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Article de revue

Les reformulations matricielles lacunaires des enfants

Pages 21 à 40

NOTES

  • [*]
    (Université de Franche-Comté) amr. iiiiiiiibrahim@ free. fr 5, rue Louis Léon Lepoutre, F-94130 Nogent-sur-Marne.
  • [**]
    (Université R. Descartes, Paris 5) ccccccccmartinot@ free. com 49, avenue de Condé, F-94100 Saint Maur-des-Fossés.
  • [1]
    Cette notion est susceptible de recevoir des interprétations différentes. Définie brièvement, il s’agit, dans notre optique, d’une grammaire dont l’architecture et le fonctionnement sont isomorphes à des applications hiérarchisées et contraintes d’opérateurs à leurs arguments.
  • [2]
    On serait tenté d’ajouter sinon dans toutes, mais les connaissances que la linguistique a accumulées sur les six ou sept mille langues du monde restent beaucoup trop imparfaites pour que ce risque ait un sens.
  • [3]
    Notamment son affirmation de la nécessité de tenir compte du caractère graduel de la grammaticalité. Cf. à titre d’exemple la notion de acceptability grading (Harris 1968 : 49) et cette affirmation “Any attempt to distinguish the word sequences which are sentences from those which are not has thus to satisfy the condition that the boundary between the two is not sharp” (Harris 1968 : 15) ; ceci est dû en grande partie au fait que “language is an open and always-developing system” qui a pour conséquence que “sentences cannot be described by any completely utilized structure of elements and operations on them” et que “A goal of fully independent elements using up all the well-formed sequences is unreachable” (Harris 1968 : 168)
  • [4]
    Pour une liste récente (88 verbes dont 6 archaïques) cf. Ibrahim 2000e : 90-93. Quelques verbes sont venus s’ajouter depuis à cette liste, mais il semble qu’en tenant compte des formes archaïsantes ou en voie de disparition, le nombre de verbes supports du français ne devrait pas dépasser la centaine.
  • [5]
    Les corrélats, tout comme les arguments internes (cf. la Théorie des blocs sémantiques de Marion Carel et Oswald Ducrot) d’une définition matricielle ne sont pas, comme les supports ou les classifieurs, appropriés au noyau nominal décrit par la matrice mais au domaine où il prend sa signification. Ils relient le noyau nominal au texte où il s’inscrit et qui le définit. Ils expriment des catégorisations plus larges que celles des classifieurs, ainsi que des valeurs sémantiques élémentaires contenues dans le noyau nominal et auxquelles s’attachent les relations anaphoriques et les connotations.

1 L’étude que nous présentons est un aperçu du travail engagé par notre laboratoire depuis 1994 et qui a, selon nous, l’intérêt d’articuler très étroitement une théorie générale du fonctionnement de la langue à une théorie générale de son acquisition à travers deux notions centrales : la définition et la reformulation.

1 – Le cadre théorique général : les matrices définitoires

2 Les analyses systématiques menées depuis une trentaine d’années dans le cadre du Lexique-Grammaire sur plusieurs langues, notamment romanes, ainsi que les expériences parallèles d’intégration des données décrites dans des analyseurs informatisés, permettent aujourd’hui d’avoir une vision panoramique des principales conditions d’insertion des unités du lexique dans des structures syntaxiques. Ces structures assurent le plus souvent une double fonction : d’une part départager des usages, d’autre part définir le cadre formel qui, tout en situant la place de l’unité lexicale dans la hiérarchie du lexique, déterminera le traitement spécifique qu’il conviendra de lui appliquer pour l’insérer dans le discours, c’est-à-dire la rattacher à un réseau d’autres unités pour construire un sens.

3 En effet, les contraintes mises au jour n’autorisent pas uniquement à répertorier des régularités et des irrégularités par rapport à des propriétés distributionnelles ou transformationnelles plus ou moins centrales, mais à poser des hypothèses vérifiables sur la nature même de ces régularités ou irrégularités, et surtout sur leur principe d’agencement en vue de la construction du sens en discours.

4 La nature des contraintes grammaticales qui régissent ces régularités ou irrégularités peut être décrite, définie et expliquée par des paraphrases redondantes qui suppriment ou réduisent considérablement par leur redondance même les contraintes présentes dans les énoncés paraphrasés. Ces paraphrases redondantes sont de même type que le Report proposé par Zellig S. Harris (1969), dans son texte fondamental The two systems of Grammar : Report and Paraphrase. Z. S. Harris a par la suite jeté les bases de la manière avec laquelle, dans le cadre d’une grammaire applicative [1], on pouvait faire que ces éléments redondants soient classés en fonction des types d’opérateurs qui les sélectionnaient et comment, en analysant les conditions de leur effacement, on pouvait en quelque sorte rétablir la grammaire qui les avait produits. Bref, comment la description de la grammaire coïncidait presque avec un processus entièrement linguistique d’annulation de la contrainte grammaticale. Un phénomène parfaitement conforme à son affirmation, que l’on retrouve d’ailleurs sous une forme légèrement différente chez Wittgenstein (Ibrahim 2001c), que la métalangue est toujours dans la langue, ou encore que l’une des propriétés définitoires premières des langues naturelles est qu’elles sont autonymiques.

