Notes
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[1]
On peut envisager, avec la prudence nécessaire, que d’autres traces que des documents vidéos puissent faire l’objet d’un travail d’autoconfrontation croisée. Sur ce point on peut consulter le travail de M. Bournel-Bosson (2003).
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[2]
À tel point qu’on pourrait aussi la comparer à un dispositif de formation (Clot, 2000 ; Leplat, 2002 ; Yvon & Clot, 2003).
I. INTRODUCTION
1En psychologie du travail et en ergonomie, l’expression de « méthode clinique » ne fait pas partie de la terminologie courante. Pourtant, quand on regarde d’un peu plus près ce qui se passe dans ces deux domaines, on y trouve de nombreuses traces qui évoquent cette méthode. L’analyse du travail, qui tient une large place dans les deux disciplines, met souvent en œuvre des méthodes qui sont proches de la méthode clinique. Il nous a donc semblé utile de confronter ces méthodes en prenant comme référence la méthode clinique sous sa forme classique et de montrer finalement comment nombre de méthodes d’ergonomie et de psychologie du travail peuvent être considérées comme des variantes de la méthode clinique. Ce faisant, on est amené à enrichir la méthode clinique en même temps que les modèles de l’activité. Mais cette analyse devrait contribuer à faire apparaître deux facettes de la méthode clinique selon que celle-ci est centrée sur la connaissance de l’activité (et que sa visée est prioritairement épistémique) ou sur la transformation de cette activité dans l’étude qui en est faite (et que sa visée est alors double, à la fois pratique et épistémique). Ces deux facettes sont à envisager dans leur relation dialectique et nous essaierons de montrer qu’elles peuvent enrichir les connaissances et les pratiques dans les deux disciplines concernées. On fera ressortir, enfin, l’intérêt de reposer sur d’autres bases le problème de la généralisation.
II. LA MÉTHODE CLINIQUE CENTRÉE SUR LA CONNAISSANCE DE L’ACTIVITÉ
2La méthode clinique a marqué les premiers développements des études en ergonomie et en psychologie du travail. Sa visée est alors épistémique, car orientée essentiellement vers l’acquisition de connaissances sur une situation de travail, celle-ci étant comprise comme le couplage de l’opérateur avec ses conditions de travail. Cette première partie présentera d’abord quelques commentaires généraux sur la notion de « clinique » et sur ses associations avec le terme de « psychologie », ce qui conduira à dégager des traits caractéristiques de la méthode. Elle rapprochera ensuite la méthode clinique de l’analyse de l’activité telle qu’elle est pratiquée en psychologie du travail et en ergonomie : cette réflexion sera introduite et illustrée par un bref historique et conclue par l’identification de variantes de la méthode clinique. Enfin, sera discutée une possible articulation de cette dernière avec la méthode expérimentale.
II . 1. LA MÉTHODE CLINIQUE DANS L’ANALYSE DE L’ACTIVITÉ
II . 1 . A. Autour de la définition
3Le dictionnaire de Littré nous apprend que le mot de clinique vient de lit, clinicus, en latin, clinè, en grec. Il le commente ainsi : « Terme de médecine, qui se fait au lit du malade (...) médecine clinique : celle qui s’occupe du traitement des maladies considérées individuellement ; médecin clinique : celui qui visite les malades par opposition à celui qui donne des consultations. » Ce mot de clinique employé à la fois comme adjectif et comme substantif a un caractère fortement polysémique. Dans cette première partie, on examinera sa signification comme adjectif.
4L’origine médicale du terme explique que la psychologie clinique ait été plus ou moins confondue avec la psychologie médicale et avec la psychopathologie. Les psychologues ont réagi à ce rétrécissement de la signification de l’expression et Favez-Boutonnier (1986) a justement noté qu’ « il est clair que la psychologie clinique ne s’applique pas uniquement à l’homme malade, mais à tout être humain vivant dans une situation déterminée que l’on se propose d’observer et de comprendre » (p. 194). On peut rappeler aussi la définition de la psychologie clinique donnée par Piéron dans son Vocabulaire de la psychologie : « Science de la conduite humaine fondée principalement sur l’observation et l’analyse approfondie de cas individuels, aussi bien normaux que pathologiques, et pouvant s’étendre à celle de groupes. Concrète dans sa base, et complétant les méthodes expérimentales d’investigation, elle est susceptible de fonder des généralisations valables. » Pour Dejours, le terme clinique désigne « une démarche partant du terrain, se déployant sur le terrain et retournant constamment au terrain » (1996, p. 158).
5Un second usage de l’adjectif qui nous intéresse plus directement ici l’associe à la notion de méthode. On peut citer ce passage de Gréco (1968) pour faire la transition avec le paragraphe précédent. « Analyser une conduite pour le psychologue clinicien, ce n’est pas la décomposer en segments et en processus élémentaires, c’est la décrire en détail et, par un jeu subtil de regroupements et de recoupements dont les règles ne sont pas toujours fixées de façon explicite, faire apparaître une signification qui n’était directement lisible ni pour l’observateur profane ni, a fortiori, pour le sujet conscient lui-même. » Pour Lagache (1949), la méthode clinique est l’ « étude intensive des cas individuels ». Elle consiste à « envisager la conduite dans sa perspective propre, relever aussi fidèlement que possible les manières d’être et de réagir d’un être humain complet et concret aux prises avec une situation, chercher à en établir le sens, la structure et la genèse, déceler les conflits qui le motivent et les démarches qui tendent à résoudre ces conflits » (p. 14-15). Piaget (1947) voyait la méthode clinique comme participant de l’expérience (nous y reviendrons plus loin) et de l’observation directe (p. XIII).
6Gréco (1968) note « deux caractéristiques fondamentales de l’approche clinique : elle est casuistique, puisqu’elle s’intéresse d’abord à des cas individuels qui ne sont jamais rigoureusement comparables ; elle est holistique (ou globaliste), puisque ses interprétations se réfèrent à un ensemble synchronique et diachronique de conduites, et non pas aux seules relations régulières entre conduites actuelles et situations qui les provoquent ».
7L’expression de méthode clinique amène à s’interroger sur la notion de méthode. À un pôle, celle-ci tend à être synonyme de technique ; à un autre pôle, elle se rapproche de celle de démarche au sens vague d’attention à un cas singulier. C’est dans une zone intermédiaire que se situeront la plupart des travaux rapportés ici, qui seront souvent marqués par la mise en œuvre coordonnée de différentes techniques. La psychologie du travail va spécifier la méthode clinique en lui donnant pour objet d’étude la situation de travail, c’est-à-dire le couple formé par le sujet, d’une part, sa tâche et son environnement, d’autre part. La situation prise en compte pourra avoir une extension plus ou moins large selon l’unité de travail considérée : tâche élémentaire, événement survenu au cours de l’activité, poste de travail, journée de travail, segment de vie professionnelle, etc. Cette situation sera abordée alors en conservant les traits essentiels de la méthode qui seront développés maintenant.
II . 1 . B. Traits généraux de la méthode
8Les commentaires précédents permettent de dégager quelques traits essentiels de la méthode clinique qui seront exploitables dans l’étude de l’activité.
91 / Elle considère son objet d’étude dans sa globalité.
102 / Elle a un caractère approfondi et examine son objet dans toute sa complexité.
113 / Elle accorde une importance particulière au rôle du (ou des) sujet(s).
12On ajoute parfois le trait suivant que certains considèrent comme essentiel : « Elle implique une interaction avec l’objet étudié. » Ce point a été souligné par Nahoum (1973) dans un chapitre consacré à « la méthode clinique en psychologie appliquée ». « Les stratégies cliniques sont très diverses et peuvent même entrer en conflit ; mais ce qui les caractérise toutes, c’est qu’elles tiennent compte des effets de l’interaction que le clinicien a avec le sujet. (...) Le psychologue essaie de ne pas oublier qu’il fait partie du dispositif expérimental » (p. 121). Ce qui fait plus spécifiquement le caractère de la méthode clinique sur ce point, c’est non seulement l’interaction, le rôle joué plus ou moins à son insu par celui qui mène l’étude, mais surtout le souci de prendre en compte ce rôle dans l’analyse.
13Les deux premiers traits rapprochent la méthode clinique de celle de l’étude de cas, les deux derniers constituent une spécification de cette dernière méthode. On retrouvera ces traits dans toute étude qualifiée de clinique, où ils peuvent être présents à des degrés divers et accompagnés d’autres traits, plus spécifiques, liés aux objectifs, à la situation et aux moyens.
II . 1 . C. La méthode clinique parmi les autres méthodes
14L’analyse de l’activité en situation de travail pratiquée en psychologie et en ergonomie peut être entreprise avec diverses méthodes dont il est bon d’en présenter quelques-unes pour mieux situer la place de la méthode clinique. Ces méthodes figurent dans les manuels de ces disciplines : on en trouve quelques-unes des plus classiques, commentées, par exemple, dans Faverge (1972) et Leplat (2000). Bisseret, Sébillotte et Falzon (1999) en ont présenté également un inventaire pour l’étude des activités expertes. La plupart de ces méthodes s’attachent à identifier le rôle de certains déterminants de l’activité pour une classe plus ou moins large de tâches. Les données recueillies, par observation, questionnaire, sur les traces de la production, etc., font souvent l’objet d’un traitement statistique visant à les structurer ou à vérifier des hypothèses. Par exemple, on étudiera l’effet des horaires variables, le rôle de tel type d’informatisation, de telle organisation d’équipe de travail, en recueillant des données sur des situations diverses choisies en fonction d’hypothèses préalables ou pour élaborer des hypothèses en relation avec l’objet de la recherche.
