Topique 2007/3 n° 100

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Article de revue

Sociétés de psychanalyse et psychanalyste de société

Pages 21 à 60

Notes

  • [1]
    Cf. L’Inconscient, n° 8 : ce Enseignement de la psychanalyse ? », Presses Universitaires de France.
  • [2]
    Le malaise dont souffre surtout la génération des plus jeunes en donne la démonstration la plus évidente.
  • [3]
    Nous laissons de côté le problème du remboursement par la Sécurité sociale qui, lui aussi, n’est pas aussi simple que veulent le dire les partisans de l’acceptation comme ceux du refus.
  • [4]
    Cf. Febenczi, Sur l’organisation du mouvement psychanalytique, 1911. On verra en lisant ce texte que ces craintes étaient déjà évoquées…
  • [5]
    Cf. J.-P. Valabrega, La psychanalyse savante, L’Inconscient, n° 8, Presses Universitaires de France.
  • [6]
    Date à laquelle le IIe Congrès de Psychanalyse, réuni à Nuremberg, a voté, sur proposition de Ferenczi, les statuts de l’Association psychanalytique internationale qui regroupe la presque totalité des sociétés psychanalytiques existantes. Elle est le plus souvent désignée par le sigle I.P.A. (International Psycho-Analytical Association).
  • [7]
    Nous parlons ici des sociétés psychanalytiques.
  • [8]
    Cette« proposition» sera analysée dans la dernière partie de ce texte. Elle a été publiée en février dernier par J. Lacan dans le n° 1 de la Revue Scilicet ; nous prions le lecteur de s’y référer.
  • [9]
    Ainsi, en France, les sociétés existantes proclament toutes leur allégeance à Freud ; et les différences d’interprétation que tout un chacun donne de son œuvre se retrouvent tout autant entre les membres d’une même société qu’entre les membres de sociétés différentes.
  • [10]
    Ces quatre sigles représentent dans l’ordre chronologique les quatre sociétés existant en France : Société psychanalytique de Paris, Association psychanalytique française, Ecole freudienne de Paris, Quatrième Groupe.
  • [11]
    Sur ce droit d’appellation, cf. C. Castoriadis dans le n° 8 de L’Inconscient.
  • [12]
    Ajoutons que dans n’importe quelle société on peut assister à de tels accidents. Mais s’il n’est pas en leur pouvoir de les éviter, il est de leur devoir d’en être averties et de savoir qu’elles peuvent en favoriser ou en endiguer la propagation.
  • [13]
    Cette proposition dont nous avons donné la référence n’a été votée par l’E.F.P. qu’en janvier 1969 : ceci a motivé notre démission.
  • [14]
    Dans l’acte de fondation de J. Lacan, on peut lire, à propos des différentes sections qu’il constitue :« 1. Section de psychanalyse pure — soit praxis et doctrine de la psychanalyse proprement dite, laquelle n’est rien d’autre — ce qui sera établi en son lieu — que la psychanalyse didactique ».
  • [15]
    Nous ne connaissons pas de texte de lacaniens sur ce sujet précis, alors que leur contribution à la théorie psychanalytique et à la théorie du transfert a été fort importante.
  • [16]
    Nous pensons que le mieux est ici de reproduire intégralement la partie du texte qui s’y réfère, a … Qui se présente au jury d’agrément ? Des psychanalysants dans la visée d’être reconnus pour À.E. Car pourquoi prétendrait-on à moins, si on en a le courage. L’analyste de l’Ecole est, ne l’oublions pas, celui qui contribue à l’avancement de la psychanalyse. Pourquoi ne pas commencer, dès qu’on y arrive.
    « Il y a par contre des gens qui plus modestement se contenteront de s’éprouver comme analystes. Là c’est l’Ecole qui s’immisce, et de façon toujours positive. Elle défère le titre d’A.M.E. sans qu’il y ait besoin pour cela d’aucune postulance.
    « Ceci sera le fait de l’organe stable en devenir, du jury d’agrément.
    « Et ce titre constitue une invitation de l’Ecole à se présenter à la qualification d’A.E.
    « Mais, dès lors cette qualification ne peut être obtenue que par l’intermédiaire du témoignage décisif de sa capacité.
    « C’est-à-dire l’autorisation d’un de ses psychanalysants au titre d’A.E. L’autorisation de l’A.M.E., qui l’a « formé » au même titre, s’ensuit dès lors du même fait.
    « Mais ce qui se présente pour être A.E., c’est tout psychanalysant au sens où le psychanalyste ne s’achève qu’à le redevenir dans sa position à l’endroit du Bujet supposé savoir.
    « Pour le psychanalyste responsable du psychanalysant qui se sera fait admettre, s’il n’est encore que membre de l’Ecole, celle-ci ne peut faire moins que de l’introduire aux A.M.E., d’où alors il se présentera lui-même au jury d’agrément.
    « On voit l’intérêt de ceci, c’est que l’accès à la position équivalente à ce qu’on appelle ailleurs un didacticien ne se perd plus dans le temps retrouvé de la béatitude, qu’elle devient même fort loin de la comporter.» (C’est nous qui soulignons.)
  • [17]
    Termes utilisés par J. Lacan dans le texte déjà cité.
  • [18]
    Cf. à ce propos le document publié à la fin de ce numéro sur le « Quatrième Groupe ».
« ... D’un autre côté, par attachement à leurs opinions, ces gens (les philosophes) ont l’air de se comporter comme ceux qui, dans les discussions, défendent leurs thèses envers et contre tout. Ils supportent sans fléchir n’importe quelle conséquence, convaincus qu’ils sont de détenir des principes vrais. Comme si certains principes ne devaient pas être jugés aux conséquences qui en découlent, et surtout à leur fin !
Aristote,De Caele, III, 7-306 à 11-15 (Traduction Budé.)

Préambule

1Ce texte continue celui paru en mai dernier sous le titre « Comment peut-on ne pas être Persan ? ». Dans cette première partie, il était question du problème que soulève l’enseignement de la psychanalyse et du piège où risque de se prendre l’analyste-enseignant [1]. Ce qui s’est passé entre le moment où nous l’écrivions et aujourd’hui a démontré que nos craintes étaient largement justifiées. La question que nous posions : « Comment peut-on l’être (Persan, freudien, lacanien) ? » et la réponse que l’École freudienne de Paris y a, en fait, apporté, ont abouti à une troisième scission dans l’aire psychanalytique française. Simple mouvement passionnel (ce que, dans notre milieu, on baptise transfert) de la part d’un groupe d’analystes ? Dévoilement de l’état aigu d’une crise qui intéresse le mouvement psychanalytique dans son ensemble et le fonctionnement des sociétés qui s’en veulent les dépositaires ? Nécessité pour certains de trouver une solution qui échappe à un conformisme stérilisant et refuse tout autant un « après nous le déluge » qui pointe de plus en plus derrière les slogans invitant aux croisades subversives une partie de Y intelligentsia ? Nous espérons permettre aux lecteurs d’en décider.

2Pour les non-analystes, la tâche sera ardue : les données du problème appartiennent à un champ trop spécifique pour que les extrapolations ne soient pas, le plus souvent, source d’erreurs. Pour les analystes, la difficulté sera la même que la nôtre : le problème met forcément en cause, chez tout analyste, son option « politique », si l’on veut bien redonner à ce terme son sens premier, soit ce qui a trait à la Cité, dans notre cas : à la cité analytique. Or, de la politique à la polémique, l’association n’est pas seulement phonétique : le glissement est facile pour l’auteur comme pour le lecteur.

3Nous avons essayé, pour parer à ce danger, de baser notre analyse sur une réflexion théorique, laissant de côté toute querelle de personnes. Mais nous reconnaissons volontiers que notre analyse et notre critique ont trouvé leur source principale dans les questions que nous a posées l’École freudienne de Paris. Cela pour les raisons suivantes :

  1. La critique des institutions des sociétés de type classique a été faite depuis longtemps, grâce surtout à la contribution de J. Lacan. Ces derniers mois, au sein même de ces sociétés, des analyses fort pertinentes ont été produites. Nous pourrions difficilement faire mieux.
  2. Le point de départ de ce qu’on est en droit d’appeler le mouvement lacanien était riche de promesses et permettait de croire à un renouveau salutaire dans le fonctionnement des sociétés psychanalytiques. Les ouvertures et les enrichissements théoriques qu’apportait l’enseignement de Lacan justifiaient l’espoir que leurs applications au sein d’une société permettraient d’éviter les écueils sur lesquels on avait jus qu’alors buté. L’échec cuisant qui en est résulté est particulièrement troublant, car il pose la question de l’aliénation que paraît induire la constitution de toute société d’analystes : cette aliénation est-elle inévitable, ou peut-on y parer ?
  3. Nous avons fait partie de l’École freudienne de Paris dès sa fondation ; nous avons collaboré à son organisation ; nous avons contribué au travail qui y a été fait. Cette expérience, riche d’enseignement, comme ce que nous devons à la théorie de J. Lacan, nous permet peut-être plus qu’à d’autres d’élucider certains phénomènes propres aux groupes psychanalytiques.
Mais il est évident que cette analyse s’insère à son tour dans une problématique plus générale : celle posée par l’existence de « sociétés psychanalytiques » dès l’origine. En toute rigueur, notre étude aurait dû interroger les institutions psychanalytiques dans une perspective historique. Nous n’en traiterons pas et resterons dans des paramètres spatio-temporels bien précis : la situation de la psychanalyse en 1969 en France.

4Nous définirons le sens que nous donnons à deux termes qui seront souvent utilisés dans ce texte. Par didacticien, nous désignons l’analyste qui analyse un sujet — que nous appelons candidat — qui, au cours de sa propre analyse, découvre, ou confirme, son désir d’être analyste. Que l’analyste soit déclaré didacticien après un cursus rigoureusement établi ou qu’il ne « s’autorise que de lui-même », nous le désignerons du même terme.

I – L’extra-territorial : Société de psychanalyse et société de demande

5Par la formule peu orthodoxe de « société de demande », nous voulons pointer le rapport qui existe aujourd’hui entre la société, terme pris ici au sens large, et la fonction du psychanalyste, à laquelle elle fait appel. Cette entrée en matière se situe donc dans un champ extra-territorial par rapport à la psychanalyse. Nous verrons que son extra-territorialité ne le rend pas moins important. Constatons que la loi de l’offre et de la demande paraît, pour le moment, favoriser les psychanalystes, qu’on s’adresse à celui supposé guérir (le thérapeute) ou à celui supposé savoir (l’enseignant).

6Nous ne sommes pas sociologue, et notre intérêt a toujours été sollicité par la psyché du sujet, telle qu’elle nous interroge en notre champ. Mais notre expérience comme notre travail en milieu hospitalier nous permettent de faire deux remarques :

  1. Que ce soit dans les hôpitaux psychiatriques, dans les dispensaires, dans les Instituts médico-pédagogiques, chez les éducateurs ou rééducateurs, la demande de psychothérapeutes (ce terme désignant, de fait, un analyste) s’accroît de façon progressive ;
  2. Le malaise que sécrète la société contemporaine montre l’exacerbation de certains conflits psychiques et dévoile l’impasse où conduisent la plupart des solutions proposées. La revendication du bonheur ou de la liberté (quelle que soit l’idée que l’on s’en fait) semble, chez une partie des sujets, proportionnelle à la difficulté qu’ils rencontrent à pactiser avec un principe de réalité qui, par certaines de ses exigences, leur paraît absurde, ou pur produit de la pression sociale [2]. Pour une partie, mineure sans doute, de la société, l’appel au psychanalyste s’explique par cet état de choses et par l’image qu’elle s’en fait : un mélange d’homme de science, de mage, de conseiller psychologique. C’est à cette « image » composite qu’on viendra demander d’être libéré d’un taedium vitae qui tend à devenir le mal du siècle.
Ces deux facteurs expliquent pourquoi l’analyste-thérapeute se voit de plus en plus sollicité, pourquoi les listes d’attente s’allongent.

