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Article de revue

De la partition à la quantification : le cas des verbes de séparation V X en Ypl

Pages 141 à 163

NOTES

  • [*]
    Université de Lille III
  • [1]
    Les noms généraux de parties séparées (cf. Vénérin-Guénez, 2006b), déverbaux ou bases verbales pour la plupart, constituent un groupe lexical hétérogène, réuni autour d’une conjonction de traits : la concrétude tridimensionnelle héritée du tout concret solide initial et des limites aléatoires ou programmées. Les Np.brisées et les Np.découpées rassemblés sous le terme de Np.séparées malgré certaines différences répondent à plusieurs critères sémantico-syntaxiques fondamentaux :
    • ils dénotent prioritairement le résultat d’une séparation artificielle d’un tout concret solide, c’est leur sens premier ;
    • ils sont des noms relationnels généraux qui ne permettent pas d’accéder précisément à la référence du tout d’origine ;
    • leur référent est non repérable dans le tout d’origine (c’est-à-dire qu’il n’existait pas avant en tant qu’individu) ;
    • ils constituent un syntagme en Npl, argument pluriel d’un verbe de séparation ou caractérisation d’un nom ;
    • ils quantifient la matière et peuvent étendre leur champ d’affectation référentielle.
    Parmi eux, on rencontrera des termes centraux dénotant des entités brisées comme bout, bribe, débris, éclat, fragment, lambeau, miette, morceau, parcelle, particule, pièce ou ceux dénotant des entités découpées comme bout, brin, morceau, parcelle, part, portion, quartier, segment, tranche, tronçon et des termes plus périphériques comme brisure, fraction, lichette, lopin, rognure.
  • [2]
    Kleiber, Schnedecker et Ulma (1994 : 24) définissent le principe d’aliénation comme « la capacité du prédicat à autonomiser une partie d’un tout. Par exemple, le verbe étrangler dans :
    Jean a été étranglé. Le cou est en effet tout couvert de bleus.
    a pour effet d’isoler et de rendre saillant la partie cou d’un individu humain ou animal, ce que ne fait pas une locution verbale comme dévorer des yeux, qui ne peut sélectionner la même zone référentielle. »
  • [3]
    Les faits de reprise du référent de l’objet affecté par un pronom personnel singulier ont été débattus par C. Schnedecker & M. Charolles (1993), M. Charolles & C. Schnedecker (1993), G. Kleiber (1997a, b), M. Charolles & J. François (1998), C. Vetters (2001) et C. Vénérin-Guénez (2006a).
  • [4]
    Nous avons montré ailleurs (cf. Vénérin-Guénez, 2006b) que les reprises par un pronom relatif sont également faiblement attestées quand le prédicat verbal dénote un processus de destruction (moins d’une trentaine d’occurrences trouvées via Google sur environ 270 pour une requête du type « en morceaux qui … »). Les accords au singulier ou au pluriel montrent que le pronom relatif reprend parfois le nom du tout, mais le plus souvent, il reprend le Np.séparées. Ces reprises d’un nom sans déterminant par un pronom relatif sont étonnantes en français moderne. Le pronom relatif est moins exigeant que le pronom personnel : il ne semble pas avoir besoin du maintien de l’identité sortale du référent initial. Il se contente apparemment de récupérer l’information intensionnelle (non référentielle) contenue dans le Np.séparées.
  • [5]
    Contrairement à Vieu (1991) ou Aurnague (2004), nous pensons que les noms de localisation interne tels que haut, fond, etc. ne peuvent pas être traités comme des morceaux et ne relèvent donc pas de la relation qu’ils appellent ‘morceau / tout’. Le seul critère de non-fonctionnalité n’est pas suffisant, d’autant plus que les Np.séparées comme morceau, fragment, tranche sont originellement des noms de parties réellement détachées de leur tout concret solide. Leur trait de concrétude tridimensionnelle encodé se transmet au référent du nom qu’ils introduisent. L’image mentale associée à un morceau de N2 est toujours liée à une opération de prélèvement, même virtuelle.
  • [6]
    A propos de tranche, on peut se reporter à une étude de Crévenat-Werner (1996, 1997), spécifiquement consacrée à tranche avec les noms concrets et abstraits.
  • [7]
    Bout se trouve également réuni à bribe dans l’analyse comparative de Normand (1997).

1 – Introduction

1Les verbes de séparation constituent un sous-groupe dans la vaste classe des verbes qui sélectionnent au moins un argument exclusivement pluriel (désormais pl). Dans cette famille, on rencontrera par exemple des verbes de foisonnement comme pulluler (Wpl pulluler dans / sur X), des verbes de dispersion comme éparpiller (W éparpiller Xpl dans / sur Y), des verbes de regroupement comme amonceler (W amonceler Xpl en Y) ou des verbes de séparation comme briser (W briser X en Ypl) ou trancher (W trancher X en Ypl).

2Les verbes de séparation et les noms qu’ils sélectionnent dans l’argument Y permettent d’étudier la partition sous un angle original car la structure générale V X en Ypl renvoie à des relations partie / tout différentes, et particulièrement à une relation atypique fragment / objet, exclue de l’étude classique de la méronymie. Ces verbes à argument pluriel permettent d’aborder également la quantification à travers des modes d’expression diversifiés. Les verbes de séparation sont tout à fait spécifiques dans le rapport à la notion de quantité puisque le procès qu’ils expriment est toujours un passage de l’unicité à la pluralité. L’information quantitative est véhiculée à la fois par le verbe lui-même et/ou par le pluriel du nom constituant l’argument Y. Les noms sélectionnés pour l’argument Y peuvent aussi véhiculer l’information quantitative dans la mesure où ils connaissent des emplois qui les rapprochent des déterminants de noms massifs tel que morceau dans couper X en morceaux / un morceau de X.

3Après avoir évoqué les caractéristiques des verbes V X en Ypl que nous rangeons sous la dénomination ‘verbes de séparation’, nous décrirons les liens qui rattachent ces verbes à la notion de quantité pour aboutir aux emplois quantificateurs spécifiques des noms sélectionnés dans l’argument Y.

2 – Description des verbes de séparation V X en Ypl

2.1 – Des verbes de transformation parmi d’autres

2.1.1 – Une classe verbale sémantique hétérogène

4Beaucoup de verbes sémantiquement reliés à la notion de transformation ne sous-catégorisent pas obligatoirement l’un de leurs arguments au pluriel. Nous évoquerons rapidement quelques types de verbes inventoriés selon des approches différentes.