5 On peut donc dire que si le Lexique-Grammaire a mis au point une méthode de description et de reconnaissance des contraintes grammaticales compatible avec une explication fondée sur l’existence dans la langue de classes d’équivalence, la méthode du Report permet de définir ces contraintes par des redondances explicatives, le cadre applicatif d’effacement des redondances garantissant parallèlement la pertinence des redondances postulées et, corrélativement, la reconstructibilité des éléments effacés. Par exemple dans un énoncé comme :

[1]
Viens à la maison
il y aura pour chaque type de condensation grammaticale une forme de redondance. Pour l’impératif :
[2]
une personne qui n’est pas désignée dans l’énoncé interpelle une personne pour lui demander de
Pour le présent :
[3]
à un moment qui suit le moment de l’énonciation de l’énoncé
Pour la détermination en la équivalant devant maison à un possessif :
[4]
l’endroit que l’énonciateur considère comme étant sa maison
Définir de la sorte les contraintes grammaticales explique l’insertion d’une unité lexicale dans un énoncé minimal, mais n’explique pas comment ni pourquoi cette insertion est à l’origine de la construction d’un sens. On montre comment les unités d’une séquence, d’un énoncé ou d’une suite d’énoncés, sont actualisées, mais on n’explique pas pourquoi des variations dans le type d’actualisation sont productrices de sens. Pour qu’une explication soit possible dans cette perspective il faut, de même qu’on a construit la classe d’équivalence qui regroupe la contrainte grammaticale et sa définition par redondance, construire une classe d’équivalence qui regroupe les définitions par redondance et des configurations analytiques dont on peut montrer l’analogie avec des configurations sémantiques terminales que reconnaît le locuteur. Ces configurations analytiques sont tirées de la grammaire des prédicats telle qu’on peut la construire dans un Lexique-Grammaire. Dans le cas de [1] elles concernent venir, un verbe de mouvement-déplacement figurant dans la table 2 de Méthodes en syntaxe (Gross, 1975) et dont l’analyse matricielle a été développée dans Ibrahim (1979) :
[5]
(une personne + un mobile assimilé à une personne) désigné(e) par l’énonciateur (va + se déplace) de l’endroit où (elle + il) se trouve à l’origine (à + vers) un endroit où l’énonciateur (se trouve + se situe par la pensée).
Ce qui nous permet de construire la matrice analytique définitoire suivante :
[6]
Une personne qui n’est pas désignée dans l’énoncé s’adresse à une personne pour lui demander d’aller, à un moment qui suit le moment de l’énonciation de son énoncé, de l’endroit où se trouve la personne à laquelle l’énonciateur s’adresse à un endroit où l’énonciateur se situe par la pensée et qu’il considère comme étant sa maison
Les configurations analytiques que nous appelons matrices analytiques définitoires jouent alors à leur tour, vis-à-vis des définitions redondantes de la grammaire, le même rôle que ces dernières jouent vis-à-vis des structures syntaxiques élémentaires. Elles ont la double fonction d’user d’une forme de redondance pour expliquer, tout en les annulant, les contraintes grammaticales idiosyncrasiques propres à une langue particulière. En effet, les matrices analytiques, sans être universelles dans leur matérialité par rapport à un énoncé donné, le sont dans le principe de leur agencement et dans l’explication qu’elles peuvent donner de cet agencement. Bref, elles peuvent montrer par l’exemple - c’est-à-dire sans formuler de règles -, mais néanmoins assez précisément, comment et pourquoi le type de redondances explicatives effaçables peut ne pas être le même, pour une même configuration sémantique donnée dans des langues différentes. Si, par exemple, on compare les équivalents de [1] et [6] en anglais et en arabe, on constate que pour des énoncés comme Come home en anglais ou tacâla –l béte en arabe égyptien on aura, dans ces deux langues, pour l’équivalent de [6], des matrices à très peu de chose près identiques à la matrice française. Autrement dit, une bonne matrice dans une langue donnée est aussi une matrice qui change peu ou pas du tout pour une même configuration sémantique dans un très grand nombre de langues [2]. Les vraies différences entre les langues se situent dans les modalités et les degrés de grammaticalisation, c’est-à-dire de contraction, abréviation ou synthétisation des composants analytiques de la matrice. Ainsi en anglais c’est tout le système des marques explicites de la détermination ainsi que la construction prépositionnelle du locatif qui sont redondants, tandis qu’en arabe on retrouve pour ce type d’énoncé un système de détermination identique au français, avec une construction du locatif analogue à celle de l’anglais.

6 Ceci a pour conséquence que les matrices analytiques prennent nécessairement une extension virtuelle, c’est-à-dire que pour un type donné de définition-explication-matricielle redondante toutes les positions ne seront pas nécessairement instanciées dans toutes les langues. Toutes les langues n’instancient pas les mêmes positions et la matrice d’un énoncé dans une langue particulière est nécessairement lacunaire par rapport à la matrice virtuelle universelle, sans être lacunaire en elle-même du fait de la forte redondance de la matrice universelle. Or, il en va de même des niveaux de formulation au cours de l’acquisition de la langue maternelle. L’évolution des formulations et plus précisément des reformulations des enfants telles qu’elles ont été définies par Claire Martinot (1994, 2000a & b) va instancier, pour un énoncé et une configuration sémantique donnés, chez l’adulte, des positions différentes dans la matrice analytique correspondante de la formulation de l’enfant. Or, nous pouvons constater que les effacements de redondances observés au fil de l’évolution des reformulations des enfants, présentent de fortes analogies avec les effacements postulés pour la description de la langue des adultes, même si ces effacements n’interviennent naturellement pas au même moment et ne sont pas liés aux mêmes motivations.

