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Article de revue

Le mouvement fictif à l’épreuve de la factualité : catégorisation des verbes et données de corpus

Pages 15 à 66

Notes

  • [1]
    Sur un plan philosophique et psychologique, Blomberg et Zlatev, qui se réfèrent à la phénoménologie de Husserl, soutiennent que les différentes motivations ou expériences recensées mettent en jeu trois aspects différents de l’intentionnalité ou conscience humaine : l’énaction ou perception « engagée » ; l’action « noétique » ; l’imagination (ré-énaction).
  • [2]
    Ou en termes de sujets/locuteurs, contextes et types de production, méthodes de recueil… pour des corpus oraux.
  • [3]
    Un lieu est une entité fixe dans un cadre de référence qui définit une portion d’espace adjacente à sa partie matérielle dans laquelle d’autres entités peuvent être localisées. Les lieux géographiques comme les zones délimitées par des Noms de Localisation Interne (NLI) ou noms spatiaux (haut, arrière, intérieur, bord, extrémité) au sein d’une entité-tout répondent à cette définition (Aurnague, 1996, 2004). Certaines approches des marqueurs spatiaux statiques ou dynamiques représentent les relations identifiées par les adpositions locatives et verbes au moyen de régions associées aux entités-sites des descriptions analysées (cf. la fonction « Place » chez Jackendoff, 1983, 1990). Ces approches géométriques qui traitent, d’une certaine façon, tous les sites comme des lieux sont problématiques car elles éludent le contenu ‘fonctionnel’ de bien des marqueurs spatiaux (fonction des entités, orientation, forces et, plus généralement, physique naïve : Aurnague et Vieu, 2013 ; Carlson et van der Zee, 2005 ; Vandeloise, 1986) et s’avèrent inaptes à saisir pleinement leur contenu sémantique.
  • [4]
    Quoique pratique, le trajet ou path est une des notions les plus floues et fluctuantes de la littérature sur l’espace linguistique (curieusement, et comme le traitement géométrique ou régional des marqueurs locatifs (voir note 3), elle est aussi bien utilisée par les typologues fonctionnalistes que par les formalisateurs). A-t-on affaire à un événement, à la trace matérielle d’un événement, à une entité matérielle/concrète ou à autre chose encore ? Dans le cadre de notre approche, nous avons choisi de qualifier de trajet toute éventualité qui combine les deux concepts introduits dans la suite du texte (Aurnague, 2011a), que leur réalisation soit concomitante/simultanée ou consécutive : changement de relation locative élémentaire et changement d’emplacement. Selon cette optique, un trajet/path est donc un événement spatial dynamique d’un type particulier.
  • [5]
    Le terme déplacement est utilisé ici pour rendre le nom anglais motion, qui semble souvent ambigu, oscillant entre la désignation d’une dynamicité spatiale large ou indifférenciée (« movement ») – incluant les changements de posture (voir plus loin) – et la référence au véritable déplacement (« displacement »). Dans le cas d’espèce, c’est bien du déplacement que traitent Levinson et Wilkins. Le choix (inverse) de traduire fictive motion par mouvement fictif tient à l’ancrage de cette expression dans la communauté des linguistes francophones mais aussi et surtout à la présence, dans les descriptions (fictives) correspondantes, de nombreux verbes spatiaux dynamiques n’impliquant aucune sorte de déplacement. C’est un des objectifs essentiels de cet article que d’illustrer ce dernier point.
  • [6]
    Notons néanmoins que, chez Tesnière, le démarquage entre mouvement et déplacement n’est pas exactement le même que celui qui irriguera la littérature postérieure. Pour cet auteur, il s’agit avant tout de distinguer, au sein de la catégorie du déplacement au sens large (voir plus loin), les changements d’emplacement (incluant les verbes atéliques de manière de déplacement) et les déplacements au sens strict évoqués jusqu’ici. Ce faisant, Tesnière fut un précurseur car il pointa explicitement, à travers le français et l’allemand, la différence typologique entre langue à cadrage verbal (« verb-framed language ») et langue à cadrage satellitaire (« satellite-framed language ») popularisée plus tard par Talmy (1985, 2000).
  • [7]
    La relation niée puis affirmée sera donc être adossé à qui n’est pas une relation locative élémentaire, puisque non réductible à une adposition spatiale de la langue.
  • [8]
    La différence sémantique pointée par Boons se double d’un contraste syntaxique puisque le GP associé aux verbes de déplacement strict fonctionne en tant que complément du verbe alors que le GP combiné aux prédicats de manière de déplacement est, au moins dans une interprétation, un simple modifieur/adjoint du groupe verbal ou de la phrase.
  • [9]
    Les changements de relation locative pouvant n’être accompagnés d’aucune modification en termes d’emplacement sont principalement exprimés en français par les prépositions sur (support / contact : se poser, se percher, toucher, frôler), à dans son emploi de type « routine sociale » (s’installer / se mettre à (sa table de travail)), face à (se placer face à/se tourner vers (la fenêtre)) ainsi qu’à l’intérieur de et sous indiquant le passage de l’inclusion partielle à l’inclusion totale (s’immerger) ou l’inverse (émerger).
  • [10]
    Le contrôle et, plus généralement, les propriétés fonctionnelles mises en jeu par les deux dernières séries de verbes sont d’un type plus spécifique et contraint que les configurations exprimées par les prépositions spatiales du français. On peut être dans la boue sans être embourbé et des êtres animés disposés autour d’une personne ne la cernent pas nécessairement.
  • [11]
    Bien que nous continuions à parler de mouvement / déplacement pour l’ensemble du champ de l’espace dynamique, la notion minimale de mouvement peut, à elle seule, identifier la totalité du domaine (cf. infra) et/ou servir à distinguer la dynamicité spatiale sans déplacement du déplacement au sens large (Aurnague, 2012).
  • [12]
    La manière est ‘transversale’ aux macro-catégories et catégories de base et nous n’en parlerons pas ici (voir Stosic, 2009, 2019). Dans la macro-catégorie du déplacement au sens large, par exemple, elle intervient massivement au niveau des simples changements d’emplacement (déplacement faible) – comme il est régulièrement observé dans la littérature – mais, contrairement à ce qui est parfois soutenu, elle est aussi présente dans l’expression du déplacement strict (s’échapper, s’engouffrer, jaillir).
  • [13]
    Un repérage par le biais des adpositions n’est pas vraiment envisageable car peu de marqueurs adpositionnels du français ont un sémantisme locatif proprement dynamique. Ainsi, hormis les prépositions par et via, le français ne compte quasiment aucune préposition ou locution prépositionnelle dont le contenu inclurait un changement de relation et d’emplacement, c’est-à-dire un déplacement au sens strict.
  • [14]
    68 ouvrages de Frantext correspondent à l’empan de temps et aux genres textuels fixés. Il convient, toutefois, de noter que des ouvrages publiés dans cet intervalle de temps peuvent avoir été écrits à des périodes (bien) antérieures. Voir Cappelli (2013 : vol. 2, 402-403) pour une liste complète des ouvrages et de leurs caractéristiques.
  • [15]
    Les autres types de mouvement fictif que distingue Talmy (1996, 2000) – « émanation / orientation » (angl. emanation / orientation) notamment – sont peu ou pas apparus dans les attestations des verbes extraites de Frantext.
  • [16]
    Les tableaux et figures / graphiques utilisés pour l’analyse des résultats présentent systématiquement les données relatives aux descriptions de mouvement factuel avant celles ayant trait au mouvement fictif. Le mouvement factuel se voit ainsi assigné un rôle de repère par rapport auquel la nature des verbes présents dans les descriptions de mouvement fictif est évaluée. La raison de ce choix est que, du point de vue de leur forme, les descriptions de mouvement fictif appartiennent au domaine du mouvement / déplacement, leur plus ou moins grande dynamicité spatiale devant être appréhendée à travers les exemples qui impliquent par nature ces notions. Ajoutons que l’examen des différentes macro-catégories et catégories de base de verbes se fera, en général, des plus dynamiques vers les moins dynamiques.
  • [17]
    Les variations significatives entre mouvement factuel et mouvement fictif sont signalées par une étoile dans la colonne des différentiels.
  • [18]
    Considéré sous cet angle, le décalage entre la dynamicité intrinsèque des situations dénotées par les descriptions factuelles et la stativité de celles auxquelles réfèrent les descriptions fictives est plus fort pour les verbes de changement d’emplacement que pour les verbes de changement de disposition.
  • [19]
    Notre positionnement par rapport à l’existence d’un décalage entre la nature des marqueurs et constructions apparaissant dans les descriptions de mouvement fictif et celle des configurations identifiées par ces descriptions se veut assez équilibré en ce sens que nous cherchons à distinguer les degrés de dynamicité spatiale des verbes de mouvement / déplacement sans, pour autant, nier la dynamicité des prédicats les plus statiques du continuum mis en évidence à la section 1.1.2. Ainsi, nous refusons de considérer que des verbes de changement de disposition tels que s’étendre ou se dresser seraient de purs statifs (au même titre que être (localisé / situé), se trouver) au motif, par exemple, que leurs emplois peuvent être mis en parallèle de constructions factitives (Un chapiteau se dresse au milieu de la plaine vs. On a dressé un chapiteau au milieu de la plaine). Outre que ce type d’alternance n’est pas toujours possible (Un chêne se dresse au milieu de la plaine vs. ??On a dressé un chêne au milieu de la plaine), il est clair pour nous que les verbes concernés véhiculent une forme de dynamicité interne (mouvement) qui est totalement absente des véritables prédicats statifs (Le chêne est situé / se trouve au milieu de la plaine).
  • [20]
    Les sous-catégories représentant moins de 10 % des usages factuels et fictifs des verbes et dont la variation d’un type de description à l’autre est significative sont les changements de relation initiaux à partir d’une position (χ2(1) = 48.65, p = 3.058-12), les changements de relation initiaux étendus (χ2(1) = 5.055, p = 0.024) et les changements de relation basés sur la distance (χ2(1) = 11.05, p = 8.8-4).
  • [21]
    Ainsi, un parcours qui joindrait deux bords d’un site de forme parallélogramme dans un angle de ce dernier ne couvrirait pas une portion minimale/suffisante de la surface de ce site.
  • [22]
    Ces différences entre verbes de changement de relation initial ou final de type inclusion/contenance prennent place, bien sûr, dans l’asymétrie commentée plus loin entre prédicats spatiaux dynamiques de polarité initiale ou finale.
  • [23]
    La possibilité que le site identifié par le complément de la préposition dans occulte ou cache la cible est l’une des cinq propriétés listées dans Vandeloise (2001 : 239) comme constitutives de la relation « contenant/contenu ». L’accès à la perception (à travers l’occultation de la cible) intervient aussi dans la sémantique des prépositions derrière et sous (Vandeloise, 1986 : 145-158, 194).
  • [24]
    Sur les relations de partie à tout et diverses notions sémantiques proches, voir Winston et al. (1987) et Aurnague (2004). Hormis les paramètres aspectuels et épistémiques tout juste mentionnés (en lien avec la référence et la perception), l’interprétation de sortir obtenue dans [11] est aussi conditionnée par la notion de « rupture de configuration/structure » abordée dans la suite, avec sa double dimension géométrique et fonctionnelle.
  • [25]
    Néanmoins, ceci n’est pas propre aux énoncés de mouvement fictif mais au « mode de discours » (Smith, 2001, 2003) de la description auxquels ceux-ci renvoient la plupart du temps (Cappelli, 2013 : 149-177, 2019). Selon C. Smith, le mode descriptif se caractérise par un temps (anaphorique) stable ou suspendu – i.e. qui n’avance pas –, la seule progression étant alors attribuable au parcours spatial de la scène décrite.
  • [26]
    Noter que, comme sourdre et, dans une moindre mesure, déboucher, les emplois factuels de jaillir et surgir ont souvent tendance à placer un point de référence à l’extérieur de l’entité-site, point de référence depuis lequel est appréhendé le changement de relation initial de type inclusion/contenance (Cappelli, 2013 : 86-93). Cette contrainte déictique (fréquente mais facultative) n’est pas sans lien avec les situations évoquées plus haut où le locuteur/observateur fait face à un site duquel émerge une cible.
  • [27]
    Les changements de relation initiaux à partir d’une position présents dans notre corpus d’exemples de mouvement fictif font appel aux verbes partir (10 occurrences) et s’élancer (3 occurrences).
  • [28]
    Les exemples suivants de notre corpus illustrent les diverses interprétations et constructions distinguées : absence de changement de relation : Des choses légères d’été : sur le canapé, ce qui ressemble à un tee-shirt noir, une étoffe bariolée qui glisse le long du coussin […] (A. Ernaux et M. Marie, L’Usage de la photo, 2005) ; changement de relation initial : Les gens marchaient sur leur innocence, enivrés par le lourd parfum des lys et des roses qui dégringolaient des balcons […] (C. Bobin, Prisonnier au berceau, 2005) ; changement de relation final : Une exubérante glycine envahissait la façade, ses tentacules curieux rampaient dans l’ouverture de la fenêtre […] (M. Chaix, L’Eté du sureau, 2005) ; direction prospective : Le balcon se dirigeait vers la gauche, vers la salle de bains, une excroissance, une pièce rapportée collée à la maison […] (J. Roubaux, Parc sauvage, 2008) ; double changement de relation : Une longue cicatrice courait de haut en bas de la partie supérieure du membre […] (P. Forest, Tous les enfants sauf un, 2007).
  • [29]
    La correction consiste à réaffecter 7,33 % et 36 % des changements d’emplacement avec changement de relation possible aux changements de relation initiaux et finaux respectivement.
  • [30]
    La sémantique d’un même prédicat peut incorporer plusieurs des propriétés constitutives de la tendancialité et donc apparaître au titre de chacune de ces propriétés (cf. section 1.1.1 et infra). Le lecteur trouvera dans la note 28 ainsi que plus bas plusieurs exemples attestés de verbes tendanciels utilisés dans des énoncés de mouvement fictif (courir, dégringoler, descendre, se diriger, glisser, monter, ramper).
  • [31]
    Sans compter la « partomotion », c’est-à-dire les mouvements relatifs des diverses parties de la cible au cours de son déplacement.
  • [32]
    Dans le cas des descriptions de mouvement fictif, le verbe tendanciel frontal avancer est, par exemple, concurrencé par d’autres verbes de changement d’emplacement (non directionnels, avec changement de relation possible ou non : courir, glisser, ramper ; longer, parcourir, serpenter), par des verbes de changement de relation et d’emplacement (notamment les doubles changements de relation avec contraintes sur l’ensemble du déplacement : traverser ; cf. section 3.1.1) ou même par des prédicats de changement de disposition (se déployer, s’étaler, s’étendre ; cf. section 4).
  • [33]
    Le chat est monté (le long du poteau) entre la maison et le mur n’implique pas de changement de relation locative élémentaire par rapport au ‘double site’ introduit par les compléments de la préposition. De la même façon, les hêtres de [17] peuvent être positionnés dans l’espace que délimitent la maison et le mur sans que n’intervienne aucune modification des rapports spatiaux entre les arbres et l’environnement concerné (par exemple, support / contact avec la maison ou le mur, franchissement des frontières horizontales de la zone délimitée). Comme précédemment, c’est dans ce sens que nous parlons de présence ou d’absence de changement de relation dans des énoncés de mouvement fictif.
  • [34]
    À comparer avec La route / la rue / le sentier monte jusqu’à l’église, La route monte sur 300 mètres (puis elle est plate). Si les prédictions d’Emirkanian (2008) sont globalement confirmées par notre corpus d’énoncés de mouvement fictif, remarquons que monter peut ponctuellement décrire des cibles dotées d’une verticale intrinsèque (comme des arbres ou des végétaux) en présence d’un GP spatial qui ne dénote aucune mesure (voir également [17]) ou, parfois même, sans recours à aucun GP locatif : […] l’herbe monte, mouillée, contre la granulosité sable, salpêtre, calcaire du mur aveugle (H. Lucot, Frasques, 2001) ; Les premiers papillons, tulle incertain plus que des ombelles, volent sur la pelouse haute, et les lilas montent en gerbe chargée d’odeurs (M. Havet, Journal 1919-1924, 2005). Ajoutons qu’indépendamment du caractère plus ou moins obligatoire que peut revêtir, pour certains verbes, l’association à des GP locatifs (notamment de mesure), l’ancrage de l’entité-cible dans un environnement englobant favorise lui-même, très largement, ce type de construction.
  • [35]
    La catégorie de base des changements de disposition manifeste, en particulier, une certaine hétérogénéité au regard de l’Aktionsart ou aspect interne. Alors que les trois autres catégories de base de prédicats de mouvement / déplacement, mettant en jeu la notion de changement de relation (avec ou sans changement d’emplacement) ou uniquement celle de changement d’emplacement, regroupent uniformément des verbes téliques vs. atéliques, les changements de disposition font appel aux deux types de procès. Cette dualité peut parfois se faire jour pour différents emplois du même verbe (p. ex. dans le cas de tourner). À propos de l’articulation entre espace dynamique et aspect interne, voir Aurnague (2012).
  • [36]
    Outre les prédicats de changement de disposition (s’étaler, s’étendre), ce mécanisme d’innovation lexicale pourrait entre autres intervenir dans l’émergence d’acceptions « statiques » de verbes de simple changement de relation (frôler, mordre, toucher) ou de simple changement d’emplacement (s’élever, traîner).
  • [37]
    Grinevald (2006 : 33) place le tzeltal au niveau le plus avancé / complexe (type IV) de sa typologie des prédicats locatifs. Le serbe, évoqué plus bas, relève du type II.
  • [38]
    Ce point pourrait être approfondi en lien avec la notion de « compte rendu de perception » (Rabatel, 2003).

