NOTES
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[*]
(Université de Franche-Comté) amr. iiiiiiiibrahim@ free. fr 5, rue Louis Léon Lepoutre, F-94130 Nogent-sur-Marne.
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[**]
(Université R. Descartes, Paris 5) ccccccccmartinot@ free. com 49, avenue de Condé, F-94100 Saint Maur-des-Fossés.
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[1]
Cette notion est susceptible de recevoir des interprétations différentes. Définie brièvement, il s’agit, dans notre optique, d’une grammaire dont l’architecture et le fonctionnement sont isomorphes à des applications hiérarchisées et contraintes d’opérateurs à leurs arguments.
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[2]
On serait tenté d’ajouter sinon dans toutes, mais les connaissances que la linguistique a accumulées sur les six ou sept mille langues du monde restent beaucoup trop imparfaites pour que ce risque ait un sens.
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[3]
Notamment son affirmation de la nécessité de tenir compte du caractère graduel de la grammaticalité. Cf. à titre d’exemple la notion de acceptability grading (Harris 1968 : 49) et cette affirmation “Any attempt to distinguish the word sequences which are sentences from those which are not has thus to satisfy the condition that the boundary between the two is not sharp” (Harris 1968 : 15) ; ceci est dû en grande partie au fait que “language is an open and always-developing system” qui a pour conséquence que “sentences cannot be described by any completely utilized structure of elements and operations on them” et que “A goal of fully independent elements using up all the well-formed sequences is unreachable” (Harris 1968 : 168)
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[4]
Pour une liste récente (88 verbes dont 6 archaïques) cf. Ibrahim 2000e : 90-93. Quelques verbes sont venus s’ajouter depuis à cette liste, mais il semble qu’en tenant compte des formes archaïsantes ou en voie de disparition, le nombre de verbes supports du français ne devrait pas dépasser la centaine.
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[5]
Les corrélats, tout comme les arguments internes (cf. la Théorie des blocs sémantiques de Marion Carel et Oswald Ducrot) d’une définition matricielle ne sont pas, comme les supports ou les classifieurs, appropriés au noyau nominal décrit par la matrice mais au domaine où il prend sa signification. Ils relient le noyau nominal au texte où il s’inscrit et qui le définit. Ils expriment des catégorisations plus larges que celles des classifieurs, ainsi que des valeurs sémantiques élémentaires contenues dans le noyau nominal et auxquelles s’attachent les relations anaphoriques et les connotations.
1 L’étude que nous présentons est un aperçu du travail engagé par notre laboratoire depuis 1994 et qui a, selon nous, l’intérêt d’articuler très étroitement une théorie générale du fonctionnement de la langue à une théorie générale de son acquisition à travers deux notions centrales : la définition et la reformulation.
1 – Le cadre théorique général : les matrices définitoires
2 Les analyses systématiques menées depuis une trentaine d’années dans le cadre du Lexique-Grammaire sur plusieurs langues, notamment romanes, ainsi que les expériences parallèles d’intégration des données décrites dans des analyseurs informatisés, permettent aujourd’hui d’avoir une vision panoramique des principales conditions d’insertion des unités du lexique dans des structures syntaxiques. Ces structures assurent le plus souvent une double fonction : d’une part départager des usages, d’autre part définir le cadre formel qui, tout en situant la place de l’unité lexicale dans la hiérarchie du lexique, déterminera le traitement spécifique qu’il conviendra de lui appliquer pour l’insérer dans le discours, c’est-à-dire la rattacher à un réseau d’autres unités pour construire un sens.
3 En effet, les contraintes mises au jour n’autorisent pas uniquement à répertorier des régularités et des irrégularités par rapport à des propriétés distributionnelles ou transformationnelles plus ou moins centrales, mais à poser des hypothèses vérifiables sur la nature même de ces régularités ou irrégularités, et surtout sur leur principe d’agencement en vue de la construction du sens en discours.
