Notes
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[*]
Université de Tel-Aviv. Adresse : Kiryat Hauniversita Ramat-Aviv 69.978 (Israël). Courriel : Kupferma@post.tau.ac.il
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[1]
Un relecteur nous fait observer qu’une description psycholinguistique devrait retracer les étapes par lesquelles doit passer l’apprentissage des lectures des quantifieurs. On en convient aisément. Cependant, cette étude se situe en dehors du propos présent.
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[2]
Un relecteur fait observer qu’il accepte des données comme (i) : (i) Ida n’a pas aperçu quelques canards au bord du lac, mais seulement des oies. Ce relecteur présente par la suite la même sorte d’observations. On présume que des locuteurs qui partagent ces jugements scindent l’énoncé (i) en deux prédications, dont la relation est suffisamment distendue pour que l’opérateur négatif portant sur l’ensemble en jeu dans la première n’entre pas en contraste avec l’ensemble qui est en lice dans la seconde. Sans nul doute, tous les registres admettent (ii) où ce n’est pas l’état apercevoir SN qui est nié, mais seulement son application à l’ensemble, irréel donc, des canards, l’existence de la dénotation du deuxième SN objet étant au contraire assertée. En l’absence de ce dernier, la forme recevable est bien sûr : …de canards. À l’inverse, cette forme ne peut pas figurer dans (ii) : (ii) Ida n’a pas aperçu au bord du lac (*de + des) canards, mais seulement des oies. On ne poursuit pas plus loin sur ce terrain dont les contours excèdent le cadre de cette étude.
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[3]
Pour des constructions apparentées – les relatives prédicatives –, cf. Kayne (1977), Rothenberg (1979), Prebensen (1982), Kleiber (1988), Guasti (1988), Cecchetto (2011) et Muller (2011) ; sur les relatives extraposées elles-mêmes, cf. Kupferman (2016).
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[4]
Dans son exemple, Corblin (1997 : 16) applique certains à des étudiants fumeurs.
1 – Introduction
1Cette contribution veut passer en revue certaines propriétés du quantifieur certains pluriel. Il prend pour prétexte la thèse de Dobrovie-Sorin et Beyssade (2004 : 112 et suiv.), désormais DS&B, qui soutiennent que certains se limite à une lecture forte, caractérisée par « une contrastivité-partitive » (DS&B 2004 : 114). L’exemple produit à cet effet est (leur [2]) :
2qu’elles commentent ainsi : « on refuse de dire si la phrase est vraie avant de vérifier s’il y a des étudiants qui n’ont pas rendu leur copie ».
3On se propose de montrer que le quantifieur certains dispose aussi d’une lecture faible, et que la réponse à la question posée dans le titre du texte présent est négative. Pour ce faire, on rappelle d’abord l’organisation des lectures faible et forte des quantifieurs (section 2). Il s’agira ensuite de rappeler quatre propriétés des lectures fortes des quantifieurs et d’en présenter trois nouvelles (section 3), et on résume, de façon critique, la défense présentée par DS&B de l’exclusivité des lectures fortes sur certains (section 4). En appliquant les propriétés de forts/faibles définies pour les quantifieurs en général dans la section 3, on produit des arguments qui soutiennent l’existence d’une lecture faible de ce quantifieur (section 5). L’étude débouche sur une intégration des deux lectures de certains dans une taxinomie des quantifieurs dits « adjectivaux » (section 6).
2 – Lectures faibles et fortes : définitions
4La distinction des lectures faibles et fortes a derrière elle une histoire riche et bien charpentée, dont on trouvera d’excellentes introductions dans les études de Francis Corblin (2001), Georges Kleiber (1988), et bien sûr, DS&B (2004). Son exploitation dans le domaine linguistique trouve son point de départ dans Milsark (1977).
5On définira, pour le propos présent, les lectures faible et forte de la façon suivante : dans une séquence de type QNX, où Q désigne un élément de quantification (= un quantifieur), et N une tête nominale qui décrit un ensemble,
- Q a une lecture faible si l’ensemble {N} dénoté est notionnel;
- Q a une lecture forte si l’ensemble {N}est réel.
