Couverture de TH_701

Article de revue

Corrélats sociocognitifs de la prise de décision en situation d'interaction dynamique

Pages 33 à 65

Notes

  • [1]
    COLREG : Collision Regulation.
  • [2]
    Relèvement : direction dans laquelle on aperçoit l’autre navire.
  • [3]
    DCPA : Distance at Closest Point of Approach (distance qui séparera les deux navires quand ils seront au plus près l’un de l’autre).
  • [4]
    TCPA : Time to Closest Point of Approach (temps restant avant d’atteindre le CPA).
  • [5]
    Non privilégié : expression du vocabulaire nautique signifiant que le navire n’est pas prioritaire étant données les caractéristiques de la situation (il voit l’autre navire sur sa droite).
  • [6]
    Privilégié : terme nautique signifiant que le navire est prioritaire, étant données les caractéristiques de la situation (il voit l’autre navire sur sa gauche).
  • [7]
    Option 1 : il s’agit de l’option " venir sur tribord ", pour la situation 1 comme pour la situation 2.
  • [8]
    Option 2 : il s’agit de l’option " venir sur bâbord " pour la situation 1 et de l’option " maintenir son cap " pour la situation 2.
  • [9]
    ETA : Expected Time of Arrival (Heure prévue d’arrivée).
  • [10]
    La règle 17 stipule que : i) lorsqu’un navire est tenu de s’écarter de la route d’un autre navire, cet autre navire doit maintenir son cap et sa vitesse ; ii) néanmoins, ce dernier peut manœuvrer, afin d’éviter l’abordage par sa seule manœuvre, aussitôt qu’il lui paraît évident que le navire qui est dans l’obligation de s’écarter de sa route n’effectue pas la manœuvre appropriée prescrite par les présentes Règles.
  • [11]
    La règle 16 stipule que : tout navire qui est tenu de s’écarter de la route d’un autre navire doit, autant que possible, manœuvrer de bonne heure et franchement de manière à s’écarter largement.

I. INTRODUCTION

1Les activités professionnelles exercées au sein de systèmes sociotechniques complexes constituent un objet d’étude et d’intervention privilégié en psychologie ergonomique. L’objectif pratique des études menées est de contribuer à la conception de systèmes homme-machine qui soient fiables. L’objectif théorique est de mieux comprendre les activités cognitives exercées par les opérateurs qui travaillent à l’intérieur de ces systèmes.

2La notion de complexité implique, fondamentalement, celle d’imprévisible possible. Ce caractère imprévisible, auquel l’homme est confronté lors de ses prises de décision, est lié à plusieurs facteurs (Cannon-Bowers, Salas, & Pruitt, 1996) :

  • la dynamique de l’environnement. Les situations dynamiques (contrôle aérien, pilotage d’avions ou de navires très automatisés, conduite d’un haut fourneau) ont leur dynamique propre avec laquelle les actions des opérateurs se combinent pour produire un effet ;
  • la variabilité des buts et les possibilités de conflits entre les buts poursuivis ;
  • le caractère incomplet et incertain, voire ambigu, des informations disponibles ;
  • l’intégration des individus dans des équipes où les membres ont des responsabilités et des rôles différents ; ce qui pose des problèmes de communication et de coordination ;
  • le fait que la prise de décision s’inscrit dans un contexte organisationnel et que la performance de l’équipe doit être cohérente avec les objectifs et contraintes externes à l’équipe.

3À l’intérieur de la catégorie des systèmes sociotechniques complexes, la catégorie des mobiles (voitures, avions, navires fortement automatisés) et – plus généralement – des situations de trafic (trafic routier, aérien ou maritime) occupe une place particulière puisqu’elle est caractérisée par un sixième facteur :

  • l’existence d’interactions entre des acteurs qui ne se connaissent pas.

4Ces interactions peuvent être contrôlées par un tiers (cas du trafic aérien, par exemple), ou ne pas l’être (cas du trafic maritime ou du trafic routier) ; elles sont soumises à des règlements et reposent sur différents moyens de communication. Elles posent des problèmes d’interprétation et d’anticipation des actions d’autrui.

5Différents cadres théoriques ont été développés pour étudier les activités cognitives des opérateurs travaillant dans des systèmes complexes. Dans cet article, nous proposons d’utiliser une théorie issue du champ de la psychologie sociale – la théorie du comportement planifié – pour analyser une activité qui illustre la prise de décision en situation d’interaction dynamique : l’activité d’anticollision en mer.

6Il s’agit d’une activité qui s’exerce dans une situation dynamique, où les opérateurs poursuivent des buts multiples (assurer la sécurité du navire mais aussi respecter des contraintes commerciales et financières). Cette activité s’inscrit également dans un cadre social qui présente plusieurs dimensions :

  • les officiers – qui assurent la conduite du navire – font partie d’un équipage, dirigé par un commandant ;
  • l’évitement des collisions en mer est soumis à un règlement (le règlement international pour prévenir les abordages en mer).

7Les règles fixent de façon plus ou moins précise l’éventuelle " priorité " entre les navires et les manœuvres à faire ou à proscrire ; néanmoins, les interprétations possibles du règlement rendent difficile l’anticipation des actions et des réactions des navires. L’incertitude porte sur l’évaluation du risque faite à bord du navire non privilégié (Hara, 1993), sur la distance à laquelle le navire va manœuvrer (Habberley & Taylor, 1989), sur la direction choisie (Hinsch, 1996). La prise en compte d’autrui est donc un élément décisif de la prise de décision, qu’il s’agisse d’anticiper son comportement ou de tenir compte de sa perception des actions.

8La théorie du comportement planifié postule que trois catégories de croyances fondent l’intention de produire un comportement : des croyances comportementales (attentes relatives aux résultats de l’action), des croyances normatives (relatives aux jugements et aux actions d’autrui), des croyances de contrôle (relatives aux éléments susceptibles d’inhiber ou de faciliter la production d’un comportement). Dans cette étude, elle est utilisée pour explorer les croyances formées par des élèves-officiers de la Marine marchande, auxquels ont été présentées deux situations d’anticollision. L’objectif poursuivi est d’apporter un nouvel éclairage sur les motivations susceptibles de guider la décision des élèves-officiers. Cette étude s’inscrit dans un programme de recherche mené en collaboration avec une École de la marine marchande. Au-delà d’objectifs théoriques, celui-ci vise des objectifs pratiques et, en particulier, la construction d’outils de debriefing des exercices qui soient adaptés aux raisonnements des élèves.

II. LA THÉORIE DU COMPORTEMENT PLANIFIÉ

9Enracinée dans le champ de la cognition sociale, la théorie du comportement planifié (Ajzen, 1991, 2002 a) vise à comprendre et à expliquer la production d’un comportement spécifique dans une situation précise en faisant l’hypothèse d’une chaîne causale unissant croyances, attitude, norme subjective, contrôle comportemental perçu, intention comportementale et comportement effectif. Malgré les critiques qui lui ont été adressées (voir Eagly & Chaiken, 1993 ; Van der Pligt, De Vries, Manstead, & Van Harreveld, 2000 pour des revues de questions), la théorie du comportement planifié prédomine parmi les théories qui cherchent à prédire et à comprendre un comportement planifié à partir d’un nombre limité de facteurs.

II . 1. PRÉSENTATION

10D’après la théorie du comportement planifié (TCP), le comportement d’une personne est déterminé par son intention de produire un comportement. Cette intention est, elle-même, dépendante de trois catégories d’évaluations du comportement : l’attitude envers le comportement, les normes subjectives et le contrôle comportemental perçu. Ces catégories représentent des résumés évaluatifs de trois catégories d’informations accessibles en mémoire, nommées " croyances " (beliefs) : les croyances comportementales, les croyances normatives et les croyances de contrôle. Dans cet article, le terme de " croyance " sera utilisé dans le sens suivant : ce qu’un individu se représente comme étant vrai, étant donné son expérience et ses connaissances.