15Les problèmes changent lorsqu’on considère la perspective d’une intervention particulière. Dans ce cas, il s’agit, pour l’intervenant, de définir les transformations qui permettront de satisfaire un certain nombre d’exigences fixées à cette intervention : améliorer les compétences des agents concernés, rendre telle situation plus fiable, faciliter tel type d’opération. Il devient alors utile, sinon indispensable, de connaître très bien la situation à améliorer, que ce soit pour définir le type d’intervention le plus pertinent ou pour rendre plus efficace celui qui a été choisi. On est alors amené à examiner comment se nouent, dans une situation singulière, les différentes composantes dont les études extensives évoquées plus haut auront montré l’importance. Cette focalisation de l’analyse de l’activité sur une situation singulière la rapproche ainsi de la méthode clinique. Ce rapprochement n’est pas toujours fait explicitement, mais il est justifié comme le mettra en évidence la partie suivante.
II . 2. LA MISE EN ŒUVRE DE LA MÉTHODE CLINIQUE DANS L’ANALYSE DE L’ACTIVITÉ
16Dans cette partie seront présentés quelques cas typiques de la mise en œuvre de la méthode clinique dans l’analyse de l’activité, en commençant par de brefs rappels historiques.
II . 2 . A. Rappels historiques
17On a choisi d’illustrer ce rappel en examinant la place de la méthode clinique dans les recherches de Lahy et Pacaud, de Faverge et de Suchman.
La méthode clinique chez Lahy et Pacaud
18La méthode clinique s’inscrit dans les analyses du travail présentées par les auteurs, analyses dont ils soulignent fortement l’intérêt. Ainsi, Lahy (1948) écrivait : « L’analyse du travail est la chose la plus longue et la plus difficile, car c’est elle qui pose avec précision le problème scientifique. Prétendre pouvoir résoudre un problème de cet ordre sans analyse préalable du travail reviendrait à prescrire des médicaments à un malade sans l’avoir examiné ou encore à vouloir perfectionner une machine sans connaître ni sa construction, ni son fonctionnement. (...) Celui qui s’engage dans une étude de cette sorte sans savoir où il va ne trouvera rien que par hasard, ce qui est la négation même de la méthode scientifique » (p. 2). Lahy et Pacaud (1931), dans un article présentant la sélection des opératrices sur machines-comptables, notaient que « l’analyse préalable que le psychotechnicien doit faire avant de rechercher les aptitudes psychomotrices d’un travailleur, est une partie essentielle de son étude. Si l’on décrivait, dans leur détail, ces analyses longues et méticuleuses, elles alourdiraient abusivement les publications psychotechniques » (p. 132). On peut regretter que cette description soit si peu explicitée dans leurs études car elle représente, sans doute, le moment privilégié pour l’usage de la méthode clinique.
19Cette analyse de l’activité est pratiquée dans le cadre de la théorie des aptitudes et il est intéressant de noter qu’elle fait ressortir les défauts et difficultés de cette théorie. « Lorsqu’on a déterminé les attitudes mentales et motrices du sujet pendant qu’il exécute son travail, il faut les exprimer en langage psychologique. Or il n’y a pas de correspondance rigoureuse entre chacune de ces attitudes et les “fonctions” qui, suivant les données de la psychologie classique, “morcellent” l’individu. Lorsque nous croyons déceler, par exemple, que l’attention intervient dans un travail, nous sentons cependant que les tests ordinaires d’attention concentrée ou d’attention diffusée ne parviendront pas à atteindre la fonction – très complexe – mise effectivement en jeu » (p. 133).
20Le résultat de l’analyse se traduit par une série d’exigences du travail, par exemple : « 1 / une excellente acuité visuelle ; 2 / de l’attention concentrée et continue ; 3 / de la mémoire en général et surtout de la mémoire immédiate des chiffres et de leurs dispositions typographiques ; 4 / une compréhension rapide ; 5 / des réactions psychomotrices rapides et régulières ; 6 / de l’ambidextrie ; 7 / de la résistance à la fatigue ; l’aptitude au travail monotone sans automatisation mentale » (p. 138). Cette liste va servir à choisir les tests qui seront utilisés ultérieurement pour l’examen. Dans d’autres cas, l’analyse servira à concevoir des tests originaux concrétisant, en quelque sorte, des hypothèses faites sur les fonctions mises en œuvre dans l’activité.
21La méthode clinique dont il vient d’être question est orientée vers la tâche : les auteurs ne s’intéressent pas, à ce stade, aux particularités des sujets, mais à celles du travail, aux conditions d’exécution de la tâche, à l’étude de ce que celles-ci requièrent de la part des opératrices.
22Dans ce même article de Lahy et Pacaud (1931) est aussi exposée une autre utilisation très typique de la méthode clinique, centrée sur les employées elles-mêmes. Dans la partie intitulée « Psychologie des employées », on trouve une analyse des activités de certaines employées à partir d’anomalies dans les résultats aux tests. « Le comportement de certains sujets dans chacun des tests est de nature à nous fournir des renseignements curieux et souvent intéressants pour le travail professionnel. C’est ainsi que H..., très inférieure dans la régularité des temps de réactions, se signale dans son travail professionnel par un faible rendement 600 au lieu de 800 dû à des arrêts incessants causés par des erreurs remarquées par elle et des gommages fréquents. Son incoordination psychomotrice lui fait faire des fautes, mais sa supériorité en attention concentrée et une certaine aptitude au travail monotone, lui permettent de suivre son travail et de rectifier ses erreurs » (p. 148).
La méthode clinique chez Faverge
23Faverge a beaucoup critiqué l’analyse du travail conduite dans le cadre de la théorie des aptitudes. Cette critique a d’abord porté sur la « théorie » sous-jacente à la méthode Carrard alors à l’honneur dans l’organisme de FPA (Formation professionnelle des adultes) de l’époque auquel appartenait le CERP (Centre d’étude et recherches psychotechniques) dont Faverge dirigeait les recherches. Il lui reprochait la définition imprécise de ces aptitudes et la décomposition arbitraire de l’activité qu’elle entraînait : « Ainsi donc, nous pouvons avancer que les fameuses aptitudes ne peuvent être isolées de certaines structures, qu’en le faisant on détruit les molécules dont nous avons parlé et qu’une analyse du travail en termes d’aptitude n’est que verbalisme » (Faverge, 1952).
24Pour ces mêmes problèmes d’orientation et de sélection dont il était question ici, Faverge préconisait non pas une combinaison de tests préétablis, mais une analyse soigneuse du travail qui avait forcément un caractère clinique. Il en donne un bel exemple avec l’aptitude dite de « coup d’œil ». Il note que celle-ci « se retrouve dans un grand nombre de situations de travail et peut avoir chaque fois un sens différent » (Faverge, 1955, p. 99). Il souligne la nécessité et l’intérêt de recourir à l’analyse du travail pour donner un contenu précis aux activités souvent fort diverses recouvertes par cette notion. Retenons un des exemples qu’il mentionne justement pour le coup d’œil : « L’analyse du travail que nous avons faite de l’apprentissage du briquetage a montré l’importance de bonnes visées. L’opération de visée a été étudiée et nous avons tenté de reproduire ses caractères dans une épreuve » (ibid., p. 230). Ainsi, l’analyse de l’activité de visée montre que sa réussite n’est pas liée à la possession d’une aptitude, mais à une compétence acquise qui consiste à placer son œil au bon endroit. La validité du test issu de l’analyse est en même temps l’épreuve de l’hypothèse dérivée de l’analyse clinique de l’activité. Dans ces mêmes pages, Faverge montrait aussi les dangers d’une analyse sommaire du travail, à partir d’une tâche de soudage au chalumeau, qui conduisait à une identification erronée de la difficulté critique de l’activité.
25Dans un numéro spécial du Bulletin de psychologie consacré à la psychologie clinique, Faverge (1968) avait consacré un article à « la démarche clinique en psychologie industrielle » dans l’introduction duquel il affirmait : « Mon expérience m’a convaincu de la nécessité de faire une place essentielle à la démarche clinique en psychologie industrielle » (p. 904). Il y voyait un stimulant pour la recherche et « une motivation pour aller de l’avant » issue des « schémas personnels » qu’elle fait naître (p. 907). Il situait cette démarche clinique au début et au terme d’une étude. Au début, elle permet de définir une perspective de recherche pertinente au sens où elle élabore les problèmes pertinents à la question posée. On reconnaît là la fonction du diagnostic préalable à toute étude d’intervention. La démarche clinique intervient aussi au terme de l’étude lorsqu’il s’agit d’interpréter les résultats. « L’établissement d’une relation statistique ne saurait être le point final ; elle doit être interprétée pour avoir place en psychologie. L’activité d’interprétation s’accompagne du retour en l’esprit de toutes les modalités d’influence entrevues sur des cas particuliers dans la phase clinique » (p. 904). Faverge a bien vu aussi que cette phase d’interprétation « ouvre la porte à l’action et en dessine les moyens » (p. 905). Il considère l’interprétation comme un « discours d’explication et de déclenchement d’action ; elle exprime à la fois une genèse et une possibilité éventuelle de modifier ultérieurement les termes de cette genèse » (ibid.). Cet auteur a donc bien noté la première voie par laquelle la méthode clinique, par sa visée épistémique, pouvait conduire à l’action. Il illustrait ainsi une phase du processus dialectique « comprendre pour transformer, transformer pour comprendre » ; l’autre phase sera traitée dans notre seconde grande partie. Faverge voit aussi l’intérêt de la méthode clinique dans l’analyse du mode d’acquisition de l’expérience et dans l’analyse des compétences tacites ou incorporées.