Introduction

1Le phénomène souvent appelé « mouvement fictif » fait référence à l’assignation d’une interprétation spatiale statique à des marqueurs et constructions entrant habituellement dans la description de configurations locatives dynamiques. C’est le cas des verbes plonger et traverser en [1-2] qui, s’ils sélectionnent en principe des sujets grammaticaux identifiant des entités localisées ou « entités-cibles » mobiles (Vandeloise, 1986), sont ici associés à des éléments naturellement [2 : ravin] ou contextuellement [1 : reste/bas du corps] immobiles. L’entité localisatrice ou « entité-site » (pente en [1], ville en [2]) est, quant à elle, immobile ou moins mobile que la cible de l’énoncé (Vandeloise, 1986) mais cela n’a rien d’extraordinaire et constitue une caractéristique centrale de l’opposition entre les rôles sémantiques de cible et de site, que ceux-ci sous-tendent une relation locative statique ou dynamique. Les verbes de [1-2] et, plus généralement, ceux qui seront étudiés dans ce travail décrivent le mouvement / déplacement « autonome » ou « spontané » d’une cible, par opposition aux prédicats qui se réfèrent à un mouvement / déplacement « causé » (p. ex. emporter, pousser).

[1]
Sur cette photo en noir et blanc, au premier plan, à plat ventre, trois filles et un garçon, seul le haut du corps est visible, le reste plongeant dans une pente.
(A. Ernaux, Les Années, 2008)
[2]
L’appartement offrait l’avantage d’être de plain-pied, dans le prolongement du magasin, et derrière, il dominait le ravin qui traverse la ville et que l’on appelle le Hédas.
(R. Grenier, Andrélie, 2005)

2La possibilité qu’offre ainsi la langue d’introduire une configuration spatiale statique au moyen de marqueurs locatifs dynamiques a été repérée depuis plusieurs décennies, en particulier par les chercheurs ayant œuvré dans le cadre du lexique-grammaire (Boons et al., 1976). Mais il faudra attendre la popularisation de ce phénomène par L. Talmy (1996, 2000) et la théorisation qu’il en propose sur la base de sa sémantique cognitive pour voir se développer de très nombreuses analyses autour de cette thématique à laquelle sera régulièrement appliquée l’étiquette « fictive motion » (« mouvement fictif ») que l’auteur utilise dans les publications citées. Rappelons néanmoins que bien d’autres noms ont été imaginés en référence à ce sujet d’étude, la variation terminologique se manifestant parfois chez le même auteur (ex : Langacker, Talmy). Hormis fictive motion déjà évoqué, on mentionnera les expressions « mouvement virtuel » (virtual motion : Langacker, 1999 ; Talmy, 1983), « mouvement subjectif » (subjective motion : Langacker, 1986), « mouvement abstrait » (abstract motion : Langacker, 1986) ou encore « mouvement non réel / actualisé » (non-actual motion : Blomberg et Zlatev, 2014) – liste non exhaustive. Comme le notent Blomberg et Zlatev (2014), ces termes ne sont pas neutres et portent chacun en eux une forme d’explication (voir ci-dessous).

3La nature du phénomène analysé et, tout spécifiquement, le décalage qu’il manifeste entre les scènes dénotées (statiques) et le contenu sémantique (dynamique) des énoncés construits a d’emblée conduit les chercheurs à explorer la dimension cognitive des processus en jeu, diverses expérimentations psycholinguistiques ayant été réalisées en complément des travaux strictement linguistiques (Matlock, 2001, 2004a, 2004b ; Matlock et al., 2003 ; Rojo et Valenzuela, 2009 ; Saygin et al., 2010 ; Stosic et al., 2015). Une série de motivations et d’expériences mentales comme corporelles a été mise en avant comme possible source du décalage observé. Selon Blomberg et Zlatev (2014), quatre types principaux de justifications apparaissent dans la littérature, une même approche pouvant mobiliser plusieurs justifications différentes. Les énoncés dits de mouvement fictif seraient ainsi motivés par : a) le déplacement imaginé du sujet / locuteur parcourant l’entité-cible de la description ; b) le déplacement imaginé par le sujet / locuteur d’une autre entité que lui-même, à travers la cible de la description ; c) le mouvement / déplacement imaginé d’une entité animée ayant la forme de la cible (par exemple : serpent associé à un sentier / chemin ou une route) ; d) le parcours visuel de la cible (par le sujet / locuteur ou par une autre personne) [1]. L’association de la cible ravin et du verbe traverser en [2] pourrait, par exemple, se fonder sur les motivations / expériences a), b) et/ou d), les justifications b), c) et/ou d) pouvant quant à elles être exhibées pour la phrase [3] ci-dessous.

[3]
De Druyes à Fougilet, l’ennemi avait six kilomètres à parcourir sur une route non goudronnée, serpentant entre les prés, les vignes et les bosquets
(Y. Szczupak-Thomas, Un Diamant brut : Vézelay-Paris 1938-1950, 2008)

4En ce qui concerne la caractérisation des verbes spatiaux dynamiques impliqués dans les énoncés de mouvement fictif, une grande partie des discussions a porté sur l’opposition entre composants sémantiques relevant du trajet (path) vs. de la manière (manner) et sur le rôle éventuel de ces éléments de sens dans l’émergence et l’interprétation des descriptions considérées (Honda, 1994 ; Matsumoto, 1996a, 1996b ; Rojo et Valenzuela, 2003, 2009 ; Waliński, 2015) – en lien avec les motivations cognitives et expériences évoquées ci-dessus. Nous reviendrons plus loin (Section 1) sur le contraste entre trajet et manière qui doit, lui aussi, beaucoup aux travaux fondateurs de Talmy (1985, 2000) autour de cette question, travaux qui ont été à l’origine de multiples développements d’un point de vue typologique et psycholinguistique notamment (Berman et Slobin, 1994 ; Slobin, 2004).

5Contrairement à l’étude de l’opposition trajet vs. manière, les bases empiriques des travaux linguistiques sur le mouvement fictif ont consisté, la plupart du temps, en un ensemble limité d’exemples construits ou attestés, les mêmes énoncés ou les mêmes types d’énoncés revenant de manière récurrente dans la littérature. Concomitamment, l’éventail des verbes analysés apparaît relativement réduit (quelques dizaines tout au plus), certains d’entre eux – comme courir, descendre, grimper, longer, monter, ramper ou encore serpenter – focalisant une grande partie de l’attention des chercheurs. Pour le dire autrement, le recours à des corpus dûment construits et maîtrisés en termes de périodes, genres textuels, etc. [2] a été une pratique assez rare dans le domaine du mouvement fictif, même si certains travaux isolés ont pu ponctuellement emprunter cette voie (Barberis, 1997 ; Demi, 2009 ; Rojo et Valenzuela, 2003 ; Stosic et Sarda, 2009).

6Les remarques ci-dessus pointent, il nous semble, deux faiblesses méthodologiques majeures des recherches sur le mouvement fictif. La première tient à l’absence d’une catégorisation des prédicats spatiaux dynamiques qui soit en mesure d’évaluer finement la nature des verbes se prêtant aux interprétations considérées, au-delà du seul contraste trajet vs. manière. Alors que le décalage interprétatif dont il était question plus haut repose crucialement sur la distinction dynamicité vs. stativité, on est, en particulier, frappé par le fait que cette dimension du sémantisme verbal ne soit presque jamais approfondie dans la littérature. On aurait, en effet, pu s’attendre à ce que les chercheurs tentent de définir plus précisément ce qu’ils entendent par dynamicité spatiale en repérant, en particulier, d’éventuels degrés de dynamicité au sein de la catégorie des verbes et procès de mouvement / déplacement. Si un examen sous cet angle montrait, par exemple, que les verbes attestés dans les descriptions de mouvement fictif étaient majoritairement plus statifs que ceux apparaissant dans les énoncés dynamiques (tout en relevant, bien sûr, du domaine global de l’espace dynamique), un éclairage nouveau serait apporté à l’analyse, susceptible de nourrir les réflexions sur les justifications / motivations et expériences à la base du mouvement fictif. La seconde faiblesse méthodologique a trait au nombre restreint de verbes examinés et, plus généralement, à l’étroitesse des données empiriques qui résultent rarement de l’exploitation de grandes masses d’informations.

7Plutôt qu’une discussion directe des mécanismes sémantiques et cognitifs possiblement responsables des descriptions de mouvement fictif, ce travail se propose donc de mettre à disposition de la communauté des linguistes (de langue française en particulier) des données massives et nouvelles du français relatives au phénomène étudié. Cet aspect quantitatif concerne aussi bien l’importance de la liste des verbes spatiaux dynamiques pris en considération que la recherche d’exemples attestés de ces verbes, en emplois fictifs comme factuels. Sur un plan plus qualitatif, l’exploitation des données fait appel à un cadre précis de catégorisation des prédicats de mouvement / déplacement conduisant notamment à classer et ordonner ces éléments en fonction de leur degré de dynamicité. L’ensemble du dispositif permet de comparer la description du mouvement factuel et celle du mouvement fictif à travers le prisme des catégories de verbes utilisés et de leur positionnement sur un gradient de dynamicité spatiale. Ces observations se feront à des niveaux de granularité différents, des macro-catégories de verbes aux sous-catégories, en passant par plusieurs catégories de base. L’examen des exemples attestés au degré le plus fin de l’analyse, celui des sous-catégories de verbes, sera l’occasion de faire des remarques qualitatives plus ponctuelles et de souligner en quoi les spécificités sémantiques des descriptions considérées questionnent les motivations et expériences associées au mouvement fictif dans la littérature.

8La première section de cet article présente le cadre théorique utilisé pour la catégorisation des verbes spatiaux dynamiques avant de spécifier la méthodologie appliquée lors de la constitution du corpus et de fournir les principales caractéristiques de celui-ci. Les sections suivantes passent en revue les résultats issus de l’analyse des données en observant d’abord les macro-catégories et catégories de base de verbes de mouvement / déplacement (panorama général, Section 2) puis en se focalisant sur les catégories (de base) relevant du déplacement (Section 3) et sur celles qui dénotent une forme de dynamicité spatiale sans pour autant exprimer de véritable déplacement (Section 4). L’examen des catégories de base permet d’accéder aux sous-catégories de verbes qui les structurent en mettant en avant diverses données de corpus récoltées à ce stade ultime d’analyse. La section finale synthétise les principaux résultats de l’étude et ouvre des perspectives de recherche destinées, elles aussi, à approfondir la compréhension du mouvement fictif à l’intérieur du système de la langue.

1 – Mouvement, déplacement et localisation dans la sémantique des prédicats spatiaux dynamiques : fondements théoriques et empiriques

1.1 – Cadre théorique : catégorisation des verbes

9La catégorisation des verbes de mouvement / déplacement à laquelle nous faisons appel a été présentée et justifiée dans (Aurnague, 2011a, 2012). Nous en synthétisons ici les principales caractéristiques en nous centrant spécifiquement sur la question du degré de dynamicité (vs. stativité) spatiale des prédicats.

10Depuis un quart de siècle environ, les travaux développés à l’interface syntaxe-sens – en lien avec l’inergativité et l’inaccusativité, par exemple – ou bien dans une perspective plus nettement sémantique ont souvent opposé les verbes exprimant la manière du déplacement (ex : foncer, grimper, marcher, zigzaguer) et ceux qui indiquent un déplacement au sens strict (ex : arriver, partir, sortir, se rendre) (Aske, 1989 ; Jackendoff, 1990 ; Levin, 1993 ; Levin et Rappaport Hovav, 1992 ; Slobin et Hoiting, 1994). Cette dichotomie doit bien sûr beaucoup à la distinction opérée par Talmy (1985, 2000) entre composants sémantiques de trajet (path) et de manière (manner) dans l’encodage du déplacement ainsi qu’aux différences typologiques que cet encodage révèle.

11Malgré les apparences, la délimitation sémantique et conceptuelle des deux catégories mises en regard est loin d’être évidente. Nous limiterons nos commentaires aux verbes de déplacement strict qui nous intéressent au premier chef. Cette catégorie a fait l’objet de définitions et appellations variées dans la littérature dont aucune ne paraît concluante. Le terme de « déplacement / mouvement dirigé inhérent » (inherently directed motion) utilisé par Levin et Rappaport (Levin, 1993 ; Levin et Rappaport Hovav, 1992) n’est, par exemple, pas apte à circonscrire la catégorie visée pour la simple raison qu’un déplacement dirigé vers une entité-site n’a pas nécessairement vocation à y aboutir. Il y a ici confusion entre direction et « but » (goal) d’un déplacement et l’on ne s’étonnera pas que des prédicats directionnels comme avancer, monter ou se diriger aient, en termes d’Aktionsart ou d’aspect interne (voir plus loin), un comportement beaucoup plus proche des verbes de manière de déplacement (atélicité) que de celui des verbes de déplacement strict (télicité). Une autre notion fréquemment convoquée pour saisir le déplacement strict est celle de « changement de lieu » (change of location / place) (exemples : Laur, 1991 ; Randall, 2010). Le recours à cette étiquette n’est malheureusement presque jamais assorti d’une définition de ce qui est entendu par « lieu ». Or, les travaux consécutifs à l’analyse de à en français (Vandeloise, 1988) ont montré que l’usage strictement locatif de cette préposition sélectionne des sites qui sont des « lieux spécifiés », manifestant par là une opposition sous-jacente entre lieux et objets (Aurnague, 1996, 2004) [3]. De même, l’emploi des « génitifs » possessif et/ou locatif du basque pour référer à des relations de partie à tout semble indirectement conditionné par ce contraste ontologique (Aurnague, 2004). Si l’on se fonde sur la catégorisation des entités spatiales ainsi opérée par la langue et la cognition, il est clair qu’une caractérisation du déplacement strict en termes de changement de lieu est inappropriée, les verbes concernés s’associant à des noms d’entités-sites qui identifient des lieux (Le chat est allé au grenier ; Le chat est venu dans le jardin) comme des objets (Le chat est entré dans le seau ; Le chat est venu sur le tapis). En réalité, et exception faite de certaines approches géométriques et régionales des marqueurs locatifs (qui, pour d’autres raisons, posent problème ; voir note 3), la plupart des linguistes recourant au concept de changement de lieu sans définir ce dernier terme (lieu) évoquent de fait un changement par rapport à l’entité-site du déplacement, sans contrainte additionnelle sur la nature de celle-ci.

12Une autre manière de circonscrire la catégorie des verbes de déplacement au sens strict, en la dissociant des verbes exprimant la manière du déplacement, pourrait consister à exploiter l’Aktionsart de ces éléments lexicaux. Il s’agirait alors de remarquer que les prédicats du premier groupe sont téliques alors que ceux du second ne le sont pas (par exemple, Dini et Di Tomaso, 1999 ; pour une classification aspectuelle des prépositions et groupes prépositionnels spatiaux, voir Aske, 1989 ; Levin et Rappaport Hovav, 2006). Cette option choisie plus d’une fois par les linguistes est, elle aussi, vouée à l’échec puisque, même en excluant la classe des verbes de changement de posture (pour lesquels on peut soutenir que les mouvements dénotés sont « internes » à l’entité : s’accroupir, s’asseoir, se recroqueviller…), les prédicats spatiaux dynamiques incluent des verbes téliques ne présentant pas les propriétés de vrais déplacements stricts. C’est le cas de se poser et se percher [4] qui, contrairement à entrer [5], n’acceptent pas la modification par un groupe prépositionnel (GP) en par basée sur l’interprétation de type « trajet » de cette préposition (Stosic, 2002). Cette construction (associée à l’interprétation indiquée) est un moyen d’identification des verbes et événements de déplacement strict du français (Aurnague et Stosic, 2002).

[4]
??L’oiseau s’est posé / perché sur la maison par le jardin
[5]
L’oiseau est entré dans la maison par le jardin

13Les tentatives infructueuses de saisie du déplacement strict par la télicité posent, de fait, la question des rapports spatio-temporels entre la cible d’une éventualité de mouvement / déplacement et son site et plaident pour une délimitation des diverses catégories de l’espace dynamique fondée sur des concepts spatiaux (ou spatio-temporels) adéquats, l’articulation avec l’aspect interne se faisant dans un second temps. Mais quels seraient ces concepts puisque les notions de direction et de changement de lieu commentées précédemment ne conviennent pas ? Concluant un volume consacré à la description des « grammaires de l’espace » d’une douzaine de langues du monde typologiquement différenciées, Levinson et Wilkins (2006 : 527-533) relèvent les fortes limitations du contraste path vs. manner pour approcher les fondements du déplacement dans la langue [4] et soulignent que les composants sémantiques des procès de mouvement / déplacement restent encore largement à définir, en commençant par la notion de déplacement [5] elle-même.