5Charolles et François (1998), par exemple, dressent une typologie des prédicats transformateurs du type SVO fondée sur des critères ontologiques. Cette approche des prédicats transformateurs, qui s’appuie sur l’état final de l’entité X affectée, aboutit aux quatre groupes suivants :

  1. X n’existe pas avant le procès dénoté par le verbe (prédication à patient produit) : creuser un trou, tracer un trait ;
  2. X existe avant le procès dénoté par le verbe mais n’existe plus à son terme (patient annihilé ou remplacé) : reboucher un trou, casser un vase ;
  3. X existe avant le procès et continue d’exister après sous une même forme mais dans un état différent : laver une assiette, égorger un poulet ;
  4. X existe avant le procès et continue d’exister à son terme mais sous une forme différente : écraser des noix, solidifier un gaz.
Nous pouvons évoquer également les verbes de conversion du type rendre X Y, faire de X Y, transformer X en Y, étudiés entre autres par Boons, Guillet et Leclère (1976) et Guillet (1993). L’équipe du LADL a dressé l’inventaire des constructions possibles et les a classées en familles sémantico-syntaxiques. Des principes réguliers de construction morphologique apparaissent dans les verbes sémantiquement apparentés. Ainsi, rendre Y est proche de [Y adj]V comme dans rendre jaune / jaunir ou de [a- + Y adj]V, rendre grand / agrandir; transformer en Y est proche de [Y nom + -is-]V comme dans transformer en caramel / caraméliser ou de [Y nom + -ifi-]V, transformer en gel / gélifier. Le schéma transformer X en Ypl qui impose le pluriel à l’argument prépositionnel est, quant à lui, proche de la construction dérivationnelle [Y nom]V comme dans fractionner, fragmenter, segmenter ou [é- + Y nom]V comme dans émietter par exemple. Les verbes de transformation qui sélectionnent l’un de leurs arguments introduit par la préposition en ne lui font donc pas tous subir la contrainte du pluriel, comme les verbes de séparation du type V X en Ypl. Les verbes du type V X en Y dénotent un processus de métamorphose sans altération de la quantité ; l’objet affecté est unique, avant et après la transformation, comme dans changer la citrouille en carrosse ou transformer le garage en cuisine.

2.1.2 – Les verbes du type V X en Ypl

6Les verbes de séparation comme briser un vase en morceaux semblent partager la structure syntaxique du type V X en Ypl avec les verbes de regroupement comme empiler les branches en tas / fagots. Les contraintes qui pèsent sur l’argument X des verbes de regroupement sont toutefois plus fortes. Leur argument X est nécessairement au pluriel. Ainsi, on rencontrera indifféremment pour les verbes de séparation :

[1]
Pierre brise le vase / les vases en morceaux.
En revanche, le singulier est invraisemblable avec l’argument direct X des verbes de regroupement, sauf si X est un nom collectif, en d’autres termes un nom à pluriel interne [2c] :
[2]
  1. Pierre empile les branches mortes en tas / fagots.
  2. *Pierre empile la branche morte en tas / fagots.
  3. Pierre empile le bois mort / le branchage en tas / fagots.
Dans ces deux cas de verbes de transformation à argument prépositionnel pluriel, la relation à la notion de quantité est différente : les verbes de séparation dénotent le passage de l’unicité à la pluralité, les verbes de regroupement dénotent l’inverse, soit le passage de la pluralité à l’unicité.

2.2 – Le choix du descripteur métalinguistique séparation

2.2.1 – La séparation : un détachement réel

7La structure générale V X en Ypl est commune non seulement aux verbes de regroupement comme empiler en, aux verbes de bris comme casser en, aux verbes de découpage comme trancher en, mais aussi aux verbes d’agencement comme organiser en, qui expriment une (ré)organisation interne d’un tout, mais pas le détachement réel de parties de ce tout. Nous avons plus volontiers choisi de dénommer la catégorie des verbes qui dénotent des processus de détachement réel « verbes de séparation » et non « verbes de division » ou « de fractionnement ». Le descripteur métalinguistique « séparation » présente l’avantage par rapport à « fractionnement » et à « division » de ne pas suggérer les circonstances de déclenchement du procès, alors que la fraction et la division dénotent intrinsèquement des détachements volontaires et engendrent des entités qui sont des portions, des parties constitutives du tout, voire des membres d’une collection. Le terme « séparation » connaît des emplois plus larges qui recouvrent la dénotation du détachement volontaire et du détachement accidentel des entités obtenues. La distinction entre les verbes dénotant le bris, le découpage ou la subdivision (interne) est ténue, comme en témoignent les exemples suivants où le verbe diviser est toujours possible :

[3]
Marie divise / coupe la pomme en (quatre / plusieurs) morceaux.
[4]
Marie divise / morcelle le champ en (trois / plusieurs) parcelles.
[5]
Marie divise / fractionne le livre en (dix / plusieurs) chapitres.
Force est de constater que le processus de division n’engendre pas nécessairement le détachement réel des parties obtenues, comme les parcelles d’un champ en [4] ou comme les chapitres d’un livre en [5], cas dans lesquels il s’agit d’un agencement lorsque l’argument X dénote une entité spatiale par exemple. Les relations méronymiques sont différentes : certaines divisions sont des parties constitutives du tout, d’autres sont des portions par rapport au tout.

8Dans ces énoncés qui illustrent la structure V X en Ypl, le sens du verbe mais aussi la nature des référents des arguments X et Y sont prépondérants pour différencier les prédicats de découpage et d’agencement. Nous définirons les verbes de séparation du type V X en Ypl comme des verbes de détachement réel affectant un tout concret solide, l’argument Y dépendant à la fois du verbe et de la nature du référent de l’argument X.

2.2.2 – Les contraintes sur les arguments X et Y dans les verbes de séparation du type V X en Ypl

9Un verbe comme couper par exemple sélectionne un argument direct X qui comporte un nom de tout approprié, comme par exemple couper le rideau ou déchirer le rideau. En revanche, si le nom est inapproprié, le prédicat verbal est inacceptable, comme *ébrécher le rideau ou *casser le rideau. Une fois cet ensemble réalisé, le prédicat verbal V Xapproprié peut ensuite sélectionner certains noms pour préciser la transformation subie par le référent du X dans une construction du type séparer X en Ypl, comme dans déchirer le rideau en morceaux / en lambeaux. Il s’agit bien de sélection car le choix de lambeau par exemple ne serait pas possible dans le prédicat *(dé)couper le rideau en lambeaux. Cette incompatibilité de l’association (dé)couper, rideau et lambeaux est due au verbe selon toute vraisemblance, car le référent du nom affecté rideau accepte d’être décrit par lambeau dans les SN les lambeaux du rideau ou le rideau en lambeaux. A cette sélection argumentale du verbe s’ajoute une sélection interne entre X et Y. Cette troisième contrainte explique l’inacceptabilité d’un prédicat tel que *couper le saucisson en brins. Couper et saucisson sont compatibles dans un prédicat comme couper le saucisson en rondelles ; couper et en brins sont également compatibles dans un prédicat comme couper la laine en brins. En revanche, en brins n’est pas approprié à saucisson, le référent du nom associé à en brins doit être fin et allongé.

