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Article de revue

Continuités textuelles et discontinuités catégorielles : le cas de l'article roman

Pages 25 à 46

Notes

  • [1]
    Nous traduisons.
  • [2]
    Un point de vue autorisé à ce sujet est celui de Coseriu (1958 ; 1982 [1988]), qui a défendu l’idée selon laquelle la modélisation du changement linguistique d’un point de vue naïvement dynamique est absolument à critiquer.
  • [3]
    C’est ce que propose Sabatini (1966 : 64), cf. Castellani (1976 : 33-34), à qui nous renvoyons pour un examen des différentes analyses de l’inscription.
  • [4]
    Cf. Rohlfs (1966-1969, 2 : § 368).
  • [5]
    Voyez Löfstedt (1911 : 65), Grevander (1926), Svennung (1935), Cavallin (1934), Vielliard (1927 : 141).

1 – Introduction

1Le débat sur le mode et les causes du changement de catégorie grammaticale constitue un riche réservoir de problèmes toujours ouverts. Certains d’entre eux concernent la nature d’un tel changement et amènent à s’interroger, par exemple, sur son caractère continu ou discontinu. Naturellement, selon l’approche théorique choisie, des conclusions différentes, voire même opposées, peuvent êtres tirées. Dans la mesure où le changement de catégorie est conçu comme une réanalyse de structures se déroulant dans l’esprit des locuteurs, de bonnes raisons peuvent être avancées à l’appui de la thèse de la discontinuité du processus (il faut toutefois noter que ce point de vue n’implique pas nécessairement l’adoption de l’idée corollaire, selon laquelle le siège du changement est l’acquisition linguistique de la part de différentes générations de locuteurs). Mais la thèse de la discontinuité est moins prévisible si l’on écarte la perspective de la réanalyse. D’autres problèmes concernent les facteurs qui peuvent contribuer à déterminer le changement de catégorie. Sur ce point aussi, une extrême divergence d’opinions semble subsister. Les défenseurs du rôle primaire des facteurs internes ne sont pas moins nombreux que ceux soutenant que les facteurs externes (historiques) sont prédominants. Toutefois, la définition même des facteurs externes ne semble pas suffisamment claire, pas plus que la manière dont ils sont impliqués dans la modélisation générale du changement et, en particulier, dans celle du changement de catégorie. La récente théorie de l’inertie, que l’on peut considérer comme une tentative d’introduire des facteurs externes comme moteurs fondamentaux du changement dans les modèles de grammaire générative, offre une perspective intéressante pour l’analyse de ces problèmes.

2Nous discuterons des problèmes soulevés en prenant en considération la transition des démonstratifs latins ipse et ille vers l’article roman. Il s’agit d’un processus qui a attiré l’attention des romanistes et des linguistes généralistes depuis de nombreuses décennies et ayant fait l’objet d’amples recherches. Malgré cela, il semble ne pas encore avoir été complètement compris. Les facteurs historiques que nous considérerons comme pertinents dans ce travail sont les traditions textuelles. L’analyse sera conduite à partir de textes latins d’époques différentes et de quelques documents romans remontant aux origines, qui semblent offrir des données utiles afin de reconsidérer de manière critique le problème de la genèse de l’article roman. Avant d’aller au cœur de l’analyse textuelle, il est cependant opportun de discuter quelques points relatifs au traitement des discontinuités catégorielles dans les modèles de la grammaticalisation et dans le modèle génératif de l’inertie (voir sous le point 2.). Nous aborderons, en outre, quelques problèmes émergents de la bibliographie sur la formation de l’article roman et auxquels il est ardu de proposer une solution.

2 – La recherche de la discontinuité catégorielle

2.1 – Quelques idées courantes sur les propriétés de la grammaticalisation

3Les théoriciens de la grammaticalisation se sont longuement interrogés sur les forces qui mettent en mouvement les processus d’altération catégorielle. Meillet, dans sa célèbre étude sur l’évolution des formes grammaticales, avait déjà observé que « l’affaiblissement du sens et l’affaiblissement de la forme des mots accessoires vont de pair ; quand l’un et l’autre sont assez avancés, le mot accessoire peut finir par ne plus être qu’un élément privé de sens propre, joint à un mot principal pour en marquer le rôle grammatical. Le changement d’un mot en élément grammatical en est accompli » (Meillet, 1912 [1965] : 139). Selon le scientifique français, le facteur qui est à l’origine du processus complet de dégradation progressive de mots autonomes en formes grammaticales « est le besoin de parler avec force, le désir d’être expressif ». Plus un mot ou un groupe de mots appartenant à une construction est investi d’une force expressive, plus il tend à s’affaiblir à cause de sa coutume de répétition (1912 [1965] : 139 ; cf. en outre 135). La perte de l’expressivité et la force de l’habitude sont donc les deux principes qui président à l’affaiblissement phonétique, à la fixation syntaxique et à la perte de valeur sémantique. Ce sont là les symptômes typiques qui caractérisent le passage du mot autonome au mot grammatical, ou encore le passage d’une construction syntaxique comprenant des éléments à valeur sémantique pleine à l’agrégat d’éléments cristallisés et convergents en une seule unité. Cette théorie, que nous pouvons considérer comme s’appuyant sur une base « pragmatique », avait été soutenue de manière différente par des scientifiques des dernières décennies du XIXe siècle (les néogrammairiens, Wegener, Bréal). Elle n’est pas dénuée d’une certaine évidence empirique qui pourrait recevoir aujourd’hui, après plusieurs décennies d’observation expérimentale des processus de la langue parlée, des confirmations supplémentaires. Cependant, ceci n’implique pas que les principes pragmatiques mentionnés, valides en synchronie, soient la justification des mouvements diachroniques du changement de catégorie.