1.1.1 – Deux notions fondamentales : changement de relation locative élémentaire, changement d’emplacement

14Depuis Tesnière (1959 : 307-310) [6] en passant par les recherches menées dans le cadre du lexique-grammaire, la linguistique française a régulièrement tenté de distinguer mouvement et déplacement dans le fonctionnement des verbes spatiaux dynamiques (Boons, 1987, 1991 ; Boons et al., 1976 ; Guillet et Leclère, 1992). C’est sans doute Boons (1987) qui aborde le plus précisément cette question en introduisant la notion originale de « changement de relation locative élémentaire » dont on trouve des prémisses chez Lyons (1977 : 282) sans qu’elle y soit complètement explicitée. Boons (1987) englobe aussi bien dans son étude les verbes de mouvement / déplacement autonome que ceux de mouvement / déplacement causé (cf. supra) et c’est à travers ces derniers qu’il illustre la notion de changement de relation locative élémentaire. Il confronte à cet effet le sémantisme d’adosser à celui d’enfourner en remarquant que si le premier ne peut être réduit à la négation suivie de l’affirmation de la relation locative élémentaire être contre – on peut adosser à un mur une armoire qui était déjà en situation de support / contact avec celui-ci via une autre face que son dos – [7], il est possible d’exprimer le second sur la base de la relation être dans (niée puis affirmée). Dans l’esprit de l’auteur, une relation locative élémentaire est donc une adposition spatiale simple ou complexe / composée de la langue. Cette proposition de Boons constitue une avancée importante vers une délimitation opératoire des déplacements stricts, des verbes tels que partir ou entrer impliquant un changement de relation locative élémentaire par rapport à l’entité-site introduite par un GP spatial (Max est parti du jardin ; Max est entré dans le jardin), ce qui n’est pas nécessairement le cas pour des prédicats de manière de déplacement (la cible peut se trouver à l’intérieur du site d’un bout à l’autre du procès : Max a marché dans le jardin ; Max a zigzagué dans le jardin) [8]. Mais elle n’est pas totalement satisfaisante. En effet, concomitamment aux travaux de Boons, les recherches de C. Vandeloise (1986) ont montré que le contenu de nombreuses prépositions spatiales du français ne peut être réduit à de simples propriétés géométriques, diverses contraintes « fonctionnelles » (liées au fonctionnement des entités et du monde ; voir note 3) jouant un rôle de premier plan dans l’emploi de ces marqueurs. L’ascendant des traits fonctionnels sur les propriétés géométriques est tel qu’une adposition spatiale peut n’être assertée ou niée que sur cette seule base (fonctionnelle), le changement de relation locative élémentaire qui en résulte ne s’accompagnant d’aucune modification de la localisation ou position de l’entité-cible dans son espace environnant. Un individu situé à proximité d’un miroir pourra, par exemple, se placer face à ce miroir par simple rotation sur lui-même. En dépit du changement de relation locative (négation puis affirmation de l’adposition face à), il ne se produit, dans ce cas, aucun réel déplacement (voir Aurnague, 2011a) pour une illustration de ce fait à travers l’emploi de la préposition à de type « routine sociale » (Vandeloise, 1988). L’exemple [4] dans lequel la langue ne paraît pas traiter les verbes se poser et se percher en tant que déplacements stricts – malgré la négation puis l’affirmation de la relation être sur (support et contact, contenu fonctionnel et géométrique) – est une autre preuve des difficultés auxquelles se heurte la proposition de Boons. Malgré les limitations ainsi pointées, la notion de changement de relation locative élémentaire représente un progrès significatif dans la perspective de mieux cerner la catégorie des verbes et procès de déplacement strict. Elle doit en réalité être complétée par un second concept pour aboutir au résultat escompté.

15Le deuxième concept utilisé dans notre cadre théorique est celui de « changement d’emplacement », appelé « translocation » dans d’autres travaux (chez Levinson et Wilkins, 2006, par exemple). Le mouvement d’une entité-cible constitue un changement d’emplacement si la position de cette dernière change par rapport au cadre de référence terrestre ou à l’un de ses représentants immédiats. Cette notion permet de distinguer les verbes de changement de posture (s’accroupir, s’asseoir, se recroqueviller), qui dénotent des mouvements circonscrits au cadre de référence que définit la cible, et les verbes pour lesquels le mouvement de la cible suppose un changement de position dans un environnement plus large (cadre de référence terrestre) – les prédicats habituellement associés à la manière du déplacement entrent dans ce cas de figure : foncer, grimper, marcher, zigzaguer. La particularité des verbes et procès de déplacement strict est, précisément, d’intégrer dans leur sémantisme les deux notions mises au jour (plutôt qu’un simple changement de relation locative élémentaire, comme le suggérait Boons). Ainsi, le verbe se rendre présente-t-il un schéma spatio-temporel dans lequel un changement d’emplacement est suivi d’un changement de relation locative élémentaire (les diverses sous-catégories du déplacement strict sont listées à la section 3.1). Notons que l’évaluation des deux notions dégagées met en jeu des référents distincts, à savoir l’entité-site de la description pour le changement de relation locative élémentaire et le cadre de référence terrestre pour le changement d’emplacement (cf. supra).

16Comme le suggèrent les remarques précédentes, les concepts de changement de relation locative élémentaire et de changement d’emplacement conduisent à une riche combinatoire sur la base de laquelle peuvent être définies les quatre catégories de verbes de mouvement / déplacement présentées dans le Tableau 1. Bien que déjà abordées pour la plupart, nous les passons brièvement en revue en commençant par celles qui n’engagent que l’un des deux traits retenus pour la classification. La catégorie des simples changements d’emplacement (i.e. sans changement de relation locative élémentaire, case (3) du Tableau 1) regroupe les prédicats qui, dans nombre d’études, sont qualifiés de verbes de manière de déplacement, ainsi que les prédicats directionnels du type avancer, descendre, monter ou reculer. Le cas de figure symétrique (case (2) du Tableau 1) est celui des simples changements de relation locative élémentaire (sans changement d’emplacement), déjà commenté à propos des verbes se poser et se percher[9]. On trouve, dans une troisième catégorie (case (1) du Tableau 1), des prédicats dont le contenu sémantique n’implique ni changement de relation locative élémentaire par rapport au site éventuel de la description, ni changement d’emplacement dans le cadre de référence terrestre (c’est-à-dire dans un cadre qui dépasse celui que définit l’entité-cible elle-même). Cette classe couvre les changements de posture évoqués précédemment (s’accroupir, s’asseoir, se recroqueviller) mais aussi les changements de structure (se déployer, s’embobiner, s’entortiller, s’étaler), les situations de contrôle de la cible par le site (se blottir, se cacher, s’embourber, se ficher) ou celles, inverses, où la cible maîtrise le site (cerner, enserrer, envahir) [10]. Nous parlerons de changement de disposition pour identifier l’ensemble de cette classe (voir Figure 1). Enfin, la quatrième catégorie (case (4) du Tableau 1) est celle des déplacements stricts dont on a dit plus haut qu’ils combinent les deux propriétés de changement de relation locative élémentaire et de changement d’emplacement.

Tableau 1

Catégories de verbes de mouvement / déplacement

Pas de changement d’emplacementChangement d’emplacement
Pas de changement de relations’accroupir, s’asseoir, se recroqueviller ; se blottir, se cacher, s’embourber, se ficher (1)avancer, foncer, grimper, marcher, nager, patrouiller, zigzaguer (3)
Changement de relationse poser [toucher, frôler] ; s’immerger; sauter, bondir (2)aller + Prép, arriver, partir, sortir, se rendre (4)

Catégories de verbes de mouvement / déplacement

17Pour être tout à fait complets, ajoutons que l’étude des verbes de déplacement du français présentée dans (Aurnague, 2011a) fait l’inventaire des traits sémantiques sur la base desquels certains prédicats de changement d’emplacement associés à un GP spatial peuvent, au moins dans l’une des interprétations de la construction considérée, exprimer un changement de relation locative élémentaire qui vient s’ajouter au changement d’emplacement initialement dénoté : il s’agit des traits de vitesse (rapide), d’opposition à une force, de direction (déplacement linéaire orienté) et d’entraînement par une force (Max a couru / rampé / reculé / glissé dans le jardin). Ces quatre propriétés s’organisent en une « ressemblance de famille » (Wittgenstein, 1953 ; Vandeloise, 1986) sous-tendant la notion de « tendancialité ». Le sous-ensemble des changements d’emplacement répondant à ce critère sera identifié par le terme « verbes tendanciels », chaque prédicat pouvant comporter un (descendre, trait de direction) ou plusieurs (usage non intentionnel de dégringoler, traits de vitesse, de direction et d’entraînement par une force) des quatre traits dégagés.

1.1.2 – Catégories de verbes et continuum de dynamicité spatiale

18De façon similaire aux propositions visant à définir les diverses catégories de l’Aktionsart (Vendler, 1957 ; Vet, 1994 ; Vetters, 1996) à partir de propriétés de base telles que le bornage (la transitionnalité), la ponctualité / atomicité et l’opposition changement vs. permanence, les deux concepts de changement de relation locative élémentaire et de changement d’emplacement peuvent être vus comme des composants de sens essentiels de l’expression du mouvement / déplacement dans la langue amenant, par leurs interactions, à baliser le champ de l’espace dynamique et à le structurer en quatre classes de verbes et procès (Tableau 1). Au-delà de cette seule structuration, les concepts choisis permettent de distribuer les classes délimitées le long d’un continuum de dynamicité croissante (Figure 1), répondant, d’une certaine façon, au souci récurrent de la linguistique française de dissocier mouvement et déplacement (cf. supra).

Figure 1

Degré de dynamicité spatiale des catégories de verbes de mouvement / déplacement

Figure 1

Degré de dynamicité spatiale des catégories de verbes de mouvement / déplacement

19La saisie du degré de dynamicité spatiale se fait d’abord à l’aune de la présence ou non d’un changement d’emplacement dans le procès décrit, le domaine de l’espace dynamique se scindant alors en deux macro-catégories : dynamicité spatiale sans déplacement d’une part et déplacement au sens large d’autre part. La dynamicité spatiale sans déplacement (moitié gauche de la Figure 1) recouvre les deux classes de verbes précédemment délimitées ne comportant aucun changement d’emplacement dans leur sémantisme et tendant, de ce fait, vers une forme de stativité : changements de disposition et simples changements de relation (locative élémentaire). Le déplacement au sens large (moitié droite de la Figure 1) regroupe, de son côté, les classes de verbes qui mettent bien en jeu un changement d’emplacement : simples changements d’emplacement (on parlera de déplacement au sens faible) et changements de relation et d’emplacement (déplacement au sens strict). Beaucoup d’études sur l’expression du mouvement / déplacement dans la langue (en particulier celles basées sur le contraste path vs. manner) négligent le fait qu’une fonction sémantique et pragmatique fondamentale des descriptions locatives statiques comme dynamiques est de localiser une ou plusieurs entités-cibles en limitant leur « domaine de recherche » (search domain ; Vandeloise, 1987, 1988 ; Langacker, 1987). Dans le champ du dynamisme spatial, cette fonction sémantique et pragmatique se traduit par la mise à jour de la localisation de la cible mobile, mise à jour qui est pleinement réalisée lorsque le sémantisme verbal combine un changement de relation locative élémentaire et un changement d’emplacement. Sous l’angle de ce critère, les déplacements au sens strict (à l’extrémité droite du continuum de la Figure 1) sont les plus dynamiques et s’opposent aux trois autres classes de verbes mises en évidence.

20Ce coup de projecteur sur le degré de dynamicité spatiale des verbes de mouvement / déplacement [11] montre donc que ce domaine d’étude peut, tout du moins pour les verbes, être subdivisé en deux macro-catégories (du moins dynamique au plus dynamique : dynamicité sans déplacement, déplacement au sens large) et quatre catégories de base (changement de disposition, simple changement de relation locative élémentaire ; déplacement au sens faible, déplacement au sens strict). Ces macro-catégories et catégories de base joueront un rôle important dans la suite de l’analyse. Ajoutons que plusieurs sous-catégories de verbes seront introduites pour certaines catégories de base (tout spécifiquement pour les déplacements stricts ; voir sections 3 et 4) [12].

1.2 – Bases empiriques : liste de verbes et corpus

21Conformément à ce que nous avons indiqué dans l’introduction, l’objectif principal de ce travail est de recueillir des données empiriques conséquentes permettant de mieux appréhender la nature des verbes locatifs mis en jeu par les descriptions de mouvement fictif, tout spécifiquement en termes de degré de dynamicité spatiale. Ce type de données n’est, à ce jour, pas disponible pour le français. Sur un plan qualitatif, cet objectif suppose de disposer d’un cadre théorique permettant de classer les verbes et, plus généralement, d’organiser le domaine de l’espace dynamique selon des critères explicitement définis (voir section 1.1). D’un point de vue quantitatif, il est indispensable de prendre en compte un éventail suffisamment large de prédicats en même temps que de récolter un nombre significatif de descriptions de mouvement fictif. Ces deux aspects sont intimement liés dans la mesure où les verbes constituent, en français, le moyen le plus opératoire de repérer des descriptions spatiales dynamiques dans les bases de textes [13]. C’est donc un accès par les verbes qui a été adopté dans notre analyse.

22Afin d’être la plus large possible, la liste de verbes spatiaux dynamiques choisie comme point de départ de l’étude a été établie en se fondant sur les inventaires de verbes de déplacement autonome intransitifs (transitifs « indirects » inclus) et transitifs (directs) issus de (Laur, 1991) et de (Sarda, 1999), eux-mêmes élaborés à partir des recensements effectués dans le cadre du lexique-grammaire (Boons, 1991 ; Boons et al., 1976 ; Gross, 1975 ; Guillet et Leclère, 1992). Quelques verbes ont été rajoutés à ces inventaires pour atteindre un total de 521 items (de fait, 533 items en distinguant diverses variantes formelles et/ou de sens de certains verbes). L’ensemble des items retenus a été réparti dans les deux macro-catégories et quatre catégories de base passées en revue précédemment (Section 1.1) ainsi que dans les sous-catégories éventuellement présentes au sein des catégories de base (voir Sections 3 et 4). Une catégorie résiduelle (32 verbes sur 521) regroupant des prédicats présents dans les recensements du lexique-grammaire mais qui semblent plutôt introduire le mouvement de façon indirecte (s’égarer, se présenter, rencontrer) – à travers, par exemple, les contextes situationnels les plus habituels dans lesquels ils apparaissent – a été rajoutée.

23Parallèlement, la base Frantext a été adoptée comme source textuelle destinée à explorer les occurrences des verbes recensés. Les textes de cette base couvrant la décennie 2000-2010 ont été sélectionnés pour ce faire, poésie exclue (les genres textuels sont assez variés : romans, autobiographies, journaux, essais…) [14]. La projection de la liste de verbes sur cet ensemble a fourni 70 932 occurrences (formes fléchies des verbes) qui ont ensuite été traitées manuellement afin de distinguer les emplois concrets spatiaux des verbes de ceux qui ne l’étaient pas et d’isoler parmi les premiers (32 505 occurrences d’emplois spatiaux) : le mouvement factuel (31 684 occurrences), le mouvement fictif (589 occurrences), le mouvement fictif relatif à un référentiel (frame-relative motion, Talmy, 1996, 2000) également dit « de type II » chez Matsumoto (1996b) (87 occurrences) et, enfin, celui faisant appel à des phénomènes qui relèvent des « radiations » (radiation path, Talmy, 1996, 2000) (145 occurrences). Seules les occurrences regroupées sous la simple étiquette de « mouvement fictif » seront prises en considération dans les analyses qui suivent. Elles comportent, pour l’essentiel, des descriptions de configurations spatiales qualifiées par Talmy (1996, 2000) de « trajectoires / trajets de co-extension ou couverture » (coextension/coverage paths) [6] ainsi que divers cas de « trajectoires / trajets d’avènement » (advent paths) [7]. Les exemples de mouvement fictif considérés par le même auteur comme relevant du mouvement relatif à un référentiel d’une part [8] et des trajectoires / trajets de radiation(s) d’autre part [9] sont laissés de côté à ce stade, dans la perspective d’un possible examen ultérieur [15]. Les raisons de ce traitement différencié tiennent au fait que le mouvement relatif à un référentiel suppose généralement la présence d’un élément mobile dans la situation décrite (exemple : locuteur lui-même, entité qui s’oppose à la perception de la cible ; cf. Borillo, 2012) alors que les radiations sont perçues par de nombreuses personnes comme impliquant une forme de mouvement / déplacement de la part de la cible. On l’aura compris, n’ont été retenues pour cette étude que les configurations véritablement statiques, c’est-à-dire celles pour lesquelles le recours à une description spatiale dynamique ne peut être imputé ni au mouvement / déplacement de la cible ou du site, ni à celui du locuteur ou de toute autre entité présente dans le contexte (autrement dit, aucun de ces mouvements / déplacements potentiels ne doit être déterminant pour l’emploi de la description considérée).

[6]
Devant l’église, une esplanade de graviers menait à un champ planté de vignes et de pommiers qui descendait jusqu’au lac
(M. Chaix, L’Eté du sureau, 2005)
[7]
147. Du deuxième étage d’une maison jaillit un grand tube blanc qui rejoint le sol […]
(E. Levé, Œuvres, 2002)
[8]
Il avait sa caméra en main, alors il a filmé la terre, résolu, le sol qui s’approchait, l’œil dans le viseur […]
(L. Lang, Les Indiens, 2001)
[9]
Toutes les fenêtres étaient ouvertes, le soleil entrait à flots, le miracle de la clarté s’est produit, j’avais l’impression que tous étaient sous le charme […]
(H. Berr, Journal 1942-1944, 2008)

24Des chiffres globaux présentés ci-dessus, il ressort que l’ensemble des exemples de mouvement fictif – mouvement relatif à un référentiel et radiations inclus – représente 1,15 % des 70 932 occurrences de verbes extraites de Frantext et 2,5 % des 32 505 occurrences spatiales. Si l’on se limite aux 589 occurrences de mouvement fictif retenues pour l’analyse – i.e. hors mouvement relatif à un référentiel et radiations –, ces proportions sont ramenées à 0,83 % et 1,8 % respectivement. Même en s’en tenant aux emplois spatiaux des verbes, il apparaît donc que le phénomène du mouvement fictif est quantitativement marginal (plus ou moins 2 % des emplois spatiaux selon l’extension attribuée au mouvement fictif), ce qui n’enlève rien, bien sûr, à l’intérêt que suscitent ces descriptions spatiales. En chiffres absolus, cependant, le corpus de 589 exemples tel que nous l’avons délimité (821 exemples si l’on prend en compte le mouvement relatif à un référentiel et les radiations) est sans doute le plus important actuellement disponible pour l’étude du mouvement fictif en français. Par ailleurs, la méthodologie ayant présidé à la construction du corpus nous permet de le mettre systématiquement en regard des usages factuels quantifiés des mêmes verbes (comptabilisés bien sûr dans les mêmes ouvrages), ce que n’autoriserait pas un simple collectage d’emplois fictifs sur des supports qui n’auraient pas fait l’objet d’une sélection préalable et n’auraient pas été entièrement analysés. La description détaillée de la méthodologie suivie de même que le corpus complet des exemples de mouvement fictif sont disponibles dans Cappelli (2013).

