Topique 2002/1 no 78

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Article de revue

Plaidoyer pour une certaine ignorance

Pages 33 à 49

Notes

  • [*]
    Ce texte est une communication orale dont l’auteur a souhaité conserver la forme.

I. INTRODUCTION

A. « Le banquet » de Platon

1Zeus était très préoccupé. Les humains commençaient sérieusement à vouloir lui monter sur la tête. Ils avaient déjà maîtrisé le feu à l’aide de ce traître de Prométhée qui leur en avait révélé les secrets. Mais voilà que maintenant, ils voulaient ni plus ni moins devenir l’égal des dieux.

2En ce temps-là, l’espèce humaine comportait trois genres : les mâles nés du soleil, les femelles nées de la lune, et les – androgynes – les plus nombreux qui participaient des deux planètes à la fois. Tous étaient d’une seule pièce et ronds comme les planètes dont ils étaient nés.

3Toutefois, les androgynes étaient les plus curieux : ils avaient non seulement quatre mains, mais aussi quatre jambes, un cou tout rond, une seule tête, mais deux visages opposés l’un à l’autre, parties honteuses en double, une mâle et une femelle. Leur force et leur vigueur étaient extraordinaires, car avec quatre bras et quatre jambes, ils se déplaçaient extrêmement vite en faisant la roue.

4Il faut dire aussi qu’ils faisaient la roue mentalement car grand était leur orgueil. Ils avaient décidé de s’attaquer aux dieux.

5C’est pour ça que Zeus était fort préoccupé. Il ne voulait pas les faire périr, il n’aurait plus reçu alors ni honneurs ni offrandes. Il eut alors une idée géniale qui mettrait un terme à leur insolence :

« Je m’en vais sectionner chacun en deux. En même temps, ils seront plus faibles, et, en même temps, leur nombre sera doublé; j’aurai donc deux fois plus d’offrandes. En outre, ils marcheront sur leurs deux jambes, en se tenant droit. Mais si, à notre jugement, leur impudence continue et qu’ils ne veuillent toujours pas se tenir tranquilles, alors, à nouveau, je les couperai encore en deux de façon à les faire déambuler sur une seule jambe, à cloche-pied. »

6Aussitôt dit, aussitôt fait, et Zeus de couper. Apollon fut chargé de recoudre les blessures en ramenant les peaux et en tournant les têtes vers la coupure afin qu’ils deviennent plus modestes.

7Toutefois il y eut un hic car chaque partie coupée, chaque moitié, ne cherchait qu’une seule chose, retrouver de manière éperdue la partie manquante, l’enlacer bras et jambes et ne plus bouger le plus souvent jusqu’à ce que mort s’ensuive, car elle refusait de faire quoi que ce soit, même manger, sans l’autre. De cette façon, l’espèce humaine disparaissait.

8Zeus discuta alors du bricolage avec Apollon et, deuxième idée géniale, ils décidèrent de ramener aussi les parties honteuses vers l’avant. Jusque là, elles étaient restées derrière par rapport au nombril et au visage. Ainsi, la recherche de la moitié entraînerait alors une copulation, le désir satisfait provoquerait de la satiété et les mortels pourraient alors se tourner vers d’autres activités. Apollon fit les bricolages nécessaires.

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« Ainsi, dit Aristophane, c’est depuis un temps aussi lointain qu’est implanté dans l’homme, l’amour qu’il a pour son semblable : l’amour rassembleur de notre primitive nature, l’amour qui, de deux êtres, tente d’en faire un seul, autrement dit de guérir l’humaine nature. Chacun de nous est donc la moitié complémentaire d’un autre. Si Zeus a coupé un homme, cela fait des hommes qui ne s’intéressent qu’aux hommes. S’il a coupé une femme, cela fait des femmes qui ne font pas très attention aux hommes. S’il a coupé un androgyne, la partie homme est amoureuse des femmes et cela fait les maris qui trompent leur femme, la partie femme est amoureuse des hommes et cela fait les femmes qui trompent leur mari ».

10Aristophane a beaucoup d’humour. Ce texte, « le Banquet » de Platon, est vieux de 2400 ans. J’ai pensé qu’il avait parfaitement sa place aujourd’hui. Les humains ont dû être très secoués et fort perplexes de ce qui leur était arrivé.

B. La perplexité

11Et le moins que l’on puisse dire, c’est que nous avons été servis question perplexité dans cette histoire entre hommes et femmes.

12Il y a quelques années, nous avions travaillé le thème de la bisexualité avec quelques collègues et, chose très étrange, alors qu’on avait l’impression de plus ou moins bien cerner de quoi il s’agissait en commençant, au fur et à mesure que nous progressions dans notre étude, la chose semblait se dissoudre et devenir insaisissable.

13Pourtant si l’on prend la définition, elle est toute simple : tout être humain aurait constitutionnellement des dispositions sexuelles à la fois masculine et féminine. « Nous descendons des androgynes » comme le disait Aristophane.
Bien.

14Mais si l’on cherche à préciser :
Parle-t-on d’anatomie, d’embryologie, d’hormones ? Parle-t-on de masculin et féminin, mais c’est quoi masculin et féminin : c’est actif, c’est passif, c’est maternel, c’est paternel, c’est dur, c’est mou, c’est pénétrant, c’est pénétré ? Parle-t-on de biologie, de sociologie, de psychologie ?

15Ce thème, c’est l’auberge espagnole.

