I. INTRODUCTION
1La présente contribution se donne pour objet l’exposé et la discussion des apports de la psychologie à l’évaluation et à la modélisation des risques. Plus précisément, seront traitées et analysées dans cet article les démarches évaluatives, quelles qu’en soient les formes et l’importance. Le champ d’investigation ainsi ouvert est vaste, puisque tous les secteurs de notre vie sont concernés, des circonstances les plus banales, celles de la vie quotidienne (se déplacer, se nourrir, se livrer à des activités de loisirs, etc.), aux plus exceptionnelles (opérations chirurgicales, choix professionnels, investissements économiques conséquents, évaluation des risques de catastrophe, etc.). Cette diversité explique l’impossibilité de se référer à une définition commune et unique du risque susceptible d’être opérante en matière d’évaluation. Pour s’en approcher, on cherchera tout d’abord à cerner ce qu’est une situation à risque à partir de caractéristiques structurales et fonctionnelles qu’elle partage avec d’autres situations caractérisées dans les mêmes termes. Ensuite, dans une perspective résolument synthétique, bien que non exhaustive, on s’emploiera à étudier les principes qui sous-tendent l’utilisation de paradigmes d’évaluation, en affectant à cette expression le sens que lui donne Kuhn (1970), c’est-à-dire celui d’école de pensée (Weltanschauung) ou encore de métathéorie. Les travaux qui seront analysés dans cet article illustrent les options prises par différents courants de la psychologie sur les problèmes de définition et d’évaluation des risques. Même si les conceptions sont différentes (comme nous le montrerons), même si les situations étudiées sont très variables (tantôt individuelles, tantôt collectives ; tantôt momentanées, tantôt durables), il n’en reste pas moins que toute opération d’évaluation du risque peut être décrite et traitée en faisant référence aux informations utilisées.
2Deux grands volets méritent alors d’être étudiés : celui de la sélection des informations (sur quels critères une information est-elle retenue, pourquoi l’est-elle préférentiellement à une autre ?) et celui des processus qui régissent le passage de la diversité à l’unicité, que nous désignerons comme un processus d’intégration. En effet, l’évaluation du risque suppose que, en se fondant sur des indices issus de sources différentes, le traitement effectué permette, in fine, l’obtention d’une valeur globale unique, caractéristique de la situation traitée. Restera ensuite à s’interroger sur le caractère généralisable des démarches ainsi mises en évidence. Sont-elles transposables à d’autres situations de même nature ? à d’autres risques ? Peuvent-elles être modélisées pour permettre une meilleure connaissance des opérations de traitement effectuées par l’être humain dans de tels contextes ?
3Il n’existe pas un mode de réponse unique à ces interrogations et les stratégies d’évaluation ne sont pas indépendantes de grandes options auxquelles les évaluateurs entendent se rattacher. En l’état actuel des connaissances, il paraît pertinent de distinguer trois paradigmes. Le premier repose sur la détermination individuelle de l’utilité espérée, positive en cas de gains, négative en cas d’inconvénients ou de pertes. Ce paradigme permet, lorsqu’il combine plusieurs apports, de déterminer un risque considéré comme acceptable, notion qu’il conviendra d’analyser. Le second paradigme, connu sous l’appellation de « paradigme psychométrique », s’appuie principalement sur des références fortement opérantes au niveau des représentations sociales et se fonde sur des évaluations partagées plus ou moins largement par les membres d’un groupe ou d’un sous-groupe (un groupe professionnel, par exemple). Il souligne l’importance des sources qui produisent les informations et leur impact sur les évaluations. Le troisième paradigme fait référence aux processus cognitifs utilisés au niveau même du traitement des informations permettant d’aboutir à une évaluation. En conclusion de l’article, plusieurs questions d’ordre épistémologique propres à l’évaluation du risque seront discutées.
II. LE RISQUE : DÉFINIR ET CARACTÉRISER POUR ÉVALUER
II . 1. LES DEUX VOLETS DE LA NOTION DE RISQUE : LE SÉMANTIQUE ET L’ÉVALUATIF
4L’étude et la maîtrise des risques représentent des activités qui s’exercent implicitement ou explicitement dans toute société mais qui sont devenues centrales dans les sociétés à fort développement technologique. En général, les situations réputées risquées amènent à mettre en œuvre des démarches d’évaluation implicites ou explicites qui, à leur tour, influencent les stratégies d’évaluation et de prévention (Kouabenan, 1999 ; 2000 b). Cependant, dès sa mise en œuvre, toute démarche d’évaluation pose une question fondamentale : celle de la définition de l’activité à risque (Leplat, 2003). Comment la distinguer d’autres activités ? En l’occurrence, deux voies s’offrent à nous. La première consiste à interroger un nombre conséquent de personnes, ce qui permet de caractériser la situation, c’est-à-dire d’indiquer si elle comporte ou non des risques : c’est le volet sémantique. Cependant, très rapidement, les divergences et les désaccords apparaissent dès qu’il s’agit de préciser la nature des dommages réels et/ou potentiels, présents ou à venir. Si la caractérisation (volet sémantique) est relativement consensuelle, les opinions diffèrent souvent largement sur les aspects évaluatifs. Par exemple, la production d’électricité nucléaire est généralement considérée comme une activité à risque mais les évaluations de ce même risque diffèrent très largement selon les groupes sociaux. La référence au registre sémantique n’est pourtant pas inutile au sens où elle prépare le volet évaluatif. Sémantiquement, la notion de risque est souvent assimilée à un danger, à une menace, soulignant ainsi l’existence d’aspects subjectifs, en donnant à ce terme son sens étymologique de « propre à un sujet ». Le risque est alors assimilable à une perte virtuellement attendue à la suite d’une prise de décision (Oppe, 1988) ou encore à une perte d’opportunité en relation avec le regret. Dans cette perspective, certains auteurs (Cuny & Gaillard, 2003) soulignent, par exemple, la nécessité d’élargir les définitions des risques professionnels trop souvent limitées à des acceptions statistiques, justifiées par des soucis de réparation des préjudices, pour y inclure « tout ce qui provoque involontairement un préjudice » (p. 31).
5En ce qui concerne la deuxième voie, le volet évaluatif, objet principal de ce travail, les divergences sont notoires. Les débats et les polémiques que nous présentent les médias sont alimentés par des différences d’appréciation sur des activités que tous s’accordent à considérer comme risquées mais pour lesquelles il n’existe aucune estimation quantitative susceptible de constituer une référence commune. Les difficultés d’évaluation tiennent pour une part au fait que le risque présente cette particularité de faire coexister des informations relativement concordantes et des informations manifestement discordantes. Ainsi, dans tout diagnostic médical ou industriel, il ne suffit pas de se limiter à rassembler des signes qui « convergent », c’est-à-dire qui se trouvent être en accord pour indiquer l’existence d’un état sous-jacent. Il convient aussi, pour éviter le biais de confirmation (Hogarth, 1980), de prendre en considération, voire de rechercher des informations qui vont à l’encontre de cette opinion initiale. Cette nécessité amène à faire cohabiter dans un même champ cognitif des indices qui peuvent être contradictoires, si bien que la définition et l’évaluation des risques s’en trouvent singulièrement compliquées. Confrontés à ces questions, et après avoir pris soin de rassembler l’opinion d’un nombre élevé de spécialistes, Yates et Stone (1992) relèvent qu’il n’existe aucune définition universellement valable du risque. Si, disent-ils, « nous lisons dix articles ou livres différents sur le risque, nous ne devons pas être surpris de [le] voir décrit de dix façons différentes » (Yates & Stone, 1992, p. 1).
6Cette affirmation paraît paradoxale au regard de nos perceptions et de nos actions les plus directes si l’on veut bien considérer qu’à des titres divers (professionnels, citoyens, acteurs sociaux, etc.) nous identifions et traitons les risques attachés à des situations quotidiennes ou exceptionnelles, souvent de façon pertinente (Kouabenan, 2000 a ; Kouabenan & Dubois, 2003). En fait, ce type de démarche introduit des estimations implicites qui reposent sur la mobilisation de connaissances antérieures réputées être pertinentes.
II . 2. UNE APPROCHE FONCTIONNELLE DU RISQUE : LA CARACTÉRISATION
7Faute d’une définition univoque, mais pour éviter toute globalisation excessive, c’est vers une approche plus structurale et plus fonctionnelle, celle de la caractérisation des situations à risque, qu’il convient de s’orienter. L’accord sémantique présenté ci-dessus se fonde sur le constat que ces situations présentent plusieurs caractéristiques structurales et fonctionnelles communes vérifiables, dont la récurrence permet de délimiter une classe d’événements définie par des propriétés génériques.
