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Article de revue

Lorsque l’opposition massif / comptable rencontre les noms superordonnés

Pages 11 à 34

Notes

  • [*]
    Université de Strasbourg & Scolia & USIAS.
  • [1]
    Un grand merci aux deux relecteurs anonymes dont les remarques pertinentes ont permis d’améliorer ce travail.
  • [2]
    On citera pour le français tout spécialement les monographies de Van de Velde (1995), Flaux et Van de Velde (2000), Nicolas (2002), Asnes (2004) et l’ouvrage collectif de David et Kleiber (1989). Nous avons abordé à plusieurs reprises ce problème avec, à chaque fois – nous ne le cachons pas – un grand plaisir (1981, 1994a, 1997, 1998a, b, 2001, 2003, 2005, 2006, 2013 et 2014a, b).
  • [3]
    Précisons que, dans tout le texte, nous utilisons le terme d’occurrence (de X), non pas pour renvoyer à l’emploi effectif d’une unité linguistique X (phonème, graphème, morphème, mot, etc.), emploi qui est le sens le plus courant d’occurrence, mais pour renvoyer aux instances, individus, membres ou encore exemplaires que subsume le concept dénommé par X ou qui appartiennent à la catégorie dénommée par X. En parlant, par exemple, de « la forme des occurrences des noms superordonnés », nous visons, non la forme des noms superordonnés, mais bien celle des instances ou exemplaires dénommés par ces noms.
  • [4]
    Appelés noms sommitaux par le groupe Sconominalia de l’équipe Scolia de Strasbourg, parce que cette classe de noms regroupe des noms de différents types qui soit occupent le sommet des hiérarchies, soit présentent une généralité et une abstractivité fonctionnelles très grandes.
  • [5]
    Et donc également dans quelles conditions on peut avoir l’inverse, c’est-à-dire le comptable un riz et le massif de la pomme.
  • [6]
    Il y a cependant des différences qui sont dues au niveau d’abstraction différent. Avec manger, par exemple, on a plus facilement manger de la pomme que ( ?) manger du fruit.
  • [7]
    Ce point est développé dans Kleiber (2011a, 2013, à paraître a et b).
  • [8]
    On rappellera qu’en emploi générique, c’est l’interprétation taxinomique qui prévaut pour les noms superordonnés, alors que, pour les noms de base, c’est plutôt l’interprétation d’occurrences (Kleiber 1994b, c).
  • [9]
    Ce n’est pas le seul mode de transfert massif – comptable. Il y a également le passage du massif au comptable par ce que Galmiche (1987 et 1989) a appelé le conditionneur, qui a pour effet de mettre le massif en unités de conditionnement (cf. de la bièrej’ai bu une bière).
  • [10]
    Voir pour plus de détails, Rosch et alii (1976), Wierzbicka (1985a), Kleiber (1990, 1994b, c) et Theissen (1997).
  • [11]
    [23] nécessite des éléments facilitateurs supplémentaires (cf. un pommiculteur dira plus facilement [23] qu’un locuteur lambda).
  • [12]
    Pour d’autres caractéristiques du niveau superordonné, voir Rosch et alii (1976) et Kleiber (1990, 1994b, c) et pour une application discursive (Theissen, 1997).
  • [13]
    Voir Langacker (1991), Jackendoff (1991), Van de Velde (1995), Kleiber (1994a, 1997, 1998a, b, 2011a, 2013, à paraître a et b) et Flaux et Van de Velde (2000). Le débat n’est toutefois pas clos, comme le montrent les critiques de Nicolas (2002 : 65-66), qui refuse la solution en termes de bornage intrinsèque pour les noms comptables.
  • [14]
    Pour la définition et délimitation des occurrences, voir Kleiber (2011a, 2013).
  • [15]
    Pour plus de détails sur la notion de situation d’occurrence, voir Kleiber (2011a, c et 2013).
  • [16]
    Autrement dit, qui, d’un point de vue sémantique, est destinée à avoir des catégories. Il en va donc différemment des catégories basiques et subordonnées : elles ne sont pas conçues comme rassemblant des sous-catégories hétérogènes et peuvent exister sans sous-catégories.
  • [17]
    Pour une vue plus complète du débat, voir Lammert (2010 : 177-193).
  • [18]
    Wierzbicka (1985a, b) les exclut de la relation taxinomique hypo/hyperonymie alors que Joosten (2006) reconnaît à ces noms qu’il appelle agrégats un statut intermédiaire entre la relation ‘partie de’ et la relation Hiérarchie-être.
  • [19]
    Un de nos relecteurs nous a fait remarquer qu’en allemand et néerlandais, le nom Obst, qui correspond à fruit est massif, ce qui contredit donc la règle d’héritage postulée. Cela vaut aussi pour notre dialecte, l’alsacien. Mais, à côté d’Obst, existe le superordonné comptable Frucht (fruit) /Früchte (fruits), qui hérite bien sa comptabilité de celle de ses hyponymes. Est-on alors dans le même cas que mobilier / des meubles ? Nous laissons la question ouverte.
  • [20]
    On notera que lorsque ces noms basiques comptables ont un correspondant massif (cf. du raisin à côté de un raisin) ou s’il s’agit de pluriels dits massifs (cf. des épinards), on ne peut plus compter ni les occurrences, ni les types à l’aide du seul nom superordonné. Ainsi l’addition de deux pommes et du raisin ne peut s’exprimer par trois fruits (dans le sens de trois occurrences de fruits), puisque du raisin n’indique rien sur le nombre de raisins. Mais pas non plus par deux fruits, dans le sens de deux types de fruits. Il faut recourir dans ce cas à la tournure explicite deux types de fruits.
  • [21]
    Avec Irène Tamba nous avons montré en 1990 que l’inclusion « sémantique » généralement mise en avant pour définir la relation d’hypo/hyperonymie n’était pas valide et que c’était au contraire une inclusion de classes ou de catégories qui s’avérait décisive pour saisir la relation sémantique entre l’hyperonyme et les hyponymes (Kleiber et Tamba, 1990).
  • [22]
    On peut avoir du sentiment (cf. Il a du sentiment pour elle), mais, dans ce cas, sentiment n’a pas son emploi de superordonné qui coiffe tous les sentiments, mais correspond à un type de sentiment (Il a du sentiment pour elle = ‘il l’aime’).
  • [23]
    Un peu de couleur/de sentiment sont possibles, mais avec un sens restreint (de niveau basique), couleur renvoyant alors aux couleurs opposées au noir / gris et sentiment ayant le sens signalé dans la note précédente.
  • [24]
    Cf. la fabrication et vente d’unités de pain.
  • [25]
    Pour une réponse à cette question, voir notre analyse des noms de couleurs (Kleiber, 2009, 2010 et 2011d).

1 – Introduction [1]

1L’opposition noms comptables / noms massifs donne-t-elle encore du grain à moudre au linguiste ? Il semble bien que linguistes [2] et philosophes aient fait le tour de la question, de telle sorte qu’il peut paraître un peu présomptueux de vouloir rouvrir le dossier. L’affaire est toutefois possible à condition d’emprunter des voies un peu inhabituelles. En sémantique, plus que dans d’autres domaines de la linguistique, les routes secondaires, peu fréquentées, sont souvent plus attrayantes que les autoroutes surchargées où bouchonnent théoriciens à grosse cylindrée abstractive et analystes pressés. Nous nous proposons donc d’emprunter une de ces petites routes méconnues qui serpentent à travers la touffue sémantique nominale du massif / comptable.

2Le chemin que nous allons suivre est celui où l’opposition massif / comptable rencontre, non pas les noms que la sémantique du prototype a appelés noms de base et noms subordonnés, mais les hyperonymes qui subsument les basiques, à savoir les noms dits superordonnés. Nous essaierons en effet, dans le prolongement des travaux récents consacrés à la notion d’occurrence (Kleiber, 2011 a, b et c, 2013 et à paraître a et b), de voir comment l’opposition massif / comptable s’applique aux noms superordonnés.