7 Qui dit motivation dit déclencheur de production. La nature et le fonctionnement d’une langue naturelle sont tributaires à la fois de ce qui motive son emploi et des aptitudes naturelles qui sont mobilisées au service de la satisfaction du besoin lié à cette motivation. Si on admet ce point de vue, on est forcément amené, comme le faisait implicitement et parfois explicitement Maurice Gross dans ses cours des années 70 et comme cela apparaît à quelques endroits de l’œuvre écrite de Zellig S. Harris [3], à décentraliser la notion de compétence grammaticale et son corollaire obligé : le critère de grammaticalité des énoncés. Non pas dans le but, comme l’ont soutenu certains à la suite de Dell Hymes (1968), de la noyer dans une soi-disant compétence de communication déterminée en grande partie par des paramètres extralinguistiques, mais dans le but d’établir une isomorphie entre les mécanismes producteurs de la langue et certaines classes de formes linguistiques qui rendent compte de son fonctionnement.

8 En effet, on peut considérer que ce qu’il est convenu d’appeler compétence grammaticale et qui est en fait une compétence essentiellement catégorielle constitue bien un principe incontournable de reconnaissance, de vérification et même d’organisation des énoncés, c’est-à-dire un outil de traitement des données. Mais il ne s’agit en aucun cas d’un principe de production de ces données. Nous postulons que ce principe de production, justifié par le besoin de nommer, délimiter, préciser, est la compétence définitoire. C’est cette aptitude à définir et à se définir, liée à la première des propriétés des langues naturelles : l’autonymie, avec ce qu’elle comporte de réflexivité plus ou moins achevée et qui tire sa dynamique de son imperfection même, qui régit par des reformulations en cascade la totalité du socle grammatical de la construction du sens.

9 Cette approche pose donc que le sens ne se construit ni par une manipulation directe d’entités sémantiques abstraites ou concrètes plus ou moins primitives, ni par une interprétation directe de contraintes syntaxiques ou morphophonémiques, mais par l’explicitation des fonctions d’une configuration lexico-grammaticale a priori parfaitement arbitraire.

10 Nous avons décrit, classé, discuté et exemplifié les matrices définitoires en en précisant la constitution dans une série d’articles (Ibrahim, 1994, 1996a-b, 1997, 1998a & 2001b). Nous nous contenterons donc ici de donner un exemple qui rappelle l’une des formes possibles d’une matrice et d’indiquer les éléments qui sont impliqués dans les différents types de matrices, ainsi que quelques règles élémentaires qui gouvernent la procédure. Soit l’exemple :

[7a]
Afin de pouvoir plonger le seau dans l’eau, il fallait d’abord briser la glace.
Après l’analyse des restructurations possibles de cet énoncé, on aurait quelque chose dans le genre de:
[7b]
Quelqu’un qui parle par ma bouche et qui n’est pas forcément moi dit : (à la fin de + afin de + pour) avoir la possibilité de plonger (un + le) seau dans l’eau c’est-à-dire mettre ce seau dans l’eau en (donnant au seau + faisant que le seau adopte) le mouvement de quelqu’un qui (fait + effectue) un plongeon, il faut (d’abord + avant de faire cela) briser c’est-à-dire mettre en état de débris l’eau qui se trouve à l’état de glace.
Il existe différents types de matrices définitoires (Ibrahim 1996b), mais toutes ont recours à un petit nombre de descripteurs répartis dans les catégories suivantes :
  1. Des verbes supports, c’est-à-dire des actualisateurs plus ou moins appropriés de noms ou groupes prédicatifs [4]. Ici faire, effectuer (dans (faire + effectuer) un plongeon), avoir (dans avoir la possibilité).
  2. Des verbes opérateurs, selon notre définition (les Oo de Harris) c’est-à-dire à combinatoire presque entièrement libre et à relation d’appropriation quasi nulle avec leur argument. Ici donner dans donner un mouvement ou il faut dans il faut briser ou encore mettre (dans mettre en état de débris).
  3. Des verbes distributionnels élémentaires indécomposables qui correspondent souvent au verbe prototypique d’une table du LADL, c’est-à-dire celui qui a pratiquement toutes les propriétés listées dans la table. Ici dire, parler et mettre (dans mettre dans l’eau). On trouve aussi dans cette catégorie les principaux verbes dits de perception, ainsi que les principaux verbes de mouvement orienté de la table 2 de Maurice Gross.
  4. Des substituts génériques indéfinis (Ibrahim 1996a : 100). Ici quelqu’un.
  5. Des noms classifieurs (Ibrahim 1996a : 112, 1998a : 251 & 2004). Ici mouvement.
  6. Des corrélats (Ibrahim 1998a : 250 & suiv. ; 2001a : 106-112 et 2004 note 26). Ici état. Il s’agit de termes génériques qui introduisent sous forme de liens des traits récurrents dans la caractérisation des noms ou des domaines [5].
  7. Des liens d’actualisation non contraints. Ici, c’est-à-dire, et, avant, après, au moment où.
Nous ne dirons rien ici pour le moment des descripteurs d’enchaînements discursifs (Ibrahim 2001b).

