel [1] (R., Roussillon, 1991), les vécus inquiétants dans lesquels je suis moi-même prise face à ce patient, me semblent du même ordre que les éprouvés intenses et non figuratifs qui le nouent dans le lien à son objet de passion.
8Ce jeune homme de vingt-et-un ans à l’époque, exprime une détresse importante face aux actes qu’il a commis et dans lesquels il ne se reconnaît pas : le meurtre de son ancienne compagne, Ella, survenu au moment d’une séparation inévitable qu’il a vécue comme une amputation. En effet, Dorian entretenait une relation amoureuse avec Ella, également étudiante. Mais au bout d’un an, le couple connaissait une période tumultueuse où l’idée d’une séparation s’infiltrait sans cesse dans leurs échanges. C’est dans ce contexte que Dorian restait isolé, qu’il n’avait plus aucun goût pour rien, « jusqu’à en vomir ». Il convoquait des expériences de suffocation, comme le « jeu du foulard », qui lui permettait à la fois de ne plus penser à rien et de contrôler une sensation d’évanouissement. À cette époque, il s’était procuré une arme, pour mettre fin à ses jours, comme il le répétait. Cette mise à mort de lui-même ne s’est pourtant pas déroulée tel qu’il l’avait anticipé. En effet, Dorian nous raconte d’une façon très précise le contexte du drame, s’accrochant à des éléments perceptifs pour ne pas chuter dans l’effondrement de son monde interne : une lettre d’adieu qui brûle, une voiture, un pneu qui crève… la dispute avec Ella, ces mots qu’elle prononce « ça continue avec l’autre », qui résonnent dans sa tête, des ressentis effroyables mais impensables. « Alors je suis entré dans un état… j’ai vomi et j’ai tiré ». Il passa ensuite toute la nuit avec le corps d’Ella, qu’il avait enroulé et attaché autour d’un tronc d’arbre enraciné dans un fleuve, ce que nous apprenons par la suite.
9Après chaque entretien, ma collègue et moi sommes en conflit, comme si chacune était dépositaire de deux parties inconciliables de Dorian. Pour ma part, durant les consultations, je me sens pétrifiée, réduite au silence. J’ai à un moment la sensation d’être vampirisée à travers son regard, qu’il plonge profondément dans le mien, rendant ses yeux comme transparents, vides, noirs, la pupille élargie, alors qu’ils peuvent être à d’autres moments d’une clarté sereine. Terrifiée, je ne le reconnais plus… tout comme lui-même ne se reconnaît pas dans les horreurs qu’il a commises. Il essaye cependant de nous décrire cet état « bizarre » qu’il lui arrive de vivre, semblable aux « objets bizarres » [2] de W., R., Bion (1956) : « Quand j’étais en cours de philo je pensais : c’est moi, c’est bienmoi, je suis dans mon corps, je suis dans mon corps… et là j’arrivais en quelque sorte à sortir de moi et à me regarder… comme si j’étais à la fois acteur et spectateur. Ce soir-là, j’ai ressenti ça, mais fois dix ». Il rajoute qu’il a vécu ce même état de dépersonnalisation [3] lors d’un entretien, mettant des mots sur le regard particulièrement déshabité qu’il a porté sur moi.
10Le cadre d’un dessin libre que je lui propose alors, dans l’espace de nos rencontres, lui permet de figurer des éléments de chute, de danger, d’hostilité : d’un côté dort un personnage au sein d’une calme prairie, de l’autre côté, c’est la guerre, un combat entre des personnages. Entre les deux, un vide enflammé. Un des personnages du combat chute dans le vide et tombe dans la gueule grande ouverte d’un monstre brûlant. Une maison aux sombres fenêtres est implantée sur la paisible prairie, à la lisière d’une forêt dense qui lui fait penser à sa famille. Une famille qui se tait et d’où rien ne sort, le silence cimentant les liens familiaux. Le modèle inconscient du lien familial, tous identiquement médecins, semble étouffer tout changement possible, toute différence, entraînant une construction fusionnelle des liens. Dorian évoque à ce titre comment sa mère était particulièrement touchée au moment de l’affichage des résultats universitaires : elle était tellement angoissée qu’elle s’était mise à vomir. Une angoisse que Dorian évacuait aussi au moment de l’acte. L’histoire chronique de sa famille figeant toute chronologie, le passé et le présent semblent s’être télescopés sur un crime qui cristallise les passions de Dorian.