7Si maintenant nous nous tournons du côté du « savoir », nous constatons un phénomène parallèle. Nous l’avons analysé dans notre texte précédemment cité. Aussi rappellerons-nous seulement que la « science analytique » fascine de plus en plus les tenants d’autres disciplines et s’accompagne chez certains d’une sorte de totalitarisme idéologique qui, pour des raisons fort critiquables, pose l’analyste comme le dépositaire d’un dernier savoir. Il en résulte un autre type de demande : il devient l’enseignant, l’invité d’élite, l’auteur du best-seller de l’année (cela indépendamment de ce que peut être la valeur de ce qu’il dit ou écrit).

8Cet état de choses pose la question des répercussions qu’il provoque dans notre discipline et plus particulièrement dans deux registres :

  • la vocation ;
  • la contrepartie que la société exige comme prix de sa demande.

a – A propos de la vocation

9Bien que le terme ambigu de « vocation » ait un relent idéaliste, on le trouve souvent accolé à l’adjectif « psychanalytique ». La « vocation » du candidat, n’est-ce pas ce qu’on est supposé vérifier quand on parle de « sélection » ou ce qu’on pense ne pouvoir être mis à l’épreuve que par la cure quand on rejette l’idée de sélection ? A mi-chemin entre l’appel, la mission, la destinée, l’intérêt, ce terme, néanmoins, reste entaché de l’usage qui en a été fait dans le champ religieux pour désigner celui qui est appelé par Dieu. A quel « appel » répondrait donc le futur analyste ? La réponse la plus fréquente de nos jours s’appuie sur deux concepts : le « désir de savoir » dans ce qu’il a de plus général et le « désir de transgresser » dans ce qu’il aurait de plus spécifique. Transgression, subversion, révolution, ce n’est pas nous qui refuserions cette dimension à l’œuvre de Freud : mais on ne peut éluder la question de ce qui justifierait encore aujourd’hui l’emploi de ces termes et de ce qui ne renverrait plus qu’à la nostalgie d’un passé dont les analystes voudraient préserver l’auréole.

10S’embarquer sur un luxueux transatlantique pour se rendre aux Amériques et prendre place sur le Santa-Marid pour tenter l’aventure peuvent répondre à un même désir de découvrir de nouvelles terres, mais il nous semble hasardeux de parler dans les deux cas de « vocations » équivalentes chez les voyageurs. Les « Caravelles » de nos jours volent vite, bien, et offrent un menu alléchant : le pilotage automatique est sur le point de remplacer les défaillances toujours possibles du sujet humain. Nous ne prétendons pas, pour autant, que la « vocation » dans notre domaine soit devenue un mot vide de sens, mais nous pensons que ce risque n’est pas exclu et que l’âpreté avec laquelle on tente parfois de revendiquer l’exclusivité du titre de « transgresseur » ou d’apôtre du désir de savoir est suspecte ; elle rappelle la mauvaise foi ou la mauvaise conscience. Être tenté par la fonction psychanalytique implique certainement un intérêt pour les processus de connaissance et un étonnement, dirait Aristote, devant les contradictions de la psyché. Ce qui prouve deux choses : que l’énergie pulsionnelle a pu, dans sa majeure partie, échapper au refoulement et se mettre au service de la sublimation et que, pour des raisons liées à l’histoire individuelle du sujet et à son milieu culturel, c’est dans le champ du savoir qu’elle a trouvé sa voie royale.

11Mais rien dans ce registre ne permet encore de parler de vocation, ni d’analyser la raison d’un choix particulier. Cela va de soi pour l’intérêt à connaître : quant à « l’objet » de l’étonnement, nous permettra-t-il, lui, de justifier dans notre domaine le terme de vocation ? Ou ne renvoie-t-il pas plutôt à une série d’éléments dont aucun ne peut s’éliminer ? Le rôle joué par le hasard d’une rencontre de l’esprit, la valorisation ou l’opposition « sociale », l’expérience affective singulière, le milieu culturel, ne sont-ils pas là pour nous rappeler que le terme de « surdétermination » n’est pas une qualification exclusive du symptôme ?

12Dès lors, comment et pourquoi partager chez le sujet ce qui vient de sa structure singulière et ce qui est réponse à une induction extérieure ? Tout ce que nous sommes en droit de dire (et de vouloir vérifier quand nous fonctionnons comme didacticiens), c’est que l’induction peut, dans certains cas, être seule en cause et, de ce fait, infléchir le choix du sujet de façon leurrante et dangereuse. Et, à l’opposé, que des motivations pulsionnelles peuvent tenter de se frayer une voie sous le déguisement de ce qui n’est plus sublimation mais substitution — déguisement opéré au nom d’une éthique qui n’est pas celle du sujet mais celle du groupe, sans qu’il existe, en réalité, concordance entre elles.

13Quant à la « transgression » lorsqu’elle emprunte la voie du savoir, elle nous invite de même à renoncer à certaines formulations qui sentent l’apologie et — ce qui est plus désagréable —, l’auto-apologie.

14Entre le Eppur si muove de Galilée, les affirmations de Darwin et le discours de Freud, nous ne voyons pas comment on pourrait quantifier la transgression qui y œuvre. La transgression, dans l’acception que nous lui donnons, hors du registre pervers ou psychotique, est le mouvement qui porte le sujet à dépasser le « su » : ce qu’il transgresse, c’est une vérité jusqu’alors posée comme loi sacrée et comme garantie d’un savoir (et donc d’une maîtrise possible) sur l’ordre du monde. Ce faisant, il destitue le savoir en place au nom d’une vérité in statu nascendi qui, à son tour, en reprendra la fonction en attendant un nouveau transgresseur. De même que le savoir s’inscrit dans un mouvement dont l’origine est à double titre un mythe, et dont le point d’arrêt est impensable au sens fort du terme (ce qui annulerait le penser comme activité psychique), de même la transgression doit être conçue comme ce qui, dans ce mouvement, vient représenter les points tournants. Croire à la possibilité d’une transgression « ultime », c’est recréer le mythe d’un savoir dernier, d’un absolu de la connaissance : le côté caricatural étant de prôner cette conception au nom des « coupures » ultimes, qu’elles soient épistémologiques ou structurales.

15Que Galilée, Darwin, Freud ou Marx (et quelques autres) aient été des transgresseurs au même titre ne signifie pas que les vérités mises par eux en avant soient équivalentes. Mais le destin de leur œuvre nous invite à méditer sur cette retombée, dans le champ d’un discours recodifié en leur honneur, de ces mouvements de transgression premiers, retombée entraînant une récupération proportionnelle à la force et à l’impact qui étaient les leurs.

16Celui qui a eu l’audace et le génie nécessaires à ces transgressions peut transmettre à ses héritiers beaucoup de « biens », mais certainement pas la possibilité de démanteler eux-mêmes la barrière qui a été déjà abattue. Ceci nous reconduit au problème de la vocation des freudiens contemporains. Si nous pouvons affirmer qu’un désir de connaître qui privilégie le fait psychique reste un bien commun que nous partageons avec Freud et ses premiers adeptes et nous autorise à nous dire leurs disciples, pouvons-nous pour autant passer sous silence le rôle que joue cette induction extra-territoriale, dont nous voulons bien croire qu’elle n’est pas exclusive ou dominante dans le choix de la fonction psychanalytique ? Avouons que le renversement du jugement social (peu importe qu’il ne soit, comme le prévoyait Freud, que l’autre face d’une résistance toujours active), nous donne à bon prix l’auréole de transgresseur, est-ce la société qui nous a récupérés, ou est-ce l’analyste qui a récupéré certains emblèmes dont il avait trop de mal à se passer ?

17Cette « analyse originelle » qui serait toujours à réinventer, n’est-elle qu’un dernier mythe ? La possibilité de l’aventure, l’audace de l’exploration des terres vierges, l’angoisse de l’inconnu sont-elles à retrouver dans une seule lignée : celle qui, partant d’Anna O…, se transmettrait dans la succession des analysés, alors que la lignée des analystes présenterait une solution de continuité dès l’origine ? Assurés du bien-fondé de notre savoir, tentés par le mirage d’une formalisation qui prétend recouvrir exhaustivement le champ psychique, serions-nous réduits à vivre par personnes interposées l’audace et l’exploit et sommes-nous insensiblement passés du désir de connaître au désir de nous faire reconnaître, du rôle d’explorateur à celui de promoteur ? Mais ces questions regardent l’analyste en fonction plus que le candidat, auquel nous allons revenir.

18Pour ce dernier, les éléments que nous avons isolés comme motivations induites par la conjoncture socio-culturelle facilitent deux fourvoiements possibles :

  • ils peuvent lui cacher, sous les apparences d’un choix rationnel, la spécificité d’un désir, d’une intention de lui- même ignorés ;
  • ils peuvent, à l’opposé, déguiser un choix professionnel, qui obéit à la fascination des emblèmes sociaux, en désir de savoir.
Il en résulte en pratique un accroissement progressif des demandes, qui à son tour risque sinon de fourvoyer l’analyste, tout au moins de lui rendre fort difficile une bonne réponse. Et cela d’autant plus que l’analyste, en 1969, se trouve en une situation assez paradoxale sur un point : ou bien, pris dans le mouvement d’extension, il facilite l’accroissement de la demande et favorise une institutionalisation de type universitaire, ou bien il tente de défendre l’extra-territorialité de son champ, fulmine contre toute intégration, revendique le « subversif » de sa fonction avec le résultat de voir son auditoire s’accroître et les applaudissements s’intensifier, ce qui rend suspects certaines positions et certains anathèmes.

19De ces remarques nous tirerons les conclusions suivantes concernant le problème de la « vocation » :

  • La demande sociale satisfait des motivations secondaires, qui sont à l’opposé de celles des pionniers ; or, nous savons que les bénéfices secondaires d’une névrose peuvent finir par prendre la place de ce qui en était le primum movens et qu’ils peuvent résister, plus que toute autre défense, à l’action de l’analyse.
  • Ces motivations, non pas extrapsychiques mais extra analytiques, ne peuvent être sous-estimées dans l’élucidation des raisons du « choix », ni, fait plus important, dans le rôle qui leur revient dans le devenir du psychanalyste. Le passage de la position qui frisait l’excommunication (que ce soit de la part de la morale ou de celle du savoir officiel) à celle qui frise l’officialisation, ne peut laisser inchangé le rapport du sujet à sa fonction et à la conception qu’il s’en fait.
  • Placé devant cet état de fait, comment le candidat pourrait-il, au départ, refuser la représentation que lui renvoie de sa tâche future la société et retrouver ce goût du risque, du difficile, de l’aventure qui a dû être le lot de nos prédécesseurs ?

b – La contrepartie à payer

20A partir du moment où la société reconnaît le bien-fondé d’une fonction, la désigne comme nécessaire et y fait appel, il est normal qu’elle exige certaines garanties en échange.

21On peut parler de récupération, de résistance, de désaveu, mais si on réduit le problème à ces dimensions, on pratique ce qui est nécessaire dans une psychanalyse et impossible ailleurs : on met entre parenthèses la réalité des faits. Des psychanalystes exercent (quoi qu’ils entendent par ce terme) dans des hôpitaux, enseignent dans des facultés, fonctionnent dans des institutions qui vont de l’école à l’usine, des centres de formation les plus divers aux séminaires les plus sélectionnés, et ils sont payés, mal en général mais payés tout de même pour ce faire [3]. Payés non pas par un individu mais par des représentants de la société : peut-on reprocher à ces derniers de vouloir se préserver des francs-tireurs ou des falsificateurs ? Surtout quand on pense avec raison que le « malade » (soit ce que le profane appelle toujours ainsi), ne peut, lui, avoir la possibilité de juger. Dès lors, la société, s’appuyant sur des modèles connus, posera la question du bien-fondé du « titre » : dans un premier temps, mal à l’aise face à l’obscurité de certaines définitions qui lui sont proposées, elle se contentera de renvoyer la responsabilité aux sociétés formatrices et les prendra comme garantes de l’habilitation de ce nouvel et étrange fonctionnaire, l’analyste. Dans un deuxième temps, plus désabusée ou se croyant plus avertie, ou devenue conjointement plus méfiante et plus « demandante », elle tentera de « planifier » le problème et envisagera la possibilité de « diplômes » ou de « statuts » sur lesquels elle pourra légiférer.