16À la fin de mes réflexions, j’en étais arrivé à dire que la féminité ce sont les hommes qui en parlent le mieux, et le masculin c’est ce qui attirent parfois les femmes.

17Aussi, quand on m’a demandé de faire un exposé pour ce colloque, j’étais bien prêt de refuser : si c’est pour enfoncer des portes ouvertes !

18Jusqu’au moment où je me suis dit : ce n’est peut-être pas mon manque de perspicacité qui est en cause, c’est peut-être le sujet lui-même qui provoque cette perplexité. Tous les auteurs qui parlent de bisexualité, parlent de confusion, précisent le vocabulaire : bisexuel, ambisexuel, distinguent le plan psychique et le plan comportemental, retrouvent l’inquiétante étrangeté. Ce côté ambigu me semble tout à fait caractéristique de ce concept.

19Le mot même de bisexualité est étonnant. Sexualité vient de secare: couper. Bi implique au contraire de réunir. Mais, tout compte fait, ce mélange de précision et de doute n’est-ce pas le mouvement de la découverte de la sexualité. N’est-ce pas le mouvement des théories que les enfants échafaudent pour rendre compte de ce qu’ils découvrent ou soupçonnent.

20Alors, faisons de même, commençons cette approche si particulière de la bisexualité : mais avant d’en parler au sein du travail analytique en séance, je voudrais parcourir avec vous certains points qui forment l’arrière-fond de ce thème. Tout d’abord, je vous propose un peu d’histoire; cela nous donnera au moins l’impression de commencer à bâtir sur du solide même si ceci est en partie illusoire, comme vous le verrez.

II. UN PEU D’HISTOIRE

A. Darwin et la biomédecine de la fin du XIXe siècle

21À la fin du XIXe siècle, les idées de Darwin s’étaient largement diffusées chez les scientifiques et la biologie reposait maintenant sur un critère fondamental : l’évolution des espèces et la lutte pour la reproduction.

22La sexualité était donc devenue un des deux instincts fondamentaux expliquant tout un ensemble de phénomènes. Or, un certain nombre de faits étaient apparus : dans toutes les espèces, l’étude des embryons montrait que ceux-ci présentaient les caractéristiques, au moins à l’état latent, des deux sexes, y compris dans l’espèce humaine où la balance ne commence à pencher dans le sens du sexe de la naissance qu’après 3 mois de gestation, l’embryon ayant gardé jusque là une propension à se développer de manière bisexuelle.

23Nous savons aujourd’hui que le sexe de base embryonnaire est le sexe femelle qui ne se transforme en sexe mâle que sous l’influence de certaines hormones pendant la grossesse, chose totalement inconnue à l’époque.

24De plus, par l’étude de l’anatomie comparée, plusieurs espèces montraient la persistance, à l’âge adulte, de vestiges embryonnaires de l’autre sexe.

25Si l’ontogenèse récapitule la phylogenèse, alors l’ancêtre commun des vertébrés devait avoir été un être bisexué (revoilà le mythe d’Aristophane), et Darwin avait défendu l’idée que ce pouvait être ses chères ascidies, sortes de petits animaux marins hermaphrodites vivant sur les rochers.

26L’idée d’une bisexualité constitutionnelle de l’humain était donc vraisemblable, d’autant que cette hypothèse permettait d’expliquer pas mal de faits cliniques restés jusque là obscurs :

  • l’homosexualité,
  • l’hermaphrodisme de certains nouveau-nés,
  • les cas de quelques patients ayant manifesté, à l’âge adulte, un changement complet de leur phénotype avec inversion des signes sexués secondaires (description du cas d’une femme dont la voix avait mué et la pilosité était apparue, son comportement s’étant aussi transformé en un caractère plus viril, étiologie qui serait probablement attribuée aujourd’hui à un problème hormonal de nature cancéreuse).

27 Oui, il devait bien exister une bisexualité de base.

28C’est à cette époque que Freud commence ses études de médecine et un de ses premiers maîtres est le professeur Claus, éminent zoologiste viennois, spécialiste de l’hermaphrodisme des animaux inférieurs et darwinien convaincu. Il avait notamment mis en évidence le fait que certains crustacés sont mâles pendant le début de leur vie puis deviennent femelles par la suite.

29Freud devient un élève assidu de Claus qui le remarque et obtient pour lui une bourse d’études pour étudier le sexe des anguilles au laboratoire de Trieste. Freud y fit deux séjours, en mars et septembre 1876, et publiera les résultats en 1877. Sa première publication : « le roc du biologique ». Juste un mot sur ce travail : toutes les anguilles apparaissent de sexe femelle; où sont les anguilles mâles ?

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« Je me tourmente donc, et les anguilles en même temps, pour retrouver ces mâles, mais en vain; toutes les anguilles que je découpe appartiennent au sexe faible ».

31Il est piquant de constater qu’à l’époque, pour Freud, le continent noir et introuvable c’est le sexe mâle.

32Heureusement, certains jours de tempête, les anguilles ne sont pas livrées. Alors Freud se promène et regarde autre chose que des poissons :

« Il est vrai que durant la première journée de mon séjour triestin, il m’avait semblé que cette ville n’était peuplée que de déesses italiennes, ce qui me faisait peur; mais quand, le lendemain, j’ai parcouru les rues, plein d’espoir, je n’ai plus été capable d’en découvrir aucune, et depuis ce temps la vue d’une bella donna compte parmi les choses les plus rares qui m’arrivent dans la rue. »

33Attirance mais prudence.