II . 1 . A. Croyances comportementales et attitude envers le comportement

11Les croyances comportementales renvoient aux attentes de l’individu concernant les résultats (avantages ou inconvénients) engendrés par un comportement. Chaque croyance est caractérisée par la valeur (négative ou positive) attribuée par l’individu à un résultat et par la probabilité estimée par l’individu que le comportement aboutisse à ce résultat.

12La somme des croyances comportementales forme l’attitude envers le comportement qui représente l’évaluation globale des conséquences engendrées par le comportement.

II . 1 . B. Croyances normatives et norme subjective

13Les croyances normatives injonctives renvoient aux attentes de l’individu quant à l’approbation – ou à la désapprobation – que la production du comportement pourrait engendrer chez des personnes et/ou des groupes importants pour lui. Chaque croyance est caractérisée par la probabilité subjective qu’une personne de référence approuve le comportement et par la motivation de l’individu à se soumettre à cette personne.

14Les croyances normatives descriptives renvoient à la perception par l’individu de ce que des personnes ou groupes importants font ou ne font pas. Chaque croyance est caractérisée par la probabilité subjective que les référents importants produisent un comportement et par la motivation de l’individu à faire ce que les autres font.

15L’ensemble des croyances normatives contribue à former la norme subjective qui représente les pressions sociales perçues quant à la production ou à l’inhibition du comportement.

II . 1 . C. Croyances de contrôle et contrôle comportemental perçu

16Enfin, les croyances de contrôle renvoient à la présence perçue d’éléments (endogènes et/ou exogènes à l’individu) qui peuvent faciliter ou empêcher la production du comportement. Chaque croyance est caractérisée par la probabilité subjective d’apparition d’un élément et par l’aspect facilitateur ou inhibiteur de cet élément.

17Les croyances de contrôle contribuent à former le contrôle comportemental perçu qui synthétise le contrôle que l’individu croit détenir sur la production d’un comportement (Ajzen, 2002 a).

II . 2. FORMATION DE L’INTENTION COMPORTEMENTALE ET PRODUCTION DU COMPORTEMENT

18La combinaison des trois facteurs – l’attitude envers le comportement, la norme subjective et le contrôle comportemental perçu – conduit à la formation d’une intention comportementale. Cette relation est modélisée selon la formule générale d’une régression linéaire. Ainsi :

Equation 1

19L’intention comportementale est le projet de réaliser ou de ne pas réaliser le comportement. Le poids des facteurs dans la détermination de l’intention comportementale varie en fonction du comportement ciblé et, par conséquent, doit être évalué pour chaque nouvelle application de la théorie.

20D’après la TCP, l’intention est le déterminant immédiat du comportement (Ajzen, 1991). Cependant, parce que beaucoup de comportements ne sont pas exclusivement sous le contrôle volontaire de l’individu, le contrôle comportemental perçu exerce, lui aussi, une influence directe sur la production du comportement. Le comportement individuel (C) est donc directement déterminé par la combinaison de l’intention comportementale et de la perception de contrôle qu’un individu développe à l’égard de ce comportement (voir fig. 1), selon l’équation linéaire suivante : C = w4I + w5CCP.

Equation 2
Fig. 1. — La théorie du comportement planifié (Ajzen, 1991, 2002 a) / The Theory of Planned behavior (Ajzen, 1991, 2002 a)

21Bien qu’aucune boucle n’apparaisse sur la figure 1, la TCP reconnaît l’influence que peut exercer la production d’un comportement sur les déterminants de ce comportement. Ainsi, dans le cadre d’un processus de rétroaction, un comportement qui ne produirait pas les conséquences espérées pourra conduire à une révision des croyances et, par conséquent, des facteurs prédictifs. Néanmoins, différentes interprétations demeurent pour expliquer comment le comportement passé influence le comportement présent et futur (Ajzen, 2002 b). L’explication la plus souvent avancée repose sur l’idée que le comportement est en partie guidé par des processus automatiques liés à un phénomène d’habituation (Aarts & Dijksterhuis, 2000).

22La théorie du comportement planifié peut être appliquée partiellement (relation entre intention et comportement, entre attitude, norme subjective, contrôle comportemental perçu et intention) ou intégralement (des croyances aux comportements). Dans une application intégrale de la TCP, il est nécessaire, dans un premier temps, de recueillir les croyances accessibles librement associées par des individus à un comportement donné ; cette étape repose sur l’utilisation d’un questionnaire composé de questions ouvertes. Une fois les croyances recueillies, l’utilisation d’échelles à plusieurs points permet de mesurer la probabilité subjective (improbable vs probable) et la valeur (négative vs positive) que les participants associent à chaque croyance. Le produit de ces deux mesures est une traduction numérique de la croyance. La somme des produits des croyances comportementales, normatives et de contrôle permet ainsi d’obtenir une évaluation de l’attitude, de la norme subjective et du contrôle comportemental perçu envers le comportement. Ces mesures servent alors pour prédire l’intention comportementale.

II . 3. SYNTHÈSE CRITIQUE

23Plusieurs méta-analyses et revues de littérature attestent de la capacité de la TCP à prédire les comportements et les intentions dans des domaines comportementaux très variés (santé, environnement, sécurité routière, politique, etc.). Par exemple, dans sa revue des méta-analyses réalisées pour évaluer la capacité prédictive de la TCP, Sutton (1998) rapporte que, selon les comportements étudiés (jouer à un jeu vidéo, suivre un régime, chercher du travail, voter, utiliser un préservatif, arrêter de fumer, se comporter face à des problèmes de santé, etc.), l’intention comportementale et le contrôle comportemental perçu expliquent entre 19 % et 38 % de la variance du comportement ; l’attitude, la norme subjective et le contrôle comportemental perçu expliquent entre 40 % et 50 % de la variance de l’intention. Plus récemment, dans leur revue de 185 recherches menées dans le cadre de la TCP, Armitage et Conner (2001) rapportent que la théorie explique, en moyenne, 27 % de la variance du comportement et 39 % de la variance de l’intention.

24Par ailleurs, plusieurs recherches s’adossant à la théorie du comportement planifié ont pu montrer l’influence causale des croyances sur le comportement à travers leur influence sur les résumés évaluatifs et l’intention (Bamberg, Ajzen, & Schmidt, 2003 ; Brubaker & Fowler, 1990 ; Fishbein, Ajzen, & McArdle, 1980 ; Fishbein, Hennessy, et al., 2001 ; Jemmott, Jemmott, Fong, & McCaffree, 1999 ; Sanderson & Jemmott, 1996 ; Van Ryn & Vinokur, 1992).

25Toutefois, malgré ces bons résultats, la théorie du comportement planifié reste ouverte à des extensions susceptibles d’accroître la puissance prédictive et la compréhension des déterminants du comportement et de l’intention comportementale (voir Ajzen, 1991 ; Armitage & Conner, 2001).

26Une des voies possibles pour accroître la compréhension des déterminants d’un comportement a été rapidement et explicitement soulignée par Ajzen et Fishbein. Selon eux : " Un comportement implique un choix entre deux ou plusieurs options comportementales. Pour comprendre complètement un comportement, il est nécessaire d’identifier les croyances associées à la réalisation de chaque option " (Ajzen & Fishbein, 1980, p. 79). Pourtant, très majoritairement, les recherches menées dans le cadre de la TCP se sont focalisées sur la prédiction d’une seule option comportementale, généralement celle qui renvoie à un comportement déviant ou que l’on cherche à modifier (le dépassement de la limite de vitesse, par exemple), en l’expliquant uniquement par les évaluations associées à cette option spécifique. Quelques recherches ont montré la supériorité d’un modèle de prédiction basé sur les évaluations de plusieurs options comportementales en comparaison à un modèle qui prend en compte l’évaluation d’une seule option comportementale (Ajzen & Fishbein, 1969 ; Davidson & Morisson, 1983 ; Fishbein & Ajzen, 1981 ; Jaccard, 1981, 1985 ; Letirand & Delhomme, 2003, 2005 ; van den Putte, Hoogstraten, & Meertens, 1996). Néanmoins, très peu de recherches se sont focalisées sur l’évaluation et l’identification des croyances associées à plusieurs options comportementales (voir cependant, Fishbein, Ajzen, & Hinkle, 1980 ; Letirand & Delhomme, 2001).

