Topique 2009/3 n° 108

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Article de revue

Un savoir en plus ?

Pages 9 à 23

Notes

  • [1]
    Je reprendrai ici quelques éléments de ce que j’ai écrit sous le titre de « Rendre compte d’une analyse » (Revue Topique no 97) et qui a été traduit par le Pr Giuseppe Mafféi dans « Psicoanalisi e metodo » (2007).
  • [2]
    D’où le fait probablement que, même si la rencontre avec le texte écrit par son analyste sur l’analyse qu’il a menée est toujours traumatique pour le patient, néanmoins ce dernier est toujours simultanément porté à y voir la confirmation du fantasme universellement partagé d’être l’enfant favori et, en fin de compte, le seul qui compte vraiment pour son analyste.
  • [3]
    On peut aussi remarquer que, pour un patient, même le fait de lire l’exposé d’une autre analyse que la sienne faite par son propre analyste, n’est jamais indifférent. Car, en rendant compte d’une analyse, c’est bien aussi de lui-même, de son propre fonctionnement et de ses affects que l’analyste témoigne. Le patient se trouve alors mis en position de voyeur d’une relation que son analyste a entretenue avec un autre que lui. À travers l’identification au patient dont il est question, il peut alors fantasmer que s’ouvre une brèche vers ce que son analyste lui aurait caché de lui-même.
  • [4]
    Les rechutes et l’évolution de la longue existence de l’Homme aux Loups sont à ce titre instructives.
  • [5]
    Blum, H., « Le petit Hans : une critique et remise en cause centenaire », in Topique no 97, Le dévoilement historique, Bordeaux, L’Esprit du Temps, 2007.
  • [6]
    Uber die Psychogenese eines Falles von weiblicher Homosexualität. GW, XII., in Névrose, psychose et perversion, p. 245.
  • [7]
    Publié chez EPEL, Paris, 2003. Le nom de famille de la jeune homosexuelle n’est pas le vrai, mais le livre est plein de photos d’elle, de ses amies aimées et de sa famille.
  • [8]
    En 1922 elle tente de se suicider avec une ampoule de poison par désespoir d’amour toujours pour la même puis ayant accepté de se fiancer avec un jeune homme, elle se tire une balle et se rate de très peu.
  • [9]
    « Son analyse faisait un peu l’impression d’un traitement hypnotique, où la résistance se replie de la même façon jusqu’à une frontière déterminée, au-delà de laquelle elle s’avère ensuite invincible. C’est la même tactique russe, comme on pourrait l’appeler, que suit très souvent la résistance dans les cas de névrose obsessionnelle » Freud, op. cit, p 262
  • [10]
    Alain de Mijolla et André Green ont fait entendre quelques réponses vigoureuses à son livre « Souvenirs d’Anna O. Une mystification centenaire »

1 Le genre du compte-rendu d’analyse, qui allie la séduction du romanesque à l’intérêt de l’investigation théorico-clinique, offre une approche originale des processus psychiques. Elle est tout autant éloignée de l’écrit théorique à visée historique ou épistémologique que des textes ne se réclamant de la clinique que dans la brièveté de « vignettes » trop aisément manipulables.

2 Historiquement, dans l’œuvre de Freud, le compte-rendu d’analyse et d’abord celui de son auto-analyse dans « L’interprétation des Rêves », occupe une position stratégique particulière. Lorsqu’il s’agit d’un patient, le récit de cas donne à voir non pas la naissance des hypothèses mais leur élaboration dans la cure. Puis, la reprise ordonnée de ces hypothèses constitue comme une seconde respiration de l’exposé : celle du recentrement autour des perspectives théoriques.

3 Il est cependant permis de se demander si le compte rendu d’analyse ? parce qu’il a pour matière la version que l’analyste lui-même se donne de cette expérience à deux ? n’apparaîtrait pas au patient mis en cause bien éloigné de ce qui a été sa version personnelle de la même chose. Mais aussi s’agit-il bien de la même chose ?

4 L’homme aux Loups, L’Homme aux Rats, Schreber, l’Aimée de Lacan et bien d’autres encore… Qui étaient ces hommes et ces femmes que nous sommes accoutumés à considérer et à évoquer comme de véritables paradigmes cliniques, voire des morceaux fossilisés de théorie ?

5 Qu’est-ce que le regard « historique » et non plus seulement clinique nous apporte les concernant ou nous révèle vis-à-vis de la rencontre avec l’analyste qui leur a valu d’être couchés non seulement sur le divan mais sur le papier ? L’Histoire dans sa dimension anthropologique et sociale rencontre ici ces histoires qui se réécrivent ainsi indéfiniment : celles des patients grâce auxquels la psychanalyse a pu s’inscrire.

6 Je développerai mon questionnement selon les trois points suivants :

7

  • Pourquoi les psychanalystes écrivent-ils et publient-ils des « cas cliniques » sachant tous les embarras déontologiques que cela pose vis-à-vis de la question du secret ? Car c’est précisément la divulgation de ce secret qui pose problème avec ces révélations.
  • Est-ce que la nécessaire dissimulation des détails qui pourraient permettre d’identifier le patient entrave voire déforme ce que l’analyste a voulu communiquer ? En ce cas, il serait en effet très largement justifié de chercher à compléter après-coup ce qui a fait défaut au compte-rendu.
  • Qu’est ce que la révélation ultérieure de l’identité d’un patient apporte vis-à-vis de la lecture du cas ? Car il se peut qu’au-delà d’une mise en question de ce qui manquerait au compte-rendu d’analyse, la connaissance de la personne du patient nous livre de précieuses perspectives. Mais lesquelles ?