34FLIESS

35En 1887, Freud rencontre Fliess. Fliess, oto-rhino berlinois, passionné de biologie, fut à coup sûr un des défenseurs les plus importants de la bisexualité. Il avait élaboré une théorie selon laquelle il y a, chez chaque être humain, deux cycles majeurs : le cycle femelle de 28 jours, dont le signe le plus évident est la menstruation, et un cycle mâle de 23 jours (je vous épargne ici les arguments qui plaidaient pour ce concept). De la combinaison de ces deux cycles, avec moult calculs mathématiques à l’appui, Fliess tirait toute une série de conclusions : le sexe des enfants à naître, la période de l’accouchement, la durée de la vie humaine par rapport à celle de ses parents, la pousse des dents, la date d’apparition de certaines maladies...

36Fliess en avait fait une théorie extrêmement étendue, une cosmogonie qui avait fort frappé ses contemporains. Même si aujourd’hui ces théories apparaissent tout à fait farfelues, pour ne pas dire délirantes, elles étaient à l’époque prises très au sérieux. Freud l’appelait le Kepler de la biologie.

37Pour Fliess, les temps forts du développement humain étaient donc de nature bisexuelle, devaient avoir débuté dans l’enfance, et résulté de la combinatoire de deux cycles mâle et femelle.

38Pour Freud, à la même période, le problème numéro un était celui posé par les hystériques et le refoulement : le symptôme est dû à la réminiscence d’un événement de nature sexuelle, traumatique, refoulé imparfaitement, et situé dans l’enfance.

39Leurs recherches avaient donc des points de vue assez convergents : la sexualité, l’enfance.

40Sur la question du refoulement, Fliess était catégorique : « le sexe dominant de l’individu, celui qui est le plus fortement développé, a refoulé dans l’inconscient la représentation mentale du sexe dominé. Aussi, le noyau de l’inconscient est-il dans chaque être humain cette part de lui-même qui appartient à l’autre sexe ».

41Nous avons très clairement ici la conception biologique, prépsychanalytique de la bisexualité humaine.

42Seulement voilà, la mariée est trop belle, car si Freud, qui abandonne en partie sa théorie de la neurotica, se range à la théorie de son ami : une cause bisexuelle, et est admiratif pour le système de pensée de Fliess, il est aussi un sacré sceptique. Car à bien y regarder, dans la clinique, les choses sont loin d’être aussi simples.

43Oui, le matériel a trait à la sexualité. Non, nous n’avons aucun élément qui nous permette de faire la part des choses entre réalité historique et fantaisie imaginaire. Quant au masculin et au féminin, c’est la foire d’empoigne : chez les hommes, on retrouve dans l’inconscient, certes des éléments féminins, mais aussi bien d’autres choses; chez les femmes même disparité.

44Et puis d’abord, c’est quoi masculin ou féminin ?

45Et l’on repart pour un tour :
Parle-t-on de biologique, de psychologique, de social ?

46Par exemple, dit Freud, activité = mâle, passivité = femelle c’est très loin de la complexité retrouvée dans le matériel clinique.

47À partir de là, il va assumer totalement l’ambiguïté trouvée :

  • d’un côté, il va être d’accord avec Fliess, la bisexualité originelle est d’ordre constitutionnel, c’est le roc biologique et il n’abandonnera jamais cette notion bien qu’il ne la développera pas;
  • de l’autre, on connaît la découverte : on ne naît pas homme ou femme, on le devient au travers de toute une évolution, celle de la sexualité infantile organisée autour de la situation œdipienne.

48Être homme, dans les deux sexes, c’est s’identifier à l’homme père de la scène primitive, être femme c’est s’identifier à la mère.

49Toutes les combinaisons sont alors possibles : l’Œdipe positif, l’Œdipe négatif, l’anti Œdipe, l’amour de la fille pour son père mais aussi pour sa mère, le désir du garçon de faire un enfant à sa mère mais aussi de recevoir un enfant de son père.

50Freud dira : « je m’habitue à penser que dans toute relation sexuelle, il y a quatre personnes ».

51Le changement est considérable : bien que parlant toujours de biologique comme cause ultime des phénomènes, il ne s’agit plus d’embryologie (fini la dissection des anguilles), d’anatomie comparée (bien qu’il y revienne épisodiquement) ou même de comportement, il s’agit de psychosexualité, ce qui est entièrement neuf et sera le champ nouveau délimité par la psychanalyse. À partir d’ici, nous devons donc parler de bisexualité psychique. Les choses y sont tout aussi complexes, c’est toujours l’auberge espagnole, mais au moins c’est de bisexualité psychique dont nous allons parler en tant qu’analyste.

III. LA PSYCHOBISEXUALITÉ

52Alors cette bisexualité, que devient-elle ?

53Pour Freud, la distinction masculin/féminin ne survient qu’après la puberté. Pour lui, au moment de la sexualité infantile, notamment au moment de la situation œdipienne, la distinction est de type phallique châtré.

54Par la suite, ces idées subiront de grandes modifications notamment à la suite des travaux kleiniens qui feront apparaître la triangulation comme beaucoup plus précoce; on parlera d’Œdipe prégénital. Certes non pas avec une claire distinction, mais sous la forme d’une bisexualité d’objet partiel, d’une scène primitive d’objet combiné.