11 Les descripteurs de nos matrices garantissent, du fait de leurs propriétés grammaticales, que la construction de la matrice définitoire, en atteignant la redondance maximale autorisée par la langue, donc en explicitant au maximum les éléments qu’elle définit, lèvera parallèlement toutes les contraintes grammaticales et toutes les ambiguïtés. L’ordre d’entrée des éléments dans la matrice est régi par un principe unique : l’organisation descendante (c’est-à-dire du plus synthétique au plus analytique ou encore du plus complexe au plus élémentaire) de la prédication en fonction des bases nominales et des éléments indécomposables des termes à définir.

2 – Matrices définitoires et reformulations définitoires naturelles des locuteurs

12 Nous postulons que les matrices analytiques ainsi définies sont un outil de description des effets de sens produits par les mots en discours. Les matrices correspondent donc à une explication linguistique du mode de construction du sens. Elles ne correspondent pas à la façon avec laquelle les locuteurs actualisent leurs énoncés en situation. Elles doivent rendre compte, entre autres, des contraintes d’énonciation tout en ne s’y substituant pas. Autrement dit, elles constituent un équivalent sémantique pour un énoncé donné, mais n’en sont pas un équivalent situationnel. On ne peut pas faire sens en expliquant comment on est en train de construire ce sens.

13 Il existe pourtant un mode de construction du sens, numériquement représentatif, au moyen duquel les locuteurs utilisent des bribes de matrices pour des mots qui sont l’enjeu de reformulations sous forme définitoire. Comment cela se passe-t-il ? Le mot est d’abord actualisé dans un énoncé, puis défini selon une procédure de décomposition partielle en unités élémentaires agencées selon la grammaire de la langue ; cette décomposition s’apparente à une analyse matricielle ; ensuite, éventuellement, une partie du sens explicitée par la dernière séquence analytique, peut, à son tour, faire l’objet d’une autre définition analytique ; l’entité peut alors être désignée par une nouvelle appellation, et ainsi de suite. Les situations de reformulation-définition sont attestées, par exemple, dans les cas où plusieurs locuteurs construisent ensemble un discours qui leur devient ainsi commun, ou bien dans des débats polémiques, scientifiques, où le sens de chaque mot peut être l’objet d’un enjeu très important, mais aussi dans toutes les situations d’énonciation où la réflexion des locuteurs prend littéralement forme à travers sa formulation en langue.

14 Le postulat selon lequel les matrices analytiques permettent de décrire les effets de sens produits par les mots en discours est fondé sur trois hypothèses générales concernant le point de vue sur la langue et sur une hypothèse concernant son acquisition.

15 Postulat 1 : la langue produit le sens

16 Nous postulons en effet, à l’instar de W. von Humboldt et d’autres ensuite, que le langage est avant tout un instrument de production et d’organisation de la pensée. On pourrait ajouter que, c’est par le langage, par l’activité de parole, que nous autres locuteurs construisons le sens du monde, de ce qui existe et de ce qui arrive. Une fois posé cet engagement ontologique, on doit se demander pourquoi la définition sous forme de matrices analytiques peut rendre compte de la construction du sens, que ces dernières soient complètes dans le cas d’une description linguistique, ou lacunaires dans le cas des discours actualisés.

17 Postulat 2 : la métalangue est dans la langue

18 Si, comme nous venons de le poser, le langage sert à produire la pensée et, par conséquent, à organiser ou à construire un sens, alors ce sens est dépendant des formes qui le produisent, il ne leur est ni antérieur ni extérieur. De même que le locuteur élabore son propos par des reformulations définitoires successives et partielles qui réfèrent les unes aux autres et s’éclairent mutuellement, le linguiste descripteur puise également et exclusivement dans la langue pour en décrire le fonctionnement, étant entendu qu’il ne s’agit jamais, pour construire le sens d’un discours, de définir systématiquement tous les mots, toutes les notions que l’on utilise. Nous reprenons à notre compte le postulat bien connu de Z. S. Harris selon lequel la métalangue est dans la langue et nous tenterons de le confirmer en mettant au jour un principe commun à la description linguistique de production du sens d’une part et à l’activité énonciative des locuteurs d’autre part, auxquels nous prêtons, peut-être de façon illusoire, un comportement linguistique systématiquement sensé. Ce principe consiste à fournir à une unité donnée de la langue un équivalent sémantique obtenu par décomposition ou une analyse de cette unité en une séquence organisée d’unités basiques, c’est-à-dire que l’on ne peut plus décomposer. Cette séquence est définitoire dans la mesure où elle utilise des unités qui n’ont pas besoin d’être à leur tour définies et où elle rend compte des aspects sémantiques, syntaxiques et énonciatifs de cette unité dans un énoncé donné.

19 Postulat 3 : les locuteurs ont une compétence définitoire

20 Du point de vue du locuteur, on postule donc aussi une compétence définitoire qui met partiellement en œuvre ce principe analytique.

21 Postulat 4 : cette compétence définitoire est nécessaire au processus d’acquisition de la langue maternelle

22 Le quatrième postulat que nous illustrons ci-dessous dit que cette compétence définitoire est attestée chez de très jeunes enfants parce qu’elle est nécessaire au processus d’appropriation du sens sans lequel l’enfant ne saurait parler.