8 Mon hypothèse centrale consistera à interroger le fantasme d’un « plus de savoir » lié à l’intérêt pour ne pas dire la curiosité à l’égard des histoires de vie des patients qui nous sont connus par des histoires de cas.

I - Pourquoi les psychanalystes écrivent-ils et publient-ils des « cas clini ques » sachant tous les problèmes déontologiques que cela pose vis-à-vis de la question du secret [1] ?

La casuistique

9 Précisons tout d’abord qu’en psychanalyse, contrairement à la psychiatrie, les « récits de cas » sont aussi des « récits de cure ». Il n’y a pas dans notre domaine ce qu’on appelle une « observation » et le compte-rendu est toujours pris dans le lien transféro-contre transférentiel. J’emploierai donc indifféremment les termes « récit de cas », « récit de cure » ou « compte rendu d’analyse » en l’opposant à la notion de « vignette clinique ».

10 Mais tout d’abord arrêtons nous un instant sur ce que signifie en psychanalyse le mot « casuistique », terme que Jung emploie avec Freud lors de leurs échanges. Il a une longue histoire dans le domaine religieux en particulier chez les Jésuites, mais je ne l’aborderai pas ici.

11 Il me semble cependant indispensable de rappeler sa dimension aristotélicienne répondant à ce que le philosophe appelle la « prudence » (Phronèsis) par opposition à la « Sagesse » (Sophia). On le sait, qu’il s’agisse du domaine juridique, médical ou de la navigation – pour ne rien dire de la stratégie – la prudence consiste à savoir se départir des principes généraux et s’adapter aux circonstances.

12 C’est donc un savoir de la singularité que prône la prudence où l’action et l’engagement sont requis à chaque fois : pas de recette applicable à tous les cas de figure, pas de loi qui dispenserait de prendre en considération le concret d’une situation.

13 Il me semble que le compte rendu d’analyse répond d’abord à cet impératif de prudence qui nous rappelle la singularité du cas mais aussi la vertu de l’exemple.

14 Comment l’analyste a-t-il fait avec ce patient ? Comment aurais-je fait moi-même ?

15 Le compte-rendu a donc une double valeur : l’auteur met à l’épreuve son écoute en la soumettant à la lecture d’un autre, le lecteur confronte son écoute à celle qui lui est rapportée. Selon les cas ce dernier se place en position d’élève ou de collègue et le plus souvent c’est un mélange des deux.

Le rapport à la théorie

16 Le compte-rendu d’analyse, comme la jurisprudence en droit, peut aussi prétendre à devenir la codification après-coup d’une pratique préexistante. Le fait que l’on continue d’en écrire correspond à une nécessité heuristique, aussi bien à un niveau purement personnel pour l’analyste qui éprouve le besoin de colliger en un tout cohérent ce qu’il a entendu et d’en confronter le récit à la théorie, qu’à un niveau général, celui de la manière dont l’élaboration et l’investigation peuvent se poursuivre.

17 Pour la promouvoir, la contester ou chercher à la modifier, l’auteur du compte-rendu d’analyse est toujours en comptes avec la théorie et il n’y a pas d’écrit clinique, même s’il apparaît uniquement descriptif, qui ne soit porté par cette relation qui est aussi un rapport à Freud.

18 De même pour tout analyste, et cela d’autant plus s’il s’agit d’un auteur d’hypothèses théoriques nouvelles, le compte rendu d’analyse vient toujours en regard d’un point de théorie.

19 Pour lui, il s’agira bien souvent de trouver dans sa clinique le cas qui lui semblera le plus propice à illustrer et donc à rendre plus communicable et convaincant ce qui se formule pour lui en termes généraux.

20 Car, pour que l’écoute puisse être « également flottante », il faut mettre entre parenthèses la théorie qui va demeurer sous-jacente, matrice de ces représentations d’attente de l’analyste autour desquelles le propos du patient va venir s’agréger et se cristalliser mais qui ne sera jamais directement disponible en tant que telle lors de la séance.

21 C’est précisément le temps réflexif du compte-rendu qui va permettre que soit privilégié tel ou tel point de théorie rompant ainsi non pas avec la clinique, mais avec la règle de ne rien sélectionner d’emblée afin de traiter le contenu associatif comme les éléments du rêve. Le matériel s’en trouve dès lors réordonné.

Les patients qui font écrire

22 Si l’écriture se constitue comme une manifestation élaborée du contre-transfert, tous les patients ne donnent pas envie d’écrire, même s’ils peuvent secrètement le souhaiter [2].

23 Quel est donc cet intérêt particulier que soulèvent certains patients et qui n’est pas réductible à la séduction exercée par certains hystériques ni à celle de l’intelligence des obsessionnels pas plus d’ailleurs qu’à l’intensité des affects mobilisés au cours des séances ou à la souffrance psychique manifestée ?

24 Si séduction il y a en l’occurrence, il faut l’entendre dans son sens fort original d’événement traumatique venant opérer un détournement et amener une chute. Je ferai l’hypothèse que c’est la place que doit occuper dans l’écoute le propre inconscient de l’analyste qui est modifiée de telle manière que celui-ci se trouve détourné au sens où il est emporté dans des directions où il ne parvient plus à le suivre.