3Nous n’analyserons pas les noms superordonnés en bloc, mais les répartirons en deux classes, ceux qui subsument des noms de base intrinsèquement comptables et ceux qui chapeautent des noms de base intrinsèquement massifs. On précisera que, par intrinsèquement comptable et intrinsèquement non comptable, nous entendons signifier que la propriété d’être massif ou comptable est un trait sémantique inhérent du nom – en somme est une propriété sémantique inscrite au niveau lexical déjà – et n’est pas le résultat d’un transfert (ou coercition, recatégorisation ou encore réification), comme dans le passage, par exemple, du comptable un œuf à de l’œuf (dans il y a de l’œuf par terre). Cette position ne fait, certes, pas l’unanimité, mais nous pensons qu’elle est la plus à même d’expliquer les données que l’on peut rencontrer sur le terrain et la stabilité ou instabilité des jugements d’acceptabilité.

4Notre parcours comportera trois étapes. Nous commencerons par une étape préliminaire destinée à justifier notre choix de s’attaquer aux noms superordonnés. Dans les deux étapes suivantes, nous nous occuperons respectivement des noms superordonnés hyperonymes de noms de base intrinsèquement comptables et des noms superordonnés subsumant des noms de base intrinsèquement massifs. Après avoir rappelé que les noms superordonnés subsumant des noms comptables présentent le trait intrinsèque de comptabilité, nous mettrons en évidence, dans la deuxième étape, que cette comptabilité ou dénombrabilité est fondamentalement une comptabilité d’occurrences [3] et nous essaierons de rendre compte de l’origine, un peu surprenante, de cette comptabilité. Dans la troisième et dernière étape, qui décrit la situation des noms superordonnés dominant des noms intrinsèquement massifs, nous nous attacherons d’abord à montrer que leur trait intrinsèque est généralement celui de comptabilité, puis à mettre en relief de quelle comptabilité il s’agit. La comparaison des deux types de noms superordonnés analysés fera ressortir l’originalité de la comptabilité des noms superordonnés subsumant des noms intrinsèquement massifs par rapport à celle des noms superordonnés hyperonymes de noms comptables.

5Sans remettre en cause les principaux acquis des études antérieures sur la question, cette rencontre entre l’opposition massif / comptable et les noms superordonnés débouchera sur deux résultats. Premièrement, elle permettra d’éclairer certains aspects de la problématique de l’opposition massif / comptable restés jusqu’ici équivoques et confirmera l’importance de la notion d’occurrence (Kleiber, 2011 a, b et c et 2013) pour saisir pleinement le fonctionnement de cette opposition. En deuxième lieu, elle apportera des éléments nouveaux à la fois sur la sémantique des noms qui ont une vocation à occuper le sommet des hiérarchies nominales [4] et sur l’opposition massif / comptable elle-même.

2 – Justification de l’entreprise

6On peut se poser la question de l’utilité d’une telle entreprise. Y a-t-il intérêt à réserver un sort spécial aux noms superordonnés dans le traitement de l’opposition massif / comptable ? Trois raisons au moins justifient un tel examen.

  1. Tout d’abord, son côté inédit : on n’a jamais entrepris une telle étude. D’habitude, ce sont les noms de base, tels eau, viande, riz, fer, rouge, patience, tristesse, etc., pour les massifs, et pomme, chien, table, auto, etc., pour les comptables, qui servent à alimenter les discussions sur l’opposition noms massifs / noms comptables. On se préoccupe beaucoup moins des noms qui les chapeautent comme liquide ou boisson, aliment, céréale, métal, couleur, fruit, animal, meuble, véhicule, sentiment, émotion, qualité, etc., alors qu’ils sont bien soumis, comme les noms de base qu’ils rassemblent, à cette distinction. De même qu’il faut expliquer pourquoi on a le massif du riz et le comptable une pomme[5], de même il faut rendre compte du trait de comptabilité ou de massivité des noms que présentent les noms qui leur sont superordonnés.
  2. Elle donne des résultats intéressants sur trois plans : sur les noms superordonnés par opposition aux noms basiques, sur les types de noms superordonnés et sur l’opposition massif / comptable elle-même. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la différence de niveau hiérarchique entraîne des différences de comportement vis-à-vis de l’opposition massif / comptable. Nous voulons dire par là que la situation des superordonnés n’est pas identique à celle des noms basiques vis-à-vis de l’opposition massif / comptable. Autrement dit, la comptabilité ou massivité de niveau superordonné ne se traite ou ne s’appréhende pas de la même manière que la comptabilité ou massivité de niveau basique ou subordonné. Le trait, comptable ou massif qu’ils présentent demande explication. Celle fournie pour les noms basiques chapeautés ne suffit pas. Même si, comme nous le verrons, ils présentent le même trait que leurs noms basiques, ce n’est pas pour les mêmes rasons que celles qui légitiment celui des noms basiques.
  3. Notre enquête permettra de mettre en avant une question qui ne se trouve pas suffisamment explicitée dans la littérature spécialisée, à savoir celle de savoir ce qui se trouve effectivement compté ou … non compté. Nous ne voulons pas dire par là que l’opposition dénombrable / non dénombrable est absente de la caractérisation ou définition de l’opposition noms comptables / noms massifs. Cette distinction, dont la trace se retrouve dans la dénomination de l’un des membres de l’opposition (cf. noms comptables), occupe une place de choix dans la batterie des critères définitionnels habituellement mis en action pour définir les deux types de noms : des critères morpho-syntaxiques (le type de déterminant, par exemple), des traits ou dimensions sémantiques (borné / non borné, homogène / hétérogène, discontinu / continu), des tests à coloration ontologique (addition ou divisibilité), etc. Et c’est une lapalissade que de définir les noms comptables ou dénombrables comme des noms qui peuvent ou permettent de compter et les noms massifs ou non comptables comme des noms qui interdisent de compter. Mais il faut bien reconnaître que l’on oublie le plus souvent de préciser ce que les noms comptables peuvent compter et ce que les noms massifs ne peuvent pas compter.

7La dénomination courante de noms comptables ou dénombrables et de noms massifs ou non comptables peut laisser croire que ce sont les noms eux-mêmes qui se laissent ou ne se laissent pas compter. Une telle interprétation n’est, bien entendu, pas de mise, même si elle peut se rencontrer dans certains manuels ou introductions à la linguistique, comme en témoigne la présentation faite par Velupillai dans sa récente introduction à la typologie linguistique : « Common nouns are often divided into count nouns and, i.e. such nouns that can be counted, and mass nouns (or noncount nouns), i.e. such nouns that cannot be counted » (Velupillai, 2012 : 156). Ce ne sont évidemment pas les noms qui peuvent ou ne peuvent pas être comptés. Il ne convient pas, pour autant, de critiquer les formulations du type de celle de Velupillai, parce qu’elles ne sont que la conséquence de la concision et rapidité définitoires qu’exige ce genre d’ouvrages et ne doivent donc pas être prises à la lettre.