2.1 – Les reformulations matricielles lacunaires des enfants

23 Nous allons présenter un certain nombre d’exemples de ces reformulations matricielles lacunaires produites par ces locuteurs particuliers qui n’ont pas encore acquis totalement leur langue maternelle. Ces procédures constituent justement un mode d’accès au sens dans la mesure où l’enfant, grosso modo d’âge maternel et primaire, tente de fournir un équivalent sémantique pour un mot, un verbe le plus souvent, qu’il ne veut ou ne peut pas exprimer sous sa forme synthétique. Les jeunes locuteurs qui sont à l’origine de notre corpus d’investigation étaient tous dans des conditions d’énonciation où leurs productions devaient faire référence à une production antérieure (restitution d’une histoire).

24 Il s’agit donc d’analyser comment l’enfant parvient à exprimer sous une forme implicitement définitoire un certain nombre de verbes dont on fait l’hypothèse qu’ils sont compris au moment où ils sont entendus dans leur contexte d’origine, mais qui ne peuvent plus être produits au moment où l’enfant s’exprime. Les tentatives de fournir un équivalent sémantique dans des situations d’énonciation données révèlent au moins deux choses. D’une part que les jeunes locuteurs recherchent dans le fonctionnement même de la langue un autre moyen de dire ce qu’ils veulent, d’autre part que la compétence définitoire, c’est-à-dire l’aptitude à donner au moins un équivalent sémantique à une unité de la langue, est le moyen privilégié de construction du sens.

25 Les cas observés ici ne concernent que la compétence définitoire implicite, qui ne fait pas intervenir la conscience métalinguistique des locuteurs, et non pas leur compétence définitoire explicite que nous avons décrite ailleurs (Martinot, 1994 & 1996b). Rappelons que les enfants sont capables, très tôt et si on le leur demande, de définir un certain nombre d’entités concrètes ou du moins de construire des suites d’énoncés qui ressemblent à des définitions lexicographiques. Mais la définition explicite de verbes reste problématique avant 8 ans, et ce sont aussi les verbes, dans notre corpus, qui sont l’objet de reformulations sous forme d’énoncés définitoires implicites.

3 – Les données

26 Notre corpus d’observation a été constitué à partir de deux expérimentations menées auprès de deux groupes d’enfants (la première expérimentation a donné lieu à une étude sur la relation entre l’acquisition de la langue et la reformulation, Martinot, 2000a). Le premier groupe rassemble 5 enfants de 5 à 11 ans, Constance : 5;6, Lucile : 6;6, Marion : 8;0, Julian : 8;10, Charles : 11;3, et le deuxième groupe 4 enfants de 5 à 9 ans, Morgane : 5;0, Solène : 6;0, Mayana : 7;0, Yannaël : 9;0. Chaque enfant devait restituer l’histoire qui lui avait été lue auparavant deux fois de suite. L’histoire lue au premier groupe était intitulée : La pauvre grenouille (conte finnois), celle du second groupe : L’énigme du sphinx. Le corpus de la présente analyse est constitué par des paires d’énoncés sémantiquement apparentés. Le premier énoncé de chaque paire provient du texte source (TS) lu aux enfants, le second énoncé de l’histoire restituée par chaque enfant. On indiquera par (A) qu’il s’agit du texte La pauvre grenouille et par (B) qu’il s’agit de L’énigme du Sphinx.

4 – L’analyse

27 Les procédures définitoires implicites attestées dans notre corpus sont regroupées sous quatre rubriques (cf. annexes) :

  1. Définition d’un verbe du TS par une décomposition de type matriciel
  2. Définition partielle d’un verbe du TS par la substitution d’un seul verbe élémentaire qui appartient à la matrice
  3. Définition d’un verbe du TS par une paraphrase descriptive (sémantiquement équivalente d’un point de vue situationnel)
  4. Substitution d’un verbe de perception à un verbe décrivant un mouvement (TS)

4.1 – Définition d’un verbe du TS par une décomposition de type matriciel

28 Dans les exemples [1] et [2], les verbes synthétiques travailler (1.TS) et répondre (2.TS) fournissent un prédicat nominal dans leur reformulation respective. Le premier prédicat (travail) est actualisé par le verbe support faire (C), le second (réponse) par le verbe synthétique répondre, ce qui produit une redondance déviante par rapport à la langue cible.

[1]
TS : La vieille femme (…) l’obligeait à travailler du matin jusqu’au soir.
C (5;6) : elle devait faire tout le travail
[2]
TS : si tu y réponds (à la devinette)
S (6;0) : si tu réponds à une bonne réponse
Dans l’ex. [1], la nominalisation produit le Vsup approprié (faire), dans l’ex. [2], la nominalisation ne sélectionne pas le Vsup approprié donner (la bonne réponse), mais maintient le verbe distributionnel en position de support dans une structure analytique à complément interne du type chanter une chanson dont Amr Ibrahim (1994 & 1996b) a montré l’équivalence avec les structures à support.

29 Les ex. [3] et [4] révèlent un aspect non acquis de la langue :

[3]
TS : À la fin, impatientée, elle descendit jusqu’au bord de la rivière
C (5;6) : elle alla descendre pour aller chercher
[4]
TS : (la lune) descendit du ciel
J (8;9) : elle (la lune) vient venir elle descendirent
Curieusement, les enfants ne parviennent pas à restituer le verbe descendre. Dans l’ex. [3], C décompose la forme verbale sans produire de nominalisation. Elle ajoute le verbe élémentaire aller et reprend descendre comme si l’idée du mouvement, exprimée par descendit, ne pouvait pas être exprimée par la forme synthétique de descendre. Dans l’ex. [4], on assiste également à une décomposition du verbe de départ en deux verbes élémentaires avec la production d’un nouveau type de redondance (ce phénomène est très courant durant l’acquisition de la langue maternelle, il s’estompe peu à peu jusqu’à sa suppression totale chez les adultes et en particulier dans certains écrits littéraires par exemple). On remarquera que pour le locuteur terrien qui parle dans la bouche de J, l’emploi de venir correspond bien à la relation déictique impliquée par ce verbe : la lune, en descendant, vient vers lui.