27Notre recherche consiste, dans le domaine de l’activité d’anticollision en mer, à identifier et à comparer, pour deux situations de croisement, les croyances associées à deux options comportementales impliquées dans le choix d’une manœuvre d’anticollision. Adossés à la TCP, nous postulons que si un comportement est déterminé par les croyances qui lui sont associées alors deux comportements différents mais pertinents dans une situation de choix doivent être déterminés par des croyances différentes ou, du moins, par des croyances dont les propriétés (probabilité subjective, valeur et accessibilité) varient selon l’option à laquelle elles sont associées. La présente étude ne porte que sur le recueil des croyances. Il s’agit d’un préalable nécessaire à l’étape qui consistera à mesurer chaque croyance en termes de valeur et de probabilité. Il est attendu, néanmoins, que cette phase de recueil mette en évidence des différences d’accessibilité des croyances selon l’option comportementale considérée. Ces différences seraient alors susceptibles de jouer un rôle décisif dans le choix d’une option comportementale.

III. MÉTHODOLOGIE

28Conduire un navire consiste à le mener d’un point à un autre en suivant une route prédéfinie (la route théorique), en respectant un horaire et en évitant les collisions. L’évitement des collisions est une activité qui présente deux difficultés majeures ; celle d’identifier les intentions d’autrui et celle de prédire leurs actions.

29Comme le rappellent Hockey, Healey, Crawshaw, Wastell et Sauer (2003), les décisions sont basées sur le COLREG [1] (le règlement international pour prévenir les abordages en mer, HMSO, 1972), mais les caractéristiques dynamiques de la tâche et les nécessaires interprétations du règlement sont à l’origine de jugements erronés ou risqués observés dans de nombreux accidents.

30Expliquer et, éventuellement, pouvoir prédire la prise de décision des officiers en anticollision est donc un objectif pertinent à la fois sur le plan théorique et sur le plan pratique. Disposer d’outils d’analyse des déterminants de la décision est également essentiel dans le cadre de la formation.

31Plusieurs études ont déjà porté sur la prise de décision des officiers en situation réelle d’anticollision (Chauvin, 2000 ; Chauvin, 2001 ; Andro, Chauvin, & Le Bouar, 2003 ; Chauvin & Saad, 2004). S’appuyant, en partie, sur les verbalisations des professionnels, elles renseignent sur les buts poursuivis (croyances comportementales), sur les informations traitées (croyances de contrôle) et sur la prise en compte d’autrui (croyances normatives). Le but principal à atteindre est de réaliser une manœuvre sûre : c’est-à-dire une manœuvre qui permette de passer à une distance suffisante du navire antagoniste mais qui soit aussi compréhensible et prévisible par autrui. Un but secondaire est de ne pas trop s’éloigner de sa route, voire d’utiliser la manœuvre d’évitement pour se rapprocher de sa route. La décision prise varie en fonction des caractéristiques du conflit (distance, différentiel de vitesse entre les deux navires, distance de passage, retard ou avance sur l’horaire prévu, présence de navires tiers potentiellement gênants, courant, état de la mer). Enfin, lorsqu’ils parlent d’autrui, les officiers dont l’activité a été observée évoquent essentiellement leurs homologues qui se trouvent à bord des navires antagonistes et qui observent leur manœuvre. Ces personnes sont citées parce qu’elles sont susceptibles d’approuver ou de désapprouver la manœuvre (il ne risque pas de prendre peur, il va trouver que cela fait un peu près...).

III . 1. DESCRIPTION DE L’EXPÉRIENCE

32Nous avons présenté à des élèves officiers de la marine marchande deux situations décrivant chacune, de façon statique, un risque de collision. Les deux situations relatent des situations réelles, observées à bord de car-ferries dans une zone où le trafic est dense : le Pas-de-Calais. Elles illustrent les deux cas, fréquents, où plusieurs options s’offrent à l’officier chef de quart (OCDQ). Le mode de présentation, statique, a été choisi parce qu’il permet d’interroger un grand nombre de participants dans un temps limité et parce qu’il est proche du mode de présentation de certains exercices effectués par les élèves-officiers.

33Chaque situation donne la possibilité d’effectuer différentes manœuvres. La tâche consiste à indiquer l’option choisie et à énoncer les croyances comportementales, normatives, ainsi que les croyances de contrôle associées aux options possibles.

III . 1 . A. Les situations expérimentales

34Les deux situations expérimentales diffèrent essentiellement par le degré d’ambigu ïté et d’incertitude qui les caractérise.

35Chaque situation est présentée par écrit aux participants. Ils disposent d’un descriptif, d’un schéma et d’informations numériques (vitesses et caps des deux navires, distance les séparant, relèvement [2] dans lequel se trouve le navire antagoniste, DCPA [3] et TCPA [4]).

Situation 1 (voir annexe 1)

36Dans la situation 1, l’élève doit se mettre à la place de l’officier qui se trouve à bord d’un car-ferry non privilégié [5]. Il doit donc manœuvrer et peut choisir de venir sur tribord ou de venir sur bâbord. Compte tenu de la règle 15 du COLREG, l’option " venir sur tribord " est réglementaire mais les caractéristiques de la situation peuvent inciter les participants à venir sur bâbord : le différentiel de vitesse est en faveur de leur navire, celui-ci passerait légèrement devant le navire antagoniste si aucune action n’était entreprise, une manœuvre sur bâbord rapproche le navire de sa route théorique, la distance est telle qu’il est possible de considérer qu’on ne rentre pas encore dans le cadre d’application de la règle. Une troisième option existe – il s’agirait de ralentir – mais elle n’a pas été proposée, car les réductions d’allure sont rarement pratiquées en situation réelle.

Situation 2 (voir annexe 2)

37Dans la situation 2, le participant doit se mettre à la place de l’officier qui se trouve à bord d’un car-ferry privilégié [6]. Selon la règle 17, ce navire " doit maintenir son cap et sa vitesse ". Mais, il peut manœuvrer, afin d’éviter l’abordage par sa seule manœuvre, " aussitôt qu’il lui paraît évident que le navire qui est dans l’obligation de s’écarter de sa route n’effectue pas la manœuvre appropriée ". Selon l’interprétation qui est faite de cette règle et, en particulier, de la lecture qui est faite de la distance qui sépare les deux navires, l’officier peut choisir une des deux options suivantes :

  • venir sur tribord sans attendre ;
  • maintenir son cap pour voir si le navire antagoniste va manœuvrer et, venir sur tribord dans quelques minutes, s’il s’avère qu’il ne fait rien.

38En situation réelle, nous avons observé (Andro, Chauvin, & Le Bouar, 2003), que l’officier qui se trouve à bord du car-ferry privilégié peut choisir de venir sur tribord sans attendre pour " prendre le contrôle de la situation ".

39Une manœuvre sur bâbord n’est pas envisageable. En effet, si le navire non privilégié venait sur tribord (comme le prévoit le règlement), une telle manœuvre rapprocherait les deux navires au lieu de les éloigner l’un de l’autre.