8Ce type de réponse écarté la question de ce l’on compte ou de ce qu’on ne compte pas reste posée. Comme déjà souligné, la littérature spécialisée se donne rarement la peine d’y répondre explicitement. On comprend aisément pourquoi. La plupart du temps une telle réponse semble en effet inutile. Si on ne ressent pas le besoin de préciser ce qui se trouve compté dans un énoncé comme [1] :

([1])
Il y a trois pommes sur la table

9et ce qui ne se trouve pas compté dans un énoncé tel que [2] :

([2])
Il y avait du beurre sur la table

10c’est, tout simplement, parce que la réponse semble déjà donnée dans l’énoncé : ce qu’on compte, c’est évidemment des … pommes et ce qu’on ne compte pas, c’est, bien entendu, le beurre. Il n’y a donc apparemment pas de raison à aller plus loin. En fait, les choses ne sont pas aussi simples que ne le donne à penser une telle réponse. Il suffit de quitter le domaine des noms de base et des noms subordonnés pour celui des noms super­ordonnés pour s’en apercevoir. Avec les noms superordonnés, le problème de ce qui est compté ou non compté devient crucial. Le fonctionnement de ces noms sur le plan de l’opposition massif / comptable, nécessite en effet, comme on le verra, des ajustements et des précisions qui apporteront, non seulement des enseignements sur ce qui est comptable ou non comptable avec les noms superordonnés, mais également sur ce qui l’est ou non avec les noms de base subsumés. Nous commencerons, comme annoncé, par les noms superordonnés hyperonymes de noms de base intrinsèquement comptables.

3 – La comptabilité des noms superordonnés hyperonymes de noms de base comptables

3.1 – Quel est leur trait intrinsèque ?

11La première question qui se pose est celle de leur trait intrinsèque : sont-ils intrinsèquement comptables ou massifs ? Il n’y a pas de difficultés à répondre. Les noms fruit, animal, plante, meuble, véhicule, outil, etc., qui correspondent aux superordonnés des noms basiques pomme, chien, arbre, table, auto, pelle, etc., ont le statut de nom comptable ou de nom dénombrable. Les critères morpho-syntaxiques classiques le révèlent clairement. Ils se combinent en effet sans problème avec les déterminants révélateurs de la comptabilité, soit l’article indéfini un, les adjectifs numéraux cardinaux, les indéfinis plusieurs, quelques, etc. :

([3])
Paul a dessiné un fruit
([4])
Il y a un animal / une plante / un meuble / un véhicule / un outil dans la cour
([5])
Paul a dessiné trois / plusieurs / quelques fruits
([6])
Il y a trois / plusieurs / quelques animaux / plantes / meubles / véhicules / outils dans la cour

12Ils se mettent tout naturellement au pluriel lorsqu’on les détermine par les quantificateurs beaucoup de et peu de :

([7])
Il y a beaucoup de / peu de fruits / animaux /de plantes / de meubles / de véhicules / d’outils dans la cour

13L’emploi d’un marqueur propre à la massivité n’est, bien entendu, pas exclu, mais demande une justification spéciale, ce qui est le signe d’une conversion ou d’un transfert de type comptablemassif. Sans contexte favorable, ils se montrent plutôt réfractaires au partitif du et au quantificateur un peu de qui sont caractéristiques du massif :

([8])
 ? Paul a dessiné du fruit
([9])
 ? Paul a dessiné un peu de fruit

14Avec beaucoup de et peu de, ils restent difficilement au singulier :

([10])
 ? Il y a beaucoup de / peu de fruit / d’animal /de plante / de meuble / de véhicule / d’outil dans la cour

15Les combinaisons et restrictions observées sont ainsi grosso modo[6] les mêmes que celles auxquelles sont soumis leurs noms de base. Pomme, par exemple, se comporte comme fruit :

([11])
Paul a dessiné une / trois / plusieurs / quelques pomme(s)
([12])
Il y a beaucoup de / peu de pommes dans la cour
([13])
 ? Paul a dessiné de la pomme
([14])
 ? Paul a dessiné un peu de pomme
([15])
 ? Il y a beaucoup de / peu de pomme dans la cour

16Et les tests ontologiques classiques s’appliquent aux noms superordonnés subsumant des noms comptables de la même façon qu’ils s’appliquent aux noms basiques comptables subsumés : les superordonnés ne satisfont ni à l’addition homogène (un fruit + un fruit, ce n’est plus un fruit, mais deux fruits tout comme une pomme + une pomme, ce n’est plus une pomme, mais deux pommes) ni à la division homogène (en enlevant deux fruits à cinq fruits, il ne reste plus cinq fruits, mais trois, comme avec les pommes).

17Les noms superordonnés subsumant des noms intrinsèquement comptables sont donc clairement comptables, tout comme les noms de base dont ils sont les hyperonymes. On n’a donc guère à expliquer une variation de trait entre les noms des deux niveaux. Mais est-ce à dire que leur comptabilité est identique ? La réponse à cette question passe par une mise au jour de la nature de leur comptabilité.

3.2 – Une comptabilité d’occurrences par défaut

18Pour voir de plus près ce qu’il en est, nous nous servirons du nom fruit employé dans un énoncé tel que [16] :

([16])
Il y a trois fruits sur la table

19Il peut être employé aussi bien dans la situation où ce sont trois occurrences de types de fruits différents qui sont sur la table (par exemple, une pomme, une banane et une fraise) que dans la situation où il y a identité totale ou partielle de type (soit trois pommes, par exemple, ou deux pommes et une banane, une fraise et deux kiwis, etc.). La seule exigence est qu’il y ait trois occurrences de fruits. Les différentes possibilités évoquées quant au type de fruits impliqués relèvent du vague ou de l’indétermination. La question [17] :

([17])
Combien de fruits y a-t-il sur la table ?

20montre clairement que ce qui se trouve compté, ce sont bien les occurrences et non les variétés de fruits. On a donc affaire – ce qui reste souvent implicite dans les travaux sur l’opposition massif / comptable – à une comptabilité d’occurrences [7] et non à une comptabilité de catégories.

21La preuve en est que [16] admet difficilement la lecture appelée, dans la littérature, taxinomique, où ce qui se trouve compté, ce ne sont plus les occurrences de fruits, mais les variétés ou types de fruits (dont il y a des occurrences sur la table). Pour exprimer une telle comptabilité de catégories, on peut recourir à des marqueurs spéciaux tels que variété, type, sorte, genre, etc., qui indiquent clairement que le dénombrement opéré porte, non sur des occurrences de fruit, mais bien sur des sous-catégories de ce nom :

([18])
Il y a trois types / variétés / sortes de fruits sur la table

22On notera que, dans un cas comme celui de [18], il n’y a plus coïncidence entre le nombre d’occurrences et le nombre de catégories, même s’il y a une relation entre les deux. Pour [18], le nombre d’occurrences de fruits ne peut être inférieur à trois, puisqu’on ne pourrait plus avoir alors trois types de fruits, mais il peut être supérieur à trois, comme le montre [19] :

([19])
Il y a trois types de fruits sur la table, des bananes, des fraises et des pommes

23Qu’il n’y ait que trois occurrences ou qu’il y en ait plus, la seule contrainte est que les sous-catégories de fruits représentées par les occurrences soient au nombre de trois.

24Le dénombrement de catégories n’est toutefois pas totalement exclu pour les noms superordonnés subsumant des noms comptables [8]. La lecture taxinomique est directement accessible à fruit dans les contextes où un dénombrement de sous-catégories s’avère plus plausible qu’un dénombrement d’occurrences. C’est ainsi que, dans [20], la comptabilité de catégories, et donc une interprétation en termes de variétés de fruits, l’emporte clairement sur la comptabilité d’occurrences, qui serait ici jugée plutôt incongrue :

([20])
Je n’aime que deux fruits, la banane et la pomme

25Un premier résultat peut être retenu concernant la comptabilité intrinsèque des noms superordonnés subsumant des noms comptables tels fruit, animal, meuble, etc. : il s’agit d’une comptabilité d’occurrences et non d’un dénombrement de catégories ou une comptabilité qualitative ou taxinomique. Il faut encore préciser que cette comptabilité d’occurrences n’est qu’une propriété par défaut, puisqu’une comptabilité de catégories a droit de cité, dès lors qu’il apparaît, comme en [20], qu’une interprétation en termes d’occurrences s’avère impossible ou est jugée peu pertinente.