25La mise en correspondance de la liste de verbes sélectionnés (et catégorisés à partir des principes présentés à la section 1.1) et des décomptes de leurs emplois spatiaux factuels vs. fictifs dans les textes choisis fait apparaître un certain nombre de résultats intéressants. Nous les présentons dans la suite de l’article en observant d’abord les deux macro-catégories de prédicats et les quatre catégories de base qui les subdivisent (section 2) puis en passant en revue les catégories de base qui relèvent du déplacement (avec leurs sous-catégories éventuelles ; section 3) et celles qui mettent en jeu la dynamicité spatiale sans déplacement (avec leurs sous-catégories éventuelles ; section 4).

2 – Mouvement fictif, macro-catégories et catégories de base de prédicats spatiaux dynamiques (données de corpus 1)

26La nature des verbes de mouvement / déplacement apparaissant dans notre corpus a, tout d’abord, été scrutée au niveau des deux macro-catégories de prédicats spatiaux dynamiques mises en évidence à la section 1.1.2 et des catégories de base qui les sous-tendent. Le Tableau 2 présente la part en pourcentage (au sein du mouvement dans son ensemble) des diverses classes de verbes pour les descriptions de mouvement factuel et celles de mouvement fictif [16], en distinguant donc le déplacement au sens large (macro-catégorie) et la dynamicité spatiale sans déplacement (macro-catégorie) de même que les deux catégories de base subsumées par chacune de ces macro-catégories : déplacement strict et déplacement faible pour le déplacement au sens large ; simple changement de relation et changement de disposition pour la dynamicité spatiale sans déplacement. La catégorie résiduelle du mouvement indirect ou inféré (cf. section 1.2) complète le Tableau dans la mesure où les calculs mettent ici en jeu l’ensemble du domaine de l’espace dynamique. La colonne de droite du Tableau mentionne, pour chaque macro-catégorie ou catégorie de base de verbes, le différentiel de sa part au sein du mouvement factuel vs. fictif (fictif – factuel), permettant ainsi de mesurer la variation d’un type de description à l’autre – le mouvement factuel est pris comme point de référence (cf. note 16). Ajoutons que toutes les différences du Tableau 2 sont statistiquement significatives, exceptée celle enregistrée pour la catégorie résiduelle du mouvement indirect [17].

Tableau 2

Part des macro-catégories et catégories de base de verbes au sein du mouvement dans son ensemble, mouvement factuel vs. mouvement fictif

Catégories de verbesPart dans mouvement factuel (%)Part dans mouvement fictif (%)Différentiel par catégorie (mouvement fictif – mouvement factuel ; pourcentage mouvement factuel)
 Déplacement strict (a)58,8533,96- 24,89 (- 42,29 %)*
 Déplacement faible (b)20,1337,01+ 16,88 (+ 83,85 %)*
Déplacement au sens large (a + b)78,9870,97- 8,01 (- 10,14 %)*
 Simple changement de relation (c)4,182,21- 1,97 (- 47,13 %)*
 Changement de disposition (d)13,422,07+ 8,67 (+ 64,70 %)*
Dynamicité spatiale sans déplacement (c + d)17,5824,28+ 6,7 (+ 38,11 %)*
Mouvement indirect (résiduel)3,384,75+ 1,37 (+ 40,53 %)

Part des macro-catégories et catégories de base de verbes au sein du mouvement dans son ensemble, mouvement factuel vs. mouvement fictif

27Au niveau des macro-catégories, la confrontation des descriptions de mouvement fictif à celles de mouvement factuel fait apparaître (au sein du mouvement fictif) une chute de 8,01 % des verbes indiquant un déplacement au sens large – pour atteindre 70,97 % ; χ2(1) = 22.09, p = 2.59-6. Cette modification profite, principalement, à la dynamicité spatiale sans déplacement qui augmente de 6,7 % (pour atteindre 24,28 % ; χ2(1) = 17.3, p = 3.18-5) et, dans une moindre mesure, à la catégorie résiduelle du mouvement indirect qui enregistre une hausse (non significative) de 1,37 %. La variation des deux macro-catégories de verbes entre descriptions de mouvement factuel et fictif est représentée graphiquement dans la Figure 2 ci-dessous. La présence moins importante du déplacement au sens large dans les exemples de mouvement fictif a pour contrepartie, on le voit, l’emploi accru de verbes de moindre dynamicité, qu’ils appartiennent à la macro-catégorie de la dynamicité spatiale sans déplacement ou à la classe résiduelle du mouvement indirect. Le déplacement au sens large demeure, cependant, très présent dans les descriptions de mouvement fictif (70,97 % des verbes recensés) et, appréhendé au niveau des seules macro-catégories, le glissement vers une moindre dynamicité n’est pas véritablement spectaculaire (bien que statistiquement significatif).

Figure 2

Variation des macro-catégories de verbes au sein du mouvement dans son ensemble, mouvement factuel vs. mouvement fictif

Figure 2

Variation des macro-catégories de verbes au sein du mouvement dans son ensemble, mouvement factuel vs. mouvement fictif

28L’observation des catégories de base à l’intérieur des deux macro-catégories est, à ce titre, très complémentaire et beaucoup plus illustrative (voir Tableau 2). On remarque en effet, d’un côté (macro-catégorie du déplacement au sens large), la lourde chute des verbes de déplacement strict (catégorie de base) dont la part dans le champ du mouvement s’amenuise de 24,89 % lorsque l’on considère le mouvement fictif relativement au mouvement factuel (niveau final de 33,96 % ; χ2(1) = 147.05, p < 2.2-16). Cette chute plus forte que celle de la macro-catégorie englobante s’accompagne, assez logiquement, d’une augmentation de la part du déplacement faible (toujours dans le domaine du mouvement) qui gagne 16,88 % pour atteindre 37,01 % (χ2(1) = 100.2, p < 2.2-16). Au total, déplacement strict et déplacement faible ont une présence comparable au sein de la macro-catégorie du déplacement au sens large (mouvement fictif) alors que la première catégorie de base a un poids pratiquement trois fois supérieur à celui de la seconde dans les descriptions de mouvement factuel. En ce qui concerne la macro-catégorie de la dynamicité spatiale sans déplacement, son augmentation dans les descriptions de mouvement fictif – au regard de sa présence dans les descriptions de mouvement factuel – se fait au profit des verbes de changement de disposition (catégorie de base) qui croissent davantage que l’augmentation de la macro-catégorie, avec 8,67 % de poids supplémentaire (niveau final de 22,07 % ; χ2(1) = 36.26, p = 1.71-9). Concomitamment, les simples changements de relation locative élémentaire décroissent de 1,97 % (pour s’établir à 2,21 % ; χ2(1) = 5.17, p = 0.022). Les parts des quatre catégories de base de verbes spatiaux dynamiques (et de la classe résiduelle du mouvement indirect) dans les descriptions de mouvement factuel vs. fictif sont mises en regard dans la Figure 3, p. 32.

Figure 3

Variation des catégories de base de verbes au sein du mouvement dans son ensemble, mouvement factuel vs. mouvement fictif

Figure 3

Variation des catégories de base de verbes au sein du mouvement dans son ensemble, mouvement factuel vs. mouvement fictif

29La tendance qui se dessinait, à l’échelle des macro-catégories, d’un accroissement de l’usage des verbes de moindre dynamicité dans les descriptions de mouvement fictif (comparativement aux descriptions de mouvement factuel) se voit, par conséquent, confirmée et amplifiée à l’examen des catégories de base de prédicats spatiaux dynamiques. On constate en effet que, quel que soit le comportement de la macro-catégorie englobante (diminution des déplacements au sens large, augmentation de la dynamicité sans déplacement), les catégories de base les moins dynamiques accroissent leur présence dans les descriptions de mouvement fictif contrairement aux catégories présentant un plus haut degré de dynamicité (dont la part diminue). C’est le cas des prédicats de déplacement au sens faible à l’intérieur de la macro-catégorie du déplacement au sens large (augmentation, à l’inverse du déplacement strict qui régresse) et des simples changements de disposition à l’intérieur de la dynamicité sans déplacement (les simples changements de relation locative élémentaire perdent du terrain). Si l’on se reporte à la Figure 1 de la section 1.1.2, le recours aux descriptions de mouvement fictif s’accompagne d’un glissement vers une moindre dynamicité – i.e. vers la gauche du continuum – qui se manifeste à l’échelle des deux macro-catégories de prédicats et, plus encore, au niveau des catégories de base subdivisant ces macro-catégories et jalonnant le continuum.

30La littérature n’a pas véritablement repéré le transfert ou glissement vers une moindre dynamicité qui accompagne le choix des prédicats verbaux du français mobilisés dans les descriptions de mouvement fictif. Ceci n’est guère étonnant puisqu’un tel constat suppose de mettre en parallèle descriptions de mouvement factuel et fictif (ce qui est rarement fait) mais aussi de disposer d’une catégorisation des verbes capable de saisir leur degré de dynamicité spatiale. La notion de changement de relation locative élémentaire et celle de changement d’emplacement (et leurs implications en termes de mise à jour de la localisation d’une cible et donc de dynamicité ; voir section 1.1.2) ne sont pratiquement jamais discutées dans les travaux sur le mouvement fictif, même à travers des concepts proches. Comme nous l’avons noté à la section 1.1, la grande majorité des études semble, de fait, beaucoup plus focalisée sur le contraste path vs. manner ainsi que sur les motivations ou expériences censées rendre compte du recours à des verbes spatiaux dynamiques dans des énoncés dénotant des configurations statiques. En présence de verbes de changement d’emplacement tels que grimper, longer ou serpenter, par exemple, l’accent sera mis sur les motivations et mécanismes cognitifs à la base de l’usage statique de ces lexèmes (déplacement imaginé le long de l’entité-cible, déplacement d’une entité « étendue » ayant la forme de la cible, parcours visuel…) ainsi que sur la nécessité pour la cible d’être une entité « étendue ». Des verbes de changement de disposition comme se déployer, s’étaler ou s’étendre seront analysés à travers les mêmes filtres, qu’il s’agisse des motivations / expériences à l’œuvre ou de l’extension des cibles apparaissant dans les énoncés concernés. Or les deux catégories de prédicats évoquées ci-dessus possèdent des propriétés bien distinctes au sein du domaine de la spatialité dynamique : alors que les premiers décrivent un changement d’emplacement de l’entité-cible dans le cadre de référence terrestre, les seconds dénotent des mouvements / déplacements qui sont restreints au cadre délimité par la cible (cf. section 1.1.1). Des différences majeures s’ensuivent du point de vue de la possible « extension » mise en jeu par les deux types de verbes, comme le soulignent les exemples suivants : Max grimpe / a grimpé jusqu’au sommet de la tour vs. Max s’étend / s’est étendu de toute sa longueur sur le canapé. Si la première phrase mesure l’extension de la trajectoire ou parcours de l’entité-cible, c’est bien de l’extension de la cible elle-même (issue de son déploiement) qu’il est question dans la seconde, sans qu’aucun déplacement n’intervienne dans la situation – tout au plus du mouvement (cf. section 1.1.2). On le voit, l’importance accordée aux motivations / expériences supposées induire les descriptions de mouvement fictif et à diverses contraintes liées à ces motivations (p. ex. l’extension des entités-cibles) empêche, bien souvent, de percevoir ce qui oppose des classes de verbes telles que celles examinées ci-dessus en termes de dynamicité spatiale et de repérer, en l’espèce, le fait que l’extension de la cible est déjà présente dans les usages factuels de certains verbes (sans qu’il n’y ait précisément aucun déplacement) [18].

31La présence plus marquée des catégories de verbes de moindre dynamicité dans les descriptions de mouvement fictif de notre corpus tend à nuancer le décalage formel et sémantique noté par beaucoup de chercheurs entre la nature des marqueurs et constructions mobilisés d’une part (dynamicité), et les configurations spatiales auxquelles ceux-ci s’appliquent d’autre part (stativité). Basé sur des données et mesures objectives, ce constat ne remet pas en cause l’existence d’un tel décalage (largement à l’origine de l’intérêt manifesté pour le mouvement fictif) mais il devrait, néanmoins, être pris en considération dans les travaux futurs, avant toute recherche de motivation ou expérience visant à justifier le recours aux descriptions de mouvement fictif et à tendre des ponts entre stativité apparente et dynamicité [19].

3 – Mouvement fictif et catégories de base relevant de l’expression du déplacement (données de corpus 2)

32Cette section et celle qui suit poussent l’observation des verbes de mouvement / déplacement apparaissant dans les descriptions de mouvement factuel vs. fictif à un niveau supplémentaire de détail en se penchant sur les éventuelles sous-catégories de verbes qui structurent certaines catégories de base. Nous examinerons d’abord les catégories de base mettant en jeu le déplacement (cette section) puis celles qui relèvent de la dynamicité sans déplacement (section 4). La catégorie de base du déplacement strict est, de loin, celle qui contient le plus grand nombre de sous-catégories de prédicats (quatorze ; voir section 3.1). La catégorie du déplacement faible en contient deux (section 3.2). La catégorie de base des changements de disposition regroupe elle aussi deux sous-catégories (section 4). Finalement, les simples changements de relation locative élémentaire sont dépourvus de subdivisions additionnelles qui nécessiteraient une analyse à un niveau plus fin d’observation. Les comparaisons entre mouvement factuel et mouvement fictif effectuées pour les diverses sous-catégories de verbes seront calculées par rapport aux domaines que délimitent les catégories de base englobantes.

3.1 – Déplacement au sens strict et sous-catégories de verbes

33L’étude des verbes de déplacement au sens strict conduit à définir la notion de polarité à partir du changement de relation locative élémentaire que leur contenu sémantique intègre (Aurnague, 2011a, 2012). Ainsi, un verbe ou procès de déplacement strict est dit de polarité initiale si la relation locative sous-tendant son sémantisme est assertée puis niée (l’information « positive » est première : r ∙∙∙⊳ ¬r ; par exemple : sortir, être-dans ∙∙∙⊳ ¬être-dans). Cette polarité sera finale dans le cas symétrique où la relation locative est niée avant d’être affirmée (l’information « positive » est seconde : ¬r ∙∙∙⊳ r ; par exemple : entrer, ¬être-dans ∙∙∙⊳ être-dans). Une polarité médiane peut être définie sur les mêmes bases en considérant que l’assertion de la relation locative élémentaire est précédée et suivie de sa négation (ex : ¬r ∙∙∙⊳ r ∙∙∙⊳ ¬r). De fait, le nombre de verbes et locutions verbales du français ayant une polarité médiane (ex : couper par, passer par, transiter) est beaucoup plus restreint que celui des prédicats décrivant un déplacement de polarité initiale ou finale.

34Selon la présence d’un ou deux changements de relation locative élémentaire dans le sémantisme verbal, la nature de ces changements de relation (p. ex. : préposition dans, emploi localisateur de la préposition à), la manière dont changements de relation et changements d’emplacement sont temporellement agencés (concomitance ou consécutivité ; dans ce dernier cas, le changement d’emplacement précède le plus souvent le changement de relation) ou encore le fait que ces divers composants sont directement dénotés par le contenu sémantique ou simplement présupposés, quatorze classes de verbes de déplacement au sens strict peuvent être distinguées, dont nous donnons la liste ci-dessous. Apparaissent successivement les changements de relation et d’emplacement de polarité initiale (1-5), ceux de polarité finale (6-9), les changements de relation locative élémentaire faisant appel aux notions de distance et de direction/trajectoire (10-11), les doubles changements de relation (qui ne sont ni initiaux ni finaux : 12-13) et, enfin, les changements de relation médians. Des exemples de verbes illustrent, à chaque fois, la classe concernée :

  1. changement de relation initial indépendant : partir (1), s’en aller
  2. changement de relation initial à partir d’une position : démarrer, partir (2)
  3. changement de relation initial étendu : s’échapper, s’enfuir
  4. double changement de relation à saillance initiale : déménager, émigrer
  5. changement de relation initial de type inclusion / contenance : sortir, jaillir
  6. changement de relation final avec déplacement antérieur intégré : aller à, se rendre, venir
  7. changement de relation final avec déplacement antérieur présupposé : arriver, parvenir
  8. double changement de relation à saillance finale : immigrer
  9. changement de relation final de type inclusion / contenance : entrer, pénétrer
  10. changement de relation locative élémentaire basé sur la distance : s’éloigner, s’approcher, se rapprocher
  11. changement de relation locative élémentaire basé sur la direction / trajectoire : bifurquer, se déporter, virer
  12. double changement de relation sans saillance : migrer
  13. double changement de relation avec contraintes sur l’ensemble du déplacement : franchir, traverser
  14. changement de relation médian : couper par, passer par.

35Les neuf premières classes de verbes et celle des changements de relation et d’emplacement médians ont été mises en évidence dans Aurnague (2011a, 2011b). De leur côté, les classes basées sur les concepts de distance et de direction sont commentées dans Aurnague (2012), alors que celles des changements de relation sans saillance ou bien avec contrainte sur l’ensemble du déplacement le sont dans Cappelli (2013). La présente étude n’exigeant pas un examen individuel approfondi de ces sous-catégories de verbes, on se reportera aux publications correspondantes pour plus de détails. Les propriétés sémantiques de certains prédicats ou sous-catégories de prédicats seront soulignées ponctuellement, lorsque l’analyse le nécessitera.

3.1.1 – Usages factuels vs. fictifs des quatorze sous-catégories de verbes de déplacement strict

36Les parts de chacune des quatorze sous-catégories de verbes de déplacement au sens strict dans les descriptions de mouvement factuel vs. fictif extraites de Frantext sont consignées dans le Tableau 3 ci-dessous et représentées graphiquement dans la Figure 4 associée. Nos commentaires se limiteront aux modifications statistiquement significatives des classes représentant au moins 10 % des emplois dans le mouvement factuel ou fictif, ces modifications étant néanmoins mises en regard, chaque fois que nécessaire, de variations (significatives) impliquant des classes de moindre poids (< 10 %) [20] ou, à l’inverse, de situations de stagnation / maintien d’autres classes d’une certaine envergure (≥ 10 % en mouvement factuel ou fictif) – c’est le cas des changements de relation initiaux à partir d’une position et des changements de relation finaux de type inclusion / contenance. Afin de faire progressivement émerger plusieurs caractéristiques importantes des descriptions de mouvement fictif, nous nous pencherons tour à tour sur les doubles changements de relation avec contraintes sur l’ensemble du déplacement (significativité de la comparaison mouvement factuel vs. fictif : χ2(1) = 63.76, p = 1.401-15), sur les changements de relation initiaux de type inclusion / contenance (χ2(1) = 17.97, p = 2.24-5) puis sur les changements de relation initiaux indépendants (χ2(1) = 21.45, p = 3.61-6). Le cas des changements de relation finaux avec déplacement antérieur intégré (χ2(1) = 35.84, p = 2.14-9) ne sera abordé que plus tard à travers l’examen plus général du recours aux verbes de polarité finale (et celui, complémentaire, des simples changements d’emplacement avec changement de relation possible).