10Nous récapitulerons ce système complexe de sélection interne dans le prédicat verbal du type V X en Ypl en disant que le verbe de séparation sélectionne un argument direct X qui est un nom de tout concret solide et un argument indirect Ypl qui comporte un nom de parties séparées [1] (désormais Np.séparées) compatible avec le procès de séparation dénoté par le verbe.

2.2.3 – Les verbes de séparation : du fractionnement volontaire au fractionnement accidentel

11Les deux sous-types de verbes de séparation relèvent bien de la même structure générale V X en Ypl, que nous schématisons plus précisément par V Dét1 N1 en (Dét2) N2 pl, comme en [6] et [7] :

[6]
Pierre a brisé le vase en (douze / plusieurs) morceaux.
[7]
Marie coupe le cake en (douze / plusieurs) tranches.
Toutefois, on remarquera que pour l’énoncé de destruction en [6], l’aspect verbal est nécessairement accompli pour être compatible avec un déterminant numéral cardinal. On n’acceptera pas le numéral cardinal dans un prédicat qui décrit un processus en cours de réalisation comme en [8] :
[8]
*Pierre brise le vase en douze morceaux.
Une approche pragmatico-sémantique des verbes de séparation permet d’affiner l’étude de ce groupe de verbes. La confrontation des nombreux verbes qui dénotent le processus de séparation nous amène à discerner des ramifications variées prenant appui sur deux finalités du processus transformateur : le découpage ou la destruction. Chaque finalité se subdivise par rapport au rôle de l’agent, pour souligner l’intentionnalité de l’acte, fortuit ou volontaire, puis pour dégager la motivation psychologique, sociale ou simplement matérielle de l’acte : la maladresse, la colère, la volonté de partage ou de conditionnement d’un référent massif par exemple. Chaque acte, intentionnel ou fortuit, se caractérise enfin par la manière de procéder à la transformation de l’entité affectée. Nous résumerons et illustrerons cet inventaire rapide du réseau informationnel de la catégorie générale des verbes de séparation comme suit :
  1. des verbes exprimant un découpage intentionnel :
    1. une intention de partage (focalisation sur la quantité des parties, leur proportion) :
      • verbes : diviser, fractionner, morceler, partager ;
      • noms compatibles dans l’argument Y : fraction, morceau, parcelle, part, parcelle ;
    2. un conditionnement du tout (focalisation sur les limites des parties) :
      • verbes : débiter, (dé)couper, segmenter, trancher ;
      • noms compatibles dans l’argument Y : brin, lamelle, morceau, segment, tranche, tronçon ;
  2. des verbes de destruction partielle ou totale (volontaire ou pas) :
    1. au moyen d’un outil affûté :
      • verbes : couper, hacher, lacérer, tailler ;
      • noms compatibles dans l’argument Y : morceau, pièce ;
    2. par écrasement du tout :
      • verbes : broyer, concasser, écraser, émietter, pulvériser ;
      • noms compatibles dans l’argument Y : miette, poussière, brisure ;
    3. par un choc asséné sur le tout solide par un autre objet ou par une chute :
      • verbes : briser, casser, éclater, fendre, fracasser, fragmenter ;
      • noms compatibles dans l’argument Y : bout, bribe, débris, éclat, fragment, miette, particule, pièce ;
    4. par des tractions opposées sur un tout souple :
      • verbes : déchiqueter, déchirer, disloquer ;
      • noms compatibles dans l’argument Y : fragment, lambeau, morceau.
Nous constatons que les procès dénotés par ces verbes entraînent la création de portions, de morceaux, de miettes, selon leur sens particulier. La sous-catégorisation des verbes dans l’inventaire ci-dessus pourrait encore être soumise à des variations selon la nature de l’argument X. En effet, si l’argument X dénote une substance alimentaire, le verbe dit de « destruction » peut exprimer un reconditionnement de la matière pour des raisons culinaires pratiques :
[9]
Pierre écrase le thon et mélange les miettes à la purée d’avocats.
Par ailleurs, selon la nature du référent de cet argument X, un énoncé comportant le verbe casser, à la différence d’un énoncé qui comporterait briser, se prête à deux interprétations :
[10]
L’enfant a cassé son jouet.
Dans cet exemple [10], on peut comprendre que le jouet ne fonctionne plus, mais qu’il conserve son apparence intacte, ou bien que le jouet est détruit, qu’il a perdu son apparence et sa fonctionnalité. En [11], l’adjonction de l’argument Y en Np.séparées élimine la première interprétation et impose une lecture de destruction « formelle » plus radicale. Cet exemple nous montre bien que l’argument Y n’est pas un simple complément accessoire.
[11]
L’enfant a cassé son jouet en (mille) morceaux.

2.2.4 – L’argument Y : un choix sémantico-logique

12L’aptitude des verbes de séparation à inférer l’existence de morceaux par exemple comme en [12] ou l’existence de tranches par exemple comme en [13] peut laisser penser que l’argument Y du type en (Dét) Np.séparées est facultatif :

[12]
Pierre a brisé le vase. Les morceaux jonchent le sol du salon.
[13]
Marie coupe le cake puis elle dispose les tranches sur un plat.
La différence entre la présence et l’absence de l’argument Y est essentiellement d’ordre sémantico-logique. Ainsi, quand le prédicat verbal ne comporte que l’argument interne X, le locuteur focalise son discours sur le procès dénoté par le verbe, et par là même sur le tout originel en cours de « dé(con)figuration », comme si le référent du tout était encore intègre :
[14]
  1. Pierre brise le vase.
En revanche, si le locuteur choisit une structure verbale à deux arguments internes X et Y, comme dans [14b], il focalise son discours sur le tout « reconfiguré » par dispersion :
[14]
  1. Pierre brise le vase en morceaux.
D’une certaine façon, on peut dire que les Np.séparées dans le syntagme en N contribuent à détruire le référent du tout initial. Selon la structure argumentale qu’il choisit, le locuteur ne propose pas à l’interlocuteur la même image mentale du scénario qu’il décrit. Le prédicat verbal « transformateur » dénote un processus « défigurant », comme en [14a], ou un processus « reconfigurant dispersant » en [14b]. Dans ces reconfigurations de la forme initiale du tout, certains touts initiaux restent identifiables (les parts), d’autres sont méconnaissables (les débris). Le tout « reconfiguré » est passé d’une entité continue unique (le vase par exemple) à une entité discontinue plurielle (le vase en morceaux).

13Quoi qu’il en soit, ces verbes qui sélectionnent un argument pluriel expriment toujours une partition démultiplicatrice et dispersante. Ils sont tout à fait spécifiques dans leur rapport à la notion de quantité puisque le procès qu’ils dénotent est toujours un passage de l’unicité à la pluralité.