8Globalement, une situation à risque est susceptible d’être caractérisée par cinq propriétés (Cadet, 2001) :
- présence de plusieurs variables actives : d’emblée la situation à étudier se caractérise par le fait qu’aucune variable, à elle seule, ne fournit une description satisfaisante de la situation. Pour y parvenir, il conviendra de considérer simultanément ou successivement plusieurs informations ;
- nécessité d’intégrer les informations : pour permettre le passage de la diversité initiale à la phase terminale qui se traduit par une évaluation attachée globalement à une situation, il convient de rassembler et d’intégrer des indices provenant de sources multiples (Slovic, Kunreuther, & White, 1974) ;
- présence d’incertitudes : les activités sous-tendant l’évaluation s’effectuent en présence d’incertitude. Cette caractéristique revêt deux formes principales. L’incertitude existe d’abord quant à la signification des signes ou indices utilisés pour caractériser le risque. La quasi-totalité de ces signes ne comporte pas de signification univoque, si bien qu’un même signe peut renvoyer à des situations tout à fait différentes. L’incertitude se manifeste ensuite sous une forme plus globale : celle qui est attachée à l’évolution ultérieure des situations traitées. En situation à risque, les intervenants sont souvent amenés à faire des pronostics en présence d’incertitude à partir des informations présentes ;
- présence d’objectifs et de contraintes : dans toute situation où il existe, le risque n’est admissible que parce que l’activité qui le crée permet d’atteindre des objectifs positifs ou souhaités. Ainsi, le risque lié à toute production industrielle n’est admissible que par la production, à un coût limité, de biens de consommation ; le risque d’anesthésie n’est admissible que parce que l’acte opératoire produit une amélioration de la santé, etc. Le risque n’est donc pas une entité isolée, il se manifeste sous forme d’un étayage ;
- appréciation des effets : une situation à risque se caractérise enfin par la possibilité d’évaluer des effets à court ou à long terme, à l’échelle individuelle, groupale ou sociétale.
9Dès lors, évaluer puis modéliser un risque consiste à appliquer à ces cinq registres d’information des opérations de traitement ou des règles spécifiques qui vont permettre, sous des formes diverses, d’aboutir à une évaluation. En psychologie, elles sont définies dans le cadre de trois grands paradigmes, sensiblement différents, qu’il convient maintenant de présenter.
III. LE PARADIGME DE L’UTILITÉ ESPÉRÉE
10Historiquement, les premières modélisations du risque sont issues de l’analyse du risque économique et financier. Par sa nature même, l’investissement financier est le prototype d’une activité risquée dans laquelle un nombre limité d’états et d’actions possibles présentent, souvent à court terme, des conséquences positives et/ou négatives qui demandent à être anticipées et évaluées en vue d’une prise de décision. Les économistes (Fericelli, 1978) se sont attachés à modéliser ce type d’activité en y introduisant non seulement le risque mais aussi les attitudes, voire les « sentiments » d’attirance ou d’aversion qu’il inspirait. De façon très progressive, le champ d’application de ces modèles s’est élargi à des situations de décision sous le risque, qui étaient plus « psychologiques » et comportementales que purement formelles et économiques (Edwards, 1961 ; Edwards & Tversky, 1967).
III . 1. L’ARCHITECTURE DU MODÈLE
11Génériquement, dans tout modèle formel, le traitement des risques repose sur l’évaluation de deux références fondamentales : d’une part, la possibilité que des événements non souhaitables se produisent ; d’autre part, la possibilité que leurs conséquences soient importantes. La première est transcrite par la notion de probabilité (p) ; la seconde, sur une échelle d’évaluation de conséquences (c) destinée à quantifier la gravité des effets : accidents, incidents, erreurs, pannes, dysfonctionnements, pertes d’un état, d’un bien, d’une opportunité, etc. En ajoutant à ces grandeurs un critère de décision qui spécifie que tout décideur souhaite maximiser les avantages potentiels de sa décision (ou minimiser au maximum ses pertes potentielles), ce dernier se trouve dans un dispositif qui lui permet de traiter le risque.
12Bien qu’il soit explicitement absent du modèle, l’évaluateur en est l’une des composantes essentielles dans la mesure où, l’appareillage conceptuel lui étant fourni, il lui appartient de l’adapter aux conditions qui sont celles de son application en situation. Pour y parvenir, il devra évaluer numériquement les probabilités, quantifier numériquement l’ampleur de toutes les conséquences possibles et combiner ces valeurs sous forme de produits (p * c) dont chacun correspond à un « résultat » probable. En utilisant un « arbre de décision » destiné à visualiser la structure et les évolutions prévues de la situation, le décideur combine les probabilités et les conséquences (pi * cj) ; la théorie prévoit qu’il retienne d’agir de façon à obtenir le produit qui maximise les gains potentiels (pi * cj max).
III . 2. LES LIMITATIONS ET LES DIFFICULTÉS
13L’une des premières difficultés d’utilisation de ce modèle réside dans l’évaluation et la quantification des conséquences. Elle est prévisible si l’on veut bien considérer qu’un même événement comporte des conséquences de nature très différente mais qui doivent être appréciées sur une échelle numérique commune. Ainsi, en matière de risques énergétiques, quelle référence commune utiliser pour comparer les conséquences résultant de l’utilisation de sources différentes ? À l’intérieur d’une même branche, telle l’énergie électrique, comment comparer les productions nucléaires, hydrauliques, thermiques, éoliennes, marémotrices ? Ces comparaisons sont délicates à effectuer (eu égard à la diversité des champs étudiés) alors qu’elles sont nécessaires à toute démarche d’évaluation des risques. Sensibles à de telles difficultés qui se rencontraient au sein même de leur champ d’étude, les économistes ont préconisé le recours à des échelles d’utilité. Chaque option est évaluée non pas stricto sensu, en fonction de ses conséquences, mais en fonction de l’utilité (u) de ses conséquences. De nombreux modèles dans des disciplines fort différentes se réfèrent à une telle grandeur au point qu’elle peut passer pour caractéristique d’un véritable paradigme : celui de l’utilité espérée. Les psychologues l’ont majoritairement employée en matière d’évaluation, en se référant à l’utilité subjectivement espérée, c’est-à-dire en y intégrant les valeurs propres à chaque évaluateur du risque. Nous conviendrons, en nous référant au sens étymologique, de qualifier ces valeurs de subjectives en rappelant que ce terme est synonyme de « valeurs personnelles, propres à un sujet ».
III . 3. VALIDATIONS FORMELLES ET VALIDATIONS EMPIRIQUES
14Pour s’assurer des qualités de l’évaluation à partir de valeurs subjectives, deux voies sont possibles : l’une formelle, l’autre empirique. La voie formelle, longtemps privilégiée par les économistes-décideurs, et toujours très vivace dans cette discipline, s’appuie sur plusieurs systèmes de règles dérivés des travaux princeps de von Neumann et Morgenstern (1947) et de Savage (1954) qui fournissent des garanties d’ordre axiomatique quant à la validité des estimations retenues. Mais, quel que soit le corpus de référence, ces énoncés recouvrent des règles complexes qui sont souvent d’un accès difficile, si bien que, dans leur grande majorité, les évaluateurs n’y font pas référence. Ils préfèrent avoir recours à la voie empirique qui, comme le souligne son appellation, fait largement appel aux expériences antérieures et aux connaissances que l’évaluateur a pu y acquérir. L’expérience professionnelle concourt à la constitution de réseaux cognitifs de traitement, tout à fait opérants, qui permettent une identification plus aisée des informations pertinentes (Lesgold, Rubinson, Feltovich, Glaser, Klopfer, & Wang, 1988). Les processus activés confèrent aux estimations une précision et une homogénéité plus grandes qui font qu’elles se rapprochent des références observées dans l’environnement, notamment en matière de risques naturels (Slovic et al., 1974).
15Compte tenu des travaux sur les apprentissages (Newell, 1990) et sur les modes de gestion des connaissances, notamment dans les modèles ACT (Adaptative Control of Thought) de Anderson (1993), il est admis que les habiletés individuelles s’appliquent à des champs limités et résultent pour l’essentiel d’expositions répétées à des situations de même nature. La référence à la maximisation de l’utilité subjectivement espérée amène à lier l’évaluation du risque à l’expertise décisionnelle et fait de la notion de risque un corrélat de la prise de décision. Ne serait donc bon évaluateur du risque que le bon décideur spécialisé dans une situation spécifiée, généralement professionnelle.
16Un rapide examen des situations d’utilisation effective de ce paradigme vient confirmer ces conclusions. On le trouve utilisé dans l’évaluation des risques industriels, notamment dans l’évaluation des conséquences liées au fonctionnement de process de fabrication et de production (Bessis, 1984) dans une optique qui cherche à concilier des impératifs de production et de sûreté. On le rencontre aussi majoritairement dans l’évaluation des risques médicaux et chirurgicaux, par exemple pour déterminer de façon rationnelle le moment de l’acte chirurgical et l’importance de ses différentes conséquences (Grenier, 1990). Ainsi, à partir d’observations antérieures de situations de crises d’appendicite, des évaluations et des résultats auxquels elles ont donné lieu, cet auteur combine des probabilités et des utilités (négatives, en l’occurrence, puisqu’il s’agit de taux de létalité) pour évaluer les risques liés à une intervention chirurgicale qu’il s’agit, en l’occurrence, de minimiser. Sorum (1995) se réfère aussi à l’utilité subjectivement espérée pour aider à des choix décisionnels « plus rationnels » (i.e. présentant le risque le moins élevé) en matière de réanimation cardio-pulmonaire. Celui-ci se trouve quantifié à partir de l’appréciation de l’utilité des conséquences de chaque mode d’action possible dans une telle situation.
