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Article de revue

Le démonstratif et autres marqueurs anaphoriques dans les chaînes de référence en français et en tchèque

Une étude exploratoire du roman Le brave soldat Chvéïk

Pages 77 à 99

Notes

  • [*]
    Ce travail a bénéficié du soutien de l’ANR dans le cadre du projet Democrat (ANR-15-CE38-0008).
  • [1]
    C’est le plan de la référence qui est déterminant pour le présent travail, vu que le démonstratif est, du moins dans la majorité des cas, indissociable de l’acte référentiel, contrairement au défini, connaissant également de nombreux emplois dits « attributifs » (voir notamment Donnellan, 1966).
  • [2]
    Ces noms à apport informationnel minimal sont souvent désignés, dans la littérature anglophone, par le terme de « shell nouns » (voir par exemple Schmid, 2000).
  • [3]
    Ariel (1988) parle d’« accessibilité du référent », le démonstratif introduisant, selon elle, des référents à accessibilité moyenne (semi-activés).
  • [4]
    « En effet, au titre de désignateur rigide, il constitue une procédure d’étiquetage univoque et constante au sens où il n’émane pas, contrairement à d’autres unités désignatives, de situations affectant, plus ou moins décisivement, le référent. Par ailleurs, au plan instructionnel, le Np a la capacité tout à fait remarquable de débrayer et de remettre les compteurs référentiels à zéro. » (Schnedecker, 1997 : 209)
  • [5]
    En tchèque parlé, le démonstratif ten serait le lexème le plus fréquent selon Čermák (2007). Outre cette forme, la langue dispose également de formes marquant la proximité – notamment tento (soutenu formel) et tenhle (familier et soutenu informel) – et l’éloignement – notamment tamten (neutre) et onen (soutenu). Toutes les formes sont employées à la fois comme « déterminants » et comme pronoms.
  • [6]
    Lorsqu’il sera question du tchèque, nous utiliserons ce terme toujours assorti de guillemets fictifs, car, adhérant à la position d’Himmelmann (1997), nous considérons qu’il est illégitime de parler de déterminants au sens propre du terme pour une langue sans article défini ; en réalité, la catégorie des déterminants, ainsi que l’unité syntaxique appelée « syntagme nominal » (SN) apparaissent à l’issue du processus de grammaticalisation du démonstratif en article défini. Il convient aussi d’ajouter qu’à la différence du français, contenant deux paradigmes morphologiquement différents du démonstratif et se prêtant, respectivement, à l’emploi adnominal et à l’emploi pronominal, le tchèque n’en contient qu’un seul, toutes les formes étant employées à la fois en position adnominale et pronominale.
  • [7]
    De même que ses équivalents dans les autres langues slaves occidentales, notamment le sorabe et le dialecte silésien du polonais (cf. Czardybon, 2017). Dans toutes ces langues, le démonstratif neutre sur le plan de la distance semble suivre la trajectoire de la grammaticalisation en article défini, décrite par Greenberg (1978), Himmelmann (1997), Diessel (1999), Carlier et De Mulder (2011), etc.
  • [8]
    Nous renvoyons ici le lecteur à notre étude de 2020, où nous avons essayé d’éclaircir davantage le fonctionnement du ten adnominal en tchèque parlé informel à l’aide du cadre théorique développé par Löbner (2011).
  • [9]
    Nous renvoyons le lecteur à l’article de Portele et Bader (2016). Cet article, issu d’une étude réalisée sur un corpus écrit, porte sur les principes et les tendances de l’alternance du pronom personnel de la 3ème personne du singulier masculin (er) et du démonstratif pronominal en reprise anaphorique transphrastique en allemand. En tchèque, la situation nous paraît à cet égard comparable à celle de l’allemand, mis à part le fait que le tchèque, une langue pro-drop, connaît également l’anaphore zéro.
  • [10]
    En tchèque, langue qui possède un ordre des mots assez libre grâce à son riche paradigme de flexion, l’élément thématique apparaît plus naturellement qu’en français dans des fonctions syntaxiques autres que le sujet.
  • [11]
    Si, dans les deux types de dislocation, le constituant est thématique, il n’est pas présenté de la même façon et ne joue pas le même rôle par rapport à la structure à l’intérieur de laquelle il s’inscrit : alors que la dislocation à gauche semble commencer plus souvent une nouvelle chaîne de référence, introduite par le constituant disloqué mis en relief, la dislocation à droite sert davantage à maintenir la chaîne en cours tout en mettant l’accent sur l’information nouvelle (le rhème) apportée par la proposition. Ainsi, les constituants des dislocations à droite seraient plus thématiques que ceux des dislocations à gauche (cf. Kalbertodt, Primus et Schumacher, 2015).
  • [12]
    Une nouvelle traduction améliorée est sortie en mai 2018, plusieurs mois après la réalisation de la présente étude : HAŠEK J., 2018, Les Aventures du brave soldat Švejk. Livre premier : À l’arrière, Paris, Gallimard, traduit par Benoît Meunier. Les dates de parution mentionnées ci-dessus concernent également le premier tome (Livre premier).
  • [13]
    Nous tenons ici à remercier tout particulièrement Matthieu Quignard pour l’aide inestimable qu’il nous a apportée avec le traitement des textes en TXM.
  • [14]
    Cf. Wilmet (1986).
  • [15]
    La différence s’avère statistiquement significative après l’application de la fonction de vraisemblance : L = 35,0867 ; taille de la population totale : en tchèque = 1049, en français = 1164 ; p = 0 ; la valeur critique = 3,841 (le degré de liberté = 1 ; α = 0,05).
  • [16]
    Si ce chiffre est en partie arbitraire, il permet néanmoins de retenir les chaînes les plus longues et de les analyser en détail. Dans la situation d’un seuil plus bas, le nombre de chaînes à analyser aurait été trop élevé, dépassant ainsi les limites de la présente étude. Dans un tout premier temps, nous avons inclus dans la définition des maillons l’ensemble des expressions référentielles, y compris celles qui ressortissent, dans les textes, à l’anaphore intra-phrastique (certaines occurrences du pronom réfléchi se des deux langues). Suite à une remarque de l’un de nos relecteurs – que nous remercions ici – au sujet des singularités de ce type d’anaphore, nous avons revu nos annotations afin d’en écarter les quelques occurrences appartenant à l’anaphore intra-phrastique.
  • [17]
    Les chaînes surlignées en gris sont celles qui contiennent le plus de démonstratifs.
  • [18]
    La différence s’avère statistiquement significative après l’application de la fonction de vraisemblance : L = 8,08 ; taille de la population totale : en tchèque = 439, en français = 534 ; p = 0.004479 ; la valeur critique = 3,841 (le degré de liberté = 1 ; α = 0,05).
  • [19]
    La « proéminence » est un concept complexe et dépendant d’une série de facteurs. Comme l’écrit Zíková (2017 : 188-189), la proéminence est d’abord déterminée par le statut ontologique du référent : sont plus proéminents les référents animés et notamment humains. Ensuite, elle est déterminée par la persistance et la fonction syntaxique dans laquelle le référent apparaît (la fonction sujet étant plus proéminente que la fonction COD et COI). La « persistance » (« decay » chez Givón, 1983) indique le nombre de fois où le référent réapparaîtra dans le discours ultérieur.
  • [20]
    Peu de cas relèvent de la deixis situationnelle (référant au sein d’un contexte situationnel mis en place par le récit). Ensuite, 22 des DD tchèques et 6 des DD français ont été analysés comme ressortissant au régime de l’exophore mémorielle : l’identification du référent repose sur des connaissances partagées entre le locuteur et l’interlocuteur (Fraser et Joly, 1979 et 1980).
  • [21]
    Le chiffre dépend exclusivement de notre propre analyse des occurrences. Nous admettons, bien entendu, qu’une autre personne puisse ne pas la valider dans son intégralité.
  • [22]
    Dans la suite de l’article, lorsqu’il s’agira du même exemple, nous en citerons d’abord la version française et ensuite la version tchèque. Si seule la version tchèque contient le démonstratif, nous citerons d’abord celle-ci, suivie de sa traduction française.
  • [23]
    Par conséquent, en français, nous ne sommes pas en présence d’une anaphore résomptive, car le ProDem reprend la référence d’un SN, contrairement au tchèque, où il reprend un contenu se rapprochant d’une nature propositionnelle. Au passage, remarquons que dans les textes des deux langues, le ProDem est souvent la forme apparaissant dans les structures attributives (l’emploi dit « identificatoire » ; Diessel, 1999). Alors qu’en tchèque, c’est la même forme que celle des autres emplois qui apparaît (le singulier neutre de ten (to)), le français recourt à la forme neutre ce, une forme à part (bien qu’homomorphe avec la forme du déterminant masculin singulier ce), car évoluée de ecce + hoc.
  • [24]
    En plus de la présence du démonstratif, le changement de point de vue est indiqué par le modalisateur asi ; malgré l’absence du démonstratif, la traduction française n’en marque pas moins ce changement de perspective en recourant au modalisateur certainement et à la formulation de la part de Monsieur (marqués en gris dans le texte).
  • [25]
    Nous empruntons l’essentiel du concept d’« accessibilité référentielle » à Ariel (1988) et à Laury (1997).
  • [26]
    Il est doté d’une fonction de substantivation (cf. Berger, 1993 : 97). Dans la première occurrence de ten en tchèque ainsi que dans le cas de celui en français, la forme du démonstratif reprend, à notre avis, le sens du/des nom(s) archiduc (Ferdinand). Nous sommes face à une proforme (cf. Riegel, Pellat et Rioul, 2016 [1994]).
  • [27]
    Ce type de cumul du démonstratif avec un autre mot grammatical est tout à fait naturel en tchèque – une raison de plus de rejeter l’appellation de « syntagme nominal » pour cette langue, car les langues où l’existence du SN ne fait pas de doute sont beaucoup plus réticentes à autoriser de telles combinaisons (cf. Himmelmann, 1997 ; *ce notre Ferdinand en français).
  • [28]
    Se rapportant au travail de Bonnard (1972, Kleiber (1991 : 94) note très pertinemment au sujet de ce cas de figure : « H. Bonnard (1972, p. 1207) indique de quel côté chercher la solution. Dans des expressions comme Ce cher Pellegrin !, Cette pauvre Josette ! et Ce sacripant de Victor !, le « démonstratif rappelle, écrit-il, la réalité antérieurement constatée par la qualité qu’expriment les adjectifs cher et pauvre, ou le nom sacripant ». Autrement dit, l’énonciation de ce cher Pellegrin ou de cette pauvre Josette s’appuie sur une situation antérieure qui justifie la qualification opérée par cher et par pauvre. Il reste que l’interlocuteur doit aussi avoir accès à une telle situation et, puisqu’il s’agit d’une identification démonstrative, qu’il y ait dans la situation d’énonciation des éléments qui y conduisent. »
  • [29]
    Cette occurrence du nom propre se prête à une lecture métonymique : ce Saraïévo de malheur = cet incident malheureux qui s’est produit à Saraïévo.
  • [30]
    Pour ce qui est de la notion de « continuité thématique », nous nous inspirons notamment de Givón, 1983. Ainsi, la formulation avec ten produit un effet davantage thématisant du référent que son absence (typiquement, l’anaphore zéro en [29] et l’absence de dislocation en [30]). En plus de la thématisation, cette présence de ten aboutit également à une plus grande expressivité de l’énoncé (notons que [29] est un énoncé à modalité phrastique exclamative).
  • [31]
    Sémantiques : il s’agit d’une entité du second ordre de Lyons ; pragmatique : la situation empêche le locuteur d’être plus concret, d’« appeler un chat un chat ».
  • [32]
    Pour ce dernier point, voir notamment Laury (1997), qui parle de référents « semi-activés ».