3 – Les vecteurs de l’information quantitative

14L’une des raisons de distinguer les verbes de bris et les verbes de découpage concerne directement la notion de quantité, à savoir la distinction entre le nombre et l’étendue des entités obtenues par le bris ou la découpe d’un tout concret solide. Le fractionnement (ou découpage) est un processus volontaire et implique nécessairement le détachement en portions dont l’étendue et le nombre sont prévus par l’agent qui exécute l’action. Le bris est, lui, un processus accidentel et engendre des débris au nombre et aux formes aléatoires (quand bien même le bris serait volontaire, l’agent briseur ne peut prévoir ni le nombre ni la forme des éléments obtenus, en cassant un vase par exemple). La relation des verbes de séparation à la quantité est complexe car l’information quantitative est véhiculée par plusieurs vecteurs, soit intrinsèquement par le verbe lui-même ou par le pluriel du N2 (Np.découpées ou Np. brisées), soit par le déterminant du N2.

3.1 – Le verbe, indicateur inférentiel de quantité

15Les verbes de séparation sans argument prépositionnel permettent en effet d’inférer le résultat du processus qu’ils dénotent. Ils expriment toujours le passage de l’unicité à la pluralité en présupposant l’existence de morceaux ou de tranches par exemple. Ils satisfont donc au principe d’aliénation [2] du référent du tout concret solide qu’ils affectent. L’expression anaphorique associative est possible comme en [12a] et [13a] :

[12]
  1. Pierre a brisé le vase. Les morceaux jonchent le sol du salon.
[13]
  1. Marie coupe le cake puis elle dispose les tranches sur un plat.
En revanche, la reprise pronominale au pluriel est impossible tant que le Np.séparées n’a pas été mentionné. Il est manifeste que le seul verbe de séparation comme couper ne suffit pas à mettre en saillance le référent des entités obtenues par fractionnement du cake. Malgré l’aptitude du verbe de séparation à inférer la démultiplication du référent initial affecté, le pontage inférentiel (cf. Kleiber, 1994 : 62) n’est pas suffisant pour permettre la reprise pronominale au pluriel :
[12]
  1. Pierre a brisé le vase ; * ils jonchent le sol du salon.
[13]
  1. Marie coupe le cake puis * les dispose sur un plat.
Les verbes de séparation simples comme briser ou découper ont bel et bien un rapport avec la notion de quantité, mais seuls les prédicats verbaux à complément prépositionnel pluriel du type briser en morceaux ou couper en tranches rendent suffisamment saillantes les entités obtenues pour permettre la reprise pronominale. Il faut que l’état final du référent soit précisé grâce au SP en Dét2 tranches ou en Dét2 morceaux, sinon la reprise pronominale au pluriel de tranches ou morceaux ne passe pas. Ce détour par le blocage de l’anaphore pronominale plurielle nous montre encore le rôle non négligeable de l’argument Y.

3.2 – Le déterminant de l’argument Y

16L’information quantitative peut être nettement explicitée par le déterminant du N2 et/ou le modifieur (un adjectif quantitatif indéfini) comme en [15] et [16] :

[15]
Pierre brise le vase en plusieurs / de multiples morceaux.
[16]
Marie coupe le cake en plusieurs / de nombreuses tranches.
Il apparaît cette fois que la présence d’un déterminant devant le N2 joue un rôle décisif dans la possibilité de reprise pronominale au pluriel du référent du Np.séparées lors d’enchaînement d’énoncés. Le déterminant et/ou le modifieur assure(nt) une autonomie syntaxique au N2, que celui-ci soit un Np.brisées comme en [17] a :
[17]
  1. Pierre a brisé le vase en plusieurs / dix morceaux mais Paul a pu les recoller.
ou qu’il soit un Np.découpées comme en [18] a :
[18]
  1. Marie coupe le cake en plusieurs / douze tranches et les sert aux invités.
Cette autonomie syntaxique du N2 qui permet l’enchaînement des énoncés avec une reprise pronominale au pluriel peut également être assurée lorsque le modifieur est un adjectif qualificatif évaluatif qui apporte une information de type dimensionnel ou aspectuel comme petit, grand, biscornu ou inégal par exemple :
[17]
  1. Pierre a brisé le vase en plusieurs / petits morceaux mais Paul a pu les recoller.
[18]
  1. Marie coupe le cake en plusieurs / fines tranches et les sert aux invités.
Dans tous les cas, les entités sont individuées et constituent nettement des entités comptables. La situation diffère beaucoup pour les prédicats de bris dès que le déterminant N2 disparaît.

3.3 – L’absence de déterminant devant l’argument Y

17Les verbes de bris et les verbes de découpage se distinguent en effet lorsque l’argument Y est introduit sans déterminant. Les Np.brisées sélectionnés comme argument prépositionnel par les verbes de destruction ne se comportent pas comme les Np.découpées en raison de leur relation différente à la question de l’identité. Cette différence se manifeste spécialement dans les prédicats successifs mettant en jeu des faits de reprise pronominale, soit du référent initial au singulier [3], soit du référent final au pluriel.

18Dans le cas des prédicats de découpage, autrement dit « de fractionnement volontaire », la reprise du référent de l’objet affecté par un pronom personnel au singulier ou au pluriel ne pose pas problème, que l’état final du référent soit lexicalisé grâce au SP en (Dét2) tranches, comme en [19a] et [19b], ou que cet état ne soit pas lexicalisé par le SP comme en [19c] :

[19]
  1. Marie découpe le cake en tranches puis les dispose dans un plat.
  2. Marie découpe le cake en tranches puis le dispose dans un plat.
  3. Marie découpe le cake puis le dispose dans un plat.
Toutes ces prédications sont finalisées. Un cake est un aliment comestible, destiné à être fractionné, autrement dit le changement d’aspect est inscrit dans la catégorie ontologique du référent. Dans tous les cas impliquant des touts alimentaires par exemple, il n’y a pas de changement d’identité sortale : un cake entier ou un cake en tranches, c’est toujours du cake.

19On aurait tort de croire que la présence d’un SP du type en Np.découpées ou en Np.brisées autorise aussi facilement la reprise pronominale au pluriel dans l’un et l’autre cas. La reprise pronominale au pluriel passe difficilement après une prédication de destruction :

[20]
Pierre a brisé le vase en (mille) morceaux. *Paul les a ramassés.
Quelques requêtes faites via Google permettent de vérifier cette difficulté du pronom personnel pluriel les à « ramasser » les morceaux engendrés par le bris du vase. Ainsi, pour la requête « couper en morceaux et les … » on trouve 403 occurrences et 304 pour « couper en tranches et les … », alors que pour une requête du type « casser en morceaux et les … » un seul résultat apparaît et pour « briser en morceaux et les … » deux seulement, mais il s’agit de briser des produits comestibles donc le processus a bien une finalité. Dans le cas des prédicats de destruction, les faits de reprise pronominale sont plus complexes et mettent en jeu des paramètres multiples. Le bris d’un tout concret solide implique presque toujours un changement d’identité sortale : un vase en morceaux n’est plus un vase. Cette différence entre le maintien de l’identité sortale pour les touts ontologiquement fractionnables (comme les touts comestibles) et le changement d’identité pour les objets non fractionnables (comme un vase) entraîne des difficultés dans les faits de reprise par un pronom personnel [4] au singulier et au pluriel.