III . 4. LE RISQUE ACCEPTABLE
17Une version légèrement différente du même argument consiste à estimer le risque en se référant à une valeur « mixte » qui établit une balance entre les avantages et les inconvénients attachés à chaque option. Un tel critère est plus opérant que celui qui s’attache seulement à l’utilité positive, en particulier dans toutes les situations où les activités concernées sont à la fois productrices de biens et de nuisances. La prise en compte de deux dimensions comme composantes de l’évaluation amène à définir le « risque acceptable » (Fischhoff, Lichtenstein, Slovic, Derby, & Keeney, 1981). Cette démarche implique que les situations génératrices de risques ne soient pas seulement envisagées sous l’angle des nuisances qu’elles créent ou qu’elles sont susceptibles de créer, mais qu’une « balance » soit établie entre leurs avantages et leurs inconvénients. Les effets des activités risquées sont simultanément positifs et négatifs et impliquent la référence à des valeurs « mixtes ». Cette dualité sous-tend de nombreuses démarches d’évaluation qui déterminent sa qualification comme tolérable ou intolérable, gérable ou ingérable, bénéfique ou dommageable. La sécurité représente le niveau de risque jugé acceptable. Tous les risques ne sont pas perçus ou redoutés de la même manière à l’intérieur d’une même communauté, ni d’une communauté à l’autre. Un risque acceptable pour un groupe ne l’est pas forcément pour un autre ; un risque acceptable aujourd’hui peut ne plus l’être demain. L’acceptabilité du risque évolue selon différents paramètres : évolution des connaissances scientifiques, évolution de la législation, évolution des mentalités, position et responsabilités dans l’organisation et par rapport au risque, expériences, degré d’exposition, valeurs, croyances, profession exercée, etc. Certains risques constituent l’objet même de l’activité de certaines personnes (pompiers, secouristes) et on peut logiquement s’attendre à une évaluation du risque différente chez ces personnes et chez celles qui sont en danger ou secourues. Les études réalisées sur ce sujet permettent de dire que la perception du risque est un phénomène complexe qui peut avoir des déterminants sociaux, psychologiques, physiques, politiques et culturels (Kouabenan, 2001). Dans une étude sur la perception et l’acceptation des risques professionnels par trois groupes représentatifs de salariés plus ou moins exposés (spécialistes de la protection contre les radiations, pompiers, agents d’assurances), Bellrose et Pilisuk (1991) observent que, malgré leur niveau de connaissance des risques liés à leur activité et malgré leur perception de ces risques, les salariés semblent influencés dans leur niveau de tolérance ou d’acceptation des risques par divers mécanismes de compensation comme l’identité professionnelle et la satisfaction qu’elle procure, l’image publique héro ïque, l’héro ïsme et le prestige du métier, des salaires élevés, etc.
18Enfin, des modèles appartenant toujours au même paradigme se réfèrent, pour les besoins du problème à traiter, à des utilités définies à partir d’attributs multiples. Ils sont connus sous l’acronyme général MAUT (multi-attribute utility theory) et leurs fondements théoriques aussi bien que leurs champs privilégiés d’application sont présentés dans l’ouvrage de Keeney et Ra ïffa (1976) et dans celui d’Edwards et Newman (1982).
III . 5. LES FLUCTUATIONS DES VALEURS SUBJECTIVES
19La phase la plus délicate des modèles à utilité espérée est celle de l’évaluation des valeurs subjectives d’utilité et de probabilité dont il est toujours difficile d’éprouver, avant la connaissance du résultat de l’action, la pertinence et la « validité ». C’est de la précision des évaluations de p et de c (ou de u) que dépend directement celle du risque. Or il arrive que ces valeurs évoluent à partir de points d’équilibre qui sont, comme toute connaissance, susceptibles d’être révisés ou de ne pas être estimés de la même façon par des groupes différents ou à des époques différentes. Le débat prolongé qui s’est instauré aux États-Unis sur les risques liés à la saccharine en constitue une excellente illustration. Ce produit, quotidiennement utilisé par les consommateurs nord-américains, présente d’intéressantes propriétés liées au fait que son fort pouvoir gustatif « sucrant » est associé à un très faible apport calorique. L’utilisation de saccharine est donc recommandée en cas de diabète, de régimes hypocaloriques, d’obésité ou de forte propension aux caries dentaires. Au début des années 1970, à partir d’expérimentations réalisées au Canada sur des rats, la saccharine est suspectée par la FDA (Food and Drugs Administration) de favoriser le cancer de la vessie et se trouve inscrite sur la liste des substances cancérigènes du NIH (National Institute for Health). Cette décision est conforme à la clause Delaney votée en 1958 qui interdit l’usage de tout additif alimentaire susceptible d’augmenter le risque de cancer chez l’homme ou l’animal, clause qui s’applique quelle que soit l’intensité avec laquelle cette substance augmente les risques de cancer. Les protestations des industriels et des consommateurs attachés à leurs boissons allégées en sucre (diet sodas) arrivent par milliers au Congrès, si bien que celui-ci, instance politique, vote en novembre 1977 une loi qui interdit à la FDA, instance technique, d’interdire l’utilisation de la saccharine. En l’absence de confirmation du lien entre saccharine et cancer et donc du risque, plusieurs commissions d’experts entre 1996 et 1998, soit une vingtaine d’années plus tard, avancent le caractère non cancérigène de la saccharine pour l’espèce humaine, estimant que l’effet initial constaté est spécifique aux rats, spécialement aux mâles. Ce cas illustre combien l’évaluation du risque dépend directement de l’importance subjective accordée aux informations disponibles, ce qui nous éloigne sensiblement de l’idée qu’il existerait un « risque extérieur » constant qui servirait de référence commune à toutes les évaluations. Cette référence à la relativité est également tout à fait centrale dans le paradigme psychométrique qui va en préciser les déterminants.
IV. LE PARADIGME PSYCHOMÉTRIQUE ET LES DÉTERMINANTS SOCIAUX
20En matière de perception et d’évaluation des risques, les observations les plus courantes, qui sont aussi les plus pressantes, amènent à souligner le rôle important joué par les déterminants sociaux et culturels (Douglas & Wildavsky, 1982 ; Kouabenan, 2001).
IV . 1. LA DIMENSION SOCIALE DE L’ÉVALUATION DES RISQUES
21Il apparaît d’emblée que chaque société, en fonction de son niveau d’évolution technologique, mais aussi en fonction des valeurs auxquelles elle se réfère, « produit » des risques technologiques, les accepte ou les rejette, et dispose ou non de différentes stratégies de réponse face aux risques naturels (mesures préventives face au risque sismique, par exemple). Le risque n’est donc pas seulement une notion caractérisant la technologie, les états de l’environnement : c’est aussi une valeur où figurent des choix sociaux. Les instances politiques nationales ou supranationales, mais aussi l’opinion publique et les citoyens, s’efforcent de connaître chacun d’entre eux, de les encadrer et de les « réguler », autant que faire se peut, par des canaux très divers : création d’organismes spécialisés, mesures d’aménagement du territoire, mesures sanitaires, mesures législatives, manifestations, groupes de pression, etc. L’importance des déterminants sociaux dans l’évaluation du risque est généralement étudiée à deux niveaux qui ne sont d’ailleurs pas exclusifs. Chaque risque identifié peut d’abord être évalué au niveau de groupes sociaux, importants en nombre et se réclamant d’une unité fonctionnelle, quelle que soit sa nature (géographique, historique, culturelle, etc.). Nous parlerons, dans ce cas, de risque sociétal : la référence à la nation en constitue l’exemple le plus connu. Ainsi peut-on quantifier et comparer, entre différents pays, les risques de pollution, les risques routiers ou ferroviaires, les risques sanitaires ou encore les risques liés aux choix énergétiques (entre autres). Mais le risque peut aussi être déterminé en procédant à l’étude de groupes d’effectifs plus restreints dont les membres présentent une caractéristique commune permettant de les spécifier. On pense, bien sûr, aux groupes professionnels (les risques perçus par les opérateurs, les ingénieurs, les pilotes d’avion, les médecins...) et aux risques professionnels qui leur sont liés. Mais cette définition s’applique également à des groupes dont les caractéristiques sont souvent plus « émergentes » que définies initialement : les fumeurs, les pratiquants du parachutisme ascensionnel, les jeunes conducteurs, les personnes âgées, etc.