La méthode clinique chez Suchman
26La notion d’action située développée par Suchman (1987) et inspirée par les travaux d’ethnométhodologie a été largement exploitée, et en tout cas citée, dans les recherches de psychologie du travail et d’ergonomie. Pour l’auteur, « le terme d’action située souligne le point de vue que chaque cours d’action dépend de manière essentielle de ses circonstances matérielles et sociales. Plutôt que d’essayer d’abstraire l’action de ses circonstances et de la représenter comme un plan rationnel, il s’agit d’étudier comment les gens utilisent les circonstances pour réaliser une action intelligente » (p. 50). « La situation est cruciale pour l’interprétation de l’action » (p. 178). Quoique les recherches de Suchman ne soient pas en général indexées à la psychologie du travail (encore que le sous-titre de son livre soit « Le problème de la communication homme-machine »), la perspective qu’elles proposent est bien celle de la méthode clinique suivie dans l’analyse de l’activité en situation de travail. Les exemples donnés dans son ouvrage témoignent bien de cette parenté.
II . 2 . B. La méthode clinique dans les interventions
27On peut supposer que la démarche clinique est toujours présente, au moins au début de toute intervention, car on conçoit mal que celle-ci puisse s’organiser sans une investigation, au moins sommaire, de la situation objet de cette intervention. Le diagnostic comporte donc souvent une composante clinique. Cependant, quand on consulte les Actes des congrès d’ergonomie, par exemple, qui comportent beaucoup de textes relatant des interventions, on est surpris de constater que cette phase initiale dans laquelle une démarche de type clinique est intervenue est peu souvent mentionnée, et, quand elle l’est, rarement explicitée. Les auteurs ont sans doute, à tort, le sentiment qu’elle est banale et ils en viennent directement à l’explicitation du problème qu’ils ont choisi de traiter suite à leur investigation initiale. Il en résulte que les solutions proposées souffrent souvent d’un certain réductionnisme.
28On trouve des modèles d’explicitation de la démarche clinique dans quelques méthodes d’analyse du travail. La plus ancienne est celle des incidents critiques dont Flanagan est à l’origine et qui a été présentée et illustrée en français par Gendre (1968). Cette méthode a été revue et enrichie ultérieurement par Hoffman, Crandal et Shadbolt (1998) sous le nom de « méthode de décision critique ». Cette dernière est présentée comme une méthode d’analyse d’une tâche cognitive, également comme une étude de cas. Elle invite d’abord le sujet à rappeler un incident dans lequel il a été impliqué, puis une série d’étapes et de questions sont prévues pour lui faire expliciter et approfondir le déroulement de cet incident. On a bien là une démarche de type clinique, même si elle est focalisée uniquement sur les aspects cognitifs de l’activité par ses auteurs, focalisation discutable.
II . 2 . C. Les aspects cliniques de la recherche en psychologie ergonomique
29Dans la mesure où elles se veulent ergonomiques en même temps que psychologiques, les recherches font référence aux situations de travail et situent la composante de l’activité à laquelle elles s’intéressent par rapport à cette situation. Pour cela, il est nécessaire d’analyser l’activité en situation, ne serait-ce que pour justifier le choix qui a été fait de la perspective privilégiée. On peut illustrer cette démarche à partir des travaux conduits par Amalberti, Hoc et leurs associés sur les activités cognitives dans des situations dynamiques. Ce type de situation dont l’étude requiert la prise en compte de la dimension temporelle exige, plus que toute autre, le recueil de données sur le développement de l’activité au cours de l’évolution de la situation. Dans les recherches des auteurs cités, les données de base sont constituées « d’observables recueillis en situation réelle de travail » (Hoc & Amalberti, 1999, p. 98). « L’objectif de l’analyse est de parvenir à définir certaines des caractéristiques d’un modèle spécifique à la situation considérée, soit à un niveau conceptuel, soit à des niveaux plus formalisés » (ibid., p. 98). « Les observables sont généralement constitués de plusieurs types de protocoles à synchroniser, notamment les comportements verbaux (recueillis soit en temps réel, soit dans des situations d’autoconfrontation), les comportements non verbaux, sans oublier l’évolution du processus externe, partiellement contrôlé par l’opérateur » (ibid., p. 98). Les protocoles sont ensuite analysés à partir d’un codage qui distingue trois grandes catégories d’activités : les activités d’élaboration d’information, les activités de diagnostic se prolongeant en pronostic, les activités liées à la prise de décision. Comme le remarquent les auteurs, « un schéma de codage n’est pas en soi une explication de l’activité, car il ne fait que la décrire dans les termes d’une architecture cognitive préexistante » (ibid., p. 121) qui a été antérieurement présentée. On trouvera dans les articles des auteurs des exemples de l’utilisation de ce codage (Amalberti & Hoc, 1998 ; Hoc & Amalberti, 1994, 1999 ; Hoc & Carlier, 2000).
30Pour ce type de recherche, on pourrait peut-être parler de méthode clinique cognitive, au sens où il s’agit d’une étude approfondie d’une activité singulière, mais dans une perspective particulière relative au mode de fonctionnement du système cognitif considéré en référence à une architecture d’un certain type. On peut retenir cette remarque des auteurs précédents, à propos de la difficulté d’application de leur méthode, valable également pour la méthode clinique en général. « On peut s’interroger sur les bienfaits d’une analyse superficielle d’un grand nombre d’opérateurs par rapport à une analyse en profondeur de l’activité d’un petit nombre d’opérateurs. Tout porte à penser qu’une analyse superficielle ne peut atteindre que des variables de surface. Sous prétexte d’une plus grande représentativité de l’échantillon étudié, on peut être conduit à passer à côté de ce qui constitue fondamentalement l’activité et qui doit nécessairement guider la mise au point des principes d’une intervention » (Hoc & Amalberti, 1999, p. 123).
31Il faut aussi citer ici les nombreux travaux que Theureau (1992) et ses associés (par exemple, Theureau & Jeffroy, 1994) ont conduit sur le « cours d’action » et son « organisation intrinsèque ». On pourra trouver, dans ces travaux qui allient une réflexion théorique approfondie à des mises en œuvre dans des domaines variés, matière à illustrer et à enrichir la méthode clinique.
II . 2 . D. La méthode clinique dans l’étude des effets non souhaités de l’activité
32L’activité conduit parfois à des effets non visés par le sujet : erreurs, incidents, accidents. Des effets non souhaités accompagnent aussi éventuellement des effets qui eux étaient bien visés. Ces effets parasites ont été souvent décrits en analyse du travail : par exemple, le conducteur a bien évité un obstacle, mais, ce faisant, il en a heurté un autre. La connaissance et l’analyse de ces effets indésirés sont particulièrement utiles pour l’analyse de l’activité quand ces effets ne sont pas seulement considérés sous l’angle négatif, mais comme des symptômes révélateurs des caractéristiques de l’activité. La méthode clinique a trouvé un champ privilégié d’application dans l’étude de ces effets non souhaités et les méthodes d’analyse du travail en offrent de nombreux exemples, même si ceux-ci ne font pas référence à la méthode clinique.
33Ainsi, la méthode de l’arbre des causes constitue un exemple typique de parenté avec la méthode clinique. Elle a été élaborée pour l’analyse des accidents : elle vise à reconstituer l’organisation des causes qui ont contribué à la production de l’accident (Chesnais, 1993 ; Leplat, 1985, 2000 ; Masson, 1989-1990). Elle consiste à remonter des causes proches aux causes lointaines de l’accident en ne retenant, dans un premier temps, que les causes constituant une variation par rapport au déroulement habituel de l’activité. Les causes sont organisées sous forme d’un arbre qui peut remonter plus ou moins loin dans la genèse. L’identification des causes et les relations établies entre elles dépendent pour une part de la représentation que l’analyste se fait de la genèse de l’accident, si bien que les arbres correspondant au même accident pourront varier avec la personne ou le groupe qui les a élaborés. La construction de ces arbres soulève donc le problème de l’attribution causale et des facteurs qui la conditionnent. L’explication causale na ïve des accidents, celle que font des non-spécialistes, a été bien présentée par Kouabenan (1998) qui en a identifié notamment les sources de biais. On retrouve bien dans cette méthode des traits importants de la méthode clinique, en particulier l’étude d’une situation singulière dans sa globalité, avec le rôle que peut jouer l’analyste dans la reconstitution et l’interprétation des faits. La méthode se réalise à partir des traces de l’activité et des témoignages puisque l’accident n’a pas, généralement, été observable par celui ou ceux qui l’analysent.