3.3 – Un résultat moins banal qu’il n’y paraît

26Ce résultat n’est pas aussi banal qu’il paraît. En premier lieu, parce qu’il clarifie le statut de la comptabilité intrinsèque des noms superordonnés subsumant des noms comptables en montrant que c’est une comptabilité d’occurrences.

27En deuxième lieu, parce qu’il met en évidence qu’une autre comptabilité leur est accessible (la catégorielle), sans que l’on ait besoin de parler de transfert ou de coercition. Le nom ne change en effet pas de trait, puisqu’il reste comptable. Ce qui change, c’est le statut de la comptabilité : on passe d’un dénombrement d’occurrences à un dénombrement de catégories. Si ce point n’a guère émergé dans la littérature sur l’opposition massif / comptable, c’est parce que cette littérature s’est avant tout focalisée sur les changements de traits, soit sur le passage du massif au comptable, soit sur le transfert du comptable au massif. Elle ne s’est donc pas arrêtée sur la variation occurrences / catégories lorsque celle-ci a lieu à l’intérieur de la comptabilité même, c’est-à-dire sans qu’il y ait changement du trait comptable. Elle l’a fort bien relevée, par contre, lorsque le passage d’occurrence de N à catégorie de N ou variété de N s’accompagne d’un changement du trait massif en comptable. La plupart des analyses de l’opposition massif / comptable signalent qu’une des raisons de transfert « massif → comptable » réside précisément dans cette possibilité d’envisager le massif sous l’angle qualitatif et donc de le diviser en catégories ou types. Cette « machine » qui convertit le massif en comptable par discontinuité qualitative [9] a été nommée par Bunt (1985) le trieur universel, pour faire écho à la « machine » du transfert inverse (du comptable au massif), appelée, depuis Pelletier (1975), le broyeur universel (Universal Grinder). Ce trieur universel rend compte, par exemple, de l’emploi comptable de deux riz pour renvoyer à deux variétés de riz (riz long, riz à grains courts). Sans le développer plus avant, contentons-nous de noter qu’il est donc aussi à l’œuvre du côté du seul comptable et que, comme nous l’avons vu ci-dessus, avec [17], [19] et [20], il convient de préciser à quel moment et dans quelles conditions il peut entrer en action pour faire marcher comme nom comptable en termes de catégories, sans l’aide d’un nom-outil du type sorte, variété, type, genre, etc., un nom qui est intrinsèquement comptable en termes d’occurrences.

28Il est enfin un troisième facteur qui rend le résultat obtenu à l’issue de notre première étape beaucoup moins anodin qu’il ne paraît. Si l’on réfléchit à l’origine de la comptabilité d’occurrences mise en avant pour les noms superordonnés subsumant des noms comptables, on s’aperçoit qu’elle ne va pas de soi et qu’elle a même quelque chose d’énigmatique, dans la mesure où les caractéristiques de cette classe de N superordonnés plaident plutôt pour une comptabilité catégorielle que pour une comptabilité d’occurrences.

3.4 – En quoi la comptabilité d’occurrences des noms superordonnés subsumant des noms comptables est-elle énigmatique ?

29Le caractère de la comptabilité des noms superordonnés subsumant des noms basique comptables est énigmatique pour deux raisons. La première réside dans l’utilité des noms superordonnés [10] en général, la seconde dans l’impossibilité d’avoir une forme unique pour les occurrences de ceux qui subsument des noms comptables.

30La première raison est que le sens même des noms superordonnés rend intrinsèquement disponible une comptabilité de catégories. Un nom superordonné a pour rôle de rassembler des sous-catégories basiques hétérogènes (Wierzbicka, 1985 a), c’est-à-dire des sous-catégories qui peuvent être sensiblement différentes quant à leurs occurrences. Il y a une grande différence entre un raisin et une fraise, un ours et un oiseau, un vélo et une voiture, etc., et, si l’on passe du côté des catégories massives, entre du rouge et du vert, du vin et de l’eau, de la viande et du pain, etc. Une catégorie superordonnée est donc une catégorie qui, parce qu’elle a comme statut d’unifier des catégories distinctes, a intrinsèquement vocation à servir à compter les catégories qu’elle subsume, c’est-à-dire à présenter une lecture taxinomique. La discontinuité qualitative ou hétérogénéité catégorielle qu’elle implique, de par son rôle de rassembleur de catégories différentes, met en avant les frontières ou limites catégorielles des sous-catégories subsumées et la prédestine ainsi à une comptabilité de sous-catégories. La confirmation en est apportée par les noms basiques. Comme ils n’ont pas pour fonction de « rassembler » des catégories inférieures – bien qu’ils puissent en subsumer (cf. pommereinette, golden, etc.) – ils accèdent plus difficilement que les noms superordonnés à une lecture taxinomique. A la différence de fruit, pomme a ainsi du mal à s’insérer dans un énoncé du type de [20], l’énoncé [22], sans être exclu [11], étant nettement moins bon que [21] :

([21])
Je n’aime que deux variétés de pommes, la golden et la reinette
([22])
 ? Je n’aime que deux pommes, la golden et la reinette

31La seconde raison est constituée par l’hétérogénéité de la forme des occurrences des noms superordonnés [12] qui, comme fruit, subsument des noms de base comptables. Aux occurrences des noms basiques, comme pomme, par exemple, répond un schéma de représentation : on peut dessiner une pomme, on peut imaginer une pomme. Les bornes ou limites occurrentielles sont donc homogènes, dans le sens où elles répondent à un seul schème qui convient a priori aux occurrences de la catégorie de base. Cette homogénéité de la forme des occurrences de noms de base comptables est un facteur qui favorise leur comptabilité occurrentielle. Il n’en va pas ainsi avec les occurrences des noms superordonnés hyperonymes de noms basiques comptables : il n’y a pas, comme on sait, de Gestalt commune qui s’accorderait en propre à la catégorie qu’ils dénomment. Si on entend dessiner ou se représenter mentalement un fruit, on ne peut dessiner ou se représenter qu’un fruit saisi au niveau basique ou subordonné, à savoir une pomme (ou une golden), une fraise, une banane, etc. Comme la comptabilité d’occurrences repose crucialement sur l’existence de limites occurrentielles intrinsèques, cette « hétérogénéité » définitoire des occurrences des noms superordonnés subsumant des noms de base comptables est un élément apparemment plutôt défavorable à une comptabilité d’occurrences. Jointe au premier facteur que constitue leur distinguabilité qualitative, elle les destine plutôt à posséder une comptabilité de sous-catégories.

32La conjonction de ces deux raisons fait en effet que l’on s’attend à ce que les noms superordonnés donnent plutôt lieu à une comptabilité de sous-catégories qu’à une comptabilité d’occurrences. Or, c’est l’inverse qui se fait jour avec les noms superordonnés subsumant des noms basiques comptables. En effet, comme nous l’avons vu avec [19] et [20], non seulement la comptabilité d’occurrences des N superordonnés subsumant des noms comptables ne se trouve pas bloquée, mais elle apparaît même comme étant leur comptabilité par défaut :

([23])
Une pomme + une banane + une fraise = trois fruits

33Leur comptabilité intrinsèque est préférentiellement une comptabilité d’occurrences et non une comptabilité de sous-catégories comme on pourrait s’y attendre. L’origine de cette comptabilité a donc de quoi intriguer.