III . 1 . B. Les participants

40103 participants ont répondu aux questionnaires. Il s’agit d’élèves d’une École nationale de la marine marchande, inscrits en 3e année (57 participants) ou en 5e année (46 participants). Ces élèves ont un niveau d’expertise différent. Leur niveau d’expérience diffère également, puisque les élèves de 5e année ont effectué – pendant l’intégralité de la 4e année – un stage embarqué et qu’ils ont donc déjà acquis une expérience certaine de la navigation. Les hommes et les femmes n’ont pas été distingués, car les femmes sont trop peu nombreuses (moins de 10 % de l’effectif) pour pouvoir constituer des groupes spécifiques.

41La répartition des participants dans les deux situations expérimentales a été réalisée de façon aléatoire. 28 élèves de 3e année ont été affectés à la situation 1 et 29 à la situation 2. 24 élèves de 5e année ont été affectés à la situation 1 et 22 à la situation 2 (cf. tableau 1).

Equation 3
TABLEAU 1 : Nombre de participants par année et par situation / Number of participants for each study level and for each scenario

III . 1 . C. Les questionnaires

42Les questionnaires utilisés dans cette recherche correspondent au questionnaire standard habituellement utilisé pour appliquer la TCP. Ils ont été construits d’après les recommandations méthodologiques d’Ajzen (2001) et adaptés au contexte de la prise de décision en situation d’anticollision. En particulier, ils respectent le principe de compatibilité (Ajzen & Fishbein, 1977).

43Les questionnaires comportent huit questions relatives aux trois catégories de croyances :

44Questions relatives aux croyances comportementales

  • Selon vous, dans cette situation, quels sont les avantages de (option 1 [7] / option 2 [8]) ?
  • Selon vous, dans cette situation, quels sont les inconvénients de (option 1 / option 2) ?

45Questions relatives aux croyances normatives (injonctives et descriptives)

  • Selon vous, dans cette situation, quelles personnes approuveraient que vous... ?
  • Selon vous, dans cette situation, quelles personnes désapprouveraient que vous... ?
  • Selon vous, dans cette situation, quelles personnes produiraient l’option de... ?
  • Selon vous, dans cette situation, quelles personnes ne produiraient pas l’option de... ?

46Questions relatives aux croyances de contrôle

  • Selon vous, dans cette situation, qu’est-ce qui vous inciterait à... ?
  • Selon vous, dans cette situation, qu’est-ce qui vous empêcherait de... ?

47À la suite de chacune de ces questions, plusieurs lignes vierges permettent au participant de donner plusieurs modalités de réponse.

III . 2. HYPOTHèSES

48Deux hypothèses générales guident ce travail.

49Premièrement, nous faisons l’hypothèse que des croyances différentes sont à l’origine de décisions différentes. Plus précisément, nous nous attendons à trouver des différences d’accessibilité des croyances (mesurée par la fréquence des croyances) selon l’option choisie. Conformément à ce que nous avons observé à bord des car-ferries naviguant dans le Pas-de-Calais, nous nous attendons, en particulier :

  • en ce qui concerne la situation 1, à ce qu’une manœuvre sur bâbord soit associée à des croyances de contrôle (évocation de la distance, de la distance de passage, du différentiel de vitesse entre les deux navires) ;
  • en ce qui concerne la situation 2, à ce qu’une manœuvre sur tribord effectuée sans attendre soit associée à une volonté de maîtriser la situation (croyance comportementale).

50La deuxième hypothèse concerne l’effet de l’expérience sur la prise de décision et sur l’évocation des croyances. Nous pensons que les élèves de 3e année se montreront plus conformistes, dans le choix des options, que les élèves de 5e année. Ce " conformisme " devrait se traduire par un respect des règles plus marqué.

IV. RÉSULTATS

51Pour chaque situation, nous disposons des réponses de deux enseignants au questionnaire proposé. Ces réponses sont considérées comme des éléments de référence. Elles sont présentées en préalable à l’exposé des options choisies par les élèves, et des croyances que ces derniers évoquent dans les questionnaires. Dans cette présentation, seules seront mentionnées les croyances énoncées par plus de 10 % des participants. Pour chaque catégorie de croyances, le test de khi-deux de Pearson a été utilisé pour tester, d’une part, les relations existant entre l’option choisie et les croyances évoquées et, d’autre part, les relations existant entre niveau d’étude et croyances évoquées. Le test exact de Fisher a été calculé pour les tableaux comprenant des cellules où l’effectif est inférieur à 5. Le khi-deux corrigé de Yates a été calculé pour les autres tableaux.

IV . 1. SITUATION 1

52Avant de présenter les options choisies par les élèves et les réponses faites par les élèves au questionnaire portant sur la première situation, il est intéressant de faire état de l’avis de deux enseignants de l’école où s’est déroulée l’étude. Ces deux enseignants ont rempli le questionnaire et émettent des avis différents sur la situation et sur la décision à prendre.

53L’un des enseignants privilégie clairement l’option " venir sur tribord " qu’il présente comme la manœuvre réglementaire alors que " venir sur bâbord " présenterait l’inconvénient d’aller à l’encontre du règlement et pourrait conduire à se placer dans une situation dangereuse. Il reconnaît, cependant, des avantages à l’option " venir sur bâbord " qui permet de " revenir sur la route " et de " gagner du temps ". Il pense que des navigants prudents, les autorités (centre de surveillance du trafic ou juge en cas d’abordage) et le navire B approuveraient l’option " venir sur tribord " ; alors que seuls " ceux qui ne connaissent pas la règle " (ou " qui la connaissent mais souhaitent s’en affranchir ") approuveraient le choix de venir sur bâbord. Selon lui, " ceux qui connaissent la règle " désapprouveraient cette option. D’après lui, une grande majorité de chefs de quart produiraient l’option " venir sur tribord " et ne produiraient pas l’option " venir sur bâbord ". Des chefs de quart inexpérimentés ou des marins pressés (sous le contrôle d’un commandant " averti ") viendraient sur bâbord. Aux questions portant sur les croyances de contrôle, il répond que le règlement et la sécurité l’inciteraient à " venir sur tribord " et l’empêcheraient de venir sur bâbord alors que le gain de temps pourrait inciter à venir sur bâbord ; seul un trafic dense derrière le navire B pourrait l’empêcher de venir sur tribord.

54L’autre enseignant privilégie l’option " venir sur bâbord ". Il pense que " venir sur tribord " présente l’avantage de clarifier la situation pour l’autre mais que " venir sur bâbord " présente l’avantage de faire gagner du temps. À la différence de son collègue, il avance que " venir sur bâbord " ne présente pas d’inconvénient si la manœuvre est effectuée immédiatement (à la distance de 5 nm), même si elle est " en limite du règlement ". Il pense que la majorité des marins, les professeurs, les autorités, le commandant et le navire B approuveraient le fait de venir sur tribord alors que le service commercial pourrait désapprouver ce choix s’il fait perdre du temps. Il pense que des marins consciencieux viendraient sur tribord mais que des marins " pressés " ou " expérimentés " pourraient choisir de venir sur bâbord. C’est le manque de confiance dans la fiabilité de son navire qui l’empêcherait de venir sur bâbord et qui pourrait l’inciter à venir sur tribord. Rien ne l’empêcherait de venir sur tribord. Un retard sur l’horaire l’inciterait à venir sur bâbord.

IV . 1 . A. Le choix des options

55Dans la situation 1 (voir fig. 2), une option apparaît comme fortement majoritaire, pour les deux catégories d’élèves ; il s’agit de l’option " réglementaire " qui consiste à venir sur tribord. Il est intéressant de noter que l’année d’étude n’est pas déterminante dans le choix de l’option (χ2(1,52) = 0,093 ; NS).

Equation 4
Fig. 2. — Option choisie, dans la situation 1, par les élèves en fonction de leur niveau d’étude / Choice of the participants, in scenario 1, according to their level of study

IV . 1 . B. Les croyances

56Les croyances comportementales sont relatives aux avantages et aux inconvénients associés par les participants aux options proposées. Le tableau 2 liste les avantages et inconvénients associés par au moins 10 % des participants à l’option " venir sur tribord ". Le tableau 3 liste les avantages et inconvénients associés par au moins 10 % des participants à l’option " venir sur bâbord ".

