1L’annonce du décès de Georges Lantéri-Laura nous a touchés au vif et doublement affecté :
- peiné d’avoir perdu celui que nous considérions comme un ami,
- peiné de ne pouvoir retrouver comme nous l’espérions ces temps-ci pour de nouveaux débats l’un des penseurs de la psychiatrie de notre temps.
2Nous voudrions ici évoquer, ranimer ces deux visages :
Image souriante d’amicales retrouvailles, image d’un maître de la psychiatrie.
Peu de mots conviennent qui sauraient dire le lien d’amitié.
3Croisant, puis rencontrant Georges Lantéri-Laura dans maintes réunions, colloques ou congrès à Saint-Maurice, à Marseille avec Sébastien Giudicelli, à Perpignan avec Robert Palem, à Toulouse, à Dax et surtout à Bordeaux, nous ressentions cette présence proche par trop rare, celle d’un « ami des rendez-vous studieux ».
4Il est des personnes auxquelles nous sommes attachés malgré de longs intervalles d’absence et de silence.
5Avec nostalgie, nous ressentions l’éloignement de Georges Lantéri-Laura quand s’achevaient nos brèves rencontres de travail.
6D’une réunion à l’autre, il fut à notre égard toujours plus amicalement proche, avec simplicité et parfois chaleur. Sa discrétion inspirait une certaine déférence, son sourire beaucoup de sympathie.
7Nous ne pourrions oublier cette image; mais elle est pour nous inséparable d’une écoute, d’une réflexion partagée, tissant comme une trame où venait s’inscrire la Qualité de notre rencontre.
8Notre évocation de Georges Lantéri-Laura se soutiendra donc d’une approche de son style; ce style, c’est l’œuvre même et... c’est l’homme !
9G. Lantéri-Laura, on le sait, nous a laissé des ouvrages importants, La psychiatrie phénoménologique (1963), Phénoménologie de la subjectivité (1968), Histoire de la Phrénologie (1970), La Discordance (1983), les Hallucinations (1991), Essai sur les paradigmes de la psychiatrie (1998).
10Nous serions tentés, essayant d’aborder la question du style, de remettre en scène plutôt que l’érudit façonnant de tels livres l’auteur d’interventions dans les colloques, et les journées d’études. Les actes de ces débats font resurgir dans notre souvenir une présence animée.
11Tout d’abord nous revient en mémoire la réunion où nous fûmes invités en décembre 1986 par Lantéri-Laura et Sébastien Giudicelli à l’Hôpital Esquirol sur le thème « Sujet et Subjectivité » (1) « questionnement philosophique, questionnement psychopathologique ». Nous étions certes en bonne compagnie... Jean Toussaint Desanti, Serge Valdinoci, Jean-Michel Azorin et Yves Totoyan, Pierre Damon nous entouraient; nous étions invités à aborder la question du Sujet d’un point de vue psychanalytique.
12Lantéri-Laura selon une orientation qui fut chez lui précoce, développa la « notion de la subjectivité dans la pensée phénoménologique ».
13Ce petit exposé très dense témoigne bien de la manière dont Lantéri-Laura aborda les problèmes de nos disciplines cliniques s’ouvrant aux interrogations de la philosophie.
14Témoin de notre temps, Lantéri-Laura rappelle d’abord les « Origines présentes de ces interrogations » quant à la phénoménologie, quant à la notion de sujet. Il introduit ici une courte confrontation originale de la position du sujet dans différentes langues. Proche de la psychanalyse, il souligne « qu’on ne pourrait mettre le langage entre parenthèses » quant à l’étude de la subjectivité.
15Puis il se tourne vers l’Histoire des idées avec la fabuleuse érudition qui lui est propre. Sous le titre « Phénoménologie : expérience subjective et expérience du sujet » il aborde l’œuvre de quelques philosophes notoires sur ce thème en précisant « Il ne s’agit pas un instant d’esquisser une sorte de parcours historique de cette notion, mais beaucoup plus simplement de rappeler quelques positions importantes, sans d’ailleurs croire que l’ordre chronologique des auteurs qui servira de guide pratique, puisse induire légitimement une quelconque progression éventuelle de la question... il y aurait une grande sottise à nous croire plus malin que le plus ancien des présocratiques qui, d’ailleurs demeure inconnu ». Cette citation marquant bien l’humour et un certain scepticisme de Lantéri-Laura introduit encore à ce que nous pointerons chez lui comme « démarche circulaire ».
