1Margaret Maruani est la fondatrice de la revue Travail, genre et sociétés, qui a fêté ses vingt ans en 2019. Pendant 18 ans, Margaret l’a fait grandir, se développer, en l’accompagnant au quotidien. Depuis longtemps, nous souhaitions l’interroger pour qu’elle nous raconte cette belle histoire, celle de notre revue, celle d’une aventure collective qui dure et perdure dans le plaisir partagé des échanges scientifiques et amicaux.
2Née en Tunisie en 1954, Margaret Maruani est sociologue, directrice de recherche émérite au cnrs (Centre national de la recherche scientifique) et titulaire de la Médaille d’argent du cnrs. Elle est arrivée en France avec sa famille en 1967. Comme elle le souligne ici, son parcours d’immigrée de la première génération a nourri sa trajectoire engagée et son regard sur le monde. Après des études à Sciences Po et un doctorat de sociologie sur Les syndicats à l’épreuve du féminisme publié en 1979, elle a d’emblée développé ses travaux sur de nombreux terrains en mettant en lumière les enjeux liés au développement du travail et de l’emploi des femmes. Ses recherches ont contribué à rompre avec une sociologie du travail dominée par le « masculin neutre » et alors aveugle au genre.
3En s’attachant à l’étude des relations entre marché du travail et genre, en mettant pleinement en lumière la différence entre travail et emploi par l’analyse de l’activité des femmes, en soulignant la centralité des logiques de genre dans l’étude de l’évolution du monde du travail, elle a contribué de manière décisive et pionnière à structurer ce champ de recherche en France. Saisir combien le chômage fait l’objet de mécomptes lorsqu’on ne regarde pas la place qu’y prennent les femmes, montrer quels sont les ressorts du travail à temps partiel et son importance dans les emplois féminisés, voilà autant d’apports essentiels à la compréhension de la structuration du monde du travail et de ses transformations en France et dans le monde.
4L’originalité et la force du parcours de Margaret, c’est la volonté qui a été la sienne d’articuler trajectoire de recherche et engagement féministe, en donnant une place centrale au travail dans le mouvement d’émancipation des femmes et dans l’égalité entre les sexes. Rappelés dans la bibliographie à suivre, les intitulés de ses principales publications témoignent de cette volonté. Le titre de son parcours pose un élément clef au centre de cette aventure, singulière et collective : analyser le travail en rapport au féminisme. Au long du récit de quatre décennies d’investigation semées d’embûches, nous voyons combien le chemin parcouru est considérable et combien il reste encore à parcourir…
5Maintenant conseillère éditoriale de la revue Travail, genre et sociétés, Margaret demeure une compagne de route très présente, à l’amitié chaleureuse et au regard toujours aussi acéré et pertinent. Elle reste « la Reine des titres » au sein de la revue ! Faire son parcours tenait pour nous d’une évidence tant il raconte non seulement une trajectoire exceptionnelle, mais aussi la manière dont s’est constitué un champ de recherche en sociologie du travail et sur le genre et, plus généralement, dont se sont construites les études de genre en France. Ce récit témoigne aussi de l’attention portée à la diffusion de ces travaux au-delà de l’espace académique et du souci de communiquer avec différents univers au sein de notre société : un haut niveau d’exigence allié au désir d’écrire pour être lu·e·s – car telle est sa devise.
Le temps des Jasmins
6Hyacinthe Ravet : Lorsque nous préparions cet entretien, tu nous disais que tu étais « féministe par conviction ». Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur ton parcours personnel ?
7Margaret Maruani : Je suis féministe de naissance, parce que je suis née dans un pays, dans une société, dans un milieu où il était clair qu’il valait mieux naître garçon que fille. J’en ai eu la conscience très rapidement. Je suis née en 1954 en Tunisie, au pays du jasmin, une contrée dont je garde la nostalgie et le souvenir d’une enfance heureuse. J’y ai vécu jusqu’à l’âge de 13 ans, j’en ai eu la nationalité. J’ai été naturalisée française peu après mon arrivée à Paris. La Tunisie, c’était aussi un pays où la domination masculine était triomphante. Elle était exaspérante, elle était affichée et je ne l’ai jamais supportée. Pour moi, être féministe était une sorte de réaction d’autodéfense. C’était une forme de réflexe de survie : accepter le statut dévolu aux filles et aux femmes, c’était se laisser complètement écraser. J’ai compris cela très vite et j’ai été révoltée contre cette société où, dès le plus jeune âge, il y avait les rôles des filles, les rôles des garçons ; il y avait les droits des garçons et les non-droits des filles, puis les droits des hommes et les non-droits des femmes. Je l’ai vu tout de suite et je n’ai jamais accepté ce machisme sûr de lui et dominateur.