6Des variantes courantes de [2] stipulent, au lieu des définitions plutôt ensemblistes sur des mondes, des formulations faisant état d’assertion d’existence sur une entité – au lieu de [2a] – et de présupposition d’existence – pour [2b].
7Une séquence QNX de lecture faible peut contraster avec un SN dont le N-tête est différent du sien, et désigne alors ce N-tête comme dénotant un ensemble {N} notionnel [1] [2] :
8Une séquence QNX de lecture forte peut contraster avec un SN dénotant son complémentaire, et désignant alors ce SN quantifié comme dénotant un ensemble {N} réel :
3 – Propriétés
9Afin de vérifier la validité de la thèse de DS&B qui assigne à certains la seule lecture forte, on mentionne sept propriétés – dont quatre sont (abondamment) signalées dans la littérature – qui départagent les deux sortes de lecture des quantifieurs. Certains sera mesuré, dans la section 5, à l’aune de ces sept propriétés. Cette justification à un retour, partiel, à des descriptions connues se double de celle de l’avantage que procure l’éclairage de type ensembliste adopté ici.
3.1 – Sous un opérateur négatif
10Les quantifieurs sous un opérateur négatif ont une lecture forte. Cette propriété associée aux définitions [2] permet de faire les trois prédictions suivantes : 1) [5aii] est récusé parce que le quantifieur de lecture forte fait exclusivement appel à l’organisation interne d’un ensemble {canards}, lequel est mis en opposition avec un ensemble {oies} étranger; [5ai] fait simplement contraster deux ensembles différents. [5b] est accepté parce qu’il met en contraste un sous-ensemble quantifié fortement avec son complémentaire dans l’ensemble dénoté ; 3) la version assertive de [5c] est acceptée : les sous-ensembles sont quantifiés faiblement et peuvent être inclus dans un contraste entre des ensembles différents.
- contrairement aux oies, Max n’a pas aperçu (i. les + ii.*quelques) canards
- contrairement aux autres, Max n’a pas aperçu quelques canards
- contrairement aux oies, Max a bien aperçu plusieurs canards
11Dans [5b], contrairement aux autres = ‘contrairement aux autres canards’. La même sorte d’équivalence s’applique dans la suite du texte : à chaque occurrence, contrairement aux autres = ‘contrairement aux autres N’, où N = N-tête d’un argument du prédicat propositionnel.
12Les lectures fortes des quantifieurs post-verbaux de [5aii-b] scindent les ensembles entre un sous-ensemble qui se trouve dans la portée de l’opérateur négatif et le complémentaire qui échappe à cet opérateur. Dans [5aii], la mise en contraste d’un sous-ensemble interne à un ensemble et d’un ensemble qui lui est étranger est une tâche insurmontable. Par contre, le contraste entre le sous-ensemble et son complémentaire dans [5b] est naturel. Les sous-ensembles notionnels quantifiés de [5c] sont assortis d’une façon tout aussi naturelle, aucune scission d’un ensemble réel n’est mise en jeu.
13Ainsi, les propriétés définitoires ensemblistes [2] permettent de prédire les compatibilités des lectures, fortes et faibles, des quantifieurs avec la portée des opérateurs négatifs dans laquelle ils se trouvent.
14Le rappel, réorienté sur un axe ensembliste, de la propriété classique 3.1 qui délimite entre elles les deux sortes de lecture prépare le terrain à son application à notre élément certains. Les sections 3.2-3.7 qui suivent se soumettent à la même procédure et obéissent à la même légitimité.
3.2 – Prédicats de niveau de phase et de niveau d’individu
15Les prédicats de niveau d’individu ne sont attribués qu’à des sujets à quantification forte. Seuls les prédicats de niveau de phase peuvent être assignés à des arguments quantifiés faiblement.