Tableau 3

Part des sous-catégories de verbes de déplacement strict au sein de cette catégorie de base, mouvement factuel vs. mouvement fictif

Catégories de verbesPart dans mouvement factuel (%)Part dans mouvement fictif (%)Différentiel par catégorie (mouvement fictif – mouvement factuel ; pourcentage mouvement factuel)
Chgt rel° init. indép.14,953- 11,95 (- 79,93 %)*
Chgt rel° init. pos.1,056,5+ 5,45 (+ 519,04 %)*
Chgt rel° init. étendu3,356,5+ 3,15 (+ 94,02%)*
Double chgt rel° saillance init.0,360- 0,36 (- 100 %)
Chgt rel° init. incl./cont.10,1219,5+ 9,38 (+ 92,68 %)*
Chgt rel° final déplt ant. int.37,8717- 20,87 (- 55,11 %)*
Chgt rel° final déplt ant. prés.8,2711+ 2,73 (+ 33,01 %)
Double chgt rel° saillance fin.0,010- 0,01 (- 100 %)
Chgt rel° fin. incl./cont.11,167,5- 3,66 (- 32,80 %)
Chgt rel° dist.2,226+ 3,78 (+ 170,27 %)*
Chgt rel° dir°0,11+ 0,9 (+ 900 %)
Double chgt rel° sans saillance0,020- 0,02 (- 100 %)
Double chgt rel° avec contraintes sur déplt3,1513,5+ 10,35 (+ 328,57 %)*
Chgt rel° médian7,328,5+ 1,18 (+ 16,12 %)

Part des sous-catégories de verbes de déplacement strict au sein de cette catégorie de base, mouvement factuel vs. mouvement fictif

Figure 4

Variation des sous-catégories de verbes de déplacement au sens strict au sein de cette catégorie de base, mouvement factuel vs. mouvement fictif

Figure 4

Variation des sous-catégories de verbes de déplacement au sens strict au sein de cette catégorie de base, mouvement factuel vs. mouvement fictif

37Alors qu’ils concernent 3,15 % des descriptions de mouvement factuel, les verbes dénotant un double changement de relation avec contraintes sur l’ensemble du déplacement représentent 13,5 % des emplois des verbes spatiaux dynamiques dans le corpus du mouvement fictif, soit un différentiel de + 10,35 %. Traverser (25 occurrences) est, de très loin, le verbe de cette sous-catégorie de déplacement strict le plus utilisé dans les descriptions de mouvement fictif de notre corpus, à côté de contourner et franchir (1 occurrence chacun). Une analyse traditionnelle du mouvement fictif focalisée sur les seules motivations/expériences susceptibles de rendre compte de ces usages insisterait sans aucun doute sur le caractère étendu ou allongé des entités-cibles en présence (voir le ravin de l’exemple [2]). Or, l’étude sémantique des prédicats concernés livre de bien plus riches enseignements. Le sémantisme de traverser, en particulier, impose à la cible en déplacement de se trouver à un bord ou frontière du site au début du procès et à un autre bord / frontière à la fin de celui-ci (Sarda, 1999). D’autre part, et de façon similaire à la préposition à travers, le parcours de la cible doit couvrir une portion minimale de la surface du site (Aurnague, 2000 ; Stosic, 2002) [21]. La combinaison de ces contraintes définit des agencements dans lesquels la cible mobile ou statique entretient des relations spatiales spécifiques avec des sous-parties du site de même qu’avec le site considéré dans sa totalité. Bien plus qu’une simple question d’extension (de la cible), le recours à traverser dans des descriptions de mouvement fictif telles que [2] ou [10] tend donc à introduire une ‘configuration complexe’ spécifiant la disposition de la cible au sein d’un cadre de référence plus large, ici celui constitué par le site et ses parties. Il est, à ce titre, intéressant de noter que les relations spatiales entre les divers éléments de ces configurations complexes sont assez souvent de nature stable (Cappelli, 2013 : 125-134), mettant notamment en jeu des relations de partie à tout (voir plus loin).

[10]
Je rêve d’un mausolée rond, en forme de coupole, traversé de part en part par les gisants des amants qui y sont enterrés
(H. Guibert, Le Mausolée des amants : journal 1976-1991, 2001)

38Une seconde modification importante du panorama des verbes spatiaux dynamiques dans les descriptions de mouvement factuel vs. fictif a trait aux verbes de changement de relation initial de type inclusion / contenance qui, de 10,12 % en usage factuel, atteignent 19,5 % au sein du mouvement fictif (différentiel + 9,38 %). Cette hausse est d’autant plus spectaculaire que les changements de relation finaux de type inclusion / contenance, symétriques des précédents, ne varient pas de façon notable d’un type de description à l’autre (ils présentent, plus précisément, une tendance à la baisse qui n’est statistiquement pas significative ; χ2(1) = 2.32, p = 0.12) [22]. Plus de la moitié des changements de relation initiaux de type inclusion / contenance comptabilisés dans les descriptions de mouvement fictif ont recours au verbe sortir (ou ressortir, 22 occurrences sur 39), le reste des occurrences se répartissant entre déboucher (9 occurrences), jaillir (4), surgir (3) et saillir (1). Le contenu sémantique de ces verbes est fondé sur l’assertion puis la négation de la relation locative élémentaire être dans, les verbes de changement de relation finaux de type inclusion / contenance (entrer, pénétrer) répondant au schéma inverse (cf. supra). Dans les deux cas, et comme il est habituel des prédicats de changement d’état, une importance particulière est accordée à l’état final du procès, en l’occurrence au fait de ne plus être inclus / contenu dans le site pour les changements initiaux et de l’être pour les changements finaux. Dans une configuration spatiale déterminée – par exemple, avec une cible statique immédiatement contigüe à une surface (entité-site), voir [11] – où le locuteur aurait le choix entre des descriptions de mouvement fictif utilisant un changement de relation initial ou final de type inclusion / contenance, le recours à une sous-catégorie de verbes ou à l’autre n’est donc pas neutre : il met l’accent sur la cible visible lorsqu’un prédicat initial est utilisé (p. ex. sortir ; l’état inféré de non-inclusion / contenance est relégué à un second plan) et souligne, au contraire, un éventuel prolongement (occulté, non visible) de cette cible lorsque le choix inverse est effectué (entrer) [23]. C’est, selon nous, cette alliance de statut épistémique et de priorité plus générale donnée à la perception visuelle dans les descriptions spatiales (cf. infra) qui conduit les locuteurs à choisir plus souvent des changements de relation initiaux de type inclusion / contenance que des changements finaux dans les énoncés de mouvement fictif. L’exemple [11] ci-dessous illustre parfaitement notre propos dans la mesure où l’emploi de sortir n’implique pas véritablement que le nez dont il est question se prolonge à l’intérieur de la main – l’éventuel état inféré, non perceptible, est laissé à un second plan. Dans ce contexte, l’utilisation du verbe sortir est davantage destinée à indiquer une forme d’‘attachement’ de la cible au site, qui ne serait pas complètement véhiculée par une préposition indiquant le support / contact telle que sur. Malgré le caractère insolite et non canonique de la situation (voir ci-dessous), le verbe sortir introduit ici, à travers la notion d’attachement, une configuration qui se révèle assez proche des relations de partie à tout [24]. Ces observations sur les changements de relation initiaux (et finaux) de type inclusion / contenance confirment l’idée émise précédemment selon laquelle les descriptions de mouvement fictif réfèrent souvent à des configurations complexes entre entités entretenant des relations d’une assez grande stabilité et montrent que la complexité des situations considérées réside aussi dans le substrat ‘fonctionnel’ (voir section 1.1 et note 3) des relations spatiales dont le sémantisme ne peut en aucun cas être réduit à de simples propriétés géométriques telle que l’extension des entités (Cappelli, 2013 : 144-147, 2019).

[11]
Un enfant habillé en noir tient en laisse un singe de sa taille qui tend les mains vers l’avant. Du milieu de chacune de ses paumes sort un nez rose
(E. Levé, Œuvres, 2002)
[12]
[…] les nerfs ne conduisent plus le courant, deux tubes de peau, viande et os, lourds, mous, doigts de pieds violacés qui sortent de sous les draps blancs […]
(L. Lang, Les Indiens, 2001)
[13]
Il porte là-dessus [veste d’uniforme] un visage endormi, ivre, avec des yeux qui tournoient, des joues enfiévrées, tandis que sa cravate molle et sans tenue sort comme celle d’une femme de son col entrouvert !
(M. Havet, Journal 1919-1924, 2005)

39Les changements de relation initiaux de type inclusion / contenance présents dans le corpus d’énoncés de mouvement fictif fournissent, parallèlement, de précieuses indications au sujet des processus de perception (visuelle) en jeu. Si, en effet, la perception a cours dans de très nombreux cas [25], des exemples tels que [11-12] (vs. [13]) montrent qu’elle ne porte pas systématiquement sur des entités-cibles étendues que le regard (ou autre élément suggéré par les motivations / expériences supposément à l’œuvre ; cf. introduction) serait conduit à parcourir. En d’autres termes, l’appréhension visuelle du nez ou des orteils de [11-12] peut parfaitement être globale, ce qui n’a rien de surprenant puisque les changements de relation locative élémentaire et d’emplacement sous-tendant les prédicats initiaux de type inclusion / contenance sont concomitants ou simultanés (Aurnague, 2011a, 2012) – en termes de mode d’action ou d’aspect interne, ces procès correspondent à des achèvements et présentent une forme de « ponctualité » (Vendler, 1957; Vet, 1994 ; Vetters, 1996). Alors que l’extension des entités-cibles n’est, comme nous venons de le voir, pas systématique, les processus perceptifs et attentionnels associés aux exemples de changement de relation initiaux de type inclusion / contenance semblent, bien plus souvent, faire appel à une sorte de « rupture de configuration » ou « rupture de structure » occasionnée par la présence (ou les propriétés) de la cible dans la scène décrite. Le site de la description et/ou la configuration complexe dans son ensemble constituent l’arrière-plan sur lequel se détacherait la cible. La rupture de configuration ou structure peut découler de paramètres géométriques (p. ex. une entité qui émerge ou saillit à partir d’une surface) aussi bien que fonctionnels (p. ex. une cible non ‘contrôlée’ par le site), les deux composants agissant souvent de pair : le nez rose de [11] rompt la continuité visuelle de la surface formée par la paume et n’est pas une partie habituelle de celle-ci pas plus que de la main (lien fonctionnel) ; les doigts de pieds violacés de [12] se dégagent de la surface des draps qui, dans leur fonction normale, seraient censés les envelopper / contenir ; la cravate molle et sans tenue de [13] se remarque à l’extérieur de la veste sous laquelle elle devrait, en principe, se trouver (retenue). Cette rupture de configuration / structure est parfois soulignée par le recours à des verbes comme jaillir ou surgir qui, au changement de relation locative élémentaire basé sur l’inclusion / contenance, rajoutent le trait sémantique de vitesse, suggérant la surprise [26] (cf. [7] et Au bout de mon corps effondré, ma tête est une montgolfière, un ballon bouffi et enturbanné d’où jaillit une touffe de cheveux jaunes, L. Violet et M. Desplechin, La Vie sauve, 2005). De fait, la notion de rupture de configuration / structure doit être rapprochée du rôle joué par les propriétés non intrinsèques dans certaines descriptions de mouvement fictif, rôle pragmatique sur lequel nous reviendrons lors de l’analyse des sous-catégories du déplacement faible (et, plus spécifiquement, des changements d’emplacement avec changement de relation possible ; voir section 3.2).

40La troisième variation importante enregistrée parmi les sous-catégories de verbes de déplacement strict concerne les changements de relation initiaux indépendants. Représentant 14,95 % des emplois des verbes dans les descriptions de mouvement factuel, la part de cette sous-catégorie se réduit à 3 % au sein du corpus de mouvement fictif (différentiel – 11,95 %). Cette baisse se voit compensée par la hausse significative de trois autres catégories de prédicats de même polarité (voir plus loin), dont les changements de relation initiaux de type inclusion / contenance discutés ci-dessus et les changements de relation initiaux à partir d’une position (1,05 % du mouvement factuel, 6,5 % du mouvement fictif, différentiel + 5,45 %), qui méritent quelques commentaires en raison de leur lien sémantique avec les changements de relation initiaux indépendants. Ainsi que le met en lumière le verbe partir, il est en effet possible de voir dans les changements de relation initiaux depuis une position une extension sémantique des changements de relation initiaux indépendants : alors que ces derniers dénotent un déplacement de la cible par rapport au site initial et n’indiquent rien d’un éventuel parcours subséquent ([…] mais il n’était déjà plus là. Je suis rentrée, j’ai demandé, mais le barman m’a dit il est déjà parti, V. Mréjen, L’Agrume, 2001; Aurnague, 2011a), les premiers réfèrent à l’action de se mettre en marche / démarrer et supposent, comme le feraient des prédicats aspectuels inchoatifs, la poursuite du déplacement entamé [14]. Parmi les descriptions de mouvement factuel extraites de Frantext, l’introduction de changements de relation initiaux à partir d’une position s’avère nettement plus rare que celle de changements de relation initiaux indépendants (1,05 % des déplacements stricts contre 14,95 % ; voir Tableau 3) mais cet ordre s’inverse – quoique dans des proportions moins marquées – pour les descriptions de mouvement fictif puisque le premier type de changement est davantage attesté que le second (6,5 % des déplacements stricts contre 3 %) [27]. On pourrait, ici encore, être tenté de justifier l’usage accru des changements de relation initiaux à partir d’une position par le seul caractère étendu de nombreuses entités-cibles en présence (dans les descriptions de mouvement fictif) mais cette explication nous semble, une fois de plus, réductrice. De façon similaire aux doubles changements de relation avec contraintes sur l’ensemble du déplacement examinés précédemment, le recours à ce type de prédicats doit être compris dans le contexte plus général de la référence à des configurations complexes dont on veut préciser certaines propriétés. Il s’agira, par exemple, de situer / positionner l’extrémité d’une cible au sein d’un cadre englobant, que l’on ignore la disposition précise du reste de cette entité (en dehors du fait qu’elle est étendue : [15]), que l’on ne souhaite pas la spécifier et/ou que l’on se focalise ensuite sur d’autres aspects de la configuration complexe (à l’extrémité opposée de l’entité-cible par exemple, comme en [16]).

[14]
Lorsque je pars en trombe, je ralentis au bout de quelques pas […]
(V. Gault, Le Corps incertain, 2006)
[15]
Repéré le bout de la rue du Point-du-Jour qui part en face
(M. Sonnet, Atelier 62, 2008)
[16]
J’ai aimé ses boiseries fendues et tordues, ses pans de murs tapissés de toile de Jouy, ses rideaux amples partant du plafond pour requinquer sur un plancher brunâtre ciré à outrance […]
(Y. Szczupak-Thomas, Un Diamant brut : Vézelay-Paris 1938-1950, 2008)

3.1.2 – Descriptions factuelles vs. fictives et comptabilisation des verbes selon leur polarité : un regard sur le « goal bias »

41Au-delà des changements significatifs commentés jusqu’ici, le Tableau 3 fait apparaître une asymétrie qui a retenu notre attention (ce commentaire laisse de côté les doubles changements de relation à saillance initiale ou finale dont les effectifs sont très réduits) : alors que la baisse des changements de relation initiaux indépendants constatée dans le mouvement fictif (par rapport au mouvement factuel) est associée à l’accroissement significatif des trois autres catégories de verbes initiaux, la baisse des changements de relation finaux avec déplacement antérieur intégré s’accompagne d’une hausse et d’une baisse non significatives des deux autres catégories de prédicats finaux. La polarité des descriptions de mouvement / déplacement est, depuis quelques années, l’objet de diverses analyses dans la littérature – en particulier psycholinguistique – relative à l’espace dynamique, comme en témoignent les travaux sur le « goal (path) bias » ou « biais du but (trajet final) » cherchant à expliquer la tendance des sujets / locuteurs à conceptualiser et décrire des événements spatiaux dynamiques présentés visuellement en se focalisant sur leur partie finale (Lakusta et Landau, 2005 ; Regier et Zheng, 2007). Dans ce contexte, l’asymétrie relevée ci-dessus nous a paru devoir être approfondie car susceptible de fournir des données quantifiées sur la polarité du mouvement / déplacement en français, aussi bien pour ce qui est du mouvement factuel que du mouvement fictif.

42Le Tableau 4 reprend les sous-catégories de verbes de déplacement strict présentées au début de cette section en les regroupant, pour la plupart, selon leur polarité. Après les catégories qui mettent en jeu un changement de relation initial ou final, viennent les changements de relation basés sur la distance ou la direction / trajectoire (ces deux catégories contiennent des verbes de polarité initiale ou finale qui n’ont pas été distingués dans le comptage compte tenu de leur poids marginal), les doubles changements de relation pour lesquels aucune polarité n’est privilégiée et enfin les changements de relation médians. Cette tentative d’évaluation de la polarité des verbes spatiaux dynamiques utilisés dans notre corpus ne peut, cependant, se restreindre aux seuls prédicats de déplacement strict et doit impérativement prendre en compte les verbes « tendanciels » de simple changement d’emplacement capables d’exprimer un déplacement véritable en présence d’un GP locatif adéquat (verbes de changement d’emplacement avec changement de relation possible : courir, ramper, reculer, glisser, etc. ; voir sections 1.1.1 et 3). Cette catégorie supplémentaire figure à la fin du Tableau 4 et c’est à l’intérieur du domaine constitué par le déplacement strict combiné aux verbes tendanciels qu’ont été opérés les calculs.