4 La nature des contraintes grammaticales qui régissent ces régularités ou irrégularités peut être décrite, définie et expliquée par des paraphrases redondantes qui suppriment ou réduisent considérablement par leur redondance même les contraintes présentes dans les énoncés paraphrasés. Ces paraphrases redondantes sont de même type que le Report proposé par Zellig S. Harris (1969), dans son texte fondamental The two systems of Grammar : Report and Paraphrase. Z. S. Harris a par la suite jeté les bases de la manière avec laquelle, dans le cadre d’une grammaire applicative [1], on pouvait faire que ces éléments redondants soient classés en fonction des types d’opérateurs qui les sélectionnaient et comment, en analysant les conditions de leur effacement, on pouvait en quelque sorte rétablir la grammaire qui les avait produits. Bref, comment la description de la grammaire coïncidait presque avec un processus entièrement linguistique d’annulation de la contrainte grammaticale. Un phénomène parfaitement conforme à son affirmation, que l’on retrouve d’ailleurs sous une forme légèrement différente chez Wittgenstein (Ibrahim 2001c), que la métalangue est toujours dans la langue, ou encore que l’une des propriétés définitoires premières des langues naturelles est qu’elles sont autonymiques.
5
On peut donc dire que si le Lexique-Grammaire a mis au point une méthode de description et de reconnaissance des contraintes grammaticales compatible avec une explication fondée sur l’existence dans la langue de classes d’équivalence, la méthode du Report permet de définir ces contraintes par des redondances explicatives, le cadre applicatif d’effacement des redondances garantissant parallèlement la pertinence des redondances postulées et, corrélativement, la reconstructibilité des éléments effacés. Par exemple dans un énoncé comme :
6 Ceci a pour conséquence que les matrices analytiques prennent nécessairement une extension virtuelle, c’est-à-dire que pour un type donné de définition-explication-matricielle redondante toutes les positions ne seront pas nécessairement instanciées dans toutes les langues. Toutes les langues n’instancient pas les mêmes positions et la matrice d’un énoncé dans une langue particulière est nécessairement lacunaire par rapport à la matrice virtuelle universelle, sans être lacunaire en elle-même du fait de la forte redondance de la matrice universelle. Or, il en va de même des niveaux de formulation au cours de l’acquisition de la langue maternelle. L’évolution des formulations et plus précisément des reformulations des enfants telles qu’elles ont été définies par Claire Martinot (1994, 2000a & b) va instancier, pour un énoncé et une configuration sémantique donnés, chez l’adulte, des positions différentes dans la matrice analytique correspondante de la formulation de l’enfant. Or, nous pouvons constater que les effacements de redondances observés au fil de l’évolution des reformulations des enfants, présentent de fortes analogies avec les effacements postulés pour la description de la langue des adultes, même si ces effacements n’interviennent naturellement pas au même moment et ne sont pas liés aux mêmes motivations.
7 Qui dit motivation dit déclencheur de production. La nature et le fonctionnement d’une langue naturelle sont tributaires à la fois de ce qui motive son emploi et des aptitudes naturelles qui sont mobilisées au service de la satisfaction du besoin lié à cette motivation. Si on admet ce point de vue, on est forcément amené, comme le faisait implicitement et parfois explicitement Maurice Gross dans ses cours des années 70 et comme cela apparaît à quelques endroits de l’œuvre écrite de Zellig S. Harris [3], à décentraliser la notion de compétence grammaticale et son corollaire obligé : le critère de grammaticalité des énoncés. Non pas dans le but, comme l’ont soutenu certains à la suite de Dell Hymes (1968), de la noyer dans une soi-disant compétence de communication déterminée en grande partie par des paramètres extralinguistiques, mais dans le but d’établir une isomorphie entre les mécanismes producteurs de la langue et certaines classes de formes linguistiques qui rendent compte de son fonctionnement.
8 En effet, on peut considérer que ce qu’il est convenu d’appeler compétence grammaticale et qui est en fait une compétence essentiellement catégorielle constitue bien un principe incontournable de reconnaissance, de vérification et même d’organisation des énoncés, c’est-à-dire un outil de traitement des données. Mais il ne s’agit en aucun cas d’un principe de production de ces données. Nous postulons que ce principe de production, justifié par le besoin de nommer, délimiter, préciser, est la compétence définitoire. C’est cette aptitude à définir et à se définir, liée à la première des propriétés des langues naturelles : l’autonymie, avec ce qu’elle comporte de réflexivité plus ou moins achevée et qui tire sa dynamique de son imperfection même, qui régit par des reformulations en cascade la totalité du socle grammatical de la construction du sens.
9 Cette approche pose donc que le sens ne se construit ni par une manipulation directe d’entités sémantiques abstraites ou concrètes plus ou moins primitives, ni par une interprétation directe de contraintes syntaxiques ou morphophonémiques, mais par l’explicitation des fonctions d’une configuration lexico-grammaticale a priori parfaitement arbitraire.