34On découvrira aussi des traces de la méthode clinique dans la méthode des incidents critiques et dans les analyses dites de retour d’expérience.
II . 2 . E. Variantes de la méthode clinique
35On essaiera de caractériser quelques types de variantes par des traits de la situation considérée : on constatera que seuls certains ont été exemplifiés ci-dessus.
36— Complexité totale ou partielle. La situation considérée peut être examinée dans toute sa complexité, sans privilégier au départ aucune perspective d’analyse (au moins, en principe). C’est le cas là aussi, en principe, du diagnostic dans l’analyse du travail, qui vise, justement, à apprécier le rôle joué par les différentes dimensions ou composantes de la situation afin d’apprécier celles auxquelles une attention particulière devra être accordée.
37Mais la situation peut être examinée aussi de manière très fine et approfondie en privilégiant un de ses aspects : moteur, cognitif, social, etc. La démarche clinique sera alors sélective s’attachant à considérer seulement ce qui concerne le point de vue choisi. Un exemple typique en est fourni par les études de Hoc et Amalberti mentionnées plus haut et conduites dans une perspective de psychologie cognitive. Ces auteurs notent qu’ « à partir d’observables recueillis en situation réelle de travail (...) nous nous efforçons d’accéder aux activités cognitives sous-jacentes... » (Hoc & Amalberti, 1999, p. 98). Cette démarche est réductrice (et par là s’éloigne de la méthode clinique stricte), mais elle garde un caractère clinique, s’appliquant à des données détaillées recueillies en situation, sur l’activité d’opérateurs. Cette démarche est justifiée par son objectif majeur qui est l’acquisition de connaissances et l’élaboration d’un modèle de fonctionnement cognitif.
38— Étendue des situations prises en compte. La situation considérée peut être plus ou moins large dans l’espace et dans le temps : par rapport au poste de travail individuel ou par rapport à un environnement de travail plus ou moins étendu (ex. travail collectif). On peut y adjoindre des conditions hors travail. La dimension temporelle considérée peut être aussi plus ou moins grande. Les aspects liés au développement dont l’importance est de plus en plus soulignée amènent à prendre en compte des durées souvent importantes.
39— Nature des informations de base. Les informations exploitées par la méthode clinique peuvent être recueillies in situ par l’analyste (observation, entretien), mais celui-ci peut aussi utiliser des traces de l’activité, des témoignages, des reconstitutions. C’est le cas des méthodes d’analyse des accidents : un bel exemple en a été présenté par Weick (1993).
40— Les finalités de la méthode clinique. La méthode clinique peut avoir sa propre finalité (comprendre une situation), mais elle peut aussi être la composante d’une méthodologie, comme l’avait déjà bien vu Faverge (1968) cité plus haut. Il en sera ainsi dans l’intervention où elle constitue souvent l’étape initiale (diagnostic) et éventuellement l’étape ultime pour la vérification de l’effet de la transformation de la situation. L’étape clinique initiale permet une reformulation du problème et oriente l’étude dans les voies jugées les plus pertinentes étant donné la situation de base et les moyens d’intervention disponibles. L’étude clinique de la situation transformée pourra contribuer à la validation du diagnostic et de l’intervention.
II . 3. METHODE CLINIQUE ET MÉTHODE EXPÉRIMENTALE
41La méthode clinique s’oppose aux méthodes centrées sur l’étude d’hypothèses (méthode expérimentale) ou sur l’étude de facteurs (méthode épidémiologique). Dans cette partie, on indiquera quelques possibilités d’articulation de la méthode clinique avec la méthode expérimentale.
42La réalisation de l’étude d’une situation à l’aide de la méthode clinique met en œuvre un certain nombre de connaissances antérieures issues des différentes perspectives de recherche à partir desquelles cette situation est envisagée : on y verra utilisés des connaissances psychologiques, des modèles divers, des connaissances ergonomiques, techniques, sociales, etc. que le psychologue aura à articuler pour élaborer une interprétation de la situation qui lui donne un sens par rapport, notamment, aux questions initialement posées à et par l’analyste. Cette interprétation d’une situation singulière a un caractère hypothétique que l’analyste peut souhaiter vérifier et appliquer ultérieurement à d’autres situations ? C’est le problème de la généralisation : dans quelle mesure les connaissances acquises sur cette situation singulière peuvent-elles être étendues à d’autres situations ? On ne cherchera pas ici à aborder spécifiquement ce vaste problème, mais on essaiera plus simplement d’en indiquer une voie d’étude possible par l’articulation des méthodes clinique et expérimentale. On trouve déjà le souci de cette articulation chez Piaget (1947) quand il écrit que « l’examen clinique participe de l’expérience en ce sens que le clinicien se pose des problèmes, fait des hypothèses, fait varier les conditions en jeu, et enfin contrôle chacune de ces hypothèses au contact des réactions provoquées par la conversation » (p. XIII).
43Dans notre domaine, cette articulation peut être recherchée à travers la comparaison des répliques de la situation étudiée, ces répliques différant selon une condition identifiée ou contrôlée. Deux types de cas peuvent se présenter :
441 / La tâche est fixée. On exploite alors des situations correspondant à l’exécution répétée d’une même tâche (au sens large) par le même sujet. On dispose ainsi de plusieurs analyses pouvant servir de base à une étude comparative intrasujet. Les études de développement et de formation s’inscrivent dans ce schéma. On pourra aussi proposer la même tâche à des sujets différents. L’analyse comparative sera alors intersujets, ce qui correspond à un schéma d’étude différentielle.
452 / Le sujet est fixé. Dans ce cas, on pourra introduire ou exploiter deux types de variations : soit des variantes de la même tâche (issues, par exemple, de changements des contraintes de temps, de modification de conditions techniques, etc.) ; soit des changements de la tâche elle-même. Les études cliniques serviront alors à identifier des invariants de l’activité.
46Par ces modifications, on instrumentalise en quelque sorte la méthode clinique : son objet d’étude, la situation globale, prend le statut de variable indépendante de la méthode expérimentale. Pour mieux comprendre ces glissements, on peut les considérer à partir d’un texte de Fraisse (1963) sur l’expérimentation qui expose bien la démarche de la méthode expérimentale classique en psychologie. « L’expérimentation a pour but de vérifier l’existence d’une relation entre deux ordres de faits. Le principe général est toujours le même. Faire varier une donnée et observer les conséquences de cette variation sur une conduite. Le facteur manipulé par l’expérimentateur est dit variable indépendante ; le facteur qu’elle modifie est dit variable dépendante. Nous emploierons systématiquement cette terminologie » (p. 90).
47Le passage de l’ « ordre de fait » et de la « conduite » à la « donnée » puis au « facteur » et à la « variable » est très significatif de la réduction opérée. On pourrait revenir au « principe général » et dans l’étude de l’activité (mise ici pour conduite) faire varier la situation, c’est-à-dire les conditions internes (propres au sujet) ou/et les conditions externes (propres à la tâche). Ne pourrait-on ainsi définir ce qu’on pourrait appeler une méthode clinique expérimentale ou une expérimentation clinique ? On devine parfois cette démarche dans certaines études sous l’une de ses deux variantes : ou on part de la méthode expérimentale et on enrichit la notion de variable, ou on part de la méthode clinique et on varie les situations étudiées.
48C’est finalement cette dernière approche que les premiers psychotechniciens – surtout Pacaud – ont peut-être utilisée sans en tirer toutes les conséquences. Après avoir rappelé comment et dans quelles circonstances ils l’ont fait, on s’efforcera de montrer comment on peut aujourd’hui en renouveler l’usage.
III. LA CLINIQUE COMME MÉTHODE D’ACTION
III . 1. L’ANALYSE DE L’ACTION : TRANSFORMER POUR COMPRENDRE
49On le fera d’un certain point de vue : celui qui rend possible l’utilisation du terme de clinique non seulement comme un adjectif mais comme un substantif. Selon cette perspective, on privilégie dans « clinique », non pas la méthode de connaissance mais la méthode d’action et d’intervention pour transformer le travail. La tradition ergonomique francophone est l’une des racines de cette orientation (Béguin & Pastré, 2002 ; Daniellou, 1996). Mais cette dernière se développe maintenant au plan international dans le cadre de la relance des théories de l’activité (Bedny & Karwowski, 2004 ; Engeström, Miettinen, & Punamäki, 1999 ; Nardi, 1995 ; Tomasello, 2004). Il est bien sûr tout à fait souhaitable et même indispensable de ne pas s’en tenir au seul point de vue de l’action. Une clinique de l’activité, tout entière tournée vers l’action dans la situation, n’interdit pas le développement des connaissances en psychologie du travail. Au contraire. Elle suppose même la conceptualisation d’une architecture qui définisse l’organisation dynamique de l’activité. Nous y reviendrons très précisément à la fin de cet article. Mais nous privilégierons dans un premier temps le point de vue de l’action. Il faut y insister, tant cette perspective – trop peu développée en psychologie clinique traditionnelle – affecte la définition de l’objet de connaissance.