4Le point de vue de Meillet a été intégré et reformulé de façons différentes dans les modèles de ces dernières décennies. Selon Heine et al. (1991 : 15-16), la grammaticalisation implique quatre processus corrélés : 1. La perte de contenu sémantique (bleaching) ; 2. L’expansion de contexte ; 3. La perte de propriétés catégorielles induite par des processus morpho-syntaxiques typiques comme la clitisation, l’affixation, etc. ; 4. L’érosion (réduction phonétique).
D’autres problèmes subsistent. En premier lieu, les processus de grammaticalisation ont-ils une dimension synchronique ou diachronique ? Sur ce point les opinions semblent plutôt incertaines et elles présentent certaines contradictions. Dans un bilan récent, Heine (2003) effectue une distinction entre la grammaticalisation en tant que processus synchronique et en tant que processus diachronique et y admet les deux possibilités. Cependant, il soutient que « while grammaticalization has both a synchronic and a diachronic dimension, its foundation is diachronic in nature » (Heine, 2003 : 575). Un autre problème nullement négligeable concerne la conception de la grammaticalisation : doit-elle être vue comme une véritable théorie ou simplement comme une procédure descriptive ? Une fois encore, les formulations accréditées présentent des aspects d’ambivalence et de contradiction. D’une part, en effet, Heine prétend que : « grammaticalization theory is a theory to the extent that it offers an explanatory account of how and why grammatical categories arise and develop » (Heine, 2003 : 578). Cette affirmation n’est en aucun cas incontestable. Dans la mesure où elle est basée sur l’opinion selon laquelle les modèles de la grammaticalisation sont prévisibles, bien que faiblement, elle ne semble pas suffisamment fondée. D’autre part, Heine (2003 : 598) soutient que la « grammaticalization theory is neither a theory of language nor of language change ; its goal is to describe grammaticalization, that is, the way grammatical forms arise and develop through space and time, and to explain why they are structured the way they are ». La dimension prédictive (et donc théorique) de la grammaticalisation est renforcée par la thèse qui « makes it possible within limits to predict what is going to happen in the future, or else what is likely to exist in some unknown language » (Heine, 2003 : 598), même si l’on ajoute que « it goes without saying that all these predictions are probabilistic in nature… grammaticalization constitutes merely one of the factors that determine the history and future development of grammar » (Heine, 2003 : 599). Il semble, en définitive, que la réflexion sur la grammaticalisation doive encore démêler beaucoup de nœuds théoriques et méthodologiques, avant de pouvoir offrir des instruments aptes à contribuer à la dynamique complexe des processus de changement catégoriel.

2.2 – Continuité et discontinuité dans le modèle génératif de l’inertie

5Pendant ces dernières années, la réflexion sur les propriétés de continuité et de discontinuité du changement en diachronie a connu une certaine relance, même dans les cercles de recherche, comme ceux des linguistes générativistes, dans lesquels la théorie de la grammaire et la modélisation synchronique des données se trouvaient, traditionnellement, au centre de l’intérêt. Comme nous le verrons, le débat sur la soi-disant “théorie de l’inertie” mérite tout particulièrement un examen, puisque – en raison des présupposés, de la logique inhérente à la théorie et des conclusions auxquelles elle parvient – celle-ci forme un contrepoids à la conception de discontinuité des modèles de la grammaticalisation. A l’égard de ces derniers, la théorie de l’inertie se situe sans aucun doute sur un plan de réflexion différent sur le changement. Alors que les modèles de la grammaticalisation considèrent les langues dans leur historicité, comme systèmes ou grammaires à l’intérieur desquels se développent des procès d’altération catégorielle, la théorie de l’inertie se rapporte à un niveau de conceptualisation plus général et plus abstrait, pour ce qui est de la théorie de la grammaire. Le problème que soulève la théorie de l’inertie concerne le rôle de la grammaire, en tant que dispositif universel, dans la détermination du changement catégoriel. Quoi- que d’ordre très différent, les deux pistes de réflexion permettent une comparaison intéressante qui démontre, entre autres, combien les représentations de continuité et de discontinuité peuvent dépendre du niveau d’abstraction auquel elles se situent.

6Les modèles génératifs ont accordé une attention spéciale au changement conçu comme une redétermination de paramètres (‘resetting of parameters’) à l’intérieur de la grammaire et ce, à partir de données linguistiques primaires (externes). Cette redétermination déclenche un nouvel état de la grammaire (appelé « triggering experience »). Les changements qui surviennent dans le domaine de la linguistique externe sont, par contre, considérés comme accidentels et d’intérêt mineur. En général, donc, le changement ou la discontinuité est représenté par un modèle qui se situe à l’intérieur de la grammaire : dans des conditions externes particulières, certains paramètres grammaticaux peuvent assumer de nouvelles valeurs. En accord avec les fondements théoriques de la grammaire générative qui assignent un caractère central aux «Langues I » (les langues internes ou intériorisées, c’est-à-dire les représentations linguistiques incluses dans la compétence), le lieu où est déterminé le changement se situe dans les esprits des locuteurs, et non pas dans la réalité du monde historique, qui concerne les « Langues E » (les langues externes, c’est-à-dire les langues comme institutions historiques qui se manifestent dans les textes). Pour cette raison, il est évident que la conception de la grammaticalisation de la grammaire générative n’est ni historique ni véritablement diachronique, mais qu’il s’agit plutôt d’une conception établissant des rapports de discontinuité mentale entre les compétences linguistiques appartenant à des états synchroniques différents. Ce positionnement ne diffère pas de certaines approches structuralistes traditionnelles.
Quels que soient les choix théoriques de fond privilégiant l’orientation vers l’étude des Langues I par opposition aux Langues E (qui traditionnellement sont celles ayant toujours intéressé l’historien de la langue), les conditions externes qui provoquent la reconfiguration des paramètres grammaticaux restent obscures. Ce phénomène est prévisible en beaucoup de points, dans la mesure où de telles conditions ont été repoussées en marge des champs d’investigation du linguiste, ce qui n’empêche pas qu’elles demeurent d’un intérêt considérable, même vital pour l’analyse historique. Sans leur spécification, un processus de changement, et en particulier un processus de grammaticalisation, risque de se réduire à une séquence de faits reliés par des rapports abstraits pour le moins simplistes. S’agissant de cela, il peut être instructif d’examiner rapidement la façon dont a été traité un problème classique de grammaticalisation tel que le développement de la préposition française chez à partir du substantif latin CASA dans la théorie de l’inertie ou du minimalisme diachronique, qui est une version de la théorie générative du changement linguistique encore plus radicale que celle mentionnée ci-dessus. Cette théorie, formulée par Longobardi (2001), pourrait être récapitulée de manière synthétique par l’aphorisme « la langue est diachroniquement inerte, à moins que l’on ne prouve le contraire [1] ». Longobardi établit une affinité structurale entre les types romans dans lesquels les résultats du latin CASA apparaissent dans des constructions avec une fonction locative et le type de l’« état construit », caractéristique des langues sémitiques (cf. l’hébreu beyt ha-more, « la maison du maître »), types dont les caractéristiques structurales se trouveraient justifiées au moyen de certains principes de la Grammaire Universelle. En ce qui concerne la diachronie entre le latin et le roman, le regroupement de telles caractéristiques (l’absence de détermination pour le substantif, par exemple) constitue, toutefois, seulement le point de départ du développement du français chez, qui est peut-être reconductible à un stade roman commun pré-documentaire. À partir de ces données, cinq changements diachroniques se seraient déroulés :