55La distinction entre les deux sexes semble acquise dans la deuxième année, avec le vécu d’appartenir au genre masculin et féminin. Des fantasmes très corporalisés montreront déjà des formes prototypiques de cette distinction.

56Bref, il existe, bien avant l’Œdipe, déjà une connotation de la différence sexuelle. D’une certaine manière, on peut dire que le self de l’enfant est d’emblée sexué. Il n’y a pas d’abord un genre neutre ou indifférencié. Un nourrisson tout seul, ça n’existe pas. L’enfant est pris dans le champ fantasmatique de ses parents qui le vivent, le désignent comme de sexe masculin ou féminin.

57Il n’y a pas une sexualité qui vient se superposer à une identité, il y a constitutionnellement au sens psychique du terme, intrication des deux.

58L’on sait que les comportements verbaux et infraverbaux ne sont pas les mêmes venant du père ou de la mère, l’on sait aussi que ces comportements changent suivant qu’ils s’adressent à un petit garçon ou à une petite fille.

59À la suite de tous ces travaux, que je ne développerai pas ici, apparaît en tout cas clairement une chose :
Si Freud croyait à un roc biologique, tout ce qui fut découvert par la suite nous montre indiscutablement qu’il y a aussi un roc psychique et que celui-ci, au travers de l’histoire d’un individu et de l’environnement fantasmatique auquel il est soumis, pourrait être déterminant dans le fait de se sentir masculin, féminin, bisexué, ou hésitant, ni tout à fait homme ni tout à fait femme.

60STOLLER.
Nous voilà donc de nouveau confronté à la perplexité.
Mais enfin, le sexe, il est déterminé par le biologique ou par le psychisme ?
Tâchons de retrouver une certaine cohérence, non pas par l’histoire cette fois, mais par la clinique et le vocabulaire utilisé.

  • 1ère proposition. Le Sexe: état de mâle ou femelle.
  • 2ème proposition. Le Genre: masculin ou féminin.
  • 3ème proposition. Le sexe et le genre ne sont pas toujours en adéquation.

61Reprenons :

62le Sexe : état de mâle ou femelle.
Nous savons aujourd’hui clairement que le sexe mâle ou femelle est déterminé par les gènes XY ou XX, le développement de l’embryon, le rôle déterminant des hormones. On sait aussi que l’embryon est, chez l’homo sapiens comme chez tous les mammifères, naturellement de sexe femelle et qu’une imprégnation par les hormones androgéniques est nécessaire pour le faire évoluer vers le sexe mâle. Cela veut dire très nettement que, si pour une raison précise, cette imprégnation n’a pas lieu, l’individu qui naît sera de sexe féminin.

63Ces raisons peuvent être diverses, soit génétiques X et pas de Y, soit hormonales, non réactivité des tissus aux androgènes par défaut enzymatique.

64Désolé Messieurs, mais dans cette affaire le sexe dominant, c’est le sexe femelle.

65le Genre : masculin ou féminin.

66État psychique : se sentir homme ou femme, et en adéquation avec ce que la société attend d’un homme ou d’une femme suivant ses critères propres.

67C’est bien connu les garçons mettent des pantalons, grimpent aux arbres, jouent avec des fusils, et font de la politique.

68Les filles s’habillent en rose, jouent à la poupée, dessinent des arbres, et s’occupent des enfants déshérités.

69Il faut beaucoup de facteurs pour que la personnalité se cristallise en masculin ou féminin, et l’immense diversité des solutions prouve que le chemin n’est pas couru d’avance, il doit être créé à chaque fois.

70Car, et c’est cela le point important : sexe et genre ne sont pas toujours en concordance. On peut naître mâle et se sentir féminin. On peut naître femelle et se sentir du genre masculin.

71Un auteur comme Stoller nous a beaucoup appris dans ce domaine, car il a étudié pendant de nombreuses années des intersexuels et des transsexuels. Il désigne par intersexuels, ces cas cliniques de troubles génétiques, embryologiques ou hormonaux. Et là, chose étonnante, ces patients semblent avoir peu de problèmes pour autant que l’assignation ait été claire.

72Par exemple : un individu mâle XY génétiquement mais non imprégné par les hormones, voit ses organes génitaux se développer insuffisamment, est à la naissance désigné comme fille, assigné comme fille, se développe dans le sens féminin et semble n’avoir pas de grandes difficultés à se définir une identité de genre féminin.

73L’individu mûrit dans le sens de l’assignation.

74Les vrais hermaphrodites avec des organes génitaux doubles qui auront eu une assignation des plus ambiguë, auront de grandes difficultés à développer une identité sexuée tandis que ceux qui auront été assignés plus nettement, auront moins de difficultés à construire leur genre en dépit de troubles sexués biologiques évidents.

75Par contre, les patients que Stoller nous désigne comme transsexuels, bien que n’ayant aucun trouble de nature biologique du moins dans l’état actuel de nos connaissances, ont un désaccord total entre leur sexe et leur genre.

76Par exemple, un homme, aussi loin qu’il se souvienne, et ceci est confirmé par la famille, s’est toujours senti féminin, et dès l’âge de 2 ans, s’est immédiatement tourné vers les activités féminines. Une âme de femme dans un corps d’homme.

77Cela est vrai aussi de certaines femmes qui se vivent totalement et depuis toujours comme homme, bien qu’elles aient un corps de femme.