LA PASSION COMME PARE-DÉSINVESTISSEMENT DU SUJET
11Si Dorian parle peu d’Ella, il mentionne en revanche beaucoup leur couple, comme si l’existence de leurs individualités respectives s’effaçait au profit de leur union, de leur symbiose [4]. L’objet dans la passion semble servir au sujet de « soudure secondaire », décrite par G., Pankow (1981) comme une fusion dans laquelle on se colle ensemble « à nouveau », parce que des failles sont apparues dans le processus d’élaboration des limites entre l’enfant et sa mère. A., Green (1980) trouve dans les rouages de la passion l’intensité retrouvée de l’attachement à l’objet primaire. De son lien avec Ella, Dorian décrit essentiellement les moments de contact, de déchirement, de bonheur, de détresse… rendant saillants les aspects sensoriels et affectifs qui rappellent ceux du lien primaire entre la mère et son bébé. À ce sujet, D., Anzieu (1995) met en évidence que l’expérience pour l’enfant d’être serré contre le corps de la mère, le conduit à différencier une interface permettant la distinction du dehors et du dedans. En lui apportant la sensation d’un contenant, le fantasme de peau commune avec la mère permet à l’enfant la construction de ce qu’il appelle le « Moi-peau » [5].
12Quelques jours après les faits, à son arrivée à l’U.C.S. A, Dorian se recroquevillait contre les murs, comme s’il n’avait pas la force de se porter. Son teint était pâle, son corps sale et frêle, son regard sombre. Paradoxalement, si le lien intense avec les soignants lui permet de se sentir mieux, il semble également source d’une angoisse qu’il tente de contenir par une carapace musculaire. Tout se passe comme si Dorian se construisait une enveloppe grâce à ses liens aux objets, mais une enveloppe qui, à défaut d’avoir un statut de peau psychique (E., Bick, 1968), prend sa source dans des éprouvés corporels.
13Tout comme la musculature, la sexualité semble être utilisée par Dorian comme un moyen de régulation de sa vie psychique. S’il a du mal à mettre en mots les éprouvés internes qui lui font souffrance, il peut néanmoins aborder ses « difficultés sexuelles ». Il explique notamment qu’il ne se sentait pas « venir » pendant ses rapports avec Ella, parlant de sa sexualité d’une manière si crue que l’on ne peut penser qu’elle fait partie de son intimité corporelle. Il ramène celle-ci à une fonction médicale (où s’inscrit sa famille), mais d’aucune façon à des sensations érogènes qui semblent si absentes dans sa manière froide et robotisée de parler de lui. Dorian vient un jour avec une tache d’humidité sur sa braguette, me laissant imaginer qu’il vient d’éjaculer dans son pantalon… un « laisser aller » qui entre en contraste avec la tenue très élégante qu’il revêt, alors qu’il doit se rendre juste après l’entretien à la reconstitution du meurtre d’Ella. Sous le regard de la police et d’inconnus comme de personnes proches de la victime, Dorian va rejouer au détail près la scène du drame, simulant son acte sur une jeune femme ressemblant à Ella. Il s’apprête ainsi à revivre la scène du crime qui lui semble impensable. Alors, si le sexuel ne peut être éprouvé dans le plaisir, s’il ne peut être érotisé, Dorian semble s’en servir pour tenter de gérer son angoisse. À la manière d’un procédé autocalmant [6], le registre sexuel serait un moyen pour lui de réguler des tensions internes et de contenir l’excitation. Le sexuel, exsangue de toute donnée sensorielle, semble ainsi être l’ultime solution trouvée par Dorian pour gérer des vécus internes non subjectivables, se déplaçant tantôt sur l’enveloppe musculaire, tantôt sur la carapace motrice.