8Mon histoire familiale est complexe. Je suis issue d’une famille formée par un couple improbable : mon père était juif tunisien, ma mère était allemande et catholique. Ils se sont connus après la guerre. Ma mère avait sept ans de plus que mon père, elle était veuve de guerre et mère d’une petite fille, ma sœur Christine. Tout cela était, à cette époque et dans ce pays, totalement inconcevable. Ils l’ont fait. Ils l’ont imposé à toute la famille, en Tunisie comme en Allemagne. Ensemble, ils allaient à la synagogue à Kippour et à l’église à Noël. Et nous, leurs enfants, nous suivions. À la maison, c’était couscous le vendredi et choucroute le dimanche… Ma mère était une femme de caractère et de détermination, elle a toujours vécu comme elle le voulait et elle a toujours travaillé, elle était professeure d’allemand. C’était une sorte de brise-glace, quand elle avait décidé quelque chose, elle y allait, rien ne l’arrêtait. Je l’avais en exemple. J’avais aussi l’héritage de ma grand-mère paternelle, dont j’étais très proche. Elle avait eu neuf enfants, s’était retrouvée veuve assez jeune et c’était un vrai « chef de famille ». Elle était par ailleurs une femme lettrée, ce qui était rarissime pour une femme de sa génération, dans cette société. Elle écrivait des poèmes qu’elle me montrait en cachette, elle me racontait des histoires en arabe, nous étions très proches. Il y a au moins deux choses essentielles que j’ai retenues d’elle : « Dans la vie il faut toujours se battre, bats-toi ; » et aussi « On peut tout t’enlever dans la vie : on peut t’enlever ta famille, on peut t’enlever ta maison, on peut t’enlever ton argent. Mais il est une chose qu’on ne peut pas t’enlever, c’est ce que tu as dans la tête ; alors fais des études, ma fille. ». Messages reçus cinq sur cinq ! J’ai vécu entourée de très fortes femmes, de femmes lumineuses, dans ce milieu imprégné de domination masculine. Mon père l’était aussi, bien sûr, mais il avait fait des choix de vie qui lui donnaient une distance certaine avec le machisme ambiant. Il était avocat, c’était le petit dernier de la famille qui avait « réussi dans la vie ». Et, pour lui aussi, les études, c’était sacré, que l’on soit fille ou garçon. Il avait un maître-mot qui m’est resté « L’égalité est l’âme du partage. ». C’était un homme généreux et chaleureux… Tout cela pour vous dire que pour moi, le féminisme vient de loin, de mon enfance tunisoise et de tous ces métissages.
9Alors ensuite, l’arrivée en France à l’automne 1967 a été difficile. Paris est une ville dure aux étranger·e·s et, en ce temps-là, j’étais une étrangère, une immigrée de la première génération comme on dit. Nous étions partis de Tunisie après avoir vu les synagogues et les magasins juifs brûler. Nous arrivions à Paris et, là, je me fais traiter de Maghrébine, d’Africaine et j’ai reçu le racisme en pleine figure – diverses nuances de racisme. Je n’avais aucune amie au lycée, personne ne m’adressait la parole, sauf pour me demander s’il y avait des chameaux dans les rues de Tunis… Je ne savais pas que j’étais une immigrée, mais là je l’ai compris. Les professeur·e·s voulaient me faire redoubler parce que, lorsque l’on vient de Tunisie, forcément, on n’a pas le niveau. Tout cela a été d’une grande violence. Or, j’avais 13 ans et j’étais en seconde, j’étais donc très en avance et tenais à le rester, à demeurer une « bonne élève ». Et j’ai dit : « Non, je ne redoublerai pas. ». Et je n’ai pas redoublé. En arrivant à Paris, ma bataille a été l’école et, après, le boulot, mon travail et mon emploi. Mon féminisme vient aussi de là. Voilà c’est un peu ça la trame de mon parcours de jeunesse. Il m’en est resté une allergie totale à la domination masculine, au racisme sous toutes ses formes et aux inégalités en tout genre. Et une volonté de liberté, d’émancipation par l’instruction et le travail.
10Jacqueline Laufer : Dans ce contexte on comprend l’importance de ton amitié avec Gisèle Halimi à qui tu as d’ailleurs demandé de te remettre la Légion d’honneur.
11MM : Oui, je me sentais très proche d’elle, et sa disparition en juillet 2020 me laisse un grand vide. Nous avions, Tania Angeloff et moi réalisé son parcours, publié dans le n°14/2005 de Travail, genre et sociétés. Gisèle Halimi, pour moi, est une sorte d’icône, une figure éclatante d’intelligence et de combativité, une grande dame pour qui j’ai toujours eu une admiration infinie. Elle a vraiment fait avancer la cause des femmes et du féminisme. Nous lui devons beaucoup. Ce que je trouve très impressionnant dans tout son parcours professionnel, politique et féministe, c’est sa façon de réussir à construire de justes causes, à construire des causes politiques à partir de procès de personnes – de personnes qu’elle a défendues et de procès qu’elle a gagnés. Le procès de la torture en Algérie avec celui de Djamila Boupacha, le procès de l’interdiction de l’avortement avec celui de Marie-Claire et Michèle Chevalier, le procès du viol à Aix-en-Provence. Tous ces procès sont entrés dans l’histoire des droits des femmes par la grande porte. J’ai aussi lu ses livres autobiographiques, ceux où elle relate son enfance, et cela a eu des résonances en moi. Elle décrit son enfance tunisienne, elle raconte comment elle avait fait la grève de la faim pour ne pas servir ses frères à table (rires). Moi, je n’ai pas vécu exactement les mêmes choses, mais j’étais très proche d’elle de ce point de vue là aussi, parce que nous avons vécu des formes de domination masculine très écrasantes. Et puis j’ai eu l’immense chance de la connaître personnellement, j’ai fait sa connaissance au début des années 1980. C’est vraiment une des belles rencontres de ma vie. Nous nous retrouvions le plus souvent à déjeuner. Nous parlions des femmes, du féminisme, de l’égalité, et nous étions toujours d’accord sur les sujets épineux, ceux qui divisent les féministes. Et nous évoquions également Khéreddine et La Goulette, ces faubourgs de Tunis où nous avions vécu l’une comme l’autre une enfance sous le soleil de la Méditerranée, mais une enfance baignée de machisme et d’injustices en tous genres.