78Ces patients demandent un changement de sexe et il faut bien dire que les prouesses chirurgicales dans nos sociétés répondent à de telles demandes. Ces patients se vivent comme une erreur anatomique, c’est leur corps qu’il faut modifier et mettre en adéquation avec leur vécu intime.

79Diverses théories psychologiques tentent d’expliquer ce problème.

80La théorie de Stoller est intéressante; elle pourrait se résumer comme suit : trop de mère et pas assez de père maintient le petit garçon dans une symbiose trop profonde et surtout trop prolongée, et imprègne son vécu d’une identité féminine. Pour se sentir masculin, un garçon doit s’arracher à cette symbiose, aidé en cela par son père qui se posera en rival et en modèle identificatoire. En cas d’échec, son genre aura toutes les chances de pencher vers le féminin.

81Cela serait vrai également pour la fille : trop de père et trop peu de symbiose maternelle entraînerait la fille vers le pôle masculin.

82Les transsexuels ne seraient que la résultante de cette règle poussée à l’excès, mais elle serait d’application chez tout un chacun, réglant la répartition des tendances masculines et féminines au sein d’une même personnalité.

83L’explication a un côté quelque peu démonstratif; elle montre en tout cas l’impact du poids psychique dans cette histoire.

84Concluons ce survol historique et clinique qui constitue l’arrière fond de notre pratique :

  1. On naît mâle ou femelle mais on devient masculin ou féminin.
  2. Le genre et le sexe peuvent diverger.
  3. Le genre est déterminé par un ensemble complexe de facteurs tant éthologiques, sociaux que fantasmatiques.
  4. Le poids psychique est prépondérant par rapport au poids biologique, comme le montrent les études comparées intersexuels/transsexuels.
  5. tant qu’analyste, nous parlerons de psychosexualité et donc de psychobisexualité. Entendons par là que nous allons parler de la vie psychique fantasmatique qui organise l’identité sexuée autour du complexe d’Œdipe, y compris dans ses formes précoces.

85Nous tiendrons compte aussi du fait qu’un psychisme ne se développe qu’au contact d’un autre psychisme et que l’identité sexuée est aussi prise dans les mailles fantasmatiques et l’inconscient des parents.

86Tel est le champ ouvert par Freud. De cela nous pouvons parler. Le reste, comme analyste, nous n’en dirons rien.

IV. EN PARLER

87Mais de cela nous pouvons essayer de parler. De cela quoi ? La sexualité, la différence des sexes. Différence, où ça... ? Oh ! cette petite différence.

88Encore que... Non pas de différence ou... si peu... Bien que...

89Depuis toujours, les hommes et les femmes n’arrêtent pas de discourir sur ce qui les fait semblables et en même temps sur ce qui les sépare. Nous sommes là avec nos fantasmes, nos souhaits, nos désirs, nos craintes, nos rages. Cela dure depuis le commencement et cela ne semble pas prêt de s’arrêter. Tous les mythes parlent de cette question. Toute cette histoire est une terrible boîte de Pandore.

90LA BOITE DE PANDORE

91Tiens, au fond, cette boîte de Pandore nous ramène à Zeus. Car je ne vous ai pas tout dit tantôt, je ne vous ai pas dit l’essentiel pour nous analystes :
Pourquoi Zeus était-il si préoccupé ?

92Parce que les êtres humaines étaient devenus orgueilleux et se voulaient l’égal des Dieux.

93Oui, mais comment cela avait-il été possible ?

94Il y avait eu un traître parmi les dieux : un dieu qui avait joué double jeu.

95Jusque là, les humains jouissaient sans entrave de tous les bienfaits de la terre : le feu, la nourriture, tout était à disposition. Les êtres humains naissaient spontanément des planètes, sans souci.

96Zeus avait commencé par cacher le feu, puis la nourriture, pour faire sentir aux êtres humains qu’ils n’étaient que des créatures terrestres. Mais Prométhée l’avait rendu aux humains qui avaient pu domestiqué et le feu et l’agriculture, grâce à ce dieu qui jouait sur les deux tableaux.

97Bien sûr, les choses étaient moins sûres, il fallait sans cesse surveiller le feu pour qu’il ne s’éteigne pas ou qu’il ne brûle pas tout, et il fallait obtenir son blé à la sueur de son front : il fallait cultiver son champ.

98C’était moins idyllique, mais, grâce à Prométhée, on avait survécu.

99Zeus décida alors de frapper un grand coup pour ennuyer les hommes.

100Il avait d’abord coupé les hybrides en deux. Il devait faire beaucoup mieux. Il allait créer le désir.

101Zeus demanda que l’on fabrique, avec de la glaise et de l’eau, un être superbe, une femme parée de toutes les beautés, de tous les charmes : elle reçut le nom de Pandora. Elle était si belle qu’elle attisait la convoitise des autres dieux, aussi Zeus décida de l’envoyer rapidement sur la terre pour que la révolution n’éclate pas dans l’Olympe. Comme il voulait se venger de Prométhée, il l’envoya à Epiméthée, son frère. Prométhée avait compris la ruse. Pro-méthée celui qui comprend avant. Il avait dit à Epi-méthée, celui qui comprend après, « ne te laisse pas avoir, on va te proposer un cadeau, refuse-le ». Mais Pandora apparaît à Epiméthée. Il est tellement ébloui, il a un tel coup de foudre que le lendemain il épouse Pandora.