25 Dans ces conditions, on pourrait dire qu’il n’y a pas de compte rendu d’analyse qui ne soit le fruit d’une déroute initiale. L’écoute bardée de connaissances théoriques, d’expérience clinique, se trouve déconcertée et il naît à sa place un sentiment de flottement, avec l’impression que tout serait possible, que tout est à inventer.

26 Cette défaite du prévisible vient notamment questionner en l’analyste la relative sécurité de ses repères et si, ainsi que je l’ai dit précédemment, il y a toujours une interrogation théorique sous-jacente à l’exposé le plus strictement clinique, c’est peut-être cet instant de vacillement qui la rend nécessaire.

27 Non pas que l’analyste sache d’avance où va l’entraîner cet étranger qui vient prendre place sur son divan et dans son espace psychique, mais il est néanmoins à peu près assuré d’avance que les résonances qu’il éveillera en lui n’excéderont pas le temps des séances, laissant entière sa disponibilité pour les autres patients et pour sa vie personnelle. Il n’en est pas ainsi pour les patients qui font écrire.

28 L’effet produit par ces patients, si on les écoute en analyste et non en psychiatre, est souvent propre à induire un mélange de fascination et d’angoisse devant la révélation de quelque chose à la fois connu de l’intérieur et incompréhensible, immaîtrisable. Le sentiment de frustration à l’égard d’un sens qui n’est jamais qu’entrevu, les modifications en profondeur qui sont requises de l’analyste vis-à-vis de sa pratique habituelle, quant à son mode d’intervention, contribuent à constituer un excès dans la réponse contre-transférentielle.

29 On pourrait concevoir que le contre-transfert de l’analyste s’accumulant de manière traumatique, sur le modèle de la névrose actuelle, rendrait alors nécessaire une abréaction pour pouvoir continuer d’entendre. Le rapport que l’analyste entretient avec la théorisation et la manière dont il l’agit dans l’écriture clinique constitueraient alors une sorte de contre-transfert latéral, condition pour pouvoir continuer d’être vraiment présent lorsqu’il écoute.

30 Le compte-rendu répondrait alors à la nécessaire frustration du désir d’emprise intellectuelle sur le sens inconscient, et résulterait de l’obligation pour l’analyste de limiter et de contrôler chaque élément de ses interventions. Car le silence, qui n’est pas le résultat d’une absence momentanée ou d’une inhibition de pensée, est d’abord une frustration pour celui qui se l’impose, même s’il peut parfois secondairement en jouer comme d’un instrument de maîtrise.

31 En ce sens, et plus particulièrement pour ces patients qui font écrire, le texte issu de l’analyse peut apparaître comme une récupération nécessaire à l’économie narcissique de l’analyste. Les restes inanalysés de l’analyste mobilisés par l’écoute de certains patients vont être l’occasion d’une entreprise d’écriture qui, en revanche, se présentera avec tous les aspects d’une maîtrise accomplie. Le trouble devient alors objet de pensée et motif d’une communication, et, s’il n’apparaît plus comme tel, il est bien à l’origine de l’investissement nécessaire à ce type de travail.

32 Mais qu’est devenu la personne « réelle » du patient dans cette affaire ? N’a-t-elle pas été attirée à l’intérieur du contre-transfert de l’analyste et donc déformée à la manière dont un amoureux ne voit de l’aimée que ce qui lui convient ? C’est là où l’information « historique » extérieure vient questionner le profond de la connaissance analytique. Est-ce que l’analyse rapportée par l’analyste n’est pas toujours celle d’un personnage composite multi-forme, fait des images internes de l’analysant et de celles de l’analyste lui-même ?

II - Est-ce que la dissimulation des détails qui pourraient permettre d’iden tifier le patient entrave voire déforme ce que l’analyste a voulu communiquer ?

Travestissement dans le compte-rendu d’analyse

33 Même si l’on peut s’interroger sur le véritable personnage qui émerge dans le récit de cas, la nécessité du travestissement des cas s’impose car la quasi-totalité des recommandations et prescriptions d’ordre déontologique qui concernent l’exercice de la psychanalyse pourraient se trouver en désaccord avec le fait de rendre public le contenu d’une cure d’une manière ou d’une autre.

34 Je me limiterai à en évoquer deux à titre d’exemple : celle du secret, qui consiste à ne pas divulguer ce qui a été le contenu de l’analyse et celle de l’obligation de réserve qui exige de l’analyste qu’il n’impose pas au patient d’avoir à le connaître indépendamment de ce qu’il peut en fantasmer à l’intérieur de la relation analytique.

35 Ces deux prescriptions peuvent en partie se ramener à un interdit concernant le voyeurisme. La confiance, qui est nécessaire à l’établissement du contrat passé entre analyste et analysant, suppose en effet que ce dernier soit assuré qu’il n’y aura pas de tiers réel dans la « situation analytique ». Cette exigence – qui vient d’abord du patient lui-même – ne va jamais néanmoins sans l’inverse, c’est-à-dire le désir d’exhibition dont l’analyste qui violerait la clause de secret se rendrait dès lors l’instrument désigné comme responsable.