7

  1. Les deux lexèmes mansio et hospitale développent le sens de « casa » au sein de l’aire gallo-romaine ;
  2. Le mot chiese, qui s’est développé phonétiquement à partir de casa, disparaît ;
  3. Le latin casa(m) suit parallèlement un développement phonétique différent, à représenter comme suit : *cas > chies > chez ;
  4. N > Prép ;
  5. Le sens ‘cabane, case’ se transforme en « position générale et abstraite ».
Selon Longobardi (qui est en cela en accord avec d’autres spécialistes), il existerait une relation entre (1) et (2) qui, dans son modèle, est toutefois exprimé dans des termes propres à la causalité : (1) a été la cause de (2). Le développement (2) serait, à son tour, responsable de l’ensemble des changements (3)-(5). Par conséquent, le changement d’origine (1), externe à la grammaire, aurait induit tous les autres (Longobardi, 2001: 298f.). Ce modèle implique que la condition d’amorce soit externe à la grammaire : une thèse riche de conséquences théoriques. Ainsi, l’hypothèse selon laquelle il n’y aurait eu aucune redétermination des paramètres dans l’histoire syntaxique de chez est de première importance. Le changement syntaxique (4), en particulier, pourrait être considéré comme une conséquence secondaire d’un changement sémantique accompli dans un autre lexème (Longobardi, 2001 : 297-299). En d’autres termes, sur le plan syntaxique, rien ne se serait produit, il n’y aurait aucune discontinuité, chaque stade ayant été la continuation naturelle du précédent.
La représentation exposée ci-dessus pose de nombreux problèmes que j’ai discutés ailleurs (voir Sornicola, 2007a). Même si l’idée d’un caractère inertiel de la grammaire du point de vue diachronique n’est pas en soi dénuée de fondement (ce n’est, du reste, pas une idée nouvelle, elle a été présentée sous d’autres formes) [2], la façon dont est représenté le rapport entre l’évolution purement interne à la grammaire (dans l’esprit des locuteurs) et les conditions externes qui l’activent semble discutable. C’est ici qu’entre en jeu l’ancien problème du lien entre facteurs internes et facteurs externes d’un changement grammatical, par rapport auquel la résolution envisagée apparaît comme peu convaincante. Les facteurs externes sont écartés de manière programmatique (on se limite à émettre l’hypothèse selon laquelle il s’agit généralement de « some change in the social/urban structure of Christianized Gallo-Romania », cf. Longobardi, 2001 : 299), bien qu’on leur attribue, paradoxalement, le rôle de condition d’amorce. Ils réalisent pour ainsi dire le gros œuvre, tout en restant vaguement à l’arrière-plan. De manière plus générale, c’est la nature du rapport entre les représentations mentales (les structures des Langues I) et la documentation externe (les structures des Langues E) qui semble problématique et ce, pour plusieurs raisons. La première d’entre elles concerne l’interprétation de la documentation historique, lorsqu’elle est effectuée en fonction de la thèse soutenue. De cette manière, la richesse des problèmes de la documentation se voit camouflée et perd de son intérêt, ce qui est contraire à la méthode historique. Une deuxième raison plus importante qui rapproche la théorie diachronique de l’inertie d’autres théories diachroniques développées en grammaire générative est le court-circuit qui se produit, en diachronie, entre les données objectives et les modélisations de structures, autrement dit entre les « données recueillies » ou sources qui appartiennent aux Langues E et les projections mentales dans l’esprit des locuteurs (dans les Langues I) des règles qui président aux structures repérables dans les textes. Il s’agit d’un passage crucial d’un point de vue méthodologique, qui constitue une difficulté pour beaucoup de théories linguistiques. Cependant, la distinction nette entre les Langues I et les Langues E, opérée par les modèles génératifs récents, amène des difficultés aux conséquences extrêmes, spécialement quand s’opposent des problèmes de discontinuité diachronique. Déjà difficilement envisageable en synchronie, le rapport entre les textes et les compétences linguistiques devient totalement insaisissable en diachronie, ne fût-ce qu’à cause de l’incontrôlabilité (si ce n’est de manière circulaire) de la compétence des locuteurs.

3 – Quelques questions ouvertes dans l’étude du développement de l’article roman

8L’examen diachronique de la formation de l’article roman implique différents problèmes aux solutions difficiles, qu’il est opportun de passer en revue rapidement. Quelques-uns d’entre eux sont de nature descriptive et/ou théorique, comme la définition de l’article et la distribution d’ille et ipse en latin tardif par rapport aux formes modernes de l’article roman. D’autres problèmes sont, au contraire, de nature interprétative, comme la relation fonctionnelle différente que les deux types pouvaient développer, l’attribution d’une valeur déictique ou anaphorique à des formes textuelles déterminées ou le repérage de la modalité de contrainte, cruciale dans le passage du démonstratif à l’article proprement dit. D’autres encore sont de nature explicative, comme la détermination des facteurs qui peuvent avoir joué un rôle dans le changement de catégorie. Il est clair que tant les problèmes interprétatifs que ceux de nature explicative nous amènent au cœur de la détermination des trajectoires de développement diachronique. Enfin, il ne faut pas non plus sous-estimer les difficultés évidentes de périodisation de la discontinuité, qui sont toutefois, si possible, encore plus pertinentes pour l’historien du changement qu’elles ne le sont pour son théoricien.

3.1 – Les problèmes de définition

9En ce qui concerne les problèmes de définition, Wackernagel (1920-1924, 2 : 126) avait déjà observé que l’article est « ein besonders merkwürdiges Objekt ». Le scientifique suisse estimait qu’il s’agissait d’une catégorie flexible, dont l’origine diachronique et l’usage peuvent différer considérablement dans les différentes langues du monde (Wackernagel, 1920-1924, 2 : 127). Du reste, le terme « article » a une histoire digne d’attention. C’est encore Wackernagel (1920-1924, 2 : 129) qui rappelle que les grammairiens latins étaient déjà conscients de l’ambivalence fonctionnelle des démonstratifs, comme pronoms ou comme « articles », en fonction de leurs contextes syntaxiques d’occurrence. À ce sujet, il rappelle le passage suivant, extrait de la grammaire de Probus :

“Plinius Secundus hic tunc voluit dici pronomen, quando solum reperitur declinari, ut puta hic huius et cetera sequentia; at vero si cum alia parte orationis inveniatur declinari, articulum appellari, ut puta hic Cato, huius Catonis et cetera sequentia” (Probus, Instituta artium [Keil IV 133, 7ss.]).
En effet, dans la description d’un état synchronique actuel, la différence entre l’adjectif démonstratif et l’article est clairement délimitée. Dans les langues romanes modernes, comme dans d’autres langues du monde, les deux catégories ont des représentants formels différents (les articles présentent souvent une structure morphologique plus légère qui est, dans de nombreux cas, le résultat d’un processus d’érosion de la forme à partir de la structure des démonstratifs) et des caractéristiques distributionnelles distinctes. Dans les langues romanes, la nature clitique de l’article et son caractère obligatoire dans de nombreux contextes distributionnels apparaissent de manière évidente. La différence de fonction est également claire. Malgré le fait que les deux catégories soient des foncteurs déictiques par excellence, le démonstratif a une gamme de valeurs exo- et endo-textuelles plus riche et plus complexe que l’article. Sur le versant exo-textuel, le démonstratif se caractérise par l’expression d’une deixis spatiale en relation avec la coordonnée du locuteur, laquelle est totalement absente dans l’article ; le démonstratif exprime seulement la valeur référentielle d’un nom. Sur le versant endo-textuel, la fonction anaphorique peut être exercée par les deux catégories, mais il subsiste d’évidentes différences : pour le démonstratif, celle-ci exprime une relation de contiguïté supérieure ou inférieure entre des syntagmes nominaux équi-référentiels et, en tant que tels, elle maintient, en dernière analyse, une valeur typiquement spatiale ; pour l’article, conformément à l’absence de valeur spatiale, elle exprime une simple relation de coréférence entre syntagmes. La valeur référentielle dépourvue de toute référence spatiale, tant ésophorique qu’endophorique, est traditionnellement considérée comme une caractéristique de l’article, par opposition au démonstratif ; elle est justifiée en diachronie comme un processus de désémantisation, avec pour corollaire le développement du caractère quasiment obligatoire du déictique à l’intérieur du syntagme. Toutefois, la documentation sur le sujet en latin tardif est beaucoup plus compliquée à analyser.