- *contrairement à plusieurs fauvettes de cette cage, quelques mésanges sont beiges
- contrairement aux autres, quelques mésanges sont beiges
- contrairement à plusieurs fauvettes, quelques mésanges sont sur les fils du poteau
16Les prédicats de [6] décrivent des propriétés, seules sont admises les lectures fortes ; c’est précisément un axe important de Milsark (1977). Cette situation peut se comprendre ainsi : les propriétés, parce qu’elles dénotent des états permanents, n’assignent pas de coordonnées spatio-temporelles aux ensembles auxquels elles sont attribuées, de sorte que seules les quantifications fortes passent par le tamis. En revanche, les axes du temps et de l’espace projetés par les prédicats transitoires permettent d’introduire dans un monde des entités dénotées par des SN à quantifieurs faibles. Les lectures fortes des quantifieurs appliquent les sous-ensembles dénotés à des ensembles réels. Ces derniers sont dénotés indépendamment du contenu de la proposition où ils figurent. On induit de ces constatations les propriétés suivantes, reliées aux définitions [2], des deux types de quantification :
- si, dans une séquence QNX, Q est faible, sa fonction est de projeter un sous-ensemble de son ensemble notionnel {N} sur le monde réel. En conséquence, car ce n’est qu’une conséquence, il installe l’existence de ce sous-ensemble dans ce monde.
- si, dans une séquence QNX, Q est fort, son rôle est de repérer un sous-ensemble dans un ensemble {N} du monde réel. En conséquence, le sous-ensemble est le résultat d’une partition d’un ensemble dont l’appartenance au monde réel est établie indépendamment du contenu de la proposition.
3.3 – Les constructions existentielles
17Depuis Milsark (1977), on relève que les constructions existentielles en il y a sont un réactif qui permet de départager les lectures fortes et faibles des quantifieurs. Milsark (1977) assimilait les propriétés des lectures fortes à celles des SN dits quantificationnels : chaque N, tous les N, la plupart des N, etc. Ces deux catégories sont exclues dans les positions post-verbales des constructions existentielles :
il y avait (quelques + plusieurs + divers) magasins d’ouverts
18Les SN en Q de NX, de lecture partitive, sont aussi refusés dans ces environnements :
- dans ma petite rue il y a (quelques + plusieurs) magasins
- *dans ma petite rue il y a (quelques-uns + plusieurs) des magasins cf. (quelques-uns + plusieurs) des magasins sont dans ma petite rue
19Les formes à lecture forte des quantifieurs sont des constructions jumelles à ces constructions explicitement partitives. Elles ont en commun de repérer, dans des ensembles introduits dans le monde indépendamment, des parties, des sous-ensembles quelconques qui suffisent à satisfaire le prédicat de leur proposition. Les lectures fortes de Q dans les séquences QNX présentent ainsi des interprétations partitives implicites face aux lectures partitives explicites en Q de NX.
20Dans ce cas, [10] est aussi refusé :
- *contrairement aux autres, il y avait bien (plusieurs + divers) magasins d’ouverts
- contrairement aux cafés, il y avait bien (plusieurs + divers) magasins d’ouverts
21La convergence des lectures faibles des quantifieurs et des constructions existentielles s’explique par la fonction [7a] des premières : elles ont pour tâche commune de disposer un sous-ensemble dans un ensemble notionnel. Les constructions existentielles ont pour rôle d’offrir un appui prédicatif à ce rôle des SN quantifiés.
22Ces constatations rejoignent celles qui dérivent de la propriété [7b]. Les lectures fortes renvoient nécessairement, par le biais des sous-ensembles, à des ensembles pré-établis dans le monde réel, lequel est incompatible avec l’assertion faite par les prédicats existentiels. Les lectures faibles, par contre, ayant pour rôle d’introduire des sous-ensembles d’ensembles notionnels, ne renvoient pas au monde réel, s’arrangent tout à fait des assertions d’existence véhiculées par les prédicats existentiels.
3.4 – Constructions à sujet non thématique
23La syntaxe connaît un ensemble de prédicats qui peuvent éventuellement se construire avec des sujets non-thématiques (ou: non argumentaux). Les quantifications qui entrent dans les positions objets (et argumentales) de ces constructions sont nécessairement de lecture faible (= la contrainte d’indéfini de Milsark 1977, appelée dans des études ultérieures « effet d’indéfini »).
24La position post-verbale des arguments des prédicats de ce type a pour fonction d’installer un sous-ensemble dans le monde. Un tel sous-ensemble appartient à un ensemble notionnel, non réel a priori. Les lectures fortes, en présupposant des ensembles réels de NX dérogent indument à cette fonction, et requièrent que la proposition soit exclue.