12HR : Et avec tes frères et sœurs ?
13MM : J’ai un petit frère et j’avais une grande sœur aujourd’hui disparue. J’étais très proche de ma sœur. Mon frère, qui a cinq ans de moins que moi, c’était le petit prince, et moi j’étais… une fille quoi ! Il n’y est pour rien, et moi non plus, c’était dans l’ordre des choses en quelque sorte…
14HR : Comment cela se traduisait-il concrètement lorsque vous étiez enfants ?
15MM : Ce que je voyais autour de moi, le fait que les filles et les garçons n’avaient pas les mêmes droits, l’occupation de l’espace public par les hommes, c’était quelque chose d’incroyable. Et puis à la maison, par exemple, c’était toujours moi qui mettais le couvert et qui faisais la vaisselle : mon frère avait des devoirs à faire, lui. Il avait le droit de sortir avec des copains en fin de journée et moi pas, c’était comme ça, voilà tout. Par ailleurs j’avais des parents qui étaient plus ouverts que cela et j’avais plus de liberté que bien d’autres filles de mon âge dans la Tunisie des années 1960. Mais la ségrégation spatiale, c’était inimaginable ! C’est peu dire que les rues de la ville étaient le territoire des hommes.
16HR : On sent bien, au quotidien, quand il y a une différence…
17MM : Oui, tu n’as pas les mêmes droits, y compris dans une famille qui n’était pas du tout réactionnaire. Mais tout de même, ma mère a pleuré quand je suis née, car elle aurait préféré avoir un garçon. Comment je le sais ? Parce qu’on me l’a répété à tous les repas de famille (rires). On me l’a dit toute mon enfance, mon adolescence, toute ma vie. Après, cela me faisait rigoler cette histoire parce que… bon, j’ai survécu.
La « question des femmes », un sujet pas bien convenable
18HR : Peux-tu nous raconter maintenant comment tu t’es intéressée aux femmes et au travail dans notre société ?
19MM : La question des femmes et du travail est pour moi fondamentale, depuis très longtemps. Comme je vous le racontais, je suis féministe depuis toujours et, dans mon féminisme à moi, la question du travail est centrale. Depuis le début de ma vie de chercheuse, j’ai travaillé sur cette question. Mais déjà auparavant, dans ma vie personnelle, j’avais acquis la conviction que le travail était au cœur de l’émancipation, de la liberté des femmes, de l’égalité entre les sexes. Cela étant, pour moi, le travail n’a jamais été envahissant. J’ai toujours eu une vie privée, familiale et amicale. Travailler tout le temps, ce n’est pas une vie – pas la mienne en tout cas. Mais c’est ma vie privée et je n’en dirai pas plus ici.
20Après le bac, passé en 1970, j’ai fait des études d’allemand et j’ai commencé une thèse sur les femmes sous le iiie Reich. Chemin faisant, je me suis rendu compte qu’être professeure d’allemand, ce n’était pas mon truc. En 1973, je suis entrée à Sciences Po tout en continuant ma thèse d’allemand et c’est là, à Sciences Po, que j’ai rencontré la sociologie. Je crois que j’ai choisi la sociologie parce que cela me permettait de poser les questions qui m’intéressaient sur les rapports entre hommes et femmes, l’égalité des sexes, la liberté des femmes. Au fil des rencontres, le travail est très tôt devenu une espèce d’évidence : la liberté des femmes, l’émancipation, l’égalité des sexes passent par le travail, l’égalité dans le travail. Ces deux questions, pour moi, étaient des évidences, parce que je pense qu’elles sont inscrites dans mon histoire et je n’ai jamais lâché là-dessus, jamais. Ce n’était pas simple car, quand j’ai commencé à entrer dans le monde de la recherche, la question des femmes et du genre était complètement marginale et marginalisée.
21Mais j’ai eu la grande chance de faire ma thèse avec Jean-Daniel Reynaud, c’était sur les syndicats à l’épreuve du féminisme. J’ai eu une allocation de recherche pour faire ma thèse pendant deux ans (1976-1978). J’ai donc intégré comme doctorante le laboratoire de sociologie du travail du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) que dirigeait Jean-Daniel Reynaud et j’y suis restée jusqu’au début des années 1990. Après la soutenance de ma thèse, j’ai enseigné au Cnam comme assistante, mais j’ai piétiné pendant cinq ans avant d’entrer au cnrs : je me suis fait retoquer méchamment, plusieurs fois, parce que traiter de « la question des femmes », cela déclassait en quelque sorte. Ce fut une période pénible, j’avais soutenu ma thèse en 1978, je suis entrée au cnrs en 1983. Ce n’était pas simple à l’époque, car je devais sans arrêt défendre l’idée que les femmes n’étaient pas une minorité, qu’elles ne constituaient pas les marges du monde du travail, ce n’était pas évident. À chaque étape difficile, Jean-Daniel Reynaud m’a toujours dit « N’écoutez pas, Margaret, continuez ! ». Il m’a toujours soutenue. Comme d’autres figures de la recherche : le soutien de Madeleine Guilbert, celui de Michelle Perrot ont beaucoup compté pour moi, tout comme celui de Michel Verret – Michel qui m’envoyait des cartes postales commentant mes livres et articles. Je les ai gardées ces cartes postales, j’en ai un plein carton.