3.2 – Chronologie et périodisation

10Un autre problème relève de la détermination de la chronologie du processus de grammaticalisation de l’article à partir du démonstratif. La délimitation chronologique d’un développement diachronique, est, on le sait, une opération aux résultats souvent imprécis. Il est donc possible que la question de savoir quand l’article s’est développé dans les filières diachroniques, depuis le latin jusqu’aux diverses langues romanes, doive être abordée avec une extrême prudence. Cependant, l’historien ne peut éviter de se la poser. A ce propos, différentes opinions subsistent. Si Trager (1932 : 5) pensait que l’usage d’ille et ipse en tant qu’articles est « very hard to find until late texts », mais que, cependant, ceux-ci « must have existed in popular language », Svennung, quant à lui, déclare explicitement que le problème lui semble encore obscur dans ses diverses implications (« Die allmähliche Entwicklung zum best. Artikel ist in mehreren Einzelheiten noch dunkel » (Svennung, 1961 : 314)). D’autres, comme Bourciez (1930 : 100), Grandgent (1908 : 164) et Grevander (1926 : 23) pensent tout simplement que l’utilisation d’ille en tant qu’article existait déjà en latin. Ce point de vue a été critiqué, avec raison, par Löfstedt (1956, 2 : 359). Le savant suédois considérait comme erronée une datation trop précoce de la fonction de l’article, qu’il envisageait comme le résultat d’analyses conduites « mit einem… auffälligen Mangel an philologischem Urteil und Sprachgefühl ». Par opposition, sa thèse était qu’un emploi d’ille comme article était le propre d’une réalité déjà romane. Il semble en effet difficile de réfuter cette conclusion fondée sur des analyses textuelles extrêmement soignées et minutieuses : Löfstedt a réussi à démontrer, à notre avis, que la grande majorité des exemples latins, provenant de périodes différentes, que l’on a voulu interpréter comme porteurs de la fonction d’article, maintiennent, en réalité, intacte la valeur démonstrative ou anaphorique, qui était caractéristique des types latins.

11De plus, il est vrai que le problème posé en termes d’opposition nette entre latin et roman pourrait être trompeur. Tous les romanistes savent combien il est difficile de donner une représentation conceptuelle, historiquement élaborée, de la transition des réalités latines aux réalités romanes et ce, pour différentes raisons. Tout d’abord, la distinction, au sein de la documentation, entre structures appartenant au latin d’une part et structures appartenant au roman de l’autre, ne peut se faire qu’à travers une opération artificielle abstraite, effectuée a posteriori par le linguiste. Examinons l’inscription de la catacombe de Commodille à Rome, un texte appartenant probablement à la première moitié du IXe siècle [3] :

[1]
Non dicere ille secrita a bboce
(1) La structure négation + verbe à l’infinitif avec une valeur d’impératif prohibitif est de caractère typiquement roman. (2) La forme nominale secrita, dont la graphie conduit à l’hypothèse de développements phonétiques qui sont déjà des vulgarismes (le
figure im1
tonique du lat. S
figure im2
CR
figure im3
TUM rendu par i), pourrait être analysée comme un pluriel neutre (mais dans ce cas la forme ILLE qui la précède serait à l’évidence privée de concordance, si elle est analysée comme latine). Au contraire, cette forme pourrait être envisagée comme une attestation du pluriel roman en –a refonctionnalisé comme féminin (il faut penser aux types italo-roman le castella, le cervella) [4]. (3) Le syntagme prépositionnel a bboce présente des caractéristiques romanes dans la forme graphique de la préposition et, en ce qui concerne le nom, dans le redoublement de la consonne initiale, ainsi que dans l’absence de terminaison consonantique de la flexion. Mais dans quelle mesure ces critères d’analyse ne sont-ils pas équivoques ? Concernant le point (3), les différences entre la forme du syntagme latin et celle du syntagme roman peuvent être aisément délimitées de manière abstraite, mais quel « latin » devons-nous prendre comme point de comparaison ? En tout cas, même dans un contexte aussi prometteur du point de vue des indices possibles de vulgarisme roman, comment analyserons-nous la forme ille ? Est-ce un démonstratif ou bien un article dans sa forme primitive ? Si la question risque d’être insoluble, n’est-il pas préférable d’admettre qu’elle est mal posée ? En d’autres termes, les indices fournis par des sources telles que l’inscription de la catacombe de Commodilla (et plus généralement par les sources en latin tardif et spécialement par les sources romanes des origines) peuvent difficilement être considérés comme de véritables preuves de la transformation du démonstratif en article. Il existe, en effet, un problème macroscopique d’influence mutuelle, d’enchevêtrement de réalités latines et romanes, qui ne se laisse pas démêler facilement. On peut l’observer également dans certains cas où le texte est clairement privé de formes d’article, comme dans la version romane des Serments de Strasbourg. Cette absence ne peut pas être interprétée comme un indice du manque de développement de l’article dans les usages linguistiques gallo-romans, car les Serments – on le sait – ne sont, en aucun cas, une source directe des variétés parlées, mais bien une tentative savante, bien que provisoire, de mise à l’écrit de la langue vulgaire, dans laquelle se fait encore sentir l’influence des emplois latins plus ou moins artificiels. L’étude et le traitement du problème de la chronologie de l’article doit tenir compte, en somme, de la logique complexe de la transition du latin aux langues romanes. Il faut donc faire l’effort de s’imaginer, à partir de la documentation fragmentaire à notre disposition, un ensemble plus large de contextes historiques d’usage. Comme pour d’autres phénomènes diachroniques, la compréhension de cette logique semble être la question la plus épineuse à affronter.