3.4 – De la quantité à l’intensité

20La confrontation des faits de reprise par un pronom personnel pluriel est donc significative : les noms sélectionnés dans le complément prépositionnel des prédicats de découpage et de destruction n’ont pas le même statut syntaxique. Les Np.découpées gardent leur statut nominal avec ou sans déterminant et sont susceptibles d’être pronominalisés par un pronom personnel pluriel. Les Np.découpées individualisent des entités nouvelles, des portions. Ils sont intrinsèquement rattachés à la quantité. En revanche, les Np.brisées dans un SP sans déterminant perdent leur statut nominal et leurs référents ne peuvent pas être repris par un pronom personnel pluriel. Ils servent à massifier l’objet concret solide affecté par le bris. Le SP en Np.brisées se rapproche davantage du statut adverbial et de la notion d’intensité. La comparaison des énoncés suivants montre une différence interprétative sensible. Dans l’énoncé [21a], le bris peut être fortuit ou volontaire, le geste de Pierre est exécuté peut-être une seule fois :

[21]
  1. Pierre casse la plaque de chocolat.
Le locuteur peut aussi préciser le nombre de morceaux obtenus comme en [21] b :
[21]
  1. Pierre casse la plaque de chocolat en deux / en trois.
Le SP en (Adj) Np.séparées (pl) apporte, lui, une information qui modifie l’interprétation de l’énoncé en ajoutant une valeur qualitative et/ou intensive au prédicat verbal :
[21]
  1. Pierre casse la plaque de chocolat en morceaux.
Dans l’exemple [21d], l’ajout d’un adjectif qualificatif, ou plus encore d’un numéral à valeur hyperbolique comme mille, oriente vraiment le sens en faveur d’une interprétation qualitative :
[21]
  1. Pierre casse la plaque de chocolat en petits / mille morceaux.
Le bris est intentionnel, le geste est répété méthodiquement. En (Adj) Np.séparées (pl) en [21d] joue un rôle adverbial circonstanciel. Il peut se paraphraser par ‘entièrement’. On ne sait ni combien il y a de morceaux, ni quelles formes ils ont, mais on sait que le geste a abouti à la modification radicale de l’objet affecté. Le SP en Np.brisées dénote un état, non des entités nouvelles comme dans en Np.découpées. Ce rapport différent des Np.brisées et des Np.découpées à la quantité se retrouve dans leurs emplois en structure binominale à un déterminant.

4 – Les noms de parties séparées et la détermination approximative d’un nom massif

21Les processus de bris et les processus de découpage se distinguent encore à travers les Np.séparées sélectionnés dans leur argument Y lorsque ces noms sont employés comme déterminants dénotant la quantité approximative faible, voire très faible comme bribe, éclat, miette. Dans la structure binominale du type Dét Np.séparées de N2 comme un morceau de vase ou une tranche de pain, la ressemblance formelle est frappante, l’impression quantitative l’emporte.

4.1 – Les noms de parties séparées ne sont pas toujours des déterminants nominaux

22La structure Dét Np.séparées de s’apparente aux déterminants nominaux avec lesquels elle partage bon nombre de critères définitoires. D’une manière générale, les déterminants nominaux sont définis comme partiellement désémantisés et comme réductibles à de simples partitifs (cf. Dessaux, 1976) :

[22]
  1. Marie a ajouté du beurre.
  2. Marie a ajouté un morceau / un bout de beurre.
Dans cet emploi, un morceau de ou un bout de se laisse paraphraser par ‘un peu de’ ; en d’autres termes, ce spécifieur d’un nom massif dénote la quantité approximative faible.

23La désémantisation partielle des déterminants nominaux s’opère surtout par la rupture d’avec la référence précise à un objet du monde auquel le terme renvoie ; le terme garde cependant les traits de dimensionnalité propices à la quantification. Le nom exprimant la quantité (désormais Nq) n’est pas la tête sémantique de la structure binominale, comme on peut en juger en testant son effaçabilité :

[23]
  1. Jean a bu son thé avec un nuage de lait.
  2. *Jean a bu son thé avec un nuage.
Ce critère est tout à fait pertinent pour les déterminants nominaux d’origine catégorématique, mais se révèle peu concluant pour la plupart des Np.séparées qui ne connaissent que des emplois syncatégorématiques comme morceau, c’est-à-dire qui n’apparaissent jamais sans la complémentation par un N2 :
[24]
  1. Jean a ramassé un morceau de pierre.
  2. *Jean a ramassé un morceau.
La syncatégorématicité des Np.séparées n’est pas la seule raison qui explique la difficulté d’effacer le déterminant nominal. Les prédicats jouent parfois un rôle important dans ce blocage syntactico-sémantique. Reprenant les analyses de Dessaux (1976) et de Milner (1978), Van de Velde (1995 : 49-52) démontre que les prédicats s’appliquent tantôt au Nq déterminant nominal, tantôt au nom de matière N2. Elle parle alors de « pondération sémantique variable selon le sémantisme propre au nom de quantité et selon la nature du prédicat ». Dans l’énoncé [25], le prédicat ne s’applique qu’à une quantité déterminée de la matière :
[25]
  1. Le morceau de margarine est trop gros / pèse 100 grammes.
  2. *Le morceau de margarine est trop grosse.
et dans l’énoncé [26], le prédicat s’applique à la matière elle-même :
[26]
  1. Le morceau de margarine est fondu.
  2. *Le morceau de margarine est fondue.
Cette démonstration nous met en garde contre l’idée d’une primauté de la syntaxe qui tendrait à nous faire penser que c’est morceau le nom-tête puisque c’est lui qui régit l’accord au masculin de l’attribut du sujet dans les deux cas.

24Flaux et Van de Velde (2000), au chapitre intitulé « Des noms qui en quantifient d’autres », posent à nouveau la question de l’identité de la tête du groupe nominal, intégrant certains termes tels que morceau, bout, fragment dans leur esquisse de classification des noms. Si on considère des noms quantitatifs tels ribambelle ou régiment comme des déterminants dans une ribambelle d’enfants ou dans un régiment de livres, la réponse logique veut qu’ils ne soient pas la tête du GN. Elles rappellent que les déterminants quantitatifs, dits indéfinis dans la grammaire traditionnelle, vérifient la propriété syntaxique de dislocation à droite lorsque le nom est pronominalisé par en :

[27]
  1. J’ai plusieurs enfants.
  2. J’en ai plusieurs, d’enfants.
et que les noms quantitatifs illustrés en [28] partagent cette propriété :
[28]
  1. J’ai une ribambelle d’enfants.
  2. J’en ai une ribambelle, d’enfants.
Si on accepte volontiers l’application de ce test aux Np.découpées comme dans [29] :
[29]
  1. Pierre a mangé une tranche de cake.
  2. Pierre en a mangé une tranche, de cake.
il apparaît cependant que les Np.brisées ne se comportent donc pas complètement comme des déterminants nominaux. Ils ne vérifient pas le test de la dislocation à droite :
[30]
  1. Pierre a trouvé un morceau de vase.
  2. *Pierre en a trouvé un morceau, de vase.
On accepterait plus volontiers la dislocation du GN morceau de vase en entier :
[30]
  1. Pierre en a trouvé un, de morceau de vase.
ce qui revient à dire que seul l’article un assume le rôle de déterminant. D’ailleurs, un morceau de vase ne se laisse pas paraphraser aisément par ‘une certaine quantité de vase’ ou par ‘un peu de vase’. En revanche, une tranche de pain dénote bien une certaine quantité de pain.

