Couverture de TH_733

Article de revue

Facteurs d'insatisfaction incitant au départ et intention de quitter le travail : analyse comparative des groupes d'âges

Pages 213 à 237

Notes

  • [*]
    Service de Psychologie du Travail, Bat. B-32 fapse, Université de Liège, 4000 Liège, Belgique, ihansez@ulg.ac.be
  • [**]
    Service de Psychologie Quantitative, Bat. B-33 fapse, Université de Liège, 4000 Liège, Belgique, fperee@ulg.ac.be
  • [1]
    Les répartitions selon les variables indépendantes sont présentées mais les données manquantes à ces variables ne sont pas reprises dans le texte.

I – Introduction

1Suite à la pression du marché et la compétitivité internationale, les entreprises sont en constante mutation. Elles doivent dès lors s’adapter continuellement et développer les talents pour répondre au mieux aux demandes du marché. Elles doivent aussi veiller à la rétention des talents (Frank & Taylor, 2004). Le coût lié à la mutation professionnelle est très élevé et les organisations doivent être vues comme des endroits où le talent et le développement sont des valeurs communes pour les employés et employeurs, une sorte de monnaie d’échange. Il n’est plus possible de fonctionner sur un modèle taylorien et il faut plutôt garder et développer l’expertise. Il est important de répondre à la fois à la compétitivité, aux exigences syndicales, et aux caractéristiques des travailleurs. Parmi ces caractéristiques, on remarque une plus grande diversité, en fonction du genre, et aussi de l’âge. Concernant les âges, il faut en effet tenir compte du remplacement des plus âgés quittant pour la retraite par des plus jeunes et du maintien d’un pool de compétences suffisant au sein de l’entreprise. C’est dans cette mesure qu’il est nécessaire d’envisager la gestion des âges (Commission Européenne, 2005 ; Kilbom, 1999 ; van der Velden, 1994 ; Walker, 1999). La gestion des âges peut se définir comme étant « une politique générale d’emploi ou de ressources humaines qui aide à créer un environnement dans lequel les employés ont la possibilité de développer leur potentiel sans être désavantagés par leur âge » (Naegele & Walker, 2006, p. 3). Mais le point le plus important est que les pratiques instaurées ne favorisent pas seulement les travailleurs âgés, mais aussi l’ensemble des travailleurs quel que soit leur âge (Lagacé & Leseman, 2003). La gestion des âges consisterait donc en une sorte de gestion prévisionnelle de tous les âges : « les actions visant à faire évoluer les situations et l’organisation du travail, source d’usure professionnelle ou de difficultés pour des salariés vieillissants auront des effets d’autant plus bénéfiques qu’elles interviendront tôt et de façon continue dans la vie professionnelle » (Gilles & Loisil, 2003 ; Gerardu & Schabracq, 1994). Elle englobe différentes solutions ayant un impact sur les différentes sphères du travail, allant du recrutement jusqu’à l’organisation du départ à la retraite (Guérin & Saba, 2003 ; Guerfel-Henda, 2005).

2Toutes les entreprises sont concernées mais pas de la même manière. Il existe en effet trois types de structure d’âges (Minni & Topiol, 2003). Les entreprises avec une pyramide des âges élargie au sommet comportent une grande part de personnel en âge de prendre leur retraite, ceux-ci devant être remplacés par des plus jeunes. Les entreprises avec une structure ventrale emploient beaucoup de travailleurs d’âges intermédiaires, qui doivent évoluer dans un contexte professionnel qui change rapidement. Les sociétés n’engageant que des jeunes, ayant une pyramide des âges élargie à la base, vont entrer en compétition sur le marché du recrutement avec les autres entreprises cherchant à remplacer le personnel qui prend sa retraite (Brunet, 2004). Les entreprises ayant une pyramide des âges élargie au sommet ou à la base vont devoir veiller au maintien des compétences et les entreprises avec une structure ventrale vont devoir adapter leurs conditions de travail aux caractéristiques des travailleurs. Cette politique de rétention doit concerner tous les travailleurs, des plus jeunes aux plus âgés.

3Il s’agit en effet de gérer le flux de travailleurs au sein de l’entreprise. L’entreprise doit anticiper les flux de personnel afin de maintenir son fonctionnement et d’organiser le transfert de connaissances. Cette problématique se fait déjà sentir, vu la pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs d’activité, comme l’enseignement ou les soins de santé (pyramide élargie au sommet).

4Afin de mener une bonne gestion des âges, la première question à se poser est de savoir ce qui motive ou non les travailleurs, jeunes et plus âgés, à quitter l’organisation. Notre étude permettra de répondre à cette question.

I.1 – Analyse de l’intention de quitter

5Afin de garantir un flux continu dans les entreprises, il est important de se pencher sur les raisons qui poussent les travailleurs à quitter. Des études à ce sujet ont déjà été réalisées, mais aucune n’a envisagé la comparaison entre les différentes classes d’âges par rapport à l’envie de quitter l’entreprise ou de cesser définitivement de travailler. Une des raisons est probablement liée au fait que l’intention de quitter et l’intention de changer d’emploi sont souvent considérées comme des concepts différents. Cependant comparer les retraites précoces (voluntary retirement) et l’intention de changer d’entreprise (voluntary turnover) est intéressant (Adams & Beehr, 1998), dans la mesure où les antécédents qui expliquent les deux mécanismes s’avèrent similaires (Amauger-Lattes, Desbarats, Herrbach & Mignonac, 2007). Malgré la nature hétérogène de ces deux cognitions de retrait, les mécanismes psychologiques sous-jacents sont proches (Adams & Beehr, 1998). Ceci explique pourquoi la littérature sur la fin de carrière adopte de plus en plus le cadre théorique du turnover. L’intention de prendre sa préretraite est assimilée plus à une cognition de retrait qu’à un phénomène lié à l’âge ; ce qui la rapproche de l’intention de changer d’entreprise.

6Concernant la différence de perception de l’intention de quitter en fonction de l’âge, il est aussi établi que l’âge chronologique est un concept insuffisant pour étudier la gestion des âges (Sterns & Alexander, 1987). De Lange (2006, voir aussi Cleveland & Shore, 1992 ou Sterns & Miklos, 2002) propose une conceptualisation multifactorielle de l’âge : l’âge chronologique, l’âge fonctionnel (santé physique et cognitive), l’âge psychosocial (autoperception et perception sociale), l’âge organisationnel (ancienneté, niveau de compétences) et l’âge lié au style de vie et à la situation familiale. Ainsi, les choix de carrière ne dépendraient pas uniquement de l’âge chronologique mais aussi d’autres aspects de la vie. Certains auteurs expliquent par ailleurs que la relation entre l’âge et l’intention de quitter son entreprise est proche de zéro (Healy, Lehman & McDaniel, 1995). Au vu de la complexité du concept d’âge, il est important de considérer dans la même étude les travailleurs de différentes classes d’âge et ainsi de ne pas se limiter à une seule classe d’âge. Afin de réaliser une étude comparant les âges, il est nécessaire d’envisager les différentes classes d’âges et tous les antécédents.

7Nous venons donc d’exposer le concept de cognition de retrait et de présenter la complexité du concept âge. Il s’agit de deux arguments complémentaires en faveur d’études sur l’intention de quitter en fonction de l’âge. La première question de notre étude est d’analyser l’intention de quitter selon les catégories d’âge. Répondre à cette question permettra de savoir dans quelle mesure la prévention pour le maintien dans l’emploi s’impose dès le début de la carrière et s’il faut réaliser une gestion des flux de personnel.

8H1 : l’intention de quitter est identique pour les différentes catégories d’âge.