22Et j’ai fini par être recrutée au cnrs, cela a été une autre chance inestimable. Mais c’était une époque pas facile, parce qu’il fallait essayer de donner une légitimité à un objet qui était très méprisé, considéré comme un objet de seconde zone dans les milieux académiques. Et, par ailleurs, la sociologie du travail se confondait avec la sociologie de la classe ouvrière, c’est-à-dire celle des ouvriers au masculin neutre. Parler des femmes et des ouvrières, c’était à l’époque vu comme secondaire, accessoire, voire dérisoire. Traiter du travail des femmes n’était pas un sujet, on vient de là tout de même. On revient de loin.
23Aujourd’hui, on peut toujours dire qu’il n’y a pas assez de reconnaissance, c’est vrai, mais ce n’est pas du tout la situation des années 1970-1980. À cette époque-là, j’étais coincée entre une sociologie du travail, qui ne voulait pas entendre parler des femmes et de la différence des sexes, et une recherche sur les « rapports sociaux de sexe » et « l’articulation production-reproduction », qui était très peu ouverte au fond, qui était centrée sur l’idée que les inégalités entre hommes et femmes dans le monde du travail étaient entièrement liées à la place des femmes dans la famille, aux rapports sociaux de sexe dans l’univers domestique…
24JL : On ne parlait d’ailleurs pas d’inégalités à propos de la sphère professionnelle.
25MM : Oui, on ne parlait même pas d’inégalités. On travaillait sur les rapports sociaux de sexe dans la famille. Moi j’ai défendu et je défends encore un point de vue différent : pour dire vite, ce n’est pas parce que les femmes font plus la vaisselle, qu’elles ont des bas salaires. Les inégalités se construisent aussi dans le monde du travail. Et d’ailleurs, on peut aussi regarder les choses en sens inverse : qu’est-ce que cela signifie pour une femme que de travailler à mi-temps et d’avoir un salaire de misère, qu’est-ce que ça produit dans les rapports de domination, au sein du couple et de la famille ? Je défendais des positions comme celle-là et, par ailleurs, je soutenais également l’idée qu’on ne peut pas parler éternellement de « l’assignation prioritaire des femmes au travail domestique » alors que l’on vivait, dans les années 1980, une période d’ascension fulgurante de l’activité professionnelle des femmes. Le fait que nombre de recherches sur les rapports sociaux de sexes aient été aveugles à cette ascension me semblait une hérésie totale. De l’autre côté, la sociologie du travail ne s’intéressait pas à cette croissance de l’activité professionnelle des femmes puisqu’elle ne s’intéressait qu’aux travailleurs. Entre ces deux approches, la voie était étroite. J’ai vécu cela pendant des années, nous avons vécu cela, plusieurs d’entre nous. Avec Jacqueline, nous nous sommes trouvées ensemble dans ces moments-là et c’est aussi ce qui nous a donné envie de créer le Mage, de créer la revue.
26Mais je dois dire que les premières années furent difficiles, on ne se rend pas compte aujourd’hui à quel point ce que nous faisions était perçu comme folklorique, marginal, et pire que tout : militant. Et il fallait, pour s’en sortir, être bonne élève – une fois de plus ! Il fallait faire sa thèse tout bien comme il faut, écrire dans les grandes revues, se faire traduire en anglais, etc. J’ai fait tout cela pour avoir la liberté d’écrire sur ce qui m’a toujours semblé être un sujet très important, même s’il était mal vu et malvenu – pas bien convenable pour tout dire.
La petite musique du doute
27HR : Quelle évolution peux-tu retracer entre le moment où tu as commencé à travailler sur ces sujets et maintenant ?
28MM : Je pense que les choses ont sensiblement changé. Il reste toujours une suspicion qui plane sur ces domaines de recherche : « Est-ce que c’est bien scientifique tout cela ? ». La petite musique du doute demeure. Néanmoins, je suis frappée par exemple par le nombre de thèses qui traitent de ces sujets, qui en traitent « normalement », sans avoir à se défendre de le faire. J’ai grand plaisir à voir que de nouvelles générations de chercheur·e·s maniant les études de genre sont arrivées nombreuses et continuent à faire avancer la recherche. Oui, les choses ont évolué, plus lentement en France qu’ailleurs, et de façon différente selon les disciplines. En histoire, tout est allé plus rapidement qu’en sociologie et beaucoup plus vite qu’en économie. En économie, c’est toujours difficile, n’est-ce pas ?
29JL : Il me semble qu’après un long silence, le droit de penser le genre en économie s’est pourtant affirmé. Le Mage, dès sa création, et ensuite la revue ont d’ailleurs largement contribué à ces débats à travers plusieurs colloques et publications – Le travail du genre (2003) – par exemple. Il s’agissait pour nous toutes de remettre en cause ces paradigmes « classiques » qui, en économie comme en sociologie, ont longtemps cantonné le statut des femmes à leur rôle familial, justifiant alors leurs « préférences » pour des emplois leur permettant d’assumer leurs tâches domestiques, des questions qui font écho, Margaret, à tes travaux et que nous avons partagées dès le début, alors que nous étions dans des univers très différents.