22Les sociétés psychanalytiques ainsi interpellées se verront motivées à répondre par trois raisons :

  • elles craignent tout autant les contrefaçons [4] et la dévalorisation de leurs « fonctionnaires » ;
  • elles craignent encore plus, et de façon amplement justifiée, l’immixtion de modèles hétérogènes dans les processus de formation ;
  • elles ne veulent pas, pour des raisons beaucoup plus ambiguës et contradictoires, porter le débat extra-muros : un certain désir d’ésotérisme n’est pas l’apanage des lacaniens.
Si la formation psychanalytique était superposable à une formation de type universitaire, la réponse ne poserait pas de difficulté. On pourrait envisager un enseignement qui, s’inspirant de Freud, traiterait en premier de son œuvre et ensuite des disciplines dont il conseillait aux analystes la connaissance [5]. Les sociétés psychanalytiques auraient comme seule fonction de superviser le savoir des élèves. C’est sans doute l’avis que donnerait un profane. Nous dirons pourquoi cela est impossible. Pour le moment, constatons les faits :
  • Les sociétés psychanalytiques ne peuvent plus faire la sourde oreille face à une société à laquelle elles sont de plus en plus intégrées. Ce que la société exige d’elles abolit cette extra territorialité qu’elles pourraient vouloir revendiquer. On ne peut conjointement se féliciter d’une reconnaissance qui était déjà le souhait, ambivalent sans doute, de Freud, et la déclarer nulle et non avenue. On doit avoir la lucidité d’en mesurer les conséquences et les dangers.
  • Personne ne peut soutenir que ce type d’institution est inutile : « L’analyste ne s’autorisant que de lui-même » est une formule édictée au sein d’une École qui proclame bien haut sa vocation formatrice, voire son utilité publique. La disparition de ces sociétés ne laisserait place qu’à deux solutions finalement identiques : ou bien le passage du pouvoir aux chaires universitaires, ou bien la réduction à néant de l’œuvre de Freud. Nous ne croyons pas, du reste, qu’une telle position soit soutenue sinon par quelques-uns qui, assurés de la pérennité des sociétés auxquelles ils appartiennent, peuvent se payer le luxe d’un défaitisme gratuit et d’une critique qu’ils savent sans suite.
Dès lors les sociétés psychanalytiques, en tant qu’organismes de formation, sont confrontées à une double contradiction qu’il est utile de reconnaître avant de dire si elle est surmontable et comment.

23D’une part, les processus d’habilitation qu’elles mettent en place, devenant, quand ils ne le sont déjà, la condition de la possibilité d’exercer, ne peuvent ignorer les pressions extérieures : or, ces mêmes processus devraient, en fait, témoigner du souci des « législateurs » de ne prendre en considération que ce qui met à l’abri l’expérience didactique de toute ingérence du pouvoir, d’où qu’elle vienne.

24D’autre part, tout en dénonçant l’erreur qui consisterait à façonner la formation analytique sur tout autre « modèle » existant (et donc, comme corollaire, de modeler une société psychanalytique en s’inspirant d’un autre type d’association), elles ne peuvent se passer de « modèles » sous peine de tomber dans l’anarchie et l’irresponsabilité absolue ou dans une oligarchie, voire une autocratie. Déléguant à quelques-uns ou à un seul le droit de légiférer, la société se conforterait ainsi de ce qu’elle ne saurait même plus avoir perdu : le droit d’être responsable de son destin.

25Cette double contradiction est à l’origine d’un malaise qui ne date pas d’aujourd’hui. Mais entre 1910 [6] et aujourd’hui, cinquante-neuf ans ont passé : n’aurions-nous, nous aussi, « rien appris et rien oublié » (l’oubli se manifestant comme cette nostalgie d’un temps premier trop facilement mythifié) ?

II – L’« intra-muros » : didactique ou transmission et formation

26Ces termes désignent pour tout analyste la raison d’être des sociétés psychanalytiques.

27Nous avons déjà défini ce que l’on entend par didactique. Le terme de « transmission », d’emploi plus récent dans notre langage, vise à isoler cet accès à un mode de connaissance coextensif d’une analyse. Il justifie l’exigence d’une analyse pour le futur psychanalyste. Mais il n’est pas exempt d’ambiguïté quand on veut définir l’objet à transmettre. En effet, l’analyste est-il supposé transmettre, comme en toute analyse, cette capacité et ce désir de s’analyser, sine qua non de toute cure qui ne fasse pas de la disparition du symptôme son seul critère de réussite, ou existerait-il, dans le cas de la didactique, un « en plus » et, si oui, comment l’isoler ?

28Quant au terme de « formation », il englobe la totalité des processus d’habilitation. Quelle que soit la terminologie choisie et les modalités d’application, on retrouvera, en fait, trois entités bien connues : la didactique, le contrôle, l’enseignement.

29Notre propos est de démontrer que la majeure partie des problèmes que soulève périodiquement tel ou tel point de la formation découle de, et renvoie à ce point névralgique qu’est la relation didactique ; contrairement à ce qu’on a pu prétendre, l’expérience montre que c’est en son champ que la « pureté » de l’analyse est le plus menacée, tout autant par les effets de ce que nous avons appelé l’extra-territorial que par les effets de ce phénomène super-territorial qui s’appelle transfert. Elle sera donc le thème central de nos réflexions.

a – Les partenaires en présence : l’analyste, le candidat, la société

30Que la « société » [7] en la personne de ses représentants projette d’emblée son ombre sur la rencontre est une évidence dont les effets secondaires sont à élucider. Le candidat, en formulant sa demande, opère, implicitement ou explicitement, un double choix : il choisit un analyste, il choisit un modèle de formation et donc de société — ce modèle étant ce que le discours de la société transmet comme sa théorie de la formation. Que le candidat adresse sa demande, selon une procédure bien définie, à un didacticien dont une liste est supposée garantir le savoir, ou à un analyste ne « s’autorisant que de lui-même », son choix implique une sorte d’option a priori, qui trouve ses motivations dans l’extra-territorial (le candidat, au moment où il formule sa demande, n’est pas plus en mesure de critiquer dans une perspective psychanalytique les standards s’inspirant de l’Association psychanalytique internationale (I.P.A.) que la « proposition » de J. Lacan) [8].

31Or, cette option, premier pas dans le parcours analytique, le conduit à se prononcer sur ce que notre théorie a de plus épineux : le problème de la formation.

32Il risque ainsi de se prendre au piège d’une théorisation dont la valeur lui paraîtra démontrée par l’importance numérique des membres de la société qui l’énonce. Encore vierge de toute possibilité de jugement fondé, il court le danger d’être ipso facto métabolisé en « l’élève » d’une société dont on lui demandera de défendre les intérêts (ou dont il croira devoir se faire l’avocat), avant même qu’il puisse se prononcer sur l’enjeu. La position d’élève renverra à celle de partisan.

33Si, dans la relation analytique (didactique ou personnelle), l’analyste prend imaginairement la place de cet Autre supposé savoir, et cela dès la première séance, dans le cas de la didactique, et de façon tout aussi immédiate, la société deviendra le champ de la projection — tout aussi imaginaire dans le rôle que lui fera jouer le candidat — d’une instance dernière garantissant (ou infirmant) le savoir de cet « Autre » choisi (l’analyste). Au « sujet supposé savoir » s’ajoute une « société supposée savoir » qui, selon les mouvements transférentiels en jeu, renforcera le lien transférentiel vis-à-vis de l’analyste ou le déplacera sur un autre registre ; dans les deux cas il deviendra beaucoup plus difficile de le démasquer.

34Mais que représente pour le candidat « la société » ? Il faut distinguer ici deux champs : celui d’une théorie sur la psyché (on pourra ainsi parler de sociétés freudiennes, jungiennes, adlériennes) et celui d’une théorie sur la méthode permettant d’avoir accès à ce que cette théorie enseigne [9]. C’est en fonction de ce qui se joue dans le second registre que les séparations se sont faites, en France, quitte ensuite à taxer d’antifreudiens les ex-collègues.

35La « société », de ce fait, va représenter pour le sujet tout autant le lieu où s’énonce la « bonne » interprétation de Freud que le lieu où s’édictent les « justes » règles qui, seules, en permettraient la transmission.

36Or, cette deuxième représentation ne renvoie plus à l’anonymat d’un sigle (S.P.P., A.P.F., E.F.P., Q.G.) [10] mais à ceux que la société choisit comme ses « représentants » et à qui elle délègue la fonction de faire appliquer ces justes règles. Ici, la projection imaginaire télescope un « pouvoir » qui a des assises dans la réalité, pouvoir et réalité auxquels le candidat aura à faire face et qui concernent au plus haut point son « didacticien » puisque c’est d’eux qu’il détient son investiture (quels que soient les modes d’investiture choisis). Cette « mise entre parenthèses du réel », adage bien connu des analystes, bute dès lors sur un réel qui risque toujours de faire dans la cure une effraction d’autant plus facile et d’autant plus pernicieuse que l’analyste risque, à son tour, de projeter sur ce même « réel » ses propres phantasmes, ses propres leurres.

37Nous montrerons pourquoi un des effets possibles de cette interréaction réel-imaginaire est de produire un « reste » qui échappe à l’opération transférentielle comme à son élucidation et sera la cause d’un point aveugle dans le champ le plus problématique pour l’agir de l’analyste : la relation pouvoir-savoir. Ce « reste », ce non-analysé qui devient du non-analysable n’est pas perdu pour autant : il va servir à cimenter une relation analyste-société (ou, pour mieux dire, analyste-représentants de la société) qui perpétuera, à l’abri de toute possibilité d’interprétation, la problématique transférentielle. Le danger que représente cette effraction, dont la responsabilité incombe au fonctionnement des sociétés, a été depuis longtemps dénoncé par les analystes. Les différentes solutions proposées démontrent le souci des législateurs de protéger le candidat de ce qu’on a, tour à tour, appelé « transfert latéral », « passage à l’acte », « fuite de l’analyse », ces termes désignant cette tendance propre au candidat de court-circuiter la « douleur de transférer » grâce aux voies que lui offrirait l’action, y compris et surtout, celle qui consiste à passer du divan au fauteuil. Ce souci n’a rien de critiquable, bien au contraire. Mais il ne faut pas qu’à son tour il serve à masquer les effets latéraux apparaissant du côté de l’analyste quand le demandeur d’analyse est conjointement un candidat-élève et donc un futur membre possible de la société à laquelle appartient l’analyste.

38Nous pensons que certains effets propres à la didactique, comme leurs conséquences sur le fonctionnement du groupe, sont avant tout le fait de l’analyste et de son investissement du champ didactique.

b – La didactique et ses avatars

39Avatar signifie métamorphose, changement. De façon erronée, et sans doute par association avec aventure, avarie, avanie, il est parfois employé pour désigner un accident de parcours, une aventure qui finit mal. Dans notre sous-titre, ce double sens pourrait être justifié. Nous avons déjà dit pourquoi l’investiture à la fonction didactique est toujours tributaire du code qui régit une société. Dire que cette fonction ne peut être attribuée que par le demandeur et que celui qui « didactise » ne peut que « s’auto-autoriser » n’infirme en rien le fait que cet édit ne peut être appliqué qu’à partir du moment où une société l’impose au nom de sa théorie sur la formation.

40C’est pourquoi l’on retrouvera toujours, présidant à l’ouverture de la partie didactique, l’instance du pouvoir. Dans la première partie de ce texte, nous avons déjà abordé la question de la vocation du candidat. Or la « vocation formatrice ou didactique », n’est-ce pas ce que toute institution psychanalytique est prête à inscrire dans ses statuts ?