22Quel que soit le niveau retenu, les déterminants sociaux sont très opérants dans l’évaluation. Short (1984) montre que la perception des risques n’est jamais directe : elle est médiatisée par des modes de recueil d’information, soit implicites tels les conversations entre amis et les échanges professionnels, soit explicites tels les organismes officiels et les médias. Ce sociologue avance, dans le titre même de son article, que ces différentes sources fonctionnent comme des « fabriques de risque » reléguant ainsi ce que l’on pourrait appeler « la matérialité du risque » à une place secondaire, l’avant du tableau étant occupé par les représentations socialement induites du risque. Douglas et Wildavsky (1982) avaient mis en évidence, dans une perspective anthropologique, que la participation à un groupe modifiait les évaluations. L’appartenance à un groupe lui-même sous-ensemble d’une population fait que certains risques, très spécifiques, se trouvent diminués tandis que d’autres se trouvent augmentés. Selon ces auteurs, ces modifications ne traduisent pas seulement des positions groupales quant à l’évaluation ; elles ont aussi pour finalité de préserver l’identité et la cohésion du groupe. Selon Douglas (1987), le risque se prête à des évaluations partagées de probabilités et de valeurs. Il est donc normal que des « individus faisant partie d’un même système social définissent leurs risques, réagissant violemment à certains, en ignorant d’autres, d’une manière compatible avec le maintien de ce système » (p. 55-56).
IV . 2. LE RISQUE COMME CONSTRUCTION SOCIALE
23La position de nombreux psychologues n’est pas fondamentalement différente. De façon récurrente dans leurs travaux, Slovic (1987), Slovic, Fischhoff et Lichtenstein (1979, 1982) indiquent la nécessité de distinguer risque perçu et risque réalisé et soulignent le fait que l’évaluation du risque n’est pas une activité réservée aux seuls experts sur la base de données scientifiques ou techniques, plus ou moins complexes et plus ou moins confidentielles. L’évaluation procède d’un jugement qui est en relation directe avec la perception qui est faite du risque et il est difficile de séparer perception et jugement. Pour Slovic et al. (1979), « dans la plupart des cas, [les gens] doivent s’appuyer sur des inférences fondées sur ce dont ils se souviennent, ce qu’ils ont entendu ou observé à propos du risque en question » (p. 15). Les bases d’information utilisées sont donc essentiellement d’ordre personnel, aussi bien pour traiter de la généralité du cadre (type de risque) que des particularismes de la situation (données d’ordre circonstanciel), souvent déterminants en matière de risque actualisé.
24Dès lors, le risque est une valeur construite par le sujet évaluateur en ne s’appuyant pas seulement sur ses connaissances « techniques », pourrait-on dire, mais en allant bien au-delà. En matière de risques, l’évaluation active de nombreuses autres sources telles que les représentations sociales, les systèmes de valeurs et de croyances, la tonalité positive ou négative de certaines expériences passées, la fonction dans le groupe, etc. À ce titre, la perception et l’évaluation du risque résultent de constructions sociales. L’évaluation « est avant tout biaisée par les groupes sociaux légitimés, c’est-à-dire par les institutions impliquées dans les interactions sociales quotidiennes et ordinaires avec la famille, les amis et les collègues » (Douglas citée par Dake, 1992, p. 27). Par le biais des interactions et du partage des expériences, les individus, membres d’un même groupe ou d’une même communauté, finissent par élaborer une culture commune du risque. Cette culture repose sur un certain nombre de normes et de croyances partagées par les membres du groupe. Certaines de ces croyances tendent à faire banaliser ou sous-évaluer le risque, tandis que d’autres, au contraire, tendent à le faire surévaluer. Dans une étude par questionnaire auprès du personnel soignant (médecins, infirmières, aides-soignantes) d’un centre hospitalier universitaire (N = 185) sur la perception du risque de contamination par le staphylocoque doré, on a pu observer que les soignants expérimentés et les personnes qui sont le plus en contact avec les patients tendaient à sous-évaluer le risque de contamination tandis que les personnes qui ont déjà fait l’expérience d’une contamination semblaient redouter le plus ce risque (Kouabenan, Desrichard, Dubois, de Gaudemaris, Mallaret, & Scarnato, 2003). Une observation similaire concernant l’expérience sociale d’un événement négatif est faite à propos de l’évaluation d’un certain nombre de risques par des accidentés de la route (Kouabenan, 2002). Dans cette dernière étude, l’auteur demande à 553 usagers de la route (conducteurs professionnels, policiers, étudiants, ingénieurs des routes, etc.) ayant diverses expériences de la conduite automobile d’estimer sur une échelle en 5 points les risques qu’ils redoutent le plus parmi une liste de 12 risques potentiels (accident de la route, accident du travail, chômage, guerre, feux de forêt, etc.). Il apparaît que les personnes expérimentées tendent généralement à sous-évaluer les risques (en premier le risque routier), plus que les personnes peu expérimentées ou qui n’ont pas le permis de conduire. Dans la même veine, on peut comprendre que les peuples ou les corps de métier qui connaissent régulièrement des catastrophes, naturelles ou non, ou de dures épreuves dans leur vie tendent à intégrer le désastre dans leur mode de vie et dans leur vision du monde et à sous-évaluer certains risques ou à les admettre comme des fatalités. Les actes de bravoure et de défiance vis-à-vis du risque sont souvent rencontrés dans certains types de métiers tels que le BTP (Bâtiment et travaux publics), la sidérurgie ou les mines qui comportent des coûts économiquement importants et des conséquences graves pour les personnes qui en sont l’objet. C’est le cas aussi dans certains sports dont les adeptes tendent pratiquement à reculer le seuil de perception ou d’acceptation du risque. Enfin, c’est un fait établi que les jeunes n’ont pas la même perception des risques que les personnes plus âgées. De même, en faisant un parallèle avec les travaux sur l’explication spontanée des accidents, Kouabenan (1999) note que les responsables d’entreprise n’évalueront pas de la même manière les risques que les personnes en position subalterne. Les évaluations du risque par des groupes différents dans les mêmes organisations mettent en évidence l’existence de positions asymétriques qui peuvent éventuellement devenir conflictuelles.
25En somme, une telle évaluation cesse d’être une démarche de mesure, avec toute la distance que cette opération suppose par rapport à l’objet mesuré, pour devenir une réponse holistique individuelle obtenue en intégrant des données de toute nature dès lors qu’elles sont jugées pertinentes pour mener une conduite d’évaluation jusqu’à son terme.
IV . 3. LA STRUCTURE DE L’ÉVALUATION
26Afin de mieux comprendre les relations existant entre différents paramètres déterminant le risque perçu, plusieurs travaux de recherche sont entrepris sur cette thématique. Les premiers travaux s’attachent à la comparaison de différents risques. Slovic et al. (1982) entreprennent une étude comparative de 90 situations impliquant des activités risquées, des risques technologiques et des risques naturels. Pour chacun de ces risques, ces auteurs demandent aux sujets d’évaluer le risque perçu de mort (sur une échelle d’évaluation allant de 0 à 100), les bénéfices perçus (sur une échelle d’évaluation de 0 à 100), et d’indiquer s’il convient d’ajuster le risque perçu sur le risque acceptable. En outre, 18 autres caractéristiques sont évaluées pour chaque risque. Les évaluations concernant les trois premières caractéristiques (risque de mort, bénéfices, ajustement) sont traitées statistiquement par analyse factorielle. Les conclusions montrent que la perception de chaque risque résulte bien d’un traitement qui fait référence à trois facteurs. Le premier facteur est déterminé par le caractère redoutable ou épouvantable du risque (dreadful risk) et oppose par exemple les risques liés aux armes nucléaires, aux gaz de combat, au terrorisme et aux actions de guerre à des risques plus « domestiques » tels l’usage des cosmétiques ou des sèche-cheveux, les bains de soleil, les gazinières, les appareils électroménagers. Le second facteur, orthogonal au précédent, différencie des risques connus, observables, à effet immédiat (armes à feu, véhicules à moteur, motos, boissons alcooliques...) de risques moins connus car peu observables et relativement nouveaux (énergie solaire, recherche pétrolière, satellites en orbite, exploration spatiale...). Le troisième facteur est d’ordre quantitatif : il représente la prise en compte du nombre de personnes exposées au risque en différenciant les risques individuels des risques sociétaux. Outre la structure de l’ « univers » des évaluations (traité par l’analyse factorielle), il est intéressant de connaître les relations qui unissent les indices ayant servi aux évaluations. L’étude de Slovic et al. (1982) confirme des conclusions obtenues antérieurement à partir d’une liste beaucoup plus limitée (Slovic et al., 1979), à savoir : le risque perçu est en relation inverse avec les bénéfices attendus. Autrement dit, une activité risquée est perçue d’autant moins nocive qu’elle procure plus de bénéfices. Cependant, les sujets cherchent, au moins implicitement, à « contrôler » les effets de cette relation puisque l’on constate que, plus le risque décrit est perçu comme important, plus l’ajustement sur le risque acceptable est jugé nécessaire (r = 0,91). Dans la démarche d’évaluation, il semble donc être fait référence à une valeur optimale d’équilibre entre dangers et bénéfices qui est celle du « risque acceptable ». Comment ce point est-il déterminé ? Il combine les valeurs subjectives négatives et positives mais ne leur accorde pas la même importance. Selon Slovic (1987), pour compenser une « quantité » subjective Ψ de danger, il faut une « quantité » subjective beaucoup plus importante de bénéfices, de l’ordre de la puissance trois (Ψ3). En d’autres termes, cela signifie que les dividendes à obtenir en contrepartie de l’acceptation du risque sont élevés. Ils ne sont généralement pas atteints, ce qui amène de nombreuses personnes à estimer que les niveaux des risques sociétaux les plus courants sont anormalement élevés à l’égard des facilités qu’offrent les activités qui les engendrent.