III . 1 . A. Le statut psychologique de l’observation
50J.-M. Lahy aussi bien que S. Pacaud, comme nous l’avons signalé plus haut, n’ont guère insisté sur leur méthode d’intervention concrète. Seule S. Pacaud en a parlé occasionnellement dans des termes surprenant encore aujourd’hui. Elle n’a pas hésité à désigner l’analyse du travail, entre autres, comme un exercice d’introspection professionnelle. Pour elle, « le psychologue ne doit pas se contenter de la description du travail. Il doit apprendre lui-même le métier » et l’analyse mobilise « l’auto-observation et l’introspection au cours de l’apprentissage du métier confrontées avec les témoignages des exécutants et les avis de techniciens » (1954, p. 586). En réalité, ce n’est pas là justement de l’introspection. Ce n’est pas de l’illusoire « connais-toi toi-même » qu’il s’agit, mais bien plutôt, dans l’échange d’activités avec autrui, d’une tout autre exigence : « Expérimente ce dont tu es capable » (Canguilhem, 1930, p. 523). C’est que l’observation vise ici l’apprentissage par le chercheur du métier grâce à l’auto-observation confrontée à l’expérience d’autrui.
51On peut pourtant – on doit – aller plus loin. Car ce qui n’est que très peu pris en compte par S. Pacaud, au-delà des effets de cette observation sur le chercheur, ce sont les effets sur les travailleurs eux-mêmes de ces observations. Toute observation du travail d’autrui est une action sur autrui. Et, à ce titre, elle possède deux destins, elle est à double effet. L’observation du travail produit des résultats pour l’intervenant en termes de connaissances mais elle ne produit pas que des connaissances. Elle produit aussi de l’activité chez l’observé. Ici l’analyse de H. Wallon dans un autre contexte est précieuse : « L’attention que le sujet sent fixée sur lui semble, par une sorte de contagion très élémentaire, l’obliger à s’observer. S’il est en train d’agir, l’objet de son action et l’action elle-même sont brusquement supplantés par l’intuition purement subjective qu’il prend de son propre personnage. C’est comme une inquiétude, une obsession de l’attitude à adopter. C’est un besoin de s’adapter à la présence d’autrui, qui se superpose à l’acte d’exécution » (1983, p. 287). Ce phénomène de superposition mérite qu’on s’y arrête du point de vue de l’analyse du travail.
III . 1 . B. L’observateur : entre extérieur et intérieur
52Car au travail aussi, l’observation de l’intervenant à visée de connaissance produit un effet qu’on risque d’ignorer : le développement de l’observation chez l’observé. L’un des effets les plus méconnus de l’observation c’est précisément ce qu’elle provoque dans l’activité de l’observé. Observé dans son travail, il s’observe en travaillant. Et cette auto-observation provoquée produit aussi des résultats d’observation chez le ou les sujets. Ils peuvent devenir des résidus indisponibles ou incontrôlés si l’analyse du travail les maintient en dehors de l’analyse. Pacaud mentionne le phénomène pour elle-même et l’utilise comme un instrument d’analyse du travail afin que son activité propre devienne un objet de pensée. Mais ce phénomène psychologique affecte aussi ses interlocuteurs même à leur corps défendant. Le développement de cette activité nouvelle d’observation chez l’observé dépasse la situation d’observation initiale en superposant à celle-ci un nouveau contexte. Du coup, l’observation du sujet en situation sort le sujet de la situation. Contre toute illusion étroitement écologique, voilà certes son action « située », mais autrement : dans plusieurs contextes à la fois. Pas seulement ici et maintenant, mais aussi après et ailleurs. De ce point de vue, observer l’activité d’autrui pour la comprendre c’est, immédiatement, la transformer en incitant le ou les sujets concernés à une activité intérieure spécifique au cours même de l’activité extérieure. Aux risques, Wallon le note aussi, d’y provoquer des antagonismes mais aussi en fournissant à ces sujets des occasions éventuelles de développement.
53Il reste que toute observation revient à interposer l’activité d’autrui entre le sujet et sa propre activité. Autrui peut alors devenir l’instrument psychologique d’une observation de soi par soi. Par ce simple phénomène, l’observation prend une dimension subjective qu’on sous-estime en général beaucoup trop : sans cesser d’être extérieur, l’observateur devient également intérieur. Il est doublé par le sujet lui-même dont, paradoxalement, l’activité se dédouble en activité psychique à la fois dans l’activité pratique et sur l’activité pratique. La fonction d’observation s’en trouve potentiellement développée, reprise sous un autre angle : elle se trouve retouchée par l’entremise de l’expérience du sujet observé. Pour paraphraser Vygotski, on pourrait dire qu’elle apparaît deux fois, d’abord entre l’observateur et l’observé et ensuite chez l’observé lui-même (Vygotski, 1985, p. 111). D’abord au niveau social, ensuite au niveau psychologique. D’abord en tant que catégorie interpsychologique, ensuite comme catégorie intrapsychologique. Car le travailleur observé « se met à employer à son propre égard les formes mêmes de conduite que les autres ont employées en premier lieu envers lui » (Vygotski, 1978, p. 141). Il mobilise alors toute l’expérience vécue dont il parvient à disposer comme instrument de cette nouvelle expérience, bonne ou mauvaise d’ailleurs. Revenant sur l’activité pratique auto-observée, il peut aller éventuellement au-delà d’elle au cours de cette observation pour soi qui est une forme de collaboration interne avec soi-même.
54On ne saurait mieux dire alors que, dans ces circonstances, la conscience, loin d’être un simple état mental, est, dans l’action, un contact social avec soi-même, au-delà de soi-même (Vygotski, 2003). Mais un point mérite alors une attention particulière. L’observation intérieure instillée dans l’analyse par l’observateur extérieur – le plus souvent à l’insu de ce dernier qui croit pouvoir neutraliser la situation – engage l’observé, également observé par lui-même, dans une expérience psychologique, même à son corps défendant. Une analyse externe ignorante de ces effets risque alors d’oublier que l’observation n’a pas seulement produit des connaissances sur l’activité d’autrui mais aussi, chez les sujets observés, de l’activité sur l’activité. Ce mouvement indissociablement subjectif et objectif auquel on les a invités ne peut être arrêté sans conséquence ; aussi bien pour ces sujets que pour les connaissances produites. Tout le problème est alors de déterminer le statut que l’analyste du travail est prêt à donner à ce travail psychologique de l’observé devenu observateur-interprète de son activité. Faut-il l’interrompre aux risques de laisser l’observé prisonnier d’un travail « entamé », dans tous les sens du terme ?
55Quand l’observation a été bien faite sur la base d’une demande réelle des travailleurs concernés, un dialogue intérieur est né chez eux à partir du dialogue extérieur avec l’observateur. La clinique de l’activité, c’est d’abord le choix d’en faire un point de départ de l’action plutôt qu’un point aveugle de l’intervention. C’est le parti pris d’offrir un nouveau destinataire à ce dialogue intérieur, à cette activité endogène d’observation et d’interprétation afin qu’ils ne se dégradent pas en soliloque ou en activité « ravalée ». Pour ce faire, il faut changer de contexte afin de poursuivre l’action dans le cadre de ce que nous appelions plus haut l’expérimentation clinique, c’est-à-dire l’organisation réglée d’une variation des situations.
III . 1 . C. Quelle conception de l’action ?
56Mais avant d’en décrire le cours, il importe de situer ce type d’action au regard d’autres conceptions de l’action significatives en analyse du travail. On en retiendra quelques-unes en ergonomie et une en clinique du travail parmi d’autres possibles (Yvon & Clot, 2003).
57« Le but de l’analyse du travail est pratique, écrit, par exemple L. Pinski : il s’agit de comprendre ce que font les opérateurs en situation de travail afin de répondre le plus efficacement et le plus complètement possible aux questions de la conception » (Pinski, 1991, p. 119). La connaissance précède ici l’action et l’analyse du travail est l’instrument méthodologique chargé de recueillir les données empiriques à partir desquelles vont s’orienter l’action d’expertise et les préconisations adressées aux décideurs. Pour F. Daniellou il n’y a, par contre, pas de rapport immédiat entre la connaissance, le diagnostic, l’action et le pronostic. Tout au plus l’action peut-elle alimenter et transformer les représentations des acteurs pour leur permettre de transformer la situation. « C’est la mise en discussion, auprès des acteurs sociaux pertinents, des résultats de l’analyse du travail qui enclenche le processus de transformation des représentations, qui peut déboucher sur des interactions conduisant à une transformation de la situation de travail » (Daniellou, 1996, p. 187). L’évaluation d’une intervention peut ainsi autant porter sur les modifications effectives de la situation que sur les changements de représentations du travail. C’est autour d’elles que s’organise l’action participative comme médiation entre acteurs différents. C. Teiger et A. Laville ont présenté une démarche encore différente dans la même direction. L’approche n’est plus directement tournée vers la situation de travail mais vers les sujets qui sont invités à expérimenter sur eux-mêmes l’apport d’une démarche d’analyse du travail réel. L’analyse passe par des récits d’explicitation en formation. La méthode s’apparente dans ce cadre à une ma ïeutique exercée sur les compétences incorporées. Ce dispositif vise à changer le regard des travailleurs sur le travail, à modifier leurs représentations ouvrant ainsi sur « une action de changement de la situation » (Teiger, 1993, p. 314).