30MM : Oui, c’est ça, nous étions très proches avec Jacqueline, et je crois qu’en créant le Mage et la revue, nous avons voulu montrer qu’il y avait de vraies connaissances là-dessus, que ce n’était pas juste quelques chercheuses qui avaient des humeurs et qui s’intéressaient à des sujets de seconde zone. Il y avait un champ de recherche, il y avait des savoirs accumulés. Quand nous avons commencé à ouvrir cette brèche, à vouloir rassembler les recherches si diverses qui existaient, nous avons été étonnées nous-mêmes de voir l’ampleur du travail réalisé. Nous avons voulu d’emblée être pluridisciplinaires et ouvert·e·s à l’international. Les Cahiers du Mage, créés en 1995, puis la revue Travail, genre et sociétés, fondée en 1999 et tous les ouvrages collectifs du Mage donnaient à voir cette ampleur, cette richesse-là. Du coup, on ne pouvait plus nous traiter comme une petite annexe de je-ne-sais-pas-quoi. Par ailleurs, la régularité, le cumul des connaissances, c’est très important parce qu’il y a toujours le spectre de l’année zéro qui guette, cette rengaine qui régulièrement fredonne : « Les études de genre, ça commence avec moi. ». Le fait d’écrire, de publier de manière régulière, c’est une façon d’inscrire ces questions et ces thèmes dans une histoire intellectuelle.
31JL : Comment formulerais-tu aujourd’hui les enjeux de tes premiers livres sur le travail des femmes ?
32MM : L’idée de placer l’activité professionnelle des femmes au cœur des rapports sociaux entre hommes et femmes dans la société, cette idée m’est venue lorsque j’ai commencé ma thèse d’allemand sur les femmes sous le iiie Reich. Parmi les premières mesures prises par Hitler à son arrivée au pouvoir, il y avait toute une série d’interdictions de l’emploi des femmes : interdiction du travail des femmes mariées, licenciement des femmes fonctionnaires, refus des femmes dans certaines professions. En travaillant sur les archives, j’ai vu à quel point la position des femmes que l’on voulait ravaler à celle de deutsche Frau und Mutter (la femme et mère allemande) passait par des attaques au bazooka contre l’emploi des femmes. Donc l’idée que l’oppression des femmes passe par la case Interdiction du droit à l’emploi, c’est quelque chose qui m’est resté comme un fil conducteur tout au long de mon parcours de recherche. Après, les circonstances ont fait que je n’ai pas poursuivi cette thèse d’allemand et que j’ai entamé une thèse de sociologie avec Jean-Daniel Reynaud. Mais en arrière-fond, il y avait cette idée forte de mettre le travail et l’emploi au centre de la réflexion et j’en suis venue à travailler sur les syndicats et le féminisme, cela a été ma thèse soutenue en 1978 et mon premier livre publié en 1979, Les syndicats à l’épreuve du féminisme. Mon idée était de travailler à partir des grèves, à partir des luttes de femmes, je ne sais pas comment cette idée m’est venue mais elle m’est restée, la plupart de mes enquêtes portent sur des grèves. J’ai voulu dans cette recherche-là, dans ce livre, poser la question du féminisme en milieu ouvrier. Car ce qui m’intéressait, ce n’était pas les relations entre mouvements féministes et mouvements syndicaux, mais c’était de voir la pénétration des idées féministes, même si elles ne s’affichaient pas comme telles, dans le mouvement syndical, et plus largement chez les ouvrières. La parution de ce livre a été un moment très émouvant pour moi, car il a coïncidé avec celui de la naissance de ma fille, Marion. Je me souviens que mon éditrice était venue me voir à l’hôpital où je venais d’accoucher avec des fleurs… et la maquette de la couverture.
Du travail à l’emploi
33JL : Plusieurs types de luttes étaient en jeu… des luttes ouvrières mais aussi des luttes féministes ?
34MM : J’ai retrouvé cette même interrogation dans le livre suivant, réalisé avec Anni Borzeix, Le temps des chemises. Cet ouvrage, paru en 1982, retrace, sous forme de récits personnalisés, de biographies sociales, l’histoire d’une grève de femmes pour l’emploi, celle de la Confection industrielle du Pas-de-Calais (la Cip) : 117 femmes et un homme en grève pour l’emploi, contre la fermeture de l’usine. Une grève longue, trois ans, avec occupation des locaux et reprise de la fabrication (de chemises) sous contrôle ouvrier. La Cip, une petite sœur de Lip, disait-on à l’époque. En fait, nous avons voulu faire une recherche sur la mémoire : que reste-t-il de ces années de grève ? En quoi un évènement de cette ampleur laisse-t-il des traces dans la vie professionnelle, politique et personnelle des ouvrières qui l’ont menée ? Les lendemains de la grève, tel était l’objet. Cette grève avait démarré en 1975 à la suite d’un dépôt de bilan et d’un licenciement collectif de l’ensemble du personnel. Elle s’est achevée, victorieuse, en 1977, par la réouverture de l’usine et l’embauche de toutes les grévistes. Mais pour durer ainsi, il a fallu qu’elles se battent à l’intérieur de leurs propres familles. Leurs maris, nous n’avons pas pu en interviewer un seul, ils ne voulaient plus entendre parler de cette grève, même si certains les avaient soutenues, pour nombre d’entre elles, cela avait été un conflit intrafamilial aussi.