3.3 – Distribution et fonction d’ille et ipse en latin tardif et formation de l’article

12Les problèmes ne s’arrêtent pas là. En effet, l’examen des différents types de démonstratifs latins qui ont abouti à l’article roman en réserve d’autres. En latin tardif, les types ille et ipse ont une distribution qui ne semble pas en accord avec celle des formes modernes de l’article qui en dérivent. Si aujourd’hui les résultats de ille, dans une fonction d’article, ont fini par prédominer dans la plus grande partie de la Romania et si les résultats correspondants d’ipse apparaissent de manière minoritaire dans quelques aires du catalan, dans des points provençaux très rares, ainsi qu’en sarde, la situation du latin tardif devait être bien différente, à en juger, du moins, par le témoignage de nombreux textes. ipse apparaît effectivement comme démonstratif et anaphorique potentiellement précurseur de l’article, de façon souvent prédominante par rapport à ille. Le point qui semble le plus intéressant est que l’on relève cette situation un peu partout dans la Romania, dans certaines aires jusqu’au Xe siècle (et même au-delà) et ailleurs jusqu’au VIIIe ou au IXe siècle (voir Aebischer, 1948, et pour un récapitulatif du problème Sornicola, 2008). En signalant la prévalence des formes d’ipse, les nombreux spécialistes qui ont examiné les textes du latin tardif ont voulu y voir un affaiblissement sémantique par rapport aux valeurs caractéristiques du latin classique [5].

13L’attribution d’une valeur sémantique et d’une fonction pragmatique aux formes d’ille et d’ipse attestées dans les textes du latin tardif forme en effet un point crucial, mais aussi l’un des plus controversés. Nous reviendrons d’ici peu sur la question de la désémantisation (voir sous le point 3.5.), mais un autre problème requiert notre attention pour l’instant : celui de l’examen comparatif des fonctions d’ille et ipse. S’agissant de cela, il est évident que l’opinion des spécialistes qui se sont occupés de cette question varie sensiblement. Un rapide tour d’horizon peut être suffisant pour fournir une idée de l’importance des désaccords. Trager (1932 : 5) était d’avis que « ille and ipse retained their classical usages, but at the same time were used as “definite article” », alors qu’Aebischer (1948 : 203) soutenait que des phases dans lesquelles ille et ipse étaient des types synonymiques concurrents doivent avoir existé, mais en variation libre, dans différentes parties de la Romania. Renzi (1976 : 29), au contraire, avance que ille et ipse n’ont jamais été synonymes, puisque l’éventail des fonctions textuelles anaphoriques d’ipse était plus restreint que celui d’ille.

14De toute évidence, la tentative d’identification des fonctions textuelles et pragmatiques, qui est le fruit d’une sensibilité analytique plus moderne, ne trouve pas d’unanimité. Sur la base des résultats d’un examen de la Peregrinatio Aetheriae, Nocentini (1990 : 146) soutient que « ille e ipse si sono specializzati, il primo nella funzione cataforica, il secondo in quella anaforica ». Il observe en outre qu’ille apparaît typiquement en tête d’une proposition relative (Nocentini, 1996 : 23). Pour Selig (1992 : 153 et 165 passim) « ipse wird in fast allen… analysierten Texten in erster Linie zur Kennzeichnung anaphorisch definiter NPs verwendet… Der Bereich der definiten Erstnennung ist die eigentliche Funktionsdomäne von ille in den analysierten Texten ». Par ailleurs, Vincent (1998), partant d’une analyse de la situation du latin classique, soutient : « esiste… una interessante e rivelatrice complementarietà tra ille e ipse : laddove il valore di ripresa (e quindi di definitezza) di ille deriva dalla sua funzione di marcare un elemento già noto, e per questo potenzialmente privo di accento, ipse riprende un argomento del discorso, e quindi anch’esso noto, per porlo in rilievo, essendo così predestinato a contesti di prominenza discorsale i quali sono necessariamente accentati » (Vincent, 1998 : 415). Cependant, dans les phases tardives, « la seconda menzione è obbligatoria in tutti i contesti, ma solo in presenza di referenti la cui identificazione è rilevante : la […] funzione testuale è differenziata nel senso che il primo [ille] introduce un referente determinato e il secondo [ipse] ne mantiene la continuità tematica durante il discorso ». Il est évident qu’il s’agit d’analyses pour le moins divergentes.

3.4 – Facteurs possibles du changement

15Le problème des facteurs possibles qui ont induit le changement est un autre leitmotive de la recherche, encore une fois riche d’hypothèses controversées. Le rôle du grec à ce sujet a souvent été suggéré. Selon Wackernagel (1920-1924, 2 : 129-130), une telle influence aurait été plus sensible dans les registres littéraires cultivés. Il est prouvé, par exemple, que dans les traductions bibliques du grec vers le latin, les noms propres précédés en grec par l’article le sont en latin par un démonstratif. Par exemple, le nom propre ????? apparaît en grec de la Septante comme ?? ????? mais dans le latin de la Vulgate comme huic Jacob ou ipsi Jacob. Wackernagel (1920-1924, 2 :130) notait cependant que ce type d’influence n’aurait pas pu, à lui seul, mettre en mouvement ou, a fortiori, déterminer la transformation du pronom démonstratif en article, si les registres parlés n’avaient pas été impliqués eux aussi dans le changement. Le rôle central de la langue parlée dans ce processus, comme dans d’autres processus diachroniques, a clairement été mentionné par différents spécialistes dont les positions semblent faire écho aux idées de Meillet sur les principes généraux qui amorcent les processus de grammaticalisation (en particulier, l’idée que le facteur-clé serait la tendance à organiser le discours de manière déictique, contextuellement orientée). Ainsi, pour Svennung (1961 : 314), l’emploi anaphorique massif d’ille pourrait être interprété comme « ein Ausdruck für die allgemeine Neigung der Umgangssprache zu immer stärkeren Ausdruckmitteln ». Même s’il partage cette opinion, Löfstedt croit qu’en plus de la tendance générale déictique-expressive, un facteur plus spécifique qui concerne l’acceptation de la fonction grammaticale de la part du démonstratif en cours de transformation en article a été à l’œuvre :

“So ist es gewiss kein Zufall, dass im Lat. das erste Auftreten des Artikels der Zeit nach mit der beginnenden Auflösung des alten Flexionssystems zusammenfällt: die Stütze des Artikels hat hier ohne Zweifel nicht nur der energischen Hervorhebung, sondern auch der formalen Deutlichkeit gedient“.
(Löfstedt, 1956, 2 : 381)
Il s’agit d’une idée reprise plus récemment par d’autres spécialistes qui ont cherché à l’intégrer dans des modèles de typologie diachronique d’orientations théoriques variées (voir Renzi, 1976 ; Vincent, 1998). Ces tentatives ont en commun l’idée que la question du changement doit résider dans des principes grammaticaux généraux.