I.2 – Analyse multidimensionnelle des facteurs d’insatisfaction incitant au départ

9Différentes recherches montrent que la satisfaction est un prédicteur significatif de la rotation du personnel (e.g. Mobley, Griffeth, Hand & Meglino, 1979). Certaines recherches s’attachent uniquement à la satisfaction globale tandis que d’autres cherchent à détecter ses dimensions particulières. Selon Spector (1997), l’approche de la satisfaction par dimensions donne une idée plus complète que l’approche globale, un employé pouvant avoir des sentiments distincts sur les différents aspects de son travail. Étudier les causes de départ possibles pour les différentes catégories professionnelles et différents âges revient donc à étudier les différents aspects pouvant mener au sentiment d’insatisfaction incitant au départ.

10Nous devons donc considérer la nature multifactorielle des antécédents de l’intention de quitter (Cotton & Tuttle, 1986). Dans cette étude, nous allons considérer deux grandes catégories de facteurs pouvant pousser les travailleurs à quitter leur fonction : les facteurs personnels et les facteurs liés au milieu de travail (Hansez et al., 2005). On constate que peu d’auteurs ont pris en considération à la fois les facteurs personnels et les facteurs liés aux conditions de travail pour expliquer les départs anticipés (e.g. Hayman, 2005).

11Au niveau personnel, de nombreux facteurs semblent jouer un rôle dans l’intention de quitter : l’état de santé, la conciliation travail-famille, les trajets, le nombre de personnes à charge, les ressources financières disponibles, la correspondance du travail avec les intérêts, la perspective de garder ses enfants, petits-enfants ou de s’adonner pleinement à des activités de loisir, l’âge, les conditions de départ à la retraite (e.g. Schultz, Morton, & Weckerle, 1998 ; Szinovacz & De Viney, 2000 ; Volkoff & Bardot, 2004). L’« interférence travail-famille » a été étudiée dans le cadre de la rotation du personnel. Plus les conflits travail/famille (de tous types) sont élevés, plus l’intention de quitter est présente (Kossek & Ozeki, 1999 ; Greenhaus et al., 2003). Les recherches nord américaines démontrent que les organisations qui ont des stratégies concernant les aspects personnels sont plus propices à retenir leurs employés (Hayman, 2005). Il faut aussi savoir que les départs précoces à la retraite sont devenus la règle implicite pour chacun et que les travailleurs âgés ont développé leur projet de vie en conséquence (Guillemard, 1998). Nous posons l’hypothèse :

12H2 : Les facteurs personnels incitent autant les plus jeunes que les plus âgés à quitter.

13Par ailleurs, plusieurs caractéristiques du travail et organisationnelles sont responsables du départ volontaire (e.g. Lee & Mowday, 1987 ; Griffeth, Hom & Gaertner, 2000).

14Premièrement, le contexte organisationnel global peut influencer le choix d’un retrait (Henkens & Tazelaar, 1997, cités par Hansez et al., 2005). Il s’agit plus précisément des changements organisationnels ou conjoncturels que subissent les professions à l’heure actuelle. De plus, les nouvelles demandes en termes de flexibilité et d’adaptation aux nouvelles technologies peuvent influencer le choix de continuer ou non (Laville & Volkoff, 2004). Ces changements sont plus problématiques pour les travailleurs âgés (Mein & Ellison, 2006 ; Saint-Arnaud & Saint-Jean, 2002 ; Sterns & Dorsett, 1994 ; Bartel & Sicherman, 1993). Également, la distribution des âges dans l’entreprise peut créer certaines valeurs dans l’organisation du travail. La sécurité d’emploi est également un facteur important dans la décision de quitter son travail (Hardy & Quadagno, 1995), surtout pour les plus jeunes qui réfléchissent à leur plan de carrière à plus long terme. L’image de l’entreprise semble aussi influencer l’intention de quitter, notamment chez les plus âgés. En effet, l’identification à son organisation est un explicateur de l’intention de quitter. Elle n’est pas seulement liée au prestige externe perçu, mais aussi au respect interne perçu (respect du groupe, possibilité de développement, participation aux prises de décisions) (Fuller et al., 2006). Mais étant donné que les plus âgés sont davantage discriminés et considérés comme un groupe à part, le respect perçu et donc l’identification devrait être moindre chez les plus âgés. Ainsi, concernant les facteurs liés au milieu de travail et notamment les aspects organisationnels, on peut supposer que :

15H3A : les changements incitent surtout les plus âgés à quitter ;

16H3B : les aspects d’insécurité incitent surtout les plus jeunes à quitter ;

17H3C : l’image de l’entreprise incite surtout les plus les âgés à quitter.

18Deuxièmement, les risques psychosociaux inhérents au travail, appelés très souvent « stresseurs de l’environnement de travail », peuvent être à l’origine de la décision de quitter le travail. Ainsi les travailleurs qui ont vécu une charge psychosociale élevée, des conflits de rôle ou des contraintes de travail élevées combinées à des ressources faibles pourraient avoir envie de quitter leur travail. La majeure partie des études sur l’âge (Droit, Guérin, Lochouarn, & Motte, 1991 ; Marquié, 1995 ; Hedge, Borman, & Lammlein, 2006 ; Sterns & Miklos, 1995) montre que les travailleurs âgés n’ont pas nécessairement plus de difficultés que les jeunes hormis si les conditions de travail demandent des efforts qui dépassent leurs ressources internes et leur expertise. Ainsi la qualité du travail peut être responsable d’un retrait prématuré (Siegrist et al., 2007 ; Szubert & Sobala, 2005 ; Lund & Villadsen, 2006 ; Weymouth, 2005 ; Hedge, Borman & Lammlein, 2006). Dans une des rares études sur la croyance de l’habileté à continuer à travailler en fonction des catégories d’âge, Molinié (2005) a montré des différences en fonction des catégories d’âge. Les longues périodes de travail et la pression affectent surtout les jeunes, tandis que le manque de ressources et d’informations est plus problématique pour les plus âgés. Le climat de travail, pour les travailleurs âgés, peut être affecté par les stéréotypes qu’ont les jeunes à leur égard, ce qui conduit à des conflits intergénérationnels (Hymowitz, & Shellenbarger, 1994). En ce sens, les travailleurs âgés bénéficient d’un moins bon climat de travail. Ainsi, s’agissant des risques psychosociaux, nous posons les hypothèses que :

19H4A : le manque de ressources incite surtout les plus âgés à quitter ;

20H4B : le climat de travail incite surtout les plus âgés à quitter ;

21H4C : la pression incite surtout les plus jeunes à quitter.

22Troisièmement, les facteurs liés à la reconnaissance et à la valorisation de la profession ont aussi été abordés dans la littérature (Kosloski, Ekerdt & De Viney, 2001 ; Prothero & Beach, 1984 ; Mor-Barak, 1995). Le fait d’avoir une profession valorisante ou non est très important dans la décision de quitter (Lin & Hsieh, 2001 ; Lund & Borg, 1999). L’avancement en âge est associé à une augmentation des préférences d’opportunités de développement et négativement avec l’importance des demandes (Warr, 2001). Les travailleurs âgés préfèrent avoir plus de variété dans le contenu de travail que les jeunes, en raison de leur expérience, de leur position familiale, de la perception d’eux-mêmes à différents stades de la vie. Ainsi, le manque de possibilité de développement, le manque d’implication et de variation dans la carrière peuvent conduire les plus âgés à se retirer du marché du travail (Lund & Borg, 1999 ; De Lange, Taris, Jansen, Kompier, Houtman & Bongers, 2005). En outre, si l’apprentissage n’est pas possible dans le travail, la proportion de ceux qui ne se sentent pas capables de rester passe de 30 à plus de 50 % pour les jeunes et passe au triple pour les plus âgés (Molinié, 2005). Pour les jeunes, le plus important dans la perspective du développement des talents est de créer un environnement de travail où le développement de carrière est considéré. Ainsi, si on veut retenir les talents, des plus âgés et des plus jeunes, il faut offrir un environnement où les employés peuvent utiliser un maximum de compétences.

23H5 : le manque de développement personnel incite les travailleurs de tout âge à quitter.