1 – Introduction, cadre théorique

1 De même que l’article défini et le nom propre, le démonstratif est traditionnellement rangé dans la classe des expressions définies, aussi appelées « désignateurs » (cf. Geach, 1968 ; Corblin, 1987). Ce qui différencie cependant les expressions démonstratives des autres expressions définies, c’est le rôle primordial du contexte dans leur fonctionnement référentiel [1]. Ce rôle est relevé par de nombreuses études, comparant le démonstratif notamment à l’article défini. Pour paraphraser Corblin (1987), le défini fonctionne d’abord grâce à la « référence virtuelle » (Milner, 1976), c’est-à-dire grâce au sens descriptif du nom qu’il introduit, et seulement après, lorsque celle-ci s’est montrée insuffisante dans l’identification du référent, il recourt au contexte. En revanche, pour le démonstratif – unité linguistique intrinsèquement déictique –, le contexte est premier, et le sens descriptif n’entre que de façon secondaire dans cette opération. La preuve en est que, le cas échéant, le démonstratif se suffit d’un sens descriptif très ténu, comme on le voit dans le cas des pronoms démonstratifs neutres cela, ça, ceci, ou qu’il peut introduire un nom doté d’un sens descriptif très général et vague du type chose[2]. Il va de pair avec cela que le démonstratif serait davantage susceptible d’apparaître avec des référents plus abstraits et vagues, appelés par Lyons (1999 [1978]) « entités de second et de troisième ordre ».

2 Dans l’approche cognitive de la deixis qui est celle de Cornish (2010 : 114-115), le démonstratif signale systématiquement du nouveau :

3

« La deixis sert prototypiquement à orienter le foyer d’attention de l’allocutaire vers un nouvel objet de discours (ou vers un nouvel aspect d’un objet de discours déjà existant au moment de la prise de parole) qui est à construire mentalement, par défaut à partir de la situation d’énonciation – dont le centre (l’« origo » chez Bühler, 2009 [1934]) est le hic et nunc de l’activité verbale et non-verbale du locuteur […]. L’emploi de la procédure référentielle déictique implique toujours une rupture, fût-elle brève, dans la continuité du discours jusqu’au moment de son occurrence. […] »

4 Cette rupture dans la continuité discursive dont parle Cornish est également la raison pour laquelle le déterminant démonstratif attribue souvent une propriété nouvelle à l’objet désigné, permet sa (re)catégorisation en anaphore infidèle, où un autre nom est utilisé dans la reprise :

[1]
Un chien n’en finissait pas d’aboyer. Ce sale clébard l’exaspérait.

5 Font aussi partie de ce phénomène les emplois du démonstratif dits « résomptifs », dont nous traiterons plus loin.

6 Si nous appliquons maintenant ce qui vient d’être dit à la problématique des chaînes de référence, tout emploi du démonstratif devrait avoir pour conséquence une (ré)activation du référent [3], s’accompagnant d’une rupture (un tant soit peu discrète) avec le contexte antérieur. En recourant au démonstratif, le locuteur (re)donnerait de la saillance au référent tout en l’embrayant sur le contexte immédiat. Le rôle du contexte immédiat est également ce qui distingue, en l’occurrence, le démonstratif du nom propre. Celui-ci (re)donne lui aussi, comme l’a démontré Schnedecker (1997), de la saillance au référent tout en introduisant une rupture (partielle) dans la continuité du discours. Toutefois, en tant que désignateur rigide (cf. Kripke, 1980) il reste globalement indépendant du contexte [4].

7 Outre ces constats généraux, des différences existent entre le français et le tchèque dans l’emploi des démonstratifs. Aussi trouvons-nous nécessaire, avant d’aborder l’analyse de notre corpus, de relever ce qui nous paraît être les différences essentielles.