3.5 – Un héritage des noms de base subsumés

34Pour en rendre compte, nous nous appuierons sur une définition de l’opposition comptabilité / massivité qui est acceptée aujourd’hui par la plupart des commentateurs [13]. Cette définition postule que la comptabilité est liée à l’existence de bornes ou de limites, alors que la massivité ou non-comptabilité s’explique par l’absence de telles bornes ou limites. Si on se place sur le plan des occurrences, c’est-à-dire si les « entités » comptées ont le statut d’occurrence [14] du nom, cela signifie qu’un nom comptable assigne à ses occurrences par avance, c’est-à-dire de façon inhérente, une forme qui est indépendante des situations où ces occurrences se rencontrent [15] : les occurrences de pomme répondent a priori à un même schéma de forme, alors qu’il n’en va pas ainsi pour les occurrences de sable, qui peuvent varier selon la situation où elles se manifestent. Si on ne se situe plus sur le plan des occurrences, c’est-à-dire lorsque les « entités » dénombrées sont des catégories – cas de la comptabilité de catégories – les limites proviennent, non plus du préformatage de leurs occurrences, mais de leurs frontières qualitatives, qui permettent de les distinguer et donc de les compter. Si on ne peut compter les occurrences de riz, pour reprendre l’exemple déjà mentionné ci-dessus, on peut, par contre, sur la base de différences qualitatives (variables), compter des types de riz (cf. Deux riz = le riz long et le riz à grains courts).

35Nous pouvons expliquer à présent pourquoi les noms superordonnés subsumant des noms basiques intrinsèquement comptables présentent préférentiellement une comptabilité d’occurrences et non de sous-catégories. On notera tout d’abord que cette comptabilité d’occurrences est celle des noms basiques subsumés : la comptabilité de pomme, banane, etc., est une comptabilité d’occurrences et non de sous-catégories, comme nous l’avons entrevu avec l’exemple [1] :

([1])
Il y a trois pommes sur la table

36où ce sont bien trois occurrences de pommes et non trois sous-catégories qui se trouvent comptées. Considérons maintenant la situation où il y a une pomme et deux bananes sur la table. Deux comptages sont théoriquement possibles à l’aide du nom fruit : un comptage d’occurrences, parce qu’il y a des limites occurrentielles, qui sont fournies par la comptabilité d’occurrences des noms basiques pomme et banane, et un comptage de catégories, fourni par les limites qualitatives ou de sous-catégories qui permettent de distinguer une pomme d’une banane. Pourquoi le premier l’emporte-t-il sur le second ? Ou, dit autrement, pourquoi n’a-t-on pas pour la situation envisagée, c’est-à-dire pour une occurrence de pomme et deux occurrences de bananes, l’énoncé [24] :

([24])
Il y a deux fruits sur la table

37Si le comptage d’occurrences l’emporte, c’est parce qu’il ne nécessite pas la suppression des limites qualitatives, alors qu’un comptage de catégories entraîne celles des limites des occurrences. En effet, le comptage des occurrences de fruit, non seulement ne nécessite pas que l’on gomme les limites qualitatives qui distinguent, par exemple, une pomme d’une banane, mais il en exige la reconnaissance. Les occurrences de fruit ne sont reconnues comme étant des occurrences de fruit que parce qu’elles sont reconnues comme étant des occurrences des catégories de base (pomme, banane, etc.) subsumées par fruit. Le comptage des catégories, par contre, ne nécessite pas la reconnaissance des limites occurrentielles. Il a au contraire pour effet de les reléguer au second plan. Pour compter le nombre de sous-catégories d’un nom superordonné, on n’a pas besoin de prendre en compte chaque occurrence des différentes sous-catégories représentées. On illustrera cette différence avec [25] :

([25])
Il y a un fruit sur la table

38On voit bien que son utilisation pour une situation où il y a trois pommes sur la table reviendrait à mettre entre parenthèses les limites occurrentielles. Or, une telle mise entre parenthèses doit être justifiée ; c’est ce qui explique que l’interprétation de comptabilité catégorielle des noms superordonnés nécessite des contextes qui, d’une manière ou d’une autre, explicitent que ce n’est pas la quantité d’occurrences qui est en jeu, mais la quantité de sous-catégories.

39Nous venons de montrer pourquoi la comptabilité d’occurrences des noms superordonnés subsumant des noms de base comptables l’emportait par défaut sur une comptabilité de catégories. Nous avons également entrevu que cette comptabilité d’occurrences inhérente à ce type de noms superordonnés provenait de celle des noms basiques subsumés et subsistait dans « l’union » catégorielle opérée par les noms superordonnés. Cela est dû, nous semble-t-il, au fait qu’une catégorie superordonnée est une catégorie qui n’existe que par l’existence de sous-catégories qu’elle subsume. Une catégorie formée à partir de sous-catégories, c’est-à-dire une catégorie qui implique des sous-catégories [16], est une catégorie dont les occurrences ne peuvent être que les occurrences des sous-catégories qu’elle rassemble. Si les sous-catégories réunies sont des sous-catégories de noms comptables, dans le sens où leurs occurrences ont des limites intrinsèques qui permettent de les dénombrer, alors les occurrences de la catégorie supérieure ne peuvent être que les occurrences aux limites intrinsèques des sous-catégories rassemblées. Parce qu’elle ne peut être obligatoirement qu’une occurrence également d’une catégorie inférieure qui, elle, a une « forme » intrinsèque et donc est comptable, une occurrence d’un nom concret comptable superordonné ne peut être une occurrence massive, puisque cela reviendrait à nier la forme ou le bornage intrinsèque de la catégorie inférieure. En « montant » de pomme à fruit, on conserve, pour les occurrences de fruit, le bornage intrinsèque de l’occurrence de pomme. Partant, le nom de la catégorie superordonnée présentera la même comptabilité ou non-comptabilité d’occurrences que ses sous-catégories. Nous le vérifierons pour les noms superordonnés hyperonymes de noms de base massifs ci-dessous. Pour le moment, on formulera la règle d’héritage suivante pour les noms superordonnés chapeautant des noms basiques comptables : les noms superordonnés subsumant des noms comptables héritent de la comptabilité occurrentielle de leurs noms hyponymes. Ou, dit autrement, si un nom de base est comptable, en ce qu’il permet de compter ses occurrences, on peut en déduire que le nom qui lui est superordonné, s’il y en a un, sera également un nom comptable en termes d’occurrences.

3.6 – Le cas des noms collectifs

40Les noms collectifs du type mobilier, vaisselle, confiserie, joaillerie, quincaillerie, etc., contredisent apparemment notre analyse. Ils subsument en effet des noms dont la comptabilité est celle d’occurrences, mais ne reprennent pas cette comptabilité, puisqu’ils sont massifs. Le trait de comptabilité occurrentielle de table, par exemple, s’il subsiste bien avec meuble, ne se retrouve plus, par contre, au niveau de mobilier, dont les occurrences sont de type massif :

([26])
du mobilier / *des mobiliers = table, lit, chaise, etc.
([27])
des meubles = table, lit, chaise, etc.

41Ils ne constituent toutefois un véritable contre-exemple que s’il s’agit effectivement de véritables noms superordonnés, c’est-à-dire de véritables hyperonymes des noms qui forment la collection. Or, la question n’est nullement tranchée [17]. On ne peut, certes, nier qu’ils entrent dans les phrases attributives à Hiérarchie-être (cf. la Be-Hierarchy de Bever et Rosenbaum, 1970), caractéristiques de la relation hypo/hyperonymique, comme le montre [29], mais, d’un autre côté, ils apparaissent tout aussi bien dans des structures comme [30] qui relèvent de la relation partie-tout :

([28])
Une table / des chaises / un lit / une armoire, c’est du mobilier
([29 a])
Les tables, les chaises, le lit, les armoires, etc., font partie du mobilier
([29 b])
Le mobilier se compose de tables, de chaises, de lits, d’armoires, etc.