14Dorian semble ainsi dépendant des processus concourants à l’établissement d’une seconde peau psychique (E., Bick, 1968) pour se protéger d’un vécu interne source d’angoisse. En effet, il ne vient pas à notre dernier entretien, traduisant son impossibilité à affronter un cruel vécu de séparation. J’apprends par la suite qu’il entreprend des études de psychologie par correspondance, aprèsmon départ, et qu’il demande à effectuer un stage à l’U.C.S.A. Dorian ne pouvant se séparer de l’objet d’investissement, il tente de le récupérer de manière adhésive. La perte engendre chez lui un éprouvé tellement insupportable qu’il lui faut posséder l’objet pour ne surtout pas en ressentir le manque et échapper à un vécu inélaborable de perte. Tel est ce jeu de « peaussession » décrit par D., Cupa (2004), entretenu par le fantasme cruel [7] de l’attaque, de l’effraction des premiers contenants maternels, du Moi-peau, afin de prendre à l’objet une enveloppe suffisamment bien organisée.
15Quand la perte de l’objet est inévitable, Dorian devient comme « hors de lui » et s’évanouit psychiquement. Alors, face à une menace d’effondrement (D.W., Winnicott, 1974), il s’agrippe à des éléments perceptifs et à des sensations motrices à défaut de ne pouvoir s’agripper à l’objet. P., Aulagnier (1986) décrit ainsi comment le processus d’agrippement tente de déjouer la crainte d’un effondrement : « Imaginez quelqu’un qui tombe brusquement dans un précipice, et qui ne tient que raccroché par une seule main à l’unique et fragile saillie d’un rocher. Pendant ce temps il ne sera plus que cette union « paume de la main-morceau de pierre » et il ne doit être que cela s’il veut survivre ». Cet agrippement à une représentation pictographique qui permet à la psyché de s’auto-représenter, dans un éprouvé affectif indissocié de sa représentation, exclut tout fantasme ou idée de l’expérience que le sujet vit, car ceux-ci supposeraient la perte, la dissolution de tout support extérieur. Dorian s’agrippait de la même façon à Ella pour ne pas chuter dans un abîme terrifiant, comme l’exprime son dessin : celui qui est en lien avec l’autre vit un combat dangereux, et quand il se détache des autres, il chute vertigineusement dans un vide infernal… Alors Dorian dessine un autre personnage, seul, qui s’appuie et se cache derrière un rocher afin de ne pas être emporté dans le monde de la guerre, figurant ainsi l’agrippement aux éprouvés corporels et aussi la prévalence de l’agir, en cas de perte de l’objet.
16A., Ciavaldini (2005) parle de l’inachèvement de l’affect qui entrave la capacité du sujet à reconnaître psychiquement ses éprouvés et par conséquent ceux de l’autre. Le vécu de perte renvoie le sujet passionné à un éprouvé affectif non construit, ce que l’on pourrait relier aux « affects-passion » décrits par R., Roussillon (2005), affects qui agissent l’histoire du sujet à défaut d’être des« affects-signal » l’informant de son état interne. L’agir violent surgira alors comme une tentative d’achèvement de l’affect par la voie de la sensori-motricité (A., Ciavaldini, 2005). La terreur à laquelle est confrontée le clinicien témoigne bien de la manière dont Dorian est envahi d’éprouvés non symbolisables. M., Ravit (2010) met en évidence comment la fascination du thérapeute est une réponse psychique qui vient contenir un vécu de sidération interne qui fait écho avec l’état de détresse et d’anéantissement de la subjectivité du patient. Ainsi, la « peaussession » de l’autre apporte au sujet le rempart dont il a besoin pour se protéger d’un vécu interne non subjectivable. L’objet de la passion lui sert de pare-désinvestissement [8], dans le sens où il lui permet un investissement pulsionnel et sensoriel. La perte de l’objet confrontera alors le sujet au retour de ses terreurs, dont il ne pourra survivre que par un recours à l’agir.