2 – Emploi du démonstratif : principaux contrastes entre le français et le tchèque

8 En tchèque, et surtout dans son registre parlé informel, le démonstratif ten[5], neutre à l’égard de la distinction proximité/distance, est employé davantage que ne l’est le démonstratif en français, et ce à la fois comme « déterminant » [6] (DD) et comme pronom (ProDem). Tout d’abord, on peut parler d’un véritable suremploi de ten en position adnominale, phénomène qui a suscité force interrogations chez des linguistes slavisants (cf. Mathesius, 1926 ; Adamec, 1983 ; Berger, 1993 ; Dvořák, 2020). Les raisons en sont au nombre de deux. D’abord, le tchèque, langue sans articles, emploie ten dans des contextes où les langues à articles emploient l’article défini. Se posant la question de savoir si ten ne pourrait être considéré, lui aussi, comme un article défini, Mathesius (1926) a écarté cette hypothèse en rappelant que contrairement à l’article défini des langues qui en disposent, la présence de ten est rarement obligatoire. Il n’en demeure pas moins que cette forme a entamé sa grammaticalisation en article défini [7].

9 La seconde raison de l’abondance du DD ten en tchèque sont ses emplois « émotionnels », aussi appelés « secondaires » dans la littérature slavisante (Mathesius, 1926 ; Adamec, 1983), « expressifs » ou « périphérique » (Štícha, 1999). Ces emplois du démonstratif ont fait l’objet d’études dans plusieurs langues, y compris le français (cf. Kleiber, 1991 ; Gary-Prieur, 1994 et 2001 ; Jonasson, 1998). Contrairement au fonctionnement sémantico-référentiel prototypique du démonstratif, ces emplois ont ceci de particulier que le démonstratif ne participe pas à l’identification du référent, celui-ci étant déjà identifié par le seul nom. Typiquement, il en va ainsi lorsque ce nom est un nom propre ou un nom à référence générique :

[2]
Cette pauvre Josette !
(Bonnard, 1972 : 1207)
[3]
Ils sont fous, ces Romains !
(Kleiber, 1991 : 95)

10 Il semble cependant qu’en français, ces emplois obéissent à des contraintes bien plus fortes. Ainsi, si le DD s’associe à un nom générique, il est question d’une généricité réduite (les Romains constituant une « sous-espèce » des êtres humains ; Gary-Prieur, 2001). Pour ce qui est du nom propre (nous laissons ici de côté ses emplois dénominatifs et figurés, cf. Kleiber, 1991), celui-ci semble se combiner avec le DD, si nous suivons ici Kleiber (1991), uniquement 1) pour produire un effet d’affectivité, dans lequel cas l’association porte une forte marque de subjectivité et/ou apparaît dans un énoncé exclamatif, 2) pour marquer un effet de distance mentale entre le locuteur et le référent du nom propre. En tchèque, le phénomène en question va toutefois beaucoup plus loin. Le démonstratif peut ainsi s’y associer à un nom à généricité maximale comme il peut s’y associer à un nom propre, afin de produire d’autres effets que ceux décrits ci-dessus [8]. Le démonstratif peut également, comme nous le verrons, s’associer à d’autres déterminants au sein d’un même complexe nominal, phénomène défendu en français par des contraintes distributionnelles. En somme, ces emplois du démonstratif sont plus riches et « intrigants » en tchèque qu’en français pour la diversité des effets pragmatiques qu’ils véhiculent. À titre d’exemple, citons ici l’énoncé suivant de Mathesius, où ten est employé avec le substantif hlava (‘tête’), soit un concept relationnel sémantiquement unique (Löbner, 2011) :

[4]
Jenkdybymne
seulementsi.CONJ+AUX.COND.3SGmoi.DAT
ta hlav-a
ten.F.NOM.SG tête-NOM.SG
přesta-l-a  bolet!
cesser-PTCP-SG.F  faire mal.INF
Si seulement je n’avais plus mal à la tête !
(Mathesius, 1926 : 40)

11 S’agissant du démonstratif en emploi pronominal, sa fréquence est également plus élevée en tchèque qu’en français. Cela est dû en grande partie au fait que le ProD ten se substitue souvent au pronom personnel de la 3ème personne (on), aussi bien dans les contextes anaphoriques que dans les contextes déictiques situationnels [9] :

[5]
L1 :Kdejelopat-a?
être.PRS.3SGpelle-NOM.SG
Où est la pelle ?
L2 :Tu jsem  už uklidi-l [10].
ten.F.ACC.SG AUX.PST  déjà ranger- PTCP.SG.M
(Elle), je l’ai déjà rangée.

12 Le ProDem ten apparaît également en tchèque dans les dislocations (à droite ou à gauche). Dans ce cas, le constituant est extrait de la phrase matrice, où il est remplacé par un ten représentant. Si dans les deux systèmes, la dislocation est typique de la langue parlée, le français recourt au pronom personnel (à moins que le référent soit une entité de deuxième ou de troisième ordre ; Lyons, 1999 [1978]) [11] :

[6]
FR :Nathalie, elle est gentille. / Elle est gentille, Nathalie.
CZ :Nathálie,taje
Nathalie.NOMten.F.NOM.SGêtre.PRS.3SG
hodn-á. / Ta je hodná, Nathálie.
gentille-F.NOM.SG

3 – Choix du corpus et méthodologie

13 Le roman Osudy dobrého vojáka Švejka za světové války est un classique de la littérature tchèque. Paru pour la première fois en 1921, sa première traduction en français a été réalisée par Jindřich (Henri) Hořejší pour une publication par Gallimard en 1932 [12]. L’ouvrage recourt souvent à la représentation de la langue parlée, notamment via le personnage central de Chvéïk, un Tchèque lambda jouant de la ruse pour survivre dans un Empire austro-hongrois au bord de l’implosion à la veille de la première guerre mondiale. Nous nous sommes limité, du fait d’une grande richesse du matériel analysé, au premier chapitre du roman, intitulé Comment le brave soldat Chvéïk intervint dans la grande guerre et traitant de la nouvelle de l’assassinat de l’archiduc Ferdinand d’Este, prétendant au trône autrichien, à SaraÏevo.

14 Dans un premier temps, nous avons annoté toutes les expressions référentielles des deux textes dans TXM (Heide, Mague et Pincemin, 2010) en suivant, la plupart du temps, le manuel d’annotation mis à disposition par le projet DEMOCRAT (Landragin, 2018). Une fois ce travail fait, nous avons procédé à la création des chaînes de référence pour ensuite y étudier la présence, la place et les fonctions des expressions démonstratives [13].

4 – Hypothèses

15 Vu le rôle du démonstratif dans les chaînes de référence et les différences les plus frappantes dans son emploi entre les deux langues, nous sommes parti des hypothèses suivantes :

  1. Le texte tchèque contiendra plus d’occurrences du démonstratif que le texte français, et ce à la fois au sein et en dehors des chaînes de référence.
  2. Plus la chaîne sera longue, plus elle accueillera de démonstratifs.
  3. Compte tenu de son mode référentiel – le recours fort et explicite au contexte –, le démonstratif sera valorisé lorsqu’il s’agira, au sein de la chaîne, a) de (ré)activer le référent et b) de réaliser toutes sortes d’opérations dans le but de sa (re)catégorisation.
  4. Les chaînes tchèques contiendront plus de DD dotés d’une valeur « émotionnelle ».
  5. Les chaînes des référents abstraits et vagues (dotés d’une intension imprécise et d’une extension large [14]) contiendront plus de démonstratifs que les chaînes des référents concrets et d’une nature bien circonscrite (dotés d’une intension étoffée et d’une extension restreinte).