16De Hegel, Lantéri-Laura aborde l’œuvre de Husserl puis celle de Heidegger avant de clore sa réflexion sur le sujet dans l’œuvre de Jean-Paul Sartre.
17La « Selbstgewusstsein » de Hegel se cherche comme « une chose »... son objet.
18« Hegel en tire une conclusion humoristique » ajoute Lantéri-Laura « il estime que la fin de cette aventure, c’est la phrénologie de F.J. Gall », « L’être de l’esprit est un os » écrira Hegel.
19D’où la « Conscience malheureuse » illustrée par Goethe, par Schiller et plus tard, à sa manière par Kierkegaard.
20La question du sujet dans l’œuvre de Husserl reste quelque peu ambiguë pour Lantéri-Laura.
21Chez Heidegger, il n’est guère question du sujet, ni d’ailleurs de la conscience de soi, mais de l’homme dévoilé comme existant jeté dans le monde de la déréliction.
22Il s’agit du « Dasein » que l’on traduit en Français par « être là » et dont Jean-Paul Sartre conclura que pour l’homme, « l’existence précède l’essence ».
23C’est ainsi que notre ami aborde de Sartre un texte essentiel « la transcendance de l’Ego ».
24Sartre reprend la critique que Husserl a adressé à Descartes pour montrer que « l’Ego cogito » constitue une entreprise, la réalisation effective du projet du doute méthodique et non pas une évidence immanente à la conscience ellemême.
25La description noematique de Sartre conduit à montrer que la conscience trouve à l’horizon de ses intentionnalités le sujet.
26Mais ce sujet que la traduction philosophique continue à appeler « ego » existe dans le monde comme les objets et la conscience n’est en rien privilégiée pour le connaître.
27Lantéri-Laura pense que Sartre aurait sans doute accepté le mot de Malebranche :
« Il nous faut regarder hors de nous pour nous voir ».
28Ainsi Lantéri-Laura reconnaît que à proprement parler, on ne saurait exposer quelque chose comme la conception phénoménologique du sujet.
29Cependant, dans son œuvre de clinicien, la réflexion « phénoménologique » de E. Minkowski demeurera tout au long de sa carrière une pensée reconnue comme celle d’un maître (cf. son intervention au Colloque de Chailles, 2001). (2)
30E. Minkowski part de l’hypothèse selon laquelle les propos du délirant ne doivent guère être étudiés comme un quasi roman, car ils représentent un effort du sujet pour exprimer, avec des moyens inadéquats, une altération fondamentale de ses rapports à la temporalité ou à la spatialité, altérations qui constituent pour lui l’essentiel de ses troubles. Minkowski vise le diagnostic structural, qui cherche à cerner l’essentiel du trouble, ainsi :
« la perte de contact vital avec la réalité » dans la schizophrénie. Ce diagnostic se fonde sur un élément qui relève encore de la sémiologie, mais concerne déjà le processus morbide lui-même. Lantéri-Laura ajoute « nous voyons ainsi qu’il n’a rien de commun avec l’empathie, comme on le croit trop souvent, quand on confond la méthode phénoménologique avec l’Einfühlung et qu’on oublie que la phénoménologie n’a rien à voir avec le psychologisme et l’intériorité.
32Dès lors, dans une telle conception de la structure des activités délirantes, la thématique devient contingente et le processus – rapport à la temporalité ou à l’espace – devient essentiel ». L’œuvre de Binswanger vient étayer cette conception. C’est ainsi que l’on s’éloigne de la manière dont la psychiatrie classique se représentait ce domaine.
33Chez Lantéri-Laura, le penseur de même que le clinicien ont su très tôt articuler les apports de la phénoménologie avec l’héritage de la psychiatrie classique et surtout avec les questionnements de la psychanalyse dont il est témoin de l’influence grandissante et avec la conception de l’organo-dynamisme chez un autre maître : Henri Ey.
34C’est pourquoi, remontant nous aussi dans un certain passé de rencontres et de recherches stimulantes qui furent pour la psychiatrie et pour son développement d’une exceptionnelle richesse, nous reprendrons le double travail de Lantéri-Laura lors du célèbre colloque de 1960 à Bonneval sur « l’Inconscient » « préparé pendant plusieurs années et dont la publication a exigé aussi plusieurs années » (Henri Ey).
