Notes
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Ce travail a été réalisé dans le cadre du projet Democrat (ANR-15-CE38-0008). L’auteur remercie l’ensemble des participants de ce projet et notamment ceux qui étaient présents à la journée d’étude « Approches contrastives des chaînes de référence », journée qui a permis de poser les premières briques de ce numéro thématique.
1 – Introduction [1]
1 Une chaîne de référence (Chastain, 1975 ; Corblin, 1995 ; Schnedecker, 1997) regroupe l’ensemble des expressions référentielles qui réfèrent au même référent, c’est-à-dire au même individu, objet concret ou abstrait appartenant au monde extralinguistique. Dans la phrase Comment réagir face à notre fillette lorsqu’elle prend le jouet de sa copine ?, on trouve des référents humains – une fillette, une autre fillette, les parents de la première fillette – dont certains sont à l’origine de chaînes de référence qui pourront être complétées par la suite. C’est avant tout le cas du personnage principal, la fillette dont il est question, du fait de la présence des trois expressions référentielles notre fillette, elle et sa.
2 À ce stade, des questions se posent déjà sur le statut d’expression référentielle. S’il est couramment admis qu’un nom propre, un pronom personnel ou un syntagme nominal tel que notre fillette donnent accès à leur référent, et donc acquièrent le statut d’expression référentielle (Charolles, 2002), le cas du déterminant possessif s’avère plus problématique : le possessif sa fait partie du syntagme nominal sa copine, dont on comprend bien qu’il réfère à une deuxième fillette. Avec son rôle de déterminant, on pourrait considérer sa comme le nécessaire premier mot de cette expression référentielle, et non comme un phénomène de référence supplémentaire. Le débat – le déterminant sa est-il une expression référentielle, ou non ? – est ouvert.
3 Il n’y aurait pas eu débat si le texte avait indiqué la copine de notre fillette. En effet, nous faisons face dans ce cas à un enchâssement de deux expressions référentielles, chacune portant clairement sur l’une des fillettes. C’est justement la comparaison entre sa copine et la copine de notre fillette qui peut nous inciter à considérer que sa opère, à l’instar du complément de nom, une référence à un personnage. La comparaison de deux moyens d’expression permet donc d’affiner notre approche, portant en l’occurrence sur ce qui est référentiel et ce qui ne l’est pas dans un texte écrit en français. Dans le projet ANR Democrat (Landragin, 2020), que nous présenterons rapidement dans cet article, il a ainsi été décidé que les pronoms possessifs référaient, et constituaient donc autant de maillons de chaîne.
4 Surtout, la comparaison que nous venons de faire a pour but d’en introduire une autre : celle effectuée entre deux langues différentes. Qu’il s’agisse des possessifs, des sujets non exprimés, ou de n’importe quel autre phénomène relatif à la référence, la comparaison des moyens d’expression de deux langues permet de clarifier notre approche de la référence, et permet de mieux cerner ce qu’est une expression référentielle, et par conséquent ce que contient une chaîne de référence. En quelque sorte, la démarche contrastive permet de mettre le débat en perspective, et d’apporter éventuellement des réponses qu’il n’aurait pas été possible de formuler en restant dans le cadre de l’étude d’une langue unique.
5 C’est ce que nous montrons dans cet article d’introduction, avec tout d’abord (section 2) quelques définitions balisant l’approche générale qui sera suivie ensuite, ainsi que quelques considérations sur l’importance de bien définir maillons et chaînes en vue d’analyses linguistiques, statistiques et même computationnelles. Nous enchaînons avec les grands principes des approches contrastives pour les chaînes de référence (section 3), avant de montrer comment ces approches ont été mises en œuvre dans le projet ANR Democrat (section 4). Nous présentons alors les grandes lignes des différentes contributions composant ce numéro thématique.
2 – Définitions et approche générale
6 Reprenons la phrase Comment réagir face à notre fillette lorsqu’elle prend le jouet de sa copine ? Nous avons défini ce qu’est une expression référentielle, y compris dans le cadre de notre approche qui tient compte des pronoms possessifs. Par conséquent, notre est considéré comme une expression qui réfère a priori aux parents de la fillette (il faudrait plus de contexte pour statuer sur l’identité exacte de ce référent). C’est la seule mention « explicite » des parents, et donc le seul maillon de la chaîne de référence qui les concerne – en attendant d’autres maillons dans les phrases à venir, la phrase étudiée n’étant qu’un extrait très court d’un petit texte.