5 – Premiers constats

16 Commençons par regarder le nombre d’occurrences du démonstratif dans les deux textes, comparé à la fois au nombre total des expressions référentielles et à la taille de l’ensemble, exprimée en nombre de mots :

Tableau 1

Nombre d’occurrences du démonstratif (DD et ProD) relativement au nombre d’expressions référentielles et au nombre de mots du texte

TchèqueFrançais
Déterminants démonstratifs4325
Pronoms démonstratifs9564
Nombre d’expressions référentielles1 0491 164
Nombre de mots3 5434 993

Nombre d’occurrences du démonstratif (DD et ProD) relativement au nombre d’expressions référentielles et au nombre de mots du texte

17 Force est d’abord de constater qu’il existe une différence de longueur considérable entre les deux textes, et ce même si nous tenons compte du fait que le français, langue analytique, emploie de manière générale plus de mots que le tchèque. Cette différence, due visiblement aux libertés prises par le traducteur, n’est toutefois plus aussi frappante si nous nous rapportons au seul nombre d’expressions référentielles. Nous voyons alors que les démonstratifs (DD et ProD confondus) sont nettement plus représentés dans le texte tchèque (138 occurrences contre 89 occurrences en français, représentant 13,16 % de toutes les expressions référentielles en tchèque et seulement 7,65 % de toutes les expressions référentielles en français), constat qui valide notre première hypothèse [15].

18 Voyons à présent comment la situation se présente sur le plan des chaînes de référence. Nous avons défini, certes un peu arbitrairement [16], comme seuil de représentativité pour nos chaînes le nombre de 9 maillons. Avec ce critère, nous avons obtenu pour les deux textes les chaînes suivantes, correspondant aux personnages et événements les plus représentés dans le récit :

Tableau 2

Chaînes de référence de 9 maillons et plus dans le texte tchèque et sa traduction française[17]

TchèqueFrançais
ChaîneN° de maillons / de démonstratifsChaîneN° de maillons / de démonstratifs
Le brave soldat Chvéïk95/0Le brave soldat Chvéïk125/0
M. Palivec57/0M. Palivec78/0
Bretschneider50/2Bretschneider58/1
L’archiduc Ferdinand d’Este48/2L’archiduc Ferdinand d’Este42/4
Mme Muller27/0Mme Muller33/0
Les gens (en général)16/0Les gens (en général)42/0
L’empereur autrichien24/1L’empereur autrichien24/0
L’assassinat de l’archiduc18/14L’assassinat de l’archiduc23/10
Un fantassin16/1Un fantassin17/1
La veuve de Petit‑Frère16/0La veuve de Petit-Frère17/0
Le fils de Bretislav Ludovic10/3Le fils de Bretislav Ludovic12/3
Saraïévo11/4Saraïévo12/2
Les Turcs9/1Les Turcs17/1
Une chose bien vilaine (sur l’empereur)8/8Une chose bien vilaine (sur l’empereur)9/5
L’assassin de l’archiduc11/3
Les auteurs de l’attentat11/3
Un châtreur de Vodnany11/0
Le restaurant Au Calice12/1
Les citoyens de la monarchie14/0
Total439/43Total534/27

Chaînes de référence de 9 maillons et plus dans le texte tchèque et sa traduction française[17]

19 Un premier regard sur la représentation du démonstratif dans les chaînes nous a permis de constater que, globalement, c’est en tchèque que les chaînes sont le plus fournies en démonstratifs (à la fois DD et ProD). En effet, le démonstratif est présent dans 9,79 % de tous les maillons des chaînes tchèques de 9 maillons et au-delà, et seulement dans 5,06 % de tous les maillons des chaînes de 9 maillons et au-delà en français [18]). Contrairement à notre première intuition, les chaînes les plus longues des deux langues, appartenant aux personnages les plus représentés dans le récit (soit, notamment, Chvéïk, le tavernier M. Palivec, l’agent de police en civil Bretschneider, l’archiduc assassiné et Mme Muller, la logeuse de Chvéïk) ne sont pas celles qui contiennent, tant s’en faut, le plus d’expressions démonstratives : quelques-unes n’en contiennent même pas du tout. Cela n’est guère surprenant, car ces référents comptent parmi les plus importants dans le récit et se démarquent par rapport au reste par un degré de proéminence particulièrement élevé [19].

20 L’hypothèse n°2 s’en voit ainsi invalidée. En revanche, l’hypothèse n°5, selon laquelle le plus de démonstratifs se trouveraient dans les chaînes des entités plus abstraites et vagues a été confirmée. En effet, c’est la chaîne de l’événement de l’assassinat de l’archiduc qui en contient le plus (soit 9 ProDem et 1 DD en français et 13 ProDem et 1 DD en tchèque), suivie de la chaîne renvoyant à une « chose bien vilaine » qu’un condamné à mort aurait proférée à l’égard de l’empereur autrichien (4 ProDem et 1 DD en français et 7 ProDem et 1 DD en tchèque). Outre le fait que ces référents événementiels appartiennent aux entités de second ordre de Lyons, deux autres facteurs semblent ici concourir à l’usage du ProD : 1) les participants au récit viennent tout juste d’en apprendre l’existence, n’ayant pas encore eu le temps de les intégrer dans leur univers du discours et 2) il s’agit d’événements très sensibles, voire tabou vu le contexte politique du roman, ce qui provoque clairement une forte réticence à les nommer. En témoigne l’extrait suivant de la seconde des chaînes, tournant autour de l’outrage de lèse-majesté :

[7]
Et cette chose-là, vous ne savez pas ce que c’était ? interrogea Bretschneider d’une voix tremblant d’espoir.
Ça, je ne peux pas vous le dire, parce que personne n’a jamais osé le répéter.

6 – Un second regard sur les expressions démonstratives

21 Regardons maintenant de plus près la place et les fonctions des démonstratifs dans nos chaînes. Nous sommes, dans un premier temps, amené à constater qu’un peu plus des deux tiers de toutes les occurrences du démonstratif apparaissent en dehors des chaînes définies par notre seuil de neuf maillons (soit 68,84 % de toutes les occurrences en tchèque et 69,67 % de toutes les occurrences en français ; notons l’extrême proximité de ces deux chiffres). S’agissant des chaînes elles-mêmes, le rôle du démonstratif y est conforme à ses propriétés sémantico-référentielles exposées supra.

A – (Re)catégoriser le référent

22 La plus grande proportion des démonstratifs des deux textes (avec l’écrasante majorité des ProD) sont employés dans le régime endophorique (anaphorique et cataphorique) [20]. Dans les deux langues, le démonstratif apparaît fréquemment dans des emplois endophoriques résomptifs, reprenant un segment plus étendu du texte en amont, éventuellement en aval : pour ce qui concerne le DD, le nombre s’élève à 11 occurrences en tchèque et à 10 occurrences en français. Concernant le ProD, le nombre s’élèverait, selon nous, à 77 occurrences pour le tchèque (81,05 %) et à 39 occurrences pour le français (60,9 %), soit la majorité des occurrences des ProD dans les deux textes [21]. L’endophore résomptive, également appelée « deixis discursive » (Himmelmann, 1996 ; Guillot, 2006), participe des emplois de (re)catégorisation du référent car, comme le dit Guillot (2006 : 57) :

Le déictique de discours instaure une relation anaphorique, puisqu’on a besoin des informations présentes dans le contexte qui précède […] pour interpréter l’expression référentielle, mais cette relation anaphorique est d’un type particulier. Car avec le déictique de discours on ne réfère pas par une relation de coréférence à une entité qui serait déjà donnée dans le discours, un personnage par exemple. On désigne plutôt le contenu discursif d’un ensemble de propositions qui viennent d’être énoncées, sans que ce contenu ait jamais été désigné auparavant au moyen d’une expression référentielle particulière.
Dans le cadre de l’endophore résomptive, cette (re)catégorisation peut ainsi être assurée, dans le cas d’un SN démonstratif, par la présence d’un nom dont le sens descriptif apporte un « novum » informationnel par rapport au contenu de l’énoncé précédent ou suivant. Mais elle peut aussi – et cela est le cas de tous les exemples de notre corpus sauf un seul – procéder de la reprise ou de l’anticipation d’une information par un ProDem en fonction sujet d’un énoncé dont le prédicat (ici le rhème) développe davantage cette information. Donnons ici l’exemple suivant [22] :

[8]
figure im1
[9]
figure im2

23 Malgré le statut syntaxique différent des séquences reprises par les pronoms ce et to (syntagme nominal en français et construction infinitive en tchèque [23]), la fonction du ProDem est la même – reprendre une information en la thématisant dans une dislocation à gauche et développer cette information à l’aide d’un prédicat (rhème).