3.5 – Les trajectoires de développement : désémantisation et caractère obligatoire

16Le processus de grammaticalisation de l’article à partir d’ille a souvent été conçu comme un affaiblissement de la valeur déictique originelle du démonstratif, affaiblissement qui aurait favorisé le développement de la fonction anaphorique. En réalité, la valeur démonstrative et la fonction anaphorique sont des propriétés ayant une affinité naturelle. En effet, dans de nombreuses langues, elles apparaissent comme étant corrélées ; c’est pourquoi on pourrait avancer l’hypothèse selon laquelle le développement d’une fonction anaphorique de la part du démonstratif est un processus potentiellement implicite à l’intérieur de ce dernier. Une dynamique similaire pour ipse peut être postulée, malgré les différences de valeur sémantique qu’un tel type avait par rapport à ille. Mais le développement de cette filière sémantique générale, qu’il est possible de reconstruire théoriquement, n’est pas facilement observable dans les textes. Certains savants, comme Löfstedt (1956, 2 : 365) étaient, avec raison, plutôt sceptiques quant à la possibilité d’identifier clairement les différentes nuances sémantiques d’ille et ipse dans les phases de transition. Cependant, selon Löfstedt, l’on pourrait identifier quelques formes dont la fonction annoncerait celle de l’article. À son avis, une donnée particulièrement importante à ce sujet est le type ille alter (ou simplement ille), dans des contextes d’opposition, de division ou de comparaison. On reproduit ici un exemple relevant de ce genre de contextes :

[2]
Mercator quidam fuit Syracusis senex, ei sunt nati filii gemini duo… imponit geminum alterum in navim pater / Tarentum avexit secum ad mercatum simul / illum reliquit alterum apud matrem domi (Plautus, Menaechmi 17-28 passim).
On observe, en outre, les exemples suivants d’ille qui présente une possibilité de valeur sémantique affaiblie, dans une fonction qui semble s’approcher de celle de l’article (les exemples sont extraits de Löfstedt, 1956, 2 : 368) :

17

[3]
  1. quod unus horum malus est et ille alter pessimus (Epist. Austras. 23, 72)
  2. Vesegothae, id est illi alii eorum socii (Iordanes, Getica 25, 131)
  3. fava vero integra cocta bene et in iuscello et in oleo … melius congrua est quam illa fava fresa, quae gravat stomachum (Anthimus, De observatione ciborum 65)
  4. mela bene matura in arbore, quae dulcia sunt, bona sunt ; nam illa acida non sunt congrua (Anthimus, De observatione ciborum 84)
Cependant, plus encore que la désémantisation de la valeur démonstrative à l’avantage d’une fonction endo-textuelle purement anaphorique, c’est le développement de la caractéristique de contrainte du déterminant du nom qui a été retenu comme trait pertinent. Ainsi, on considère le fait qu’ille et ipse soient devenus obligatoires à un certain stade comme le point critique de rupture dans la discontinuité catégorielle qui a donné vie à l’article. Une conséquence particulière de la mécanisation de la présence des types ille et ipse est le processus d’érosion ou de réduction phonétique qui a investi les formes respectives, processus qu’on observe mieux dans le développement d’ille (voir Aebischer, 1948).

18Le point de vue qui attribue une prééminence au développement de l’emploi contraint dans le changement catégoriel est bien synthétisé dans l’argumentation de Löfstedt (1956, 2 : 365) :

19

« Zum bestimmten Artikel im wahren Sinne des Wortes hat sich allerdings ille in lateinischer Zeit nie entwickelt, auch nicht in den spätesten und vulgärsten Texten; wie Brugmann hervorhebt, ist nämlich ein wirklicher Artikel stets obligatorisch, was weder bei ille noch bei anderen Vorläufern des Artikels der Fall gewesen ist »
Bien que cela puisse sembler étrange, puisqu’il s’agit d’une caractéristique d’une objectivité évidente à première vue, la modalité de l’obligation d’emploi n’apparaît pas non plus de manière incontestable dans les textes. Grevander (1926 : 28) et Löfstedt (1956, 2 : 365) font d’intéressantes observations sur les difficultés d’interprétation textuelle d’ille et ipse en latin tardif. Löfstedt (1956, 2 : 373-374), en particulier, met en garde contre les pièges dans lesquels on risque de tomber par manque de précision interprétative. Le spécialiste suédois critique l’opinion de Muller (1929: 84) selon laquelle « it is not until the latter part of the VIIIth century that the frequent, pleonastic use of the pronoun, and principally ille, announces the progress of this new development ». Pour soutenir cette thèse, Muller avait cité le passage suivant du Regula canonicorum de Chrodegang, dans lequel, selon lui, ille serait déjà sur le point de devenir explétif et obligatoire :
[4]
Et illas cappas et illos sarciles et illa calceamenta de illos teloneos superius nominatos… et de illo calciatico, quod ille episcopus annis singulis ad illum clerum reddere consuevit, et de eorum elemosyna quod ad ipsum clerum specialiter Deus dederit sint comparata (Regula canonicorum de Chrodegang, Migne 89, 1113).
Pour Löfstedt, par contre, chacune des occurrences d’ille de ce passage peut être considérée comme une reprise anaphorique d’une entité référentielle précédemment mentionnée dans le co-texte. Un problème analogue se pose pour l’analyse d’autres textes. Renzi (1976 : 31) soutient que « la regola di S. Benedetto e l’opera storica di Gregorio di Tours ci fanno vedere che nel VI sec. sia in Italia che in Gallia l’uso di ipse e di ille si era esteso per la prima volta a casi diversi da quelli del latino classico». En ce qui concerne ipse, Renzi croit que son occurrence dans des passages de la Regula Sancti Benedicti comme celui reporté ci-dessous est une innovation et qu’elle prélude au développement de la fonction d’article, puisque ses formes n’ont ni la valeur emphatique caractéristique des stades précédents du latin ni la valeur anaphorique de reprise d’éléments déjà mentionnés, mais devraient être expliquées par rapport à des éléments partageant la caractéristique de la « présupposition commune » (Renzi, 1976 : 32) :
[5]
  1. In ipsis autem pretiis non subripiat avaritiae malum (Regula Sancti Benedicti 57, 11).
  2. Artifices si sunt in monasterio, cum omni humilitate faciant ipsas artes, si permiserit abbas (Regula Sancti Benedicti 57, 2).
Nous verrons sous le point 5. que des emplois comme ceux-ci ne sont pas innovateurs, mais se situent dans la continuité d’une tradition ancienne.