24Ces différentes recherches visent à identifier les facteurs d’insatisfaction et les facteurs posant des problèmes aux jeunes et/ou aux plus âgés. Dans cette étude, nous allons non seulement identifier les facteurs d’insatisfaction, mais aussi distinguer les éléments vécus des non-vécus. Cette distinction nous paraît fondamentale. En effet, les facteurs d’insatisfaction incitant au départ ne sont pas nécessairement vécus. Prenons l’exemple du harcèlement au travail. S’il s’agit là d’un élément qui pousse clairement à quitter l’entreprise, il n’est heureusement que très rarement vécu. Aussi, certains aspects fortement vécus comme problématiques ne poussent pas nécessairement quelqu’un à quitter. Par exemple, la pression est fortement vécue mais ne pousse pas nécessairement quelqu’un à quitter l’entreprise. Ces informations sont très enrichissantes dans le cadre d’une gestion prévisionnelle des effectifs, afin d’identifier quelles sont les actions à mettre en place.

II – Méthode

II.1 – Échantillon

25Onze entreprises belges (Tableau 1) ont participé à l’enquête, ce qui correspond à 1 772 questionnaires recueillis. Le taux de réponse est proche de 50 %. Tous les secteurs d’activité sont repris dans l’enquête. Pour des raisons de clarté statistique, nous avons enlevé tous les sujets n’ayant pas répondu à au moins un item de l’ensemble de notre questionnaire, hormis les variables sociodémographiques ; nous avons ainsi un échantillon réduit de 939 sujets. L’échantillon [1] se compose de 43,1 % d’hommes (n = 405) et 56,2 % de femmes (n = 528) ; de 7,3 % d’ouvriers (n = 69), 64,6 % d’employés (n = 607) et 6,6 % de cadres (n = 62). 23,6 % (n = 222) des personnes ayant répondu travaillent à temps partiel. Le pourcentage de travailleurs appartenant au secteur secondaire s’élève à 28 % (n = 263) et celui des travailleurs du secteur tertiaire à 72 % (n = 676). 4,2 % ont moins de 25 ans (n = 39), 34,7 % ont entre 25 et 35 ans (n = 326), 32,6 % ont entre 36 et 45 ans (n = 306), 22 % ont entre 46 ans et 55 ans (n = 207) et 5,4 % ont plus de 55 ans (n = 51). Les cinq catégories d’âge ne se différencient pas entre elles pour la variable sexe (?2 (4) = 10,48, p < 0,05). En revanche, pour l’ancienneté (?2 (20) = 666,2, p < 0,001), on remarque que les travailleurs de plus de 55 ans ont davantage d’ancienneté que les plus jeunes. On remarque aussi des différences pour le statut (?2 (8) = 34,19, p < 0,001). Notre échantillon de travailleurs de plus de 55 ans compte proportionnellement davantage d’ouvriers comparativement aux autres classes d’âges.

Tableau 1

Liste des entreprises : nombre d’envois, de retours et taux de réponse

List of companies: number of mailings, returns and response rate

Tableau 1
Secteur d’activité Envois (N) Retours (N) Taux de réponse (%) Échantillon réduit en excluant les non-réponses (N) 1. Privé production (pharmaceutique) 260 154 59,23 110 2. Privé production (pharmaceutique) 365 187 51,23 118 3. Privé production 126 40 31,75 13 4. Privé production (imprimerie) 50 38 76 22 5. Privé service (informatique) 170 64 37,65 35 6. Public 617 283 45,87 144 7. Santé 1 300 685 52,69 325 8. Santé 90 61 67,77 29 9. Santé 70 50 71,43 28 10. Police 120 72 60 44 11. Police 360 138 38,33 71 Total 3 528 1 772 50,23 939

Liste des entreprises : nombre d’envois, de retours et taux de réponse

List of companies: number of mailings, returns and response rate

II.2 – Matériel

26Les questionnaires distribués se composent des éléments suivants : une fiche signalétique, une échelle d’intention de quitter et une échelle de facteurs d’insatisfaction incitant au départ. Deux autres outils ont également été administrés aux travailleurs mais ils ne sont pas utilisés dans ce manuscrit. Il s’agit du WOrking Conditions and Control Questionnaire (woccq, Hansez, 2001) et d’une mesure du Stress Professionnel Positif et Négatif (sppn, Hansez et al., 2004).

27La fiche signalétique a permis de récolter des informations relatives au genre, à l’âge, à l’ancienneté, au statut (ouvrier, employé, cadre), au temps de travail (temps plein, temps partiel), à l’horaire (normal, variable) et à la supervision (oui, non). Dans le cadre de ce manuscrit, seule la variable « âge » sera exploitée. Les cinq catégories d’âge utilisées sont les suivantes : moins de 25 ans, entre 25 ans et 35 ans, entre 36 ans et 45 ans, entre 46 ans et 55 ans, et plus de 55 ans.

28L’échelle d’intention de quitter a été élaborée pour les besoins de cette étude. Elle est composée de cinq items et le format de réponse est une échelle de type Likert en 4 points (de « pas du tout d’accord » à « tout à fait d’accord »). Une analyse factorielle exploratoire à composante principale (méthode varimax) a permis de structurer les cinq items en un seul facteur qui explique 63,86 % de la variance. L’alpha de Cronbach s’élève à 0,86. Les cinq items avec leur coefficient de saturation sont les suivants (n = 939) : (1) À mêmes retombées financières, je déciderais de quitter mon travail (0,80) ; (2) Si rien ne m’empêchait de quitter ma fonction, je le ferais (0,82) ; (3) J’ai l’intention de quitter mon entreprise (0,83) ; (4) On ne peut pas trouver pire que l’emploi que j’occupe actuellement (0,64) et (5) Je pense souvent à quitter l’entreprise qui m’emploie (0,88). Ce facteur comprend plusieurs notions de cognitions de retrait : l’intention de quitter définitivement ou de changer, la pensée de quitter définitivement ou de changer, et l’insatisfaction du travail ou de la fonction actuelle dont on sait qu’elle est un antécédent direct de l’intention de quitter. En effet, Mobley, Horner et Hollingsworth (1978, cités par Bannister & Griffeth, 1986) ont proposé un modèle d’explication du retrait dans lequel les variables cognitives de comportement sont médiatrices des relations entre la satisfaction et la rotation du personnel. Ainsi, l’influence de la satisfaction sur la rotation du personnel est indirecte. Cela passe par le fait de penser à quitter, le fait de chercher du travail, et l’évaluation des alternatives et l’intention de quitter, qui est le précurseur immédiat. L’intention de quitter est donc une véritable cognition de retrait, avec différents antécédents, comme l’engagement, la satisfaction et plus en amont différentes caractéristiques organisationnelles et personnelles. Il est donc finalement important de mesurer la cognition de retrait également au travers du degré d’insatisfaction du travail actuel, de la pensée de quitter et de l’intention de quitter.