24 D’autres cas se présentent dans les chaînes des deux langues où le démonstratif, tout en participant d’une opération de (re)catégorisation du référent, ne relève pas de l’endophore résomptive. Le premier exemple fait partie de la chaîne du fils de Bretislav Ludovic, un marchand de porcs qui finit par se suicider après être tombé en disgrâce auprès de ses clients (le démonstratif n’apparaît ici qu’en français). Le second exemple concerne les Turcs, que Chvéïk tient responsables de l’assassinat de l’archiduc :

[10]
Il a fini par se jeter dans la Vltava à Kroumlov, on a été obligé de l’en tirer, ils ont dû le faire revenir à lui, il a fallu lui pomper de l’eau qu’il avait dans le corps et cet animal-là a claqué dans les mains du médecin pendant que celui-ci lui donnait une injection.
[11]
« Est-ce que tu aimes les Turcs, toi ? » ajouta Chvéïk en s’adressant au patron ; « est-ce que tu les aimes, ces chiens de païens ?
[12]
„M-á-šrádTurky?
avoir-PRS-2SGcontent.M.NOM.SGTurc-ACC.PL
obráti-l seŠvejk
tourner-PST.3SG.M REFLChvéïk.ACC
na hostinsk-ého Palivce, m-á-š
à tavernier-ACC.SG Palivec.ACC avoir-PRS-2SG
rád
content.M.NOM.SG
typohansk-ý  ps-y?
ten.M.ACC.PLpaïen-M.ACC.PL  chien-ACC.PL

25 La (re)catégorisation du référent peut s’accompagner d’un changement du centre déictique (cf. Bühler, 2009 [1934]). C’est le cas de l’exemple suivant, appartenant lui aussi à la chaîne du fils de Bretislav Ludovic, où le point de vue de ceux qui emploient le démonstratif n’est pas celui de l’énonciateur (Chvéïk). Ces deux perspectives sont ici séparées par l’apparition des guillemets (nous nous contenterons de citer la version française) :

[13]
Chez nous, à Budejovice, il y a quelques années, on a bousillé au marché, dans une petite dispute, un marchand de cochons, un certain Bretislav Ludovic. Il avait un fils qui s’appelait Geoffroy et, chaque fois qu’il s’amenait avec ses cochons à vendre, personne n’en voulait et tout le monde disait « C’est le fils du bousillé de Budejovice, ça doit être une fine canaille ».

26 Résumons : le ProD fonctionne ici comme un moyen d’identification et de catégorisation du référent par les gens du marché, marquant, en même temps, un changement du centre déictique : celui-ci se déplace de Chvéïk (énonciateur premier) aux personnages de son anecdote. Une chose en partie analogue se produit dans l’exemple tchèque suivant, décrivant l’arrestation de Chvéïk par Bretschneider. Le démonstratif, présent uniquement en tchèque, marque ici le point de vue de Chvéïk [24]. Seule différence par rapport à l’énoncé précédent : les deux instances énonciatives (le narrateur à la troisième personne et Chvéïk) ne sont pas explicitement séparées, ouvrant la possibilité d’une lecture en discours indirect libre :

[14]
figure im3

27 Regardons à présent le rapport entre le démonstratif et l’accessibilité référentielle.

B – Rendre le référent (de nouveau) accessible, le (ré)activer [25]

28 Pour mieux illustrer ce rôle du démonstratif, prenons l’exemple de la chaîne de l’archiduc Ferdinand dans le texte français. Cette chaîne assez longue ne contient que quatre expressions démonstratives en français et deux en tchèque. Si nous regardons les endroits où ces démonstratifs apparaissent au sein de la chaîne, il ne nous surprendra guère que c’est d’abord au tout début, lorsque la logeuse de Chvéïk, Mme Muller, aide celui-ci à identifier le référent après que le nom propre à lui seul s’est avéré insuffisant :

[15]
Mais, M’sieur le patron, c’est l’archiduc Ferdinand, celui de Konopiste, le gros calotin, vous savez bien ?
[16]
[…] pan-aarcivévod-uFerdinand-a,
monsieur-ACC.SGarchiduc-ACC.SGFerdinand-ACC
tohoz Konopišt-ě,
ten.M.ACC.SGde Konopiste-GEN.SG
tohotlustýho,nábožn-ýho.
ten.M.ACC.SGgros-M.ACC.SGreligieux-M.ACC.SG

29 Ainsi, le démonstratif joue ici le rôle d’une balise mémorielle, permettant à Chvéïk de choisir dans son savoir extralinguistique le bon individu (archiduc). Remarquons que le second démonstratif dans la version tchèque est un « déterminant » introduisant un SN dont le nom est ellipsé. Sa présence est ici en partie imposée par les contraintes grammaticales de cette langue, où il joue le même rôle que l’article défini en français (le gros, le religieux) [26]. Dans la chaîne du référent « un fantassin », dont l’histoire est racontée par Chvéïk à Mme Muller, l’on trouve presque exclusivement des pronoms personnels et des articles définis, sauf une seule occurrence du DD, située à peu près au milieu de la chaîne :

[17]
« Et ce soldat, qu’est-ce qu’il est devenu ? » questionna Mme Muller…
[18]
„A cosesta-l-ostím
et que.NOMREFLdevenir-PST-3sg.Navecten.M.INS.SG
voják-em?“
soldat-INS.SG

30 Cet emploi du DD s’explique parfaitement par le fait qu’il apparaît dans la prise de parole de l’interlocutrice, qui, contrairement à Chvéïk, est beaucoup moins familière du référent (elle vient tout justement d’en apprendre l’existence par ce dernier).

C – Emplois « émotionnels »

31 Si nous revenons maintenant à la chaîne de l’archiduc Ferdinand, un type d’emploi du DD appelle tout particulièrement un commentaire, à savoir celui où le DD se combine avec un nom propre :

[19]
Il a beaucoup d’ennemis, vous savez, notre vieux père, beaucoup plus encore que ce Ferdinand.
[20]
Vonm-ástar-ejpán
lui.NOMavoir-PRS.3SGvieux-M.NOM.SGmonsieur.NOM.SG
mocnepřátel.
tropennemi-GEN.PL
JeštěvícnežtenFerdinand.
encoreplusqueten.M.NOM.SGFerdinand.NOM
[21]
figure im4
Que le type qui a fait le coup à Saraïévo soit un Serbe ou un Turc, un catholique ou un musulman, un anarchiste ou un Jeune Tchèque, je m’en bats l’œil.