35Ce colloque, comme le titre l’indique, tentait de répondre à cette provocation toujours actuelle de la pensée freudienne : l’Existence de l’inconscient; patronné par Henri Ey, André Green, Serge Lebovici, René Diatkine, François Perrier, Jean Laplanche, Serge Leclaire, Maurice Merleau-Ponty, François Tosquelles, E. Minkowski, Jacques Lacan, M. Hyppolite, Claude Blanc, S. Follin, Conrad Stein, A. de Waelhens, Paul Ricœur, y participaient.
36Au cours de cette rencontre exceptionnelle, Lantéri-Laura se distingua par deux interventions : « Les problèmes de l’inconscient et la pensée phénoménologique »(3) et « une approche critique de ce que donne à observer de l’inconscient des malades, la destruction de la conscience ».(4)
37Dès cette époque, cet auteur révèle toutes ses qualités d’historien des idées et de penseur critique proche de la clinique.
38Nous ne pouvons ici que reprendre ce qui nous paraît l’essentiel du rapport : « Les problèmes de l’inconscient et la pensée phénoménologique ».
39Deux phénomènes chez Hegel fondent la phénoménologie même de l’inconscient :
- « l’homme se caractérise par la conscience de soi, mais la conscience de soi n’existe que par sa lutte à mort avec les autres, et c’est pourquoi l’homme ne se possède pas lui-même, et échappe à sa réflexion ».
- le discours qui parle de l’homme contient nécessairement une dimension d’immanence qui ne suffit pas et exige l’élucidation que lui apporte la puissance du négatif; le discours de l’homme dit autre chose que ce qu’il semble dire et c’est autre chose qui n’est pas conscient de lui-même et de cette semblance.
40 Il n’en faut pas plus pour fonder l’existence d’un inconscient freudien.
41« L’être de la conscience de soi est un manque ».
42Lantéri-Laura ajoute :
« Avec Hegel, Husserl, Heidegger et Sartre, nous avons repris les descriptions qui toutes établissent que l’homme s’échappe à lui-même, que son être lui vient d’autrui et qu’il ne se reprend pas en totalité; l’inconscient n’est donc pas un vieux singe microcéphale qui, dissimulé dans le sillon de l’hippocampe, dirige l’homme à son insu, mais une notion directrice qui précise cette révélation essentielle à la phénoménologie : avec Heidegger et Hegel, la phénoménologie ajoute que cette transcendance est dominée par la mort ».
44« La phénoménologie doit aussi poser le problème de la validité d’une psycho-pathologie générale et opérer une critique de la connaissance psychiatrique, car rien ne nous garantit d’avance que nous soyons en droit de dépasser les données de l’examen sémiologique et psychothérapique de malades singuliers ».
45Cependant, c’est surtout au cours des débats du Colloque de Bonneval que Lantéri-Laura introduit de manière particulièrement brillante son point de vue sur les relations de l’organo-dynamisme, de la clinique psychiatrique et de la psychanalyse.
46C’est à l’écoute du patient que l’auteur tente de vérifier le point de vue
d’Henri Ey :
Les déstructurations de la conscience dans la maladie mentale constituent
des situations privilégiées où l’inconscient des malades se manifeste directement. À travers trois exemples cliniques, Lantéri-Laura semble d’abord
confirmer cette thèse essentielle à l’organo-dynamisme.
47Mais toujours dans son attitude de prudence intellectuelle, rappelant avec Lacan ce qu’on devrait penser de ce souhait malencontreux de « trop comprendre les malades », Lantéri-Laura introduit la critique avec une grande finesse à propos d’une patiente :
« Notre malade entend donc bien un discours qui lui dit en clair ses conflits inconscients, mais dans son délire même, ce discours lui reste étranger. Elle ne peut le reconnaître comme la concernant en propre, et elle ne peut pas plus le recevoir comme une parole qui la dévoile à elle-même que le névrosé en cours d’analyse ne peut comprendre une interprétation prématurée ».