58Néanmoins Teiger et Laville (1991) insistent eux-mêmes sur le fait qu’il n’y a pas de causalité linéaire entre changement des représentations et transformation de la situation. Entre les deux, les possibilités d’action concrètes peuvent se dérober. Autrement dit, entre le développement potentiel de la situation de travail et le développement réel s’intercalent les variables de l’organisation du travail. Du coup, trop souvent l’action se perd en route. Oddone, Rey et Briante (1981) avaient même noté que les connaissances produites par les spécialistes dans cette perspective, en changeant les représentations des opérateurs sur les nuisances de leur travail sans pouvoir changer pour autant les réalités de ce travail, pouvaient déplacer l’engagement des opérateurs vers des buts fictifs et dangereux pour leur santé comme le « monnayage » des risques.
59Ces buts factices peuvent d’ailleurs finir par incarcérer l’activité de travailleurs en les retenant prisonniers des défenses qu’ils se sont eux-mêmes construites pour échapper à des situations délétères. C’est sans doute pourquoi, par exemple, l’action en psychodynamique du travail se tourne vers les intéressés eux-mêmes, plus précisément sur les risques encourus par la santé mentale des travailleurs quand ils mobilisent ces protections équivoques. Mais c’est directement sur leur pensée à propos du travail que cette clinique compte pour restaurer la dynamique psychique autour de l’organisation du travail (Dejours, 2000 ; Molinier, 2001). Dans cette perspective, seule la reprise d’une pensée collective sur le travail est de nature à agir sur l’organisation du travail.
60Il n’est pas impossible de rapprocher certains éléments de ces travaux de ceux de G. de Terssac (1992) grâce auxquels on connaît mieux les bénéfices qu’on peut tirer de cette reconception de la tâche qui n’est jamais seulement individuelle. Les groupes de travail vivent et travaillent mieux lorsque existent des règles non écrites, non prescrites par l’organisation mais conçues par les acteurs, négociées entre eux et, selon les cas, avec les hiérarchies. Ce travail de réorganisation du travail par le collectif constitue une ressource psychologique majeure pour les opérateurs qui peuvent agir ainsi sur l’organisation officielle du travail. Si cette ressource n’est pas entretenue beaucoup de possibilités sont perdues aussi bien, par exemple, pour une conception « continuée » des outils que pour la prévention des accidents (Cru, 1995). On peut donc comprendre que l’action entreprise se porte sur ces dimensions du travail. Pourtant la psychodynamique du travail en cherchant à se distinguer de l’intervention ergonomique qui appartient, selon elle, « à la rationalité instrumentale », ne « vise pas à transformer le travail mais seulement à modifier le rapport subjectif au travail ». Les modifications souhaitées « ne concernent pas le monde des choses » (Molinier, 2001, p. 134). Du coup, dans cette perspective, il faudrait admettre la primauté de la pensée sur l’action. On cherche à déclencher la pensée directement par la pensée, à comprendre le psychique directement par le psychique. Or ce privilège peut sans doute être discuté. Daniellou (2001) l’a fait en maintenant le primat de l’intervention sur l’enquête dans l’analyse du travail. La pensée ne prend pas naissance dans une autre pensée, notait déjà Vygotski, mais dans les dilemmes du réel que l’activité doit affronter (1997, p. 493). Ajoutons que, même collective, la pensée n’engendre pas directement l’action. Dans une perspective de clinique de l’activité, c’est plutôt l’inverse.
III . 1 . D. L’expérimentation en clinique de l’activité
61C’est pourquoi l’expérimentation que nous allons décrire maintenant n’est pas directe. Elle retourne bien, comme la psychodynamique du travail, l’action du côté de l’engagement subjectif des opérateurs eux-mêmes mais seulement au premier degré. Car, au second degré, elle vise la transformation des activités réelles. Pour donner à penser, on cherche donc à mettre en tension des activités grâce aux superpositions et chevauchements initiés dans l’auto-observation. On cherche le contraste entre les activités extérieures réalisées et les activités psychiques (intérieures) sans craindre la discordance. Car entre l’activité et la pensée il faut nécessairement qu’intervienne une dissociation qui détache les qualités et l’existence de cette activité des contextes où elle est initialement impliquée, en lui attribuant le caractère essentiel de l’extériorité. Il n’y a de pensée qu’au prix de cette transposition. C’est peut-être là la source même du développement de la pensée. Résumons-nous : ce qui compte c’est le renversement de l’observation décrit ci-dessus, c’est que les sujets observés dans leur travail puissent devenir les observateurs et les interprètes de leur propre activité en transformant l’activité ordinaire non pas seulement en but mais en moyen de la pensée collective. Si médiation il y a, elle n’existe pas d’abord entre les multiples acteurs de la situation de travail mais, dans ce premier temps au moins, en chacun des opérateurs concernés. L’objectif étant le développement de leurs propres interprétations et observations, l’analyse du travail par le chercheur n’est plus la source de l’action mais une ressource pour seconder (ce qui n’a rien de secondaire) une expérience de modification du travail par ceux qui le font et ceux qui l’analysent. On peut bien sûr retrouver ailleurs une préoccupation de recherche convergente (Béguin & Pastré, 2002 ; Teiger & Laville, 1991). Au bout du compte, s’il s’agit bien de comprendre pour transformer, il s’agit simultanément de transformer l’activité pour la comprendre, d’agir pour repenser. Et l’observation du psychologue du travail, conçue ainsi, se révèle être déjà une incitation pour le travailleur à agir sur sa propre activité. Mieux, cette action naît de l’échange entre les activités du sujet, de l’interférence entre les composantes psychique et pratique de leur activité. Penser, c’est alors voir son activité pratique avec les yeux d’une activité psychique renouvelée et inversement. Comme le souligne Bakthine, « comprendre c’est penser dans un nouveau contexte » (1984).
62Le développement d’un dialogue intérieur chez les sujets observés ne saurait donc être interrompu sans dommage pour l’analyse. La compréhension entamée dans l’observation doit, afin de se développer, pouvoir bénéficier de nouveaux contextes. La « motricité du dialogue » (Clot & Fa ïta, 2000) doit être conservée. C’est la fonction du dispositif de double autoconfrontation que d’organiser ce déplacement des contextes dialogiques. L’interférence de ces contextes chez les sujets est au principe du développement de leur pensée sur le travail. L’expérience vécue n’est alors pas dévoilée mais réinvestie en changeant de statut : elle devient un moyen de vivre une autre expérience. Comme le note Bakhtine, « une observation vivante, compétente, impartiale, à partir d’un point de vue quelconque, garde toujours sa valeur et sa signification. La partialité et la limitation d’un point de vue (d’un observateur), voilà quelque chose qui peut toujours être rectifié, complété, transformé (inventorié) à l’aide de cette même observation à partir d’un point de vue différent » (Bakhtine, 1984, p. 334). À l’inverse, « le point de vue neutralisé (sans observation nouvelle, vivante) est stérile » (ibid., p. 334).
63C’est le ressort principal des dispositifs d’autoconfrontation croisée (Clot, 1999 ; Clot & Fa ïta, 2000 ; Clot, Fernandez, & Carles, 2002 ; Fa ïta, 1997). Ils cherchent à fournir un nouveau statut à l’auto-observation entamée. Au premier temps de l’autoconfrontation simple, chaque sujet concerné est confronté à des traces filmées [1] de son activité qu’il commente pour le psychologue. Au deuxième temps de l’autoconfrontation croisée, ces mêmes traces sont l’objet du commentaire d’un pair dont l’activité filmée dans la même situation est elle-même réciproquement commentée par l’autre, également en présence de l’intervenant. L’appropriation par les sujets de ce genre d’exercice organise une sorte de plurilinguisme professionnel orchestré contre toute « canonisation » de l’activité ordinaire afin de provoquer sa modulation dans l’échange. Du coup, cette clinique de l’activité ne s’arrête pas sur l’activité observable pour et par la seule analyse. Son objet est davantage l’activité « au carré », celle qu’on observe quand les intéressés dirigent leurs analyses sur leur propre activité examinée ensemble. C’est le contenu de l’activité d’analyse dirigée vers l’activité arrêtée sur l’image qui est l’objet de ce genre de clinique du travail. Par l’entremise du commentaire sur ce qui a déjà été fait, on contraint les sujets à se référer à l’activité filmée non pas comme à une chose faite, mais pour agir avec elle et sur elle afin de la « refaire ».
III . 1 . E. Le collectif dans l’individu
64L’activité psychique d’auto-observation était une observation par et pour soi, une interprétation intérieure du travail. L’autoconfrontation simple propose un contexte nouveau dans lequel le sujet devient lui-même un observateur extérieur de son activité en présence d’un tiers. Le commentaire des traces vidéos du travail réalisé se fait certes au travers des interprétations et des questions déjà soulevées par l’auto-observation. Mais d’essentiellement intrapsychologique, l’activité redevient interpsychologique. Le vécu, revécu dans une situation transformée change de place dans l’activité du sujet. D’objet, il devient moyen. Dans ce déplacement, on ne retrouve pas le vécu antérieur. On découvre qu’il est encore vivant, qu’il n’est pas seulement ce qui est arrivé ou ce qu’on a fait mais ce qui n’est pas arrivé ou ce qu’on n’a pas fait et qu’on aurait pu éventuellement faire. Dans ces conjonctures, une clinique de l’activité s’attache à organiser les migrations du vécu dans l’activité du sujet non pour qu’il se connaisse mieux mais pour qu’il puisse expérimenter ce dont il est capable.