57Ces tableaux montrent que les avantages associés à une option constituent – parfois dans une moindre mesure – les inconvénients associés à l’option opposée. De nombreuses croyances peuvent donc être qualifiées de " bipolaires " dans la mesure où elles apparaissent sous la forme d’avantages (pôle positif) et d’inconvénients (pôle négatif) selon l’option à laquelle elles sont associées.

58L’option " venir sur tribord " est perçue comme une manœuvre réglementaire par 62 % des individus, comme une manœuvre " sûre " par 48 % des participants. Près d’un élève sur cinq dit également que cette manœuvre est conforme aux attentes d’autrui.

59En ce qui concerne les avantages de " venir sur bâbord ", 69 % des individus disent que cette option permet de revenir sur la route. Un corollaire – cité par 37 % des individus – est que cette manœuvre permet de gagner du temps (ou évite d’en perdre).

Equation 5
TABLEAU 2 : Croyances comportementales associées à l’option " venir sur tribord " (situation 1) / Behavioral beliefs for the choice " To turn to starboard " (Scenario 1)
Equation 6
TABLEAU 3 : Croyances comportementales associées à l’option " venir sur bâbord " (situation 1) / Behavioral beliefs for the choice " To turn to port " (Scenario 1)

60L’énoncé des croyances normatives injonctives (voir tableaux 4 et 5) témoigne de l’ambigu ïté du référent " Commandant ", puisqu’il est cité comme susceptible d’approuver une manœuvre sur tribord par 44 % des individus et de désapprouver une manœuvre sur bâbord (35 % des individus) mais qu’il est également cité comme susceptible d’approuver une manœuvre sur bâbord (39 % des individus) et de désapprouver une manœuvre sur tribord (16 % des individus).

61Pour ce qui est des autres croyances, on retrouve la symétrie précédemment évoquée. Le cargo B, le voilier C, les institutions et autorités sont perçus comme susceptibles d’approuver une manœuvre sur tribord et de désapprouver une manœuvre sur bâbord. La compagnie et les passagers sont perçus comme susceptibles d’approuver une manœuvre sur bâbord et de désapprouver une manœuvre sur tribord.

Equation 7
TABLEAU 4 : Croyances normatives injonctives associées à l’option " venir sur tribord " (situation 1) / Normative beliefs for the choice " To turn to starboard " (Scenario 1)
Equation 8
TABLEAU 5 : Croyances normatives injonctives associées à l’option " venir sur bâbord " (situation 1) / Normative beliefs for the choice " To turn to port " (Scenario 1)

62À la lecture des croyances normatives descriptives (tableaux 6 et 7), on remarque les forts pourcentages de non-réponse associés aux questions de type " qui ne produirait pas... ? ". L’ambigu ïté du référent " Commandant " apparaît à nouveau.

63Il existe une croyance " bipolaire " : elle concerne la " qualité " des navigants (17 % des individus pensent qu’un bon OCDQ (officier chef de quart) viendrait sur tribord et 12 % des individus pensent qu’un mauvais OCDQ viendrait sur bâbord. Cette croyance est en contradiction avec la croyance relative à l’expérience des marins (12 % des participants interrogés pensent que de jeunes OCDQ viendraient sur tribord et 21 % des participants pensent qu’un OCDQ expérimenté viendrait sur bâbord).

Equation 9
TABLEAU 6 : Croyances normatives descriptives associées à l’option " venir sur tribord " (situation 1) / Normative beliefs for the choice " To turn to starboard " (Scenario 1)
Equation 10
TABLEAU 7 : Croyances normatives descriptives associées à l’option " venir sur bâbord " (situation 1) / Normative beliefs for the choice " To turn to port " (Scenario 1)

64La lecture des croyances de contrôle montre que quatre grandes catégories de croyances peuvent être évoquées : des considérations générales (souci de sécurité, bon sens, raison, prudence, sens marin), le COLREG, la prise en compte d’autrui (attentes de B, présence du voilier) et des éléments concrets de la situation (comme la vitesse relative de A, sa manœuvrabilité). Il existe une forte proportion de non-réponse aux questions portant sur ces croyances, de même qu’une grande diversité de réponse. Ces deux éléments expliquent que chacune des croyances recensées dans les tableaux qui suivent ne concerne que relativement peu de participants.

65Dans la situation 1 (voir tableaux 8 et 9), les considérations générales et le respect du règlement sont les facteurs les plus souvent cités comme incitant à venir sur tribord et comme inhibant une manœuvre sur bâbord ; alors que l’ETA [9] et les impératifs commerciaux sont les éléments les plus souvent évoqués (par 50 % des participants) comme incitant à venir sur bâbord.

Equation 11
TABLEAU 8 : Croyances de contrôle associées à l’option " venir sur tribord " (situation 1) / Control beliefs for the choice " To turn to starboard " (Scenario 1)
Equation 12
TABLEAU 9 : Croyances de contrôle associées à l’option " venir sur bâbord " (situation 1) / Control beliefs for the choice " To turn to port " (Scenario 1)

IV . 1 . C. Relations entre les variables " niveau d’étude "," option choisie " et les croyances évoquées

66Les tests de khi-deux révèlent plusieurs relations significatives entre le niveau d’étude et les réponses obtenues aux questions portant sur les croyances normatives et sur les croyances de contrôle. Ils ne mettent pas en évidence, en revanche, de relation entre le niveau d’étude et les croyances comportementales.

67• Les élèves de 3e année sont significativement plus nombreux (57 % contre 17 %, χ2(1,52) = 8,945 ; p .005) que les élèves de 5e année à citer des considérations générales (sécurité / risques potentiels / peur) comme incitant à venir sur tribord. Ils sont également significativement plus nombreux (68 % contre 29 %, χ2(1,52) = 7,738 ; p .01) que les élèves de 5e année à citer les impératifs commerciaux / l’ETA / la volonté de revenir sur la route comme incitant à venir sur bâbord. Ils sont significativement plus nombreux (32 % contre 8 %, χ2(1,52) = 4,392 ; p .05) à dire que le COLREG les empêcherait d’entreprendre une manœuvre sur bâbord. Ils citent également plus souvent que les élèves de 5e année (32 % contre 4 %, χ2(1,52) = 6,512 ; p .05) des considérations générales (sécurité / risques potentiels / peur) comme inhibant ce comportement.

68• Les élèves de 5e année sont significativement plus nombreux (33 % contre 11 %, χ2(1,52) = 3,964 ; p .05) que les élèves de 3e année à dire qu’un officier expérimenté (connaissant bien le navire et la zone) choisirait de venir sur bâbord.

69Il existe des relations entre l’option choisie et l’évocation des croyances comportementales et des croyances normatives.

  • Les élèves qui choisissent de venir sur bâbord sont significativement plus nombreux à citer le fait que cette manœuvre permet d’augmenter le DCPA (33,33 % contre 10 %, χ2(1,52) = 3,861 ; p .05). Ils sont, surtout, significativement plus nombreux que les autres à dire que le commandant approuverait cette décision (75 % contre 25 %, χ2(1,52) = 13,271 ; p .001) ; même s’ils modulent parfois leur réponse en énonçant des conditions (s’il est pressé, si on a respecté sa consigne...). Mais, ils sont également significativement plus nombreux à dire que les institutions et autorités désapprouveraient ce choix (50 % contre 17,50 %, χ2(1,52) = 5,2 ; p .05). Ils sont également significativement plus nombreux à dire que le commandant choisirait cette option (41,67 % contre 10 %, χ2(1,52) = 6,468 ; p .05). Ils sont, enfin, plus nombreux (50 % contre 12,50 %, χ2(1,52) = 7,783 ; p .01) à dire qu’un OCDQ expérimenté (connaissant bien le navire et la zone) choisirait cette option.
  • Les élèves qui choisissent de venir sur tribord sont significativement plus nombreux que les autres à dire que le commandant approuverait cette décision (52,50 % contre 25 %, χ2(1,52) = 4,805 ; p .05).