35La deuxième chose que j’ai retenue de cette recherche, la deuxième piste qui a rebondi des années plus tard, c’est la différence entre travail et emploi. C’est au cours de cette enquête que je me suis rendu compte de cette différence. Les ouvrières de la Cip avaient fait trois ans de grève pour sauvegarder leur emploi à la suite de la fermeture de l’usine, donc trois ans de lutte avec occupation jour et nuit, une lutte dure. Et pourtant, quand elles nous parlaient de leur travail, ce n’était pas une belle image du travail ouvrier qu’elles renvoyaient, elles n’avaient pas l’amour du métier, elles n’avaient pas choisi de travailler dans la confection. Elles avaient de bas salaires, elles travaillaient dans des conditions très difficiles, elles nous ont dit les cadences, le chronomètre, elles nous ont dit les contre-dames, la saleté. Bref, elles n’aimaient pas ce travail, mais elles tenaient absolument à leur emploi, « Travailler, c’est ma liberté. », nous expliquaient-elles et quand elles parlaient de leur travail elles disaient : « C’est l’enfer. ». C’est là que j’ai vu, de mes yeux vu, la différence entre le travail et l’emploi. Le travail, ce sont les conditions dans lesquelles on exerce une activité professionnelle ; l’emploi, c’est le fait d’avoir accès au monde du travail. J’ai compris que si l’on peut à ce point détester son travail et en même temps s’accrocher à son emploi, alors c’est que le travail et l’emploi ne sont pas la même chose. Cette distinction, dans le livre, nous en parlons un petit peu, mais ce n’était pas central. Après, elle a trotté dans ma tête. Et c’est aussi dans ces années-là que j’ai réalisé avec Danièle, mon amie Danièle Linhart, une recherche sur la précarité des emplois ouvriers. L’emploi était bien au cœur de notre enquête et l’idée d’une centralité de l’emploi faisait son chemin. Et puis cette distinction s’est retrouvée, des années après, dans un livre écrit avec Emmanuèle Reynaud, Sociologie de l’emploi (1993).
36HR : Comment caractériserais-tu la poursuite de tes travaux ?
37Après, j’ai continué, je suis passée des grèves et du syndicalisme à l’évolution du salariat féminin. J’avais cette double volonté de montrer l’importance de la progression du travail et du salariat féminin. Nous étions dans les années 1980, il y avait une croissance fantastique de l’activité professionnelle des femmes, mais qui demeurait socialement invisible. C’est pour ça que j’ai écrit mon troisième bouquin, Mais qui a peur du travail des femmes ? (1985) Mon interrogation était la suivante : le travail des femmes s’était installé de façon massive et durable, mais on continuait de raisonner comme s’il n’était là que de passage, par intérim, aux marges du monde du travail. J’ai le souvenir, par exemple, lorsque j’enseignais la sociologie du travail au Cnam, quand on arrivait au chapitre « Travail des femmes », mes étudiant·e·s me disaient : « Mais c’est quoi ? Vous êtes sûre ? Ils sont justes ces chiffres-là ? Ah non ce n’est pas possible. ». Ils n’arrivaient pas à comprendre, à accepter, à admettre, qu’il y ait autant de femmes qui travaillent. Et donc là, je me suis dit : « Il y a un truc, il y a quelque chose qui cloche. ». C’était l’époque, dans les années 1980, où il y avait des sondages qui demandaient aux femmes « Est-ce qu’il vous paraît souhaitable de travailler ? », « Est-ce qu’une femme doit travailler ? », questions que l’on n’a jamais posées aux hommes. De fait, la société a mis vingt ans ou trente ans à se rendre compte de l’impressionnante progression de l’activité féminine, à comprendre que la féminisation du salariat était une des mutations essentielles du monde du travail au vingtième siècle. Ce fut un premier fil.
38Ensuite, je suis passée de l’étude du travail à celle de l’emploi des femmes, de leur place sur le marché du travail. J’ai donc élargi l’étude du travail à celle du chômage, à celle du sous-emploi, en essayant de montrer qu’il y avait bien une division sexuée du travail, certes, mais il y avait aussi une division sexuée du marché du travail, que c’est une chose de parler des qualités, des compétences, des salaires des hommes et des femmes, mais il y avait un autre sujet extrêmement vaste qui était le chômage des unes et des autres, le sous-emploi, la précarité des emplois, etc. C’est là que la distinction entre travail et emploi a commencé à jouer tout son rôle. Cela permettait de faire le ménage au fond, de distinguer les choses : côté emploi, on voyait une très forte croissance de l’emploi et des activités féminines ; il y avait aussi une très forte montée du chômage, une très forte progression du sous-emploi. Côté travail, on voyait que les femmes étaient embourbées dans une sorte de marécage d’inégalités stagnantes. Et j’ai voulu travailler sur le contraste entre ces deux évolutions, notamment dans Au labeur des dames (1989). J’ai également tenté de montrer à quel point, lorsque l’on regardait les différences entre hommes et femmes, quand on travaillait sur les logiques de genre, on apportait des connaissances à l’analyse de l’ensemble du monde du travail et pas seulement à l’analyse du travail des femmes.
Le chiffre est politique
39JL : Pourrais-tu donner des exemples de la richesse de cette perspective pour analyser la situation des femmes en matière d’emploi et de chômage ?