10
Nous avons décrit, classé, discuté et exemplifié les matrices définitoires en en précisant la constitution dans une série d’articles (Ibrahim, 1994, 1996a-b, 1997, 1998a & 2001b). Nous nous contenterons donc ici de donner un exemple qui rappelle l’une des formes possibles d’une matrice et d’indiquer les éléments qui sont impliqués dans les différents types de matrices, ainsi que quelques règles élémentaires qui gouvernent la procédure. Soit l’exemple :
- Des verbes supports, c’est-à-dire des actualisateurs plus ou moins appropriés de noms ou groupes prédicatifs [4]. Ici faire, effectuer (dans (faire + effectuer) un plongeon), avoir (dans avoir la possibilité).
- Des verbes opérateurs, selon notre définition (les Oo de Harris) c’est-à-dire à combinatoire presque entièrement libre et à relation d’appropriation quasi nulle avec leur argument. Ici donner dans donner un mouvement ou il faut dans il faut briser ou encore mettre (dans mettre en état de débris).
- Des verbes distributionnels élémentaires indécomposables qui correspondent souvent au verbe prototypique d’une table du LADL, c’est-à-dire celui qui a pratiquement toutes les propriétés listées dans la table. Ici dire, parler et mettre (dans mettre dans l’eau). On trouve aussi dans cette catégorie les principaux verbes dits de perception, ainsi que les principaux verbes de mouvement orienté de la table 2 de Maurice Gross.
- Des substituts génériques indéfinis (Ibrahim 1996a : 100). Ici quelqu’un.
- Des noms classifieurs (Ibrahim 1996a : 112, 1998a : 251 & 2004). Ici mouvement.
- Des corrélats (Ibrahim 1998a : 250 & suiv. ; 2001a : 106-112 et 2004 note 26). Ici état. Il s’agit de termes génériques qui introduisent sous forme de liens des traits récurrents dans la caractérisation des noms ou des domaines [5].
- Des liens d’actualisation non contraints. Ici, c’est-à-dire, et, avant, après, au moment où.
11 Les descripteurs de nos matrices garantissent, du fait de leurs propriétés grammaticales, que la construction de la matrice définitoire, en atteignant la redondance maximale autorisée par la langue, donc en explicitant au maximum les éléments qu’elle définit, lèvera parallèlement toutes les contraintes grammaticales et toutes les ambiguïtés. L’ordre d’entrée des éléments dans la matrice est régi par un principe unique : l’organisation descendante (c’est-à-dire du plus synthétique au plus analytique ou encore du plus complexe au plus élémentaire) de la prédication en fonction des bases nominales et des éléments indécomposables des termes à définir.
2 – Matrices définitoires et reformulations définitoires naturelles des locuteurs
12 Nous postulons que les matrices analytiques ainsi définies sont un outil de description des effets de sens produits par les mots en discours. Les matrices correspondent donc à une explication linguistique du mode de construction du sens. Elles ne correspondent pas à la façon avec laquelle les locuteurs actualisent leurs énoncés en situation. Elles doivent rendre compte, entre autres, des contraintes d’énonciation tout en ne s’y substituant pas. Autrement dit, elles constituent un équivalent sémantique pour un énoncé donné, mais n’en sont pas un équivalent situationnel. On ne peut pas faire sens en expliquant comment on est en train de construire ce sens.
13 Il existe pourtant un mode de construction du sens, numériquement représentatif, au moyen duquel les locuteurs utilisent des bribes de matrices pour des mots qui sont l’enjeu de reformulations sous forme définitoire. Comment cela se passe-t-il ? Le mot est d’abord actualisé dans un énoncé, puis défini selon une procédure de décomposition partielle en unités élémentaires agencées selon la grammaire de la langue ; cette décomposition s’apparente à une analyse matricielle ; ensuite, éventuellement, une partie du sens explicitée par la dernière séquence analytique, peut, à son tour, faire l’objet d’une autre définition analytique ; l’entité peut alors être désignée par une nouvelle appellation, et ainsi de suite. Les situations de reformulation-définition sont attestées, par exemple, dans les cas où plusieurs locuteurs construisent ensemble un discours qui leur devient ainsi commun, ou bien dans des débats polémiques, scientifiques, où le sens de chaque mot peut être l’objet d’un enjeu très important, mais aussi dans toutes les situations d’énonciation où la réflexion des locuteurs prend littéralement forme à travers sa formulation en langue.