41Mais de cette « vocation » qui sont les appelés ? La réponse pourrait paraître facile : ceux qui, dans une société, prouvent leur intérêt pour la formation (didacticiens, contrôleurs, enseignants). En fait, cette « vocation », pour des raisons cette fois intraterritoriales, peut être tout aussi surdéterminée et tout aussi ambiguë. Constatons, en premier lieu, que la formule « former un élève » désigne en général, pour l’analyste, la fonction didactique. Ce qui est confirmé par l’usage qui en est fait dans nos groupes : « l’élève » d’un tel est le titre qu’on y donne couramment à l’analysé de celui qu’on nomme, et non pas au « contrôlé » ou à 1’ « enseigné ». Usage révélateur et qui dévoile un des éléments en jeu dans la « vocation ». Ajoutons que si on a, avec raison, critiqué l’emploi fait parfois de l’adjectif « personnelle » pour différencier l’analyse dite telle de l’analyse didactique (toute analyse étant personnelle au plus haut point), l’adjectif de didactique, pris dans son sens littéral, pose la question de savoir si toute analyse ne comporte pas nécessairement une dimension didactique. La lecture des comptes rendus des analyses faites par Freud permettrait difficilement de le nier. Combien de fois ne le voit-on pas expliquer à l’analysé la texture du rêve, du phantasme, ou plus directement telle ou telle hypothèse théorique. Et quelles que soient les tendances plus modernes de notre technique, peut-on contester que l’analyse vise à donner, au sujet qui s’y soumet, accès à une connaissance sur son fonctionnement psychique ? Dans les deux cas, nous transmettrions donc un certain savoir sur un certain objet, la spécificité de cette « transmission » étant qu’elle ne peut se faire directement des textes (l’œuvre de Freud) au lecteur, mais exige cette expérimentation in vivo qui implique la présence d’un analyste.

42Paradoxalement, la psychanalyse se présente comme cette science [11] inventée par un « autodidacte » dont la théorie a comme premier postulat qu’il ne peut y avoir « d’autodidacte » dans son champ. L’auto-analyse de Freud, matrice d’où est née son œuvre, deviendra pour ses successeurs ce qu’ils ne peuvent atteindre, dans le meilleur des cas, qu’après une psychanalyse, au sens orthodoxe de ce terme.

43Ce qui peut paraître un paradoxe est pourtant l’évidence qu’impose notre théorie. Le premier bien que nous a légué Freud, c’est bien du côté du transfert qu’il se situe : l’auto-analyse, chez Freud, est cette démarche, cette exploration qui ne s’appuie sur aucun modèle théorique dont il ait pu disposer a priori. Dire que Fliess a joué pour Freud le rôle de l’analyste est une demi-vérité. S’il est vrai qu’il a pris pour Freud la place de cet interlocuteur absent et silencieux auquel il venait dire ce qu’il découvrait dans le labyrinthe de son propre inconscient, il est tout aussi vrai que Fliess n’a jamais rien compris quant au rôle qu’on lui imputait. Et c’est ce non-savoir, cette opacité qui a eu pour Freud fonction de dévoilement : l’Autre supposé savoir lui est peu à peu apparu dans sa nudité, il a découvert que ce « savoir » qu’il voulait lui faire assumer n’était rien d’autre que l’objet de son propre désir, que ce qu’il demandait à Fliess c’était de lui garantir un lieu où cet objet existait, où il n’y avait plus qu’à le retrouver. Quand il forcera le Silène à s’ouvrir, il y découvrira le bien le plus précieux : l’œuvre d’art qu’il avait lui-même lentement élaborée et il y reconnaîtra le transfert. Et du même coup, il saura qu’il vient de découvrir la voie par laquelle doit passer le sujet pour que l’ouverture du Silène ne débouche pas sur le vide, sur le rien.

44Cette démarche n’est plus en notre pouvoir. C’est d’elle que l’œuvre de Freud nous a dépossédés. Parce que la « voie » est devenue modèle (que ce soit de la première ou de la deuxième topique), parce que la démarche fondatrice est devenue texte, toute tentative d’auto-analyse (nous entendons : sans le préalable d’une analyse) buterait sur ce fait que, ne pouvant que répéter la démarche de Freud en utilisant le modèle offert, c’est Freud qui prendrait implicitement pour nous la place de Fliess.

45Son texte venant représenter l’Autre supposé savoir, ce dernier serait cloué dans le registre d’un savoir bien réel. L’ouverture du Silène deviendra synonyme de l’ouverture des textes : on y relira constamment l’auto-analyse de Freud et non la sienne propre. La connaissance est toujours en partie réinvention ; elle implique la nécessité d’une interrogation : si la connaissance psychanalytique est interrogation sur le désir, encore faut-il qu’existe un désir à interroger. Que veut-il ? La question que Freud adressait sans doute à Fliess, nous ne pouvons la faire nôtre que face à l’analyste, soit à un sujet grâce auquel nous pouvons croire que nous sommes l’objet de son désir. Le texte ne peut en prendre la place : nous pouvons l’utiliser pour interroger le désir de l’auteur, peut-être, mais ce désir désigne déjà dans le texte son objet : la réponse ne peut rien nous dire sur notre désir. Le texte n’est tel qu’à partir du moment où il se fait œuvre, partie détachée de l’auteur, comme telle autonome et qui s’offre comme objet façonné par un désir sur lequel le lecteur n’a plus aucun pouvoir.

46Ce qu’on pourrait appeler « le transfert au texte » ne peut devenir en lui-même objet d’analyse que s’il vient à être réinterrogé d’ailleurs : le rapport du sujet à l’écrit de Freud, à son savoir, à sa théorie ne pourra s’élucider que le jour où le sujet fera de ce rapport ce par quoi il tente le désir d’un autre sujet. C’est pourquoi, en ce champ, la position de Freud reste à double titre originelle : fondateur d’une théorie que nous avons fait nôtre, il est celui qui origine une transmission (et une lignée) qui ne peut passer que d’analyste à futur analysé. La place que tiennent, en ce cas, les textes (nous entendons ses écrits) est très particulière. Entre le texte, comme savoir, et son application, soit ce qui fait entrer ce savoir dans le champ de l’action, ce qui peut en réaliser les visées, s’interpose ce « praticien » particulier qu’est l’analyste (et donc l’expérience d’une psychanalyse).

47Lire, comprendre, connaître l’œuvre de Freud n’exige pas, bien entendu, le préalable d’une analyse ; mais le rapport du sujet à cette connaissance ne sera pas le même dans les deux cas, car pour que cette connaissance devienne l’outil grâce auquel le « connaissant » puisse se prendre comme objet à connaître, pour qu’il puisse savoir ce qu’il attend « en vérité » de cet outil, à quel désir il répond, ce troisième terme qu’est l’analyste devient nécessaire. Dès lors, le praticien loin de jouer un rôle secondaire par rapport au texte qu’il sert, devient ce qui seul peut lui redonner sa puissance d’acte.

48C’est pourquoi c’est une grave erreur de vouloir différencier l’analyste-praticien de l’analyste tout court. Ce dernier titre ne peut s’appliquer qu’à celui qui assume la responsabilité d’une méthode et donc d’une pratique qui, seules, peuvent faire passer le savoir que nous a légué Freud du champ de l’exégèse, de la pure théorie, à celui de la praxis qui lui est spécifique. Ce passage partagera, à juste titre, les interprètes de Freud en deux catégories : ceux qui interrogent son œuvre, et qui peuvent avoir droit au titre de théoricien, et ceux qui la pratiquent, soit les analystes, pour lesquels activité théorique et activité pratique ne peuvent être disjointes. Si ces derniers sont aussi susceptibles sur ce qui touche à l’interprétation des textes de Freud, c’est qu’ils savent que c’est justement là le point où s’opère pour eux la jonction. L’interprétation du texte qu’opère l’analyste (qu’il s’agisse du texte de Freud ou du texte de son propre discours inconscient) est ce par quoi il justifiera sa méthode, de même que celle-ci devra, en miroir, prouver dans ses effets le bien-fondé d’une interprétation qui réfère l’analyste à sa subjectivité, à sa pratique, à son interprétation.

49Freudien parmi les freudiens, lacanien parmi les lacaniens, disciple parmi d’autres disciples, l’analyste (interprète à double titre), héritier, dans le champ de la théorie, d’un bien commun qu’il a à partager avec l’ensemble de ses pairs, revendiquera par contre sa « singularité » (soit ce qui lui permet d’être en son nom propre transmission du texte) dans le champ où il se retrouve confronté à sa solitude : l’acte analytique.

50Les effets de la singularité de son interprétation, c’est en ce champ qu’il pourra les éprouver, en reconnaître la paternité, en faire « son » œuvre. C’est dans le registre de l’action (et l’analyse en fait bien partie) que l’analyste s’assume comme l’interprète : interprète des textes de Freud et interprète de ce que l’analysé demande à ces textes.

51Cette « singularité » de l’écoute et de l’interprétation qui fait de l’analyste non pas le nième exemplaire d’un mode d’emploi reproduit ad libitum mais celui qui, de la méthode qu’il applique se veut seul garant et dépositaire, rôles auxquels il ne peut prétendre pour ce qui est des textes ; c’est là le « bien » qui ne peut se transmettre que de bouche à oreille, qui ne peut se transmettre qu’à celui dont le projet est de devenir analyste à son tour, soit le candidat. Cet « en plus » à transmettre, propre à la relation didactique, a donc affaire à ce qui, dans la psychanalyse, est du registre de l’agir, soit d’une praxis et non du seul savoir.

52Mais cet « en plus » dévoile facilement l’aporie qu’il convoie : vouloir transmettre le « singulier » de son interprétation, de son agir, de son style, c’est dénier au candidat le droit à sa « singularité ».

53La cause du majeur avatar qui menace le didacticien confronté à cette aporie, c’est la tentation qu’il peut éprouver de mettre sa méthode, son interprétation à la place du texte. Le candidat ne sera plus référé aux fondements d’une théorie à expérimenter, à enrichir, à réinterpréter ; ce qui lui sera demandé, c’est, au contraire, de consolider la permutation opérée. La théorie se verra assujettie à la méthode et celle-ci ne pourra en usurper la place qu’en dénonçant comme contraire à l’orthodoxie toute réinterprétation, toute réélaboration. En effet, la moindre atteinte à cette dernière met immédiatement fin à la possibilité, pour l’analyste, de perpétuer sa lignée. Que la singularité du candidat devenu analyste réapparaisse et le didacticien sentira ipso facto sa « filiation » mise en danger. Or, cette « singularité » n’est pas un luxe, un accessoire facultatif, mais bien ce qui témoigne conjointement de l’intérêt au sens fort que l’analyste porte aux textes et de son accès à une connaissance (et ici il faudrait vraiment entendre ce terme comme « renaître avec ») qui l’engage au plus profond de lui-même.

54Quand cette voie devient interdite, nous assistons à ce mécanisme que Freud décrit fort bien à propos du deuil. La transformation d’une méthode en texte, pour les raisons dites, ferme au sujet l’accès au savoir : car cet accès implique et exige, non pas l’assurance, hélas, mais la possibilité d’un dépassement, d’une transgression nouvelle.

55La reprise d’un discours qui, à l’opposé, ne peut soutenir les emblèmes dont il se pare qu’en se préservant de toute mise en question possible, prive l’analysé de l’objet pouvant supporter son désir de savoir. Ce qui lui est offert, c’est un « connu » et non un « à connaître » et un connu qui se veut exhaustif : face à ce deuil, le sujet régressera et s’identifiera à l’objet perdu. Dans le cas qui nous intéresse, nous assisterons à l’identification du candidat à l’auteur du mode d’emploi, un mouvement régressif prendra la place de ce qui aurait pu devenir une invitation à la transgression et à la connaissance. La didactique se transforme en endoctrinement, la doctrine en dogme, l’analyste en messie.