102Mais il ne sait pas deux choses :

  • la première, c’est que Pandora est douée d’un appétit sexuel terrible et que les hommes, dorénavant pour se reproduire, devront passer par la sexualité et s’épuiser à satisfaire leur femme s’ils veulent assurer une descendance;
  • la deuxième : Pandora a apporté avec elle une boîte que Zeus lui demande de n’ouvrir que lorsqu’elle sera parmi les hommes, ce qu’elle fait.

103La fameuse boîte de Pandore. Immédiatement, le désir, la jalousie, la haine, la guerre, les malheurs se répandent sur la terre. Au fond de la boîte, il reste l’espoir.

104Donc, avant, c’était le paradis terrestre, tout était à disposition. Et voilà que Zeus envoie la femme aux hommes, la différence des sexes, la sexualité, le désir, la jalousie... et les malheurs de commencer !

105La femme est l’avenir de l’homme mais elle pourrait bien être aussi le commencement des ennuis puisqu’elle est le commencement des différences, le commencement du désir, l’envie de croquer la pomme, la curiosité d’ouvrir la boîte de Pandore, la sortie du paradis.

106Est-il possible d’ouvrir la boîte de Pandore sans trop de dégâts ?

107Il suffirait de demander à Prométhée et nous serons de nouveau l’égal des dieux. Rien ne nous arrêtera, nous connaîtrons tous les secrets. Nous serons de nouveau bisexués.

108Non, tu n’ouvriras pas la boîte comme cela, tu dois te limiter sinon je te coupe un peu plus, répond Zeus. Ta condition sera la castration. Tu es masculin ou féminin, tu dois choisir.

109Depuis toujours, les enfants aussi reprennent ces mêmes thèmes dans leurs théories sexuelles infantiles. Car cette auberge espagnole, cette perplexité, cette oscillation entre : ça y est, j’ai compris et crois-tu vraiment, n’est-ce pas ce qui va s’organiser, se penser, se fantasmer, pour mettre en forme ces découvertes ?

110Bien sûr, les petites filles n’ont pas de pénis, mais cela ne va pas tarder à pousser. Oui, évidemment ce sont les femmes qui font les bébés, mais papa et moi, pense le petit garçon, si on s’y met... pourquoi pas ?

111Depuis notre plus tendre enfance, nous brodons à qui mieux-mieux pour éponger l’effroi des différences et restaurer l’espoir des complémentarités. Moi qui suis en train de vous parler, je suis et je demeure un théoricien sexuel infantile, et je vous parle à vous qui êtes aussi et restez des théoriciens sexuels infantiles. Et que racontons-nous ? Des histoires sexuelles infantiles pardi !

112La bisexualité, dans sa variété la plus omnipotente, dira qu’on peut être les deux sexes à la fois, qu’on peut découvrir le secret de la jouissance éternelle. Le mythe de l’hermaphrodite qui ne devrait rien à personne. Le manque y est nié.

113Dans une moindre mesure, la bisexualité, c’est l’espoir d’un dialogue, d’un échange, d’une compréhension mutuelle entre les sexes. Le manque y est adouci.

114Ce thème, et je reprends ici une idée défendue par C. David dans son rapport du Congrès des Romanes en 1975, est un facteur d’organisation de la vie psychique au même titre que le thème de la castration. D’un côté, la césure, la séparation, l’inachèvement, de l’autre la réunion, le rapprochement parfois jusqu’à la fusion.

115La bisexualité dit : tout le monde a des côtés masculins et féminins, c’est une sorte de continuum.

116L’inachèvement dit : ah non, il y a des différences radicales, le féminin de l’homme n’est pas le féminin de la femme et vice versa.

117Ce qui m’intéresse dès lors, tant sur le plan théorique que sur le plan de la cure, comme nous allons le voir, c’est l’état de cette mélodie, point contrepoint où clivages et refoulements rythment retrouvailles et éloignements. Cette dialectique entre la complémentarité des différences et la différences des complémentarités est pour moi au cœur de l’économie psychique. Et c’est donc moins repérer ce qui est masculin ou féminin qui m’intéresse, qu’écouter les formes prises par leur dialogue sans cesse renouvelé.

118Décidément, les hommes et les femmes ne veulent pas les mêmes choses, au pire ne sont pas faits pour vivre ensemble, mais ça n’empêche pas d’essayer.

V. LA BISEXUALITÉ DANS LA CURE

119Essayer ! On ne peut pas dire que nous n’avons pas essayé. Cela dure même depuis pas mal de temps entre hommes et femmes. Mais voilà, ça n’a pas été sans mal, sans angoisses, sans déprime, sans symptômes. Et les équilibres, ces compromis entre castration et bisexualité ont parfois de sérieux ratés. Et d’aller voir un psy. Nous y voilà donc dans la cure.

120Plantons le décor.

121D’un côté l’analysant :
Il est là avec toute son histoire, celle de ses fantasmes, de ses théories sexuelles, de ses illusions, de ses rages et aussi celle de sa rencontre avec les théories de ses parents, de son milieu, de sa société. De génération en génération, nous nous transmettons des histoires à rêver, des histoires à broder, parfois des histoires à dormir debout.

122Cet analysant, c’est un homme ou une femme. Mais cela est-il si sûr ? Si nous étions médecins, ce serait plus facile, on vérifierait en disant : déshabillez-vous ! Mais nous, c’est la psychosexualité qui nous intéresse.

123Masculin, féminin, allez savoir. En tout cas, s’il ou elle est là, c’est que ça coince.