IV . 1 . D. Conclusion

70La situation 1 ne présente pas d’ambigu ïté.

71En ce qui concerne les croyances comportementales, les réponses faites majoritairement par les élèves sont identiques à celles des deux enseignants référents. L’option " venir sur tribord " permet de concilier plusieurs buts : sécurité, conformité au règlement et conformité aux attentes d’autrui. L’option " venir sur bâbord " présente l’avantage d’être plus économique. Les avantages associés à une option sont les inconvénients associés à l’autre. Le commandant constitue le référent principal des élèves. Il peut être perçu comme un relais des institutions et autorités ou bien comme un relais des services commerciaux. Ce référent semble être un déterminant essentiel de la prise de décision, qu’il s’agisse de choisir de venir sur tribord ou sur bâbord. Les autres navires sont également des référents importants. Les pairs, enfin, sont cités dans des réponses qui apparaissent contradictoires : pour certains un mauvais OCDQ viendrait sur bâbord, pour d’autres (pour ceux qui choisissent de venir sur bâbord) un OCDQ expérimenté viendrait sur bâbord. Cette contradiction apparaît également chez les deux enseignants.

72Les réponses aux questions relatives aux croyances de contrôle sont difficilement exploitables : les non-réponses sont importantes, les réponses sont très variées et recouvrent en partie les réponses faites aux questions portant sur les croyances comportementales. Ce constat est également valable pour les enseignants ayant répondu au questionnaire. L’hypothèse qui portait sur l’importance de la prise en compte des éléments de la situation dans le choix de " venir sur bâbord " n’est donc pas validée ici.

73Des différences apparaissent entre les élèves de 3e et de 5e année. Les élèves de 3e année font référence au règlement mais aussi au commandant qui apparaît comme un vecteur de transmission de la règle formelle. Les élèves de 5e année semblent moins dépendants du règlement.

IV . 2. SITUATION 2

74Pour la situation 2, comme pour la situation 1, il est intéressant de présenter – en préalable aux réponses faites par les élèves – les réponses fournies par les deux enseignants. Là encore, ces réponses sont contrastées.

75L’un des enseignants trouve plusieurs avantages à l’option " venir sur tribord " (augmentation du DCPA avec B et C, conformité à la règle 17 [10], meilleure manœuvre pour B) et ne lui trouve que l’inconvénient d’augmenter l’écart à la route. Cet enseignant ne trouve, à l’inverse, qu’un avantage à l’option " maintenir son cap " (éviter d’avoir à manœuvrer) et plusieurs inconvénients ( " peut provoquer une situation critique ", " peut obliger à réaliser une manœuvre de grande amplitude " ). Il pense que des navigants prudents approuveraient et choisiraient l’option " venir sur tribord " ; cette option serait choisie également par des navigants interprétant correctement la règle 17. Des navigants interprétant la règle 16 [11] de façon stricte désapprouveraient ce choix. Des navigants téméraires ou interprétant mal la notion de " distance suffisante " ne la produiraient pas. Logiquement, cet enseignant pense que l’option " maintenir son cap " serait approuvée par les navigants qui interprètent la règle 16 de façon stricte. Cette option serait choisie par des navigateurs inexpérimentés ou, au contraire, par des navigateurs habitués à manœuvrer tard dans ces circonstances. Elle serait désapprouvée par les autres navires. Ce qui l’inciterait à venir sur tribord est l’amplitude de la manœuvre à effectuer (qui est faible), ainsi que l’éventualité d’une panne de propulsion. Le désir de montrer qu’on est dans son " bon droit " pourrait l’inciter à maintenir son cap mais la pratique du commandant pourrait constituer un obstacle à cette manœuvre.

76L’autre enseignant ne voit aucun avantage à venir sur tribord (étant donnée la distance qui sépare encore les deux navires) ; de plus, il constate que cette manœuvre présenterait l’inconvénient d’éloigner le navire de sa route et d’être non conforme au règlement. Maintenir son cap, en revanche, présenterait l’avantage de signifier clairement aux autres qu’ils doivent manœuvrer et ne présenterait pas d’inconvénient. Un navigant peu sûr de lui pourrait approuver et choisir une manœuvre sur tribord alors qu’un tribunal maritime désapprouverait cette option. Des officiers expérimentés approuveraient et choisiraient l’option " maintenir son cap " ; cette option étant désapprouvée et rejetée par un navigant peu sûr de lui. Une dégradation brutale de la visibilité pourrait l’inciter à venir sur tribord mais le " sens éthique et pragmatique " l’empêcherait de choisir cette option et l’inciterait à maintenir son cap. Rien, en revanche, ne l’empêcherait de maintenir son cap.

IV . 2 . A. Le choix des options

77Dans la situation 2 (voir fig. 3), les élèves de 3e année choisissent majoritairement de venir sur tribord alors que les élèves de 5e année se répartissent également entre les deux options ; cependant la différence qui apparaît entre les deux catégories d’élèves n’est pas significative (χ2(1,49) = 0,832, NS). Deux élèves ont choisi une option qui n’était pas proposée (il s’agit d’une réduction d’allure). Ces participants n’ont pas été retenus dans la suite de l’analyse.

Equation 13
Fig. 3. — Option choisie, dans la situation 1, par les élèves en fonction de leur niveau d’étude / Choice of the participants, in scenario 2, according to their level of study

IV . 2 . B. Les croyances évoquées

78Dans la situation 2, l’effet de symétrie entre les avantages et les inconvénients cités existe (voir tableaux 10 et 11) mais il est moins marqué qu’il ne l’est dans la situation 1.

79Les principaux avantages associés au fait de venir sur tribord sont relatifs à l’évitement de la collision (cette manœuvre permet d’augmenter le DCPA, de clarifier la situation, d’évacuer le danger, d’éviter une situation rapprochée). Dans une moindre mesure (24 % des participants), cette manœuvre est également perçue comme réglementaire. Les principaux inconvénients associés à l’option " maintenir son cap " sont relatifs au risque d’abordage (ou de situation rapprochée) mais ils sont dépendants des actions potentielles de C.

80Choisir de maintenir son cap présente l’avantage de ne pas éloigner le navire de sa route, contrairement à l’option qui consiste à venir sur tribord. Cette option est également perçue comme " économique " par 24 % des individus qui disent qu’elle évite d’avoir à manœuvrer. 16 % des individus pensent qu’elle donne la possibilité d’analyser la situation alors que le fait de venir sur tribord pourrait créer un nouveau risque d’abordage.

81Deux croyances sont évoquées de façon contradictoire. Les actions ou réactions des navires antagonistes sont évoquées comme inconvénients potentiels des deux options. Par ailleurs et surtout, l’option " venir sur tribord " est perçue comme une manœuvre réglementaire par près de 24 % des participants et comme non réglementaire par 24 % également des participants ; alors que l’option " maintenir son cap " est perçue comme réglementaire par environ 10 % de participants. Pour cette catégorie de croyance, il est intéressant de revenir aux effectifs pour remarquer que :

  • 26 participants n’ont fourni aucune réponse (le caractère réglementaire ou non réglementaire n’est associé à aucune des deux options) ;
  • 12 participants répondent que l’option " venir sur tribord " est réglementaire mais ne mentionnent pas que l’option " maintenir son cap " ne l’est pas ;
  • 5 participants écrivent que l’option " maintenir son cap " est réglementaire et que l’option " venir sur tribord " n’est pas réglementaire ;
  • 6 participants n’évoquent que le caractère non réglementaire de l’option " venir sur tribord ".