49Cependant, pour Lantéri-Laura, le débat reste ouvert. Il conserve cette attitude de témoin, d’historien de la pensée et d’historien de l’évolution du malade, de penseur :
« Nous nous rassurons pourtant en croyant le clinicien mieux partagé et en estimant que si l’inconscient des malades ne lui apparaît pas à la faveur de ces troubles, ces troubles ont au moins l’utilité de montrer en clair cet inconscient au psychiatre ».
51Mais, en bon dialecticien, il ajoute :
« Quand de tels éléments se montrent dans les propos d’un délirant, ce qui se passe alors, ce n’est pas du tout une connaissance immédiate de son inconscient dans sa singularité, c’est par la médiation de nos lectures psychanalytiques la reconnaissance de certains éléments dont nous savons que seule l’étude de l’inconscient a pu en élaborer l’élucidation ».
53La conclusion va dans le sens du scepticisme savant, et de cette « démarche circulaire » à travers laquelle le débat n’est jamais vraiment clos :
« Les désordres mentaux qu’on peut décrire comme déstructuration de la conscience ou comme déstructuration de la personnalité peuvent fournir au psychiatre des circonstances propres à une illustration de ses connaissances en psychanalyse, mais elles ne suffisent jamais à lui faire observer directement l’inconscient des malades ».
55À Bordeaux, Lantéri-Laura n’a pas manqué de nous surprendre; nous l’avions invité lors d’une réunion de la « Société de Psychiatrie d’Aquitaine » sur « Histoire de la Psychiatrie, Histoire de la Psychanalyse » (1989) (5).
56C’était pour nous le centenaire de ce nous avons appelé la « prise de parole » – 1889 –.
57Le 12 mai 1889, Emmy Von N... femme de caractère témoigne de son irritation à l’égard du thérapeute Sigmund Freud en lui disant impérieusement : « Laissez-moi conter ce que j’ai à dire », et Freud de la laisser parler comme il le fera dorénavant de ses patients à qui il proposera de dire tout ce qui leur vient à l’esprit.
58Cette perspective ouverte, Lantéri-Laura présentera une étude historique de très grande qualité intitulée « 1892, l’autonomie des hallucinations verbales », et de reprendre par des perspectives historiques où il excelle la question des « troubles du langage » chez les aliénés, titre d’un petit volume de J. Seglas (1892).
59C’était donc une fois encore de sa part reprendre la question du langage sous l’angle d’une réflexion savante à propos d’un épisode bien oublié, mais essentiel, l’histoire de la clinique psychiatrique où seront évoquées les œuvres de Tamburini, de Seglas, et bien sur de Broca, et Wernicke.
60Même étonnement de notre part par rapport à la conférence de l’automne 1996 dans le cadre de l’Association Rénovation de Bordeaux; le thème général étant : « Le sujet au risque des théorisations – confrontations cliniques ».
61Lantéri-Laura préférera parler de « parole de corps » (6) où la critique de l’ensemble des connaissances sur langage et corps inspirée entre autres manifestement de la 5e méditation cartésienne de Husserl permet à l’auteur un développement intéressant.
62Le plus souvent, quand on envisage la « question du corps en psychiatrie », on oppose, chez l’homme, une connaissance intérieure de son propre corps (Leib), intime et ineffable, à la connaissance objective, extérieure et en troisième personne du « Körper ».
63On remarque traditionnellement que dans les paraplégies hystériques, la topographie de la paralysie correspond à la représentation subjective du corps, tandis que dans les paraplégies organiques, la topographie répondait aux schémas de l’anatomie. Dans la « Phénoménologie de la perception », Merleau-Ponty met l’accent sur la disparité totale de ces deux connaissances.
64Or, nous dit Lantéri-Laura, « la représentation de l’expérience du corps propre ne correspond pas à une révélation totale effectuée un certain jour, mais résulte d’une acquisition diachronique remontant à la petite enfance et dont il importe de retracer les étapes ».
- Le langage y tient une place importance, car les diverses parties du corps ne se trouvent vécues et appropriées que lorsqu’elles sont nommées, fût-ce de façon maladroite et approximative; or, le langage ici en cause est à l’évidence une donnée sociale venue de l’entourage.
- D’autre part, l’expérience du corps propre et d’ailleurs son rôle dans la formation du sujet comme tel, utilise de façon permanente le rapport au corps d’autrui et à l’identification verbalisée sur le corps d’autrui des éléments de l’un et de l’autre.