LA PASSION OU LA FUSION CATASTROPHIQUE À L’OBJET PRIMAIRE
17R., Roussillon (1991) indique comment le « transfert passionnel » réintroduit dans l’analyse une des parties de la vie psychique du patient qui s’était historiquement clivée du reste du moi. Quand Dorian plonge son regard dans celui du thérapeute, engendrant chez lui un vécu d’effroi [9], il expulse et dépose chez l’autre, par identification projective [10], une sensation de terreur non identifiable par lui-même. W., R., Bion (1959) met en évidence comment l’identification projective est au service des processus auto-subjectifs qui concourent à l’instauration de l’identité [11]. Dorian est tout particulièrement curieux à ce qu’il peut se dire de lui. Tout se passe comme s’il faisait vivre à l’autre son propre vécu afin d’en trouver un reflet. Effectivement, le recours à l’acte, d’après R., Roussillon (2008a), témoigne de l’échec des processus psychiques inhérents à l’organisation de la réflexivité [12]. C’est alors l’objet réel extérieur, dépositaire de cette fonction, qu’il faut posséder coûte que coûte en vue de maintenir une continuitésans cesse menacée. D.W., Winnicott (1971) parle de la fonction de miroir maternel essentielle à l’instauration du vécu subjectif. L’expérience du « holding », du « Handling » et de l’« object-presenting », permet de construire un support nécessaire à ce qui ouvre le champ des auto-érotismes. Dans le prolongement, D., Stern (1989) implique l’accordage affectif, issu des premières représentations mère-bébé, qui permet la transformation des excitations en affects, c’est-à-dire en état de la subjectivité elle-même subjectivée. Il s’agit non seulement d’une expérience qui porte sur les contenus de la représentation, mais aussi sur le contenant des pensées. Dans notre clinique, le sujet témoigne d’un lien à l’objet primaire auprès duquel il ne trouve pas son reflet, son écho. Alors, dans un lien où s’estompe la différence avec l’autre, le passionné semble rejouer le vécu d’engloutissement catastrophique par l’objet primaire. Pour ce sujet qui se noie dans l’autre, être en lien implique de se perdre jusque dans la mort. L’acte émerge alors dans un élan de survie comme pour tenter de se dégager de cette fusion mortifère et paradoxalement salvatrice.
L’ACTE COMME TENTATIVE DE SE DÉGAGER D’UNE POSITION MÉLANCOLIQUE
« Pris par la passion, le passionné tente toujours de se prémunir d’un abandon qui, ayant déjà eu lieu, s’est inscrit en lui, alors même que la figure exacte de l’état passionnel le recouvre et le pare de nouveaux artifices. »(Gori R., 2002).
19La relation entre Dorian et Ella est marquée par plusieurs mouvements de séparations et de retrouvailles. Dorian associe l’éloignement de son objet d’investissement à des éprouvés brûlants de douleurs et son rapprochement au contraire à un plaisir intense. Le lien passionnel semble permettre au sujet de rejouer les vécus liés à l’éloignement et au retour de l’objet primaire qu’il n’a pu subjectiver avec celui-ci, ce qui n’est pas sans évoquer le jeu de la bobine [13](Freud, 1920). La passion pourrait ainsi être une tentative d’intérioriser l’objet d’investissement, de l’incorporer dans une magie récupératrice faute d’élaboration du travail de deuil [14].
20Les moments où Ella s’éloignait engendraient chez Dorian une rupture de ses investissements qui entraînait des passages à l’acte suicidaires. Il ne voyait eneffet plus d’autre solution que celle de mettre fin à ses jours, traduisant une identification mélancolique à l’objet perdu. En effet, Freud (1915) met en évidence, dans la mélancolie, comment la haine éprouvée contre l’objet abandonnant est retournée contre le moi, du fait d’une fixation à l’objet. Le sujet est contraint de retirer l’investissement important qu’il avait placé dans l’objet. Cependant la libido libre n’est pas déplacée sur un autre objet, mais se retire dans le moi : « L’ombre de l’objet tomba ainsi sur le moi ». Si Freud se rend compte plus tard que cette « érection de l’objet dans le moi » pourrait être également ce qui rend possible l’abandon de l’objet (Freud, 1923), l’identification à l’objet est différente du processus d’incorporation, où les qualités de l’objet sont indifférenciées de celles du moi. Dorian témoigne d’un vécu de fusion catastrophique. Tout processus d’intériorisation de l’objet [15], le confronte inévitablement à un vécu d’intrusion, à une contamination de l’autre. Il se sent ainsi déshabité, dépossédé de son espace interne. L’arrachement de l’objet convoque un vécu d’indifférenciation dangereux, puisque les désirs de mort éprouvés à son égard se retournent contre lui. Alors Dorian tue Ella, afin de ne pas mourir lui-même. En effet, il n’était plus dans l’impasse d’un passage à l’acte suicidaire après la mort d’Ella. Autrement dit, le meurtre de l’objet aimé dans la passion serait une manière de stopper le retour du vécu de fusion à l’objet primaire, et ainsi de se dégager d’une position mélancolique. L’ombre de l’objet ne tombe plus sur le moi du sujet, mais elle « plane et tombe sur le langage de l’acte » (R., Roussillon, 2008a).