29Un questionnaire a aussi été développé pour identifier les facteurs d’insatisfaction incitant au départ des travailleurs. Les concepts-clés de cet instrument sont les facteurs personnels et les facteurs reliés aux conditions de travail. Ces derniers comprennent les conditions de travail, les changements organisationnels et structurels, et la reconnaissance professionnelle. Pour chaque item, on demande à la personne d’évaluer dans quelle mesure l’élément proposé lui donnerait envie de quitter son travail ou de cesser définitivement le travail : c’est ce que l’on nomme les facteurs d’insatisfaction incitant au départ. Pour chaque item, on demande aussi à la personne d’indiquer si elle vit actuellement cette situation ou pas. Des exemples d’items sont : « le fait d’être trop livré à moi-même », « le manque de personnel », « les problèmes de sécurité au travail », « l’envie de me consacrer à autre chose que le travail », « les changements qui ont lieu dans l’entreprise ». La consigne donnée au participant pour la mesure des facteurs d’insatisfaction est la suivante : « Les situations suivantes vous donneraient-elles envie de quitter votre travail actuel chez … (afin d’obtenir un autre emploi ou une retraite anticipée) ? » et pour la mesure des facteurs d’insatisfaction vécus : « Vivez-vous ces situations actuellement ? Oui-Non ». Le format de réponse pour la mesure des facteurs d’insatisfaction incitant au départ est une échelle de type Likert en quatre points (de « pas du tout d’accord » à « tout à fait d’accord »). Ce questionnaire, composé initialement de 58 items, a fait l’objet d’une analyse factorielle exploratoire à composante principale (méthode varimax) (n = 939) et a permis de mettre en évidence 8 facteurs incitant au départ (Tableau 2) : (1) la pression dans le travail (9 items, ? =0,87) ; (2) le manque de ressources (6 items, ? = 0,86) ; (3) l’insécurité (6 items, ? =0,85) ; (4) les changements organisationnels (7 items, ? =0,84) ; (5) le manque de valorisation (5 items, ? =0,86) ; (6) les raisons personnelles (5 items, ? =0,77) ; (7) le mauvais climat de travail (5 items, ? =0,83) et (8) la mauvaise image de l’entreprise (2 items, r = 0,60, p < 0,001). Treize items ont été exclus de l’analyse parce qu’ils convergeaient sur deux facteurs différents. Le pourcentage total de variance expliquée s’élève à 61,3. Il faut noter que pour les items concernant les raisons personnelles de départ, nous n’avons pas demandé aux sujets d’indiquer s’ils les vivaient ou non. En effet, certaines entreprises n’avaient pas accepté ces questions personnelles. Comme notre point de vue est organisationnel, nous avons adhéré à leur demande.

Tableau 2

Les facteurs d’insatisfaction incitant au départ

Dissatisfaction factors related to reasons for leaving

Tableau 2
F1 F2 F3 F4 F5 F6 F7 F8 Le fait d’avoir trop de responsabilités à assumer dans mon travail Le manque de personnel Le risque de faire des erreurs dans le cadre de mon travail Les efforts à fournir en termes d’attention, concentration… Le stress Les imprévus dans le travail Le volume de travail trop important Le fait de devoir dépendre des autres pour terminer mon travail Le fait d’être trop livré à moi même 0,65 0,53 0,66 0,73 0,46 0,68 0,65 0,52 0,52 F1 F2 F3 F4 F5 F6 F7 F8 L’inadéquation du matériel mis à ma disposition pour travailler Le manque d’informations reçues pour mener à bien mon travail La difficulté de faire du bon travail Le fait que mes qualités ne sont pas suffisamment exploitées Le manque de soutien en cas de problème Le fait que les ordres et/ou directives que je reçois de mes supérieurs sont peu clairs 0,64 0,72 0,57 0,54 0,66 0,68 Les agressions au travail Les problèmes de sécurité au travail Le fait que mon travail soit pénible physiquement Les horaires qui ne me conviennent pas Les caractéristiques de mon contrat de travail qui ne me conviennent pas L’insécurité d’emploi 0,63 0,69 0,60 0,64 0,70 0,53 Le manque d’attitude cohérente de l’entreprise Les changements qui concernent les conditions de travail Les changements qui ont lieu dans l’entreprise Le fait de ne pas être mis au courant de ce qui se passe dans l’entreprise La mauvaise situation économique de l’entreprise Les réformes introduites par les autorités politiques La crainte de modifications des conditions actuelles de départ 0,52 0,59 0,77 0,58 0,64 0,54 0,47 Le manque de possibilités d’évoluer et de s’améliorer Le manque de reconnaissance La routine Le fait que le travail soit peu enrichissant Le fait que je ne me sente pas utile 0,66 0,52 0,73 0,75 0,61 Des raisons familiales Les problèmes de santé L’envie de me consacrer à autre chose que le travail L’âge que j’ai Les ressources financières dont je dispose personnellement 0,68 0,69 0,67 0,64 0,68 La mauvaise ambiance entre collègues Les contacts problématiques avec la clientèle L’attitude négative des autres à cause de mon âge Le harcèlement moral que je subis dans mon travail L’inégalité homme-femme dans mon entreprise 0,52 0,55 0,72 0,53 0,69 La mauvaise opinion du métier dans le public La mauvaise image de l’entreprise 0,74 0,62 Valeur propre 4,7 4,3 4 3,7 3,7 2,8 2,7 1,6 Variance expliquée 0,11 0,09 0,08 0,08 0,08 0,06 0,05 0,03 Note : F1 = Pression ; F2 = Manque de ressources ; F3 = Insécurité ; F4 = Changements organisationnels ; F5 = Manque de développement personnel ; F6 = Raisons personnelles ; F7 = Mauvais climat de travail ; F8 = Mauvaise image de l’entreprise.

Les facteurs d’insatisfaction incitant au départ

Dissatisfaction factors related to reasons for leaving

II.3 – Procédure

30Dans chaque entreprise, l’ensemble des questionnaires a été envoyé par courrier interne et récupéré via des urnes ou par la poste. La participation des travailleurs était volontaire. Pour des raisons pratiques, l’envoi de rappels n’a pas été possible.

II.4 – Analyses statistiques

31Les analyses sont effectuées à partir des scores moyens pour les facteurs d’insatisfaction incitant au départ et pour le facteur d’intention de quitter. Les scores se distribuent entre 1 et 4. En ce qui concerne les facteurs d’insatisfaction vécus, les scores évoluent entre 0 et 1. Nous avons donc choisi d’utiliser un indice de vécu. L’indice de vécu est obtenu en additionnant pour chaque facteur le nombre de réponses « oui » d’un répondant et en divisant celui-ci par le nombre d’items du facteur. Par exemple, pour le facteur « changements organisationnels » qui compte 7 items, l’individu X a répondu qu’il en vivait 4, soit 4/7 = un indice de vécu de 0,57.

32Différentes analyses statistiques sont réalisées grâce au logiciel spss 12.0 : une analyse de variance simple pour l’intention de quitter selon l’âge, des analyses de variance multivariées (et des tests post-hoc) respectivement pour les items d’intention de quitter, les facteurs d’insatisfaction incitant au départ et les facteurs d’insatisfaction vécus, des comparaisons de moyennes deux à deux (t-tests pairés) et des coefficients de concordance de Kendall. Par rapport à ces derniers tests, pour obtenir une différence entre les classes d’âge, il faut pouvoir tolérer l’hypothèse W = 0. Les tests et analyses statistiques se sont effectués à un seuil de signification de maximum 0,05. Pour prendre en considération les comparaisons multiples des t-tests pairés, la correction de Bonferroni a été appliquée (Miller, 1981, p. 6-8).

III – Résultats

III.1 – L’intention de quitter

33Les résultats montrent que l’intention de quitter est plutôt faible pour l’ensemble de l’échantillon (M = 1,78, sd =0,69) (Tableau 3). Les travailleurs âgés entre 25 et 35 ans (M = 1,86) ont davantage envie de quitter leur poste actuel que les travailleurs de moins de 25 ans (M = 1,49), F(4 ;924) = 3,5 ; p < 0,01 (Tableau 4).