40MM : Prenons l’exemple du chômage. Comme on sait, il y a plusieurs chiffres du chômage : il y a le chômage au sens du Bureau international du travail (bit), celui qui est commenté tous les mois et puis il y a tout ce qui gravite autour du chômage, toutes ces zones d’ombre entre l’inactivité et la privation d’emploi, que l’on nomme le « halo du chômage ». Pour les femmes, les zones d’ombre sont bien plus importantes que pour les hommes. Entre une chômeuse et une inactive, quelles différences ? Dans la réalité, bien sûr, il y en a, mais statistiquement, une chômeuse peut très bien rebasculer dans l’inactivité parce que l’on change les définitions et les conditions d’enregistrement du chômage. Parce qu’une femme qui perd son emploi, quel est son statut ? Chômeuse ou inactive ? Sur toutes ces questions, on est dans le flou. Et l’on ne comprend pas bien l’essor de ce halo du chômage si l’on n’introduit pas les femmes et la différence des sexes dans l’analyse du marché du travail. J’y ai beaucoup travaillé dans un livre sur Les mécomptes du chômage (2002), dans lequel j’ai essayé de décortiquer les chiffres du chômage, et regarder à la loupe ce qu’était le halo du chômage : où sont les hommes, où sont les femmes ; le sous-emploi compte combien de personnes, et de quel sexe ? Et si l’on y ajoute toutes les catégories de chômeurs, combien cela fait-il ? Se poser des questions comme celle-ci sans s’intéresser à la différence des sexes, cela fait un voile qui masque la réalité sociale et brouille les pistes. C’est un fil que j’avais déjà commencé à tirer dans Sociologie de l’emploi que j’ai écrit avec Emmanuèle Reynaud, puis Travail et emploi des femmes et, ensuite, dans l’ouvrage publié en 2012 avec Monique Meron, Un siècle de travail des femmes, 1901-2011.
41Dans ce dernier ouvrage, notre idée, au départ, était de compter le nombre d’hommes et de femmes au travail au xxe siècle et, en même temps, de décrypter la façon de compter : chiffrer et déchiffrer, ausculter l’art et la manière de fabriquer les statistiques. Il s’agissait de retrouver les logiques qui présidaient aux chiffres de chaque époque, de comprendre, à travers les statistiques et les définitions de l’activité, les comptes et codes sociaux qui délimitent les frontières de ce que l’on nomme le travail des femmes. Nous n’avons pas recalculé le travail des femmes tout au long du xxe siècle avec les définitions d’aujourd’hui, nous avons reconstitué des séries de chiffres en gardant les définitions de chaque époque. Et nous avons bien vu qu’aux problèmes de lisibilité des statistiques de l’activité s’ajoutent les interrogations sur la visibilité du travail des femmes. Où passent les frontières entre l’emploi repérable et le travail informel ? Comment les femmes ont-elles été, au fil des ans, recensées, omises ou recalculées, effacées ou reconnues ? Sur les femmes pèse toujours le soupçon implicite de l’inactivité : une paysanne dans un champ, travaille-t-elle ou regarde-t-elle le paysage ? Une ouvrière licenciée, est-ce une chômeuse ou une « femme qui rentre au foyer » ? Ces questions récurrentes, que l’on réserve aux seules femmes, nous disent le contraste entre l’évidence de l’emploi masculin et la contingence de l’emploi féminin. Le fait de déclarer ou non une activité rémunérée ou une profession, de distinguer la fonction sociale de travailler, d’avoir un emploi, un métier, des autres fonctions plus domestiques ou strictement familiales, c’est s’affirmer comme membre d’une société économique. Ce sont des actes symptomatiques des représentations de l’époque sur le travail et, plus largement, sur le rôle des femmes dans la société. En regardant comment se construisent au fil des ans les statistiques de l’activité professionnelle des femmes, on peut dire quelque chose de l’histoire de leur statut. En ce sens, la délimitation des frontières du travail, de l’emploi et du chômage des femmes est une question éminemment politique.
42Un siècle de travail des femmes en France, 1901-2011, cela a été huit années de travail et de discussions passionnants avec Monique. Un travail à l’ancienne, une plongée minutieuse dans les grands livres des recensements de la population depuis 1901.
43HR : La distinction entre travail et emploi, c’est un apport majeur de tes travaux.
44MM : Oui, cette distinction m’a beaucoup apporté… Cela permettait, entre autres, de sortir d’une analyse un peu misérabiliste de la division sexuelle et sociale du travail. Car lorsque l’on s’intéresse à la sociologie de l’emploi, on voit la progression de l’emploi féminin, on voit l’importance des femmes dans la population active. Or ce n’est pas la même société, ce n’est pas le même statut pour les femmes selon qu’elles constituent un tiers (33 %) de la population active comme c’était le cas en 1962 ou qu’elles en sont près de la moitié (48 %) aujourd’hui. On ne vit pas dans le même pays, les femmes ne vivent pas dans le même monde selon qu’elles sont dans l’une ou dans l’autre configuration. Et ça, c’est une idée qui ne m’a pas lâchée au cours de quarante ans de recherche. Au-delà des taux d’activité, c’est le statut social des femmes qui change. Et puis, bien évidemment, la distinction entre travail et emploi vaut également pour les hommes ! Je crois aussi que c’est à partir de là, en m’intéressant à l’emploi et au marché du travail, que j’ai eu de nombreux échanges avec des collègues et ami·e·s économistes, Rachel Silvera, bien sûr, mais aussi Annie Gauvin, François Michon, Danièle Meulders et Robert Plasman, notamment. Des échanges durables : Rachel a pris le relais lorsque j’ai quitté la direction du Mage en 2015. Danièle a, avec toi Jacqueline, participé activement à la direction du Mage des années durant. Et puis nous avons écrit un certain nombre d’articles ensemble.