21Quand Dorian est arrivé à l’U.C.S.A. et qu’il évoquait l’image d’un cadavre aux professionnels, il semblait toujours prisonnier d’une identification mélancolique à l’objet perdu. Face à sa détresse, l’équipe répond par une prise en charge intense. Alors Dorian semble aller mieux, sans doute parce qu’il noue maintenant des liens avec les personnels soignants, liens qui lui permettent de maintenir un investissement. Il semble qu’il ne soit parvenu à se dégager d’une identification mélancolique à Ella qu’en trouvant une nouvelle affectation à son besoin d’investissement intense, de fusion. C’est pourquoi, l’acte ne reste qu’une tentative pour le sujet de se séparer de son objet. Il est un élan vain pour tenter d’intérioriser l’objet primaire au travers d’un autre objet, mais qui ne survit pas à la destructivité [16]. On peut ici s’interroger sur la manière dont l’acte tente de suturer dans le présent un vécu d’effondrement ancien.
L’ACTE POUR JUGULER ET FIGURER LE RETOUR D’UN VÉCU NON SUBJECTIVÉ
22Le lien passionnel permet au sujet de se protéger d’un vécu interne non subjectivé. J., Bleger (1975) met en évidence comment la symbiose permet l’immobilisation et le contrôle de la structure psychologique la plus primitive du sujet, « là où il y a fusion de l’intérieur et de l’extérieur ». L’intensité de la dépendance symbiotique dépend notamment de l’ampleur de ce « noyau agglutiné ». Autrement dit, le vécu catastrophique déclenché par la perte d’Ella est révélateur d’un noyau chargé en vécus primitifs, dont Dorian se protège par un lien symbiotique. Dans ce prolongement, nous pouvons nous interroger sur la fonction protectrice de l’objet d’investissement qui permettrait ainsi au sujet de se prémunir du retour du clivé [17].
23Les deux mondes contrastés dessinés par Dorian figurent probablement la rupture présente au sein de son fonctionnement psychique. Ces deux mondes, entre lesquels il n’y a pas de « séparation nette ni de continuité », est l’idée centrale autour de laquelle il a construit son dessin : « L’opposition, le contraste entre deux mondes différentes qui sont pourtant au sein du même monde ». Avec la perte d’Ella, Dorian était confronté au retour d’un pan clivé de sa vie psychique. Au moment où elle confirme sa volonté de se séparer, il perd le contact avec lui-même : « C’était comme si j’étais à la fois acteur et spectateur. » Un état qui correspond à une sorte de mise en forme concrète, par la voie corporelle, du « clivage au moi », et qui évoque le phénomène d’équation symbolique [18]décrit par H., Ségal. Dans ce type de clivage défini par R., Roussillon (1999), l’expérience est « à la fois éprouvée et en même temps non constituée comme une expérience du moi » : « Il [le sujet] se retire et se coupe de sa subjectivité […], il ne sent plus là où il est, il se décentre de lui-même, se décale de son expérience subjective. »
24Durant son passage à l’acte, Dorian vit une expérience de « décorporation », selon l’expression d’A., Green, proche de la dépersonnalisation. Ces sensations intenses d’étrangeté semblent faire écho à une expérience hallucinatoire portant sur le processus même du clivage. Or, S., Flémal et col. (2010) mettent en évidence qu’en l’absence de tout travail délirant, l’expérience hallucinatoire revêt un caractère brut, énigmatique et menaçant. L’acte émerge alors dans unélan de survie psychique pour stopper la menace, rétablir la barrière du clivage et juguler ainsi l’expérience non subjectivée qui fait retour au sujet dans un mouvement hallucinatoire [19]. L’enjeu est d’éviter « la catastrophe psychotique » (C., Balier 2005), l’agir apportant au sujet une nouvelle protection, un nouveau clivage, en contenant l’expérience traumatique.