7 Mais la phrase comporte-t-elle une mention implicite ? Un autre débat s’ouvre avec cette interrogation. Effectivement, on peut considérer que le sujet zéro du verbe réagir intervient ici, sans doute pas comme une expression référentielle (dans la mesure où elle n’est pas exprimée), mais peut-être comme un indice de coréférence, qui vient rappeler que le sujet du verbe à l’infinitif est coréférent avec notre (Landragin, 2011). Selon l’approche suivie, on peut considérer soit qu’un phénomène sans forme de surface doit être ignoré, soit que le sujet zéro, de par la place syntaxique qui lui est réservée et qu’une analyse syntaxique pourrait faire ressortir (Fauconnier, 1974), acquiert une existence et contribue – à sa manière – à la chaîne de référence portant sur les parents. C’est l’approche que nous suivrons dans ce numéro.
8 Si une expression référentielle ou un indice de coréférence sont des phénomènes intervenant au niveau d’une phrase, il n’en est pas de même des chaînes de référence : une chaîne de référence peut couvrir l’ensemble d’un texte, depuis le premier jusqu’au dernier paragraphe. C’est un objet d’étude qui concerne la linguistique du discours, et qui s’étudie en tant que telle (Karttunen, 1976 ; Kibrik, 2011 ; Schnedecker, 2019), c’est-à-dire en lien avec des considérations sur la continuité référentielle (Kleiber et al., 1997), sur le genre textuel (Schnedecker, 2005), sur le découpage du texte en paragraphes (Adam, 2018), plus précisément sur les séquences – narratives, descriptives, argumentatives, explicatives et dialogales – composant un texte (Adam, 2017), et d’une manière générale sur les structures informationnelles et textuelles (Oberlé et al., 2018 ; Guillot-Barbance et Quignard, 2019 – entre autres exemples).
9 La notion de chaîne de référence est reconnue comme cruciale aujourd’hui, aussi bien en linguistique qu’en traitement automatique des langues (TAL), car elle a permis de mieux comprendre la structuration des textes. Au-delà du rôle de l’accessibilité cognitive du référent dans le choix d’un type d’expression référentielle, il existe des influences de conventions, notamment de conventions de genre. La constitution des chaînes et la nature de leurs maillons nous informe également sur les topiques, et permet donc des progrès dans la caractérisation de ceux-ci ainsi que dans leur détection automatique.
10 Des analyses linguistiques de chaînes ont été effectuées, des analyses statistiques également (Rousier-Vercruyssen et Landragin, 2019). De grands programmes de recherche ont même été menés ces dernières années sur les chaînes de référence dans différentes langues (Recasens, 2010 ; Ogrodniczuk et al., 2015). La thèse de Marta Recasens (2010), qui regroupe des préoccupations relevant de la linguistique, de la linguistique de corpus et du TAL, a eu un rôle important car elle a apporté une nouvelle mesure de la performance des systèmes de TAL (et indirectement des corpus exploités par le TAL). Dans les années qui ont suivi, s’est déroulée une nouvelle vague de campagnes d’évaluation internationales – « SemEval », Semantic Evaluation, ou « CoNLL », Computational Natural Language Learning –, qui ont elles-mêmes relancé un intérêt pour la notion de chaîne de référence. Mais cet intérêt est resté monolingue : la majorité des analyses linguistiques et l’essentiel des travaux de TAL se sont faits dans le cadre d’une seule langue.
3 – Approches contrastives pour les chaînes de référence
11 Une approche contrastive permet des progrès complémentaires dans la compréhension des chaînes de référence, comme l’a montré par exemple E. Baumer (2015) pour le français et l’anglais. On trouve dans la littérature d’autres travaux contrastifs, mais ils se focalisent bien souvent sur l’un des phénomènes concernés par les chaînes de référence (voire un phénomène connexe), tel que les anaphores (Cornish, 1999 ; Huang, 2002).