14 Le postulat selon lequel les matrices analytiques permettent de décrire les effets de sens produits par les mots en discours est fondé sur trois hypothèses générales concernant le point de vue sur la langue et sur une hypothèse concernant son acquisition.
15 Postulat 1 : la langue produit le sens
16 Nous postulons en effet, à l’instar de W. von Humboldt et d’autres ensuite, que le langage est avant tout un instrument de production et d’organisation de la pensée. On pourrait ajouter que, c’est par le langage, par l’activité de parole, que nous autres locuteurs construisons le sens du monde, de ce qui existe et de ce qui arrive. Une fois posé cet engagement ontologique, on doit se demander pourquoi la définition sous forme de matrices analytiques peut rendre compte de la construction du sens, que ces dernières soient complètes dans le cas d’une description linguistique, ou lacunaires dans le cas des discours actualisés.
17 Postulat 2 : la métalangue est dans la langue
18 Si, comme nous venons de le poser, le langage sert à produire la pensée et, par conséquent, à organiser ou à construire un sens, alors ce sens est dépendant des formes qui le produisent, il ne leur est ni antérieur ni extérieur. De même que le locuteur élabore son propos par des reformulations définitoires successives et partielles qui réfèrent les unes aux autres et s’éclairent mutuellement, le linguiste descripteur puise également et exclusivement dans la langue pour en décrire le fonctionnement, étant entendu qu’il ne s’agit jamais, pour construire le sens d’un discours, de définir systématiquement tous les mots, toutes les notions que l’on utilise. Nous reprenons à notre compte le postulat bien connu de Z. S. Harris selon lequel la métalangue est dans la langue et nous tenterons de le confirmer en mettant au jour un principe commun à la description linguistique de production du sens d’une part et à l’activité énonciative des locuteurs d’autre part, auxquels nous prêtons, peut-être de façon illusoire, un comportement linguistique systématiquement sensé. Ce principe consiste à fournir à une unité donnée de la langue un équivalent sémantique obtenu par décomposition ou une analyse de cette unité en une séquence organisée d’unités basiques, c’est-à-dire que l’on ne peut plus décomposer. Cette séquence est définitoire dans la mesure où elle utilise des unités qui n’ont pas besoin d’être à leur tour définies et où elle rend compte des aspects sémantiques, syntaxiques et énonciatifs de cette unité dans un énoncé donné.
19 Postulat 3 : les locuteurs ont une compétence définitoire
20 Du point de vue du locuteur, on postule donc aussi une compétence définitoire qui met partiellement en œuvre ce principe analytique.
21 Postulat 4 : cette compétence définitoire est nécessaire au processus d’acquisition de la langue maternelle
22 Le quatrième postulat que nous illustrons ci-dessous dit que cette compétence définitoire est attestée chez de très jeunes enfants parce qu’elle est nécessaire au processus d’appropriation du sens sans lequel l’enfant ne saurait parler.
2.1 – Les reformulations matricielles lacunaires des enfants
23 Nous allons présenter un certain nombre d’exemples de ces reformulations matricielles lacunaires produites par ces locuteurs particuliers qui n’ont pas encore acquis totalement leur langue maternelle. Ces procédures constituent justement un mode d’accès au sens dans la mesure où l’enfant, grosso modo d’âge maternel et primaire, tente de fournir un équivalent sémantique pour un mot, un verbe le plus souvent, qu’il ne veut ou ne peut pas exprimer sous sa forme synthétique. Les jeunes locuteurs qui sont à l’origine de notre corpus d’investigation étaient tous dans des conditions d’énonciation où leurs productions devaient faire référence à une production antérieure (restitution d’une histoire).
24 Il s’agit donc d’analyser comment l’enfant parvient à exprimer sous une forme implicitement définitoire un certain nombre de verbes dont on fait l’hypothèse qu’ils sont compris au moment où ils sont entendus dans leur contexte d’origine, mais qui ne peuvent plus être produits au moment où l’enfant s’exprime. Les tentatives de fournir un équivalent sémantique dans des situations d’énonciation données révèlent au moins deux choses. D’une part que les jeunes locuteurs recherchent dans le fonctionnement même de la langue un autre moyen de dire ce qu’ils veulent, d’autre part que la compétence définitoire, c’est-à-dire l’aptitude à donner au moins un équivalent sémantique à une unité de la langue, est le moyen privilégié de construction du sens.