65Cette nouvelle extériorité a des effets sur le sujet. En position exotopique à l’égard de son travail et face à des choix ou des dilemmes qu’il redécouvre dans son activité, ce qui était opération incorporée et réponse automatique redevient question. Dans le dialogue qu’il doit assumer avec l’intervenant et pour soutenir cet échange portant sur les arcanes de son activité, généralement « le sujet ne reste pas seul ». Pour le dire dans un vocabulaire commun, il cherche du renfort et convoque dans la conversation une voix initialement étrangère à celle-ci. Cette voix qu’on entend alors dans les variations discursives du « je » et du « on » se mêle au dialogue avec le destinataire direct qu’est l’intervenant. Cette voix qui dit « on » dans le discours du « je » parle pour les manières de faire communes dans le collectif. C’est même, pour le dire à la manière de Bakhtine, le « destinataire de secours » (1984) auquel le sujet s’adresse en autoconfrontation simple pour répondre aux questions que soulève l’analyse de son activité avec le psychologue du travail. On peut avancer que la convocation de ce « surdestinataire » (Bakhtine, 1984) dans l’échange signifie l’entrée en lice d’un troisième participant vivant au dialogue. En un sens c’est là « le métier qui parle », si l’on entend par métier non pas seulement les compétences techniques du sujet mais le « répondant » collectif qui se porte garant de l’activité individuelle. C’est ce dont le concept de genre professionnel vise à rendre compte : les manières de prendre les choses et les gens stabilisés au moins temporairement dans un milieu de travail donné.
66Revenons brièvement sur la définition de ce concept. Il s’agit d’un enthymème social construit dans une histoire collective : la partie sous-entendue de l’activité que les travailleurs d’un milieu donné connaissent et voient, attendent et reconnaissent, apprécient ou redoutent ; ce qui leur est commun et qui les réunit sous des conditions réelles de vie ; ce qu’ils savent devoir faire grâce à une communauté d’évaluations présupposées, sans qu’il soit nécessaire de re-spécifier la tâche chaque fois qu’elle se présente. C’est comme « un mot de passe » connu seulement de ceux qui appartiennent au même horizon social et professionnel. Ces évaluations communes sous-entendues prennent dans les situations incidentielles une signification particulièrement importante et font du métier cet ensemble de rébus reliés entre eux évoqué par Bruner à propos des communautés de pratiques (1996, p. 192). Il s’agit des rébus que les débutants s’efforcent de résoudre et dont les experts disposent.
67Et c’est d’ailleurs de cela dont il s’agit dans l’expérimentation clinique que nous décrivons et désignons ainsi pour marquer notre souci de provoquer une expérience engageant un développement de l’activité des sujets. Dans ce cadre, au moment où il faut justifier auprès de l’intervenant une manière de faire, que ce soit pour l’aider à comprendre ou pour se protéger soi-même d’un conflit surgi dans l’analyse en cours du travail, le sujet dispose de cette histoire collective qui parle avec lui pour chercher à rendre compte de ce qui se fait à l’écran. Il la convoque et la rend visible en l’utilisant dans l’échange. En un sens, une clinique de l’activité a déjà atteint ici son premier but. Grâce à l’autoconfrontation simple, on a pu recueillir des résultats sur ce qu’un collectif fait ou ne fait pas de la tâche prescrite, on a pu accéder à ce travail endogène de réorganisation du travail repérée par de Terssac (1992) en mesurant surtout sa fonction de ressource psychologique dans l’activité personnelle.
III . 1 . F. L’individu dans le collectif
68Mais de nouveau cette expérimentation n’a pas qu’un résultat. Elle a aussi un produit du côté du sujet. Car dans cette situation artificielle – artefact devenu instrument psychologique – il s’est regardé non plus seulement avec ses propres yeux – observation intérieure – mais avec les yeux d’un observateur extérieur qui n’est plus seulement le psychologue mais le « métier » ou encore le collectif. Et si ce dernier lui a sans aucun doute donné du « répondant » dans le dialogue avec le psychologue, il doit maintenant lui répondre, voire en répondre. Et ici une précision s’impose : le « métier » au second degré, cette histoire momentanément arrêtée des manières de faire, cet invariant de secours dans le dialogue ouvert chez le sujet, peut tout à fait se retourner contre l’effet recherché par l’intervenant. Le « destinataire de secours » peut fermer le dialogue intérieur au sujet. À ce stade, les attendus du métier peuvent venir colmater les inattendus du dialogue intérieur ouvert par l’auto-observation et l’autoconfrontation simple. Il reste que là encore, après l’autoconfrontation simple, il y a des résidus dialogiques (Scheller, 2001). Au mieux, le travail psychologique du sujet continue avec ce nouvel observateur extérieur qu’il porte en lui. L’hétéro-confrontation (Astier, 2001) se poursuit. Il se regarde faire avec les yeux du « métier » et regarde le métier avec d’autres yeux. Au pire, le « on » est devenu un obstacle pour le développement de l’activité intérieure.
69C’est à quoi s’adosse et aussi se mesure l’autoconfrontation croisée. Rappelons qu’il s’agit de demander à un binôme de pairs, collègues du même niveau d’expertise, de commenter les traces de l’activité de l’autre dans la même situation de travail. Ici des controverses surgissent le plus souvent qu’il faut savoir entretenir. En comparant leurs manières de faire ou de dire dans la situation observée, les professionnels y trouvent vite des différences parfois majeures pour eux. Au-delà des activités déjà devenues questions pour chacun, même des activités qui n’avaient fait l’objet d’aucun dialogue avec le psychologue dans l’autoconfrontation simple peuvent devenir objet de controverses. Elles deviennent alors discutables et le grain d’analyse s’affine à proportion des différences qui surgissent. Du point de vue où nous nous plaçons, celui du développement de la pensée à cette phase de l’expérimentation clinique, ce que les professionnels partagent alors est moins intéressant que ce qu’ils ne partagent pas. La recherche de la controverse est donc au principe de l’autoconfrontation croisée dont la première victime, si l’on peut s’exprimer ainsi, est la belle unité du « on ». En fait, à ce moment-là, le répondant collectif ne répond souvent plus aux exigences du dialogue inattendu entre les opérateurs.
70Dans ce plurilinguisme professionnel, cette polyphonie, où s’engagent des débats d’école, le « on » collectif devient objet de travail et d’interrogations. Et dans cette stylisation du genre professionnel où se profilent des variantes potentielles, les variations sur les thèmes du métier font reculer les limites de ce métier. Le « on » était moyen intérieur de soutenir l’échange avec le psychologue dans l’autoconfrontation simple et même souvent moyen de se rassurer. Ici il devient but et objet d’un échange entre professionnels. On a pu le montrer dans les métiers de La Poste et dans le travail de contrôle à la SNCF (Clot, 2004 ; Scheller, 2001 ; Yvon, 2003). On retrouve chaque fois ce fait que l’objet du dialogue n’est aucunement sédentaire dans cette expérimentation clinique. Il réalise à chaque étape des fonctions différentes qui se développent à travers lui. C’est peut-être là son intérêt. Car cette activité migratoire est de nature à restaurer la vitalité de ce que nous avons désigné plus haut comme le second métier : le répondant professionnel, garant collectif de l’activité individuelle dont la fonction psychologique est ainsi retrouvée. Elle est également de nature à relancer le travail générique toujours potentiellement défunt et donc à faire reculer les frontières des sous-entendus partagés ; non pas en les niant mais par la voie de leur développement. Autrement dit, elle vise à repousser les limites du collectif dans et grâce à l’activité individuelle. Alors, le « répondant » professionnel ne parle pas d’une seule voix et peut donc participer au dialogue intérieur initié par l’observation, autorisant chaque travailleur, à titre personnel, à se sentir partie prenante et comptable de la vie du « métier ». Pour résumer, l’activité individuelle bénéficie des ressources nouvelles d’un collectif de travail « élargi » mais elle est également invitée à alimenter ce collectif de contributions personnelles elles-mêmes renouvelées.
III . 2. STRUCTURE DE L’ACTIVITÉ ET MÉTHODE DE PRODUCTION DES CONNAISSANCES
71Au bout du compte, on peut retenir que l’activité dont il est ici question possède un volume dont l’activité réalisée par un opérateur n’est jamais que la surface. On peut même considérer que l’expérimentation en clinique de l’activité vise à la fois à donner du volume à cette activité réalisée et à l’étudier.