Tableau 4

Polarité des verbes de déplacement strict (tendanciels inclus) et mouvement factuel vs. mouvement strict

Polarité des verbes de déplacement strictPart dans mouvement factuel (%)Part dans mouvement fictif (%)Différentiel par polarité (mouvement fictif – mouvement factuel ; pourcentage mouvement factuel)
Chgt rel° init.24,5020,28- 4,22 (- 17,22 %)
Chgt rel° fin.47,0720,28- 26,79 (- 56,91 %)*
Chgt rel° dist. (initial ou final)1,823,43+ 1,61 (+ 88,46 %)*
Chgt rel° dir°
(initial ou final)
0,0830,57+ 0,487 (+ 686,74 %)
Dble chgt rel° sans saillance0,0170- 0,017 (- 100 %)
Dble chgt rel° avec contraintes sur déplt2,67,71+ 5,11 (+ 296,53 %)*
Chgt rel° médian64,85- 1,15 (- 19,16 %)
+ Chgt emplt avec chgt rel° pos. (tendancialité)17,8742,85+ 24,98 (+ 239,78 %)*

Polarité des verbes de déplacement strict (tendanciels inclus) et mouvement factuel vs. mouvement strict

43Les comptages effectués au sein du mouvement factuel confirment l’hypothèse du « goal bias » puisque les verbes de changement de relation final (47,07 %) pèsent quasiment le double des verbes de changement de relation initial (24,50 %), les changements de relation médians étant, quant à eux, beaucoup moins nombreux (6 % ; les changements d’emplacement avec changement de relation possible seront discutés plus loin).

44Le panorama obtenu pour les descriptions de mouvement fictif met en évidence quatre variations significatives par rapport à l’expression du mouvement factuel, à savoir : une chute de 26,79 % du recours aux verbes de changement de relation final (pour atteindre 20,28 % ; χ2(1) = 97.23, p < 2.2-16) et un accroissement des changements de relation basés sur la distance (+ 1,61 %, niveau final 3,43 % ; χ2(1) = 4.07, p = 0.043), des doubles changements de relation avec contraintes sur l’ensemble du déplacement (+ 5,11 %, niveau final 7,71 % ; χ2(1) = 33.17, p = 8.43-9) et des changements d’emplacement avec changement de relation possible (+ 24,98 %, niveau final 42,85 % ; χ2(1) = 144.14, p < 2.2-16). Si l’on se concentre, comme auparavant, sur les changements significatifs impliquant des classes représentant plus de 10 % du mouvement factuel ou fictif, on est tout d’abord frappé par le statut des verbes de changement de relation final qui, du fait de leur moindre utilisation dans le mouvement fictif, présentent le même poids relatif que les verbes de changement de relation initial (20,28 %), alors que le rapport entre ces deux catégories étaient de deux à un dans les descriptions de mouvement factuel. Rappelons que la chute des prédicats de polarité finale est principalement imputable aux changements de relation finaux avec déplacement antérieur intégré.

45L’autre fait marquant est le très net accroissement des changements d’emplacement avec changement de relation possible (verbes tendanciels) dans les énoncés de mouvement fictif. Cet accroissement n’est pas vraiment pour nous surprendre compte tenu de la hausse, déjà notée, de la catégorie du déplacement faible – dont les verbes tendanciels font partie – aux dépens de celle du déplacement strict (voir la section 2 et l’analyse du déplacement faible à la section 3.2). On sait que la particularité des verbes tendanciels est de pouvoir se combiner à un GP spatial pour éventuellement désigner un changement de relation et d’emplacement – c’est-à-dire un déplacement strict – de polarité finale (cf. section 1.1.1 et Aurnague, 2011a). Certains de ces prédicats (une partie de ceux dont le sémantisme est sous-tendu par la notion de direction et ceux qui véhiculent l’entraînement par une force : Max est descendu / a glissé de l’échelle) se prêtent aussi à des descriptions introduisant un changement de relation et d’emplacement initial. L’analyse syntactico-sémantique des 150 occurrences de verbes tendanciels au sein de notre corpus de mouvement fictif fait apparaître les interprétations et constructions suivantes : 39,33 % d’absence de changement de relation (simple changement d’emplacement ; pas de GP spatial ou GP n’exprimant pas un changement de relation locative élémentaire), 7,33 % de changements de relation initiaux (GP en de ou depuis), 36 % de changements de relation finaux (GP en jusque dénotant une mesure inclus), 14 % de déplacements directionnels ‘prospectifs’ (simples changements d’emplacement ; GP en vers, dans la direction de) et 3,33 % de doubles changements de relation (prépositions de mesure incluses : depuis, jusque) [28]. Bien que le même type d’analyse n’ait pu être mené pour les descriptions de mouvement factuel (qui comptent 4 055 occurrences de verbes tendanciels), l’application des proportions ainsi dégagées [29] aux deux colonnes du Tableau 4 conduit à quelque peu nuancer la rétraction spectaculaire des changements de relation finaux qui, après correction, passeraient d’un rapport de deux à un (par rapport aux changements de relation initiaux) dans le mouvement factuel à un rapport de un et demi à un dans le mouvement fictif, plutôt qu’à une égalité.

46Au total, on retiendra que les verbes et constructions de changement de relation final sont largement prépondérants dans les descriptions de mouvement factuel (confirmant donc le « goal bias ») mais aussi que leur poids décroît nettement dans le cadre du mouvement fictif tout en maintenant une certaine primauté.

3.2 – Déplacement au sens faible et sous-catégories de verbes

47L’analyse des macro-catégories et catégories de base de prédicats spatiaux dynamiques a mis en évidence une variation significative des verbes de déplacement au sens faible dont la part (dans le champ du mouvement / déplacement) représente 20,13 % des descriptions de mouvement factuel extraites de Frantext et 37,01 % de celles de mouvement fictif (différentiel + 16,88 % ; cf. section 2). Deux sous-catégories de prédicats peuvent être distinguées à l’intérieur de la catégorie de base du déplacement faible : les changements d’emplacement seuls (longer, marcher, parcourir, serpenter, zigzaguer) et les changements d’emplacement avec changement de relation possible (verbes tendanciels: courir, ramper, reculer, glisser). Si la comparaison du mouvement fictif au mouvement factuel montre, à premier abord, une inflexion à la baisse au sein du déplacement faible des verbes indiquant un simple changement d’emplacement et un comportement inverse des verbes tendanciels (voir Tableau 5), ces changements ne sont pas véritablement significatifs (χ2(1) = 2.19, p = 0.138) et l’on peut considérer qu’un rapport de un (changement d’emplacement seul) à deux (changement d’emplacement avec changement de relation possible) se dessine dans un cas de figure comme dans l’autre. Malgré la stabilité des sous-catégories de verbes de déplacement faible ainsi constatée (entre descriptions de mouvement factuel et fictif), un examen plus approfondi des verbes tendanciels s’impose en raison de la place qu’ils occupent dans la catégorie du déplacement faible (deux tiers de la catégorie de base, voir ci-dessus) mais aussi du fait de leur capacité à se substituer aux prédicats de déplacement strict au moment d’exprimer des changements de relation et d’emplacement (voir sections 1.1.1 et 3.1.2).

Tableau 5

Part des sous-catégories de verbes de déplacement faible au sein de cette catégorie de base, mouvement factuel vs. mouvement fictif

Catégories de verbesPart dans mouvement factuel (%)Part dans mouvement fictif (%)Différentiel par catégorie (mouvement fictif – mouvement factuel ; pourcentage mouvement factuel)
Chgt emplt seul36,3331,19- 5,14 (- 14,15 %)
Chgt emplt avec chgt rel° pos. (verbes tendanciels)63,6768,81+ 5,14 (+ 8,07 %)

Part des sous-catégories de verbes de déplacement faible au sein de cette catégorie de base, mouvement factuel vs. mouvement fictif

48Les quatre traits sous-tendant la notion de tendancialité (cf. section 1.1.1) sont tous attestés parmi les verbes de changement d’emplacement avec changement de relation possible recensés dans notre corpus de mouvement fictif : vitesse (courir, se précipiter, dégringoler, dévaler), opposition à une force (ramper, grimper), direction ((s’)avancer, dégringoler, (re)descendre, dévaler, se diriger, s’élever, grimper, (re)monter, suivre) et entraînement par une force (glisser, dégringoler, dévaler) [30]. En termes de nombre de verbes (différents) aussi bien que d’occurrences, la notion de direction ou déplacement linéaire orienté est, de très loin, la plus représentée puisqu’elle concerne 11 des 15 prédicats (73,33 %) répertoriés et 135 de leurs 150 occurrences (90 %). À l’intérieur même des verbes directionnels, ceux qui dénotent un déplacement vertical sont largement majoritaires par rapport à ceux qui introduisent un déplacement frontal ou d’orientation indifférente : 8 verbes contre 3 (72,72 % contre 27,27 %) et 126 occurrences contre 9 (93,33 % contre 6,66 %). La prépondérance du trait directionnel parmi les verbes tendanciels et celle des déplacements verticaux vis-à-vis des déplacements frontaux (ou d’orientation indifférente) peuvent, en réalité, déjà être repérés dans les exemples de mouvement factuel du corpus, surtout si l’on observe le nombre d’occurrences des prédicats. La direction est ainsi véhiculée par 50,94 % des types de verbes tendanciels utilisés dans les énoncés de mouvement factuel, lesquels (types) représentent 68,55 % des emplois (tokens) de prédicats tendanciels. Dans le domaine de la directionnalité, les déplacements verticaux sont codés par 55,55 % des types de verbes, ces prédicats faisant l’objet de 75,21 % des emplois de verbes directionnels. Ces caractéristiques majeures des verbes tendanciels et de leurs usages ne sont donc pas exclusives de l’interprétation fictive des prédicats spatiaux dynamiques, bien que sensiblement plus affirmées lorsque celle-ci est sollicitée. L’importance numérique des items verbaux dénotant la direction verticale ainsi que leur mobilisation dans le discours tiennent à la nécessité pragmatique de distinguer ce type de changements d’emplacement de ceux, les plus nombreux / habituels pour les humains, prenant place sur le plan horizontal. L’effet de la gravitation sur les entités-cibles se traduit, dans le sémantisme de nombreux prédicats directionnels verticaux, par le codage de propriétés complémentaires de la seule orientation, telles que l’opposition à une force (déplacements verticaux supérieurs ou vers le haut ; p. ex. se hisser, grimper) ou bien encore la vitesse et l’entraînement par une force (déplacements verticaux inférieurs ou vers le bas ; p. ex. débouler, dégringoler, dévaler) [31]. Les prédicats de changement d’emplacement frontal, moins nombreux on l’a vu, sont aussi nettement moins contraints et informatifs car ils n’impliquent pas nécessairement un déplacement sur le plan horizontal (une mouche ou un lézard peuvent avancer / reculer sur une surface verticale) et incorporent rarement à leur contenu d’autres éléments de sens que la direction. Le marquage pragmatique des déplacements verticaux mentionné ci-dessus se reflète donc au niveau du système de la langue (items lexicaux disponibles et contenu de ces items) mais aussi au niveau des emplois, les verbes directionnels frontaux entrant beaucoup plus fréquemment en compétition que les verbes directionnels verticaux avec d’autres prédicats spatiaux dynamiques [32].

49Comme pour la catégorie de base du déplacement faible à laquelle ils appartiennent, les verbes tendanciels justifient leur recours dans les descriptions de mouvement fictif par la présence d’un changement d’emplacement (voir section 1.1) dans leur contenu sémantique et par la référence ainsi autorisée à des entités-cibles étendues, qu’elles soient singulières ou plurielles. Pourtant, l’examen du corpus élaboré montre que l’emploi de prédicats tendanciels (en particulier directionnels ; cf. supra) met en jeu bien d’autres éléments que la simple extension de la cible et vise, comme nous l’avons soutenu précédemment, à situer cette entité à l’intérieur d’une configuration complexe. C’est ce que font les prédicats directionnels monter et descendre des exemples [17-19] : ils spécifient la disposition de l’entité-cible par rapport à la verticalité gravitationnelle telle qu’elle se matérialise à travers divers éléments du contexte situationnel (maison, mur et chemin de terre de [17], rez-de-chaussée, escalier et palier de [18], lit et sol de [19]). Les liens décrits entre la cible et les sites environnants de la configuration complexe peuvent n’être sous-tendus par aucun changement de relation vis-à-vis de ces entités [17] [33] ou faire intervenir, au contraire, de tels changements (finaux : [18], initiaux : [19]). La cible de la description de mouvement fictif s’insère par conséquent dans une configuration globale (stable et pouvant faire appel à des relations de partie à tout) structurée selon un axe vertical et ce, bien souvent, à partir d’un point de vue – inférieur ou supérieur – préétabli.

[17]
D’une des deux fenêtres de ma chambre je voyais, de l’autre côté du chemin de terre étroit, montant entre la maison et le mur, la population généralement silencieuse des hêtres qui remplissaient uniformément l’espace au-dessous du ciel
(J. Roubaud, Impératif catégorique : récit, 2008)
[18]
En face, un escalier de pierre avec balustrade de fer forgé et hautes boiseries qui montent au palier du premier étage
(P. Guyotat, Formation, 2007)
[19]
Au bas du couvre-lit, deux écharpes, l’une bariolée, l’autre bicolore, emmêlées. Une troisième de couleur beige, entortillée sur elle-même, descend mollement du lit comme une grosse corde
(A. Ernaux et M. Marie, L’Usage de la photo, 2005)

50Les verbes tendanciels, et parmi eux ceux qui font référence à la direction du déplacement, nous permettent aussi de noter que les informations apportées par les descriptions de mouvement fictif au sujet d’une entité-cible ne doivent pas être évidentes ou connues, c’est-à-dire intrinsèques à cette cible. Emirkanian (2008) a, en particulier, souligné les difficultés que soulève l’emploi de monter avec des entités-cibles de nature verticale (??*Le mur / l’arbre / l’échelle monte vs. La route / la rue / le sentier monte), le recours à ce verbe requérant dès lors l’apport d’informations additionnelles relatives à la mesure totale de la cible (intrinsèquement verticale) : Le mur / l’arbre / l’échelle monte jusqu’à ma fenêtre vs. ??*Le mur / l’arbre / l’échelle monte sur 2 mètres[34]. Nous avons affaire en l’espèce à des facteurs pragmatiques qui relèvent sans doute en partie des maximes de quantité et de pertinence de Grice (1975). Cependant, comme la rupture de configuration / structure évoquée à propos des changements de relation initiaux de type inclusion / contenance (section 3.1.1) et d’autres phénomènes que nous n’aborderons pas ici (comme la « rupture de continuité » dans le cas des verbes traverser ou parcourir), l’importance accordée aux propriétés non intrinsèques des entités-cibles nous paraît liée, plus généralement, à la saillance géométrique et fonctionnelle de certains éléments composant la configuration complexe décrite. Il faut, à ce propos, rappeler que le mouvement fictif s’appuie massivement sur le « mode de discours » de la description (Smith, 2001, 2003 ; cf. note 25 et section 5) au sein duquel les processus perceptifs – tout spécialement visuels – et attentionnels jouent un rôle central, bien au-delà de l’éventuel parcours des entités-cibles (voir section 3.1.1).

4 – Mouvement fictif et catégories de base relevant de la dynamicité spatiale sans déplacement (données de corpus 3)

51Les catégories de base de verbes de mouvement qui relèvent de la dynamicité sans déplacement font apparaître, on l’a vu (section 2), des variations contrastées lorsque les exemples issus de Frantext décrivant un mouvement fictif sont comparés aux données du mouvement factuel : alors que la part des prédicats de simple changement de relation au sein du mouvement / déplacement décroît de 1,97 % pour s’établir à 2,21 % des descriptions de mouvement fictif, celle des changements de disposition augmente de 8,67 % et représente 22,07 % des prédicats répertoriés dans le corpus de mouvement fictif. La présence très résiduelle des verbes de simple changement de relation dans les énoncés de mouvement fictif et le fait que cette catégorie de base ne comporte pas de sous-catégories nous conduisent à privilégier ici l’examen des changements de disposition (absence de changement de relation et d’emplacement ; cf. section 1.1.1). Outre l’importance numérique relevée ci-dessus, cette catégorie de base de la dynamicité spatiale sans déplacement inclut, en effet, deux sous-catégories de verbes : les changements de disposition n’impliquant pas la notion de perte d’équilibre (s’accroupir, se déployer, se blottir) et ceux qui sont au contraire associés à cette notion (choir, chuter, dinguer, (re)tomber). Bien que la part (à l’intérieur des changements de disposition) des verbes de perte d’équilibre ait tendance à se renforcer dans le mouvement fictif relativement au mouvement factuel – 20,77 % vis-à-vis de 16,29 % (voir Tableau 6) –, la distribution des deux sous-catégories de changements de disposition n’est pas significativement différente d’un type d’énoncé à l’autre (χ2(1) = 1.52, p = 0.216). Les changements de disposition sans perte d’équilibre demeurant de très loin les plus nombreux dans les exemples de mouvement fictif (environ 80 % des changements de disposition), c’est sur eux que se focalisent les observations qui suivent.