Tableau 3

Statistiques descriptives pour les items d’intention de quitter, les facteurs d’insatisfaction incitant au départ et facteurs d’insatisfaction vécus (Classement par ordre décroissant)

Descriptive statistics for items of intention to quit, potential and experienced reasons for leaving (descending raking)

Tableau 3
Intention de quitter (items) N M ET 1. Si rien ne m’empêchait de quitter ma fonction, je le ferais 939 2,07 0,968 2. À mêmes retombées financières, je déciderais de quitter mon travail 939 2,07 0,978 3. Je pense souvent à quitter l’entreprise qui m’emploie 939 1,75 0,899 4. J’ai l’intention de quitter mon entreprise 939 1,60 0,803 5. On ne peut pas trouver pire que l’emploi que j’occupe actuellement 939 1,40 0,658 Facteurs d’insatisfaction incitant au départ (facteurs) Manque de développement personnel 939 2,52 0,743 Raisons personnelles 939 2,41 0,693 Changements organisationnels 939 2,38 0,636 Manque de ressources 939 2,36 0,704 Insécurité 939 2,33 0,775 Mauvais climat de travail 939 2,19 0,716 Pression au travail 939 2,18 0,588 Mauvaise image de l’entreprise 939 2,04 0,775 Facteurs d’insatisfaction vécus (facteurs) Pression au travail 939 0,39 0,309 Changements organisationnels 939 0,35 0,324 Manque de ressources 939 0,29 0,320 Manque de développement personnel 939 0,27 0,304 Mauvaise image de l’entreprise 939 0,23 0,364 Insécurité 939 0,18 0,227 Mauvais climat de travail 939 0,10 0,181

Statistiques descriptives pour les items d’intention de quitter, les facteurs d’insatisfaction incitant au départ et facteurs d’insatisfaction vécus (Classement par ordre décroissant)

Descriptive statistics for items of intention to quit, potential and experienced reasons for leaving (descending raking)

Tableau 4

Intention de quitter, les facteurs d’insatisfaction incitant au départ et les facteurs d’insatisfaction vécus en fonction de l’âge (M (ET))

Intention to quit, dissatisfaction factors for leaving and job resignation factors according to age

Tableau 4
– 25 25–35 36–45 46–55 + 55 Intention de quitter (items) À mêmes retombées financières, je déciderais de quitter mon travail 1,79 (0,767) 2,09 (0,955) 2,08 (0,974) 2,09 (1,025) 1,96 (1,058) Si rien ne m’empêchait de quitter ma fonction, je le ferais 1,56 (0,598) abcd 2,07 (0,955) a 2,11 (0,967) b 2,07 (0,998) c 2,18 (1,053) d J’ai l’intention de quitter mon entreprise 1,28 (0,510) a 1,79 (0,865) abc 1,60 (0,796) bd 1,37 (0,624) cd 1,57 (0,944) On ne peut pas trouver pire que l’emploi que j’occupe actuellement 1,28 (0,456) 1,43 (0,688) 1,37 (0,615) 1,43 (0,713) 1,39 (0,635) Je pense souvent à quitter l’entreprise qui m’emploie 1,51 (0,721) 1,89 (0,943) a 1,77 (0,938) b 1,54 (0,729) ab 1,61 (0,918) Intention de quitter (facteur) 1,49 (0,449) a 1,86 (0,720) a 1,78 (0,703) 1,70 (0,628) 1,74 (0,758) Facteurs d’insatisfaction incitant au départ (facteurs) Pression au travail 2,11 (0,480) 2,23 (0,554) 2,20 (0,571) 2,10 (0,640) 2,12 (0,718) Manque de ressources 2,47 (0,605) 2,48 (0,635) ab 2,37 (0,714) 2,20 (0,720) a 2,17 (0,830) b Insécurité 2,43 (0,701) ab 2,52 (0,740) cde 2,35 (0,773) cfg 2,07 (0,742) adf 1,89 (0,734) beg Changements organisationnels 2,27 (0,443) 2,45 (0,619) 2,36 (0,592) 2,33 (0,692) 2,43 (0,843) Manque de développement personnel 2,59 (0,702) 2,66 (0,714) ab 2,51 (0,746) 2,36 (0,742) a 2,24 (0,750) b Raisons personnelles 2,36 (0,509) 2,53 (0,662) ab 2,37 (0,717) a 2,31 (0,711) b 2,41 (0,717) Mauvais climat de travail 2,32 (0,644) 2,29 (0,673) a 2,19 (0,728) 2,07 (0,737) a 2,05 (0,794) Mauvaise image de l’entreprise 1,82 (0,579) 2,12 (0,743) 2,00 (0,797) 2,01 (0,799) 2,00 (0,831) Facteurs d’insatisfaction vécus (facteurs) Pression au travail 0,40 (0,318) 0,41 (0,300) a 0,37 (0,301) 0,39 (0,326) 0,27 (0,301) a Manque de ressources 0,24 (0,288) 0,30 (0,315) 0,31 (0,332) 0,29 (0,317) 0,24 (0,337) Insécurité 0,24 (0,253) 0,19 (0,224) 0,16 (0,210) 0,18 (0,241) 0,15 (0,268) Changements organisationnels 0,27 (0,282) 0,34 (0,310) 0,33 (0,318) 0,40 (0,350) 0,42 (0,343) Manque de développement personnel 0,15 (0,257) a 0,27 (0,298) 0,25 (0,290) 0,32 (0,330) a 0,28 (0,325) Mauvais climat de travail 0,07 (0,134) a 0,10 (0,172) b 0,09 (0,159) c 0,12 (0,196) d 0,20 (0,284) abcd Mauvaise image de l’entreprise 0,23 (0,360) 0,25 (0,374) 0,21 (0,351) 0,26 (0,375) 0,22 (0,350) Note : Les lettres en minuscule (a, b, c, d, e, f, g) correspondent aux tests post-hoc. Deux lettres identiques montrent une différence significative entre les moyennes de deux classes d’âge.

Intention de quitter, les facteurs d’insatisfaction incitant au départ et les facteurs d’insatisfaction vécus en fonction de l’âge (M (ET))

Intention to quit, dissatisfaction factors for leaving and job resignation factors according to age

34L’analyse de variance multivariée des items d’intention de quitter en fonction de l’âge est significative (Wilks’ lambda =0,91, F (20, 3052,24) = 4,38, p < 0,001). On remarque que pour l’item « si rien ne m’empêchait de quitter ma fonction, je le ferais » (F(4 ;929)= 2,97 ; p < 0,05), les travailleurs de moins de 25 ans obtiennent un score inférieur aux autres classes d’âge (M = 1,56). L’analyse montre aussi que les travailleurs âgés entre 25 et 35 ans obtiennent un score plus élevé (M = 1,79) que les autres tranches d’âge concernant l’item « j’ai l’intention de quitter mon entreprise » (F(4 ;929) = 11,14 ; p < 0,001). Aussi, les travailleurs âgés entre 36 et 45 ans ont un score plus élevé (M = 1,60) pour cet item que les travailleurs âgés entre 46 et 55 ans (M = 1,37). Concernant l’item « je pense souvent à quitter l’entreprise qui m’emploie » (F(4 ;929) = 5.99 ; p < 0,001), les travailleurs entre 25 et 35 ans et les travailleurs entre 36 et 45 ans ont un score plus élevé (respectivement, M = 1,89 ; M = 1,77) par rapport aux travailleurs âgés entre 46 et 55 ans (M = 1,54).

35Nous pouvons donc infirmer notre H1, selon laquelle l’intention de quitter est équivalente entre les catégories d’âges. Nous voyons en effet que les travailleurs de moins de 25 ans ont une intention de quitter plus faible que les travailleurs âgés entre 25 et 35 ans. Ces derniers ne se différencient pas des plus âgés, L’analyse par items montre que ce sont surtout les travailleurs d’âge moyen (principalement les classes 25-35 et ensuite 36-45) qui sont en accord avec les différents items.

36Nous allons vérifier chacune de nos hypothèses d’abord par rapport à la perception des facteurs de départ et ensuite par rapport au vécu. Chaque hypothèse sera donc testée sur ces deux aspects.