Equation 14
TABLEAU 10 : Croyances comportementales associées à l’option " venir sur tribord " (situation 2) / Behavioral beliefs for the choice " To turn to starboard " (Scenario 2)
Equation 15
TABLEAU 11 : Croyances comportementales associées à l’option " maintenir son cap " / Behavioral beliefs for the choice " To keep their course "

82La lecture des croyances normatives injonctives (tableaux 12 et 13) met en évidence, dans la situation 2 comme dans la situation 1, l’ambigu ïté du référent " Commandant ". Là encore, il est cité comme susceptible d’approuver une manœuvre sur tribord (par 35 % des individus) et de désapprouver le choix de maintenir son cap (par 24 % des individus) mais il est également cité comme susceptible d’approuver le fait de maintenir son cap (par 43 % des individus qui précisent parfois des conditions, comme le fait que le commandant soit pressé) et de désapprouver une manœuvre sur tribord (par 27 % des individus).

Equation 16
TABLEAU 12 : Croyances normatives injonctives associées à l’option " venir sur tribord " (situation 2) / Normative beliefs for the choice " To turn to starboard " (Scenario 2)

83En ce qui concerne les autres croyances, il existe des symétries identiques à celles qui apparaissaient dans la situation 1 : les autres navires, les institutions et autorités sont perçus comme susceptibles d’approuver une manœuvre sur tribord et de désapprouver le fait de maintenir son cap alors que la compagnie est perçue comme susceptible d’approuver le fait de maintenir son cap et de désapprouver une manœuvre sur tribord.

Equation 17
TABLEAU 13 : Croyances normatives injonctives associées à l’option " maintenir son cap " (situation 2) / Normative beliefs for the choice " To keep their course " (Scenario 2)

84La lecture des croyances normatives descriptives (tableaux 14 et 15) révèle, là aussi, les forts pourcentages de non-réponse associés aux questions de type " qui ne produirait pas... ? ".

Equation 18
TABLEAU 14 : Croyances normatives descriptives associées à l’option " venir sur tribord " (situation 2) / Normative beliefs for the choice " To turn to starboard " (Scenario 2)

85L’ambigu ïté du référent " Commandant " est encore présente, puisque 16 % des individus pensent qu’il viendrait sur tribord et que 24 % pensent qu’il maintiendrait son cap. On retrouve, enfin, comme dans la situation 1, une croyance relative à l’expérience des marins : 24 % des participants pensent qu’un OCDQ inexpérimenté viendrait sur tribord (16 % pensent qu’il ne maintiendrait pas son cap), 27 % des participants pensent qu’un OCDQ expérimenté maintiendrait son cap (12 % pensent qu’il ne viendrait pas sur tribord).

Equation 19
TABLEAU 15 : Croyances normatives descriptives associées à l’option " maintenir son cap " (situation 2) / Normative beliefs for the choice " To turn to starboard " (Scenario 2)

86Dans la situation 2 (voir tableaux 16 et 17), comme dans la situation 1, des considérations générales sont énoncées comme incitant à venir sur tribord et comme inhibant le comportement qui consisterait à maintenir son cap. Mais dans ce cas – et pour cette option – au moins 10 % des élèves citent également des éléments concrets de la situation (vitesse et capacité du navire propre).

87Pour l’option consistant à maintenir son cap, ce sont essentiellement des éléments concrets de la situation qui sont cités comme pouvant inciter à adopter ce comportement (manœuvrabilité et vitesse de A, manœuvre ou réduction d’allure de B ou de C, caractéristiques du trafic) ; ce sont également des éléments concrets qui sont évoqués comme susceptibles d’empêcher le sujet de venir sur tribord.

Equation 20
TABLEAU 16 : Croyances de contrôle associées à l’option " venir sur tribord " (situation 2) / Control beliefs for the choice " To turn to starboard " (Scenario 2)
Equation 21
TABLEAU 17 : Croyances de contrôle associées à l’option " maintenir son cap " (situation 2) / Control beliefs for the choice " To keep their course " (Scenario 2)

IV . 2 . C. Relations entre les variables " option choisie " et " niveau d’étude " et les croyances évoquées

88Les tests de khi-deux ne mettent en évidence, ici, aucune relation significative entre le niveau d’étude et les croyances évoquées. En ce qui concerne l’effet de l’option choisie, on remarque que :

  • les élèves choisissant de " venir sur tribord " sont significativement plus nombreux que les autres à avancer que le fait de maintenir son cap entraînerait un risque de se trouver dans une situation critique si C ne manœuvrait pas (82,14 % contre 52 % (χ2(1,49) = 5,004 ; p .05). Ils sont significativement plus nombreux (54 % contre 10 %, χ2(1,49) = 10,276 ; p .005) que les autres à dire que le commandant approuverait cette manœuvre. Ils sont également significativement plus nombreux (39 % contre 5 %, χ2(1,49) = 7,734 ; p .01) à dire que le commandant désapprouverait le fait de maintenir son cap. Ils sont, enfin, significativement plus nombreux (17,86 % contre 0 %, χ2(1,49) = 4,176 ; p .05) à dire que les OCDQ en général / tout le monde choisiraient cette option ;
  • à l’inverse, les élèves qui choisissent de maintenir leur cap sont significativement plus nombreux (67 % contre 25 %, χ2(1,49) = 8,507 ; p .005) que les autres à dire que le commandant approuverait cette option. Ils sont également significativement plus nombreux (43 % contre 14 %, χ2(1,49) = 5,026 ; p .05) à penser que le commandant désapprouverait le fait de venir sur tribord. Ils sont, enfin, significativement plus nombreux (43 % contre 11 %, χ2(1,49) = 6,704 ; p .01) à dire que le commandant choisirait cette option.

IV . 2 . D. Conclusion

89La situation 2 comporte une ambigu ïté certaine, puisque – selon la lecture qui est faite du règlement – on peut considérer qu’il faut venir sur tribord ou, au contraire, qu’il faut maintenir son cap. En situation réelle, les officiers cherchent à prendre le contrôle de la situation en manœuvrant très tôt. Ce cas comporte également une part d’incertitude, incertitude sur les intentions d’autrui ; incertitude que les officiers cherchent à lever en agissant de façon à " obliger l’autre à manœuvrer ".

90Chez les élèves – comme chez les enseignants – l’ambigu ïté de la situation transparaît dans les croyances comportementales qui sont évoquées ; ainsi, " venir sur tribord " peut être perçu comme réglementaire ou au contraire comme non réglementaire et, bien souvent, l’aspect réglementaire des options n’est pas mentionné. Mais, contrairement à ce qui a été observé en situation réelle, ni les enseignants ni les élèves (ou très peu d’élèves) ne mentionnent le fait que " venir sur tribord " permettrait de prendre le contrôle de la situation.

91Comme dans la situation 1, les questions portant sur les croyances de contrôle font l’objet de nombreuses non-réponses et d’une grande variété de réponses.

92Enfin, comme dans la situation 1, c’est l’exemple du commandant et son jugement qui semblent être décisif dans la décision prise par les élèves et cela, quel que soit leur niveau d’étude.

V. DISCUSSION ET CONCLUSION

93Le recensement des croyances nous a permis de tester l’hypothèse générale selon laquelle la fréquence des croyances citées varie selon l’option choisie par les participants. Plus particulièrement, nos résultats montrent que les croyances sur les jugements et les actions du commandant varient selon l’option choisie. Ces résultats suggèrent que, quelle que soit l’option choisie, ces croyances prennent une place centrale dans la prise de décision.