IV . 4. UNE MÉTHODOLOGIE D’ÉTUDE : LE PARADIGME PSYCHOMÉTRIQUE
27Les apports originaux de la méthode résident dans le fait qu’elle traite des données subjectives en leur appliquant des méthodes de traitement habituellement utilisées en psychométrie – l’analyse factorielle, en l’occurrence. Ce modèle appelé « paradigme psychométrique » combine des évaluations subjectives et des techniques d’analyse multivariées pour produire des représentations quantifiées ou cartes cognitives des attitudes et perceptions du risque (Slovic, 1987). Ce paradigme classique en psychologie a été largement appliqué à l’étude des risques avant même l’étude de Slovic (voir, par exemple, Gardner, Tiemann, Gould, DeLuca, Doob, & Stolwijk, 1982 ; Johnson & Tversky, 1984 ; Vlek & Stallen, 1981) et nous renseigne sur les facteurs qui sous-tendent l’évaluation.
28Percevoir le risque apparaît donc comme une activité bien plus complexe que celle que décrivent les conceptions les plus courantes. On ne saurait la réduire, comme elles le proposent, à une démarche d’évaluation quantitative d’une grandeur existant, indépendamment de l’évaluateur, dans le monde extérieur. Les subjectivisations de la notion de risque – celle de sa perception et celle de son évaluation (Cadet, 1999) – s’imposent ici comme des exigences méthodologiques primordiales qui, si elles ne sont pas satisfaites, invalident d’emblée l’objet d’étude en le dénaturant. En psychologie, jusqu’à ces dernières années, le qualificatif « subjectif » n’avait pas très bonne réputation, car il était entendu comme l’opposé d’ « objectif ». Pris au sens étymologique de « propre à une personne », il trouve une position épistémologique appropriée dans tous les problèmes de jugement (caractérisation de la situation) et d’évaluation (appréciation des effets) impliquant l’utilisation de valeurs personnelles ou sociales. La question essentielle est alors celle de leur mesure. Elle est maintenant très largement résolue sur le plan formel, par les travaux des économistes (von Neumann & Morgenstern, 1947 ; Savage, 1954 ; De Finetti, 1955), des psychophysiciens (Stevens, 1975) et des psychologues se réclamant, à des degrés divers, des conceptions bayésiennes (Peterson, Ulehla, Miller, Bourne, & Stilson, 1965 ; Peterson & Beach, 1967). Bien que leurs apports restent peu connus, ces travaux convergent pour souligner la richesse et les qualités de précision et de fidélité des évaluations subjectives. Leur détermination obéit à des règles explicites ou s’appuie sur des réseaux cognitifs qui permettent à l’évaluateur d’exprimer un « degré de confiance » justifié.
IV . 5. LES ÉTUDES COMPARATIVES
29Une série de travaux s’attache à mettre en évidence que le risque perçu est affecté par des caractéristiques sociales partagées par une nation. La liste des activités à risques élaborée par Slovic aux États-Unis a été appliquée exactement dans les mêmes conditions en Europe et en Asie. Ainsi, Englander, Farago, Slovic et Fischhoff (1986) l’utilisent en Hongrie ; Tiegen, Brun et Slovic (1988), en Norvège ; Keown (1989), à Hong-Kong ; Goszczynska, Tyzka et Slovic (1991), en Pologne ; Karpowiz-Lazreg et Mullet (1993), en France. Par exemple, dans leur étude, Karpowiz-Lazreg et Mullet (1993) comparent l’évaluation de 90 activités à risques par des étudiants français avec les données obtenues sur des échantillons américains, hongrois et norvégiens. Ils notent que les Français et les Américains tendent à partager les mêmes préoccupations avec la même intensité. Les évaluations des Français et des Norvégiens sont celles qui diffèrent le plus, et il apparaît que les Français, plus que les Norvégiens, sont préoccupés par les risques liés à la violence, aux installations de haute technologie ou à l’agriculture extensive.
30L’utilisation d’un même instrument d’évaluation dans toutes ces études permet d’effectuer des comparaisons directes au niveau des réponses. Nous nous bornerons ici à restituer deux conclusions récurrentes de ces travaux : l’une générale, l’autre spécifique. D’une part, la validité du paradigme psychométrique est confirmée et un espace déterminé par les deux premières dimensions (facteurs) permet la représentation du risque perçu. La nature du troisième facteur (nombre de personnes exposées) est moins stable : il se trouve complété par un quatrième facteur qui, pour les uns, est dit d’ « évaluation » (Mullet, Duquesnoy, Raiff, Farahsmane, & Namur, 1993) alors que, pour les autres, il représente la dimension experts - non-experts (Savadori, Rumiati, & Bonini, 1998). D’autre part, les risques sont ordonnés en fonction de caractéristiques propres à chaque groupe social, aux valeurs et aux profits valorisés ou espérés, mais aussi aux peurs, aux craintes, aux préoccupations qu’il nourrit et aux accidents ou incidents ayant affecté la vie de ce groupe. Non seulement le paradigme met en évidence des différences entre groupes nationaux, déterminées par les valeurs sociales et les conditions de vie, mais il permet aussi de repérer l’existence d’éléments d’évaluation propres aux sous-groupes d’une même nation. Savadori et al. (1998) montrent les différences d’évaluation entre Italiens du Nord et du Sud quant aux risques liés à l’usage de technologies avancées perçues comme plus dangereuses dans le Sud que dans le Nord, constitué de régions plus industrialisées.
IV . 6. LA SENSIBILITÉ À L’ÉVÉNEMENT
31La réalisation événementielle d’un risque naturel ou technologique va donc modifier cet ajustement, surtout si le risque concerné est particulièrement redouté. Ainsi, l’accident de Tchernobyl a globalement modifié l’évaluation du risque nucléaire dans plusieurs pays européens (Sjöberg & Sjöberg, 1990). Il découle de l’étude de Sjöberg et Sjöberg que la survenue d’une catastrophe nucléaire a bien évidemment contribué à montrer que ce risque avait été largement sous-évalué du fait de la rareté de son occurrence. Un autre accident nucléaire critique qui s’est produit à Tokai, au Japon, le 30 septembre 1999, a pu être étudié de façon beaucoup plus systématique que Tchernobyl par Katsuya (2001). Du fait de circonstances très particulières (une étude était en cours lorsque l’événement est survenu), il a été possible d’entreprendre des mesures « avant-après ». Trois conclusions principales se dégagent de cette étude : l’événement a diminué l’acceptabilité du risque nucléaire, il a augmenté la vraisemblance de l’accident, il n’a pas produit d’amélioration, fût-elle minime, des connaissances du public sur l’énergie nucléaire.
32Il en est de même lors de la survenue d’un événement naturel ou technologique qui, par sa seule réalisation, donne à une notion jusqu’alors générale, celle de risque, une matérialité et des effets dont les conséquences sont visibles et chiffrables. Or le caractère « concret » des situations présentées influe de façon beaucoup plus directe sur l’évaluation que ne le font les connaissances générales (Hogarth, 1980). Un risque qui s’est actualisé paraît, au moins pendant qu’il reste en mémoire, plus probable qu’un risque qui reste une entité abstraite. Ainsi, la survenue d’un tremblement de terre augmente-t-elle la perception de ce risque au point de provoquer la souscription d’un plus grand nombre de contrats d’assurances contre ses effets. Il faut en déduire que, plus que les dimensions ou les variables liées au risque, c’est la situation dans sa totalité qui sert de référence fonctionnelle. La fréquence des occurrences et les biais de « concrétude » (Hogarth, 1980) et de « familiarité » (Savadori et al., 1998) s’avèrent influencer les évaluations de façon notoire.