III.2 – Facteurs d’insatisfaction incitant au départ

37Si on classe les facteurs d’insatisfaction incitant au départ pour l’ensemble de l’échantillon, on constate que le manque de développement personnel est la principale raison pour laquelle les travailleurs envisageraient de quitter leur travail, que ce soit pour un autre travail ou une retraite anticipée. Les facteurs personnels arrivent en seconde position et les changements organisationnels en troisième (Tableau 3). De nombreuses moyennes des facteurs considérés deux à deux sont significativement différentes (p < 0,002, seuil exigé par la correction Bonferroni). Six paires de facteurs ne sont pas significatives : les facteurs personnels et les changements organisationnels (t(938) = 1,15, p = 0,25), le manque de ressources et les changements organisationnels (t(938) = –0,97, p = 0,33), l’insécurité et les changements organisationnels (t(938) = –2,44, p = 0,01), le manque de ressources et l’insécurité (t(938) = 1,79, p = 0,08), le manque de ressources et les raisons personnelles (t(938) = –1,79, p = 0,08), la pression et le climat (t(938) = –0,57, p = 0,57).

38Par ailleurs, on constate des différences en fonction de l’âge (Wilks’ lambda = 0,89, F(32, 3383,32) = 3,37, p < 0,001) : le manque de ressources, F(4 ;929) = 6,27 ; p < 0,001, l’insécurité F(4 ;929) = 16,28 ; p < 0,001, le manque de développement personnel, F(4 ;929) = 7,36 ; p < 0,001, les raisons personnelles, F(4 ;929) = 3,9 ; p < 0,01, le mauvais climat de travail, F(4 ;929) = 3,86 ; p < 0,01). Seul les motifs liés à la pression au travail, (F(4 ;929) = 1,86 ; p = ns), aux changements organisationnels, (F(4 ;929) = 1,61 ; p = ns) et à la mauvaise image de l’entreprise (F(4 ;929) = 1,9 ; p = ns), ne sont pas considérés différemment selon l’âge des travailleurs, Des tests post-hoc montrent que, de manière générale, ce sont les travailleurs entre 25 et 35 ans qui adhèrent le plus aux différents facteurs d’insatisfaction incitant au départ (Tableau 4).

39Si on regarde les profils par tranche d’âge (Tableau 5), on constate tout d’abord l’importance du développement personnel à tout âge. On constate aussi que les changements organisationnels sont le facteur d’insatisfaction incitant au départ le plus cité par les travailleurs âgés, suivi par les raisons personnelles. Les travailleurs entre 25-35 ans citent également les raisons personnelles en deuxième position. L’envie de quitter pour l’insécurité est soulignée surtout par les plus jeunes. La mauvaise image de l’entreprise ne semble pas influencer la décision de quitter.

Tableau 5

Examen du classement des facteurs d’insatisfaction incitant au départ par les différentes classes d’âge

Ranking of dissatisfaction factors for leaving according to age categories

Tableau 5
Catégorie Pression au travail Manque de ressources Insécurité Changements organisationnels Manque de développement personnel Raisons personnelles Mauvais climat de travail Mauvaise image de l’entreprise - 25 7 2 3 6 1 4 5 8 25-35 7 4 3 5 1 2 6 8 36-45 6 2 5 4 1 3 7 8 46-55 5 4 6 2 1 3 7 8 + 55 5 4 8 1 3 2 6 7 Note 1: correspond à la moyenne la plus élevée parmi les facteurs d’insatisfaction incitant au départ.

Examen du classement des facteurs d’insatisfaction incitant au départ par les différentes classes d’âge

Ranking of dissatisfaction factors for leaving according to age categories

40Si l’on cherche à voir si ce profil diffère entre les classes d’âge (Tableau 5) et donc déterminer si la dévolution des rangs attribués aux différents facteurs varie en fonction de l’âge, on ne constate pas de différences ; W = 0,75 ; ?2(5 ;7) = 26,06 ; p < 0,01. Mais, si l’on compare les classes d’âge extrêmes (les moins de 25 ans et les plus de 55 ans), on constate une différence ; W = 0,59 ; ?2(2 ;7) = 8,33 ; p < 0,31. En effet, les changements organisationnels sont cités en premier lieu par les plus âgés et en sixième pour les moins de 25 ans. En revanche, ces derniers citent davantage l’insécurité, le manque de développement et le manque de ressources.

41En observant ces profils, nous pouvons donc répondre à nos différentes hypothèses. Nous postulions en H2 que les facteurs personnels concernaient toutes les classes d’âge. Les facteurs personnels arrivent en deuxième position des facteurs d’insatisfaction incitant au retrait pour les plus âgés mais aussi pour les 25-35 ans ; ainsi notre hypothèse est confirmée. Concernant les aspects liés au contexte organisationnel, les changements organisationnels apparaissent comme facteur d’insatisfaction incitant au départ prépondérant chez les plus âgés. Cela permet de confirmer l’H3A. L’insécurité serait davantage un facteur d’insatisfaction incitant au départ pour les plus jeunes que pour les plus âgés comme nous l’avions supposé en H3B. L’image de l’entreprise n’apparaît pas comme étant un facteur d’insatisfaction poussant à quitter. Ainsi notre H3C postulant que l’image de l’entreprise concerne davantage les plus âgés n’est pas confirmée. Concernant les risques psychosociaux, nous ne pouvons confirmer nos hypothèses telles que le manque de ressources (H4A) et le climat de travail (H4B) pour mieux expliquer le départ pour les plus âgés. En effet, le manque de ressources ferait davantage quitter les jeunes et le climat de travail n’est pas un facteur d’insatisfaction poussant à quitter. Concernant la pression, au vu du classement, on ne peut rien conclure à propos des différences entre âges (H4C). En regardant le classement, notre H5 selon laquelle le manque de développement affecte autant les jeunes que les plus âgés dans leur décision de quitter est confirmée. Le manque de développement personnel constitue la principale source de départ pour tout groupe d’âge. Mais l’analyse de variance montre bien un score supérieur pour les 25-35 ans par rapport aux 46 et plus.

III.3 – Facteurs d’insatisfaction vécus par les travailleurs

42Si on liste par ordre décroissant les facteurs d’insatisfaction vécus (Tableau 3), on constate que la pression et les changements organisationnels arrivent en tête pour l’ensemble de l’échantillon. Le manque de ressources et le manque de développement personnel arrivent respectivement en troisième et quatrième positions. De nombreuses moyennes des facteurs considérés deux à deux sont significativement différentes (p < 0,002, seuil exigé par la correction Bonferroni). Trois paires de facteurs ne sont pas significatives : la pression et les changements organisationnels (t(938) = 3,41, p = 0,001), le manque de ressources et le manque de développement personnel (t(938) = 2,53, p = 0,01), le manque de développement personnel et la mauvaise image de l’entreprise (t(938) = 3,08, p = 0,002).

43On constate des différences significatives selon les tranches d’âge (Wilks’ lambda = 0,89, F (28, 3311,32) = 3,71, p < 0,001). Des différences existent pour les facteurs suivants : la pression, le manque de développement personnel, les changements organisationnels et le mauvais climat de travail, respectivement, F(4 ;929) = 2,73 ; p < 0,05 ; F(4 ;929) = 3,25, p < 0,05 ; F(4 ;929) = 2,88 ; p < 0,05 ; F(4 ;929) = 4,45 ; p < 0,01. Des tests post-hoc montrent que les travailleurs âgés entre 25 et 35 ans sont plus affectés par la pression (M = 0,41) que ceux âgés de plus de 55 ans (M = 0,27). Les travailleurs âgés de 46 à 55 ans sont davantage marqués par le manque de développement personnel (M = 0,32) que les travailleurs de moins de 25 ans (M = 0,15). On peut voir aussi que les travailleurs de plus de 55 ans vivent davantage le mauvais climat de travail (M = 0,20) que les travailleurs des autres classes d’âge (Tableau 4).

44Si on regarde les profils des différentes tranches d’âge (Tableau 6), on remarque que la pression constitue un facteur d’insatisfaction plus fortement vécu par les travailleurs ayant moins de 46 ans. En revanche, les problèmes relatifs aux changements organisationnels sont avancés en premier lieu par les plus âgés et les problèmes de développement personnel remontent dans le classement à partir de 46 ans.