Tableau 6

Part des sous-catégories de verbes de changement de disposition au sein de cette catégorie de base, mouvement factuel vs. mouvement fictif

Catégories de verbesPart dans mouvement factuel (%)Part dans mouvement fictif (%)Différentiel par catégorie (mouvement fictif – mouvement factuel ; pourcentage mouvement factuel)
Abs. chgt de rel° et d’emplt83,7179,23- 5,53 (- 14,15 %)
Abs. chgt de rel° et d’emplt équilibre16,2920,77+ 4,48 (+ 27,50 %)

Part des sous-catégories de verbes de changement de disposition au sein de cette catégorie de base, mouvement factuel vs. mouvement fictif

52Les changements de disposition, c’est-à-dire les prédicats dénotant un procès spatial dynamique sans changement de relation ni d’emplacement, constituent, dans le panorama des verbes de mouvement / déplacement, une classe très riche de verbes qui nécessiterait des investigations plus approfondies [35]. Comme évoqué à la section 1.1.1, et dans une première approximation, il est possible de distinguer plusieurs sous-ensembles de verbes au sein de cette catégorie de base. Pour s’en tenir à la sous-catégorie des changements de disposition sans perte d’équilibre (cf. supra), nous avons recensé dans le corpus d’énoncés de mouvement fictif : des changements de posture ou structure (enjamber, s’incliner, se redresser, se retourner, tourner, tournoyer ; se déployer, s’élargir, s’étaler, s’étendre), des verbes exprimant le contrôle de la cible par le site (se boucler, se dégager, se cacher, s’emboîter, s’encastrer, s’enliser, se loger, se lover, se suspendre) ou bien celui du site par la cible (cerner, enserrer, envahir, inonder, remplir). Ce sont 34 prédicats différents de changement de disposition sans perte d’équilibre qui apparaissent dans les descriptions de mouvement fictif extraites de Frantext, pour un total de 103 occurrences. Parmi ces prédicats, s’étendre, s’étaler et tourner sont les plus utilisés (48 occurrences à tous les trois) et représentent quasiment la moitié (46,60 %) des emplois de cette sous- catégorie de verbes de changement de disposition. Rappelons que, malgré leur haut degré de stativité – pas de changement d’emplacement dans le cadre de référence terrestre ni de changement de relation locative élémentaire par rapport à un site éventuel (voir section 1.1.2) –, les prédicats de changement de disposition font, selon nous, pleinement partie du domaine général du mouvement / déplacement car leur sémantisme intègre une certaine forme de dynamicité spatiale (mouvement / déplacement des parties dans le cadre de référence défini par l’entité-cible, forces, contrôle…). Même dans les emplois « statiques » auxquels ils donnent lieu dans les énoncés de mouvement fictif, des prédicats tels que s’étaler, s’étendre ou se dresser ne sont pas équivalents à des verbes ou constructions purement locatifs, sans dynamicité interne (« statifs », voir note 19). On pourrait d’ailleurs considérer qu’en permettant le recours à des verbes dynamiques dans des contextes statiques, les interprétations de type mouvement fictif sont parfois à l’origine de processus de lexicalisation (ou d’innovation lexicale) à travers lesquels émergeraient de nouvelles acceptions des verbes comprenant une forte composante statique mais maintenant, malgré tout, une part de dynamicité (Cappelli, 2013 : 124) [36].

53Au-delà des propriétés générales de cette sous-catégorie de verbes (au sein du corpus de mouvement fictif), l’observation des verbes de changement de disposition sans perte d’équilibre vient confirmer plusieurs points importants déjà évoqués. Si les exemples comprenant des prédicats tels que s’étendre ou s’étaler [20-22] sont souvent analysés et motivés en mettant en avant l’extension de la cible et son possible parcours (par le locuteur ou une autre entité, par le regard…), cette saisie des données est doublement problématique. Elle ignore, en effet, que la notion d’extension est déjà présente dans les usages factuels des verbes considérés et qu’elle concerne directement la cible du procès plutôt que l’extension de son parcours, comme cela se produit pour des verbes de changement d’emplacement tels que grimper, longer ou serpenter (voir section 2). Par ailleurs, l’extension de la cible dans plusieurs directions ouvre la voie à une multiplicité de parcours possibles (présentant des ‘points de départ’ variés), sans que l’on puisse souvent décider lequel ou lesquels ont véritablement cours. De façon plus cruciale, la focalisation sur les seules notions d’extension et de parcours tend, encore une fois, à reléguer à un second plan des éléments essentiels des énoncés de mouvement fictif considérés. Ainsi, dans nombre de leurs usages fictifs, les verbes s’étaler et s’étendre indiquent que la cible occupe la majeure partie (voire la totalité) d’un espace au sein d’un cadre de référence (espace situé au-dessus des magasins dans [20] et tapis de mousse et de filaments verdâtres au pied d’un saule de [22]). Les interprétations de ces verbes sont alors porteuses d’informations très proches de celles véhiculées par des prédicats de changement de disposition du type remplir, envahir ou occuper. De plus, et comme auparavant, l’analyse des occurrences de s’étaler et s’étendre dans le corpus de mouvement fictif montre que ces verbes de changement de disposition ne se limitent pas à sélectionner / identifier des cibles étendues éventuellement parcourables, mais visent bien plutôt à situer ou disposer ces cibles dans des configurations complexes englobantes – en les mettant en relation avec d’autres éléments de cet environnement [21].

[20]
Les bureaux de chaque négociant s’étendent au-dessus de leurs magasins
(J. Roubaud, Nous, les moins-que-rien, fils aînés de personne, 2006)
[21]
Un jour, tard dans l’après-midi, nous approchions du défilé de Saint-Ferréol-Trente-Pas. À gauche de la route une prairie s’étendait jusqu’aux collines à huit cents mètres de là
(H. Mathews, Ma vie dans la CIA : une chronique de l’année 1973, 2005)
[22]
Voilà la ramure d’un saule. Attention ! Ne mettez pas le pied sur le tapis de mousses rampantes et de filaments verdâtres où s’étalent des feuilles rondes ! Vous y perdrez pied et boirez une tasse […]
(Y. Szczupak-Thomas, Un Diamant brut : Vézelay-Paris 1938-1950, 2008)

54Outre les limitations d’une analyse qui n’envisagerait que l’extension des entités-cibles (extension pas toujours requise pourtant), l’examen des verbes de changement de disposition sans perte d’équilibre vient appuyer le constat déjà réalisé au sujet du rôle que peuvent être amenées à jouer les propriétés fonctionnelles des relations locatives dans l’interprétation des énoncés de mouvement fictif. De façon similaire à d’autres sous-catégories de prédicats de mouvement / déplacement (cf. changements de relation initiaux de type inclusion / contenance, section 3.1.1), les verbes de changement de disposition sans perte d’équilibre incorporent de fait, très régulièrement, dans leur sémantisme des contraintes liées à la dynamique des forces et au contrôle. Cela est clairement perceptible dans les occurrences de verbes pronominaux tels que s’agripper [23] ou s’encastrer [24] – contrôle de la cible par le site – ou dans celles de prédicats transitifs comme cerner [25] ou enserrer [26] – contrôle du site par la cible. Ces éléments lexicaux ont la particularité d’introduire des propriétés fonctionnelles (et géométriques) plus restrictives que celles qui sous-tendent la sémantique des prépositions du français dans, sur ou autour (voir note 10) et c’est aussi en cela que les configurations décrites sont complexes. Ainsi, s’encastrer ne se limite pas à dénoter une situation ‘classique’ d’inclusion / contenance mais suppose que le site contrôle étroitement la cible à travers une relation de « tight fit » telle qu’elle a été mise en évidence pour le coréen (Choi et Bowerman, 1991) – relation intégrée par Vandeloise (2003) à son analyse de la « primitive » contenant / contenu.

[23]
Un soleil de fin d’après-midi touche, magique, le haut de la muraille rocheuse où s’agrippent quelques verdures de pins, légères comme des chevelures
(M. Havet, Journal 1919-1924, 2005)
[24]
[…] sur la place une fontaine de laquelle sort un petit filet d’eau. Les devantures y sont rares, elles s’encastrent dans des fenêtres, il y a des chaussons, des berlingots […]
(M. Duras, Cahiers de la guerre et autres textes, 2006)
[25]
Nos vêtements sont éparpillés sur le carrelage. Ceux d’A. […] sont si emmêlés, au premier et au second plan, qu’on ne peut y distinguer qu’un soutien-gorge blanc. Abandonnés ainsi, ils entourent mon « uniforme » de l’époque […]. Ils le cernent
(A. Ernaux et M. Marie, L’Usage de la photo, 2005)
[26]
Vézelay ? Une place-forte, voyons ! Protégée par les remparts de Vauban tant de fois attaqués, toujours debout, enserrant la pente montante, étroite et sans issue de notre piton-promontoire rocheux
(Y. Szczupak-Thomas, Un Diamant brut : Vézelay-Paris 1938-1950, 2008)

5 – Conclusions et perspectives

55Les recherches sur l’expression du mouvement fictif dont une partie des résultats a été présentée dans cet article se caractérisent par deux originalités essentielles. Elles s’appuient, tout d’abord, sur une catégorisation des verbes de mouvement / déplacement qui permet d’analyser et d’ordonner ces éléments lexicaux en fonction de leur degré de dynamicité spatiale. Elles recourent, d’autre part, à un nombre très significatif de verbes de mouvement / déplacement du français (521 items, 533 avec variantes formelles et/ou de sens) qui, projetés sur la base textuelle Frantext (période 2000-2010, tous genres textuels, poésie exclue), fournissent un ensemble conséquent d’usages spatiaux factuels et fictifs des verbes considérés. Le corpus d’exemples de mouvement fictif retenu pour notre étude (589 occurrences) est en soi assez exceptionnel, aussi bien dans le panorama des recherches menées sur le français que dans celui des travaux relatifs à d’autres langues. L’analyse quantitative et qualitative des résultats fondée sur les catégories de verbes a mis en évidence six faits ou conclusions majeurs. Au niveau des macro-catégories et catégories de base de prédicats spatiaux dynamiques tout d’abord, la comparaison des énoncés de mouvement fictif aux données du mouvement factuel a révélé que :

  1. la macro-catégorie de verbes la moins dynamique – celle de la dynamicité spatiale sans déplacement – s’accroît significativement dans les descriptions de mouvement fictif, aux dépens de celle qui l’est davantage – déplacement au sens large ;
  2. au sein même de ces deux macro-catégories, les catégories de base les moins dynamiques – déplacement faible (dégringoler, longer) et changement de disposition (s’étaler, s’emboîter) – connaissent une augmentation spectaculaire dans le mouvement fictif, contrairement aux catégories de base les plus dynamiques – déplacement strict (s’en aller, venir) et simple changement de relation (frôler, toucher) – dont le poids diminue.

56Comparées aux descriptions de mouvement factuel, et sans remettre en question leur originalité (décalage dynamicité-stativité), les descriptions de mouvement fictif se singularisent, en fin de compte, par un glissement du panorama des verbes vers le pôle statique du continuum illustré dans la Figure 1 de notre analyse (section 1.1.2).

57D’autre part, l’observation des sous-catégories de verbes spatiaux dynamiques a montré que :

  1. bien au-delà de la possible extension physique de l’entité-cible – singulière ou plurielle – en présence, les descriptions de mouvement fictif mettent souvent en jeu des configurations complexes dans lesquelles le positionnement de cette entité vis-à-vis d’un ou plusieurs éléments de l’environnement englobant est spécifié. Exemples de sous-catégories de verbes : doubles changements de relation avec contraintes sur l’ensemble du déplacement (p. ex. traverser ; section 3.1.1), changements d’emplacement avec changement de relation possible (p. ex. monter ; section 3.2) ;
  2. la complexité des scènes décrites s’entend aussi en termes de propriétés fonctionnelles (Vandeloise, 1986) des entités et relations auxquelles les descriptions réfèrent, les contraintes impliquées ayant trait, en particulier, à la dynamique des forces et au contrôle ainsi qu’à l’orientation. Exemples de sous-catégories de verbes : changements de relation initiaux de type inclusion / contenance (p. ex. sortir, jaillir ; section 3.1.1), absence de changement de relation et d’emplacement / changement de disposition (p. ex. cerner ; section 4)) ;
  3. les processus perceptifs (visuels) et attentionnels interviennent bien dans les énoncés de mouvement fictif mais, loin d’être réduits au seul parcours d’entités potentiellement étendues, ils semblent, plus généralement, guidés par des critères de saillance géométrique et fonctionnelle de certains éléments des configurations visées (cf. notions de rupture de configuration / structure à la section 3.1.1 et de propriétés non intrinsèques à la section 3.2).

58L’analyse sémantique et pragmatique des exemples du corpus au niveau le plus fin de la catégorisation des verbes – celui des sous-catégories – apporte donc des informations qualitatives sur les descriptions de mouvement fictif qui, tout en confirmant l’intervention régulière de la perception visuelle (liée, plus généralement, au mode de discours de la description ; voir note 25), replacent ce phénomène linguistique dans la problématique plus large de la référence à des configurations spatiales – géométriques et fonctionnelles – complexes.

59Enfin, ce travail nous a conduits à mesurer le phénomène – très peu étudié jusqu’ici en français – du « goal (path) bias » ou ‘biais du but (trajet final)’ (Lakusta et Landau, 2005 ; Regier et Zheng, 2007) qui se manifeste par une préférence marquée des sujets / locuteurs pour la conceptualisation et la description de la partie finale des événements spatiaux dynamiques (en termes de polarité du déplacement, ceci se traduit par une référence accrue aux changements de relation finaux) :

  1. en nous focalisant sur les verbes de déplacement strict et les changements d’emplacement avec changement de relation possible (verbes tendanciels : courir, grimper…), nous avons pu vérifier que ce phénomène était bien réel dans les énoncés de mouvement factuel et que, s’il semblait nettement s’infléchir dans le cadre du mouvement fictif, il y conservait néanmoins une certaine force à condition que soient prises en compte les descriptions faisant appel à des verbes tendanciels.

60Parmi les résultats tout juste synthétisés, la notion de configuration complexe nous paraît particulièrement intéressante car elle pointe un fait linguistique important systématiquement absent des travaux centrés sur les motivations cognitives et expériences qui seraient à l’origine du mouvement fictif : dans de nombreuses langues, dont le français, la plupart des marqueurs statiques sont incapables de rendre correctement les diverses propriétés des configurations complexes considérées et le recours à d’autres moyens langagiers s’impose comme une nécessité. Qu’il s’agisse d’entités étendues dont on souhaite décrire le positionnement et la structure dans un environnement englobant (seules quelques prépositions statiques du français saisissent cette extension dans le cadre d’agencements spatiaux spécifiques : autour, le long de, en travers…) ou de configurations locatives mettant en jeu des contraintes fonctionnelles plus restrictives que celles imposées par le contenu des prépositions statiques (nous en avons vu quelques exemples : attachement vs. support, ‘tight fitvs. contenance, enserrage vs. entourage), les limitations auxquelles se voient confrontés les moyens habituels d’expression de la localisation (statique) constituent, selon nous, une ‘raison pratique’ essentielle à l’émergence des énoncés de mouvement fictif.

61Ce constat conduit à une première perspective de recherche qui mériterait d’être plus amplement explorée. La part plus importante prise par les verbes de mouvement / déplacement de moindre dynamicité dans le corpus de mouvement fictif s’est, notamment, traduite par une augmentation très significative de la catégorie des changements de disposition (changements de posture ou structure compris). Or on sait que, contrairement au français qui est pauvre en ce domaine, de nombreuses langues du monde possèdent un répertoire plus ou moins développé de prédicats posturaux et positionnels (Grinevald, 2006 ; Kelly et Melinger, 2001 ; Lemmens, 2002). Le tzeltal, langue maya du Mexique, est, à ce titre, exemplaire puisqu’il dispose de plusieurs dizaines de positionnels ou dispositionnels permettant d’opérer d’importants raffinements au sein des configurations de support / contact, inclusion / contenance, entourage et attachement (Brown, 1994). Ces positionnels introduisent des contraintes géométriques et fonctionnelles très élaborées sur les cibles et sites en présence – nombre, consistance, forme, structure… – ainsi que sur les relations qui s’établissent entre ces entités [37]. L’hypothèse interlinguistique directement issue du point de vue utilitariste esquissé précédemment est que les langues possédant des prédicats posturaux et/ou positionnels seraient moins enclines à recourir à des descriptions de mouvement fictif du fait de leur capacité à décrire un certain nombre de configurations complexes au moyen de ces marqueurs spatiaux statiques. La comparaison entre descriptions locatives du français et du serbe réalisée dans Stosic et Sarda (2009) semble pointer dans cette direction puisque, du fait de l’existence de prédicats posturaux en serbe, les locuteurs / scripteurs de cette langue font moins appel aux énoncés de mouvement fictif que les locuteurs / scripteurs français – à l’inverse, ceux-ci sont parfois amenés à rendre des prédicats posturaux du serbe par des verbes de changement de disposition du français.

62Une deuxième perspective de recherche, déjà initiée dans Cappelli (2013 : 149-177, 2019), consiste à étudier les exemples de mouvement fictif au niveau du discours dans lequel ils prennent place plutôt que de façon isolée. Bien que l’analyse quantitative et qualitative développée dans cet article soit de nature essentiellement lexicale, plusieurs des remarques (qualitatives) effectuées au sujet des sous-catégories de verbes découlent de l’observation de contextes linguistiques plus ou moins élargis. Une étude du mouvement fictif examinant ce phénomène dans des extraits longs comprenant parfois plusieurs occurrences de verbes interprétés de cette manière (« exemples mixtes » de Cappelli, 2013 : vol. 2, 213-233) a le mérite de replacer ce type d’interprétation des verbes de mouvement / déplacement dans son contexte ‘naturel’ d’emploi et d’en mieux saisir la fonction linguistique. L’étude discursive préliminaire proposée dans Cappelli (2013) a ainsi permis d’inscrire le mouvement fictif dans le mode de discours plus général de la description (Smith, 2001, 2003) qui, en l’absence d’avancement temporel, fait en lui-même largement appel à la notion de parcours spatial (cf. note 25). Il a également été suggéré que le mouvement fictif et le mode de la description puissent donner naissance à des formes de « perceptions rapportées » (Cappelli, 2013 : 172) parallèles, en quelque sorte, au discours rapporté (discours indirect libre inclus) [38].