- Enfin, ces deux aspects fondamentaux montrent que la culture environnante constitue un aspect décisif de ce processus, qui n’a rien de clos sur lui-même et où nulle coupure ne vient interrompre la continuité entre son pôle plus individuel et son pôle davantage socialisé, où nous devons situer le discours scientifique.
66« Certains aspects de la pathologie nous montrent aussi des exemples de cette continuité entre une connaissance spontanée des troubles, qui relève de l’expérience intime, mais se complète par l’entretien avec le clinicien, entretien qui ne peut partir que de cette expérience vécue, même si c’est pour se diriger vers des connaissances qui, pour relever d’un ordre différent, n’en sont pas moins sans rupture avec les autres ».
67Lantéri-Laura nous révèle bien ici son inscription personnelle dans une perspective psychodynamique qu’il contribuera avec Henri Ey et les psychiatres de formation psychanalytique (plusieurs sont présents déjà en 1960 à Bonneval) à affiner.
68Le Congrès que nous avons organisé à Bordeaux (2001) sur ce thème lui doit beaucoup.
69Les modèles d’examen clinique de l’adulte en psychiatrie selon cette perspective psychodynamique sont présentés de manière particulièrement instructive dans le Chapitre de l’Encyclopédie Médico-chirurgicale rédigé en 1996 par Lantéri-Laura (7).
70Lantéri-Laura isole deux modèles « extrêmes » pour la clinique psychiatrique :
« le premier modèle qu’on pourrait appeler le modèle de l’engagement thérapeutique immédiat, revient à admettre que dès le premier contact avec le patient, il s’agit d’un rapport de sujet à sujet, où tout ce qui se passe et, en particulier, tout ce qui se dit entraîne inévitablement des effets thérapeutiques favorables ou pernicieux; il ne s’agit pas, à l’encontre de ce que l’on pourrait croire, du rejet absolu de toute sémiologie, mais de penser que tout ce qui peut s’y montrer comme symptôme ne saurait être que symptôme d’un certain moment du processus thérapeutique. Pareille position évoque à l’évidence la psychanalyse, mais elle n’est point partagée par tous les psychanalystes et elle est tenue par certains qui ne s’en réclament pas.
Le second pourrait se nommer le modèle de l’examen standardisé. Il repose sur l’idée que l’on peut isoler un temps initial, de durée variable, où l’intérêt du patient est qu’on aboutisse à un diagnostic certain ».
72Le commentaire de Lantéri-Laura à partir de la présentation de ces deux modèles s’inspire de son expérience concrète de la pratique psychiatrique, et les conseils où les directives qu’il est amené à donner seraient toujours susceptibles d’enrichir l’enseignement de la psychiatrie, car Lantéri-Laura fut aussi un enseignant et les meilleurs de ses articles demeurent toujours précieux dans cette perspective.
73Les derniers exposés que nous évoquerons datent de ce début de siècle.
74Le premier : « Épistémologie de la notion du délire » ouvrait le Colloque de Chailles (2001, op. cit.).
75Le second est publié dans un numéro de 2003 de l’Évolution Psychiatrique consacré à « Histoires de la psychiatrie » et s’intitule « Évolution du champ de la psychiatrie moderne : transferts et contenu » (8).
76Ces deux interventions reprennent sous des angles différents l’Histoire de la psychiatrie dont Lantéri-Laura dans sa modestie « méthodologique » nous dira bien qu’une « histoire de la totalité de la psychiatrie », « totalité qui constitue un être de raison demeure inaccessible et indescriptible... », d’où le titre général retenu pour ce numéro de l’Évolution Psychiatrique « Histoires de psychiatries ».
77Ces études « inspirées » témoignent bien des trois dispositions fondamentales qui caractérisent l’auteur : il est témoin, il est historien, il est penseur.
78Il reprend dans ses rétrospectives la « période de l’aliénation mentale » où la folie est considérée comme une maladie, maladie distincte de toutes les maladies dont s’occupe le reste de la médecine.
79Puis la « période de la psychiatrie classique », celle des maladies mentales (1854-1926) où prévaut la pluralité des aspects morbides naturels afin de rendre à la pathologie mentale sa place dans la modernité que l’école de Paris avait su donner à la médecine de l’époque.