Tableau 6

Examen du classement des facteurs d’insatisfaction vécus par les différentes classes d’âge

Experienced factors according to age categories

Tableau 6
Catégorie vécu Pression au travail Manque de ressources Insécurité Changements organisationnels Manque de développement personnel Mauvais climat de travail Mauvaise image de l’entreprise - 25 1 4 3 2 6 7 5 25-35 1 3 6 2 4 7 5 36-45 1 3 6 2 4 7 5 46-55 2 4 6 1 3 7 5 + 55 3 4 7 1 2 6 5 Note 1 correspond à la moyenne la plus élevée parmi les facteurs d’insatisfaction vécus.

Examen du classement des facteurs d’insatisfaction vécus par les différentes classes d’âge

Experienced factors according to age categories

45D’un point de vue statistique, on ne constate pas de différence entre les cinq classes d’âge (Tableau 6) ; W =0,83 ; ?2(5 ;6) = 24,77 ; p < 0,01. Si on compare les classes d’âge extrêmes (les moins de 25 ans et les plus de 55 ans), on constate une différence ; W = 0,66 ; ?2(2 ;6) = 7,93 ; p < 0,24. On remarque en effet que les plus jeunes citent moins le manque de développement personnel que les plus de 55 ans. Ces derniers citent d’abord les changements organisationnels alors que pour les plus jeunes, ce facteur arrive en seconde position. On voit aussi que la pression est citée en premier lieu par les travailleurs de moins de 25 ans et en troisième lieu par les plus de 55 ans et que l’insécurité est plus vécue par les plus jeunes également.

46L’H3A est confirmée : les changements organisationnels sont vécus par l’ensemble des travailleurs mais davantage encore par les plus âgés. L’insécurité est davantage vécue par les plus jeunes comme nous l’avions supposé en H3B. L’image de l’entreprise n’est pas un élément significatif au niveau du vécu. Ainsi notre H3C postulant que l’image de l’entreprise concerne davantage les plus âgés n’est pas confirmée. Concernant les risques psychosociaux, nous ne pouvons pas confirmer toutes nos hypothèses. Nous postulions que le manque de ressources (H4A) et le climat de travail (H4B) concernent davantage les plus âgés et la pression concerne plus les jeunes travailleurs (H4C). Mais nous ne constatons pas de différence concernant le manque de ressources, en revanche le mauvais climat de travail est plus vécu par les travailleurs âgés (plus de 55 ans). La pression au travail est une caractéristique vécue par l’ensemble des travailleurs, et particulièrement pour les plus jeunes (25-35 ans). Notre H5 selon laquelle le manque de développement affecte autant les jeunes que les plus âgés dans leur décision de quitter est partiellement confirmée. Le manque de développement personnel est vécu par l’ensemble de notre échantillon, mais davantage encore par les plus âgés.

IV – Discussion

47L’objectif de cette étude est d’étudier l’intention de quitter et les différents facteurs d’insatisfaction pouvant conduire au départ et ce pour différentes classes d’âges.

48Premièrement, nous voyons une différence pour le facteur « intention de quitter » entre les travailleurs de moins de 25 ans (plus faible intention de quitter) et les travailleurs entre 25 et 35 ans (plus forte intention de quitter), mais pas entre les travailleurs d’âge moyen et les plus âgés. Nous rejoignons donc l’idée que l’âge chronologique est un concept insuffisant pour étudier la gestion des âges (Sterns & Alexander, 1987). L’intention de quitter se prépare bien avant 55 ans, la relation entre âge et intention de quitter est assez faible. Il est donc intéressant de comparer ce qui pose le plus de problèmes pour chaque classe d’âge et ce qui pèse dans une décision de retrait. Finalement, les travailleurs âgés toujours en activité ont un score d’intention de quitter assez faible. Ils craignent de ne plus retrouver du travail s’ils quittaient leur organisation. Soit ils ont développé de bonnes stratégies d’adaptation par rapport aux contraintes de leur environnement de travail, soit l’entreprise a mis en place progressivement des aménagements adéquats de leurs conditions de travail. Ces résultats accréditent la gestion des âges.

49Deuxièmement, nous constatons trois problèmes qui concernent uniquement les plus jeunes travailleurs : l’insécurité d’emploi, l’insécurité sur le lieu de travail et la pression. Il semble important de tenir compte des problèmes d’insécurité d’emploi pour ces jeunes travailleurs (Hardy & Quadagno, 1995). Ce constat semble logique puisque les jeunes sont plus souvent confrontés à des contrats précaires entraînant bien souvent une dissolution du lien social. Ils viennent de débuter dans l’entreprise et n’ont peut-être pas connaissance de leur futur. La communication s’avère donc importante à se sujet. Ensuite, concernant les problèmes de sécurité sur les lieux de travail, une de nos hypothèses serait que les jeunes travailleurs ne connaissent pas encore toutes les mesures de sécurité et manquent d’expérience pour faire face à ces problèmes. Ensuite, la pression au travail est une caractéristique vécue particulièrement pour les plus jeunes (25-35 ans), mais cela constitue moins un motif de départ. D’après les items du facteur « pression au travail », ceci signifierait que les contraintes temporelles, le manque de personnel et les risques au travail sont des éléments sur lesquels il faut agir mais ne sont pas des facteurs importants de départ. Ainsi, une action sur ces aspects ne permettrait pas, à elle seule, de maintenir les individus au travail. Tenir compte du stress semble une perspective intéressante dans la mesure où la pression au travail est souvent considérée dans la littérature comme une cause de stress (Carayon & Zijlstra, 1999). En pensant que le stress soit un antécédent de départ (Griffiths, 1999), on pourrait donc suggérer que la pression influence indirectement le départ.

50Troisièmement, concernant les plus âgés, un seul facteur semble ressortir : les changements organisationnels. Ces changements sont reconnus dans la littérature comme plus problématiques pour les travailleurs âgés (Mein & Ellison, 2006 ; Saint-Arnaud & Saint-Jean, 2002 ; Sterns & Dorsett, 1994 ; Bartel & Sicherman, 1993). Il est important de réaliser que les changements organisationnels comme l’évolution des nouvelles technologies dans différents secteurs (communication, data processing, etc.) (Saint-Arnaud & Saint-Jean, 2002) affectent le départ volontaire des travailleurs âgés (Sterns & Dorsett, 1994 ; Mein & Ellison, 2006), particulièrement si le changement est inattendu et requiert un grand investissement (Bartel & Sicherman, 1993). Pour Marquié, Paumes et Volkoff (1995), les changements peuvent entraîner une « remise en question des équilibres cognitifs mais aussi psychiques et relationnels, antérieurement acquis, parfois chèrement ». Le faible degré de concertation avec les personnes concernées renforce les attitudes d’autodévalorisation (Marquié, Paumes & Volkoff, 1995). Il est important d’accompagner les changements opérés au sein des organisations grâce à des initiatives comme la formation aux nouvelles technologies, une meilleure communication lors des changements organisationnels (Probst, Bruggimann, Mercier & Rakotobarison, 1992), une mise en avant de l’expérience et une prise en compte de celle-ci ainsi que des feedbacks réguliers. Si le senior peut mettre en avant une longue expérience du métier qui lui assure une bonne adaptation à son emploi, des changements importants peuvent constituer une difficulté particulière pour ces individus. Ainsi, les conditions nécessaires pour que les plus âgés s’en sortent en ce qui concerne les changements organisationnels, c’est que ces changements correspondent à leurs besoins et qu’on les leur ait expliqués (Henny, Collins & Platts, 1992, cités par Marquié et al., 1995).