56Or, cette tentation est d’autant plus agissante qu’elle risque de satisfaire tout autant le désir de l’analyste que celui de l’analysé. Ce qui caractérise le champ analytique, cet espace où s’accomplit une analyse, c’est que, même si l’analysé l’ignore, les deux partenaires visent un même but : démasquer ce qu’il en est du désir. Mais alors que l’analysé se posera la question du désir de l’analyste, voudra se faire objet de la réponse et ne pourra démasquer le sien propre que parce que, à chaque fois, il aura à reconnaître que l’objet du désir de l’analyste est autre et ailleurs, l’analyste se posera la question de ce que désire l’analysé, de l’objet phantasmatique qu’il poursuit ; qu’il vienne à proposer à l’analysé un objet « réel » pour fixer son désir, et la quête tournera court, le phantasme se terrera à nouveau dans l’inconscient, l’analyste aura l’illusion d’avoir déchiffré l’énigme de l’autre alors qu’il n’aura fait que lire dans un miroir le message de son propre désir. L’analysé aura l’illusion d’avoir eu accès à une connaissance alors qu’il n’aura été que l’écho fidèle d’un message traduisant un désir qui n’est pas le sien. Les deux se seront laissés prendre au piège du transfert :

  • L’analyste didacticien, parce qu’il n’aura pas su démasquer à temps ce qu’il en était de son désir de « formateur », ce qu’il charriait avec lui de récupération narcissique, de satisfaction libidinale, de phantasme de maîtrise (l’élève, n’est-ce pas celui qui, seul, peut lui permettre, tout en respectant apparemment la déontologie qui est la nôtre, d’être le bénéficiaire d’un transfert, fort lourd à supporter quand on sait que nous n’avons à en attendre qu’un effet d’ouverture pour le sujet et à son seul profit ?).
  • L’analysé, plus excusable parce qu’il aura été induit à reparcourir une voie qu’il connaît bien pour l’avoir répétitive- ment choisie : l’idéalisation lui a toujours paru plus accessible que la sublimation, transférer sur les épaules d’un autre la responsabilité du désir plus facile qu’être seul responsable du choix, l’illusion plus humaine que la vérité.
Nous voyons ainsi la permutation entre pratique et texte en entraîner une seconde : ce n’est plus la théorie freudienne qui s’emploie à l’élucidation du transfert, mais le transfert qui se mettra au service d’un assujettissement théorique. Chaque fois que l’analyste, fut-ce à son insu, se sert du pouvoir que lui offre le transfert pour consolider son emprise théorique ; il ampute du champ de l’analysable une zone qui se trouvera annexée à son propre champ libidinal. S’il est vrai que la fonction de l’analyste l’invite à se servir de l’analyse du transfert pour permettre au sujet le déchiffrage du désir inconscient, ce déchiffrage exige que tout ce qui, dans le discours, apparaît comme effet de transfert puisse être retourné à l’envoyeur. C’est sur cette voie inversée, reparcourue par le message, que l’interprétation pourra se faire.

57Toutes les fois que l’analyste se pose comme destinataire réel et de droit de l’offre ou de l’une de ses parties, il empêche ce mouvement de retour, il fixe le message, il rend impossible pour l’analysé et pour lui-même cette lecture deuxième qui est l’interprétation. Dans le champ de l’imaginaire où se déploie le transfert, se constitue ainsi une enclave qui sera abusivement justifiée par les deux partenaires en fonction de son appartenance à un « réel » et comme telle à l’abri de l’action interprétative.

58Tout ce qui, par la ruse de transfert, sera formulé par le candidat comme s’adressant à l’analyste en tant qu’incarnation de ce savoir, de ce modèle, de cette maîtrise qu’on lui impute et tout ce qui, de la part de l’analyste, viendra y répondre par un accusé de réception témoignant de la prime de plaisir qu’il y trouve, seront dès lors définis comme dialogue extra-transférentiel, « réelle » (et justifiée, bien sûr !) reconnaissance du savoir de l’un, « réelle » (et tout aussi justifiée !) appréciation de l’aptitude à analyser de l’autre.

59Pour préserver cette enclave, candidat et analyste vont se trouver confrontés à une tâche bien difficile : la mettre hors de portée de toute pulsion agressive. Cet exploit, et c’en est un quand on sait ce qu’une psychanalyse mobilise d’énergie dans le champ pulsionnel, sera atteint par deux voies :

60— Ou bien, par un contrat tacite, tout ce qui a trait à la pratique sera d’emblée considéré comme l’intouchable, ce qui est à exclure de l’analysable du discours (comme conséquence se trouvera tout aussi exclu ce qui touche au plus près ce désir d’être analyste, qui dans une didactique constitue le point de résistance majeure).

61L’agressivité ressentie comme particulièrement dangereuse par le candidat qui craindra la violence de la rétorsion et tout aussi crainte par l’analyste, qui se sentira mis en cause dans son être même, sera pour une bonne partie déviée dans l’extra-analytique et on la retrouvera comme ciment des clans, des coteries, des rivalités intra- et intersociétés. Si ce débouché se ferme, si cette déviation se trouve impraticable, on verra l’agressivité faire irruption dans l’enclave même et on assistera à une rupture dramatique de la relation analytique (ce qui prouve ce que nous disions sur le non-analysable de l’enclave : l’agressivité ne peut plus qu’être agie, la parole n’a plus de place).

62— Ou bien, deuxième voie possible, s’établira un statu quo « interminable » comme l’analyse du même nom. La relation didactique — tacitement assurée de sa pérennité — pourra se permettre le luxe d’une fausse mise en question d’elle-même. Dans ce cas, c’est en un sens la totalité du champ qui se fait enclave : enclave soumise à la pesanteur et à l’opacité d’une relation aliénante et inanalysable car les deux partenaires la justifieront par ce paradoxe (et cette absurdité) extrême : la relation didactique et sa « pureté » impliquent un transfert de travail (à entendre comme transfert théorique) qui, par on ne sait quel miracle, serait, lui, pur de toute scorie transférentielle. Encore une fois, ce « réel », à juste titre mis toujours en question par l’analyste, est ici appelé à l’aide, il est réintroduit dans le champ didactique, il servira de label de garantie au nouveau « freudien » ou au nouveau « freudisme » ; grâce à quoi l’analyste deviendra pour le candidat cet Autre de lui-même auquel il délègue le soin d’être sujet d’une énonciation dont il n’est plus que l’écho de l’énoncé.

63On a parfois, à propos du psychotique, parlé de « psychothérapie de soutien » sans trop savoir du reste qui ou quoi on est supposé soutenir. Dans le cas présent, nous proposerions volontiers le terme de « didactique de soutien » puisqu’ici, pour le moins, on peut dire ce qu’il s’agit de soutenir pour les deux partenaires. Le candidat soutient la visée de pouvoir de l’analyste, l’analyste le désir que le candidat a, une fois pour toutes, aliéné à son profit.

64Si nous avons longuement analysé ce qui est en cause dans ce type d’avatar, c’est que nous sommes ici confrontés à ce que peut sécréter la relation analytique indépendamment de tout autre facteur [12].

65Si n’existait pas ce glissement induit par la relation didactique en tant que telle, les facteurs extrinsèques découlant de l’insertion de la didactique dans les paramètres d’une société, à laquelle appartient l’un et à laquelle l’autre demande à appartenir, seraient de peu de poids. A l’opposé, si n’existaient pas ces facteurs hétérogènes, si le pouvoir qu’exerce une société n’interférait pas à son tour dans les paramètres de l’expérience didactique, le glissement sus-indiqué serait un peu moins difficile à éviter.

66Ce qui se passe, de fait, c’est une induction réciproque ayant comme effet l’exacerbation d’un conflit où s’affrontent des intérêts fort divers. Pouvoir de la psychanalyse, pouvoir de la société, pouvoir du psychanalyste, c’est une étrange lutte de prestige qui vient ainsi déchirer le champ où se déroule notre action, jusqu’à la dénaturer, avec ou sans notre complicité. Or, ces trois pouvoirs ne sont pas homogènes et ne peuvent pas être groupés sous une même rubrique. Par pouvoir de la psychanalyse, le plus facile à définir, on ne peut que désigner son action sur la psyché. Il est en son pouvoir d’en remobiliser l’énergie, d’agir sur les sources mêmes de son fonctionnement. Le pouvoir renvoie dans ce cas, à juste titre, au concept de savoir : il en désigne l’effet possible.

67Il en va différemment dans les deux autres registres, même si, là encore, c’est le savoir qui est invoqué comme justification. Pour ce qui est du pouvoir de la société, nous en avons esquissé les données dans notre première partie : il préside au choix d’une option sur la formation qui s’énoncera comme processus d’habilitation. Au nom du savoir, de l’expérience, de l’exacte interprétation du discours freudien, qualités imputées à ses dirigeants, la société imposera un modèle d’où découlera directement le système de fonctionnement nécessaire à faire respecter son application. Nous avons qualifié ce pouvoir de théorico-pratique : en effet, nous le verrons toujours être référé à une théorie, et plus précisément à une « théorie de la didactique » prônée par le ou les législateurs. Par ailleurs, on ne doit pas oublier que cette option « théorique » a un impact direct sur le pouvoir pratique : elle légifère de fait sur l’accession au titre de psychanalyste ; elle est supposée le défendre contre les usurpations, en garantir le bien-fondé. Nous avons déjà dit que c’est là un pouvoir que les sociétés de psychanalyse ne peuvent refuser d’exercer ; il s’agit de voir si c’est au service de la psychanalyse ou à celui des psychanalystes.

68C’est en ce point qu’intervient le troisième facteur : le pouvoir du psychanalyste, en tant que représentant choisi par la société, auquel elle délègue l’exercice de son propre pouvoir. Cette délégation, comme ce choix, deviendront le plus souvent les enjeux d’une lutte de prestige, lutte dans laquelle paraît se dissoudre, de façon aussi totale que désespérante, ce savoir sur la psyché qui devrait être notre bien.

69Cette dissolution inquiétante s’opère au sein même de la fonction psychanalytique : l’analyste exerçant dans son fauteuil et l’analyste exerçant au sein d’une société psychanalytique en tant que représentant de son pouvoir, de son idéal, de sa théorie fonctionnent dans les deux cas au nom de la psychanalyse et en tant que psychanalystes. Le clivage qui apparaît entre discours et acte dans l’exercice de la fonction « sociale » ne peut être sans effet dans l’exercice de la fonction « psychanalytique ». En d’autres termes, le clivage n’est pas entre deux faces de la fonction psychanalytique mais au sein même de chacune d’elles : le didacticien analysera au nom de la vérité d’une théorie mais à l’arrière-plan visera à défendre le système qui lui assure ses emblèmes de « fonctionnaire » ; le « fonctionnaire » se voudra défenseur désintéressé d’un système théorique mais, à l’arrière-plan, il visera à assurer l’intouchabilité de son pouvoir de « didacticien », il voudra préserver le prestige que confère le nombre d’élèves formés, l’auréole qu’offre, dans notre champ, le titre de théoricien, bref, il visera la défense d’une pratique qu’il veut protéger d’une mise en question (qui serait, de fait, sa mise en question).

70Il est facile de voir ce qui, dans le système des sociétés tel qu’il est généralement appliqué, favorise ce double clivage. L’institutionalisation d’une hiérarchie, la multiplication des « examens de passage » (sélection, accès au contrôle, accès au titre) qui ont comme conséquence la multiplication des pouvoirs et la délégation aux représentants de la société d’une responsabilité dont le candidat se trouve à chaque fois amputé : le télescopage à certains points du parcours entre celui qui analyse et celui qui juge un même sujet, tous ces facteurs ne peuvent que contribuer à renforcer les dangers que nous dénoncions plus haut. Mais avant de dire pourquoi ceux qui ont critiqué avec le plus de pertinence cet état de choses ont à leur tour buté sur des écueils tout aussi graves, il faut s’interroger sur le sens auquel renvoie cet énoncé si souvent invoqué d’une « théorie de la didactique » ou d’un « faire la théorie de la didactique » qui a été, et reste, pour une école, le blason proposé à ses adhérents.