III . 2 . A. Structure dynamique de l’activité
72Ce volume possède une structure développementale mobile (Clot, Fernandez, & Carles, 2002). L’activité est à la fois irréductiblement personnelle, interpersonnelle, transpersonnelle et impersonnelle. Personnelle, elle l’est de manière irréductible. Interpersonnelle, elle l’est dans chaque situation singulière car, sans destinataire, l’activité perd son sens. Elle est aussi transpersonnelle puisque traversée par une histoire collective qui a franchi nombre de situations et disposé de nombreux sujets à répondre plus ou moins d’elle, d’une situation à l’autre. Ce sont là les attendus génériques de l’activité, sur-destinataire de l’effort consenti par chacun. Le travail collectif de réorganisation de la tâche effective en assure ou non la « maintenance ». Enfin, l’activité est impersonnelle justement sous l’angle de la tâche prescrite. Cette dernière est, dans l’architecture de l’activité d’un travailleur, ce qui est nécessairement le plus décontextualisé. Mais, du coup, elle est justement ce qui oriente l’activité au-delà de chaque situation particulière. Prescription indispensable, elle peut – elle devrait toujours – se nourrir des obligations génériques que les opérateurs se donnent pour la réaliser et, par un choc en retour, elle peut aussi les entretenir. Dans cette perspective, une clinique de l’activité ne perd pas de vue que la transformation du travail passe par celle de la tâche que l’organisation du travail prescrit. Elle a comme horizon le développement du pouvoir d’agir des opérateurs dans la conception continuée des tâches avec les concepteurs.
III . 2 . B. Le développement comme objet d’analyse
73Une clinique de l’activité n’est donc pas seulement une méthode d’action et de transformation. Elle ne tourne pas le dos à la connaissance scientifique. C’est aussi une méthode de production de connaissances. Mieux, elle peut apporter sa contribution – parmi d’autres – à un renouvellement de l’objet de connaissance en psychologie du travail.
74Mais il faut seulement préciser que cela n’est possible qu’à la condition d’accepter de déplacer le plan d’observation : à la différence des modèles traditionnels d’analyse, son objet n’est pas d’abord l’inventaire des invariants de l’action. Il s’agit moins de repérer les organisateurs de l’action ou les schèmes, pour parler comme Piaget, que d’étudier les organisateurs et l’organisation de la transformation de l’activité. Autrement dit, il s’agit moins de repérer la structure de l’activité en tant que telle que la structure de son développement possible ou impossible. L’objet de connaissance est simultanément l’activité et le développement de l’activité comme ses empêchements. Ce sont les mécanismes de ce développement qui sont ici au centre de l’attention. Puisque « c’est uniquement en mouvement qu’un corps montre ce qu’il est », comme le note judicieusement Vygotski (1978, p. 64), c’est seulement au travers d’une expérimentation transformatrice que l’activité de travail peut livrer ses secrets. On ne peut donc atteindre cette dernière que par des moyens détournés : du coup, le développement est à la fois l’objet et une méthode privilégiée de cette psychologie du travail [2]. Provoquer le développement de l’activité à l’aide d’une méthode d’action est ici le moyen d’en étudier la structure développementale ou encore l’organisation dynamique. Et c’est là l’objet d’une clinique de l’activité comme méthode de connaissance.
75C’est là aussi le moyen de rendre compte des lois psychologiques du développement, de l’organisation de sa transformation. Au rang des organisateurs de cette transformation, on peut compter : la fonction de variation introduite dans l’activité par son destinataire, la migration fonctionnelle des sources et des ressources de cette activité au cours de son développement, les passages interniveaux où se produisent de nouveaux buts pour l’action, ces excédents qui font du développement une répétition au-delà de la répétition. Au bout du compte, l’étude de ces organisateurs signale un autre niveau d’investigation que celui qui est traditionnellement retenu : au-delà des « invariants » du fonctionnement, celui des « invariants » du développement lui-même (Clot, 2004).
76Une perspective clinique n’est donc pas condamnée à rester un art intransmissible. Du point de vue de l’action, elle doit chaque fois, bien sûr, être davantage cet art car une situation se développe toujours de manière unique. Mais du point de vue de la connaissance, il en va autrement : une situation qui se développe le fait sous des formes qui se répètent dans des situations variées qui les reproduisent. Leur repérage, leur description et leur analyse relèvent de la conceptualisation scientifique. La connaissance de ces régularités, loin de ramener le singulier au général, élargit la perception des variations et permet d’identifier le singulier comme tel. Si l’on prend pour objet les lois de développement du singulier, ce développement n’est plus un obstacle à surmonter mais une ressource décisive pour la production de connaissances. En fait, en psychologie, le choix n’est sûrement pas entre le singulier de la clinique et le général de l’expérimental. Il est davantage entre deux conceptions du général : le général sans le singulier ou le général dans le singulier. Une belle illustration de cette distinction se trouve dans Richard (2000).
77La méthode clinique considère son objet d’étude dans sa globalité. Ce caractère holistique tend à faire de cet objet un objet singulier et cela d’autant plus que la description de cet objet est plus fine. À un certain degré de finesse de l’analyse, il n’existe pas deux activités semblables. Le problème fondamental de la généralisation sera de réduire ce caractère holistique de façon à catégoriser les activités ou les situations. Cela se fera en fonction des objectifs de l’étude entreprise qui permettront de déterminer les variables pertinentes à retenir pour cette catégorisation. Il n’est pas dans notre intention de traiter ici en détail la manière dont la méthode clinique affronte ce problème difficile – qu’elle n’est pas la seule à rencontrer – mais plus simplement de signaler qu’on peut définir le développement comme objet de catégorisation.
78Alors on peut envisager le problème de la généralisation sous le double aspect synchronique et diachronique en référence au caractère de la méthode clinique souligné dans la définition de Gréco citée plus haut : il indique que « ses interprétations se réfèrent à un ensemble synchronique et diachronique de conduites et non pas aux seules relations régulières entre conduites actuelles et situations qui les provoquent... » (Gréco, 1968). La dimension diachronique est celle du développement et elle engage à en découvrir le mécanisme. Découvrir un tel mécanisme, c’est déjà se mettre sur la voie de la généralisation et disposer d’une piste pour l’étudier. Les traits de l’évolution du sujet au cours de son activité, de l’évolution de la tâche au cours de l’exécution, suggèrent des hypothèses qui peuvent être mises à l’épreuve avec d’autres sujets ou/et d’autres tâches. La dimension synchronique peut, elle, être conçue comme concernant la comparaison intersujets ou/et la comparaison interconditions esquissée dans la partie III . 2. Elle engage sur la voie de la généralisation à travers l’étude des rapports entre situations ou entre sujets (généralisation à quoi et à qui ?). L’étude de ces rapports renvoie, par exemple, aux recherches sur le raisonnement analogique (Leplat, 2002). Ce dernier peut être fondé sur des similarités de traits superficiels ou de structures ou être fondé sur des schémas ou règles, les deux mécanismes étant parfois combinés (Cauzinille & Didierjean, 1999 ; Hahn & Chater, 1998). La généralisation est envisageable alors selon ces deux formes d’analogie. La méthode clinique tend à favoriser la seconde forme et on y parle non pas de schéma, mais de théorie. En la matière, une théorie du développement peut être regardée comme un champ de généralisation. Du coup, une perspective clinique en analyse du travail, dès lors qu’elle est historico-développementale, pourrait donc être simultanément une méthode d’action et de connaissance pour la psychologie du travail.
IV. CONCLUSION
79On reprendra succinctement quelques thèmes débattus dans cet article et susceptibles d’être ultérieurement approfondis. La distinction qui a été faite pour la clarté de l’exposé entre la méthode clinique à visée épistémique et la méthode clinique à visée d’action ne définit pas deux catégories disjointes, mais plutôt deux pôles. Il existe, entre les catégories correspondant à ces deux visées de nombreux recouvrements qu’on aura pu remarquer dans les exemples illustratifs. Une dialectique sera toujours importante à instaurer entre comprendre pour transformer et transformer pour comprendre.
80Le développement de la méthode clinique s’est fait en intégrant toujours davantage le rôle de l’analyste dans la situation étudiée, en approfondissant le statut psychologique de l’observation, en associant le sujet à l’analyse, ainsi qu’en introduisant des variations dans les caractéristiques des situations. Un des moteurs de l’enrichissement est également la prise en compte de la dimension temporelle des situations, c’est-à-dire du développement. Une meilleure connaissance des mécanismes de ce développement est un des moyens privilégiés d’améliorer la compréhension des situations et de prévoir les effets de leur éventuelle transformation.
81Un des intérêts de la méthode clinique est de ne pas obliger à épouser les frontières habituelles entre psychologie cognitive, psychologie sociale et psychologie de la personnalité, etc. Toutes ces sous-disciplines sont mobilisables à des degrés divers dans l’étude clinique d’une situation de travail, leur importance pouvant varier, selon les buts du chercheur et selon la demande du milieu. Ces sous-disciplines peuvent aussi trouver, en répondant à cette sollicitation clinique des occasions de développer la psychologie tout court.
82Manuscrit reçu : décembre 2003.
Accepté par J.-M. Hoc : avril 2004.
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Mots-clés éditeurs : Méthodologie, Méthode expérimentale, Méthode clinique, Ergonomie., Analyse du travail
Notes
-
[1]
On peut envisager, avec la prudence nécessaire, que d’autres traces que des documents vidéos puissent faire l’objet d’un travail d’autoconfrontation croisée. Sur ce point on peut consulter le travail de M. Bournel-Bosson (2003).
-
[2]
À tel point qu’on pourrait aussi la comparer à un dispositif de formation (Clot, 2000 ; Leplat, 2002 ; Yvon & Clot, 2003).