25Les Np.brisées spécifiant les noms de touts concrets solides avec lesquels ils sont compatibles ne sont pas des déterminants nominaux. Ils expriment prioritairement une individuation, une singularisation d’une entité extraite d’une autre : ils constituent avec le N2 une sorte de périphrase dénominative d’un déchet, à défaut de lexique approprié. Les Np.brisées méritent bien le nom de « broyeurs universels » (cf. Pelletier, 1975) dans la mesure où ils sont des outils massificateurs pour les noms d’artefacts, autrement dit les noms comptables solides. Un morceau de vase, c’est de la matière dont on connaît la provenance, matière qui possède une étendue approximative, donc qui représente secondairement une certaine quantité. A défaut de connaître la provenance (c’est-à-dire le tout originel), le locuteur cherchera à identifier la matière et dira alors par exemple un morceau de porcelaine, un morceau de verre ou de cristal.

4.2 – La relation fragment / objet est inapte à la quantification approximative

26La différence syntactico-sémantique entre des expressions partageant la même structure syntaxique Dét Np.séparées de N2 nous ramène à la variété des relations méronymiques déjà entrevue à propos des processus de division (cf. 2.2.1). Cette similarité n’est pas étonnante dans la mesure où la parenté morphologique synchronique ou diachronique entre verbes et noms est très forte. Les Np.séparées sont souvent des noms déverbaux comme bout, débris, éclat, fraction, fragment, morceau, part, parcelle, particule, segment, tranche et/ou servent (ou ont servi) de bases pour construire un verbe de séparation comme émietter, fragmenter, morceler, dépiécer, segmenter, tronçonner. La structure Dét Np.séparées de N2 relève de la relation portion / masse pour les Np.découpées et de la relation fragment / objet pour les Np.brisées. Cette expression de relations partie / tout différentes se manifeste aussi d’ailleurs dans la structure binominale à deux déterminants Dét1 Np.séparées de Dét2 Ntout concret solide :

[31]
Des morceaux du vase jonchent le sol du salon.
[32]
Le chien a mangé une tranche de ce cake.
Nous décrivons cette relation fragment / objet comme une relation lexicale atypique car elle est non réciproque et non définitionnelle. Cette relation n’apparaît pas dans la littérature classique consacrée aux relations méronymiques (cf. Cruse, 1986 ; Winston et alii, 1987). En effet, avant n’importe quel processus de séparation subi par le tout, la relation sémantique qui réunit le tout à ses hypothétiques parties fragmentées est une relation non méronymique de type inclusion-fusion. Les référents des Np.séparées, ni visibles dans le référent du tout initial, ni prédictibles le plus souvent dans la destruction, sont inclus dans ce tout. La relation qui unit les parties séparées et le tout est toujours une relation partitive résultative ; en d’autres termes, il s’agit d’une relation descriptive dynamique qui comporte nécessairement une dimension temporelle puisqu’il y a toujours une différence entre le tout initial et le tout final. Or, la typologie classique des relations méronymiques présente des relations descriptives statiques et définitionnelles a priori, ce qui explique que la relation méronymique parties brisées / tout n’y trouve pas sa place. Nous avons proposé d’affiner la description des trois propriétés caractéristiques de la méronymie, la fonctionnalité, l’homéomérie et la séparabilité (cf. Vénérin-Guénez, 2006b) et d’introduire une quatrième propriété, celle des limites. En tenant compte de ces quatre propriétés distinctives, les relations composant / assemblage (anse / tasse), portion / masse (tranche / du gâteau), fragment / objet[5] (morceau / vase) sont bel et bien distinctes. A la manière de Cruse (1986), qui établit une distinction entre une relation partie / tout canonique et une relation partie / tout facultative, nous considérons la relation fragment / objet comme une relation accidentelle et la relation portion / masse comme une relation facultative lorsque le tout massif dénote un tout comestible. Rien n’oblige personne en effet à découper des tranches dans un gâteau ou des tronçons dans une anguille.

4.3 – Les Np.séparées, des conditionneurs à limites aléatoires ou programmées

4.3.1 – La spécification de référents massifs concrets

27Les Np.séparées sont des outils de discrétisation du massif au même titre que des noms conditionneurs externes comme bol ou bouteille dans un bol de riz ou une bouteille de vin. La conversion du nom en déterminant est partiellement explicable par le trait fondamental de limites que les Np.séparées fournissent à la matière qui en est dépourvue. Cette spécification de la matière solide permet aux uns de dénoter la quantité par la longueur (brin, tronçon, segment), aux autres la quantité par un aspect stable et le volume (tranche), ou seulement le volume (bout, éclat, miette). Certains comme part ou portion impliquent une quantité programmée par l’agent du processus de répartition, la quantité qu’ils dénotent n’est donc pas réellement approximative. Les Np.brisées sont des conditionneurs à limites aléatoires ; les Np.découpées, des conditionneurs à limites programmées. La quantité dénotée par les référents des Np.séparées est très variable mais aucun ne dénote explicitement une quantité précise. Nous pouvons synthétiser cette expression quantitative des Np.séparées dans une structure binominale dét Np.séparées de Ntout massif concret solide en trois rubriques :

  1. une quantité approximative issue d’un Np.séparées à forme aléatoire :
    • volume indéterminé : fragment, morceau
    • épaisseur indéterminée : lambeau
    • petit volume : bout, éclat, lichette, miette, parcelle, particule, rognure
  2. une quantité approximative issue d’un Np.séparées à forme prédictible : tranche, segment, tronçon, brin, quartier
  3. une quantité programmée mais non explicitée : part, portion.

4.3.2 – La spécification d’autres référents du tout : de la quantification à l’évaluation affective

28Malgré la différence de comportement des Np.brisées et des Np.découpées dans la structure Dét Np.séparées de N2 lorsque le référent du N2 est un tout concret solide, il n’en reste pas moins que les Np.séparées sont disponibles pour spécifier d’autres référents. Dans tous les cas, le trait de bornes (ou limites) permet aux Np.séparées de formater d’autres référents que des touts concrets solides. Chacun imprime ses particularités sémantiques au N2 qu’il spécifie, que ce N2 dénote une entité spatiale comme dans une portion / morceau / fragment de ciel bleu, une entité temporelle comme dans une tranche / bout / brin / morceau / fragment de temps ou un sentiment comme dans un brin / une bribe de fierté.