71Nous rappelions plus haut que, dans l’aire psychanalytique française, les scissions ont toujours été motivées par des dissensions quant aux règles de formation et par la critique de ce qui en résulte sur le plan du pouvoir et sur la hiérarchisation qu’elles entraînaient dans le système des sociétés. Ajoutons que les regroupements qui en ont résulté ont toujours pris comme référence une « théorie de la cure » au nom de laquelle est dénoncé comme écueil ce qui, par d’autres, est défini comme condition nécessaire et positive.

72La première question est de savoir si parler de « théorie de la didactique » ne renvoie pas à un découpage arbitraire favorisant l’alibi grâce auquel l’analyse propose comme visée de savoir ce qui est, de fait, une visée de pouvoir. Le cas échéant, la « théorie de la didactique » n’est plus qu’un abus de langage ouvrant la voie à une série d’abus dans d’autres registres.

73Notre réponse va faire appel à l’œuvre de Freud et au seul capital théorique qu’il nous ait légué. Sa théorie — nous nous excusons de la répétition — propose conjointement un modèle de la structure psychique, et la méthode de son exploration, méthode qui fait de l’analyse du transfert sa voie royale.

74Si le modèle illustre les éléments universels propres à la structure de la psyché, la méthode, ce que nous appelons la théorie de la cure, nous confronte dans chaque cas à une combinatoire singulière de ces éléments premiers. Cette singularité qui faisait parler à Freud de « choix » — de la névrose mais aussi plus généralement de tout type de défense — est l’énigme qui s’offre à l’interprétation.

75Notre action vise à offrir au sujet la possibilité d’en retrouver les causes inconscientes et subjectives afin de transformer en histoire dont il est l’auteur ce qui était jusque-là exclu du champ de son savoir et du champ de sa maîtrise. L’élucidation du sens à chaque fois à retrouver de cette combinatoire est ce que nous visons à atteindre par l’analyse du modèle transférentiel propre à ce sujet face à cet analyste.

76Au-delà d’une nosologie qui ne s’appuie que sur une description symptomatique, la clinique psychanalytique, si ce terme veut avoir un sens, devra ainsi isoler une série d’entités définies justement par des modèles transférentiels.

77Ce à quoi renvoie l’agir de l’analyste est donc à une théorie de la cure qui, seule, peut permettre de dégager dans chaque cas le spécifique et le non-superposable. En paraphrasant ce que nous avancions à propos de la structure, nous dirons que Freud nous a légué les éléments universels d’une théorie du « psychanalyser » et que cette théorie nous prouve que, même dans le cas de diagnostics identiques, il existe des modalités spécifiques du vécu transférentiel. Si par « théorie de la didactique » on veut simplement pointer pour l’analyste l’intérêt que sollicite l’étude d’un type de défense plus particulièrement favorisé par la position de « candidat » de l’analysé, nous pensons que c’est là un rappel fort utile, mais le terme de « théorie » nous paraît ambitieux et ambigu. En effet, il s’agit, dès lors, pour l’analyste de réfléchir à ce que la théorie de la cure lui permet de mettre en lumière, comme effet découlant d’une demande qui prend « l’analyse » comme objet et qui risque, de ce fait, d’induire chez l’analyste un type particulier de surdité.

78Si, à l’opposé, par le moyen d’une « théorie de la didactique » on veut hiérarchiser un secteur de la théorie de la cure jusqu’à lui en faire prendre la place et inverser l’ordre de préséance (soit prétendre que la théorie de la cure n’est qu’une application de la première), nous pensons qu’il faut dénoncer un tel procédé.

79En effet, pour que cet énoncé ait une justification théorique, il faudrait préalablement démontrer la vérité des trois postulats suivants :

  1. La relation transférentielle vécue par le candidat devrait être différente de celle de tout autre analysé, ce qui, implicitement, reviendrait à postuler l’existence d’un « choix » structural ou symptomatique spécifique aux candidats et partagé par tous (nous aurions là une sorte de nouvelle entité clinique : on pourrait ainsi parler d’hystérique, d’obsessionnel, etc., de candidat).
  2. Il faudrait prouver que l’analyste « didactisant » ne peut trouver dans la « théorie de la cure » les éléments lui permettant d’entendre ce qui est en jeu dans ce cas ; si cela était, il ne s’agirait pas de faire une théorie de la didactique mais de réinterroger la théorie psychanalytique. La surdité partielle dont serait atteint l’analyste, on la retrouverait à l’œuvre dans la totalité de son champ d’activité.
  3. Il faudrait démontrer que chaque fois que celui qui s’étend sur le divan se présente comme un « candidat », le « style » de l’analyse doit être infléchi de façon particulière ; ce qui contredirait l’effort louable qui a été fait par beaucoup pour réintégrer la didactique dans le champ de la cure psychanalytique au sens propre (réintégration qui, seule, peut redonner son sens à la didactique).
Nous pensons que ces postulats dénoncent eux-mêmes leur absurdité et prouvent que les avocats d’une telle position profitent de la confusion qui s’opère pour beaucoup entre ce qui est du registre du fonctionnement et ce qui est du registre de la théorie. Nous illustrerons cela par deux exemples : Jusqu’en 1963, les deux sociétés existantes en France adoptaient le principe d’une « liste » de didacticiens. Ce principe n’a jamais été appliqué au nom d’une « théorie de la didactique » mais en fonction de considérations qui faisaient appel aux concepts d’expérience, de responsabilité, de connaissance de l’œuvre de Freud, etc., soit en fonction de raisons que nous pourrions appeler pratiques ou expérimentales. Parce qu’on pensait que le didacticien peut être le point de départ d’une « lignée » d’analystes et qu’il a donc une responsabilité particulière dans la défense de la théorie freudienne et de son application, on en concluait que cette responsabilité devait être le lot de ceux qui avaient déjà fait leurs preuves dans la pratique analytique. Les critiques justifiées qui ont été faites à ce principe faisaient à leur tour appel au même ordre de raisons, soit que l’expérience montre que la liste servait le plus souvent à préserver la hiérarchie, que les preuves « examinatoires » que l’on demandait au futur didacticien étaient souvent critiquables. — Un autre exemple nous est fourni par les attitudes différentes face à la « sélection ». Ici encore les deux parties se réfèrent soit à l’expérience, soit à des concepts théoriques généraux. La position des défenseurs de la sélection peut se résumer ainsi :
  1. Le candidat qui commence une cure à visée didactique engage d’emblée la responsabilité de la société.
  2. La situation « élève en didactique » peut déjà être monnayée dans des enjeux professionnels.
  3. Le sujet une fois engagé dans cette procédure risque d’échapper aux autres mesures de contrôle en les remettant toujours à plus tard.
  4. Enfin, la théorie psychanalytique apprend qu’il existe des structures particulièrement rétives à l’action de la cure, d’où l’intérêt de les débusquer au plus tôt.
A quoi les opposants — dont nous sommes —, répondront que, de fait, le « oui » de la sélection institutionalise d’emblée, au nom de la société, comme didactique une analyse dont on ne pourra dire que bien plus tard quelle fin elle visait ; que, quelques cas extrêmes exceptés, la théorie psychanalytique nous invite à nous méfier des jugements hâtifs sur ce que pourra être la réponse du sujet à l’action de la cure.

80Ici encore, ce qui est en question est l’idée que l’on se fait de la fonction de la société et des effets que ses interventions peuvent avoir sur le cours d’une analyse, exactement de la même façon qu’on s’est posé et se pose la question des conséquences que pourrait avoir sur toute analyse l’intervention de la Sécurité sociale ou d’un quelconque organisme officiel. Ce qui est en cause, c’est la théorie psychanalytique et non une hypothétique théorie de la didactique.

81Dès lors, une conclusion nous paraît s’imposer : ou bien nous sommes en présence d’un abus de langage et la formule « théorie de la didactique » n’est employée que comme synonyme d’une « réflexion sur la formation », cette dernière formule englobant cet ensemble de règles, de suggestions, de recherches que toute société freudienne, à partir de la théorie de la cure, propose comme les plus aptes à empêcher que la didactique puisse sortir des paramètres propres à une cure psychanalytique. Dans ce cas, le projet de « faire une théorie de la didactique » renvoie de façon précise à une réflexion analytique, fort difficile et fort nécessaire, sur ce qu’est, ou devrait être, une société de psychanalyse et sur les motivations propres à ses représentants. Ou bien ce projet revendique une visée plus ambitieuse, se proclame point ultime d’un savoir de la théorie sur la théorie, et il devient le leurre grâce auquel est laissée dans l’ombre toute réflexion sur la formation ou toute réflexion sur les sociétés psychanalytiques, que l’on considère sans doute des thèmes un peu trop explosifs.

82Il est intéressant de constater de quelle façon les conflits intersociétés ou intrasociété ont joué sur cette confusion possible. Chaque fois que le processus de formation est mis en question, on verra ses défenseurs le transformer tout d’un coup en tenant lieu de théorie psychanalytique et taxer les attaquants d’hérétiques : ces derniers, à leur tour, s’appliqueront à démontrer qu’il ne s’agit point de positions théoriques mais bien de convenances pratiques. Les critiques justifiées qui avaient été ainsi faites par Lacan et ses élèves sur le conformisme et la bureaucratisation qu’induisait l’instance internationale visaient à prouver que certains des édits de cette instance ne s’appuyaient sur aucun postulat théorique mais servaient à perpétuer un fonctionnement qu’on ne voulait pas remettre en question pour des raisons de pure convenance personnelle.

83Malheureusement, l’expérience qui a été la nôtre dans l’école freudienne de Paris nous a montré que la ruse du pouvoir comme la ruse de l’aliénation n’ont rien à envier à celle de la raison : elles mettent tout autant en marche un engrenage dont la force irrépressible produira inéluctablement ce qui était leur visée ultime. Dans notre préambule, nous rendions hommage à ce qu’a signifié pour nous l’apport de la théorie de J. Lacan ; ce que nous devions à la lucidité qui avait été la sienne lorsqu’il pointait les pièges où s’enferrait le psychanalyste ; nous rappelions l’espoir justifié qui pouvait en résulter pour ceux qui s’intéressaient à l’avenir de la psychanalyse… et nous nous interrogions sur la raison de ce que nous qualifions d’échec.

84C’est à cette interrogation que nous allons répondre. Il ne s’agit pas de polémique mais de mettre en lumière les contradictions et les erreurs que nous rencontrons dans le processus d’habilitation au titre de psychanalyste qu’a choisi l’École freudienne de Paris en votant la « Proposition du 7 octobre 1967 » de J. Lacan [13]. Si l’on considère l’importance de cette école, le rôle de Lacan dans l’aire psychanalytique française, il est évident que les actes de son école engagent lourdement le destin de la psychanalyse ; parce qu’elle forme, en effet, un nombre considérable d’analystes, elle pose à tout analyste la question de ce qui risque d’en résulter, à brève échéance, pour le modèle qui définira pour une bonne partie des futurs candidats, ce qu’est un psychanalyste, quelle est la fonction qu’il a à assumer.

85Rabâcher les historiettes racontées sur les originalités de Lacan, voire sur les aléas de sa personnalité, paraît surtout permettre aux partisans et aux détracteurs de se cacher mutuellement l’essentiel d’un problème qui les concerne au même titre : les effets de toute théorisation quand elle veut se faire dogme, la violence ainsi faite à la vérité au profit des énonçants, quel que soit l’énoncé choisi.

86L’école fondée par J. Lacan en 1963, en cela pareille à toute association de psychanalystes, regroupait un certain nombre d’analystes (dont nous-même) qui avaient en commun une double option : dans le registre de la théorie, ils reconnaissaient la valeur de l’interprétation de Freud qu’apportait Lacan et l’importance de ce que sa théorie permettait comme avancée ; dans le registre de la formation ils adhéraient aux critiques formulées par Lacan et pensaient possible l’application d’un modèle de formation qui sache éviter les impasses dénoncées.