4 – Continuité textuelle et discontinuité catégorielle : les données des documents notariaux en latin tardif de l’Italie méridionale

20L’analyse des documents juridiques des Xe et XIe siècles de la zone méridionale italienne offre quelques indices qui semblent pertinents pour une discussion des problèmes liés à la désémantisation et à la contrainte et, plus généralement, pour une réflexion sur la relation entre les continuités textuelles et les discontinuités catégorielles (voir Sornicola, 2007a ; 2008). Les documents pris en considération sont ceux publiés à partir des parchemins ou manuscrits originaux des collections du Codex Diplomaticus Cavensis, des Regii Neapolitani Archivi Monumenta et du Codice Diplomatico Amalfitano. Bien qu’ils aient été, jusqu’ici, peu étudiés d’un point de vue linguistique, il semble que l’intérêt de ces documents ne soit pas négligeable pour l’étude de nombreuses structures impliquées dans la transition du latin aux langues romanes (voir Sornicola, 2008). Ils ont, en effet, été rédigés dans des scriptoria italiens du haut Moyen Âge qui jouissaient d’un certain prestige. En outre, le mélange de conservatisme et d’innovation linguistique, typique des écrits juridiques de beaucoup d’aires romanes, se manifeste sous une forme particulière dans un territoire comme celui de l’Italie méridionale, au sein duquel on peut dire que l’on n’avait jamais cessé de parler latin ou d’adhérer aux développements de ses différentes règles « réelles », ainsi qu’à celles ayant évolué dans le temps. Ceci est encore plus vrai pour les professionnels de l’écriture qu’étaient les notarii des centres culturels importants du haut Moyen Âge - comme Naples, Salerno et Amalfi - dont la maîtrise d’un ample spectre d’emplois linguistiques devait être, dans certains cas, considérable. Dans ce qui suit, nous prendrons seulement en considération les documents du Codice Diplomatico Amalfitano (pour une discussion plus ample des documents napolitains et du Codex Cavensis, voir Sornicola, 2009a).
Les démonstratifs latins hic, is, ille, iste et ipse coexistent souvent dans les mêmes documents du Codice Amalfitano, avec des fonctions syntaxiques, sémantiques et textuelles différentes. is et ille apparaissent dans presque tous les documents en tant que pronoms anaphoriques qui ne sont pas en variation libre. Il existe en effet une différence importante concernant les types de structures anaphoriques auxquels ils ont donné lieu (voir Sornicola, 2007a, pour une analyse plus détaillée de ces différences). hic, iste, ipse apparaissent le plus souvent comme modificateurs du nom. Cependant, nous le verrons, ipse présente un caractère multifonctionnel par rapport aux différents niveaux d’analyse.

5 – La multifonctionnalité d’ipse

21ipse affiche un large éventail de fonctions textuelles. La fonction anaphorique typique observée dans différents textes du latin tardif est fréquente dans les documents amalfitains ; dans plusieurs cas, elle est associée à un sens exprimable en termes de « la même chose, le même » (avec un tel signifié, ipse se trouve en alternance avec les participes latins caractéristiques des écrits juridiques supradictus, suprascriptus). La fonction d’introduction d’un nouveau référent est moins fréquente. On la trouve, par exemple, dans la formule initiale de division ou de vente, avec une valeur sémantique qui pourrait être définie à la fois comme référentielle et déterminante.

22Dans le passage suivant :

[6]
A presenti die et tempore pronam atque spontanea voluntate venundedimus atque et in presentis cessimus et contradidimus… idest unam peziam de vinia in territorio staviaano positam. qui est coniunta cum ipsum casalem vestru cum ipsa oliva ibidem habentem et pomifera et salici (CDA XV, p. 23, r. 6-12)
le terme vinia, précédé par le classificateur pezia de, peut être interprété comme une référence générale à la classe des biens vendus (la spécification du lieu dans lequel se trouve le vignoble semble avoir une fonction syntactico-sémantique de construction ajoutée, qui n’infirme pas cette interprétation). Par ailleurs, le syntagme ipsum casalem vestrum cum ipsa oliva a une valeur référentielle spécifique, typique de ce que l’on appelle des « descriptions définies ». Cette valeur est sans doute plus claire dans le passage suivant :
[7]
a presenti die promtissi[ma voluntate] venundedimus et contradidimus vobis… idest sextam partem de ipsa portione ss. Iohannis soceri et genitoris nostri que eum tetigere debuit de plenario ipso inserteto quod tulit at pastinandum a Theodonanda … et sextam partem de ipsa portione que debuit tetigere ss. [soce]r et genitorem nostrum… de ipsa vinea in illo latere Terenzanu posita. et sexte de ipso quod habet ss. Iohannes socerus et genitor noster at ipsa Orsara (CDA XVII, p. 27, r. 2-11)
Bien que les formes d’ipse soient ici très fréquentes, elles n’apparaissent pas à l’intérieur de chaque syntagme nominal. Leur distribution peut ne pas être fortuite : le syntagme sextam partem, que l’on peut considérer comme un quantificateur d’un point de vue fonctionnel, ne contient pas de forme d’ipse, alors que les descriptions définies des biens vendus et de leurs parties en sont pourvues. Encore une fois, la distribution observée fait penser à une fonction d’ipse comme marque de détermination. Cette caractéristique va de pair avec le type de structure textuelle : en effet, dans les écrits juridiques et dans les documents notariés en particulier, il est extrêmement important de signaler clairement tous les objets concernés par le contrat et donc de procéder à leur description en ne laissant aucun doute sur l’identification du bien. Il faut noter, en passant, l’emploi intéressant de la forme pronominale neutre (non animée) ipso suivie de quod, qui est une structure interprétable comme « ce que ». Elle doit probablement être mise en relation avec les types romans so, ciò, tso et, en particulier, avec un type indéfini avec le sens de « quelconque », qui a survécu dans quelques variétés de langues romanes modernes (cf. Sornicola, 2007b ; 2009b).

23Il va de soi que la valeur référentielle et déterminante n’est pas forcément associée à l’émergence d’une fonction d’article plus ou moins développée. Il est inutile de souligner que la valeur référentielle est également typique des pronoms démonstratifs. Il convient de rappeler l’importante observation d’Aebischer, plus pertinente pour notre discussion et souvent oubliée, selon laquelle une des plus grandes difficultés dans l’analyse d’ipse et ille dans les textes du latin tardif et du début des langues romanes réside dans le lien inextricable qui unit les fonctions de démonstratif et d’article au stade initial. Comment pouvons-nous avoir la certitude de la séparation et de la distinction de telles fonctions dans la représentation diachronique ? Si nous les séparons a priori, ne finirons-nous pas par imposer au passé des catégories ayant été créées pour les langues romanes modernes et se conformant donc plutôt aux structures de ces dernières, plutôt qu’à celles des langues appartenant à d’autres périodes ?
Ce problème est encore plus évident lorsque nous affrontons l’analyse de contextes tels que :