29Ainsi, associés à des référents spatiaux, certains Np.séparées assurent la fonction de délimitateurs spatiaux. Les référents de ces parties d’espace délimité ne sont jamais détachés, seulement bornés. Les Np.séparées construisent une perception de l’espace envisagé surtout comme une surface (une étendue), donc plutôt bidimensionnel avec portion, morceau, fragment, segment ou tronçon. Le bornage de l’espace aérien, difficilement matérialisable, peut être délimité par exemple par l’encadrement d’une fenêtre comme en [33] :

[33]
Marie aperçoit par la fenêtre une portion de ciel bleu.
Se distinguant nettement de son concurrent part dans cet emploi de borneur de l’espace aérien, portion dans une portion de ciel bleu se trouve en concurrence avec fragment ou morceau. Nous évoquerons également l’exemple singulier de bout. Dans la plupart des énoncés, bout réfère à une quantité résiduelle, considérée souvent comme négligeable. Ainsi, dans l’exemple [34], les bouts sont intégrés à une énumération de détritus qui ne laisse aucune ambiguïté sur la connotation négative, relayée par les adjectifs sales et écœurante vraiment dévalorisants :
[34]
« il éprouva en montant l’escalier, dont il éclairait avec des allumettes-bougies les marches sales où traînaient des bouts de papier, des bouts de cigarettes, des épluchures de cuisine, une écœurante sensation de dégoût »
[Maupassant, Bel-Ami, 1885]
Malgré son sens profond de ‘petite chose négligeable’, bout associé à un référent concret solide entre en concurrence avec morceau dans le langage familier pour dénoter une part de pâtisserie par exemple en [35] :
[35]
Reprends donc une part de tarte / un morceau de tarte / un bout de tarte.
Il nous semble que cette substitution occasionnelle trouve son explication dans la connotation affective. Lorsque le référent de bout ou de morceau dénote une dimension assez importante, l’idée de petitesse réelle associée à bout peut disparaître à cause du référent de N2 et du contexte. Dans le cas de la spécification d’une entité spatiale, terrain se prête aisément à la démonstration ; son référent dénote une superficie donc une dimension assez importante. La ressemblance des énoncés [36a] et [36b] ne fait aucun doute :
[36]
  1. J’ai acheté un morceau de terrain pour construire.
  2. J’ai acheté une parcelle de terrain pour construire.
En revanche, dans ce type d’énoncé, bout peut paraître surprenant à cause de son trait résiduel dominant :
[36]
  1. J’ai acheté un bout de terrain pour construire.
Bout réfère, en effet, à une superficie restreinte, peut-être si restreinte que l’acquisition du terrain dans l’intention de faire bâtir est ridicule. Bout n’est effectivement pas lié à la fonctionnalité, donc l’objectif formulé dans pour construire paraît paradoxal. Si l’énoncé est acceptable, c’est que bout se charge d’une connotation affective qui ne dit rien sur la taille mais qui suggère la vision imposée par l’agent du procès sur la partie de terrain en question. Le locuteur peut vouloir minimiser son achat par ironie, par discrétion ou pour une autre raison. Bout a un double emploi : il est soit un évaluatif de la quantité résiduelle, soit un substantif axiologique, c’est-à-dire un évaluatif appréciatif, porteur d’un jugement de valeur.

30Par ailleurs, quelques Np.séparées sont également susceptibles de spécifier un nom temporel. Des Np.séparées comme bout, brin, fragment, morceau, tranche, originellement définis par la concrétude tridimensionnelle, sont capables de modifier la perception linéaire (ou unidimensionnelle) du temps, comme l’illustre l’expression au fil du temps. Le Np.séparées tranche[6], par exemple, impose des traits ontologiques au N2 qu’il spécifie : le N2 doit être concret, solide et épais comme dans les expressions une tranche de jambon, de rôti, de marbre et il doit avoir été détaché avec un objet tranchant. Ces contraintes construisent une perception particulière du temps. Dans la métaphore une tranche de temps, le temps est vu comme une sorte de contenant massif, volumineux, prêt à être rempli de nos diverses activités humaines. Le référent de tranche est découpé intentionnellement, possède une épaisseur prévue par l’agent et représente donc une certaine quantité. Chaque Np.séparées construit ainsi une quantification du temps sensiblement différente. A la différence de fragment et morceau qui ne véhiculent que l’information de quantité approximative, bout, brin et tranche évaluent plus finement la quantité. Tranche évalue une quantité (précise) programmée et proportionnelle à ses limites globalement prédictibles. Bout et brin[7] évaluent une quantité ouverte au choix du locuteur, petite ou grande. Appliqué au nom temps, brin rejoint bout parfois pour une évaluation paradoxalement non dérisoire : un brin de temps comme un bout de temps peuvent renvoyer à une durée importante. Avec brin, l’évaluation de la durée peut être ambivalente, tantôt courte, tantôt longue. L’expression un bout de temps est, elle, interprétée comme une quantité relativement importante. On peut la paraphraser dans l’exemple [37] par ‘ depuis assez longtemps ‘ et pourtant, bout dénote originellement une quantité faible, résiduelle :

[37]
Pierre est parti depuis un bout de temps.
Parfois, la quantité dénotée par bout est exprimée sans équivoque grâce à un adjectif qualificatif : un petit bout de temps pour une courte durée, un bon / sacré bout de temps pour une durée relativement longue, ce qui nous laisse penser que bout n’exprime pas à lui tout seul la mesure. Le terme bout semble vraiment être un quantificateur axiologique, euphorique ou dysphorique, selon l’orientation que lui donne le locuteur.

31Enfin, pour évoquer le domaine référentiel des états ou des sentiments, nous constatons que brin se présente comme un quantitatif positif, dès qu’il est associé à un N2 dénotant un sentiment. Qu’est-ce en effet qu’un brin de fierté ? Sans doute peut-on gloser l’expression par ‘un peu de fierté’, mais la seule valeur quantitative minime ne suffit pas à expliquer l’emploi. Le brin de fierté est ce supplément d’orgueil qui ajoute, selon le contexte, l’atténuation ou la suppression d’arrière-pensée négative. Dans un énoncé comme [38], l’orientation donnée grâce à brin, malgré la propriété négative du référent du nom qui le complète, est celle de la faible quantité mais aussi de la légèreté :

[38]
Pierre a annoncé son projet avec un brin de cruauté / de méchanceté.
Cet énoncé suggérerait la retenue du personnage Pierre, l’effort de modération pour contenir ou dissimuler le sentiment fort. Un brin de… dénote une infime quantité de sentiment agréable ou permet au sujet parlant d’atténuer un sentiment négatif grâce à son trait de légèreté.