124Entre inachèvement et complétude, on est resté perplexe. Alors on est venu pour retrouver la clef des désirs, la clef du paradis, celle qui va ouvrir toutes les portes, lever tous les obstacles. On va enfin savoir ce que nos parents nous avaient toujours refusé. On est venu voir Prométhée, celui qui sait, celui qui est supposé savoir.

125Mais que se passe-t-il ? Arrêtez, il y a maldonne, on trouve Epiméthée, celui qui ouvre la boîte de Pandore.

126Non, je ne veux pas parler de mes angoisses, de mes impuissances, de mes haines, de mes jalousies. Je suis venu pour la clef du bonheur. Je suis venu pour ne pas choisir entre masculin et féminin ou, en tout cas, pour attendre encore un peu.

127Quoi ! Tout dire de ce qui me passe par la tête ? Vous n’y pensez pas ! Je veux juste dire ce que je désire, ce dont j’ai besoin. Si ce n’est pas ça, alors « je suis venu te dire que je m’en vais » !

128De l’autre côté l’analyste :
Avec aussi toute son histoire. À commencer par celle de vouloir être analyste : après tout, on a les boîtes de Pandore qu’on peut.

129Etre analyste ne serait-ce pas un écho de cette curiosité, soulever le couvercle, être à l’ombilic de la relation homme-femme, sans se prononcer, en observateur soi-disant neutre ?

130Un miroir disait-on. Vous serez un pur miroir réfléchissant.

131On sait aujourd’hui que c’est pour le moins un miroir sans tain, et que l’analyste, quoi qu’il en dise, est partie prenante dans ce qui se déroule.

132Nous avons aussi nos préjugés de base et nos théories analytiques sont infiltrées par nos théories sexuelles infantiles. Le masculin et le féminin colorent nos théories.

133Tenez, dans la psychanalyse actuelle, on peut en gros y voir deux courants dominants :
– Dans l’un, l’accent est mis davantage sur l’aspect maternel. On y insiste sur le fait que le processus réactive les relations avec l’objet primaire, surtout dans leur aspect contenance, réceptivité, capacité de rêverie maternelle, mises en forme des premiers vécus, des premières symbolisations.

134La symbiose et l’élation des premiers accordages contribuent à installer une sécurité de base, si nécessaire, comme l’a bien montré Winnicott. L’objet ne lutte pas contre les fantasmes en imposant sa réalité. Il est trouvé créé.

135Dans ce registre, l’enfant est l’égal des dieux. Il crée le monde qui apparaît juste là où il s’attend à le trouver, et l’analyste va respecter ce climat afin de redéployer cette part enfantine.

136Sous l’influence des traitements d’enfants et des sujets borderline, ces théories vont donc infléchir le contre transfert dans un sens nettement plus maternel, au point que parfois la sexualité tend à disparaître ou n’être que secondaire par rapport à un niveau plus archaïque où se jouerait la vraie difficulté. Il est clair que les analystes, hommes ou femmes, aux composantes féminines plus marquées, seront plus à l’aise dans ces processus.

137– Dans l’autre, au contraire, la castration et la différence des sexes sont maintenues énergiquement et le père reste bien présent dans la nursery. La mère qui était en sollicitude primaire avec son enfant, se détache, se met à avoir autre chose en tête, rejoint son amant. « L’autre de la mère » est là, du moins peut-on le souhaiter. La belle symbiose en prend pour son grade. La mère est devenue une sorcière qui s’absente en quête d’autres plaisirs. Quelqu’un d’autre est entré en scène, le rival est là à l’horizon. La castration symbolique, la loi du père, la structure obligée de l’humanisation.

138Dans ce courant, l’accent portera davantage sur la césure, la limite, la réduction des captations imaginaires. Le contre-transfert est surtout sollicité au niveau de sa part plus masculine, plus interdictrice, plus frustrante.

139Cette alternance d’éléments masculins et féminins a amené certains analystes à parler de la bisexualité du cadre, et je crois donc personnellement que son attitude est loin d’être neutre. Tellement peu d’ailleurs que l’on a vu certains analystes, ces derniers temps, prendre nettement position dans des débats de société où la bisexualité est particulièrement sollicitée.

140Savoir si deux homosexuels peuvent adopter un enfant, savoir si les opérations chirurgicales des transsexuels sont souhaitables ou non. Ces analystes se sont fait l’avocat de certaines attitudes sociales en fonction de structures de l’inconscient jugées inaltérables, éternelles, scientifiquement fondées.

141Donc du côté de l’analyste, les choses sont loin d’être de tout repos.

142Et le processus de s’engager.

143Je rappelle encore une fois que ce qui m’intéresse, c’est moins de repérer les aspects masculins ou féminins mis en jeu en tant que tel, que d’être attentif davantage à leur dialogue, au style de leur confrontation. Ceci bien sûr va se réactualiser dans la cure et c’est particulièrement la relation dialectique transfertcontre transfert qui va l’illustrer.

144Quelques exemples :
Nous connaissons tous ces analyses qui commencent comme une lune de miel : tout ce que l’un apporte semble correspondre parfaitement aux besoins exprimés par l’autre. Tout baigne dans un climat d’idéalisation, de ferveur, d’amour parfait enfin réalisé. Les nuages sont écartés, la sérénité sauvegardée. L’ennui avec les nuages, c’est qu’ils insistent et qu’ils reviendront tôt ou tard, submergeant la quiétude et l’innocence des premiers temps.