25La partie clivée du sujet va alors être agie, le corps du sujet devenant une sorte de marionnette qui à la fois contient le vécu terrifiant auquel est confronté le sujet, mais qui va également le mettre en scène. Le pan du passé continue ainsi de faire retour, par l’intermédiaire de sensations hallucinées qui empruntent la voie motrice [20]. Ainsi, la façon de tuer, de manipuler le corps de la victime, sont autant de façons de figurer, de mettre en scène ces expériences non subjectivées qui agissent le sujet. Alors, selon un retournement passif/actif [21], Dorian fait vivre à Ella le vécu d’anéantissement qu’il a lui-même connu à l’époque de la déchirure interne, au moment de l’expérience traumatique première. Envelopper Ella dans une couverture dans laquelle ils avaient dormi ensemble, puis l’enrouler autour d’un tronc d’arbre enraciné dans un fleuve, sont probablement des moyens de figurer des éprouvés régressifs en lien avec l’objet primaire. Le crime passionnel est ainsi une tentative de symbolisation primaire [22] de l’expérience traumatique qui fait retour au sujet par la perte de l’objet. Il peut devenir le support d’une symbolisation « après-coup », si, comme l’écrit J., Godfrind (2008), l’analyste survit en enveloppant l’« échange agi », féconde le manque à symboliser de l’analysant et parvient ainsi à recevoir ses agirs comme des messages.
CONCLUSION
26Fuir une menace de mort psychique par une dangereuse dépendance à l’autre, tel est le paradoxe de la passion. L’investissement exclusif d’un objet déclenche chez le sujet des éprouvés sensoriels intenses qui le protègent d’un vécu psychique terrifiant. En remplissant son « désêtre » par l’avidité, les départs glaçants et les retours brûlants de l’autre permettent au passionné de tenter uneincorporation de l’objet. L’idée d’une séparation étant vécue comme une amputation, le sujet a besoin de l’objet pour maintenir un sentiment de continuité. Alors, « avoir l’autre dans la peau » lui donne l’illusion de le posséder. Mais la perte inévitable de l’objet le confronte au retour d’une expérience non subjectivée, qu’il va tenter de juguler mais aussi de figurer par le biais de l’acte. Dans un élan de survie, l’anéantissement de l’autre apparaît comme une tentative de se dégager de la fusion à l’objet et sauve le sujet de son propre vécu d’anéantissement.
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Notes
-
[1]
R. Roussillon (1991) qualifie de « type passionnel » ces transferts qui comportent un élément de confusion moi/non moi, où l’analyste doit accepter de n’être pour l’autre qu’un objet subjectif, nié dans son altérité.
-
[2]
Les objets bizarres sont des parties de la personnalité du patient, encapsulés dans un objet réel externe (W.R. Bion, 1957).
-
[3]
D.W. Winnicott (1962), définit la dépersonnalisation comme la perte d’une union solide entre le moi et le corps, la perte du développement du sentiment que l’on a de sa personne dans son corps.
-
[4]
Définie par M. Mahler (1990) comme « une unité duelle à l’intérieur d’une seule frontière commune », un état d’indifférenciation et de fusion à la mère.
-
[5]
D. Anzieu (1985) nomme « Moi-peau » cette figuration dont le Moi se sert au cours des phases précoces de son développement pour se représenter lui-même comme Moi contenant les contenus psychiques, à partir de son expérience de la surface du corps.
-
[6]
Voir à ce sujet l’article de G. Szwec (1993).