3.5 – Détachement à droite de positions objets quantifiées
25Le détachement à droite, à partir de positions objets quantifiées, produit des séquences en de NX. En ce cas, les quantifieurs sont faibles. Les quantifieurs forts explicites dérivent, quant à eux, des séquences en de Dét NX.
- *contrairement aux autres, Max en avait quand même pris plusieurs, de prunes
- *contrairement aux autres, Ida en a bien choisi quelques-uns, de chemisiers bleus
- *contrairement aux autres, la machine a pu en produire plusieurs, de pièces de rechange
26Cf. lecture forte de Ida en a choisi quelques-uns, de vos chemisiers, mais pas tous, et faible de Ida en a bien choisi quelques-uns, de chemisiers bleus, (mais pas des T-shirts verts). Ici encore, les contrastes s’établissent, pour la quantification forte, entre sous-ensemble et complémentaire dans l’ensemble, et, pour la quantification faible, entre sous-ensembles d’ensembles différents.
3.6 – Les constructions à relative extraposée
27Ces constructions présentent une séquence de deux événements successifs et corrélés. Cette corrélation se trouve reflétée par la succession des deux propositions ; les deux événements se partagent une même entité, la seconde occurrence prenant la forme d’une tête relative reliant les deux propositions : un chat a bondi, qui se préparait visiblement à attaquer. L’entité commune apparaissant sous l’état de deux arguments identiques par leurs dénotations et se voyant attribuer les deux prédicats d’événement, ces occurrences sont toutes deux en position sujet, le relateur prenant la forme qui: *un chat a bondi dont Max a eu peur. Le premier prédicat, qui déclenche la corrélation des deux événements, est de façon privilégiée une survenance : *un chat était roux, qui se préparait visiblement à attaquer. De la sorte, le premier prédicat installe son argument dans le monde, bref procède à l’assertion de son existence : *le chat a bondi qui se préparait visiblement à attaquer [3]. Aussi, la quantification du premier argument ne peut pas engager un ensemble préalablement vérifié, et il ne peut avoir qu’une lecture faible : *quelques-uns de ses chats ont bondi qui se préparaient visiblement à attaquer.
28[13a] présente un SN quantifié relié à une relative extraposée et dénotant un sous-ensemble d’un ensemble qui contraste légitimement avec un ensemble différent d’entités. Toujours face à une relative extraposée, le sous-ensemble dénoté par le SN quantifié de [13b] contraste avec le complémentaire de ce sous-ensemble. [13b] est ainsi récusé, en raison de la lecture nécessairement faible de la quantification du SN. [13c], avec sa relative adjointe, témoigne que c’est bien l’extraposition d’une relative qui départage les lectures faible et forte d’une quantification, ici la lecture forte n’oppose aucune difficulté.
- contrairement aux chiens d’Ida, plusieurs chats ont accouru, qui ont réclamé leur potée
- *contrairement aux autres, plusieurs chats ont accouru, qui ont réclamé leur potée
- contrairement aux autres, plusieurs chats qui ont accouru ont réclamé leur potée
3.7 – Extrapositions de génitifs
29Les génitifs peuvent figurer en position extraposée. Dans cet environnement, un SN quantifié a une lecture faible. Cette propriété conjuguée aux définitions [2] permet de prédire [14] où un sous-ensemble dénoté par le SN partitionne un ensemble qui contraste avec un ensemble étranger. Elle prédit aussi [15a] où le sous-ensemble dénoté par le SN ne peut pas contraster avec un complémentaire recherché. En revanche, [15b], qui n’affiche pas de génitif in situ, autorise la quantification forte du sujet.
- *contrairement aux autres, quelques tours ont été faits hier du lac Majeur
- contrairement aux autres, quelques tours du lac Majeur ont été faits hier
3.8 – À propos de ces sept réactifs
30Il s’est agi dans cette section 3 de présenter une argumentation générale qui pourra être appliquée au cas de certains. Les sept réactifs produits justifient, séparément et ensemble, la distinction qui est opérée en termes ensemblistes des lectures faible et forte pour un même SN quantifié. Ces réactifs sur la classe des quantifieurs sont autant de propriétés qui ont donc une valeur indépendante des quantifieurs particuliers. Les quantifieurs choisis pour illustrer les démonstrations ont été quelques et plusieurs.