36 La clause du secret et celle de l’obligation de réserve s’opposent en fait toutes deux aux fantasmes issus du désir infantile de participer à ce qui s’échange entre les parents et d’y être présent « en effigie » en devenant le sujet principal de leurs conversations. Aussi, le compte rendu d’analyse, mais aussi la vignette clinique la plus anodine, risquent de provoquer chez le patient, lorsqu’il pense s’y reconnaître [3], des affects qui pourraient paraître disproportionnés avec l’événement lorsqu’il s’agit d’un extrait anonyme, parce que limité, et que toutes les précautions concernant le travestissement ont été prises.

37 On sait que Freud reconnaissait combien sur le plan déontologique et humain, l’exposé d’une analyse était un problème délicat. Il écrit au début du cas Dora : « Il est certain que les malades n’auraient jamais parlé s’ils avaient pensé à la possibilité d’une exploitation scientifique de leurs aveux et c’est tout aussi sûrement en vain qu’on leur aurait demandé l’autorisation de les publier » (Cinq psychanalyses, p. 2).

38 Mais comment s’effectue ce travestissement et que révèle-t-il à son tour ?

39 Dans la Psychopathologie de la Vie quotidienne, on trouve, à propos du choix du nom de Dora, une anecdote qui montre que, parmi les multiples déterminations conscientes qui régissent le choix d’un pseudonyme pour un patient (désir de frapper l’imagination, de séduire, d’exprimer le trait dominant de sa personnalité) on oublie facilement la part inconsciente de l’analyste lui-même.

40 Ainsi Ida Bauer devient Dora, prénom de la bonne d’enfant de la sœur de Freud parce que l’histoire de la gouvernante joue pour elle un rôle important. Mais l’auto-analyse de Freud nous rappelle le fait qu’il s’était attristé de voir que ladite bonne d’enfants s’appelait en fait Rosa, prénom de la sœur de Freud auquel la domestique avait dû renoncer pour éviter des confusions fâcheuses. Vingt ans plus tard, lors d’une nouvelle conférence, pour éviter non plus une confusion entre sœur et bonne d’enfants, mais entre patiente et auditrices de conférence (« Ces pauvres gens (“bonne et patiente”) ne peuvent rien conserver même pas leur nom »), Freud modifie à nouveau le nom de Dora parce qu’une auditrice s’appelle ainsi. Le retour du refoulé reprend ses droits puisque l’appelant Erna, il s’aperçoit après-coup que la deuxième auditrice présente porte le patronyme de « Lucerna » !

41 Le travestissement dirait ainsi une autre vérité, inconsciente celle-là, mais il nous faut l’information historique extérieure – ici donnée par Freud lui-même dans un fragment d’auto-analyse – pour la comprendre.

Incomplétude du compte-rendu d’analyse

42 Travesti le récit d’analyse est de plus incomplet et risque d’être « faux par incomplétude », du moins c’est la crainte que Freud confie à Jung le 30 juin 1909 à propos des difficultés que lui coûtait la rédaction du cas de l’Homme aux Rats :

43 « Quels gâchis que nos reproductions, comme nous menons lamentablement en pièces ces grandes œuvres d’art de la nature psychique ! Le travail est malheureusement à nouveau en train de devenir tellement gros, mais cela jaillit sous les mains, et c’est encore trop bref, faux par incomplétude. C’est une misère ! »

44 Le récit de cas repose en effet de manière nécessairement partielle voire partiale sur ce qu’un analyste élabore par écrit, en vue d’une publication, à partir du souvenir qu’il conserve du déroulement processuel de la cure d’un patient.

45 Son objet n’est donc pas nécessairement la totalité de l’analyse mais, pour que l’on puisse parler de compte-rendu et non d’extrait clinique, les éléments constituant son écrit devront n’être compréhensibles qu’en fonction de l’ensemble de ce qu’il a pu entendre.

46 Alors, est-ce que l’information « historique » extérieure aurait pour mission de venir combler les manques ? Irait-elle dans le sens de ce que Freud donne pour le fer de lance de la psychanalyse, soit la recherche de la « vérité » ?

La « vérité » du compte-rendu d’analyse

47 À propos de Dora Freud écrit : « La publication de ce qu’on croit savoir sur la cause et la structure de l’hystérie devient un devoir, l’omission une lâcheté honteuse » (Cinq psychanalyses, p. 2). L’argument éthique s’impose ici contre l’argument déontologique privé du secret.

48 Rappelons qu’il donne la vérité pour unique fondement éthique : « Le grand élément éthique dans le travail psychanalytique est la vérité et encore la vérité et ceci devrait suffire à la plupart des gens. » (Freud à Putnam en 1914, Introduction de la psychanalyse aux États-Unis, Gallimard, p. 200, lettre du 30- 3-14)

49 Lorsque, cinq ans plus tard, il s’adresse à Pfister dans une lettre privée, il est beaucoup plus explicite encore : « La discrétion est incompatible avec un bon exposé d’analyse ; il faut être sans scrupule, s’exposer, se livrer en pâture, se trahir, se conduire comme un artiste qui achète les couleurs avec l’argent du ménage et brûle les meubles pour chauffer le modèle. Sans quelques-unes de ces actions criminelles on ne peut rien accomplir correctement » (Correspondance, 1910).

50 Qu’il ait pris toutes les précautions d’usage concernant le travestissement de l’identité de son patient et qu’il se soit assuré, autant qu’on peut l’être, que le dit patient n’a aucune chance de lire le texte où il est question de son analyse, il reste que le fantasme de cette possibilité est ineffaçable et que toute publication d’un extrait ou d’une vignette clinique, a fortiori d’un compte-rendu d’analyse, entraîne la question des conséquences de sa divulgation auprès du patient lui-même.