32 Au seul détail près que la seconde occurrence tchèque cumule le DD avec un possessif [27], elles relèvent toutes les trois du cas de l’association d’un DD avec un nom propre, association moyennant laquelle le locuteur marque une certaine affectivité (l’exemple [21]) ou distance mentale (les exemples [19] et [20]) à l’égard du référent. En [19] et [20], l’effet de prise de distance signale que la connaissance que Chvéïk a du réfèrent « […] n’est pas parfaite ou totale, que celui-ci présente des aspects inconnus, troubles, mystérieux, etc. » (Kleiber, 1991 : 92). En [21], l’effet d’affectivité est avant tout produit par l’association du démonstratif avec le possessif. Au vu du parti-pris exposé supra, nous qualifions ces trois occurrences d’emplois « émotionnels ».

33 Nous retrouvons également cette association dans les chaînes du référent « Saraïévo ». Regardons d’abord le français (deux occurrences). Le DD, se combinant ici à une modalité phrastique exclamative (le premier énoncé exclusivement) et à la présence d’un élément lexical à sémantique subjective (les deux énoncés : l’adjectif épithète sacré et le complément du nom de malheur[28]), marque une attitude affective vis-à-vis du référent :

[22]
Ils en ont fait de belles dans ce sacré Saraïévo !
[23]
Il n’y a pas à dire, ça n’a pas dû être drôle, ce Saraïévo de malheur[29], patron ?

34 Or en tchèque, où la combinaison en question apparaît quatre fois, cette analyse à elle seule (une attitude affective du locuteur) semble insuffisante. Elle peut certes être défendue sans trop de difficultés pour les équivalents des deux occurrences françaises que nous venons de citer :

[24]
„Tynámtopěkněv
ten.M.NOM.PLnous.DATto.N.ACC.SGjolimentà
tomSarajev-u
ten.N.LOC.SGSaraïévo-LOC
vyved-l-i […]
commettre-PST-3PL.M
Ils en ont fait de belles dans ce sacré Saraïévo !
[25]
„VtomSarajev-uto
àten.N.LOC.SGSaraïévo-LOCten.N.NOM.SG
muse-l-o
devoir-PST-3SG.N
být oškliv-ý,“ pan-e hostinsk-ý.
être.INF laid-N.NOM.SG monsieur-VOC.SG tavernier-VOC.SG
Il n’y a pas à dire, ça n’a pas dû être drôle, ce Saraïévo de malheur, patron ?

35 Mais une autre analyse doit être proposée pour les deux occurrences suivantes :

[26]
„VtomSarajev-u […]to
àten.N.LOC.SGSaraïévo-LOCten.N.NOM.SG
uděla-l-iSrb-ové.
faire-PST-3PLSerbe-NOM.PL
À Saraïévo, insinua Bretschneider, c’est les Serbes qui ont tout fait.
[27]
sipředstav-uj-u,že se
moi.NOMREFLimaginer-PRS-1SGqueREFL
panarcivévod-a
monsieur.NOM.SGarchiduc.NOM.
Ferdinandv tomSarajev-u
Ferdinand.NOMà ten.N.LOC.SGSaraïévo-LOC
zmejl-i-lv
tromper-PST-3SG.Mdans
tomčlověk-ovi,coho
ten.M.LOC.SGhomme-LOC.SGRELlui.ACC
střeli-l.
fusiller-PST-3SG.M
Moi, j’imagine que monsieur l’archiduc Ferdinand s’est lui aussi trompé dans cet homme qui l’a tué à coup de balles à Saraïévo.

36 Cette analyse, nous l’empruntons au linguiste slavisant Adamec (1983 : 165), qui relève, au sein des emplois dits « secondaires » (« émotionnels ») du DD tchèque, un type d’emploi tout particulier, qu’il baptise la « fonction de rappel » (« připomínací funkce »). Au sein de cette fonction, le DD se laisse analyser comme une adjonction parenthétique dont le rôle est d’apporter un commentaire mémoriel du type « comme nous en avons parlé », « comme tu le sais », « comme tu te rappelles », etc. Nous reproduisons ici un autre exemple de ce cas de figure, provenant du Corpus national tchèque, où ten introduit le nom à référent unique France :

[28]
[…] noHan-ateďkajed-edo
MODHana-F.NOM.SGmaintenantaller-PRS.3SGen
Franci-e […]
ten.F.GEN.SGFrance-GEN
Bon, Hana, elle va maintenant en France (comme tu le sais).
ORAL2013, Corpus national tchèque

37 Nous constatons qu’en [26] et en [27], l’emploi de ten est investi de la même fonction qu’en [28] : « à Saraïévo, comme nous en avons déjà parlé / à Saraïévo, dont il a été question tout à l’heure », etc. En français, cette fonction du DD est absente. En somme, il est ainsi possible de conclure que notre hypothèse n°4 est juste, nos chaînes tchèques contenant plus d’occurrences du DD dotées d’une valeur « émotionnelle » : 24 contre seulement 9 en français.

D – Le ProDem tchèque en tant qu’outil de thématisation du référent

38 Finissons par quelques remarques relatives aux différences dans l’emploi des ProDem dans les textes des deux langues. Voici deux exemples tchèques, dont le premier est une reprise de l’exemple [24] cité supra :

[29]
Tynámtopěkněv
ten.M.NOM.PLnous.DATto.N.ACC.SGjolimenta
tomSarajev-u
ten.N.LOC.SGSaraïévo-LOC
vyved-l-i […]
commettre-PST-3PL.M
Ils en ont fait de belles dans ce sacré Saraïévo !
[30]
NášobrlajtnantMakovec,
notre.M.NOM.SGcolonel.NOM.SGMakovec.NOM
tennám
ten.M.NOM.SGnous.DAT
vždyříka-l:
toujoursdire-PST-3SG.M
Notre colonel Makovec nous disait toujours […]

39 Aussi bien [29] que [30] opèrent la thématisation d’un référent. En [30], cette thématisation recourt à la dislocation à gauche via l’extraction du référent de l’énoncé et sa reprise, au sein de ce dernier, par un ProDem le représentant. Remarquons que ni en [29] ni en [30], le ProDem n’a été maintenu en français. Cela s’explique au vu de ce qui a été dit dans l’introduction, à savoir qu’en tchèque, le ProDem ten peut contribuer à la continuité du discours tout en renforçant le statut thématique d’un référent [30]. En français, en revanche, la présence du ProDem (celui-ci/celui-là) est davantage perçue comme rompant avec cette continuité, du fait de la sémantique plus fortement déictique de ce ProDem. En [29] et [30], cette rupture serait, bien entendu, complètement à l’opposé du but recherché par le locuteur. La situation est cependant différente dans l’exemple suivant :

[31]
Il y a quelques années vivait à Zliua, pas loin de Hluboka, un garde qui avait un drôle de nom. Il s’appelait Petit-Frère. Eh ! bien les braconniers l’ont tué et sa veuve, un an après, elle s’est remariée encore avec un autre garde, avec Pepik Sevla de Mydlovary. Celui-là a été tué […].

40 Ici, le ProDem est beaucoup plus naturel en français, car il reprend un référent dont l’identification dépend du discours (où il vient d’être introduit par un SN indéfini) et qui est contrasté à un autre référent ressortissant à la même classe (le garde que la dame en question avait épousé en premières noces). Or rien de tel ne se produit ni en [29] ni en [30].

Conclusion

41 Malgré sa taille très restreinte, notre corpus nous a permis de valider la majorité des hypothèses formulées supra. Ces hypothèses tiennent compte à la fois du fonctionnement sémantico-référentiel du démonstratif, déterminant sa place et son comportement dans les chaînes de référence, ainsi que des différences structurelles entre les deux langues. Le matériel analysé, dont nous avons ici présenté et commenté une série d’exemples, nous semble avoir démontré la justesse des hypothèses n°1, 3, 4 et 5. Seule l’hypothèse n°2 (la relation jugée de proportion directe entre la longueur de la chaîne et le nombre de démonstratifs qu’elle contient) s’est avérée fausse, le nombre de démonstratifs étant en premier lieu déterminé par le profil même de l’entité référentielle (hypothèse n°5). En effet, les textes ont montré que plus celle-ci est abstraite et vague – pour des raisons à la fois sémantiques et pragmatiques [31] –, plus sa chaîne contient de démonstratifs.