33La « disponibilité » (Tversky, Slovic, & Kahneman, 1982), ou facilité avec laquelle l’information est rendue accessible, est l’une des données importantes pour la compréhension de l’évaluation. Les risques qui font l’objet d’une large médiatisation sont perçus comme plus importants que ceux qui, tout en étant aussi dangereux, sont moins présents dans les médias. Les systèmes d’information produisent donc une « amplification sociale du risque » (Kasperson, Renn, Slovic, Brown, Emel, Goble, Kasperson, & Ratick, 1988), cette grandeur étant entendue comme le produit d’une perception puisqu’elle « n’a de sens que dans la mesure où elle traite ce que les gens pensent du monde et de ses relations » (Kasperson et al., 1988, p. 237).
34Dans certaines de ses applications récentes, le réseau des informations s’est enrichi de données de nature émotionnelle et affective globalement désignées sous l’appellation « affects » dont on a pu pressentir (Shafir, Simonson, & Tversky, 1993) puis montrer (Damasio, 1994) l’importance dans les démarches d’évaluation et de décision. L’évaluation cesse ainsi d’être une activité purement « raisonnée » d’où les sentiments et les affects sont exclus ; il est désormais tenu pour acquis que des facteurs de type affectif ou de personnalité sont opérants, à coté d’informations réputées purement cognitives (Barnett & Breakwell, 2001 ; Bouyer Bagdassarian, Chaabane, & Mullet, 2001).
V. LE PARADIGME COGNITIF
35Alors que les deux paradigmes précédents s’attachaient à l’étude d’une évaluation établie, résultat « stabilisé » d’un ensemble de processus, le paradigme cognitif se donne pour finalité la connaissance des modalités qui participent à son élaboration. Il s’efforce donc de saisir l’évaluation in status nascendi, au moment même où elle s’élabore. Le paradigme cognitif marque donc une rupture importante puisqu’il fait passer d’approches centrées sur le résultat à des approches centrées sur les processus de traitement.
V . 1. PROCESSUS COGNITIFS DE L’ÉVALUATION
36Entreprendre l’évaluation cognitive du risque, c’est distinguer une séquence de traitement constituée par l’enchaînement de différentes étapes dont chacune est caractérisée par une opération spécifique. Hogarth (1980) propose un « modèle conceptuel du jugement » (fig. 1) sous forme d’un système comportant sept processus cognitifs délimités par des cadres sur la figure 1. Outre les étapes traditionnelles d’acquisition (cadre 3) et de traitement de l’information (cadre 4) qui fournissent une valeur ou évaluation en sortie (cadre 5) déterminant un choix d’action (cadre 6), ce modèle générique paraît mieux adapté que d’autres constructions cognitives à l’évaluation des risques. Trois raisons justifient cette position. Remarquons tout d’abord qu’il distingue la valeur de sortie (cadre 5) de la façon dont elle va être exploitée sous forme d’actions (cadre 6) pour produire un résultat (cadre 7). Les « degrés de liberté » ainsi introduits dans le système correspondent bien aux conclusions issues de l’analyse rétrospective de situations incidentelles ou accidentelles qui montrent que ces trois étapes ne sont généralement pas en relation de continuité et que leur globalisation en une valeur unique ne peut que contribuer à obscurcir les problèmes d’évaluation. En outre, une telle modélisation permet la prise en compte d’interactions en considérant que les activités d’évaluation sont contextualisées. Elles ne se limitent pas aux données du problème stricto sensu mais se déroulent dans un environnement (cadre 1) avec lequel elles vont interagir. Notons enfin un élément important qui est celui du « cadrage » de la tâche dont rend compte le cadre 2 intitulé schéma.
37Les schémas « sont des structures de données destinées à représenter des situations génériques » (Amalberti, 1996, p. 86). D’un point de vue cognitif, il s’agit donc de cadres structurés, plus ou moins complexes selon les niveaux intermédiaires qu’ils comportent. Ces schémas sont caractérisés par une finalité : atteindre un but (prendre le train, faire des courses, par exemple), finalité au service de laquelle seront mis des processus de recherche d’information et de choix d’actions. Comme l’ont montré Rosenbloom et Newell (1986), faire référence aux schémas (dits aussi chunks) permet de mettre en œuvre simultanément trois types d’activités de traitement : identifier une situation, appliquer les règles adéquates, créer de nouvelles règles.
Modèle conceptuel du jugement (Hogarth, 1980)
Conceptual model of judgment (Hogarth, 1980)
V . 2. LES LIMITATIONS COGNITIVES
38Ce mode d’évaluation nous éloigne d’une séquence de traitement perçue à tort comme idéale, qui supposerait qu’un recueil important, voire qu’une accumulation d’informations permettrait d’identifier une situation, de formuler un diagnostic qui déboucherait sur une évaluation et un traitement. Or, si tel était le cas, dans les systèmes complexes ou rapidement évolutifs, mais probablement aussi dans d’autres situations plus courantes, l’évaluateur serait submergé par la quantité d’informations à traiter. Il le serait d’autant plus rapidement que les capacités humaines en la matière apparaissent, de façon récurrente depuis l’article princeps de Miller (1956), comme médiocres sur toutes les opérations de traitement, si bien qu’il est devenu courant d’invoquer des « limitations cognitives » en tous domaines (Pitz, 1980), y compris en mémoire de travail, ou encore de faire état de « capacités limitées du canal » de traitement (Hogarth, 1980).
39L’utilisation de schémas pour l’évaluation des risques présente deux avantages majeurs. Tout d’abord, elle permet d’utiliser des ensembles d’informations déjà organisés, assimilables à des banques de données personnelles, ce qui évite d’avoir à procéder, en chaque occasion, à des recueils extensifs. Ce mode procédural procède de l’application d’une stratégie qui permet de diminuer la quantité d’informations en valorisant la qualité. Il ne s’attache qu’au recueil et au traitement d’informations de qualité, c’est-à-dire connues pour leur valeur « diagnostique » et leur pouvoir prédictif. Le second avantage tient à l’existence d’une phase initiale de reconnaissance avec introduction d’une dimension sémantique. Envisagé comme un schéma, l’état à traiter fait l’objet d’une reconnaissance précoce qui permet de « cadrer » les activités d’évaluation en focalisant les processus ultérieurs de recherche sur quelques éléments spécifiques. L’information relative à la reconnaissance n’intervient donc pas après que le recueil soit terminé, comme le conçoit une logique na ïve. Elle est mise en œuvre de façon très précoce, probablement à partir de proto-indices, pour guider les processus de recherche d’information, en vue de confirmer ou non l’intensité pressentie d’un risque. La séquence de traitement des informations n’est donc pas linéaire au sens où les étapes s’enchaîneraient, elle apparaît plutôt comme composée de modules dont les interactions permettent des ajustements dynamiques dont le résultat final est l’évaluation fournie. L’image qui vient à l’esprit est plutôt celle d’un réseau comportant plusieurs modules que celle d’une séquence composée d’une succession d’étapes. Ainsi, l’opérateur prenant en charge, au début d’un quart, la conduite d’un process industriel complexe et dynamique va chercher à caractériser globalement l’état de fonctionnement dans lequel il se trouve en se référant à divers schémas (fonctionnement normal ou dégradé, dysfonctionnements mineurs ou majeurs, sous ou surproduction, etc.). Son activité diagnostique va consister à retenir, parmi tous les schémas possibles, celui qui aura été le plus fortement activé par les informations recueillies en situation.
40L’utilisation des schémas comporte toutefois des contreparties dont la plus importante pourrait être décrite comme une erreur de reconnaissance amenant l’évaluateur à traiter cognitivement un état θ1 qu’il pense avoir identifié alors que le système ou le process se trouvent, en réalité, dans un état θ2. On sait que de nombreux accidents liés aux activités à risques ont pour origine une identification tardive de la situation soit par optimisme exagéré, soit par adhésion prolongée à une identification initiale erronée. Amalberti (1996) rapporte plusieurs exemples de ce type constatés chez des pilotes d’avion et de bateau qui tardent à réviser une représentation initiale erronée mais plausible de la situation. L’identification des dysfonctionnements, et donc des risques, est d’autant plus difficile que l’adhésion à la situation de départ (θ1) est forte. En définitive, il faut donc concevoir que l’évaluation du risque n’est pas réductible à un processus de recueil d’informations qui viendraient « frapper » un évaluateur qui serait alors en mesure d’identifier et d’évaluer les risques principalement en fonction de la quantité d’informations reçues. L’activité d’évaluation est plus complexe, elle procède d’activités de recueil d’informations mais surtout d’activités de révision, de « raisonnements » et d’inférences destinées à valider ou à infirmer des hypothèses. Elle suppose aussi que soient mises en place des stratégies adaptées à une double contrainte : celle de la limitation des capacités et celle du caractère dynamique et complexe des situations (Amalberti & Hoc, 1998). Ces caractéristiques des opérateurs ou des tâches complexifient indéniablement les conduites d’évaluation du risque soit par des apports d’informations difficiles à gérer (surcharges ou carences informationnelles), soit par des modifications fréquentes et difficilement identifiables des états du système ou du process.