12 Il manque une étude d’ampleur, à la fois par la prise en compte des chaînes dans toutes leurs configurations possibles et par le nombre de langues étudiées. Une telle approche nous semble pourtant nécessaire, et d’autant plus quand on s’aperçoit que les différents auteurs et les différentes campagnes d’annotation ou d’évaluation ne gèrent pas les chaînes de référence de la même façon : la langue étudiée influence très souvent la définition des maillons et des chaînes. Si nous reprenons l’exemple du sujet zéro, on conçoit qu’une étude centrée sur une langue où ce phénomène s’avère rare va fortement différer d’une étude portant sur une langue où il intervient quasiment à toutes les phrases. En comparant les expressions françaises (Kleiber, 1981, 1994 ; Charolles, 2002) avec celles utilisées dans d’autres langues, on peut mettre en perspective les rôles des marqueurs linguistiques, notamment des possessifs ou des pronoms zéro.
13 Les chaînes de référence présentant encore des points non élucidés, l’objectif de ce numéro thématique sera de permettre d’avancer dans leur compréhension, grâce à ce nouvel angle contrastif. Par exemple, l’étude des conventions de genre discursif peut être mieux appréhendée si celles-ci sont en partie propres à chaque langue. Ou encore, dans l’exemple cité plus haut, dire que le sujet zéro de réagir est un maillon référentiel s’avère discutable et soulève des questions quant aux limites que l’on se fixe dans l’analyse linguistique et les critères de constitution des chaînes. Le sujet zéro et les pronoms possessifs peuvent ne pas prendre la même forme linguistique dans plusieurs langues ; a contrario, des expressions référentielles considérées comme explicites en français peuvent être élidées dans d’autres langues. L’approche contrastive permet alors de comparer les différents moyens d’expression à disposition du locuteur et, en considérant les modalités d’accès aux référents, permet de statuer sur l’importance de telle ou telle forme. En quelque sorte, c’est la chaîne de référence qui prime, plutôt que la nature et la diversité des expressions référentielles. Une fois que l’on considère une chaîne de référence comme un objet d’étude multilingue, alors on peut appréhender les expressions référentielles de manière plus large que dans une optique purement monolingue.
4 – Cadre de travail
14 Ce type de questions et d’enjeux de recherche s’insère centralement dans ceux du projet ANR Democrat (2016-2020) – « Description et modélisation des chaînes de référence : outils pour l’annotation (en diachronie et en langues comparées) et le traitement automatique » (Landragin, 2020), projet qui a, comme les initiatives de M. Recasens (2010) et de M. Ogrodniczuk et al. (2015), réuni autour du même objet d’étude des approches théoriques, sur corpus, ainsi que de TAL. Disposer de descriptions et de modélisations linguistiques s’avère nécessaire pour la constitution de corpus annotés et pour la conception de systèmes de TAL ; les approches contrastives peuvent apporter des descriptions et des modélisations importantes pour ce faire, et c’est l’objet du présent numéro thématique que de montrer quelles voies ont été explorées dans le projet Democrat, voies qui : (a) permettent de dresser un état des lieux, et (b) ouvrent à leur tour de nouvelles perspectives de recherche, dont il sera question dans l’ensemble des contributions.
15 Deux numéros thématiques de revues, parus respectivement en septembre 2014 et en octobre 2017, ont porté récemment sur les chaînes de référence. Le premier, intitulé « Les chaînes de référence » et faisant l’objet du numéro 195 de la revue Langages (Landragin et Schnedecker, 2014), regroupe des études ponctuelles et des analyses linguistiques focalisées sur différents genres textuels et états de la langue française, sur la base du corpus MC4, « Modélisation Contrastive et Computationnelle des Chaînes de Coréférences » (Landragin, 2018). La plupart des études présentées restent exploratoires, dans la mesure où le corpus exploité ne comporte que 3 800 expressions référentielles, à comparer avec les 198 000 du corpus Democrat (Landragin, 2019). Ce numéro reste surtout cantonné à l’étude de la langue française et n’amorce une démarche contrastive que dans une des contributions, à vocation diachronique (comparaisons entre l’ancien français, le moyen français et le français contemporain). Le second numéro, intitulé « Les chaînes de référence en corpus » et faisant l’objet du numéro 195 de la revue Langue française (Schnedecker et al., 2017), regroupe un ensemble d’articles illustrant les orientations du projet Democrat, alors à ses tout débuts. Des mesures pour analyser les chaînes de référence y apparaissent, mais la plupart des études restent là aussi relativement limitées : le corpus Democrat était en cours de constitution et beaucoup d’exploitations étaient encore à faire.