42 Les deux opérations rendues possibles par le démonstratif – (re)catégoriser le référent et le (ré)activer au moyen d’un recours au contexte (lui (re)donner de la saillance) – permettent, comme nous l’avons vu, de repérer un changement de point de vue chez l’énonciateur premier, mais aussi un changement du centre déictique (l’Origo bühlérienne). En effet, c’est notamment lorsque le démonstratif apparaît à un endroit avancé de la chaîne que sa présence s’explique soit 1) par l’adoption, chez l’énonciateur premier, d’un autre regard sur le référent, voire par un changement de la personne qui appréhende le référent, soit encore 2) par la nécessité de réactiver un référent désactivé par son absence prolongée dans le discours [32].

43 Il s’est avéré que le texte tchèque est plus riche en démonstratifs, à la fois dans et en dehors des chaînes. Ce constat est conforme à ce que nous avions écrit au sujet de l’utilisation, plus fréquente, du démonstratif dans cette langue, elle-même due à plusieurs raisons. Raisons grammaticales, d’abord : l’emploi du DD dans des contextes où le français emploie l’article défini. Raisons sémantico-pragmatiques, ensuite : une plus grande fréquence des emplois dits « émotionnels » du DD et le rôle du ProDem dans le marquage de la thématicité (renforcée) du référent.

44 Malheureusement, force est de constater que notre étude comporte également beaucoup de limites, à commencer par la brièveté des textes et leurs écarts parfois trop excessifs, liés à l’approche du traducteur. En plus de cela, il faut aussi insister sur les limites d’une approche centrée exclusivement sur la problématique des chaînes de référence et mobilisant presque uniquement des données de fiction. En effet, s’il permet de mieux étudier certains comportements du démonstratif, un tel choix écarte une grande partie des occurrences de celui-ci, passant ainsi à côté d’une partie des richesses de l’analyse contrastive.

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  • Wilmet M., 1986, La détermination nominale : quantification et caractérisation, Paris, Presses universitaires de France.
  • Zíková M., 2017, Gramatikalizační potenciál anaforické funkce lexému ten v mluvených narativech, thèse de doctorat non publiée, Prague, Université Charles de Prague, téléchargé le 15 mars 2019, https://dspace.cuni.cz/handle/20.500.11956/91732.
  • Sources des exemples

    • Hašek J., 2010 [1921], Osudy dobrého vojáka Švejka za světové války, Prague, Československý spisovatel.
    • Hašek J., 1932, Le brave soldat Chvéïk, Paris, Gallimard, traduit par Henri Hořejši.
    • Kopřivová M., Komrsková Z., Lukeš D., Poukarová P. et Škarpová M., ORTOFON : Corpus de tchèque parlé informel avec un système de transcription à plusieurs niveaux, Institut du Corpus national tchèque, Faculté des Lettres de l’Université Charles, Prague, consulté le 7 novembre 2020, https://wiki.korpus.cz/doku.php/en:cnk:ortofon.
    • Kopřivová M., Komrsková Z., Lukeš D., Poukarová P. et Škarpová M.., Waclavičková M., Benešová L. et Křen M., ORAL: corpus de tchèque parlé informel, version 1 du 2. juin 2017, Institut du Corpus national tchèque, Faculté des Lettres de l’Université Charles, Prague, consulté le 7 novembre 2020, https://wiki.korpus.cz/doku.php/en:cnk:oral.

Mots-clés éditeurs : Le Brave soldat Chvéïk, chaînes de référence, analyse contrastive, démonstratifs