V . 3. LA RECHERCHE D’INFORMATIONS DIAGNOSTIQUES
41Une solution possible à la limitation des capacités et aux charges cognitives consiste à travailler avec un nombre limité d’informations, ce qui permet d’alléger la charge de travail. Cette option implique que l’activité d’évaluation du risque soit précédée d’une phase de sélection destinée à ne rechercher que les éléments pourvus d’une forte valeur informative pour identifier chaque schéma. L’exemple le plus connu d’une telle stratégie est le diagnostic médical qui, en référence à la nosographie, ne recherche chez le patient que certains signes caractéristiques de l’état sous-jacent supposé – à savoir, la maladie à identifier. Cette option, qui fait prévaloir la qualité des éléments d’information sur leur quantité, incite à ne retenir que des informations « révélatrices » appelées diagnostiques au sens où leur valeur informative élevée permet de diminuer fortement l’incertitude de l’évaluateur (Keren, 1997). Idéalement, seules les informations qui traduisent la « réalité » de la situation actuelle devraient être retenues car elles représentent les « descripteurs » recherchés. Mais, sur ce point encore, l’être humain s’avère faillible et, sauf au mieux à posséder comme le médecin une nosographie, il éprouve des difficultés à distinguer informations diagnostiques et non diagnostiques. L’expérience professionnelle y contribue grandement mais, faute d’être formalisée ou simplement organisée, elle ne peut manifester ses effets qu’après une exposition prolongée.
V . 4. LES MODALITÉS D’INTÉGRATION
42La phase qui, le plus fondamentalement, détermine le résultat obtenu est celle qui porte sur les modalités d’intégration des informations. Comment, à partir d’une position définie par une diversité d’indices, c’est-à-dire d’une caractérisation multidimensionnelle, l’évaluateur parvient-il à élaborer une valeur unique qui prenne en compte tous ces indices en fonction de leur importance ? Deux grandes stratégies sont concevables. Dans la première, les valeurs attachées aux indices sont simplement additionnées avec ou sans pondérations ; on parle alors de modèles linéaires d’intégration. Dans la seconde, la valeur finale est obtenue par utilisation de règles définies autrement que par l’addition ; on parle alors de modèles non linéaires. Les processus cognitifs qui opèrent dans cette phase d’intégration ont été étudiés dans un cadre plus large, celui du jugement multi-indices en présence d’incertitude, tel qu’on peut le rencontrer dans les situations de diagnostic médical, psychologique, économique ou encore technologique. Ces situations, plus proches de la réalité que celles du laboratoire, présentent des caractéristiques spécifiques de dynamisme et d’interaction qui conduisent à s’interroger, en matière de risque, sur les modes d’assemblage des indices pour construire l’évaluation, opération connue sous le nom d’ « intégration ».
V . 5. LA LINÉARITÉ DE L’INTÉGRATION
43La combinaison additive des informations en vue d’obtenir la valeur globale, connue sous l’appellation de « modèle linéaire », se retrouve dans de très nombreuses études sur l’évaluation (Hammond & Summer, 1965 ; Wilson, 1973) au point d’apparaître comme le mode d’intégration le plus largement utilisé dans le traitement de l’information probabiliste. Concrètement, ce mode de traitement signifie que l’évaluation du risque dépend de l’intégration de différentes valeurs d’indices selon des règles additives utilisant souvent les corrélations linéaires qui relient ces valeurs les unes aux autres. Des développements de ces modes d’évaluation peuvent être trouvés dans Brehmer et Joyce (1988) et dans Cooksey (1996). Ainsi, Earle et Cvetkovitch (1988) étudient le risque lié au stockage de déchets nucléaires à l’aide d’un modèle de régression linéaire comportant six indicateurs qui ont été retenus comme « caractéristiques » par les évaluateurs eux-mêmes dans une liste initiale de onze éléments d’information. L’étude met aussi en évidence que deux groupes expérimentaux, celui des experts et celui des novices, n’attribuent pas des importances équivalentes aux mêmes informations dans la même situation.
44Pourtant, si elle paraît satisfaisante dans des situations d’évaluation où il est possible de faire référence à un critère de validation, la linéarité l’est beaucoup moins en matière de risques où elle se heurte à une difficulté : celle de son caractère compensatoire. La compensation est la propriété qui fait qu’une même estimation finale peut être obtenue à partir de « profils » d’indices très différents. Ainsi, comme deux candidats peuvent obtenir le même total à un examen à partir de configurations de notes très différentes, la même évaluation finale du risque peut résulter de situations dans lesquelles les valeurs d’indices sont extrêmement différentes. La valeur globale, information numérique fournie par les modèles linéaires, est loin de constituer la référence la plus importante de l’évaluation et souvent il est utile de lui adjoindre des informations sur les relations, en particulier interactives, existant entre les indices. Ces informations plus qualitatives sont en fait couramment utilisées par les opérateurs qui s’attachent souvent, en phase de diagnostic, à déterminer des « situations types » ou des « configurations » de signes porteuses d’information quant au risque. La référence à la linéarité perd alors beaucoup de son intérêt, puisque, par définition, elle n’attribue aucune importance à la façon dont les informations sont agencées ou organisées. Peut-être peut-on voir dans ce décalage l’une des différences importantes entre évaluations théoriques (linéaires) et empiriques (configurales) qui sous-tendent de nombreux débats sur les risques.
V . 6. INTÉGRATION DES VALEURS SUBJECTIVES (PSYCHOLOGIQUES)
45En matière de risque, certains auteurs ont souligné l’importance du « nombre psychophysique » (Fetherstonhaugh, Slovic, Johnson, & Friedrich, 1997), notion voisine de celle de valeur subjective, et font reposer l’évaluation sur le traitement direct de telles valeurs. Concrètement, cela signifie que les estimations ne peuvent pas être linéaires chaque fois que la valeur éprouvée d’une unité dépend des autres caractéristiques de la situation ou de la situation dans son ensemble. En tous domaines, la « sensibilité » individuelle décroît rapidement avec l’augmentation des « stimuli » externes. Fetherstonhaugh et al. (1997) soulignent l’insensibilité relative à la perte de vies humaines dans les catastrophes de grande ampleur ou dans les risques répétitifs (risque routier, par exemple). De telles variations montrent l’importance de la référence « subjective » et posent la question de la variabilité des unités d’évaluation.
46La variabilité de la valeur d’une unité « objective » a été mise en évidence par Muñoz-Sastre, Mullet et Sorum (1999) dans l’étude des risques perçus de cancer en relation avec les conduites tabagiques. Ces auteurs se sont attachés à préciser l’incidence de divers niveaux de tabagisme sur le risque mesuré et leurs conclusions montrent que la relation est non linéaire. Cela traduit l’idée que fumer est certes dangereux mais qu’au-delà d’un certain seuil (l’étude le situe à 15 cigarettes par jour), les cigarettes « additionnelles » sont évaluées comme de moins en moins nocives à mesure que croît la consommation journalière. Il n’existe d’ailleurs pas de différences entre les processus d’évaluation du risque chez des fumeurs et chez des non-fumeurs. Une « insensibilité » du même ordre pour les valeurs élevées du « stimulus » a été constatée par les mêmes auteurs pour les risques relevant de la consommation d’alcool. Par exemple, pour évaluer le risque d’ébriété, l’effet d’un même nombre de « verres » (ex. trois) apparaît moins important s’il s’agit de verres additionnels (du cinquième au septième, par exemple) que s’il s’agit des trois premiers verres (Muñoz-Sastre et al., 1999).
V . 7. RÈGLES NON LINÉAIRES D’INTÉGRATION
47Le modèle qui incontestablement est allé le plus loin en matière de connaissance des règles d’intégration est celui de la théorie de l’intégration de l’information de Anderson (1981). En matière d’évaluation des risques, il a pour fonction de mettre en évidence les règles de l’ « algèbre cognitive » (Anderson, 1981), c’est-à-dire la façon dont les informations sont combinées pour aboutir à l’évaluation.