16 Dorénavant, le projet Democrat – récemment terminé et validé par l’ANR – permet une prise de recul qui n’était pas possible alors. Qui plus est, aucun des deux numéros parus n’avait abordé pleinement les approches contrastives. C’est donc un angle d’approche qu’il nous semble opportun, voire indispensable, de creuser. Notre numéro thématique fait suite à un workshop organisé en 2018 par le projet Democrat et réunissant des participants aussi bien internes au projet que des intervenants extérieurs, invités à joindre leur expertise à celle des membres de Democrat. Ce workshop était intitulé « Approches contrastives pour les chaînes de référence », et nous en présentons ici la concrétisation.
17 Soulignons que les études contrastives du projet Democrat ont dû recourir à leur propre corpus, le corpus « officiel » du projet ne regroupant que des textes écrits en français – représentant, certes, tous les états de la langue française depuis le 11e jusqu’au 21e siècle – mais ne contenant pas de traductions dans d’autres langues (qui de toute façon n’auraient pas constitué des productions comparables à des textes originaux), ni même de textes équivalents : le travail requis pour mettre en place un tel corpus multilingue aurait été bien trop ambitieux, surtout quand on considère le panel des langue étudiées (anglais, allemand, tchèque, hongrois, chinois). Chacune des études regroupées ici s’est donc appuyée sur un corpus ad hoc, de petite taille dans la mesure où l’objectif principal était de mettre en œuvre des analyses à visée linguistique, et non des caractérisations incluant des indicateurs statistiques – de tels indicateurs n’ayant un sens qu’avec des données en grande quantité. Qui plus est, ces études ont permis de souligner des aspects méthodologiques essentiels, qui n’avaient pas été beaucoup explorés auparavant. Analyses linguistiques et méthodologiques constituent ainsi deux lignes directrices essentielles de ce numéro.
5 – Présentation des contributions
18 Commençons par une étude contrastive faisant intervenir trois langues : l’allemand, l’anglais et le français. Dans leur article qui débute ce numéro, sous le titre « Quelles régularités pour les chaînes de référence dans le genre “nouvelle d’actualité” ? Exploration contrastive allemand-anglais-français », Emmanuel Baumer, Dominique Dias, Laure Gardelle et Emmanuelle Prak-Derrington s’intéressent aux textes de presse, plus précisément à ce que l’on appelle la « nouvelle d’actualité », texte court qui traite d’un élément d’actualité en mettant en avant des faits nouveaux ainsi que le contexte qui permet de les comprendre. L’étude, effectuée dans le cadre du projet Democrat, distingue les types de référents, la nature des maillons, la fonction grammaticale de ceux-ci, ainsi que diverses caractéristiques des chaînes de référence. La comparaison systématique permet de relever les homogénéités et les hétérogénéités. Ces dernières, inévitables, amènent les auteurs à proposer une série d’explications qui relèvent non seulement de l’analyse du genre de la nouvelle d’actualité, mais également de pratiques rédactionnelles distinguant l’anglais des deux autres langues étudiées.
19 L’anglais et le français sont les langues examinées par Laure Sarda et Shirley Carter-Thomas, auteures de la contribution suivante, intitulée « Référence, qualification et distribution de l’information : approche contrastive français-anglais ». Leur corpus regroupe lui aussi des textes de presse, mais il s’agit cette fois d’articles plus longs, consacrés à des personnalités politiques. L’étude, qui ne s’est pas déroulée dans le cadre du projet Democrat mais qu’il nous paraissait intéressant de rapprocher de préoccuptations du projet, se focalise sur deux aspects : premièrement la description de l’usage d’expressions référentielles nominales et pronominales, de manière comparable aux études de Democrat ; deuxièmement la description de l’usage d’expressions caractérisantes, qui apportent des informations qualitatives sans pour autant référer – ce qui dépasse le cadre de Democrat et augmente la portée de l’étude. Les auteures confirment d’une part que les reprises anaphoriques des personnages sont plus souvent faites à l’aide des expressions nominales en français, alors qu’en anglais, l’usage du pronom ou la répétition du nom propre sont préférés. Les auteures explorent minutieusement d’autre part la distribution des informations qualitatives (en utilisant parfois des outils issus de Democrat) en mettant en évidence quelques particularités du genre du portrait politique, à savoir une préférence en français pour les constructions détachées et une préférence en anglais pour la prédication principale. Les observations faites au niveau linguistique suggèrent de surcroît des différences culturelles influençant possiblement le style journalistique dans chacune des deux langues.