4 – La thèse de Dobrovie-Sorin et Beyssade (2000)
31La thèse de DS&B concernant certains trouve son origine dans les études de Francis Corblin (1997 et 2001). Corblin lui-même semble hésiter, dans un premier temps, à donner l’exclusivité de ce qui est étiqueté ici « lecture forte » – chez lui « proportionnelle » – à la dénotation de notre quantifieur, au détriment de la lecture faible, dans ses termes un « cardinal ». Citons-le : « certains paraît lui aussi appartenir à l’une ou à l’autre classe » (Corblin, 1997 : 16). Plus bas (Corblin, 1997 : 23), il le range définitivement parmi les « proportionnels ».
32L’exemple-type choisi par DS&B pour montrer que certains est un quantifieur spécial, auquel est associé un sens exclusif de partitivité contrastive, impose en fait l’existence d’une situation particulière qui force cette lecture, et ne peut pas prétendre à une valeur générale :
(DS&B : 114, ex. 2)
33Cette proposition, on en convient facilement, peut être suivie d’une séquence qui recouvre en le récusant le complémentaire du sous-ensemble:
34Une situation qui autorise [17] privilégie cette interprétation. Sa lecture spontanée se décrit comme une scène qui représente une salle d’examen, où l’ensemble d’individus examinés est établi indépendamment du contenu de la proposition, et, on peut conjecturer, préalablement à l’énoncé. Certains s’applique à un sous-ensemble d’individus de cet ensemble inféré, un ensemble réel. Sa lecture départage le nombre des individus auquel s’applique le prédicat ‘rendre leur copie’ de la proposition [16] et celui auquel il ne s’applique pas, précisément le complémentaire figurant dans [17]. Sa lecture est donc forte [4].
35On le concède aisément : toute proposition, à propos de laquelle la situation peut imposer à la dénotation d’une séquence QNX une présupposition d’existence sur un ensemble {N} réel, donnera, en vertu de la définition [2b] et pour Q = certains, le même résultat.
36Ce qui est vrai de certains l’est tout autant pour d’autres quantifieurs. Un environnement qui déclenche l’apparition d’un ensemble (réel) force en premier lieu une lecture partitive.
- plusieurs vitres de la fenêtre ont été réparées (mais pas les murs)
- quelques pages sont déchirées (mais pas la lettre d’envoi)
- plusieurs fans ont pu s’approcher de leur idole (mais pas les parents)
- quelques candidats ont reçu leur maillot (mais pas les spectateurs)
37On peut noter aussi que des N ne susciterait pas le même effet, et renvoie prioritairement à une lecture faible :
5 – Certains a bien une lecture faible également
38Les propriétés 3.1-3.7 ont discriminé les lectures faibles et fortes en général. La section 4 a montré que l’argumentation qui voulait assigner au quantifieur certains la seule lecture forte se fondait sur des situations trop particulières pour avoir une valeur générale. Il reste à présent à appliquer les propriétés de 3 au quantifieur étudié pour faire ressortir son emploi faible. On énumère ci-dessous les propriétés qui ont été mises en évidence.
5.1 – Certains dans la portée d’un opérateur négatif
- contrairement (i. à plusieurs oies + ii. aux autres), Ida a bien vu certains canards
- contrairement (i. *à plusieurs oies + ii. aux autres), Ida n’a pas vu certains canards
39La forme [21ai] sélectionne une lecture faible, qui est refusée dans sa version négative (21bi). Seule la lecture forte de [21bii] est alors admise.
5.2 – Prédicats de niveau de phase et de niveau d’individu
- contrairement à quelques routes, certains chemins sont boueux
- contrairement (*à plusieurs routes + aux autres), certains chemins sont étroits
40Les distinctions qui s’opèrent dans les exemples de [22] sont d’un abord délicat : elles ne tiennent qu’à une différence entre deux « petits » adjectifs. Boueux est un prédicat de niveau de phase (ou d’état transitoire), et étroit un prédicat de niveau d’individu (ou de propriété virtuellement permanente). Le contraste entre les deux domaines notionnels chemins et routes déclenche une lecture faible des quantifieurs. Seul l’exemple [22a], avec le prédicat de niveau de phase et, pour son argument, la version faible de certains, est autorisé.