94Dans la situation 1, il s’agit en fait de choisir entre une option réglementaire (la règle formelle) et une option qui apparaît comme non réglementaire ou " en limite du règlement ". L’option réglementaire (règle formelle) permet de concilier différents buts (sécurité, conformité à la règle et aux attentes d’autrui). L’autre option (règle informelle) satisfait à un objectif d’économie. Cette règle est fréquemment appliquée dans la réalité (25 % des manœuvres des car-ferries observées dans le Pas-de-Calais consistent à venir sur bâbord quand ils se trouvent dans la situation du navire non privilégié). En situation réelle de travail, les professionnels qui utilisent cette règle la justifient au regard des éléments de la situation. Dans la situation expérimentale que nous avons construite, les élèves (et l’enseignant) qui privilégient cette règle évoquent peu les éléments de la situation (croyances de contrôle). L’hypothèse que nous posions n’est donc pas validée. Nous sommes, à l’issue de cette expérience, amenés à remarquer que tout se passe comme si la décision était liée au " poids " attribué aux résultats du comportement (buts de sécurité ou recherche d’économie) mais aussi, pour les élèves, à l’avis du commandant qui semble être le déterminant principal de la prise de décision.

95Dans la situation 2, il s’agit de choisir entre deux interprétations d’une règle formelle. En ce qui concerne les croyances comportementales – et à l’inverse de la situation 1 – la recherche de sécurité et la volonté de se conformer au règlement ne sont pas associées à une option. Les élèves, à l’inverse des professionnels, ne parviennent pas à concilier ces différents buts ; cela explique certainement qu’aucune des options proposées ne fait l’unanimité. Dans cette situation, comme dans la situation 1, les croyances de contrôle ne semblent pas constituer des éléments déterminants dans la prise de décision. Là encore, il semble que la décision soit liée au " poids " attribué aux résultats du comportement, ainsi qu’à l’avis du commandant.

96Ces résultats confirment l’ambigu ïté de la règle s’appliquant à la deuxième situation. Les professionnels la contournent en évitant de rentrer dans le champ d’application de la règle ; essentiellement, afin de ne pas se rendre dépendants des actions d’un navire qui risque de ne pas appliquer la priorité due. Les enseignants interrogés adoptent deux lectures différentes de la règle et la majorité des élèves envisagent la situation sans faire référence à la règle. Ces résultats amènent à s’interroger sur l’efficacité de la règle 17 mais aussi sur son application en situation réelle et sur les conditions de sa transmission dans le cadre de la formation des élèves-officiers.

97Cette étude présente des limites. Il est difficile d’interpréter les différences de réponses entre les élèves de 3e et de 5e année. L’effectif n’a pas permis de croiser les deux variables indépendantes (option et année d’étude). Cependant, elle présente un intérêt certain pour la formation et ouvre des perspectives pour de futures recherches.

98Elle pose la question du rôle joué par le commandant dans la prise de décision des équipages. Sur ce point précis, elle invite à mener, auprès de professionnels, une enquête similaire à celle qui est présentée dans cet article. À ce stade des recherches menées, elle incite à penser qu’il est nécessaire, dans le cadre de la formation continue, d’attirer l’attention des commandants sur leur influence, sur la notion de culture d’équipage, sur les notions de règles formelles et de règles informelles.

99Elle pose la question du poids des croyances de contrôle dans la prise de décision. Les éléments de la situation, en particulier, sont peu évoqués. On peut faire plusieurs hypothèses à ce sujet : il peut s’agir d’un effet du mode statique de présentation des situations ou bien d’un effet de la formulation des questions portant sur les croyances de contrôle. Le peu d’éléments de la situation évoqués en réponse aux questions portant sur les croyances de contrôle conduit aussi à se demander quelles informations sont perçues et analysées par les élèves pour prendre une décision et quelles informations devraient être perçues, comprises ou anticipées. Une étude en cours vise à répondre à ces questions. Elle présente une situation dynamique et utilise un questionnement portant sur la représentation que les élèves construisent à propos de la situation.

100Ces questionnements amènent à envisager trois investigations complémentaires à l’étude qui a déjà été réalisée. La passation de questionnaires, auprès d’élèves-officiers, visera à mesurer la valeur et la probabilité subjective associées aux différentes croyances évoquées ; cela, pour mesurer le poids des différents facteurs dans la détermination de l’intention comportementale. Ces questionnaires seront distribués également auprès de professionnels. Enfin, nous étudierons, en situation simulée, la représentation que les élèves élaborent sur une situation donnée (situation awareness). Ces questionnements conduisent donc à envisager la confrontation de deux approches – l’une issue de la psychologie sociale et l’autre de la psychologie cognitive – pour mieux cerner le rôle, dans la prise de décision des élèves, des buts poursuivis, de l’interprétation et de la compréhension de la règle, du jugement d’autrui (le commandant) et de la situation awareness.

ANNEXE 1 : SITUATION 1

101Vous êtes chef de quart à la passerelle d’un car-ferry traversant le Pas-de-Calais (navire A) ; il y a également un veilleur à la passerelle. Le vent est faible et la visibilité est bonne.

102Après être venu sur tribord pour éviter un voilier (C), vous constatez que vous êtes en route de collision avec un cargo B qui se trouve dans le rail descendant. Il n’y a pas d’autre danger que le navire B. A croise B sur l’avant de B. Vous vous trouvez légèrement à droite de votre route théorique.

Equation 22

ANNEXE 2 : SITUATION 2

103Vous êtes chef de quart à la passerelle du navire A (un car-ferry effectuant la traversée entre Douvres et Calais). Il y a également un veilleur sur la passerelle.

104Le vent est faible et la visibilité est bonne. Vous allez croiser le rail descendant. Vous êtes à 0,5 nm à droite de votre route.

105Vous observez les cargos B et C depuis plusieurs minutes et vous constatez que :

  • le cargo B a légèrement réduit sa vitesse (de 2 nœuds) mais n’a pas modifié son cap ;
  • le cargo C n’a modifié ni son cap, ni sa vitesse.

Equation 23

106Manuscrit reçu : février 2005.
Accepté par R. Amalberti après révision : janvier 2006.

BIBLIOGRAPHIE

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Mots-clés éditeurs : Théorie du comportement planifié, Conduite de navire, Interaction, Prise de décision, Situation dynamique, Anticollision

https://doi.org/10.3917/th.701.0033

Notes

  • [1]
    COLREG : Collision Regulation.
  • [2]
    Relèvement : direction dans laquelle on aperçoit l’autre navire.
  • [3]
    DCPA : Distance at Closest Point of Approach (distance qui séparera les deux navires quand ils seront au plus près l’un de l’autre).
  • [4]
    TCPA : Time to Closest Point of Approach (temps restant avant d’atteindre le CPA).
  • [5]
    Non privilégié : expression du vocabulaire nautique signifiant que le navire n’est pas prioritaire étant données les caractéristiques de la situation (il voit l’autre navire sur sa droite).
  • [6]
    Privilégié : terme nautique signifiant que le navire est prioritaire, étant données les caractéristiques de la situation (il voit l’autre navire sur sa gauche).
  • [7]
    Option 1 : il s’agit de l’option " venir sur tribord ", pour la situation 1 comme pour la situation 2.
  • [8]
    Option 2 : il s’agit de l’option " venir sur bâbord " pour la situation 1 et de l’option " maintenir son cap " pour la situation 2.
  • [9]
    ETA : Expected Time of Arrival (Heure prévue d’arrivée).
  • [10]
    La règle 17 stipule que : i) lorsqu’un navire est tenu de s’écarter de la route d’un autre navire, cet autre navire doit maintenir son cap et sa vitesse ; ii) néanmoins, ce dernier peut manœuvrer, afin d’éviter l’abordage par sa seule manœuvre, aussitôt qu’il lui paraît évident que le navire qui est dans l’obligation de s’écarter de sa route n’effectue pas la manœuvre appropriée prescrite par les présentes Règles.
  • [11]
    La règle 16 stipule que : tout navire qui est tenu de s’écarter de la route d’un autre navire doit, autant que possible, manœuvrer de bonne heure et franchement de manière à s’écarter largement.

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