30 Dans l’ex. [5], les trois enfants définissent le verbe causatif de mouvement en le décomposant en un verbe déclaratif (soit dire, soit demander) et en un verbe de mouvement : aller.

[5]
TS : (la petite vieille) l’envoya chercher de l’eau à la rivière
C (5;6) : « va chercher de l’eau »
L (6;6) : la vieille dame lui dit d’alla chercher de l’eau à la rivière toute glacée
J (8;9) : la vieille lui demanda d’aller chercher de l’eau dans la rivière
L’énoncé de l’enfant le plus jeune, C, correspond à la même analyse mais C utilise le discours direct, elle met donc en scène le ‘dire’ et ne le signale pas.

31 Les verbes élémentaires dire et aller appartiennent à la matrice définitoire de envoyer quelqu’un faire quelque chose : qn dit à qn d’aller quelque part pour faire qch.

32 Le type de décomposition de l’exemple 6 analyse d’un point de vue argumentatif le verbe trouver en donnant les deux termes de l’enchaînement argumentatif qui aboutit à trouver - enchaînement qui a la forme suivante : j’essaie mais je n’y arrive pas donc je ne trouve pas :

[6]
TS : les voyageurs ne trouvaient jamais la réponse
Y (9;0) : tous ceux qui essayaient de répondre à cette devinette n’y arrivaient pas
La relation définitoire entre le verbe du TS et le verbe reformulé par l’enfant correspond dans ces 6 exemples à une analyse ou décomposition en plusieurs unités : [1] Vdistr > Vsup Npréd ; [2] Vdistr > Vpréd Npréd (redondance) ; [3] et [4] Vmvt > Vmvt Vmvt ; [5] Vcausatif de mvt > Vdécl Vmvt ; [6] nég V Npréd > Vi V-N-préd POURTANT nég Vj ; le verbe du TS (ne trouvaient jamais Npréd : la réponse) se décompose non pas, comme dans les exemples précédents, en éléments définitoires mais en termes d’arguments internes tels que décrits par Carel et Ducrot (2001) dans la théorie des blocs sémantiques : essayer POURTANT ne pas arriver.

4.2 – Définition partielle d’un verbe du TS par la substitution d’un seul verbe élémentaire qui appartient à la matrice

33 La relation définitoire entre le verbe du TS et le verbe reformulé sélectionne un verbe élémentaire dans la même structure que le verbe du TS, en particulier ([7], [8], [9], [12], [13]). On peut parler ici d’une définition par simplification puisque le verbe élémentaire (reformulant) constitue la trace minimale de la matrice définitoire qui décrit le verbe du TS. Ainsi, la matrice simplifiée du verbe plonger dans :

[7]
TS : afin de pouvoir plonger le seau dans l’eau
L (6;6) : avant de mettre le seau dans l’eau
serait de la forme : quelqu’un qui plonge un seau dans l’eau est quelqu’un qui met ce seau dans l’eau en donnant au seau le mouvement de quelqu’un qui fait un plongeon (cf. plus haut la matrice complète). L’enfant ne reprend que mettre dans sa définition reformulante de plonger.

34 Les exemples [9] et [10] :

[9]
TS : elle eut beau supplier ils ne redescendirent pas
Ch (11;3) : et finalement ils reviennent pas
[10]
TS : ils descendirent jusqu’à la rivière
Ch (11;3) : ils arrivent près de l’eau
rappellent les exemples [3] et [4] précédents, à la différence que cette fois-ci les énoncés reformulés par Ch sont conformes à la langue cible sans pour autant restituer la direction de haut en bas qu’exprime le verbe du TS descendre. En [10], l’aspect perfectif exprimé par la préposition jusqu’à est exprimé par la catégorie verbale dans la reformulation de Ch.

35 L’exemple [11] :

[11]
TS : tu as gagné ! s’écria le sphinx en rugissant
Y (9;0) : le sphinx rageait en disant que c’était la bonne réponse
présente une sorte de transformation par permutation : s’écria en rugissant devient rageait en disantdire est la trace minimale de la matrice définitoire de s’écrier (quelqu’un s’écrie lorsqu’il dit quelque chose en utilisant la voix de quelqu’un qui pousse des cris).

36 L’exemple [12] :

[12]
TS : je vais te poser une devinette
M (7;0) : il fallait que le sphinx dise une devinette
S (6;0) : je te dis une devinette
présente un cas intéressant de définition d’une expression à support : poser une devinette, par un verbe distributionnel élémentaire dire. Aucun des deux enfants ne produit le verbe support approprié à devinette, ils lui substituent un autre verbe élémentaire non approprié au contexte mais qui fait néanmoins partie des énoncés possibles. Et c’est ce verbe qui actualise devinette.

37 Dans l’exemple [13] (cf. annexes), l’expression à support prendre son envol est restituée ou définie de façon minimale par le verbe de mouvement élémentaire s’en aller.