5.3 – Constructions existentielles
41La construction existentielle de [23] ne laisse passer que la lecture faible du quantifieur, la mise en contraste avec le sous-ensemble complémentaire est illicite ; par contre, le contraste avec le domaine cafés ne suscite pas de difficulté.
5.4 – Constructions à sujet non thématique
42Ici, l’opposition des domaines {poirier} et {pommier} entraîne pour le premier, en position d’argument et quantifié par certains, une lecture faible. Elle seule est acceptée.
5.5 – Détachement à droite de positions objets quantifiées
- contrairement aux (pêches + *autres), Max en avait bien pris certaines, de prunes
- contrairement aux (*pêches + autres), Max en avait bien pris certaines, de ces prunes
43Le contraste du sous-ensemble prunes de [25a] avec l’ensemble {pêches}, révélé par le détachement à droite en de N attache à ce dernier une facture notionnelle {N} et à certains une interprétation faible, laquelle exclut à son tour un contraste avec le complémentaire. En revanche, dans [25b], le détachement par de Dét N d’une lecture partitive, forte, de certains, permet de légitimer un contraste du sous-ensemble décrit avec le complémentaire.
5.6 – Constructions à relative extraposée
- contrairement aux (chiens + *autres), certains chats ont bondi, qui s’apprêtaient à attaquer
- contrairement aux (chiens + autres), certains chats, qui ont bondi, s’apprêtaient à attaquer
44La section 3.6 a montré que l’extraposition d’une relative à partir d’un sujet quantifié ne retenait pour celui-ci qu’une lecture faible. Ce même résultat se retrouve avec certains, qui récuse pour {N} un ensemble réel, au profit de l’assignation d’un domaine exclusivement notionnel. De là le contraste accepté de chats avec chiens et non avec le complémentaire. La relative adjointe de [26b] n’impose pas cette lecture faible à certains, et, avec les deux lectures du quantifieur, les deux sortes de contraste sont admises.
5.7 – Extraposition de génitifs
- contrairement (à ceux de la semaine dernière + *aux autres), certains numéros apparaissaient déjà des nouveaux billets gagnants
- contrairement (à ceux de la semaine dernière + aux autres), certains numéros des nouveaux billets gagnants apparaissaient déjà
45La section 3.7 a établi que l’extraposition de relatives à partir de SN quantifiés sélectionnait pour ces derniers une lecture faible. [27a] montre que cela vaut tout autant pour des SN en certains. L’absence d’extraposition de génitif, [27b], installe certains, dans la normalité des deux lectures disponibles : forte autant que faible.
5.8 – Sept propriétés de certains en lecture faible
46Ces sept constructions intègrent certains en lui reconnaissant une lecture faible au côté de sa lecture forte. Elles concourent ensemble à l’établissement d’un modèle qui assure que notre élément ne fait pas défaut à cette caractérisation générale des quantifieurs.
6 – Intégration de certains au domaine des quantifieurs
47La disponibilité d’une lecture faible au côté de la lecture forte de certains permet à ce dernier de s’inscrire sans heurt dans un carré des quantifieurs qui s’inspire des descriptions de Gondret (1976). On représente le quadruplet {plusieurs + quelques + certains + (différents + divers)} sur deux axes, vertical et horizontal. Sur l’axe vertical de gauche du carré figure le duplet {plusieurs, quelques} dont la propriété est <cumulatif>. Sur l’axe vertical de droite apparaît le duplet {(divers + différents) + certains} doté du trait <distinctif>. La propriété des premiers, qui sont désignés comme <cumulatif>, repère des sous-ensembles par une accumulation, dans leur sous-ensemble, des entités qui les constituent. Une application extrême de cette propriété définitoire de l’axe gauche du carré est celle, notée par Gondret, des unités de mesure : (plusieurs + quelques + *différents + *certains) kilomètres.
48Par ailleurs, les éléments siglés ici <cumulatif> peuvent satisfaire un argument interne du prédicat dénombrer :
49Face à cet axe gauche, l’axe vertical de droite du carré représente le duplet <distinctif> de {différents + certains}. Ainsi, dans [29], le SN apporte une information insuffisante pouvant justifier les quantifieurs, mais le modifieur ajouté en [30] améliore l’acceptabilité :
50Le SN objet de [30] distingue l’ensemble installé {table} de tout autre ensemble {table} dans tous les mondes possibles, en ce qu’il porte, par exemple, la propriété de plastique.