87Ce modèle, supposé au service de la psychanalyse, n’était pas une vaine utopie : la théorie de J. Lacan mettait en avant un postulat qui permettait, ou qui aurait dû permettre, d’ouvrir la voie à une application nouvelle du fonctionnement d’une société psychanalytique. Ce postulat, auquel nous faisons référence et dont Lacan avait démontré la vérité de façon exemplaire, était que le nœud de l’analyse didactique (nous entendons ce point de majeure résistance dont le dépassement peut seul permettre l’achèvement d’une psychanalyse) est l’élucidation du désir d’être analyste (ou du désir de l’analyste), qui risque toujours de jouer la fonction d’un écran sur lequel se projetterait comme effet de transfert ce qui est en réalité « effet de l’analyste » (ce qu’on appelle contre-transfert) et vice versa. Connaître l’objet du désir de l’analyste, ce qui motive son agir, telle est la question que toute analyse renouvelle pour l’analyste et que toute didactique fait surgir pour le candidat comme point dernier de l’analysable. D’où, en pratique, la mise en garde contre toute ingérence extérieure de la part de la société qui, décidant au nom du candidat, viendrait court-circuiter l’analyse de son désir, pour ne statuer que sur la série des demandes qu’il lui adresse.

88Mais, dès ce moment, un deuxième postulat était avancé par Lacan, sa contradiction avec le premier s’est dévoilée progressivement dans le fonctionnement même de l’Ecole freudienne de Paris. Ce deuxième postulat est celui de la « pureté de la didactique ». Cette qualification, ambiguë, mérite réflexion car elle autorise deux interprétations. Nous l’avions entendu, et nous continuons à l’entendre comme ce qui spécifie la visée essentielle du projet du didacticien : mener aussi loin que faire se peut l’analyse du désir inconscient en profitant au maximum du rapport reliant, dans ce cas, objet de demande et objet de désir.

89En effet, pour le candidat il existe d’emblée une équivalence entre ce qui est objet de sa demande (devenir analyste) et ce qui peut être objet de son désir. Ce télescopage, source de bien de difficultés, sur un point nous paraît positif : alors que, dans ce qu’on appelle une analyse thérapeutique, la satisfaction que peut y trouver la demande (par exemple la disparition du symptôme, ou l’accès à tel ou tel succès sexuel ou professionnel) risque toujours d’être assimilé par l’analysé à une réponse adéquate à son désir et peut devenir ainsi la raison d’un arrêt de la cure, dans le cas d’une didactique, la demande renvoie directement le candidat à la question de son désir d’analyse. Sur ce plan, il ne peut y avoir (ou il ne devrait y avoir) de réponses partielles possibles : le projet que soutient la demande du candidat le réfère d’emblée à un désir d’analyse (de s’analyser, d’analyser) qu’il devra reconnaître comme objet de sa demande. Et, puisque cet « objet », ou pour mieux dire sa poursuite, dépend de l’analyse de son propre désir inconscient, s’ouvrira (tout au moins cela devrait être possible) pour lui cet accès à une demande de savoir qui prend l’inconnu de son désir comme objet. Cette ouverture n’est pas spécifique de la didactique, mais nous pensons que c’est dans cette relation qu’elle devrait pouvoir se libérer le plus des scories qu’elle porte en elle : c’est en son champ qu’elle devrait le mieux pouvoir être exempte du poids de ces bénéfices secondaires qui peuvent finir par prendre la première place et infléchir la trajectoire d’un mouvement qui avait pour but le déchiffrement de la psyché.

90Cela dit, revenons à ce deuxième postulat de J. Lacan et à l’ambiguïté du qualificatif par lui choisi : ambiguïté car, dans le contexte où il le pose [14] (l’acte de fondation), il institue d’emblée la didactique comme ultime (et nous ajouterions volontiers : comme seul) exploit. Et ce n’est pas par hasard que nous choisissons ce terme. Dès lors non seulement est réinstaurée une hiérarchie de valeurs mais, fait beaucoup plus grave, cette hiérarchie ne vise plus simplement le gradus analytique mais l’acte analytique. Entre le premier et le deuxième postulat apparaît une nette antinomie (la « proposition » qui vise à la résoudre ne fait que témoigner de son irréductibilité) ; en effet, alors que le premier dénonçait le désir de l’analyste, ou le désir d’analyse, comme l’ultime refuge où pouvait se barricader un « reste » échappant à l’analyse, point ultime toujours à réinterroger, le deuxième oublie les implications qui en découlent pour l’analyste et pour la cure et fait du « didactiser » l’emblème dernier offert par la société comme prime à ses meilleurs. Par cette seule phrase : « Il n’y a d’analyse pure que la didactique », s’annonce déjà la faille par où vont s’introduire les excès qui suivront.

91En effet, cette hiérarchisation de l’acte psychanalytique sera entendue comme un jugement porté sur une praxis qui a toujours été et ne pourra jamais être que théorico-clinique.

92Si la didactique est définie comme « l’analyse pure », il est difficile de reprocher aux adeptes de ce principe d’en tirer une deuxième conclusion : soit que toute analyse à visée non didactique n’est qu’un sous-produit, un à-peu-près d’où il s’ensuivra un mépris à peine voilé pour le champ clinique.

93Cette hiérarchisation de la didactique nous conduit à une deuxième contradiction : en effet, soutenir cette position impliquerait qu’on puisse en justifier les fondements théoriques. Or, le postulat d’une « théorie de la didactique » tel que l’énonce Lacan est ce qui vient justifier, après coup, le bien-fondé de la hiérarchisation instituée. Ce que l’École freudienne de Paris propose, et de façon officielle, ce n’est pas une théorie mais une invitation à la faire ! [15].

94Et c’est au nom de cette hypothétique théorie à venir que seront imposés les rouages du système mis en place. On se trouve confronté à un faux syllogisme qui s’énoncerait à peu près ainsi : — il n’y a pas de théorie de la didactique — la responsabilité en incombe aux structures des sociétés — nous changeons les structures d’où : nous sommes les dépositaires (futurs ?) d’une théorie de la didactique.

95Ce paralogisme aboutit à la « proposition » de Lacan, qui ne fait qu’exacerber la contradiction de son point de départ. En effet, ce projet qui, adopté par l’École, statue sur le processus que devra parcourir le candidat visant le titre de psychanalyste de l’École, démontre de façon tout aussi claire ce que représente dans l’esprit de Lacan ce titre [16] et en quoi la position qu’il défend ne se soutient qu’à partir de clivages arbitraires posés successivement entre théorie et clinique, reconnaissance valable à l’intérieur de l’École et reconnaissance pour l’extérieur, absence de hiérarchie et rétablissement en fait d’une échelle de valeurs qui sépare les « modestes » des « courageux », condamnation du « contrôle » et exigence de ce même pour le « praticien ».

96Nous avons parlé de contradiction : en effet, comment définir autrement la critique faite dans le même texte à l’existence du titre de didacticien dans la plupart des sociétés et cette investiture donnée aux psychanalystes de l’École par opposition à ceux qui plus modestement se contenteront de s’éprouver comme analystes. Il ne suffit pas de changer les dénominations pour changer l’esprit de certains actes.

97Comment ne pas taxer de contradictoire une proposition qui, au nom de la théorie psychanalytique, différencie les analystes « qui contribuent à l’avancement de la psychanalyse » de ceux qui, dans leur fauteuil, tentent de mettre à l’épreuve la théorie psychanalytique ? (on aimerait savoir en quoi « s’éprouver comme analyste » est une preuve de modestie !).

98Comment ne pas trouver enfin la contradiction la plus extrême et la plus grave dans une proposition qui, au moment même où elle veut remettre en cause la « routine » qu’on dénonce chez les autres (avec quelque raison du reste), routine qui serait responsable de la dénaturation de l’analyse, offre le titre de psychanalyste, dans le sens où il est entendu dans ce texte, au nom d’une seule épreuve : que le candidat sache témoigner de ce que représente pour lui ce moment particulièrement éprouvant que représente une fin d’analyse, ce témoignage le dédouanant de toute nécessité d’un autre, à notre avis bien plus difficile : celui qui se réfère à ce que représente pour lui l’acte psychanalytique, soit d’avoir assumé en pratique, et non pas simplement en intention la responsabilité d’analyser un autre sujet.

99Ce clivage institué ainsi entre théorie et clinique nous paraît contraire à l’esprit même des textes freudiens et à ce qui était le discours de J. Lacan. Mais, comme nous le disions dans notre préambule, il pose une question qui intéresse le fonctionnement d’une société psychanalytique quelle qu’elle soit. Personne ne peut valablement contester le savoir de Lacan, sa connaissance de Freud et l’étendue de son expérience. Comment, dès lors, expliquer le résultat paradoxal qui se veut point dernier de sa théorie ?

100La réponse, ici encore, nous est fourme par l’analyse de ce que nous avons appelé les avatars possibles de la didactique et du didacticien.

101Nous pensons que c’est là l’écueil sur lequel a buté de façon catastrophique l’École freudienne de Paris.

102Fascinés par le prestige de l’interprétation qu’offrait Lacan de Freud, les lacaniens ont été tout autant fascinés par le savoir dont Lacan se trouvait investi. Ce dernier s’est vu, à son tour, confronté à un paradoxe dont il n’est pas seul responsable : alors qu’il prônait le retour à Freud et aux textes, il n’a pas su voir que la majeure partie de ses adeptes trouvait plus confortable d’accepter une fois pour toutes son interprétation et se délivrait ainsi du souci de réinterroger les textes eux-mêmes. Il s’est dès lors créé ce que nous avons appelé une induction réciproque : à la place du texte, ses élèves ont préféré mettre la parole de Lacan ; ils lui ont vite donné valeur de loi sans voir que, de ce fait, ils renonçaient à cette « singularité » que nous considérons comme exigence indispensable à l’agir de l’analyste, exigence qui peut, seule, mettre en cause le « confortable » de sa position.

103Quant au « Maître », il a été pris au piège de l’offre qu’il a induite. La tentation de créer sa lignée, de marquer de son seul sceau la filiation psychanalytique n’a plus trouvé de point de résistance.

104Dès lors pour les « élèves » il n’a plus été question de s’éprouver comme analyste, de mettre à l’épreuve la singularité de leur écoute dans le vif d’une expérience analytique mais de s’éprouver comme « analysés » soit de se faire les témoins de la valeur de l’écoute de leur analyste. C’est de « sa » contribution à l’avancement de la psychanalyse (nous entendons la contribution de l’analyste) qu’ils devront être la preuve. De ce fait, l’analysé fera l’économie d’un concept pourtant bien lacanien : celui de l’après-coup.

105L’investiture au titre d’Analyste de l’École (à entendre comme ce qu’on appelle ailleurs un didacticien, à entendre aussi comme le titre que porte dans l’École Lacan lui-même) va se jouer sur le témoignage (fort important, nous n’en doutons pas) de ce qu’implique pour le candidat ce moment de transition entre la position d’analysé qui est la sienne et celle d’analyste qu’il ambitionne de prendre. Quant à cet « après-coup » qu’il aura à expérimenter quand, étant devenu l’analyste de fait d’un autre sujet, il réalisera le peu de « béatitude » que cela comporte, quand confronté à la responsabilité de son écoute, il pourra difficilement se réfugier dans le « désêtre » [17] sans y entraîner catastrophiquement son partenaire, il en laissera l’épreuve à ceux qui, voulant s’éprouver, comme analystes, ne peuvent, en effet, s’y dérober.

106Le « psychanalyste » (de l’École) ayant une fois pour toutes payé son tribut à l’avancement de la psychanalyse grâce à sa participation unique à la « théorie de la passe » [17] pourra se conforter sinon dans la béatitude, tout au moins dans la bonne conscience. Quant aux collègues « praticiens », on leur laissera le soin de perpétuer la « routine » des contrôles, le soin de mettre à l’épreuve leur action, de mettre en cause leur savoir et sans doute le soin aussi de rassurer l’extérieur (nous entendons la société au sens large). Ce qui nous a personnellement paru la contradiction la plus insoutenable, c’est justement ce clivage instauré entre deux types d’investiture. Ou bien le contrôle est une formalité abusive, inutile et vide de sens : il fallait alors le démontrer et en demander l’abolition. Ou bien il est, en effet, la mise en question nécessaire de son savoir que doit accepter tout analyste et il est impensable qu’en soient exempts ceux qui en tant que « didacticiens » possibles ont la responsabilité de former des analystes.