42Et si l’on se fonde sur le fait qu’ils ne peuvent être définis comme étant des types, genres, sortes ou variétés de ces « noms de masse à référence hétérogène » (Wiederspiel, 1992), comme peuvent l’être les noms hyperonymes (Wierzbicka, 1985b : 321-322), il semble bien que la balance penche plutôt du côté de la relation partie-tout [18] :

([30 a])
table / chaise / lit / armoire : *« genre / type / sorte / variété de mobilier »
([30 b])
armoire : *« mobilier haut et fermé par des battants, servant à ranger le linge, les vêtements, etc. »
([31 a])
pomme / banane / prune : « variété / genre / type / sorte de fruit »
([31 b])
pomme : « fruit du pommier, rond à pulpe ferme et juteuse … »

43L’existence, face à ces noms collectifs, de noms véritablement superordonnés comme meuble pour mobilier, qui, eux, fonctionnent bien comme « définisseurs » des noms qu’ils chapeautent, ainsi que le montre [32] :

([32 a])
table / chaise / lit / armoire : « genre / type / sorte / variété de meuble »
([32 b])
armoire : « meuble haut et fermé par des battants, servant à ranger le linge, les vêtements, etc. »

44donne à penser que mobilier, comme le signale la définition [33] du dictionnaire (Le petit Robert), est avant tout un ensemble de meubles de types différents destinés à une certaine fonction et ayant trait à un certain lieu, alors que fruit n’entre pas dans un tel schéma définitionnel :

([33])
mobilier : « ensemble des meubles destinés à l’usage et à l’aménagement d’une habitation »
([34])
fruit : *« ensemble des fruits … » [19]

3.7 – Résultats

45Les noms collectifs du type mobilier, vaisselle, confiserie, etc., n’obligent donc pas à remettre en cause la règle d’héritage mise en avant ci-dessus : les noms superordonnés subsumant des noms comptables héritent de la comptabilité occurrentielle de leurs noms hyponymes. Ou, dit autrement, si un nom de base est comptable, en ce qu’il permet de compter ses occurrences, on peut en déduire que le nom qui lui est superordonné, s’il y en a un, sera également un nom comptable en termes d’occurrences :

([35])
Plan des occurrences : nom de base comptablesnom superordonné comptable

46Cette « percolation » de comptabilité a son utilité « quantificationnelle » : sans elle, comme nous l’avons vu ci-dessus, on ne pourrait dénombrer les occurrences de ce type de noms superordonnés. On ne pourrait, en effet, additionner des pommes et des bananes ou on ne pourrait demander combien d’occurrences (de fruits) il y a dans une coupe de fruits comportant trois bananes ou une banane et trois fraises ou encore cinq fraises, six citrons, quatre mangues et deux mirabelles, [20] etc. Elle confirme aussi que la définition classique de l’hyponyme comme incluant sémantique des traits de l’hyperonyme n’est pas pertinente [21], puisque les noms basiques hyponymes des noms du type de fruit n’héritent pas le trait de comptabilité occurrentielle de leur hyponyme. C’est le contraire qui se produit : ce sont les noms hyponymes comptables qui procurent au nom superordonné le trait intrinsèque de compatibilité d’occurrences.

4 – Côté massif : les noms superordonnés subsumant des noms de base massifs

4.1 – Des noms intrinsèquement comptables

47Comment se présente la situation du côté des noms superordonnés subsumant des noms de base massifs ? Le constat est facile à faire. Les noms céréale, aliment, boisson, métal, couleur, épice, sentiment, etc., qui subsument des noms basiques massifs tels blé, viande, vin, fer, rouge, poivre, amour, etc., apparaissent, en règle générale (cf. ci-dessous), comme étant des noms intrinsèquement comptables. Ils présentent en effet toutes les caractéristiques morpho-syntaxiques que l’on accorde habituellement aux noms comptables :

48i) ils se combinent avec les déterminants révélateurs de la comptabilité :

([36])
un(e) / trois / plusieurs / des céréale(s) / aliment(s) / boisson(s) / métal (métaux) couleur(s) / épice(s) / sentiment(s)

49ii) ils se mettent au pluriel avec combien

([37])
Combien de céréales / de couleurs / d’épices /de sentiments ?
([38])
 ? Combien de céréale / de couleur / d’épice / de sentiment ?

50iii) ils acceptent difficilement des marqueurs de la massivité comme l’article partitif ou le quantifieur un peu de :

([39])
 ? De la céréale / ? de la couleur / ? de l’épice / ? du sentiment[22]
([40])
 ? Un peu de céréale / ?un peu de couleur / ? un peu de sentiment[23]

51Certains de ces noms, comme métal et boisson, peuvent toutefois également apparaître en livrée intrinsèque de massif et donc se distribuer dans des combinaisons typiques de la comptabilité :

([41])
Du vin, de l’eau, de la bière, etc. → de la boisson
([42])
Du fer, de l’or, de l’argent, etc. → du métal
([43])
Combien de boisson / de métal ?

52Cela n’est pas surprenant, puisque, comme on sait, au niveau basique aussi, certains noms, comme pain, par exemple, peuvent présenter de façon inhérente les deux traits :

([44])
J’ai acheté du pain / un pain

53Ce qui est plus surprenant, par contre, c’est la discordance manifestée entre les noms basiques massifs et leurs noms superordonnés, puisque le trait intrinsèquement massif des noms basiques, ne se retrouve plus chez les noms superordonnés :

([45])
Du blé, du riz, du seigle, du froment, de l’avoine, etc. → des céréales
De la viande, du pain, etc. → des aliments
Du vin, de l’eau, de la bière, etc. → des boissons
Du fer, de l’or, de l’argent, etc. → des métaux
Du rouge, du bleu, du jaune, etc. → des couleurs
Du poivre, de la cannelle, de la muscade, etc. → des épices
De l’amour, de la haine, de la colère, etc. → des sentiments

4.2 – Une différence de comptabilité

54La règle [35] que nous avons mise en avant ci-dessus, à savoir qu’une catégorie superordonnée est une catégorie dont les occurrences ne peuvent être que les occurrences des sous-catégories qu’elle rassemble, semble donc battue en brèche par le constat que nous venons de faire sur la comptabilité des noms superordonnés subsumant des noms massifs, puisque le passage de la massivité intrinsèque du nom de base à la comptabilité intrinsèque du nom superordonné entraîne apparemment un changement d’occurrences, de non comptables à comptables. En fait, il n’en est rien, parce que la comptabilité des superordonnés subsumant des noms massifs n’est pas une comptabilité d’occurrences. Si la massivité des noms basiques est bien une massivité d’occurrence – du blé, de la viande, du vin, du fer, du rouge, du poivre, de la haine, etc., renvoient à des occurrences non bornées intrinsèquement, c’est-à-dire non formatées en dehors de la situation d’occurrence où elles se rencontrent et donc, comme nous l’avons montré ailleurs, non comptables (Kleiber, 2013) – la comptabilité des noms superordonnés qui leur correspondent n’est pas une comptabilité d’occurrences. Leurs occurrences restent du même type que celle de leurs noms basiques hyponymes : elles restent non comptables ou massives, car elles n’ont pas de limites d’occurrences en propre qui permettraient de les compter. La règle d’héritage d’occurrence mise en relief reste donc valide : les occurrences d’une catégorie superordonnée, c’est-à-dire d’une catégorie qui réunit des catégories basiques, sont les occurrences des sous-catégories rassemblées.