48L’interaction est une donnée importante de l’évaluation des risques. Outre son importance quantitative mise en évidence par les techniques d’analyse statistique, elle peut aussi s’exprimer par l’énoncé de conditions de type configural (Meehl, 1954). Un risque sera par exemple considéré comme important si la valeur d’un seul indice se situe au-dessus (ou au-dessous) d’un seuil préalablement défini, les autres indices n’étant alors pas pris en considération. Une telle stratégie est dite disjonctive. Dans d’autres situations, illustrant la stratégie conjonctive, c’est au contraire la convergence de plusieurs valeurs d’indices au-dessus (ou au-dessous) d’un certain seuil qui sera recherchée. Ces stratégies ont trouvé un champ d’application privilégié dans la détermination de risques individuels liés à la santé. À la suite de Hermand, Mullet et Boutelle (1995), Hermand, Mullet et Lavieville (1997) ont étudié dans cette perspective, à l’aide de scenarii, les risques de cancer liés aux effets combinés du tabac et de l’alcool. Dans cette dernière étude, les auteurs ont demandé à 64 participants d’estimer le risque de cancer associé à un certain nombre de situations décrites en faisant varier les niveaux combinés de consommation d’alcool et de tabac. Les résultats obtenus sont fort différents des opinions couramment entendues sur cette question. Il est en effet habituel de considérer que les risques liés à chaque substance se combinent additivement ou de façon multiplicative : le risque provoqué par l’alcool venant soit s’ajouter à, soit se multiplier avec celui du tabac. Les résultats montrent au contraire la prévalence de règles disjonctives : dès lors que la consommation d’alcool est élevée, les sujets prennent peu en considération, dans le processus d’évaluation, le niveau de la consommation de tabac, si bien que des consommations faibles et fortes de tabac sont considérées comme engendrant des risques voisins. Cependant, invités après l’expérience à expliciter verbalement les relations susceptibles d’exister entre les deux déterminants considérés, beaucoup de sujets se réfèrent à des stratégies multiplicatives qu’ils n’ont pas appliquées ! Il existe un décalage notable entre les règles utilisées pour l’évaluation, mises en évidence par le traitement statistique des réponses, et ce qu’en perçoivent les sujets qui ont fourni les réponses. Ces derniers présentent une tendance systématique à penser l’évaluation en termes d’opérations arithmétiques élémentaires (addition, multiplication), alors que les processus cognitifs effectivement appliqués sont plus complexes. Un tel décalage confirme que la difficulté d’évaluation du risque réside moins dans la sélection des informations que dans leur pondération et leur intégration.
V . 8. LES ÉVALUATIONS PAR HEURISTIQUES
49Les conceptions connues sous le nom de « théorie des heuristiques » se sont largement développées à partir des travaux de Kahneman, Slovic et Tversky (1982), bouleversant à la fois les procédures d’évaluation et de modélisation des grandeurs incertaines, dont le risque est un prototype, et ouvrant la voie à d’autres démarches cognitives d’évaluation. L’idée générale consiste à souligner que le jugement stochastique est une activité difficile à réaliser parce que la situation à traiter est souvent complexe et que les capacités de l’opérateur sont limitées. L’heuristique est un procédé cognitif de jugement qui va permettre d’aboutir à une évaluation sans avoir à mettre en œuvre ni de démarche analytique autour de dimensions, ni de contraintes de quantification ou de traitement. L’évaluation est donc obtenue très rapidement en mobilisant une charge cognitive faible. Classiquement, trois heuristiques sont retenues : a) la représentativité : elle consiste à rattacher la situation à évaluer à une classe déjà connue de situations antérieures similaires (ou paraissant telles) ; b) la disponibilité, qui consiste à évaluer la situation à risque à partir des informations les plus couramment répandues ou les plus récentes qui sont de facto les plus disponibles car facilement rappelées ; c) l’ancrage-ajustement qui consiste à évaluer en prenant comme référence le cas précédent (ancrage) en y apportant quelques modifications (ajustement) pour tenir compte du contexte présent.
50Ces heuristiques, généralement considérées comme équivalentes, ont été comparées expérimentalement par Cadet, Chossière, Berthelier et Ecolasse (1995) dans une situation d’évaluation d’un risque de pollution chimique de l’atmosphère. Une même situation inspirée d’un événement réel est soumise à évaluation en comparant en parallèle quatre conditions de traitement des informations : celles qui résultent des trois heuristiques (représentativité, disponibilité et ancrage-ajustement) et d’une situation dite « placebo » dans laquelle on fournit aux sujets des informations sans relation directe avec le problème à traiter (lecture d’un article de journal sur la pollution marine). Les résultats montrent que les évaluations obtenues par la représentativité et la disponibilité sont relativement proches. Elles se différencient de celles résultant de la mise en œuvre de l’ancrage et du « placebo ». Bien que ne disposant d’aucune information réellement valide, les sujets de ce dernier groupe ont tous fourni des évaluations du risque, certes très différentes, mais en accordant à leurs évaluations une confiance comparable à celle exprimée dans les groupes qui ont travaillé avec les heuristiques. Les auteurs interprètent ces résultats en dégageant deux caractéristiques. D’une part, ils soulignent que représentativité et disponibilité constituent des procédures d’échantillonnage implicite, ce que ne sont pas les deux autres conditions. D’autre part, ils avancent que la confiance dans l’évaluation semble avant tout déterminée par le fait d’avoir à traiter des données sans fondamentalement s’interroger sur leur valeur.
51Récemment, Finucane, Alahkami, Slovic et Johnson (2000) ont introduit une heuristique d’affect, soulignant ainsi une nouvelle fois l’importance de caractéristiques affectives particulièrement opérantes dans l’évaluation de situations fortement recherchées ou fortement redoutées.
V . 9. LES BIAIS DANS LES ÉVALUATIONS
52L’utilisation des heuristiques et l’élaboration de solutions rapides comportent de nécessaires contreparties qui peuvent être soit des erreurs, soit plus souvent des biais. Il est fondamental de bien distinguer ces deux notions, puisque, si l’erreur est aléatoire, tant au niveau de son apparition que dans le sens de ses effets (tantôt en plus, tantôt en moins), le biais est systématique : il se produit à chaque occasion dans une direction toujours identique. On connaît actuellement de nombreux biais (Hogarth, 1980 ; Rabin, 1998) et tous peuvent potentiellement se trouver impliqués dans l’évaluation des risques dès lors qu’elle s’appuie sur les heuristiques. Deux d’entre eux méritent, compte tenu de leur fréquence, d’être mentionnés de façon spécifique. Le premier est la surconfiance qui amène à sous-estimer le niveau de risque, voire à nier son existence. Toute personne placée répétitivement dans des situations professionnelles complexes ou délicates, qui a réussi à les traiter avec succès ou qui en a tiré des effets bénéfiques, présentera une propension ultérieure à minimiser la présence du risque et l’ampleur de ses conséquences. Ainsi l’opérateur ou le pilote chevronnés placent-ils dans les qualités de leur système technique ou dans leurs propres capacités une confiance qui peut s’avérer excessive en cas de difficultés. Le second, connu sous l’appellation de « biais de rétroactivité », consiste à juger, après qu’un événement se soit produit (souvent une catastrophe), qu’il était relativement facile de le prévoir. Cette différence d’évaluation entre avant et après, tient au fait que l’évaluateur du risque après l’événement n’a plus à prendre en compte l’incertitude qui est une donnée nécessairement présente avant l’événement. Bien que traitant du même événement, les deux évaluations sont donc difficilement comparables, voire radicalement différentes. Pour la même raison, les reconstitutions post-accidentelles ou post-événementielles visant en particulier à la détermination de responsabilités juridiques ne doivent pas négliger, dans leur reconstruction rétrospective, de se référer à l’état initial et à l’articulation des divers événements en contexte incertain plutôt que de s’attacher seulement aux carences constatées et aux effets induits.
VI. CONCLUSION
53L’évaluation des risques apparaît toujours comme une opération cognitive complexe et difficile à réaliser. Elle implique l’utilisation d’informations bien spécifiées dans leur nature, généralement présentes en grand nombre, susceptibles d’approches et de traitements différents. Plusieurs stratégies d’évaluation peuvent être appliquées : elles ne reposent ni sur les mêmes principes, ni sur les mêmes informations, ni sur les mêmes règles d’intégration sans que pour autant ces différentes approches soient nécessairement inconciliables.
54En s’attachant à l’étude de trois paradigmes couramment utilisés pour évaluer et modéliser les risques, cet article entend clarifier ce qui spécifie chacun d’eux. Si l’on se réfère à un mode de traitement cherchant à définir un risque acceptable, le paradigme de l’utilité espérée fournit un dispositif approprié ; si l’on s’attache à évaluer et à comparer des risques perçus par des groupes sociaux, le paradigme psychométrique sera le plus pertinent ; si enfin, plutôt que de s’attacher seulement au résultat, on s’efforce de connaître les modalités de traitement de l’information qui permettent de l’obtenir, le paradigme cognitif fournira un cadre fonctionnel approprié.
55Certes, et nous en conviendrons volontiers, la référence explicite à des paradigmes et à des modèles ne résout pas, loin s’en faut, l’ensemble des problématiques relatives à l’évaluation, mais elle a le mérite de mettre en lumière l’existence d’opérations spécifiques et d’options fondamentales, de type méta-cognitif. Ces dernières restent, pour une large part, à étudier et constituent, nous semble-t-il, l’un des axes autour duquel doivent s’organiser les recherches ultérieures.
Remerciements
56Les auteurs remercient deux évaluateurs anonymes ainsi que les coordinateurs du numéro pour leur travail et leurs suggestions sur une version précédente de cet article.
57Manuscrit reçu : février 2003.
Accepté par P. Pansu & C. Tarquinio après révision : juin 2004.
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Mots-clés éditeurs : Modèles, Biais, Évaluation, Heuristiques, Risques