25 Les cas observés ici ne concernent que la compétence définitoire implicite, qui ne fait pas intervenir la conscience métalinguistique des locuteurs, et non pas leur compétence définitoire explicite que nous avons décrite ailleurs (Martinot, 1994 & 1996b). Rappelons que les enfants sont capables, très tôt et si on le leur demande, de définir un certain nombre d’entités concrètes ou du moins de construire des suites d’énoncés qui ressemblent à des définitions lexicographiques. Mais la définition explicite de verbes reste problématique avant 8 ans, et ce sont aussi les verbes, dans notre corpus, qui sont l’objet de reformulations sous forme d’énoncés définitoires implicites.
3 – Les données
26 Notre corpus d’observation a été constitué à partir de deux expérimentations menées auprès de deux groupes d’enfants (la première expérimentation a donné lieu à une étude sur la relation entre l’acquisition de la langue et la reformulation, Martinot, 2000a). Le premier groupe rassemble 5 enfants de 5 à 11 ans, Constance : 5;6, Lucile : 6;6, Marion : 8;0, Julian : 8;10, Charles : 11;3, et le deuxième groupe 4 enfants de 5 à 9 ans, Morgane : 5;0, Solène : 6;0, Mayana : 7;0, Yannaël : 9;0. Chaque enfant devait restituer l’histoire qui lui avait été lue auparavant deux fois de suite. L’histoire lue au premier groupe était intitulée : La pauvre grenouille (conte finnois), celle du second groupe : L’énigme du sphinx. Le corpus de la présente analyse est constitué par des paires d’énoncés sémantiquement apparentés. Le premier énoncé de chaque paire provient du texte source (TS) lu aux enfants, le second énoncé de l’histoire restituée par chaque enfant. On indiquera par (A) qu’il s’agit du texte La pauvre grenouille et par (B) qu’il s’agit de L’énigme du Sphinx.
4 – L’analyse
27 Les procédures définitoires implicites attestées dans notre corpus sont regroupées sous quatre rubriques (cf. annexes) :
- Définition d’un verbe du TS par une décomposition de type matriciel
- Définition partielle d’un verbe du TS par la substitution d’un seul verbe élémentaire qui appartient à la matrice
- Définition d’un verbe du TS par une paraphrase descriptive (sémantiquement équivalente d’un point de vue situationnel)
- Substitution d’un verbe de perception à un verbe décrivant un mouvement (TS)
4.1 – Définition d’un verbe du TS par une décomposition de type matriciel
28
Dans les exemples [1] et [2], les verbes synthétiques travailler (1.TS) et répondre (2.TS) fournissent un prédicat nominal dans leur reformulation respective. Le premier prédicat (travail) est actualisé par le verbe support faire (C), le second (réponse) par le verbe synthétique répondre, ce qui produit une redondance déviante par rapport à la langue cible.
C (5;6) : elle devait faire tout le travail
S (6;0) : si tu réponds à une bonne réponse
29
Les ex. [3] et [4] révèlent un aspect non acquis de la langue :
C (5;6) : elle alla descendre pour aller chercher
J (8;9) : elle (la lune) vient venir elle descendirent
30
Dans l’ex. [5], les trois enfants définissent le verbe causatif de mouvement en le décomposant en un verbe déclaratif (soit dire, soit demander) et en un verbe de mouvement : aller.
C (5;6) : « va chercher de l’eau »
L (6;6) : la vieille dame lui dit d’alla chercher de l’eau à la rivière toute glacée
J (8;9) : la vieille lui demanda d’aller chercher de l’eau dans la rivière
31 Les verbes élémentaires dire et aller appartiennent à la matrice définitoire de envoyer quelqu’un faire quelque chose : qn dit à qn d’aller quelque part pour faire qch.