51L’axe horizontal inférieur recouvre le duplet {quelques + certains} marqué de la propriété <compactant> (cf. Kupferman, 2012), l’axe horizontal supérieur a la propriété <discrétisant> (ibid.). En plus des données livrées par Attal (1976), Gondret (1976), Bosveld-de Smet (1994, 2000), Van de Velde (2000) et Corblin (2001), on observe aussi les propriétés suivantes :
- avec les pluralia tantum :
- avec le modifieur identique :
- avec l’adverbe à la fois :
- dans un régime de entre :
55Le schéma carré de [35] matérialise l’organisation des quatre quantifieurs selon les deux propriétés que s’assigne chacun d’eux. On isole ces quatre quantifieurs, qui se singularisent face à ceux qui, adverbes (type : beaucoup) et nominaux (type : des masses), s’appliquent à des NX par la médiation de de : leur application à NX est précisément directe. Van de Velde (2000) développe une thèse qui les définit comme des adjectifs.
<cumulatif> | <distinctif> | |
<discrétisant> | plusieurs | différents/divers |
<compactant> | quelques | certains |
56Le quantifieur certains est ainsi investi, en plus de son étiquette catégorielle Q, de deux propriétés définitoires : <compactant> et <distinctif>. Distinctif d’un sous-ensemble dans un ensemble notionnel, il est de lecture faible ; distinctif d’un sous-ensemble dans un ensemble réel, il est de lecture forte.
7 – Conclusions
57Les définitions [2a] et [2b] de la section 2 combinées aux propriétés 3.1-3.7 de la section 3 ont été appliquées, dans la section 5, au quantifieur certains pluriel, et ont abouti à cette généralisation : certains dispose, face à sa version forte, de la possibilité d’une lecture faible.
58Ces définitions et les applications de ces propriétés peuvent se résumer ainsi :
- Si, dans une séquence QNX, où Q = certains pluriel, et où N représente un ensemble notionnel {N} d’entités, la dite séquence a alors pour rôle de vérifier l’installation par le prédicat d’un sous-ensemble de {N} dans un monde, et certains doit être classé comme un quantifieur faible, au côté de l’article quantifié des et autres.
- Si, dans une séquence QNX, où Q = certains pluriel, N représente un ensemble {N} réel d’entités, la dite séquence a alors pour rôle de vérifier l’installation par le prédicat propositionnel d’un sous-ensemble de {N} dans le monde, et certains doit être classé comme un quantifieur fort, au côté de la plupart et autres.
59Cette contribution s’est ordonnée sur deux volets complémentaires. Elle a montré dans sa section 4 que la thèse de DS&B cantonnant le quantifieur certains à un cadre strict de lecture forte était illustrée par un exemple trop particulier pour pouvoir prétendre accéder à la nature véritable du quantifieur certains. Puis, la section 5, reliée à la section 3 qui a exposé sept réactifs – en fait de propriétés – qui dégagent des lectures faibles des quantifieurs, a fait apparaître pour certains, par l’application de ces mêmes réactifs, l’existence de lectures faibles.
60Pourtant et enfin, Sobrovie-Sorin et Beyssade (2004) représente une analyse fréquente (cf. les études de Francis Corblin cités dans la section 2) qui réduit certains à une lecture forte exclusive, et cette tendance doit nous interpeller : quelles peuvent être les raisons de cette propension ?
61Une réponse à cette dernière question peut faire appel aux modalités externes du repérage du sous-ensemble sur son ensemble. On peut conjecturer que les traits <compactant> et <distinctif> appliqués à NX semblent orienter la lecture dans des directions contraires : un compactage mais néanmoins distinctif ? Dans un ensemble notionnel ? La combinaison des deux propriétés est alors analysée comme tendant toujours à circonscrire une lecture de {N} dans le monde réel, c’est-à-dire à inscrire le sous-ensemble comme une partie d’un ensemble présent dans la situation de l’énonciation. En fait, dans les deux lectures de certains, le compactage s’opère en interne, entre les éléments du sous-ensemble circonscrit ; la distinction se réalise en externe, entre le sous-ensemble décrit et le restant de l’ensemble.