51 Et, lorsque Freud écrit à propos de Dora qu’au cas où un hasard malheureux ferait tomber entre ses mains sa propre observation, elle n’en apprendrait rien qu’elle ne sache déjà, on peut ne pas être d’accord avec lui.

52 Car, en réalité, tout patient, mis en situation de lire sa propre analyse consignée dans un écrit, même s’il reconnaît l’exactitude des faits rapportés ou celle des propos échangés, n’y reconnaîtra pas son analyse au sens où il pourrait en consigner l’observation avec son analyste.

53 Il faudra toutes les complexes négociations de l’Homme aux Loups avec le morceau vivant de théorie qu’il était devenu pour pouvoir se contenter d’ajouter ou de contester quelques détails. En fait l’analysant découvre, parfois avec un sentiment d’inquiétante étrangeté, que ce qui lui semblait le mieux connu lui est devenu étranger et qu’à la limite, il n’y reconnaît ni lui ni surtout ce qu’il avait cru comprendre dans la connivence du transfert, de la manière dont son analyste l’avait entendu.

54 Cet effet ne me semble pas réductible à une manifestation de résistance vis-à-vis de cette version globale de sa propre histoire : il y a bien en fait deux processus qui se déroulent parallèlement à des rythmes différents, se rejoignant par moment soit de manière ponctuelle, soit dans un accord plus prolongé et l’analyse elle-même se développe précisément à l’intersection de ces deux processus et dans leur interaction.

55 Or si l’analysant en principe n’en sait rien, persuadé d’avoir partagé le même objet et le récupérant au bout du compte comme son analyse, il n’en est pas de même lorsque le hasard lui fait rencontrer un texte dans lequel force lui est de se reconnaître.

56 L’effet de violence alors produit est double : tout d’abord il y a une parole contre une autre et celle de l’analyste, « sujet supposé savoir » en l’occurrence pèse davantage. Mais surtout, outre le doute concernant le vrai contenu de cette analyse, c’est un sentiment de dépossession [4] que vit alors le sujet.

57 Cette impression trouverait son explication dans le fait qu’entre l’analyse écrite et l’analyse vécue s’est établi un temps de latence d’où résulte que lorsque le patient vient à la lire, il n’est déjà plus le même, ce qui est d’autant plus vrai, lorsque, comme Freud pour Dora, l’analyste s’impose un délai important entre la fin de l’analyse et sa publication. Le vrai problème déontologique n’apparaît pas dès lors concerner seulement le désir de secret de l’analysant mais la définition de son identité elle-même.

58 Cette identité, il la trouve déposée dans un écrit qui le fixe de manière définitive sous un nom qui n’est pas le sien et dans un personnage qu’il n’est plus. L’invariance de l’écrit et son immutabilité s’opposent au changement nécessaire et à l’oubli relatif qui est le propre de l’analysant comme de tout être vivant.

59 Ce qui serait d’ailleurs encore plus vrai pour une analyse d’enfant ainsi que le montre l’exemple du petit Hans. Pour le patient devenu cas clinique, il est bien difficile d’opposer le fait qu’il n’est plus ce personnage, même s’il a pu l’être dans le passé parce que c’est l’ancien qui se trouve porté à la dignité d’un écrit et qui bénéficie de cette présentation objectivante et donc véridique.

Déformation liée à la nécessité de rendre le cas intelligible

60 Au problème déontologique de la déformation-travestissement, s’en ajoute un autre qui est plutôt d’ordre technique. L’analyste qui écrit sélectionne dans le matériel ce qui lui paraît le plus pertinent en vue de ce qu’il veut montrer, mais qu’en est-il de ce qu’il laisse de côté et n’y a-t-il pas là une déformation qui prive le lecteur d’une meilleure compréhension du cas ?

61 Le recentrement opéré par l’analyste devenu auteur correspond, sur le modèle du travail du rêve, à l’élaboration secondaire et à la prise en considération de l’intelligibilité. Mais il est bien certain que, comme dans le rêve, la sélection s’effectue au moment même où les matériaux se réunissent c’est-à-dire au niveau de l’écoute. La fonction intellectuelle exige, on le sait, que la cohérence et l’intelligibilité l’emportent sur le reste y compris sur l’exactitude, d’où l’omission ou la réduction de tout ce qui pourrait constituer des zones d’ombre. Reste à savoir si ces zones d’ombre ne sont pas des taches aveugles correspondant à ce que l’analyste n’a pas su ou pas voulu voir chez son patient…

62 Dans le compte-rendu d’analyse, l’objectif premier (et même peut- être le seul) devient celui d’une maîtrise intellectuelle.

63 D’où le caractère iconoclaste des propos de Freud sur ce thème où, par-delà la culpabilité de la trahison d’un secret, on sent la passion de comprendre face à laquelle plus rien d’autre ne compte.

64 D’où aussi le fait que pour l’analyste-auteur le matériau premier soumis à l’élaboration soit, comme je l’ai dit, la déroute initiale ou prolongée qu’il a connue avec ce patient qui l’a fait écrire et cette modification de but, où la pulsion de savoir l’emporte sur tout le reste, constitue l’élément moteur de la décision de rendre compte d’un cas.