4.3 – Définition d’un verbe du TS par une paraphrase descriptive (sémantiquement équivalente d’un point de vue situationnel)

38

[14]
TS : tu as gagné ! s’écria le sphinx en rugissant
Y (9;0) : le sphinx rageait en disant que c’était la bonne réponse
M (7;0) : le sphinx dit que c’était la bonne réponse
S (6;0) : le sphinx dit oui
Mo (5;0) : bravo ! tu as donné la bonne réponse !
Les enfants ne restituent pas le verbe gagner même quand ils restituent la forme directe de l’énoncé, comme le font les deux enfants les plus jeunes, S et Mo. Ils fournissent une sorte de paraphrase situationnelle, parfaitement appropriée au contexte d’énonciation et très cohérente avec l’ensemble de l’histoire puisqu’on a vu au moins deux énoncés qui faisaient référence à la bonne réponse à trouver, cf. [2] et [6]. Les enfants adaptent l’énoncé du TS tu as gagné, qui a un caractère général, à la situation particulière décrite dans l’histoire par les énoncés qui contiennent le prédicat réponse. Ils définissent donc en limitant la portée du verbe du TS.

39 Dans l’ex. [15] :

[15]
TS : Oh ! s’écria la petite vieille, mon petit chien frisé, ma petite grenouille verte, revenez ! (A)
Ch (11;3) : elle les appelle elle les supplie de revenir
Ch explicite le procès qui conditionne l’énonciation : mon petit chien frisé, ma petite grenouille verte. La petite vieille doit en effet appeler le chien et la grenouille par leur nom pour s’adresser à eux. L’enfant rétablit une information restée implicite dans le TS. Ch décrit ensuite la modalité selon laquelle la petite vieille s’adresse à ses deux compagnons perdus : elle les supplie. Là encore, l’enfant locuteur rend explicite l’attitude mentale dans laquelle se trouve l’acteur du procès, celui qui prononce revenez ! Ce type de définition par explicitation n’est attestée que chez des enfants d’au moins dix ans, qui peuvent se mettre mentalement à la place d’un autre locuteur et qui ont une bonne maîtrise de la langue. Cet exemple de reformulation révèle sans aucun doute possible que le locuteur, dans cette situation énonciative, construit le sens de ses énoncés, et manifeste sa compréhension du TS, en cherchant à reconstituer la matrice analytique sous-jacente : quelqu’un est à l’origine des appels avec elle les appelle ; et quelqu’un doit prononcer revenez, verbe à l’impératif. Mais ensuite le locuteur reformulateur doit sélectionner la valeur de l’impératif appropriée au contexte (ordre sévère, conseil, supplication) ; or cette valeur doit être reconstruite, explicitée par la matrice définitoire ; c’est ce que fait Ch. en sélectionnant le verbe opérateur qui décrit la valeur de l’impératif dans son énoncé elle les supplie de revenir.

4.4 – Substitution d’un verbe de perception à un verbe décrivant un mouvement (TS)

40

[16]
TS : chaque fois qu’un voyageur passait sur le chemin (B)
S (6;0) : quand il voyait des passagers
[17]
TS : la petite vieille leva la tête vers la lune (A)
C (5;6) : elle regarda tout là-haut dans le ciel
M (8;0) et J (8;9) : elle regarda dans la lune
On ne peut plus considérer que la relation entre l’énoncé source et l’énoncé reformulé par les enfants en [16] et [17] est paraphrastique. Le caractère définitoire de l’énoncé enfantin n’apparaît pas à première vue. Pourtant la matrice définitoire de passer en [16] fait apparaître le verbe voir. Cette matrice a la forme suivante : chaque fois qu’un voyageur est de passage sur le chemin, c’est que quelqu’un peut dire qu’il voit le passage de ce voyageur sur ce chemin. Donc lorsque l’enfant S dit : il voyait des passagers, il rétablit ou explicite une partie de l’information, celle qui conditionne l’assertion exprimée en [16], mais ne restitue pas cette dernière, à savoir que le ou les personnages (voyageur ou passagers) font quelque chose quelque part.

41 Dans l’énoncé [17], le mouvement décrit dans le TS n’est pas restitué non plus par les enfants. Mais le verbe de perception qu’ils emploient correspond à la justification du mouvement exprimé par le TS. Autrement dit, la séquence lever la tête n’est interprétable, dans ce contexte, que si celle qui lève la tête a quelque chose à regarder. La matrice définitoire correspondant à [17] doit rendre compte de cette interprétation : la petite vieille mit sa tête dans une position telle que ses yeux puissent regarder dans la direction de la lune. Les enfants locuteurs explicitent la métaphore du TS.

Conclusion

42 La définition et la reformulation, telles que les locuteurs les pratiquent dans leur activité locutoire, plus particulièrement quand la construction d’un sens semble être l’objet de l’activité locutoire, sélectionnent et recombinent de façon lacunaire des unités toujours prévues par les matrices. C’est le caractère fondamentalement lacunaire des reformulations définitoires qui détermine in fine la construction du sens.