Nous remercions très sincèrement Basilio Calderone, qui a réalisé les calculs de significativité mentionnés dans le texte. Nous sommes aussi reconnaissants à Dejan Stosic ainsi qu’aux deux évaluateurs anonymes pour leurs remarques et suggestions qui ont permis d’améliorer substantiellement une première version de l’article.

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Mots-clés éditeurs : stativité, corpus, mouvement fictif, dynamicité, mouvement factuel, catégorisation des verbes

Date de mise en ligne : 31/05/2019

https://doi.org/10.3917/tl.077.0015

Notes

  • [1]
    Sur un plan philosophique et psychologique, Blomberg et Zlatev, qui se réfèrent à la phénoménologie de Husserl, soutiennent que les différentes motivations ou expériences recensées mettent en jeu trois aspects différents de l’intentionnalité ou conscience humaine : l’énaction ou perception « engagée » ; l’action « noétique » ; l’imagination (ré-énaction).
  • [2]
    Ou en termes de sujets/locuteurs, contextes et types de production, méthodes de recueil… pour des corpus oraux.
  • [3]
    Un lieu est une entité fixe dans un cadre de référence qui définit une portion d’espace adjacente à sa partie matérielle dans laquelle d’autres entités peuvent être localisées. Les lieux géographiques comme les zones délimitées par des Noms de Localisation Interne (NLI) ou noms spatiaux (haut, arrière, intérieur, bord, extrémité) au sein d’une entité-tout répondent à cette définition (Aurnague, 1996, 2004). Certaines approches des marqueurs spatiaux statiques ou dynamiques représentent les relations identifiées par les adpositions locatives et verbes au moyen de régions associées aux entités-sites des descriptions analysées (cf. la fonction « Place » chez Jackendoff, 1983, 1990). Ces approches géométriques qui traitent, d’une certaine façon, tous les sites comme des lieux sont problématiques car elles éludent le contenu ‘fonctionnel’ de bien des marqueurs spatiaux (fonction des entités, orientation, forces et, plus généralement, physique naïve : Aurnague et Vieu, 2013 ; Carlson et van der Zee, 2005 ; Vandeloise, 1986) et s’avèrent inaptes à saisir pleinement leur contenu sémantique.
  • [4]
    Quoique pratique, le trajet ou path est une des notions les plus floues et fluctuantes de la littérature sur l’espace linguistique (curieusement, et comme le traitement géométrique ou régional des marqueurs locatifs (voir note 3), elle est aussi bien utilisée par les typologues fonctionnalistes que par les formalisateurs). A-t-on affaire à un événement, à la trace matérielle d’un événement, à une entité matérielle/concrète ou à autre chose encore ? Dans le cadre de notre approche, nous avons choisi de qualifier de trajet toute éventualité qui combine les deux concepts introduits dans la suite du texte (Aurnague, 2011a), que leur réalisation soit concomitante/simultanée ou consécutive : changement de relation locative élémentaire et changement d’emplacement. Selon cette optique, un trajet/path est donc un événement spatial dynamique d’un type particulier.
  • [5]
    Le terme déplacement est utilisé ici pour rendre le nom anglais motion, qui semble souvent ambigu, oscillant entre la désignation d’une dynamicité spatiale large ou indifférenciée (« movement ») – incluant les changements de posture (voir plus loin) – et la référence au véritable déplacement (« displacement »). Dans le cas d’espèce, c’est bien du déplacement que traitent Levinson et Wilkins. Le choix (inverse) de traduire fictive motion par mouvement fictif tient à l’ancrage de cette expression dans la communauté des linguistes francophones mais aussi et surtout à la présence, dans les descriptions (fictives) correspondantes, de nombreux verbes spatiaux dynamiques n’impliquant aucune sorte de déplacement. C’est un des objectifs essentiels de cet article que d’illustrer ce dernier point.
  • [6]
    Notons néanmoins que, chez Tesnière, le démarquage entre mouvement et déplacement n’est pas exactement le même que celui qui irriguera la littérature postérieure. Pour cet auteur, il s’agit avant tout de distinguer, au sein de la catégorie du déplacement au sens large (voir plus loin), les changements d’emplacement (incluant les verbes atéliques de manière de déplacement) et les déplacements au sens strict évoqués jusqu’ici. Ce faisant, Tesnière fut un précurseur car il pointa explicitement, à travers le français et l’allemand, la différence typologique entre langue à cadrage verbal (« verb-framed language ») et langue à cadrage satellitaire (« satellite-framed language ») popularisée plus tard par Talmy (1985, 2000).
  • [7]
    La relation niée puis affirmée sera donc être adossé à qui n’est pas une relation locative élémentaire, puisque non réductible à une adposition spatiale de la langue.
  • [8]
    La différence sémantique pointée par Boons se double d’un contraste syntaxique puisque le GP associé aux verbes de déplacement strict fonctionne en tant que complément du verbe alors que le GP combiné aux prédicats de manière de déplacement est, au moins dans une interprétation, un simple modifieur/adjoint du groupe verbal ou de la phrase.
  • [9]
    Les changements de relation locative pouvant n’être accompagnés d’aucune modification en termes d’emplacement sont principalement exprimés en français par les prépositions sur (support / contact : se poser, se percher, toucher, frôler), à dans son emploi de type « routine sociale » (s’installer / se mettre à (sa table de travail)), face à (se placer face à/se tourner vers (la fenêtre)) ainsi qu’à l’intérieur de et sous indiquant le passage de l’inclusion partielle à l’inclusion totale (s’immerger) ou l’inverse (émerger).
  • [10]
    Le contrôle et, plus généralement, les propriétés fonctionnelles mises en jeu par les deux dernières séries de verbes sont d’un type plus spécifique et contraint que les configurations exprimées par les prépositions spatiales du français. On peut être dans la boue sans être embourbé et des êtres animés disposés autour d’une personne ne la cernent pas nécessairement.
  • [11]
    Bien que nous continuions à parler de mouvement / déplacement pour l’ensemble du champ de l’espace dynamique, la notion minimale de mouvement peut, à elle seule, identifier la totalité du domaine (cf. infra) et/ou servir à distinguer la dynamicité spatiale sans déplacement du déplacement au sens large (Aurnague, 2012).
  • [12]
    La manière est ‘transversale’ aux macro-catégories et catégories de base et nous n’en parlerons pas ici (voir Stosic, 2009, 2019). Dans la macro-catégorie du déplacement au sens large, par exemple, elle intervient massivement au niveau des simples changements d’emplacement (déplacement faible) – comme il est régulièrement observé dans la littérature – mais, contrairement à ce qui est parfois soutenu, elle est aussi présente dans l’expression du déplacement strict (s’échapper, s’engouffrer, jaillir).
  • [13]
    Un repérage par le biais des adpositions n’est pas vraiment envisageable car peu de marqueurs adpositionnels du français ont un sémantisme locatif proprement dynamique. Ainsi, hormis les prépositions par et via, le français ne compte quasiment aucune préposition ou locution prépositionnelle dont le contenu inclurait un changement de relation et d’emplacement, c’est-à-dire un déplacement au sens strict.
  • [14]
    68 ouvrages de Frantext correspondent à l’empan de temps et aux genres textuels fixés. Il convient, toutefois, de noter que des ouvrages publiés dans cet intervalle de temps peuvent avoir été écrits à des périodes (bien) antérieures. Voir Cappelli (2013 : vol. 2, 402-403) pour une liste complète des ouvrages et de leurs caractéristiques.
  • [15]
    Les autres types de mouvement fictif que distingue Talmy (1996, 2000) – « émanation / orientation » (angl. emanation / orientation) notamment – sont peu ou pas apparus dans les attestations des verbes extraites de Frantext.
  • [16]
    Les tableaux et figures / graphiques utilisés pour l’analyse des résultats présentent systématiquement les données relatives aux descriptions de mouvement factuel avant celles ayant trait au mouvement fictif. Le mouvement factuel se voit ainsi assigné un rôle de repère par rapport auquel la nature des verbes présents dans les descriptions de mouvement fictif est évaluée. La raison de ce choix est que, du point de vue de leur forme, les descriptions de mouvement fictif appartiennent au domaine du mouvement / déplacement, leur plus ou moins grande dynamicité spatiale devant être appréhendée à travers les exemples qui impliquent par nature ces notions. Ajoutons que l’examen des différentes macro-catégories et catégories de base de verbes se fera, en général, des plus dynamiques vers les moins dynamiques.
  • [17]
    Les variations significatives entre mouvement factuel et mouvement fictif sont signalées par une étoile dans la colonne des différentiels.
  • [18]
    Considéré sous cet angle, le décalage entre la dynamicité intrinsèque des situations dénotées par les descriptions factuelles et la stativité de celles auxquelles réfèrent les descriptions fictives est plus fort pour les verbes de changement d’emplacement que pour les verbes de changement de disposition.
  • [19]
    Notre positionnement par rapport à l’existence d’un décalage entre la nature des marqueurs et constructions apparaissant dans les descriptions de mouvement fictif et celle des configurations identifiées par ces descriptions se veut assez équilibré en ce sens que nous cherchons à distinguer les degrés de dynamicité spatiale des verbes de mouvement / déplacement sans, pour autant, nier la dynamicité des prédicats les plus statiques du continuum mis en évidence à la section 1.1.2. Ainsi, nous refusons de considérer que des verbes de changement de disposition tels que s’étendre ou se dresser seraient de purs statifs (au même titre que être (localisé / situé), se trouver) au motif, par exemple, que leurs emplois peuvent être mis en parallèle de constructions factitives (Un chapiteau se dresse au milieu de la plaine vs. On a dressé un chapiteau au milieu de la plaine). Outre que ce type d’alternance n’est pas toujours possible (Un chêne se dresse au milieu de la plaine vs. ??On a dressé un chêne au milieu de la plaine), il est clair pour nous que les verbes concernés véhiculent une forme de dynamicité interne (mouvement) qui est totalement absente des véritables prédicats statifs (Le chêne est situé / se trouve au milieu de la plaine).
  • [20]
    Les sous-catégories représentant moins de 10 % des usages factuels et fictifs des verbes et dont la variation d’un type de description à l’autre est significative sont les changements de relation initiaux à partir d’une position (χ2(1) = 48.65, p = 3.058-12), les changements de relation initiaux étendus (χ2(1) = 5.055, p = 0.024) et les changements de relation basés sur la distance (χ2(1) = 11.05, p = 8.8-4).
  • [21]
    Ainsi, un parcours qui joindrait deux bords d’un site de forme parallélogramme dans un angle de ce dernier ne couvrirait pas une portion minimale/suffisante de la surface de ce site.
  • [22]
    Ces différences entre verbes de changement de relation initial ou final de type inclusion/contenance prennent place, bien sûr, dans l’asymétrie commentée plus loin entre prédicats spatiaux dynamiques de polarité initiale ou finale.
  • [23]
    La possibilité que le site identifié par le complément de la préposition dans occulte ou cache la cible est l’une des cinq propriétés listées dans Vandeloise (2001 : 239) comme constitutives de la relation « contenant/contenu ». L’accès à la perception (à travers l’occultation de la cible) intervient aussi dans la sémantique des prépositions derrière et sous (Vandeloise, 1986 : 145-158, 194).
  • [24]
    Sur les relations de partie à tout et diverses notions sémantiques proches, voir Winston et al. (1987) et Aurnague (2004). Hormis les paramètres aspectuels et épistémiques tout juste mentionnés (en lien avec la référence et la perception), l’interprétation de sortir obtenue dans [11] est aussi conditionnée par la notion de « rupture de configuration/structure » abordée dans la suite, avec sa double dimension géométrique et fonctionnelle.
  • [25]
    Néanmoins, ceci n’est pas propre aux énoncés de mouvement fictif mais au « mode de discours » (Smith, 2001, 2003) de la description auxquels ceux-ci renvoient la plupart du temps (Cappelli, 2013 : 149-177, 2019). Selon C. Smith, le mode descriptif se caractérise par un temps (anaphorique) stable ou suspendu – i.e. qui n’avance pas –, la seule progression étant alors attribuable au parcours spatial de la scène décrite.
  • [26]
    Noter que, comme sourdre et, dans une moindre mesure, déboucher, les emplois factuels de jaillir et surgir ont souvent tendance à placer un point de référence à l’extérieur de l’entité-site, point de référence depuis lequel est appréhendé le changement de relation initial de type inclusion/contenance (Cappelli, 2013 : 86-93). Cette contrainte déictique (fréquente mais facultative) n’est pas sans lien avec les situations évoquées plus haut où le locuteur/observateur fait face à un site duquel émerge une cible.
  • [27]
    Les changements de relation initiaux à partir d’une position présents dans notre corpus d’exemples de mouvement fictif font appel aux verbes partir (10 occurrences) et s’élancer (3 occurrences).
  • [28]
    Les exemples suivants de notre corpus illustrent les diverses interprétations et constructions distinguées : absence de changement de relation : Des choses légères d’été : sur le canapé, ce qui ressemble à un tee-shirt noir, une étoffe bariolée qui glisse le long du coussin […] (A. Ernaux et M. Marie, L’Usage de la photo, 2005) ; changement de relation initial : Les gens marchaient sur leur innocence, enivrés par le lourd parfum des lys et des roses qui dégringolaient des balcons […] (C. Bobin, Prisonnier au berceau, 2005) ; changement de relation final : Une exubérante glycine envahissait la façade, ses tentacules curieux rampaient dans l’ouverture de la fenêtre […] (M. Chaix, L’Eté du sureau, 2005) ; direction prospective : Le balcon se dirigeait vers la gauche, vers la salle de bains, une excroissance, une pièce rapportée collée à la maison […] (J. Roubaux, Parc sauvage, 2008) ; double changement de relation : Une longue cicatrice courait de haut en bas de la partie supérieure du membre […] (P. Forest, Tous les enfants sauf un, 2007).
  • [29]
    La correction consiste à réaffecter 7,33 % et 36 % des changements d’emplacement avec changement de relation possible aux changements de relation initiaux et finaux respectivement.
  • [30]
    La sémantique d’un même prédicat peut incorporer plusieurs des propriétés constitutives de la tendancialité et donc apparaître au titre de chacune de ces propriétés (cf. section 1.1.1 et infra). Le lecteur trouvera dans la note 28 ainsi que plus bas plusieurs exemples attestés de verbes tendanciels utilisés dans des énoncés de mouvement fictif (courir, dégringoler, descendre, se diriger, glisser, monter, ramper).
  • [31]
    Sans compter la « partomotion », c’est-à-dire les mouvements relatifs des diverses parties de la cible au cours de son déplacement.
  • [32]
    Dans le cas des descriptions de mouvement fictif, le verbe tendanciel frontal avancer est, par exemple, concurrencé par d’autres verbes de changement d’emplacement (non directionnels, avec changement de relation possible ou non : courir, glisser, ramper ; longer, parcourir, serpenter), par des verbes de changement de relation et d’emplacement (notamment les doubles changements de relation avec contraintes sur l’ensemble du déplacement : traverser ; cf. section 3.1.1) ou même par des prédicats de changement de disposition (se déployer, s’étaler, s’étendre ; cf. section 4).
  • [33]
    Le chat est monté (le long du poteau) entre la maison et le mur n’implique pas de changement de relation locative élémentaire par rapport au ‘double site’ introduit par les compléments de la préposition. De la même façon, les hêtres de [17] peuvent être positionnés dans l’espace que délimitent la maison et le mur sans que n’intervienne aucune modification des rapports spatiaux entre les arbres et l’environnement concerné (par exemple, support / contact avec la maison ou le mur, franchissement des frontières horizontales de la zone délimitée). Comme précédemment, c’est dans ce sens que nous parlons de présence ou d’absence de changement de relation dans des énoncés de mouvement fictif.
  • [34]
    À comparer avec La route / la rue / le sentier monte jusqu’à l’église, La route monte sur 300 mètres (puis elle est plate). Si les prédictions d’Emirkanian (2008) sont globalement confirmées par notre corpus d’énoncés de mouvement fictif, remarquons que monter peut ponctuellement décrire des cibles dotées d’une verticale intrinsèque (comme des arbres ou des végétaux) en présence d’un GP spatial qui ne dénote aucune mesure (voir également [17]) ou, parfois même, sans recours à aucun GP locatif : […] l’herbe monte, mouillée, contre la granulosité sable, salpêtre, calcaire du mur aveugle (H. Lucot, Frasques, 2001) ; Les premiers papillons, tulle incertain plus que des ombelles, volent sur la pelouse haute, et les lilas montent en gerbe chargée d’odeurs (M. Havet, Journal 1919-1924, 2005). Ajoutons qu’indépendamment du caractère plus ou moins obligatoire que peut revêtir, pour certains verbes, l’association à des GP locatifs (notamment de mesure), l’ancrage de l’entité-cible dans un environnement englobant favorise lui-même, très largement, ce type de construction.
  • [35]
    La catégorie de base des changements de disposition manifeste, en particulier, une certaine hétérogénéité au regard de l’Aktionsart ou aspect interne. Alors que les trois autres catégories de base de prédicats de mouvement / déplacement, mettant en jeu la notion de changement de relation (avec ou sans changement d’emplacement) ou uniquement celle de changement d’emplacement, regroupent uniformément des verbes téliques vs. atéliques, les changements de disposition font appel aux deux types de procès. Cette dualité peut parfois se faire jour pour différents emplois du même verbe (p. ex. dans le cas de tourner). À propos de l’articulation entre espace dynamique et aspect interne, voir Aurnague (2012).
  • [36]
    Outre les prédicats de changement de disposition (s’étaler, s’étendre), ce mécanisme d’innovation lexicale pourrait entre autres intervenir dans l’émergence d’acceptions « statiques » de verbes de simple changement de relation (frôler, mordre, toucher) ou de simple changement d’emplacement (s’élever, traîner).
  • [37]
    Grinevald (2006 : 33) place le tzeltal au niveau le plus avancé / complexe (type IV) de sa typologie des prédicats locatifs. Le serbe, évoqué plus bas, relève du type II.
  • [38]
    Ce point pourrait être approfondi en lien avec la notion de « compte rendu de perception » (Rabatel, 2003).

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