65 Comme le dit Freud à propos du Witz, l’acolyte a qualité pour décider si le but est atteint, comme si le moi n’était pas sûr de son jugement. Or, pour cela, il ne suffit pas d’obtenir un acquiescement de principe, il faut amener l’autre à s’impliquer directement.

66 La situation d’interlocution a changé et le patient au lieu d’être celui qui parle est devenu celui dont on parle. Est-ce que pour autant l’historien qui nous raconte sa vie après avoir levé son anonymat ne fait que poursuivre le travail ?

III - Qu’est ce que la divulgation ultérieure de l’identité d’un patient apporte vis-à-vis de la lecture du cas ?

67 Les occurrences sont diverses et vont de la découverte de l’identité à la connaissance détaillée de la biographie du patient à la fois du temps de l’analyse et au-delà.

68 Je propose de considérer que le « plus de savoir », offert par la levée de l’anonymat sur un patient, peut se décomposer en trois aspects distincts :

Voir ce que l’analyste n’a pas vu

69 Ce qui implique que le lecteur s’installe à la place de l’analyste et refasse à sa manière l’analyse du patient en fonction des informations supplémentaires dont il dispose.

Voir ce que l’analyste a vu, mais a caché

70 Ce qui implique que le lecteur se positionne comme un censeur, plus ou moins bienveillant et dévoile à son tour une sorte de scène primitive entre le patient et son analyste devenu auteur.

Savoir au-delà de l’analyse qui était le patient et ce qu’il est devenu

71 Ce qui implique que le lecteur s’identifie au patient qui n’est pas un prétexte à théorie mais un être vivant comme lui. Ce n’est plus le patient mais en général la relation à la cure analytique qui est alors questionnée.

Voir ce que l’analyste n’a pas vu

72 L’exemple le plus frappant ne concerne pas une analyse mais le commentaire que Freud donne à partir des « Mémoires d’un névropathe » de Daniel-Paul Schreber. Les nombreux ouvrages qui se sont succédés au sujet de ce denier ont souligné des éléments concernant le père de Schreber qui étaient restés dans l’ombre pour ne pas nuire à la figure de ce dernier. La dissimulation de l’analyste n’avait pas lieu d’être puisque le patient parle de lui-même mais en revanche elle aurait touché ce pédagogue révéré du temps de Freud.

73 Que ce dernier n’ait pas pris en compte l’extrême violence des procédés éducatifs du père de Schreber et leur rôle vis-à-vis de la pathologie ultérieure du président peut se comprendre par le fait qu’il s’agissait pour lui de démontrer, à partir d’un matériel généreusement offert par Jung, une idée déjà largement préconçue, soit l’étiologie homosexuelle de la paranoïa.

74 Les multiples révélations qui ont pu être faites sur la famille du malade et la lecture directe du texte sur lequel a travaillé Freud donnent de fait du cas une image beaucoup plus riche et complexe que l’observation. Elles n’enlèvent rien à l’intérêt de la lecture proposée par Freud, mais celle-ci se trouve repositionnée comme un éclairage exemplaire mais limité, parmi d’autres.

Voir ce que l’analyste a vu, mais a caché

75 Je prendrai l’exemple de ce qu’un récent article d’Harold Blum [5] nous révèle sur la violence, non mentionnée par Freud, de la mère du petit Hans. Là, il s’agit bien de discrétion de la part de ce dernier puisque la mère de Hans était sa patiente. Mais on n’est toujours pas dans un cas classique d’analyse et Freud a alors en vue une démonstration qui est celle du complexe d’Œdipe. La maltraitance de la mère à l’égard de ses enfants et plus particulièrement du bébé qu’était alors la petite sœur, lui apparaissait-elle flagrante ? Ce n’est pas évident, mais il est clair que son propos se trouve décentré ailleurs, vers la scène primitive où là aussi il devait avoir des éléments qu’il ne livre pas pour les mêmes raisons.

Savoir au-delà de l’analyse qui était le patient et ce qu’il est devenu

76 Je prendrai l’exemple du cas de la jeune homosexuelle publié en 1920  [6], analyse là aussi un peu particulière puisque Freud ne l’accepte que sur l’insistance du père de l’adolescente, vraisemblablement parce qu’il était lui-même, comme père et pas seulement comme analyste, perplexe face à l’homosexualité de sa propre fille, Anna, qu’il avait commencé à analyser à cette époque. Ce cas a donné lieu à un livre au titre éloquent : « Sidonie Csillag, homosexuelle chez Freud, lesbienne dans le siècle »  [7] de deux femmes, Ines Rieder et Diana Voigt, l’une journaliste et l’autre éditrice qui ont bien connu l’ex patiente de Freud laquelle devenue centenaire avait continué à vivre des passions successives pour des femmes sur un mode très analogue à celui qui l’avait conduite sur le divan de Freud.

77 Or qu’est ce que le compte-rendu la biographie de cette femme apporte au compte-rendu du cas de cette adolescente qui s’en trouverait infirmé ou vérifié voire complété ?

78 Tout d’abord une réflexion sur les conditions d’entrée en analyse et l’impossibilité de n’y venir que sous la demande d’un tiers. Et là le livre confirme : Sidonie se souvient d’avoir été extérieure au processus analytique entrepris pour obéir à ses parents et elle précise de plus le transfert latéral avec la femme aimée à qui elle raconte les séances.