62La prise en charge notionnelle de l’ensemble {N} requiert un degré d’abstraction plus élevé qu’une prise en compte dans le monde réel. La distinction entre ensemble notionnel et ensemble réel, sur des propriétés pouvant sembler contraires dans le cas de certains, est alors abolie au profit du dernier. On espère que l’étude présentée ici aura permis de rétablir le premier dans ses droits.
Bibliographie
Références bibliographiques
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- Guasti M.-T., 1988, La pseudo-relative et les phénomènes d’accord, Université de Genève, ms, 57 p.
- Gondret P., 1976, « Quelques, plusieurs, certains, divers : une étude sémantique », Le français moderne, 44, p. 143-152.
- Kayne R.S., 1977, Syntaxe du français. Le cycle transformationnel du français. Paris, Seuil.
- Kleiber G., 1988, « Sur les relatives du type je le vois qui arrive », Travaux de Linguistique, 17, p. 99-115.
- Kupferman L., 2012, « Repérages compacts et discrets dans les ensembles », Langue française, 77, p. 77-93.
- Kupferman L., 2016, « Les déterminants d’arguments matrices face aux relatives extraposées », CMLF 2016. Publié en ligne : http://www.shs-conferences.org/articles/shsconf/pdf/2016/05/shsconf_cmlf2016_12012.pdf
- Milsark G., 1977, « Towards an explanation of certain particularities of existential sentences in English », Linguistic Analysis, 3, p. 1-30.
- Muller C., 2011, « Les interprétations sémantiques de la prédication seconde intégrée : les relatives prédicatives », Langue française, 171, p. 101-116.
- Prebensen H., 1982, « Les propositions relatives dites ‘attributives’ », Revue romane, 17, p. 98-117.
- Rothenberg M., 1979, « La proposition relative prédicative et attributive. Problème de linguistique française », Bulletin de la Société de linguistique de Paris, 74, p. 351-395.
- van de Velde D., 2000, « Les indéfinis comme adjectifs », in Bosveld L., van Peteghem M. et van de Velde D., De l’indétermination à la qualification : les indéfinis, Arras, Artois Presses Université, p. 203-272.
Notes
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[*]
Université de Tel-Aviv. Adresse : Kiryat Hauniversita Ramat-Aviv 69.978 (Israël). Courriel : Kupferma@post.tau.ac.il
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[1]
Un relecteur nous fait observer qu’une description psycholinguistique devrait retracer les étapes par lesquelles doit passer l’apprentissage des lectures des quantifieurs. On en convient aisément. Cependant, cette étude se situe en dehors du propos présent.
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[2]
Un relecteur fait observer qu’il accepte des données comme (i) : (i) Ida n’a pas aperçu quelques canards au bord du lac, mais seulement des oies. Ce relecteur présente par la suite la même sorte d’observations. On présume que des locuteurs qui partagent ces jugements scindent l’énoncé (i) en deux prédications, dont la relation est suffisamment distendue pour que l’opérateur négatif portant sur l’ensemble en jeu dans la première n’entre pas en contraste avec l’ensemble qui est en lice dans la seconde. Sans nul doute, tous les registres admettent (ii) où ce n’est pas l’état apercevoir SN qui est nié, mais seulement son application à l’ensemble, irréel donc, des canards, l’existence de la dénotation du deuxième SN objet étant au contraire assertée. En l’absence de ce dernier, la forme recevable est bien sûr : …de canards. À l’inverse, cette forme ne peut pas figurer dans (ii) : (ii) Ida n’a pas aperçu au bord du lac (*de + des) canards, mais seulement des oies. On ne poursuit pas plus loin sur ce terrain dont les contours excèdent le cadre de cette étude.
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[3]
Pour des constructions apparentées – les relatives prédicatives –, cf. Kayne (1977), Rothenberg (1979), Prebensen (1982), Kleiber (1988), Guasti (1988), Cecchetto (2011) et Muller (2011) ; sur les relatives extraposées elles-mêmes, cf. Kupferman (2016).
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[4]
Dans son exemple, Corblin (1997 : 16) applique certains à des étudiants fumeurs.