107Ainsi ceux qui, grâce à Lacan, avaient été les promoteurs d’un mouvement qui dénonçait entre autres le danger d’assimiler psychanalyse et spécialité médicale, qui voulaient éviter que l’on réduise la visée analytique à une visée « normalisatrice » sont progressivement devenus les défenseurs d’une position qui assimile l’acte analytique dans ce qu’il a de plus ambitieux à une sorte d’épreuve initiatique et ésotérique oubliant que quel que puisse être le prix que paye l’analyste au cours de sa propre analyse (en désêtre, en dépression ou en angoisse) il n’est pas pour autant quitte face à celui qui vient demander qu’on l’aide à retrouver sa vérité.

108Ce « ne pas être quitte » implique que « l’avancement de la théorie » fort souhaitable en soi reste coextensif d’une mise à l’épreuve répétée de l’expérience clinique et du savoir de l’analyste.

109Ainsi se termine cette deuxième partie : l’analyse de Yintra-muros des deux types de société existant actuellement en France aboutit à mettre en lumière des dangers et des erreurs, opposés dans la forme mais tout aussi graves dans leur fond. Notre conclusion sera brève.

Sociétés de psychanalyse et psychanalyste de société

110Nous avons dit, dans notre première partie, qu’il est utopique d’imaginer conjointement la permanence de la psychanalyse dans notre culture et l’absence de toute société formatrice. Nous avons de même voulu démontrer que c’est la situation didactique qui porte en elle sa propre possibilité de destruction.

111Malheureusement, plus que dans d’autres champs, l’expérience nous prouve qu’il ne suffit pas de savoir : l’ironie du destin des sociétés psychanalytiques étant que c’est justement le savoir spécifique que ses représentants détiennent sur le phénomène transférentiel qui se dissout au moment où il agit sur la texture sociale elle-même. Cette dissolution ne nous paraît pas un accident inévitable à deux conditions : 1) Que le danger représenté par ce « reste », par cet « inanalysable » qui risque d’échapper à l’expérience didactique soit le souci premier de tout analyste se penchant sur le problème de la formation ; 2) Que l’analyste retrouve et sache garder une certaine « modestie ». Et ici nous ne faisons aucune ironie. Notre théorie, en fonction même de son objet, induit plus que toute autre la possibilité d’une fuite dans la brillance théorique ; nous sommes plus dépourvus que d’autres chercheurs d’une possibilité d’expérimentation, notre métier, contrairement à l’avis du profane, met à dure épreuve notre narcissisme.

112Freud lui-même rêvait à la possibilité d’une sorte de contre-épreuve que la science positive (biologique ou neurophysiologique) pourrait nous apporter. Ce rêve témoigne d’un certain malaise auquel l’analyste ne peut échapper ; c’est le prix à payer pour une fonction dans laquelle, à la gravité de la responsabilité qu’elle implique, s’oppose l’impossibilité de recourir au consultant, au texte qui s’adapterait point par point à ce cas, à l’appel à un tiers qui pourrait trancher pour nous. Face à la réussite ou à l’échec d’une cure, l’analyste sait qu’il est seul à pouvoir répondre, que personne ne peut reproduire exactement la même expérience et confirmer ou infirmer les résultats. Au singulier du cas s’oppose le singulier de l’analyste : à moins d’être aveugles, c’est là un état de fait qui pèse lourd sur nos épaules. Ayant renoncé au recours de la science du corps, le rêve est aujourd’hui d’un recours aux sciences les plus prisées : linguistique, mathématiques, logique, c’est d’elles qu’on attendra la preuve par neuf de nos opérations.

113Rêve bien compréhensible et auquel nous sommes tous enclins. C’est à ce rêve qu’il faut savoir renoncer : qu’il s’appuie sur les graphes de Lacan ou qu’il s’appuie sur les modèles d’une adaptation sociale conforme à des normes bien établies.

114Renoncement difficile, sans aucun doute, et d’autant plus qu’il faut l’accepter aussi pour ce qui serait de l’existence d’un modèle parfait et immuable d’une société psychanalytique. Ou bien les analystes, c’est ce qu’un groupe a essayé de faire [18], ont la « modestie » de s’éprouver de façon continue comme analystes en fonction et comme représentants d’une société (ce qui implique une mise en question tout aussi continue du fonctionnement du groupe, des effets qui en résultent et des écueils inattendus qu’il rencontrera dans son évolution), et dans ce cas, existeront des sociétés de psychanalyse, soit des organismes qui pourront prétendre avoir su appliquer à eux-mêmes l’expérience freudienne. Ou bien les analystes fuiront dans le rêve : assurés d’une théorie sans faille, croyant enfin ! à la possibilité d’une preuve par neuf qui, à chacune de leurs opérations, vienne leur dire « voilà la vérité et voilà l’erreur », sûrs dès lors que ce modèle théorique ne pose aucun problème quand il devient modèle « social », nous assisterons à la production de psychanalystes de société, à la fragmentation accélérée des groupes existants, à la création de sectes, chacune proposant « son » psychanalyste, « sa » théorie, « ses » règles de formation, « son » modèle : le nom de Freud deviendra l’alibi grâce auquel chacune prétendra être l’héritière en titre, le label qui en garantira l’authenticité.

115Ayant ainsi vidé de sens le recours à Freud et trahi le respect dû à son savoir, à son message, le psychanalyste, désemparé en réalité, face à une fragmentation qui témoignera du faux de toutes ses prétentions, tentera de se consoler en prétendant qu’il n’y a de vérité que dans l’aliénation. Quitte, au fond de lui-même, à espérer que, dans l’extra-territorial, quelqu’un puisse un jour proposer à nouveau au désir de savoir de l’homme un but digne d’être investi.

116Entre ces deux possibilités offertes à la psychanalyse, il est difficile de prévoir laquelle aura gain de cause. En paraphrasant Aristote nous dirons que toute vérité, tout principe, tout acte de bonne foi doivent, et devront toujours « être jugés aux conséquences qui en découlent et surtout à leur fin !… »

117La psychanalyse ne peut se soustraire à cette épreuve, les sociétés de psychanalyse encore moins ; quant au psychanalyste, il aurait intérêt à faire de cette devise le seul credo qu’il ait le droit et le devoir de réciter chaque fois qu’il s’installe dans son fauteuil et chaque fois, qu’au sein de la société qui est la sienne, il fonctionne en tant que responsable de l’avenir de la psychanalyse.

118Avril-mai 1969.


Date de mise en ligne : 01/02/2009

https://doi.org/10.3917/top.100.0021

Notes

  • [1]
    Cf. L’Inconscient, n° 8 : ce Enseignement de la psychanalyse ? », Presses Universitaires de France.
  • [2]
    Le malaise dont souffre surtout la génération des plus jeunes en donne la démonstration la plus évidente.
  • [3]
    Nous laissons de côté le problème du remboursement par la Sécurité sociale qui, lui aussi, n’est pas aussi simple que veulent le dire les partisans de l’acceptation comme ceux du refus.
  • [4]
    Cf. Febenczi, Sur l’organisation du mouvement psychanalytique, 1911. On verra en lisant ce texte que ces craintes étaient déjà évoquées…
  • [5]
    Cf. J.-P. Valabrega, La psychanalyse savante, L’Inconscient, n° 8, Presses Universitaires de France.
  • [6]
    Date à laquelle le IIe Congrès de Psychanalyse, réuni à Nuremberg, a voté, sur proposition de Ferenczi, les statuts de l’Association psychanalytique internationale qui regroupe la presque totalité des sociétés psychanalytiques existantes. Elle est le plus souvent désignée par le sigle I.P.A. (International Psycho-Analytical Association).
  • [7]
    Nous parlons ici des sociétés psychanalytiques.
  • [8]
    Cette« proposition» sera analysée dans la dernière partie de ce texte. Elle a été publiée en février dernier par J. Lacan dans le n° 1 de la Revue Scilicet ; nous prions le lecteur de s’y référer.
  • [9]
    Ainsi, en France, les sociétés existantes proclament toutes leur allégeance à Freud ; et les différences d’interprétation que tout un chacun donne de son œuvre se retrouvent tout autant entre les membres d’une même société qu’entre les membres de sociétés différentes.
  • [10]
    Ces quatre sigles représentent dans l’ordre chronologique les quatre sociétés existant en France : Société psychanalytique de Paris, Association psychanalytique française, Ecole freudienne de Paris, Quatrième Groupe.
  • [11]
    Sur ce droit d’appellation, cf. C. Castoriadis dans le n° 8 de L’Inconscient.
  • [12]
    Ajoutons que dans n’importe quelle société on peut assister à de tels accidents. Mais s’il n’est pas en leur pouvoir de les éviter, il est de leur devoir d’en être averties et de savoir qu’elles peuvent en favoriser ou en endiguer la propagation.
  • [13]
    Cette proposition dont nous avons donné la référence n’a été votée par l’E.F.P. qu’en janvier 1969 : ceci a motivé notre démission.
  • [14]
    Dans l’acte de fondation de J. Lacan, on peut lire, à propos des différentes sections qu’il constitue :« 1. Section de psychanalyse pure — soit praxis et doctrine de la psychanalyse proprement dite, laquelle n’est rien d’autre — ce qui sera établi en son lieu — que la psychanalyse didactique ».
  • [15]
    Nous ne connaissons pas de texte de lacaniens sur ce sujet précis, alors que leur contribution à la théorie psychanalytique et à la théorie du transfert a été fort importante.
  • [16]
    Nous pensons que le mieux est ici de reproduire intégralement la partie du texte qui s’y réfère, a … Qui se présente au jury d’agrément ? Des psychanalysants dans la visée d’être reconnus pour À.E. Car pourquoi prétendrait-on à moins, si on en a le courage. L’analyste de l’Ecole est, ne l’oublions pas, celui qui contribue à l’avancement de la psychanalyse. Pourquoi ne pas commencer, dès qu’on y arrive.
    « Il y a par contre des gens qui plus modestement se contenteront de s’éprouver comme analystes. Là c’est l’Ecole qui s’immisce, et de façon toujours positive. Elle défère le titre d’A.M.E. sans qu’il y ait besoin pour cela d’aucune postulance.
    « Ceci sera le fait de l’organe stable en devenir, du jury d’agrément.
    « Et ce titre constitue une invitation de l’Ecole à se présenter à la qualification d’A.E.
    « Mais, dès lors cette qualification ne peut être obtenue que par l’intermédiaire du témoignage décisif de sa capacité.
    « C’est-à-dire l’autorisation d’un de ses psychanalysants au titre d’A.E. L’autorisation de l’A.M.E., qui l’a « formé » au même titre, s’ensuit dès lors du même fait.
    « Mais ce qui se présente pour être A.E., c’est tout psychanalysant au sens où le psychanalyste ne s’achève qu’à le redevenir dans sa position à l’endroit du Bujet supposé savoir.
    « Pour le psychanalyste responsable du psychanalysant qui se sera fait admettre, s’il n’est encore que membre de l’Ecole, celle-ci ne peut faire moins que de l’introduire aux A.M.E., d’où alors il se présentera lui-même au jury d’agrément.
    « On voit l’intérêt de ceci, c’est que l’accès à la position équivalente à ce qu’on appelle ailleurs un didacticien ne se perd plus dans le temps retrouvé de la béatitude, qu’elle devient même fort loin de la comporter.» (C’est nous qui soulignons.)
  • [17]
    Termes utilisés par J. Lacan dans le texte déjà cité.
  • [18]
    Cf. à ce propos le document publié à la fin de ce numéro sur le « Quatrième Groupe ».

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