51Quatrièmement, nous trouvons trois facteurs qui posent problème à nos différentes classes d’âges : le manque de ressources, le manque de développement et les facteurs personnels. D’abord, le manque de ressources est autant vécu par les plus jeunes que les plus âgés mais cela pousserait davantage les plus jeunes à quitter. Ensuite, le manque de développement est davantage vécu par les plus âgés mais affecte autant les jeunes que les plus âgés dans leur décision de quitter (De Lange, Taris, Jansen, Kompier, Houtman & Bongers, 2005 ; Molinié, 2005). Dans ce contexte, les plus âgés, considérés comme la mémoire de l’entreprise (Lesemann, 2003), peuvent apporter aux plus jeunes des ressources. Le transfert d’expertise s’avère être une richesse pour l’organisation. Les jeunes doivent apprendre de nouvelles choses et les plus âgés doivent continuer à évoluer et avoir le sentiment d’être utile à l’organisation, Mor-Barak (1995) parle du facteur générationnel, soit du besoin qu’ont les plus âgés de partager leurs propres aptitudes et connaissances avec les jeunes. L’apprentissage intergénérationnel peut jouer un rôle autant sur le manque de ressources des jeunes que sur le manque de développement des plus âgés. Ainsi, des mesures comme le tutorat et le parrainage pourraient favoriser le maintien des seniors dans l’emploi (ocde, 2003), affecter l’image de soi du tuteur, apporter une reconnaissance sociale, une prise de recul par rapport à sa propre fonction, par rapport au fonctionnement de l’entreprise, un accroissement des responsabilités (Boru & Leborgne, 1992), permettre l’amélioration de l’intégration des nouveaux salariés (Gilles & Loisil, 2003) mais aussi l’optimisation des connaissances et de l’expérience des employés plus âgés (Gerardu & Schabracq, 1994). Cet échange d’informations rendra également les plus jeunes davantage experts dans un domaine particulier.

52Les facteurs personnels arrivent en deuxième position des facteurs d’insatisfaction incitant au retrait pour les plus âgés (de plus de 55 ans) et pour les 25-35 ans. On peut facilement interpréter ce résultat grâce à la théorie de la conciliation travail-famille. En effet, les travailleurs âgés entre 25 et 35 ans sont ceux qui ont de jeunes enfants et les travailleurs de plus de 55 ans sont impliqués dans la garde de leurs petits enfants. C’est ce que l’on appelle la responsabilité familiale (Boyar, Maertz, Pearson & Keough, 2003), c’est-à-dire « l’obligation de soins à d’autres, qui sont formellement ou informellement membres de la famille ». De même que la surcharge du rôle au travail, la surcharge familiale a été reliée au conflit travail-famille et famille-travail (Frone et al., 1997). Ainsi, le fait de devoir s’occuper d’enfants ou de petits enfants peut poser des problèmes au travailleur, engendrer du stress et finalement pousser à quitter. Le support organisationnel est corrélé négativement avec le conflit travail-famille (e.g. Frone et al., 1997), atténue les effets délétères du stress et constitue dès lors une ressource importante dans la prévention du stress (Cohen & Wills, 1985). Le support social peut favoriser l’intégration des rôles du travail et de la famille.

53La limite qui nous semble être la plus importante dans cette étude, est que nous n’avons considéré que les travailleurs toujours en activité dans l’entreprise. À l’avenir, il serait opportun de répliquer cette enquête auprès des retraités ou des « demandeurs de départ » afin de voir si les facteurs d’insatisfaction incitant au départ diffèrent par rapport à ceux qui restent dans l’entreprise. Par ailleurs, nous n’avons pas pris en compte les causes de départs forcés. Par exemple, aucune des données ne porte sur les discriminations et stéréotypes particuliers liés à l’âge des travailleurs. Nous nous sommes dans un premier temps focalisés uniquement sur les facteurs d’insatisfaction incitant au départ avec choix personnel.

V – Conclusion

54Onze entreprises belges ont été interrogées dans le cadre de cette étude qui avait pour objectif d’identifier les facteurs d’insatisfaction incitant au départ des travailleurs. Elle offre quatre aspects novateurs intéressants. Premièrement, une échelle a été créée afin de fournir une mesure de l’intention de quitter son travail ou de changer d’entreprise. Cette échelle a l’intérêt de concerner autant les jeunes que les plus âgés et de mesurer finalement plus leur cognition de retrait (pensée de quitter, intention de quitter ou de changer de travail). Le deuxième intérêt de notre méthode est de combiner différents types de facteurs d’insatisfaction que l’on a classés en deux catégories : les facteurs personnels et les facteurs liés au milieu de travail classés selon trois sous-catégories, i.e. conditions de travail, changements organisationnels et valorisation au travail. Cet aspect multifactoriel apporte une valeur ajoutée à la recherche concernant les facteurs d’insatisfaction. Troisièmement, on cherche à voir dans quelle mesure différentes difficultés vécues ou non par les travailleurs font quitter. C’est pourquoi nous avons évalué des facteurs d’insatisfaction incitant au départ et des facteurs réellement vécus. Cela permet d’aller plus loin que de cibler simplement les problèmes vécus au travail, mais également de demander aux travailleurs eux-mêmes dans quelle mesure ces éléments pourraient être responsables de leur envie de quitter. Le dernier aspect original étudié concerne la dimension transgénérationnelle. Cette dimension permet d’envisager la notion de gestion des âges.

55Nous constatons que ce sont les plus jeunes (25-35 ans) qui ont une intention de quitter plus importante, sans doute liée à davantage de possibilités de mobilité. Étant donné que les plus de 55 ans toujours présents dans l’entreprise n’ont pas une intention de quitter plus élevée que les jeunes, la première action à effectuer pour lutter contre le faible taux d’emploi des travailleurs âgés est de sensibiliser les employeurs en ce qui concerne l’intérêt de préserver les quinquagénaires en activité. Il faudrait cesser d’inciter autant les employés motivés à quitter leur travail et conserver les mesures de préretraite uniquement pour les travailleurs qui en ont réellement besoin, notamment dans le cas de fonctions à haute pénibilité, ou qui ne désirent plus continuer à travailler à cause par exemple d’un haut niveau d’épuisement professionnel. Aussi, puisque les travailleurs âgés n’ont pas une intention de quitter plus importante que les jeunes, il semble plus adéquat de se diriger vers des mesures de prévention et de maintien dans l’emploi plutôt que vers des mesures concernant uniquement les plus âgés. Les résultats ont montré que les changements organisationnels, le manque de développement personnel et les facteurs personnels constituent pour l’ensemble de l’échantillon les trois plus importants facteurs d’insatisfaction incitant au départ. Les changements organisationnels et le manque de développement concernent surtout les plus âgés. Les facteurs personnels concernent autant les jeunes travailleurs que les plus âgés. L’insécurité au travail et la pression s’avèrent être deux points critiques pour les plus jeunes. Le manque de ressources concerne aussi les plus jeunes. Concernant le manque de ressources et le manque de développement, l’apprentissage intergénérationnel peut constituer une solution. Dans ce sens, le management des âges reste un concept à approfondir.

56Nous insistons donc sur l’importance de mettre en place la gestion des âges dans le but de maintenir les travailleurs en activité. Les mesures particulières pour chaque classe d’âges ne semblent pas suffisantes pour retenir les travailleurs. Ainsi, l’intergénérationnel est un défi pour le futur, Le transfert d’expertise et le partage des connaissances entre les jeunes et les plus âgés s’avèrent être des solutions optimales.

57Manuscrit reçu : novembre 2007

58Accepté après révision par A. Lancry : mars 2009

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Mots-clés éditeurs : facteurs d'insatisfaction incitant au départ, gestion des âges, intention de quitter

Date de mise en ligne : 11/10/2010

https://doi.org/10.3917/th.733.0213

Notes

  • [*]
    Service de Psychologie du Travail, Bat. B-32 fapse, Université de Liège, 4000 Liège, Belgique, ihansez@ulg.ac.be
  • [**]
    Service de Psychologie Quantitative, Bat. B-33 fapse, Université de Liège, 4000 Liège, Belgique, fperee@ulg.ac.be
  • [1]
    Les répartitions selon les variables indépendantes sont présentées mais les données manquantes à ces variables ne sont pas reprises dans le texte.

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