55De quel ordre est alors la comptabilité intrinsèque des noms superordonnés chapeautant des noms de base massifs ? La réponse ne fait guère difficulté : c’est la comptabilité catégorielle, fondée sur des limites ou bornes qualitatives, que connaissent aussi les noms superordonnés subsumant des noms de base comptables lorsque le contexte rend incongrue l’interprétation de comptabilité occurrentielle (cf. Je n’aime que trois fruits). Alors que pour ce type de noms superordonnés, l’interprétation de comptabilité catégorielle n’intervient que lorsque l’emploi de comptabilité d’occurrences fait défaut, elle est de règle avec les noms superordonnés hyperonymes de noms massifs. Placés dans un énoncé tel que [46] :

([46])
Il y a trois couleurs sur le mur

56qui est semblable à [17] :

([16])
Il y a trois fruits sur la table

57ils ne peuvent en effet fonctionner en comptabilité d’occurrences comme les superordonnés subsumant des noms comptables. L’énoncé avec fruit, rappelons-le, exige uniquement qu’il y ait trois occurrences de fruits sur la table, que ce soient trois pommes, ou deux pommes et une banane, etc. L’énoncé avec couleur ne peut avoir une telle interprétation de comptabilité occurrentielle. Il ne peut renvoyer à trois taches jaunes ou à une zone de jaune et deux zones de bleu, parce que les trois taches de jaune ne forment qu’une occurrence de jaune, puisque le nom jaune étant massif du point de vue de ses occurrences, il n’y a par avance qu’une occurrence de jaune par situation d’occurrence (Kleiber, 2011 a, b et c, 2013 et à paraître a et b). L’énoncé avec couleur ne répond qu’à une situation, celle où il y a effectivement trois couleurs différentes sur le mur (cf. du bleu, du jaune et du blanc, par exemple). Il s’agit donc bien d’une comptabilité catégorielle, qui repose sur la reconnaissance de limites ou bornes qualitatives, permettant de compter le nombre de sous-catégories du nom superordonné présentes dans la situation d’occurrence en question. La preuve en est que la question [47] :

([47])
Combien de couleurs différentes y a-t-il sur le mur ?

58peut paraître tautologique par rapport à [49] :

([48])
Combien de couleurs y a-t-il sur le mur ?

59puisqu’il ne peut s’agir que de couleurs différentes. La comptabilité catégorielle à l’œuvre dans ce type d’énoncés a toutefois une répercussion sur le nombre d’occurrences, répercussion qui est à la source de maintes équivoques émaillant la littérature sur l’opposition massif / comptable. Nous y reviendrons ci-dessous, parce que, pour le moment, il nous faut d’abord régler le cas des noms superordonnés tels métal et boisson, qui présentent, comme signalé ci-dessus, aussi bien le trait comptable que le trait massif.

60Comment cela est-il possible ? On notera avant tout qu’une telle situation n’est pas celle, évoquée ci-dessus, des noms de base qui, comme pain, par exemple, se présentent aussi bien en massifs (du pain) qu’en comptables (un pain). Dans ce cas, massivité et comptabilité sont de même plan : celui des occurrences : du pain renvoie à une occurrence aux limites ou bornes contingentes, alors qu’un pain renvoie à une occurrence de pain formatée a priori, le passage de du pain à un pain pouvant être assuré par la « machine du conditionneur » [24]. Dans le cas de métal ou de boisson, comptabilité et massivité sont de niveaux différents : la comptabilité relève des catégories (donc de bornes qualitatives), alors que la massivité est celle des occurrences (donc relative à l’absence de bornes d’occurrences intrinsèques) :

([49])
Il y a du métal dans cette machine (massif : occurrence massive de métal)
([50])
Il y a plusieurs métaux dans cette machine (comptable : nombre de types de métaux différents)

61Il n’y a donc pas de contradiction entre les deux et nul besoin de supposer, bien entendu, l’intervention d’une machine de transfert. Ce qu’il faudrait expliquer, par contre, c’est pourquoi la plupart des noms superordonnés ne connaissent pas une telle ambivalence. Pourquoi se montrent-t-ils réfractaires à la massivité (cf. ? de la couleur / ? de la propriété) [25] ?

4.3 – Conséquence « quantificationnelle » au niveau des occurrences »

62Nous pouvons à présent revenir sur la conséquence qu’entraîne pour les occurrences la comptabilité catégorielle des noms superordonnés chapeautant des noms de base massifs. Cette conséquence n’a guère été entrevue. Elle est pourtant importante et sa reconnaissance, comme déjà souligné ci-dessus, aurait permis de surmonter certaines difficultés présentes dans les traitements de l’opposition massif / comptable. De quoi s’agit-il ? On observe qu’en disant [46] :

([46])
Il y a trois couleurs sur le mur

63en même temps qu’on indique le nombre de catégories de couleurs différentes, on fournit aussi le nombre d’occurrences de couleurs. Autrement dit, indiquer combien de sous-catégories de couleurs sont présentes sur le mur revient ipso facto à donner le nombre d’occurrences de couleurs. S’il y a trois couleurs différentes sur le mur, il y a aussi trois occurrences de couleurs. Est-ce à dire que le nom couleur serait aussi comptable du point de vue des occurrences ? Il n’en est rien, évidemment. Le nom couleur n’assigne pas de limites intrinsèques à ses occurrences, nous l’avons vu ci-dessus. Mais, si indiquer le nombre de couleurs différentes, c’est aussi indiquer le nombre d’occurrences de couleurs, c’est parce qu’il n’y a qu’une occurrence possible de nom massif par situation d’occurrence, puisque l’absence de limites intrinsèques fait que c’est la situation d’occurrence qui les constitue (Kleiber, 2011 a, b et c et 2013). Du coup, comme il n’y a qu’une occurrence possible pour tout nom de base massif, le comptage des sous-catégories de base du nom superordonné dans une situation donnée est, en quelque sorte, également un comptage des occurrences. Demander combien de couleurs il y a sur le mur, c’est à la fois demander combien de types de couleurs différentes il y a sur le mur et combien il y a d’occurrences de couleurs sur le mur, puisque, chaque couleur différente n’ayant qu’une occurrence possible, le dénombrement des couleurs différentes est aussi celui des occurrences de couleurs. Et l’on peut retenir la règle suivante :

([51])
Le dénombrement des sous-catégories d’un N superordonné subsumant des N massifs est aussi celui des occurrences de ce N superordonné

64La situation est bien différente avec les noms superordonnés subsumant des noms de base comptables, puisque là, comme nous l’avons montré à propos d’énoncés tels que [52] :

([52])
Nous avons goûté hier trois fruits

65le nombre de sous-catégories de fruits ne coïncide pas nécessairement avec celui des occurrences de fruits. Ce dernier, s’il ne peut être inférieur à trois, peut par contre être supérieur à trois, à condition que les occurrences se répartissent en trois sous-catégories de fruits. On s’aperçoit néanmoins que les deux modes de dénombrement de nos deux classes de noms superordonnés se rejoignent en ce que, finalement, ils ont la même utilité quantificationnelle : ils permettent tous deux, mais par des voies différentes, de compter combien il y a d’occurrences des catégories de base subsumées présentes dans une situation.

5 – Conclusions

66Nous voici arrivé à la fin de notre parcours. Il nous semble avoir atteint les objectifs que nous nous sommes fixés dans notre introduction. En nous intéressant prioritairement aux noms superordonnés et en nous servant de la notions d’occurrence, nous avons en effet obtenu des résultats qui, sans remettre en cause les acquis des travaux antérieurs en ce domaine, jettent une nouvelle lumière sur l’opposition massif / comptable appliquée aux noms. La règle d’héritage d’occurrence mise en relief, qui stipule qu’une catégorie superordonnée, c’est-à-dire une catégorie qui réunit des sous-catégories hétérogènes, hérite des occurrences des sous-catégories rassemblées, nous paraît tout particulièrement apte à éclairer d’une nouvelle manière son fonctionnement. Nous avons notamment montré que la comptabilité intrinsèque des noms superordonnés subsumant des noms de base massifs n’était pas du même type que celle des noms superordonnés subsumant des noms de base comptables : la première relève d’une comptabilité de catégories, alors que la seconde porte sur une comptabilité d’occurrences. Nous avons tout spécialement mis en évidence la différence d’origine de ces deux types de comptabilité, analysé leur émergence pour faire ressortir leur utilité commune sur le plan du dénombrement des occurrences.