Date de mise en ligne : 24/03/2022

https://doi.org/10.3917/tl.082.0077

Notes

  • [*]
    Ce travail a bénéficié du soutien de l’ANR dans le cadre du projet Democrat (ANR-15-CE38-0008).
  • [1]
    C’est le plan de la référence qui est déterminant pour le présent travail, vu que le démonstratif est, du moins dans la majorité des cas, indissociable de l’acte référentiel, contrairement au défini, connaissant également de nombreux emplois dits « attributifs » (voir notamment Donnellan, 1966).
  • [2]
    Ces noms à apport informationnel minimal sont souvent désignés, dans la littérature anglophone, par le terme de « shell nouns » (voir par exemple Schmid, 2000).
  • [3]
    Ariel (1988) parle d’« accessibilité du référent », le démonstratif introduisant, selon elle, des référents à accessibilité moyenne (semi-activés).
  • [4]
    « En effet, au titre de désignateur rigide, il constitue une procédure d’étiquetage univoque et constante au sens où il n’émane pas, contrairement à d’autres unités désignatives, de situations affectant, plus ou moins décisivement, le référent. Par ailleurs, au plan instructionnel, le Np a la capacité tout à fait remarquable de débrayer et de remettre les compteurs référentiels à zéro. » (Schnedecker, 1997 : 209)
  • [5]
    En tchèque parlé, le démonstratif ten serait le lexème le plus fréquent selon Čermák (2007). Outre cette forme, la langue dispose également de formes marquant la proximité – notamment tento (soutenu formel) et tenhle (familier et soutenu informel) – et l’éloignement – notamment tamten (neutre) et onen (soutenu). Toutes les formes sont employées à la fois comme « déterminants » et comme pronoms.
  • [6]
    Lorsqu’il sera question du tchèque, nous utiliserons ce terme toujours assorti de guillemets fictifs, car, adhérant à la position d’Himmelmann (1997), nous considérons qu’il est illégitime de parler de déterminants au sens propre du terme pour une langue sans article défini ; en réalité, la catégorie des déterminants, ainsi que l’unité syntaxique appelée « syntagme nominal » (SN) apparaissent à l’issue du processus de grammaticalisation du démonstratif en article défini. Il convient aussi d’ajouter qu’à la différence du français, contenant deux paradigmes morphologiquement différents du démonstratif et se prêtant, respectivement, à l’emploi adnominal et à l’emploi pronominal, le tchèque n’en contient qu’un seul, toutes les formes étant employées à la fois en position adnominale et pronominale.
  • [7]
    De même que ses équivalents dans les autres langues slaves occidentales, notamment le sorabe et le dialecte silésien du polonais (cf. Czardybon, 2017). Dans toutes ces langues, le démonstratif neutre sur le plan de la distance semble suivre la trajectoire de la grammaticalisation en article défini, décrite par Greenberg (1978), Himmelmann (1997), Diessel (1999), Carlier et De Mulder (2011), etc.
  • [8]
    Nous renvoyons ici le lecteur à notre étude de 2020, où nous avons essayé d’éclaircir davantage le fonctionnement du ten adnominal en tchèque parlé informel à l’aide du cadre théorique développé par Löbner (2011).
  • [9]
    Nous renvoyons le lecteur à l’article de Portele et Bader (2016). Cet article, issu d’une étude réalisée sur un corpus écrit, porte sur les principes et les tendances de l’alternance du pronom personnel de la 3ème personne du singulier masculin (er) et du démonstratif pronominal en reprise anaphorique transphrastique en allemand. En tchèque, la situation nous paraît à cet égard comparable à celle de l’allemand, mis à part le fait que le tchèque, une langue pro-drop, connaît également l’anaphore zéro.
  • [10]
    En tchèque, langue qui possède un ordre des mots assez libre grâce à son riche paradigme de flexion, l’élément thématique apparaît plus naturellement qu’en français dans des fonctions syntaxiques autres que le sujet.
  • [11]
    Si, dans les deux types de dislocation, le constituant est thématique, il n’est pas présenté de la même façon et ne joue pas le même rôle par rapport à la structure à l’intérieur de laquelle il s’inscrit : alors que la dislocation à gauche semble commencer plus souvent une nouvelle chaîne de référence, introduite par le constituant disloqué mis en relief, la dislocation à droite sert davantage à maintenir la chaîne en cours tout en mettant l’accent sur l’information nouvelle (le rhème) apportée par la proposition. Ainsi, les constituants des dislocations à droite seraient plus thématiques que ceux des dislocations à gauche (cf. Kalbertodt, Primus et Schumacher, 2015).
  • [12]
    Une nouvelle traduction améliorée est sortie en mai 2018, plusieurs mois après la réalisation de la présente étude : HAŠEK J., 2018, Les Aventures du brave soldat Švejk. Livre premier : À l’arrière, Paris, Gallimard, traduit par Benoît Meunier. Les dates de parution mentionnées ci-dessus concernent également le premier tome (Livre premier).
  • [13]
    Nous tenons ici à remercier tout particulièrement Matthieu Quignard pour l’aide inestimable qu’il nous a apportée avec le traitement des textes en TXM.
  • [14]
    Cf. Wilmet (1986).
  • [15]
    La différence s’avère statistiquement significative après l’application de la fonction de vraisemblance : L = 35,0867 ; taille de la population totale : en tchèque = 1049, en français = 1164 ; p = 0 ; la valeur critique = 3,841 (le degré de liberté = 1 ; α = 0,05).
  • [16]
    Si ce chiffre est en partie arbitraire, il permet néanmoins de retenir les chaînes les plus longues et de les analyser en détail. Dans la situation d’un seuil plus bas, le nombre de chaînes à analyser aurait été trop élevé, dépassant ainsi les limites de la présente étude. Dans un tout premier temps, nous avons inclus dans la définition des maillons l’ensemble des expressions référentielles, y compris celles qui ressortissent, dans les textes, à l’anaphore intra-phrastique (certaines occurrences du pronom réfléchi se des deux langues). Suite à une remarque de l’un de nos relecteurs – que nous remercions ici – au sujet des singularités de ce type d’anaphore, nous avons revu nos annotations afin d’en écarter les quelques occurrences appartenant à l’anaphore intra-phrastique.
  • [17]
    Les chaînes surlignées en gris sont celles qui contiennent le plus de démonstratifs.
  • [18]
    La différence s’avère statistiquement significative après l’application de la fonction de vraisemblance : L = 8,08 ; taille de la population totale : en tchèque = 439, en français = 534 ; p = 0.004479 ; la valeur critique = 3,841 (le degré de liberté = 1 ; α = 0,05).
  • [19]
    La « proéminence » est un concept complexe et dépendant d’une série de facteurs. Comme l’écrit Zíková (2017 : 188-189), la proéminence est d’abord déterminée par le statut ontologique du référent : sont plus proéminents les référents animés et notamment humains. Ensuite, elle est déterminée par la persistance et la fonction syntaxique dans laquelle le référent apparaît (la fonction sujet étant plus proéminente que la fonction COD et COI). La « persistance » (« decay » chez Givón, 1983) indique le nombre de fois où le référent réapparaîtra dans le discours ultérieur.
  • [20]
    Peu de cas relèvent de la deixis situationnelle (référant au sein d’un contexte situationnel mis en place par le récit). Ensuite, 22 des DD tchèques et 6 des DD français ont été analysés comme ressortissant au régime de l’exophore mémorielle : l’identification du référent repose sur des connaissances partagées entre le locuteur et l’interlocuteur (Fraser et Joly, 1979 et 1980).
  • [21]
    Le chiffre dépend exclusivement de notre propre analyse des occurrences. Nous admettons, bien entendu, qu’une autre personne puisse ne pas la valider dans son intégralité.
  • [22]
    Dans la suite de l’article, lorsqu’il s’agira du même exemple, nous en citerons d’abord la version française et ensuite la version tchèque. Si seule la version tchèque contient le démonstratif, nous citerons d’abord celle-ci, suivie de sa traduction française.
  • [23]
    Par conséquent, en français, nous ne sommes pas en présence d’une anaphore résomptive, car le ProDem reprend la référence d’un SN, contrairement au tchèque, où il reprend un contenu se rapprochant d’une nature propositionnelle. Au passage, remarquons que dans les textes des deux langues, le ProDem est souvent la forme apparaissant dans les structures attributives (l’emploi dit « identificatoire » ; Diessel, 1999). Alors qu’en tchèque, c’est la même forme que celle des autres emplois qui apparaît (le singulier neutre de ten (to)), le français recourt à la forme neutre ce, une forme à part (bien qu’homomorphe avec la forme du déterminant masculin singulier ce), car évoluée de ecce + hoc.
  • [24]
    En plus de la présence du démonstratif, le changement de point de vue est indiqué par le modalisateur asi ; malgré l’absence du démonstratif, la traduction française n’en marque pas moins ce changement de perspective en recourant au modalisateur certainement et à la formulation de la part de Monsieur (marqués en gris dans le texte).
  • [25]
    Nous empruntons l’essentiel du concept d’« accessibilité référentielle » à Ariel (1988) et à Laury (1997).
  • [26]
    Il est doté d’une fonction de substantivation (cf. Berger, 1993 : 97). Dans la première occurrence de ten en tchèque ainsi que dans le cas de celui en français, la forme du démonstratif reprend, à notre avis, le sens du/des nom(s) archiduc (Ferdinand). Nous sommes face à une proforme (cf. Riegel, Pellat et Rioul, 2016 [1994]).
  • [27]
    Ce type de cumul du démonstratif avec un autre mot grammatical est tout à fait naturel en tchèque – une raison de plus de rejeter l’appellation de « syntagme nominal » pour cette langue, car les langues où l’existence du SN ne fait pas de doute sont beaucoup plus réticentes à autoriser de telles combinaisons (cf. Himmelmann, 1997 ; *ce notre Ferdinand en français).
  • [28]
    Se rapportant au travail de Bonnard (1972, Kleiber (1991 : 94) note très pertinemment au sujet de ce cas de figure : « H. Bonnard (1972, p. 1207) indique de quel côté chercher la solution. Dans des expressions comme Ce cher Pellegrin !, Cette pauvre Josette ! et Ce sacripant de Victor !, le « démonstratif rappelle, écrit-il, la réalité antérieurement constatée par la qualité qu’expriment les adjectifs cher et pauvre, ou le nom sacripant ». Autrement dit, l’énonciation de ce cher Pellegrin ou de cette pauvre Josette s’appuie sur une situation antérieure qui justifie la qualification opérée par cher et par pauvre. Il reste que l’interlocuteur doit aussi avoir accès à une telle situation et, puisqu’il s’agit d’une identification démonstrative, qu’il y ait dans la situation d’énonciation des éléments qui y conduisent. »
  • [29]
    Cette occurrence du nom propre se prête à une lecture métonymique : ce Saraïévo de malheur = cet incident malheureux qui s’est produit à Saraïévo.
  • [30]
    Pour ce qui est de la notion de « continuité thématique », nous nous inspirons notamment de Givón, 1983. Ainsi, la formulation avec ten produit un effet davantage thématisant du référent que son absence (typiquement, l’anaphore zéro en [29] et l’absence de dislocation en [30]). En plus de la thématisation, cette présence de ten aboutit également à une plus grande expressivité de l’énoncé (notons que [29] est un énoncé à modalité phrastique exclamative).
  • [31]
    Sémantiques : il s’agit d’une entité du second ordre de Lyons ; pragmatique : la situation empêche le locuteur d’être plus concret, d’« appeler un chat un chat ».
  • [32]
    Pour ce dernier point, voir notamment Laury (1997), qui parle de référents « semi-activés ».

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