32En somme, le domaine sémantique prépondérant des Np.séparées est celui de la quantification approximative, quel que soit le référent du N2. L’observation de quelques occurrences particulières permet de comprendre que la subjectivité quantificatrice se double le plus souvent d’une subjectivité affective. Certains Np.séparées spécifieurs de N2 autres que concrets solides comme bout, brin, miette sont autant des quantificateurs que des évaluateurs affectifs.

5 – Conclusion

33Les verbes de séparation V X en Ypl dénotent donc une partition originale par rapport à la dispersion des membres d’une collection, un désassemblage ou une désagrégation. La fragmentation d’un tout, volontaire dans le cas du découpage, souvent accidentelle dans le cas de la destruction, aboutit dans le premier cas, à une reconfiguration dispersante de l’objet affecté, à un conditionnement en quelque sorte, dans le second cas à une reconfiguration radicale, c’est-à-dire à la disparition de l’objet affecté. Ce processus est intrinsèquement associé à la pluralité qui se manifeste en particulier par le pluriel obligatoire de l’argument Y.

34Les noms sélectionnés dans cet argument Y ont, pour la plupart, une parenté morphologique synchronique ou diachronique avec le processus de séparation. Les traits de concrétude tridimensionnelle, héritée du tout initial, et de limites (aléatoires ou programmées), générées par le procès de séparation, prédisposent les Np.séparées à la quantification de noms massifs, concrets ou abstraits. Leur aptitude fondamentale à imposer une représentation des entités concrètes matérielles se transpose en effet à d’autres champs d’affectation référentielle : des entités spatiales, des entités temporelles, certains noms abstraits extensifs comme les activités ou certains noms abstraits intensifs (parfois extensifs) comme des états ou des sentiments. Les Np.séparées appartiennent à la famille des quantificateurs approximatifs. Ils permettent d’évaluer une quantité faible ou très faible comme dans un brin de folie ou un bout de causette. Pour exprimer l’idée de « peu », la langue utilise un lexique foisonnant d’expressions métaphoriques comportant des noms de liquide (goutte, larme), des noms d’objets de petite taille (doigt, grain, poil, fil), des noms d’entités caractérisées par leur légèreté (nuage, souffle), un ancien nom de mesure (once), un nom de sentiment (soupçon), etc. L’originalité des Np.séparées est de proposer une image mentale plus souple, car ce sont des noms généraux, sans forme ni matière propre. Leur subjectivité quantificatrice se double parfois d’une subjectivité affective. Selon le référent du nom qu’ils spécifient et selon le contexte discursif, les Np.séparées sont des quantificateurs approximatifs comme dans un éclat de noisette ou des évaluateurs affectifs comme dans un bout de temps.

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Mise en ligne 15/07/2008

https://doi.org/10.3917/tl.056.0141

NOTES

  • [*]
    Université de Lille III
  • [1]
    Les noms généraux de parties séparées (cf. Vénérin-Guénez, 2006b), déverbaux ou bases verbales pour la plupart, constituent un groupe lexical hétérogène, réuni autour d’une conjonction de traits : la concrétude tridimensionnelle héritée du tout concret solide initial et des limites aléatoires ou programmées. Les Np.brisées et les Np.découpées rassemblés sous le terme de Np.séparées malgré certaines différences répondent à plusieurs critères sémantico-syntaxiques fondamentaux :
    • ils dénotent prioritairement le résultat d’une séparation artificielle d’un tout concret solide, c’est leur sens premier ;
    • ils sont des noms relationnels généraux qui ne permettent pas d’accéder précisément à la référence du tout d’origine ;
    • leur référent est non repérable dans le tout d’origine (c’est-à-dire qu’il n’existait pas avant en tant qu’individu) ;
    • ils constituent un syntagme en Npl, argument pluriel d’un verbe de séparation ou caractérisation d’un nom ;
    • ils quantifient la matière et peuvent étendre leur champ d’affectation référentielle.
    Parmi eux, on rencontrera des termes centraux dénotant des entités brisées comme bout, bribe, débris, éclat, fragment, lambeau, miette, morceau, parcelle, particule, pièce ou ceux dénotant des entités découpées comme bout, brin, morceau, parcelle, part, portion, quartier, segment, tranche, tronçon et des termes plus périphériques comme brisure, fraction, lichette, lopin, rognure.
  • [2]
    Kleiber, Schnedecker et Ulma (1994 : 24) définissent le principe d’aliénation comme « la capacité du prédicat à autonomiser une partie d’un tout. Par exemple, le verbe étrangler dans :
    Jean a été étranglé. Le cou est en effet tout couvert de bleus.
    a pour effet d’isoler et de rendre saillant la partie cou d’un individu humain ou animal, ce que ne fait pas une locution verbale comme dévorer des yeux, qui ne peut sélectionner la même zone référentielle. »
  • [3]
    Les faits de reprise du référent de l’objet affecté par un pronom personnel singulier ont été débattus par C. Schnedecker & M. Charolles (1993), M. Charolles & C. Schnedecker (1993), G. Kleiber (1997a, b), M. Charolles & J. François (1998), C. Vetters (2001) et C. Vénérin-Guénez (2006a).
  • [4]
    Nous avons montré ailleurs (cf. Vénérin-Guénez, 2006b) que les reprises par un pronom relatif sont également faiblement attestées quand le prédicat verbal dénote un processus de destruction (moins d’une trentaine d’occurrences trouvées via Google sur environ 270 pour une requête du type « en morceaux qui … »). Les accords au singulier ou au pluriel montrent que le pronom relatif reprend parfois le nom du tout, mais le plus souvent, il reprend le Np.séparées. Ces reprises d’un nom sans déterminant par un pronom relatif sont étonnantes en français moderne. Le pronom relatif est moins exigeant que le pronom personnel : il ne semble pas avoir besoin du maintien de l’identité sortale du référent initial. Il se contente apparemment de récupérer l’information intensionnelle (non référentielle) contenue dans le Np.séparées.
  • [5]
    Contrairement à Vieu (1991) ou Aurnague (2004), nous pensons que les noms de localisation interne tels que haut, fond, etc. ne peuvent pas être traités comme des morceaux et ne relèvent donc pas de la relation qu’ils appellent ‘morceau / tout’. Le seul critère de non-fonctionnalité n’est pas suffisant, d’autant plus que les Np.séparées comme morceau, fragment, tranche sont originellement des noms de parties réellement détachées de leur tout concret solide. Leur trait de concrétude tridimensionnelle encodé se transmet au référent du nom qu’ils introduisent. L’image mentale associée à un morceau de N2 est toujours liée à une opération de prélèvement, même virtuelle.
  • [6]
    A propos de tranche, on peut se reporter à une étude de Crévenat-Werner (1996, 1997), spécifiquement consacrée à tranche avec les noms concrets et abstraits.
  • [7]
    Bout se trouve également réuni à bribe dans l’analyse comparative de Normand (1997).
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