145D’autres analyses montrent d’emblée que les problèmes sont les différences, les incomplétudes, les incompatibilités. Chacun se souvient de ces analysants qui ne s’installent dans le cadre que pour en dénoncer les aspérités, les frustrations et s’y blesser avec un masochisme triomphant. Rien n’est bon, tout est mal compris, que sont-ils venus faire avec quelqu’un d’aussi borné et d’aussi peu compréhensif. Si vous êtes un homme, il aurait fallu une femme, l’inverse étant bien entendu tout aussi certain. Cela a toujours été comme ça dans leur famille et ce sera toujours comme ça. Pour eux, la boîte de Pandore est déjà largement ouverte depuis longtemps. Ils ne veulent pas regarder dans le fond, là où subsiste l’espoir. Ce qui est ici enfoui, c’est l’idéalisation, qui, sous couvert d’une réalité toujours frustrante, reste tapie au fond du psychisme.

146Dans ces aller-retour entre complétude et inachèvement, entre fusion et séparation, le processus va se frayer un chemin. Certes, il va rééditer les anciens nœuds, les anciens compromis, mais la dynamique qui se réinstaure est riche de nouvelles solutions.

147Freud nous disait : il y aura toujours au fond de l’homme une part qui ne voudra rien savoir du réel et qui n’écoutera que son bon plaisir. Mais Winnicott lui a répondu que s’il n’en était pas ainsi, les hommes seraient encore plus fous qu’ils ne le sont.

148Que vivent donc ces accords et désaccords entre illusions et déconvenues. Ce que l’on peut attendre du processus, c’est que les parts masculines et féminines donnent naissance à la zone transitionnelle qui tentera de créer les rapports fécondants de tous ces vécus. Cela ne sera possible que par le travail conjoint de la bisexualité et de la castration.

149Si la souffrance de l’ouverture de la boîte de Pandore est trop grande, alors les vécus de nature paranoïde seront clivés et la sexualité sera maniaque. Si la perlaboration de la position dépressive est possible, alors les éléments masculins et féminins reconnus différents pourront se parler dans la transitionnalité.

150L’état de la bisexualité chez l’analysant comme chez l’analyste reflète l’histoire de ce combat commencé dans les premières relations, élaboré dans les théories sexuelles infantiles et finissant par se dire sur le divan. Le père et la mère, l’homme et la femme sans cesse réinventés.

151L’analyste n’est pas là pour être le représentant d’une quelconque castration déjà posée là de manière immanente. L’analyste est là pour animer cette transitionnalité, pour la créer au besoin, pour que le jeu reprenne et que la différence des sexes refasse des idées-bébés qui s’en iront joyeusement faire des pieds de nez au réel. Cela suppose évidemment que l’analyste ne se serve pas de ses théories comme d’un fétiche où ses analysants ne feraient qu’illustrer le bien-fondé de ce qu’il pense a priori.

152Il y a un peu plus de cent ans que l’analyse existe. Nous avons beaucoup appris, nous avons beaucoup écrit, trop peut-être. Il m’arrive de penser que cet excès de théories analytiques pourrait étouffer ce que Freud avait découvert : que le rêve est toujours là, qu’il invente, qu’il parcourt, qu’il se bat pour que nous puissions continuer à dormir et rêver davantage. De même que l’on demande à l’analysant de dire ce qui lui vient en tête, de même on demandera à l’analyste d’être sans préjugé quant au but.

153Bien sûr, il y a la différence des générations et des sexes. L’enfant doit bien s’y soumettre. Mais cela est vrai aussi dans l’autre sens; les parents doivent aussi admettre que l’enfant c’est une nouvelle donne, quelqu’un d’inattendu qui va peut-être trouver de nouveaux chemins jamais explorés.

154On souhaiterait que les aspects masculins et féminins aient assez d’altérité interne, d’incomplétude, pour que l’enfant puisse trouver une voie qui ne soit pas que le prolongement narcissique des parents. De même, on voudrait que la bisexualité du cadre soit suffisamment incomplète pour que l’analysant ne soit pas une pâle copie de son thérapeute.

155Alors je plaide pour une certaine ignorance. Vive l’interprétation ouverte qui ne sait pas où elle va, qui relance le processus associatif :
il était une fois...

156si on disait que...

157Un jour, un analysant au détour d’un acte manqué, d’un lapsus, d’une surprise en tout cas, inventera un nouveau compromis entre homme et femme, une chose à laquelle nous n’avions jamais songé. Entre homme et femme, entre père et mère, entre mythes et réalités, entre théories sexuelles infantiles, les humains ont cherché sans cesse de nouveaux territoires.

158La bisexualité, c’est ce dialogue permanent entre une part qui accepte qu’homme et femme soient différents et une part qui n’en veut rien savoir. Nous sommes là pour entretenir ce dialogue, pour entretenir cette perplexité. On voit bien de quoi il s’agit et pourtant cela reste insaisissable.

159Comme dit le poète :

160

« On croyait savoir tout sur l’amour depuis toujours,
nos corps par cœur et nos cœurs
au chaud dans le velours.
Et puis te voilà bout de femme,
comme soufflée d’une sarbacane. »

161Prométhée ou Epiméthée ? De grâce ne choisissons pas !

Notes

  • [*]
    Ce texte est une communication orale dont l’auteur a souhaité conserver la forme.
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