80Les grandes définitions sont données dans cette période.
81L’œuvre de Kraepelin dans sa grandiose synthèse si elle ne fait l’unanimité même dans la psychiatrie allemande, s’imposera à bien des écoles de psychiatrie au tournant du siècle.
82Mais c’est surtout à la troisième période intitulée par lui la « période des Structures pathologiques » (1926-1980) que Lantéri-Laura consacrera le meilleur de ses analyses.
83La situation actuelle suscite de sa part quelques commentaires intéressants malgré le manque reconnu par lui d’un recul suffisant.
84Première remarque : « la pertinence de la psychanalyse nous semble beaucoup plus étendue qu’il y a 50 ans, à la fois comme technique thérapeutique, comme métapsychologie et peut-être comme anthropologie générale, même si elle se trouve remise en question sur bien des points. Et parallèlement, les développements de la neuropsychologie nous conduisent à repenser les rapports de la structure et du fonctionnement du système nerveux comme avec le comportement et la connaissance.
85Seconde remarque : depuis les années 1980, nous nous retrouvons envahis par les effets de sens d’une certaine classification internationale et nous sommes sollicités d’intervenir, en théorie et en pratique, dans des registres qui nous semblaient marginaux, sinon étrangers ».
86L’épilogue de ces réflexions de ce qu’il appelle des pages désabusées rappelle sans délectation morose ce qui fut toujours sa propre attitude de clinicien et de scientifique « faire coïncider un questionnement rigoureux sur les limites de notre discipline, une incertitude à y répondre de manière définitive et une pratique lucide et raisonnée de notre métier, à condition de ne pas nous leurrer sur ce que nous savons et sur ce que nous savons faire ».
87Nous avons parlé, à propos de ce style de démarche circulaire, elle est partout présente, à travers l’œuvre et les témoignages d’une pratique chez Lantéri-Laura.
88L’expérience clinique, les connaissances approfondies de l’histoire et de la philosophie conduisent sans cesse l’auteur à des reprises qui nous rappellent ce à quoi nous conviait Léo Spitzer à propos de la lecture stylistique (9) pas très éloignée, souligne Starobinski de Questions de méthode de Sartre.
89Léo Spitzer se fonde sur l’herméneutique : « interpréter ou traduire en vue de comprendre et de se comprendre, car l’intersubjectivité est sise au cœur même de l’intelligence. Voilà la tâche » (Christian Berner) Spitzer n’est pas loin du précepte des alchimistes « lege, lege, lege et labora » et le clinicien d’y faire écho « labora, labora et... lege ».
90Aujourd’hui, pensant à l’ami disparu, nous nous souvenons, Georges Lantéri-Laura, que chez Schleiermacher, inventeur du « Cercle herméneutique », il existe au-delà d’une démarche circulaire un sentiment de notre dépendance à l’égard de l’infini.
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
- (1) In Sujet et subjectivité, sous la direction de S. Giudicelli et G. Lantéri-Laura, Érès, 1990.
- (2) « La critique du délire », in Les Cahiers Henri Ey, Colloque de Chailles 18-19 mai 2001, publications de l’Association pour la Fondation Henri Ey, 2002.
- (3) LANTÉRI-LAURA G., « Les problèmes de l’inconscient et la pensée phénoménologique » in l’Inconscient (VIe colloque de Bonneval) sous la direction d’Henri Ey, Desclée de Brouwer, bibliothèque neuro-psychiatrique de langue française, 1966, pp. 387 et sq.
- (4) Débats in L’Inconscient, pp. 338 et sq.
- (5) In « a5 » (Actes de la Société de Psychiatrie d’Aquitaine), pp. 76 et sq.
- (6) « Paroles de corps », in Actes de l’Association Rénovation, 1996, pp. 50 et sq.
- (7) « Les Modèles d’examen clinique de l’adulte en psychiatrie », in Encyclopédie Médicochirurgicale, 37-102-A10.
- (8) LANTÉRI-LAURA G., « Évolution du champ de la psychiatrie moderne : frontières et contenu » in l’Évolution Psychiatrique, Janvier/mars 2003, vol. 68, n° 1, pp. 27 et sq.
- 9) SPITZER L., « Études de style », NRF, Gallimard, 1970.