ANNEXES

1 – Définition d’un verbe du TS par une décomposition de type matriciel

43

[1]
TS : La vieille femme (…) l’obligeait à travailler du matin jusqu’au soir (A)
C (5;6) : elle devait faire tout le travail
[2]
TS : si tu y réponds (à la devinette) (B)
S (6;0) : si tu réponds à une bonne réponse
[3]
TS : À la fin, impatientée, elle descendit jusqu’au bord de la rivière (A)
C (5;6): elle alla descendre pour aller chercher
[4]
TS : (la lune) descendit du ciel (A)
J (8;9) : elle (la lune) vient venir elle descendirent
[5]
TS : (la petite vieille) l’envoya chercher de l’eau à la rivière (A)
C (5;6) : « va chercher de l’eau »
L (6;6) : la vieille dame lui dit d’alla chercher de l’eau à la rivière toute glacée
J (8;9) : la vieille lui demanda d’aller chercher de l’eau dans la rivière
[6]
TS : les voyageurs ne trouvaient jamais la réponse (B)
Y (9;0) : tous ceux qui essayaient de répondre à cette devinette n’y arrivaient pas

2 – Définition partielle d’un verbe du TS par la substitution d’un seul verbe élémentaire (appartenant à la matrice)

44

[7]
TS : afin de pouvoir plonger le seau dans l’eau (A)
L (6;6) : avant de mettre le seau dans l’eau
[8]
TS : (la lune) les installa sur sa grosse figure ronde (A)
L (6;6) : (la lune) metta sur sa tête toute ronde
Ch (11;3) : (la lune) les prend sur sa figure ronde
[9]
TS : elle eut beau supplier ils ne redescendirent pas (A)
Ch (11;3) : et finalement ils reviennent pas
[10]
TS : ils descendirent jusqu’à la rivière (A)
Ch (11;3) : ils arrivent près de l’eau
[11]
TS : tu as gagné ! s’écria le sphinx en rugissant (B)
Y (9;0) : le sphinx rageait en disant que c’était la bonne réponse
[12]
TS : je vais te poser une devinette (B)
M (7;0) : il fallait que le sphinx dise une devinette
S (6;0) : je te dis une devinette
[13]
TS : il prit son envol (B)
S (6;0) : il s’en alla

3 – Définition d’un verbe du TS par une paraphrase descriptive (sémantiquement équivalente d’un point de vue situationnel)

45

[14]
TS : tu as gagné ! s’écria le sphinx en rugissant (B)
Y (9;0) : le sphinx rageait en disant que c’était la bonne réponse
M (7;0) : le sphinx dit que c’était la bonne réponse
S (6;0) : le sphinx dit oui
Mo (5;0) : bravo ! tu as donné la bonne réponse !
[15]
TS : Oh ! s’écria la petite vieille, mon petit chien frisé, ma petite grenouille verte, revenez ! (A)
Ch (11;3) : elle les appelle elle les supplie de revenir

4 – Substitution d’un verbe de perception à un verbe décrivant un mouvement (TS)

46

[16]
TS : la petite vieille leva la tête vers la lune (A)
C (5;6) : elle regarda tout là-haut dans le ciel
M (8;0) et J (8;9) : elle regarda dans la lune
[17]
TS : chaque fois qu’un voyageur passait sur le chemin (B)
S (6;0) : quand il voyait des passagers

Bibliographie

Références

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Mise en ligne 01/09/2005

https://doi.org/10.3917/tl.048.0021

NOTES

  • [*]
    (Université de Franche-Comté) amr. iiiiiiiibrahim@ free. fr 5, rue Louis Léon Lepoutre, F-94130 Nogent-sur-Marne.
  • [**]
    (Université R. Descartes, Paris 5) ccccccccmartinot@ free. com 49, avenue de Condé, F-94100 Saint Maur-des-Fossés.
  • [1]
    Cette notion est susceptible de recevoir des interprétations différentes. Définie brièvement, il s’agit, dans notre optique, d’une grammaire dont l’architecture et le fonctionnement sont isomorphes à des applications hiérarchisées et contraintes d’opérateurs à leurs arguments.
  • [2]
    On serait tenté d’ajouter sinon dans toutes, mais les connaissances que la linguistique a accumulées sur les six ou sept mille langues du monde restent beaucoup trop imparfaites pour que ce risque ait un sens.
  • [3]
    Notamment son affirmation de la nécessité de tenir compte du caractère graduel de la grammaticalité. Cf. à titre d’exemple la notion de acceptability grading (Harris 1968 : 49) et cette affirmation “Any attempt to distinguish the word sequences which are sentences from those which are not has thus to satisfy the condition that the boundary between the two is not sharp” (Harris 1968 : 15) ; ceci est dû en grande partie au fait que “language is an open and always-developing system” qui a pour conséquence que “sentences cannot be described by any completely utilized structure of elements and operations on them” et que “A goal of fully independent elements using up all the well-formed sequences is unreachable” (Harris 1968 : 168)
  • [4]
    Pour une liste récente (88 verbes dont 6 archaïques) cf. Ibrahim 2000e : 90-93. Quelques verbes sont venus s’ajouter depuis à cette liste, mais il semble qu’en tenant compte des formes archaïsantes ou en voie de disparition, le nombre de verbes supports du français ne devrait pas dépasser la centaine.
  • [5]
    Les corrélats, tout comme les arguments internes (cf. la Théorie des blocs sémantiques de Marion Carel et Oswald Ducrot) d’une définition matricielle ne sont pas, comme les supports ou les classifieurs, appropriés au noyau nominal décrit par la matrice mais au domaine où il prend sa signification. Ils relient le noyau nominal au texte où il s’inscrit et qui le définit. Ils expriment des catégorisations plus larges que celles des classifieurs, ainsi que des valeurs sémantiques élémentaires contenues dans le noyau nominal et auxquelles s’attachent les relations anaphoriques et les connotations.
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