20 Passons au tchèque avec la contribution de Jan Dvořák, intitulée « Le démonstratif (non seulement) dans les chaînes de référence en français et en tchèque. Une étude exploratoire du roman Le brave soldat Chvéïk ». Le corpus est cette fois le premier chapitre d’un roman de l’auteur tchèque Jaroslav Hašek, étudié conjointement avec sa traduction en français. Nous quittons donc le genre journalistique pour le genre narratif, plus précisément pour un extrait qui regroupe des segments narratifs et des segments de dialogue dans lesquels le registre de langue se rapproche du langage parlé. L’étude s’intéresse à un type particulier de maillon de chaîne : les démonstratifs. Elle explore les rôles de ceux-ci dans l’accessibilité du référent, dans le phénomène de recatégorisation – que l’auteur observe et analyse dans les deux langues en tenant compte de leurs différences structurelles –, dans ceux de réactivation du référent, ainsi que dans les emplois émotionnels. L’auteur en tire des conclusions étayées sur le fonctionnement sémantico-référentiel du démonstratif. Les analyses sont effectuées après annotation manuelle du chapitre dans la plateforme TXM (Heiden et al., 2010), en utilisant en particulier l’extension de celle-ci qui permet d’annoter et qui constitue l’un des apports du projet Democrat.
21 La contribution suivante, signée par Zsuzsanna Gécseg, Frédéric Landragin et Benjamin Fagard, propose de comparer des maillons de chaînes de référence en français et en hongrois, sur un petit texte narratif qui correspond à un résumé de film, tel qu’on peut en lire sur divers sites web, l’intérêt de tels textes résidant dans leur forte concentration de références. L’objet de la comparaison est le pronom tonique, le pronom clitique et le pronom non exprimé, formes possibles quand le référent est saillant. Cette étude fait écho au programme de recherche et au corpus du projet MC4 (décrit plus haut), avec la distinction qu’il a initié entre « maillons forts » et « maillons faibles », plutôt que du corpus Democrat lui-même, dans lequel les annotateurs se sont concentrés sur les expressions référentielles possédant une forme – un « marquable » –, autrement dit sur les seuls maillons forts. Du fait de son objet d’étude, ce travail s’oriente vers les phénomènes d’ambiguïté référentielle, fréquents dans un tel type de texte. Il inclut une expérimentation faisant appel à l’avis de locuteurs, aussi bien pour le français que pour le hongrois. Les résultats de cette expérimentation permettent de renforcer la méthodologie impliquée par la prise en compte d’une distinction entre deux types de maillons.
22 Enfin, Chang Guo termine ce numéro avec une étude contrastive français-chinois, portant sur un autre genre textuel : le texte encyclopédique – en l’occurrence des entrées de l’encyclopédie en ligne Wikipédia, ressource largement multilingue. L’analyse distingue, pour chaque entrée, la chaîne de référence principale des chaînes secondaires, et explore les manières dont ces différentes chaînes se composent et interfèrent les unes avec les autres. Comme dans d’autres études de ce numéro, des aspects (morpho)syntaxiques – tels que la fonction grammaticale de certains maillons – de même que des aspects purement textuels (changements de paragraphe) sont convoqués. Notons également que l’analyse utilise et enrichit en même temps un vocabulaire technique spécialisé. L’auteure oppose ainsi les environnements monoréférentiels aux situations de cohabitation de plusieurs chaînes et explore quatre des types de cohabitation (dérivation, déroulement en parallèle, partition et entrecroisement) définis dans Landragin et Schnedecker (2014) : autant de cas dont la prise en compte, ici dans une démarche contrastive, permet de clarifier la méthodologie d’analyse des chaînes de référence dans le discours.
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Corpus
- Landragin F. (éd.), 2019, Corpus Democrat, https://hdl.handle.net/11403/democrat.
- Landragin F. (éd.), 2015, Corpus MC 4, https://hdl.handle.net/11403/mc4.
Mots-clés éditeurs : coréférence, référence, chaîne de référence, expression référentielle
Date de mise en ligne : 24/03/2022
https://doi.org/10.3917/tl.082.0007Notes
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Ce travail a été réalisé dans le cadre du projet Democrat (ANR-15-CE38-0008). L’auteur remercie l’ensemble des participants de ce projet et notamment ceux qui étaient présents à la journée d’étude « Approches contrastives des chaînes de référence », journée qui a permis de poser les premières briques de ce numéro thématique.