67Nous avons aussi posé quelques jalons pour des recherches futures : il faudra s’intéresser de plus près aux différents types de noms superordonnés chapeautant les noms de base massifs et accorder une attention spéciale à la comptabilité des noms superordonnés d’affects et de qualités, qui est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. L’occasion d’organiser une nouvelle rencontre !

Bibliographie

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  • Kleiber G., 2014b, « Massif/Comptable et noms de propriété », Langages, 183, p. 71-86.
  • Kleiber G., à par. a, « Sur l’opposition noms comptables / noms massif : le cas des noms superordonnés subsumant des noms comptables ».
  • Kleiber G., à par. b, « Côté comptable, côté massif : remarques sur les noms superordonnés ».
  • Kleiber G. et Tamba I., 1990, « L’hyponymie revisitée : inclusion et hiérarchie », Langages, 97, p. 7-32.
  • Lammert M., 2010, Sémantique et cognition. Les noms collectifs, Genève, Droz.
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  • Nicolas D., 2002, La distinction entre les noms comptables et les noms massifs, Louvain-Paris, Peeters.
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Mise en ligne 09/04/2015

https://doi.org/10.3917/tl.069.0011

Notes

  • [*]
    Université de Strasbourg & Scolia & USIAS.
  • [1]
    Un grand merci aux deux relecteurs anonymes dont les remarques pertinentes ont permis d’améliorer ce travail.
  • [2]
    On citera pour le français tout spécialement les monographies de Van de Velde (1995), Flaux et Van de Velde (2000), Nicolas (2002), Asnes (2004) et l’ouvrage collectif de David et Kleiber (1989). Nous avons abordé à plusieurs reprises ce problème avec, à chaque fois – nous ne le cachons pas – un grand plaisir (1981, 1994a, 1997, 1998a, b, 2001, 2003, 2005, 2006, 2013 et 2014a, b).
  • [3]
    Précisons que, dans tout le texte, nous utilisons le terme d’occurrence (de X), non pas pour renvoyer à l’emploi effectif d’une unité linguistique X (phonème, graphème, morphème, mot, etc.), emploi qui est le sens le plus courant d’occurrence, mais pour renvoyer aux instances, individus, membres ou encore exemplaires que subsume le concept dénommé par X ou qui appartiennent à la catégorie dénommée par X. En parlant, par exemple, de « la forme des occurrences des noms superordonnés », nous visons, non la forme des noms superordonnés, mais bien celle des instances ou exemplaires dénommés par ces noms.
  • [4]
    Appelés noms sommitaux par le groupe Sconominalia de l’équipe Scolia de Strasbourg, parce que cette classe de noms regroupe des noms de différents types qui soit occupent le sommet des hiérarchies, soit présentent une généralité et une abstractivité fonctionnelles très grandes.
  • [5]
    Et donc également dans quelles conditions on peut avoir l’inverse, c’est-à-dire le comptable un riz et le massif de la pomme.
  • [6]
    Il y a cependant des différences qui sont dues au niveau d’abstraction différent. Avec manger, par exemple, on a plus facilement manger de la pomme que ( ?) manger du fruit.
  • [7]
    Ce point est développé dans Kleiber (2011a, 2013, à paraître a et b).
  • [8]
    On rappellera qu’en emploi générique, c’est l’interprétation taxinomique qui prévaut pour les noms superordonnés, alors que, pour les noms de base, c’est plutôt l’interprétation d’occurrences (Kleiber 1994b, c).
  • [9]
    Ce n’est pas le seul mode de transfert massif – comptable. Il y a également le passage du massif au comptable par ce que Galmiche (1987 et 1989) a appelé le conditionneur, qui a pour effet de mettre le massif en unités de conditionnement (cf. de la bièrej’ai bu une bière).
  • [10]
    Voir pour plus de détails, Rosch et alii (1976), Wierzbicka (1985a), Kleiber (1990, 1994b, c) et Theissen (1997).
  • [11]
    [23] nécessite des éléments facilitateurs supplémentaires (cf. un pommiculteur dira plus facilement [23] qu’un locuteur lambda).
  • [12]
    Pour d’autres caractéristiques du niveau superordonné, voir Rosch et alii (1976) et Kleiber (1990, 1994b, c) et pour une application discursive (Theissen, 1997).
  • [13]
    Voir Langacker (1991), Jackendoff (1991), Van de Velde (1995), Kleiber (1994a, 1997, 1998a, b, 2011a, 2013, à paraître a et b) et Flaux et Van de Velde (2000). Le débat n’est toutefois pas clos, comme le montrent les critiques de Nicolas (2002 : 65-66), qui refuse la solution en termes de bornage intrinsèque pour les noms comptables.
  • [14]
    Pour la définition et délimitation des occurrences, voir Kleiber (2011a, 2013).
  • [15]
    Pour plus de détails sur la notion de situation d’occurrence, voir Kleiber (2011a, c et 2013).
  • [16]
    Autrement dit, qui, d’un point de vue sémantique, est destinée à avoir des catégories. Il en va donc différemment des catégories basiques et subordonnées : elles ne sont pas conçues comme rassemblant des sous-catégories hétérogènes et peuvent exister sans sous-catégories.
  • [17]
    Pour une vue plus complète du débat, voir Lammert (2010 : 177-193).
  • [18]
    Wierzbicka (1985a, b) les exclut de la relation taxinomique hypo/hyperonymie alors que Joosten (2006) reconnaît à ces noms qu’il appelle agrégats un statut intermédiaire entre la relation ‘partie de’ et la relation Hiérarchie-être.
  • [19]
    Un de nos relecteurs nous a fait remarquer qu’en allemand et néerlandais, le nom Obst, qui correspond à fruit est massif, ce qui contredit donc la règle d’héritage postulée. Cela vaut aussi pour notre dialecte, l’alsacien. Mais, à côté d’Obst, existe le superordonné comptable Frucht (fruit) /Früchte (fruits), qui hérite bien sa comptabilité de celle de ses hyponymes. Est-on alors dans le même cas que mobilier / des meubles ? Nous laissons la question ouverte.
  • [20]
    On notera que lorsque ces noms basiques comptables ont un correspondant massif (cf. du raisin à côté de un raisin) ou s’il s’agit de pluriels dits massifs (cf. des épinards), on ne peut plus compter ni les occurrences, ni les types à l’aide du seul nom superordonné. Ainsi l’addition de deux pommes et du raisin ne peut s’exprimer par trois fruits (dans le sens de trois occurrences de fruits), puisque du raisin n’indique rien sur le nombre de raisins. Mais pas non plus par deux fruits, dans le sens de deux types de fruits. Il faut recourir dans ce cas à la tournure explicite deux types de fruits.
  • [21]
    Avec Irène Tamba nous avons montré en 1990 que l’inclusion « sémantique » généralement mise en avant pour définir la relation d’hypo/hyperonymie n’était pas valide et que c’était au contraire une inclusion de classes ou de catégories qui s’avérait décisive pour saisir la relation sémantique entre l’hyperonyme et les hyponymes (Kleiber et Tamba, 1990).
  • [22]
    On peut avoir du sentiment (cf. Il a du sentiment pour elle), mais, dans ce cas, sentiment n’a pas son emploi de superordonné qui coiffe tous les sentiments, mais correspond à un type de sentiment (Il a du sentiment pour elle = ‘il l’aime’).
  • [23]
    Un peu de couleur/de sentiment sont possibles, mais avec un sens restreint (de niveau basique), couleur renvoyant alors aux couleurs opposées au noir / gris et sentiment ayant le sens signalé dans la note précédente.
  • [24]
    Cf. la fabrication et vente d’unités de pain.
  • [25]
    Pour une réponse à cette question, voir notre analyse des noms de couleurs (Kleiber, 2009, 2010 et 2011d).
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