79 La présence des « faux rêves » que soupçonne Freud est confirmée voire au-delà et Sidonie souligne que c’était le moyen qu’elle avait trouvé pour pouvoir confier à Freud ses relations lesbiennes réelles sous le travestissement du rêve.

80 Mais surtout c’est l’étiologie de l’homosexualité féminine proposée par Freud qui est totalement confirmée par le livre soit le désistement de la féminité en faveur de la mère.

81 Celui-ci vient prendre la place de l’identification et de la rivalité œdipienne base de l’hétérosexualité ultérieure. Hypothèse capitale qui se trouve plus ou moins complétée par l’hostilité ultérieure à l’égard du père qui a rendu ce désistement nécessaire au lieu de soutenir la rivalité avec la mère.

82 Incapable d’élire sa fille comme objet, le père devient celui qu’il faut remplacer. Car, ce désistement est aussi une revendication : devenir un homme comme la mère les aime, elle qui cherche à leur plaire et n’apprécie que ses fils.

83 On en comprend mieux l’importance lorsqu’on apprend que toute la vie ultérieure de Sidonie s’est passée sur ce mode du désistement en faveur non seulement de la mère, mais de ses substituts auxquels elle voue une admiration passionnelle analogue à celle qu’elle avait eue pour la « dame » initiale. Et quant au mépris à l’égard des hommes, c’est dans la société lesbienne de ces demi-mondaines qui mènent une existence dite « libérée » que Sidonie en trouvera l’écho.

84 Confirmée aussi la tentative de suicide qui la conduit chez Freud, car elle se voit dans la suite répétée à deux reprises  [8] comme si la jeune femme n’avait pas eu d’autres moyens de se sortir des impasses dans lesquelles elle s’était engagée ce qui marque à la fois sa résolution et son aliénation aux normes sociales de son milieu et de son époque.

85 La fixité de sa personnalité qui anime la « résistance russe »  [9] dont Freud parle à son sujet se trouve confirmée à chaque page dans sa manière d’aimer, manière masculine nous dit Freud, mais on serait plutôt tenté de dire romantique, c’est-à-dire à la fois passionnée et sublimée.

86 Âgée de 72 ans, elle écrira à une femme qui lui avait plu : « Je me contenterai de vous voir, d’entendre votre voix ; mais vous aussi devez me manifester de la sympathie, ressentir ma présence comme un agrément ! » (op. cit., p. 370)

87 Alors qu’est ce que ce livre nous apporte ?

88 Tout d’abord une remarquable fresque sur la condition féminine au XXe siècle et plus particulièrement sur ces femmes homosexuelles contraintes pour des raisons sociales de devenir bisexuelles, c’est-à-dire de se marier, et d’avoir des enfants. Sidonie ne fera pas exception et elle épousera à 28 ans un ancien officier de l’armée impériale, sans pour autant que son choix d’objet ait le moindrement évolué. Elle n’aura pas d’enfants et ce sont les lois raciales nazies qui la sépareront de ce mari de façade.

89 Car l’histoire du cas se trouve utilement resituée dans une réalité sociale : on apprend que les parents de Sidonie étaient juifs, qu’elle-même avait été baptisée catholique et, surtout qu’elle allait être persécutée par l’antisémitisme. D’où l’annulation de son mariage, son émigration vers Cuba quand elle avait 40 ans et sa vie nomade par la suite, entre l’Europe, l’Amérique latine et l’Asie.

90 On voit donc une femme aimer des femmes pendant cent ans ou presque, elle qui avait conservé de Freud comme souvenir le plus vif la phrase, un peu étrange, mais pas si improbable, dite à l’issue de leur dernier rendez vous où il l’adressait à une analyste femme, comme, il le fera pour sa propre fille : « Vous avez des yeux si rusés… Je n’aimerais pas vous rencontrer dans la vie en tant que votre ennemi. » (op. cit., p. 77). Pourquoi Freud pensait-il que l’un ou l’autre était un ennemi potentiel ?...

91 Comme l’avait été la jeune homosexuelle elle-même, ce livre est document de militantisme lesbien qui s’accorde parfaitement bien avec les conclusions de l’observation : « La psychanalyse n’est pas appelée à résoudre le problème de l’homosexualité. Elle doit se contenter de dévoiler les mécanismes psychiques qui ont conduit à la décision dans le choix d’objet et de suivre les voies qui conduisent de ces mécanismes aux montages pulsionnels. »

92 Le « plus de savoir » dont j’ai fait l’hypothèse plus haut se trouve donc ici résolu sous la forme d’une confirmation et d’une extension.

CONCLUSIONS

93 Nous avons vu ces dernières années les détracteurs de la psychanalyse utiliser des « révélations » sur les patients de Freud et leur devenir afin de mettre en doute la pertinence de la psychanalyse et jeter au passage l’opprobre sur son fondateur accusé de dissimulation d’une réalité inavouable.

94 Un exemple parmi d’autres : le livre de Mikkel Borch-Jacobsen [10] qui prétend rétablir la vérité historique sur Anna O. et vilipender au passage la naïveté de ses thérapeutes puisque Freud et Breuer se seraient laissés mener par le bout de l’oreille du début jusqu’à la fin par une simulatrice…. Naïfs mais complices, puisque, à leur tour ils auraient bâti l’énorme mystification que représente la psychanalyse, relayée par nous analystes, qui, à notre tour, etc. Le « plus de savoir » se donnerait ici comme une révélation, du style de celle qui s’impose au paranoïaque, celle d’une tromperie.