32
Le type de décomposition de l’exemple 6 analyse d’un point de vue argumentatif le verbe trouver en donnant les deux termes de l’enchaînement argumentatif qui aboutit à trouver - enchaînement qui a la forme suivante : j’essaie mais je n’y arrive pas donc je ne trouve pas :
Y (9;0) : tous ceux qui essayaient de répondre à cette devinette n’y arrivaient pas
4.2 – Définition partielle d’un verbe du TS par la substitution d’un seul verbe élémentaire qui appartient à la matrice
33
La relation définitoire entre le verbe du TS et le verbe reformulé sélectionne un verbe élémentaire dans la même structure que le verbe du TS, en particulier ([7], [8], [9], [12], [13]). On peut parler ici d’une définition par simplification puisque le verbe élémentaire (reformulant) constitue la trace minimale de la matrice définitoire qui décrit le verbe du TS. Ainsi, la matrice simplifiée du verbe plonger dans :
L (6;6) : avant de mettre le seau dans l’eau
34
Les exemples [9] et [10] :
Ch (11;3) : et finalement ils reviennent pas
Ch (11;3) : ils arrivent près de l’eau
35
L’exemple [11] :
Y (9;0) : le sphinx rageait en disant que c’était la bonne réponse
36
L’exemple [12] :
M (7;0) : il fallait que le sphinx dise une devinette
S (6;0) : je te dis une devinette
37 Dans l’exemple [13] (cf. annexes), l’expression à support prendre son envol est restituée ou définie de façon minimale par le verbe de mouvement élémentaire s’en aller.
4.3 – Définition d’un verbe du TS par une paraphrase descriptive (sémantiquement équivalente d’un point de vue situationnel)
Y (9;0) : le sphinx rageait en disant que c’était la bonne réponse
M (7;0) : le sphinx dit que c’était la bonne réponse
S (6;0) : le sphinx dit oui
Mo (5;0) : bravo ! tu as donné la bonne réponse !
39
Dans l’ex. [15] :
Ch (11;3) : elle les appelle elle les supplie de revenir
4.4 – Substitution d’un verbe de perception à un verbe décrivant un mouvement (TS)
S (6;0) : quand il voyait des passagers
C (5;6) : elle regarda tout là-haut dans le ciel
M (8;0) et J (8;9) : elle regarda dans la lune
41 Dans l’énoncé [17], le mouvement décrit dans le TS n’est pas restitué non plus par les enfants. Mais le verbe de perception qu’ils emploient correspond à la justification du mouvement exprimé par le TS. Autrement dit, la séquence lever la tête n’est interprétable, dans ce contexte, que si celle qui lève la tête a quelque chose à regarder. La matrice définitoire correspondant à [17] doit rendre compte de cette interprétation : la petite vieille mit sa tête dans une position telle que ses yeux puissent regarder dans la direction de la lune. Les enfants locuteurs explicitent la métaphore du TS.
Conclusion
42 La définition et la reformulation, telles que les locuteurs les pratiquent dans leur activité locutoire, plus particulièrement quand la construction d’un sens semble être l’objet de l’activité locutoire, sélectionnent et recombinent de façon lacunaire des unités toujours prévues par les matrices. C’est le caractère fondamentalement lacunaire des reformulations définitoires qui détermine in fine la construction du sens.
1 – Définition d’un verbe du TS par une décomposition de type matriciel
C (5;6) : elle devait faire tout le travail
S (6;0) : si tu réponds à une bonne réponse
C (5;6): elle alla descendre pour aller chercher
J (8;9) : elle (la lune) vient venir elle descendirent
C (5;6) : « va chercher de l’eau »
L (6;6) : la vieille dame lui dit d’alla chercher de l’eau à la rivière toute glacée
J (8;9) : la vieille lui demanda d’aller chercher de l’eau dans la rivière
Y (9;0) : tous ceux qui essayaient de répondre à cette devinette n’y arrivaient pas
2 – Définition partielle d’un verbe du TS par la substitution d’un seul verbe élémentaire (appartenant à la matrice)
L (6;6) : avant de mettre le seau dans l’eau
L (6;6) : (la lune) metta sur sa tête toute ronde
Ch (11;3) : (la lune) les prend sur sa figure ronde
Ch (11;3) : et finalement ils reviennent pas
Ch (11;3) : ils arrivent près de l’eau
Y (9;0) : le sphinx rageait en disant que c’était la bonne réponse
M (7;0) : il fallait que le sphinx dise une devinette
S (6;0) : je te dis une devinette
S (6;0) : il s’en alla
3 – Définition d’un verbe du TS par une paraphrase descriptive (sémantiquement équivalente d’un point de vue situationnel)
Y (9;0) : le sphinx rageait en disant que c’était la bonne réponse
M (7;0) : le sphinx dit que c’était la bonne réponse
S (6;0) : le sphinx dit oui
Mo (5;0) : bravo ! tu as donné la bonne réponse !