24

[8]
  1. [a presenti] die et tempore pronam atque spontaneam voluntatem … dividere et difinire visi sumus vobiscum… plenarii casali et oliveta nostra in territorio staviano. quod dividere visi sumus… in duas portiones. in primis om[nib]us [par]tivimus ipsum casalem da Fusculum per traversum in duas portiones… ipsa portio a supra avet longitudinem de uno latere… passi triginta … et de alio latere passi viginti. et iactavimus ibidem tote ipse olive cum et toto ipso terra vacuum a[v i]psas cruces in iusu (CDA IV, p. 6, r. 8-20)
  2. et amodo et semper vinum et omnem alium frugium quod ibidem dominus dederit omni annue dividamus eos vobiscum… et ipsam portionem vestra de ipso vinum portemus vobis ubi recluditis ipso alio vestro vinum et conciemus vobis ipse vestre bucti … et ipsa fructura in ss. locum dividamus per medietatem (CDA X, p. 17, r. 2-10)
À première vue, les formes d’ipse peuvent être analysées comme des « proto-articles », de par leur abondance et leur caractère explétif. Cette analyse semble toutefois peu convaincante. Il est vrai que dans les deux passages cités, les formes d’ipse sont très fréquentes. Cependant, le fait que presque toutes les formes soient dans une relation de partie-tout avec le syntagme qui décrit la propriété en vente (ou en division, ou en location) est plus pertinent que leur fréquence. En effet, dans les deux passages, il existe une alternance entre, d’une part, un syntagme nominal sans ipse, que nous appellerons A, exprimant le sens d’un tout et construit comme l’objet grammatical d’un verbe comme ‘vendre’, ‘diviser’, ‘donner en location’ et, d’autre part, d’autres syntagmes nominaux à l’intérieur desquels apparaît une forme d’ipse, syntagmes appelés B, C, etc., qui rendent le sens du syntagme A plus précis, en scindant le sens dans son ensemble en celui de ses subdivisions. En d’autres termes, B, C, etc. sont des méronymes du nom testa du syntagme A et, en tant que tels, ils font partie d’une progression isotopique (il s’agit, comme on sait, d’un des types canoniques du développement textuel cohérent). Ces observations sont confirmées par des documents notariés provenant d’autres zones romanes (voir Sornicola, 2009a).
Quelle analyse grammaticale peut-on faire des formes d’ipse présentes dans les syntagmes méronymiques ? S’agit-il de formes ayant une fonction textuelle de déterminant ou doivent-elles plutôt être interprétées comme porteuses de la fonction d’article ? Quel est le rôle de la fréquence d’emploi dans des exemples comme ceux que nous venons de citer ? Manifeste-t-elle la jonction des propriétés de fréquence et d’obligation d’emploi, ou d’un emploi à peu près obligatoire ? Des questions comme celles-ci pourraient nous induire en erreur, parce qu’elles nous éloigneraient du caractère historique caractéristique des textes que nous sommes en train d’examiner. Les phénomènes observés et, plus généralement, les textes qui les contiennent, peuvent être mieux compris si nous nous rendons compte de l’existence d’une continuité textuelle qui les lie à des textes latins d’époques différentes. Un coup d’œil sur la documentation montre que les emplois textuels apparemment problématiques d’ipse relevés dans le Codex Diplomatico Amalfitano et dans des documents d’une autre provenance présentent d’intéressants antécédents en latin. Il n’est, en effet, pas rare de trouver en latin des syntagmes avec une forme d’ipse qui assume une relation de partie-tout avec un syntagme nominal précédent (les exemples sont extraits du Thesaurus Linguae Latinae VII, 2, 309, 35ss ; 311, 4ss.) :
[9]
  1. ‘Tityre maxime’ duo sunt dactyli…, sed ipsi pedes finiunt ipsam elocutionem quae appellatur colon (Pomponius, gramm. V, 133, 28)
  2. nuces ita ponemus…, ut latus, id est carina ipsa figatur in terra. cacumen ipsum… in aquilonis partem dirigemus (Palladius 2, 15, 15)
L’exemple suivant présente un autre type de progression isotopique (non méronymique), rendue possible par la compatibilité sémantique entre les termes :

25

[10]
urinam circa truncum… suffundi, ut ad radium instillatio ipsa descendit (Palladius, 12, 10)
De tels exemples sont également typiques du latin juridique (on peut en trouver des exemples dans le Codex Theodosianus et dans les textes justiniens). En effet, le langage juridique, de par son caractère conservateur, pourrait avoir été une importante voie de transmission de la structure textuelle sous examen (Sornicola, 2007a ; 2008).

26En latin, une fonction de cohésion textuelle peut également se traduire par l’emploi d’ipse dans des énumérations :

27

[11]
  1. Secontia et Vxama…, praeterea Segovia et Nova Augusta, Termes ipsaque Clunia (Plinius, Nat. Hist. 3, 27)
  2. Mauri et Marcomanni, ipsique Parthi vel quantaecumque… gentes… (Tertullianus, Apolog. 37, 4)
Ces exemples correspondent à une des définitions d’ipse donnée par le Thesaurus Linguae Latinae (VII, 2, 311, 4ss.) : « pronomen ipse certae actionis vel rationis demonstrandi defectum compensat augendo, efferendo sim. sic maiora a levioribus distincta in aspectum profert, disponit orationem, verba, in ordinem redigit personas, digerit res, actiones vel cum narratione vel inter se quidam ratione coniunctas ».
Ce sont précisément des contextes latins comme ceux que nous venons d’observer qui pourraient éclairer le lecteur moderne sur ce qui apparaît comme une valeur opaque des formes d’ipse dans les passages problématiques du Codice Amalfitano, ainsi que dans d’autres textes similaires. Leur emploi n’a probablement rien à voir avec la fonction d’article. Ces formes semblent plutôt assumer un rôle d’orientation au sein du texte juridique : chaque lexème introduit par ipse délimite des parties de texte qui sont autant d’entrées de registre. Il est possible que l’adoption de cette technique ait été dictée par une structure traditionnelle des écrits techniques et, dans ce cas, il s’agirait de la fonctionnalisation textuelle d’une virtualité sémantique d’ipse, réalisée par des auteurs latins d’époques différentes.
Ces considérations peuvent avoir des implications plus générales pour la recherche de points de rupture ou de discontinuité dans les processus de grammaticalisation et, en particulier, pour l’étude de l’émergence de la condition de contrainte de l’article. Une autre implication, peut-être encore plus générale que la précédente, est que, dans les trajectoires diachroniques qui mènent des pronoms latins démonstratifs à l’article roman, des structures très persistantes ont pu exister qui n’ont pas survécu ; elles sont devenues, à un certain moment, des ruelles sans débouché, des impasses. Toutefois, minimiser leur importance serait une erreur car elles font partie d’une protohistoire qui ne peut pas être explorée en regardant vers l’avant dans le temps, vers les développements successifs et, à plus forte raison, vers le présent.

Bibliographie

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Date de mise en ligne : 26/04/2010.

https://doi.org/10.3917/tl.059.0025

Notes

  • [1]
    Nous traduisons.
  • [2]
    Un point de vue autorisé à ce sujet est celui de Coseriu (1958 ; 1982 [1988]), qui a défendu l’idée selon laquelle la modélisation du changement linguistique d’un point de vue naïvement dynamique est absolument à critiquer.
  • [3]
    C’est ce que propose Sabatini (1966 : 64), cf. Castellani (1976 : 33-34), à qui nous renvoyons pour un examen des différentes analyses de l’inscription.
  • [4]
    Cf. Rohlfs (1966-1969, 2 : § 368).
  • [5]
    Voyez Löfstedt (1911 : 65), Grevander (1926), Svennung (1935), Cavallin (1934), Vielliard (1927 : 141).
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