95 Vérité contre mensonge rendu possible par la dissimulation de l’analyste lorsqu’il rend compte du cas. On est là dans une vérité du type de l’« atrékéia », c’est-à-dire d’une absence de détours propre à illusionner le chaland.

96 Or c’est à mon sens d’un autre type de vérité qu’il s’agit sur le modèle de l’« alèthéia », c’est-à-dire de sauver la réalité de la personne du patient des eaux de l’oubli qui coulent dans le fleuve Léthé. Et cela parce qu’ils sont devenus eux-mêmes par la vertu de la chose écrite à leur sujet de véritables monuments théoriques, des paradigmes et non plus des êtres vivants.

97 En quoi consiste en effet ce « plus de savoir » dont j’ai fait l’hypothèse ? Savoir que le patient existe en dehors de son analyste et qu’il n’est pas simplement cette créature de papier, fantôme composite issu de la rencontre transféro-contre-transférentielle.

98 Cet homme ou cette femme qui a pu susciter chez l’analyste le besoin d’écrire parce qu’il avait momentanément mis en déroute une théorie toujours à reconfirmer ou à compléter est d’abord une personne réelle, ordinaire, que nous aurions pu rencontrer, et non ce paradigme que la psychanalyse a pu en faire.

99 Nous sommes surpris d’apprendre que Schreber a pu adopter une petite fille et s’en occuper avec affection, lui pour qui le Dieu-père n’a de lien qu’avec des cadavres… Apprendre ce qu’est devenu la jeune homosexuelle ou le petit Hans ne nous est pas indifférent parce que nous les considérons comme nôtres.

100 Le « plus de savoir » ne concerne donc pas la théorie et nous ne cherchons pas à infirmer ou à confirmer le contenu du récit de cas, mais la leçon fondamentale que ces apports divers sur l’histoire des patients nous donne, consiste à nous rappeler – ce que nous répétons à nos patients – : la vie ne se confond pas avec l’analyse. Celle-ci n’en est qu’une étape où l’inconscient de l’analyste se mélange avec celui du patient dans une relation de quête érotique du sens.

101 Pour l’un et l’autre des protagonistes, mais d’abord pour le patient, cette aventure à deux est destinée à confirmer ou à modifier ses choix fondamentaux grâce à une meilleure connaissance des causes qui l’animent.


Mots-clés éditeurs : Contrat analytique, Déontologie, Histoire de cas, Cas clinique, Éthique, Vérité, Compte-rendu d'analyse

Mise en ligne 12/04/2010

https://doi.org/10.3917/top.108.0009

Notes

  • [1]
    Je reprendrai ici quelques éléments de ce que j’ai écrit sous le titre de « Rendre compte d’une analyse » (Revue Topique no 97) et qui a été traduit par le Pr Giuseppe Mafféi dans « Psicoanalisi e metodo » (2007).
  • [2]
    D’où le fait probablement que, même si la rencontre avec le texte écrit par son analyste sur l’analyse qu’il a menée est toujours traumatique pour le patient, néanmoins ce dernier est toujours simultanément porté à y voir la confirmation du fantasme universellement partagé d’être l’enfant favori et, en fin de compte, le seul qui compte vraiment pour son analyste.
  • [3]
    On peut aussi remarquer que, pour un patient, même le fait de lire l’exposé d’une autre analyse que la sienne faite par son propre analyste, n’est jamais indifférent. Car, en rendant compte d’une analyse, c’est bien aussi de lui-même, de son propre fonctionnement et de ses affects que l’analyste témoigne. Le patient se trouve alors mis en position de voyeur d’une relation que son analyste a entretenue avec un autre que lui. À travers l’identification au patient dont il est question, il peut alors fantasmer que s’ouvre une brèche vers ce que son analyste lui aurait caché de lui-même.
  • [4]
    Les rechutes et l’évolution de la longue existence de l’Homme aux Loups sont à ce titre instructives.
  • [5]
    Blum, H., « Le petit Hans : une critique et remise en cause centenaire », in Topique no 97, Le dévoilement historique, Bordeaux, L’Esprit du Temps, 2007.
  • [6]
    Uber die Psychogenese eines Falles von weiblicher Homosexualität. GW, XII., in Névrose, psychose et perversion, p. 245.
  • [7]
    Publié chez EPEL, Paris, 2003. Le nom de famille de la jeune homosexuelle n’est pas le vrai, mais le livre est plein de photos d’elle, de ses amies aimées et de sa famille.
  • [8]
    En 1922 elle tente de se suicider avec une ampoule de poison par désespoir d’amour toujours pour la même puis ayant accepté de se fiancer avec un jeune homme, elle se tire une balle et se rate de très peu.
  • [9]
    « Son analyse faisait un peu l’impression d’un traitement hypnotique, où la résistance se replie de la même façon jusqu’à une frontière déterminée, au-delà de laquelle elle s’avère ensuite invincible. C’est la même tactique russe, comme on pourrait l’appeler, que suit très souvent la résistance dans les cas de névrose obsessionnelle » Freud, op. cit, p 262
  • [10]
    Alain de Mijolla et André Green ont fait entendre quelques réponses vigoureuses à son livre « Souvenirs d’Anna O. Une mystification centenaire »
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