Ch (11;3) : elle les appelle elle les supplie de revenir
4 – Substitution d’un verbe de perception à un verbe décrivant un mouvement (TS)
C (5;6) : elle regarda tout là-haut dans le ciel
M (8;0) et J (8;9) : elle regarda dans la lune
S (6;0) : quand il voyait des passagers
Bibliographie
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- Ibrahim A. H., 2004, « Prolégomènes à une typologie de l’actualisation des noms », in Les constituants prédicatifs et la diversité des langues, Mémoires de la Société de Linguistique de Paris, Tome XIV, Leuven : Peeters, 29-76.
- Martinot C., 1994, La reformulation dans les productions orales de définitions et d’explications, Thèse NR (sous dir. Blanche-Noëlle Grünig), Université Paris VIII.
- Martinot C., 1996a, « Prédicats et supports chez un enfant de 3 ans », Langages, 121, p. 73-91.
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- Martinot C., 1998a, « Développement de la construction argumentale de trois verbes essentiels : mettre, prendre, donner », Langue française, 118, p. 61-84.
- Martinot C., 1998b, « Présentation », Langue française, 118, p. 3-6.
- Martinot C., 2000a, « Étude comparative des processus de reformulations chez des enfants de 5 à 11 ans », Langages, 140, p. 92-125.
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- Martinot C., 2003a, « Acquisition des verbes et reformulations », in Duvignau K., Gasquet O. et Gaume B., Regards croisés sur l’analogie, Revue d’intelligence artificielle, 5-6, vol. 17, p. 787-798.
- Martinot C., (sous presse), Comment parlent les enfants de six ans ? Pour une linguistique de l’acquisition, Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté, 250 p.
- Martinot C., & Ibrahim A. H. (éds), 2003, La reformulation : un principe universel d’acquisition, Paris, Kimé, 387 p.
NOTES
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[*]
(Université de Franche-Comté) amr. iiiiiiiibrahim@ free. fr 5, rue Louis Léon Lepoutre, F-94130 Nogent-sur-Marne.
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[**]
(Université R. Descartes, Paris 5) ccccccccmartinot@ free. com 49, avenue de Condé, F-94100 Saint Maur-des-Fossés.
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[1]
Cette notion est susceptible de recevoir des interprétations différentes. Définie brièvement, il s’agit, dans notre optique, d’une grammaire dont l’architecture et le fonctionnement sont isomorphes à des applications hiérarchisées et contraintes d’opérateurs à leurs arguments.
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[2]
On serait tenté d’ajouter sinon dans toutes, mais les connaissances que la linguistique a accumulées sur les six ou sept mille langues du monde restent beaucoup trop imparfaites pour que ce risque ait un sens.
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[3]
Notamment son affirmation de la nécessité de tenir compte du caractère graduel de la grammaticalité. Cf. à titre d’exemple la notion de acceptability grading (Harris 1968 : 49) et cette affirmation “Any attempt to distinguish the word sequences which are sentences from those which are not has thus to satisfy the condition that the boundary between the two is not sharp” (Harris 1968 : 15) ; ceci est dû en grande partie au fait que “language is an open and always-developing system” qui a pour conséquence que “sentences cannot be described by any completely utilized structure of elements and operations on them” et que “A goal of fully independent elements using up all the well-formed sequences is unreachable” (Harris 1968 : 168)
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[4]
Pour une liste récente (88 verbes dont 6 archaïques) cf. Ibrahim 2000e : 90-93. Quelques verbes sont venus s’ajouter depuis à cette liste, mais il semble qu’en tenant compte des formes archaïsantes ou en voie de disparition, le nombre de verbes supports du français ne devrait pas dépasser la centaine.
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[5]
Les corrélats, tout comme les arguments internes (cf. la Théorie des blocs sémantiques de Marion Carel et Oswald Ducrot) d’une définition matricielle ne sont pas, comme les supports ou les classifieurs, appropriés au noyau nominal décrit par la matrice mais au domaine où il prend sa signification. Ils relient le noyau nominal au texte où il s’inscrit et qui le définit. Ils expriment des catégorisations plus larges que celles des classifieurs, ainsi que des valeurs sémantiques élémentaires contenues dans le noyau nominal et auxquelles s’attachent les relations anaphoriques et les connotations.