-
[7]
Après avoir considéré la pulsion de cruauté comme partielle, composante de la pulsion sexuelle, Freud avance l’indépendance de cette pulsion par rapport à l’activité sexuelle et par là-même en réfute sa dimension sadique (1905). D. Cupa (2004) prolonge les propos de Freud en formalisant la pulsion de cruauté comme une forme originaire de la pulsion de mort. Ce mouvement destructeur sans visée destructrice décharge vers le non-moi ce qui est non supportable, non liable pour atteindre le calme que confèrent les premiers contenants de l’objet. La pulsion de cruauté résulte de la mise à mal de l’alliance entre les parties bonnes internes du nourrisson et les parties bonnes de l’objet, qui permet l’établissement des premières enveloppes psychiques par internalisation du Moi-peau.
-
[8]
P. Aulagnier (1982) apporte le concept de pare-désinvestissement pour définir cet éprouvé auquel pense un sujet afin de lier sa souffrance à une cause, et ainsi ne pas rompre ses investissements à chaque déception.
-
[9]
Nous pouvons parler de « contre-identification projective », à propos du ressenti du thérapeute.
-
[10]
L’identification projective est un concept apporté par M. Klein (1946) pour définir les processus par lesquels le sujet cherche à contrôler et prendre possession d’un objet extérieur devenu extension de son moi.
-
[11]
W.R. Bion avance qu’il existe un « degré normal d’identification projective », qui, associé à l’identification introjective, constitue le fondement du « développement normal ». Si la mère accepte les sentiments de terreur dont cherche à se débarrasser l’enfant, elle pourra les détoxiquer et les renvoyer à l’enfant sous une forme tolérable. Dans le cas contraire l’enfant réintrojectera une « terreur sans nom » (1962).
-
[12]
Définie par R. Roussillon (1999) comme la triple capacité à se sentir soi-même, se voir et s’entendre.
-
[13]
Freud (1920) décrit ce jeu dans lequel l’enfant jette une bobine attachée à une ficelle qu’il tient dans sa main, afin de la faire disparaître, et qui lui permet à l’enfant le départ de sa mère sans manifester d’opposition.
-
[14]
K. Abraham (1924) dit que dans le deuil, le sujet se console : « L’objet aimé n’est pas perdu car maintenant je le porte en moi et ne le perdrai jamais ! »
-
[15]
E. Bick (1968) formule notamment le processus d’« introjection », construction de l’objet dans l’espace interne.
-
[16]
D.W. Winnicott (1971) met en évidence que la survivance de l’objet à la destructivité du sujet est ce qui permet d’en reconnaître son extériorité.
-
[17]
Le clivage du moi est un concept apporté par Freud (1938), comme la réponse du sujet face à un conflit entre reconnaître le danger de la réalité et la débouter, qui engendre une « déchirure dans le moi ».
-
[18]
H. Segal (1981) nomme « équation » ces symboles qui ne sont pas sentis comme tels par le Moi mais comme l’objet objet originel lui-même. Dans un mouvement d’identification projective massive, le moi retourne à l’état de confusion avec l’objet, et le symbole se confond avec la chose symbolisée, se transformant en équation. H. Searles (1965) avait formulé déjà, un « manque de différenciation entre le concret et le métaphorique ».
-
[19]
Freud énonça en 1937 ce caractère général de l’hallucination qui est d’être « le retour d’un événement oublié des toutes premières années ».
-
[20]
R. Roussillon (1999) relate notamment les différentes solutions (délirantes, « biologiques », groupales…) que peut trouver un sujet confronté à la réactivation hallucinatoire des traces perceptives de l’expérience clivée.
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[21]
Concept défini par R., Roussillon (1991) comme un moyen de « faire vivre activement à l’objet ce que l’on a soi-même eu à endurer passivement dans la rage, l’impuissance, la détresse, la honte, le désespoir », suite aux apports de S. Ferenczi (1933) sur l’identification à l’agresseur.
-
[22]
La symbolisation est d’une façon générale la « mise en scène et en sens de son vécu » (Roussillon R., 2008b). Roussillon R., (2001) différencie ce qui est symbolisé de façon secondaire en représentation de mots, de ce qui est symbolisé primairement en représentations de choses.