45C’est aussi à partir de cette réflexion sur le marché du travail que j’ai été amenée à rejoindre, comme chargée de mission, l’équipe de la Mire (Mission interministérielle de recherche), à l’invitation d’Emmanuèle Reynaud qui y travaillait depuis quelque temps déjà. Ensemble, nous avons monté toutes sortes d’activités sur les rapports sociaux de l’emploi : appels d’offres sur « flexibilité et partage de l’emploi », sur « formes de chômage et mouvements d’emploi », colloques internationaux sur l’emploi en Allemagne, en Italie et en Espagne. J’ai passé quatre années à la Mire, de 1987 à 1991 (à temps partiel car je voulais garder mes activités de recherche personnelles), quatre belles années au cours desquelles j’ai beaucoup appris sur la gestion collective, pluridisciplinaire et internationale de la recherche. C’est Lucien Brams qui dirigeait la Mire et j’ai compris bien des choses avec lui. J’ai vu là quelqu’un qui gérait des programmes de financement de la recherche à la façon d’un mécène confiant, ouvert, et non d’un « restructurateur » de la recherche ou d’un surveillant général des chercheur·e·s. Il avait réussi à faire de cette mission une sorte de bulle de liberté au sein du ministère du Travail. Avec lui, j’ai aussi appris comment négocier un budget avec un ministère de tutelle, comment empêcher les cabinets ministériels de piloter les thèmes de recherche, et tout cela avec un humour caustique – façon Commedia dell’arte. Lucien Brams avait également une manière truculente et salutaire de se mettre à distance des petites puissances de notre milieu. Je pense que je n’aurais pas pu créer le Mage et la revue si je n’avais pas eu cette expérience dont je garde un souvenir formidable.
Les colloques passent, les livres restent
46JL : Pour en venir maintenant à la création du Mage et de Travail, genre et sociétés, comment décrirais-tu le déroulement des choses ?
47MM : L’idée de créer le Mage est née, en 1994, au cours d’un déjeuner amical à trois, dans un bistrot de la rue des Saints Pères. Chantal Rogerat et Helena Hirata me parlent de l’idée de créer un Groupement de recherche (gdr) au cnrs. L’idée me paraissait bonne. Mais quand elles m’ont dit qu’il fallait que ce soit moi qui m’en occupe, je l’ai trouvée moins bonne. Mais elles ont été coriaces. Ce déjeuner fut un traquenard, mais de ce guet-apens est né le Mage, Groupement de recherche « Marché du travail et genre » – c’est à Catherine Marry que nous devons cette appellation.
48Nous sommes parties à quelques-unes, Chantal et Helena, bien sûr, et aussi toi, Jacqueline, ainsi que Marlaine Cacouault, Marie Duru-Bellat, Catherine Marry, Sylvie Schweitzer et Rachel Silvera. Avec l’idée que le travail était au centre de ce que l’on appelait à l’époque les rapports sociaux de sexe. De fait, il y avait deux choses : d’une part, une volonté de situer les questions du genre au centre des réflexions sur le travail et, d’autre part, de mettre le travail au cœur des réflexions sur le genre. Il y avait cette double volonté qui nous a été commune à toutes les fondatrices du Mage. Il y avait aussi un autre enjeu, qui était d’inscrire institutionnellement les questions de genre et du travail au sein du cnrs, au sein de l’université, dans le monde académique. C’était celle qui a présidé à la création du Mage, le premier gdr du cnrs centré sur la question du genre. Et, en créant le Mage, nous avons tout de suite voulu que nos séminaires, nos colloques, nos débats, nos discussions, gardent une trace écrite. Anne Forssell, qui était avec nous depuis le début, s’occupait de la gestion des activités du Mage et du secrétariat de rédaction des Cahiers, puis de la revue Travail, genre et sociétés.
49JL : On a donc créé Les Cahiers du Mage.
50MM : Voilà, c’est ça, le Mage a été créé le 1er janvier 1995 et le 30 mars 1995 sortait le premier numéro des Cahiers du Mage, avec l’idée que les colloques et les séminaires passent, mais les écrits restent. Donc nous avons publié Les Cahiers du Mage pendant quatre ans, ils étaient trimestriels. Mais au bout de quelque temps, nous nous sommes dit qu’une revue ce n’était pas si différent, que ça valait le coup de tenter de créer une revue, de faire cette expérience et ce pari, c’est comme cela qu’on s’est lancées. On s’est dit « Allez, hop, on y va ! ».
51Cela dit, nous avons vite compris que ce n’était pas si simple ! Il a fallu trouver un éditeur, constituer un comité de rédaction, trouver des articles. Quand nous avons construit le premier numéro, j’ai eu peur, j’ai eu une des frayeurs de ma vie. Nous demandions à des personnes, qui n’étaient pas n’importe qui, des articles pour une revue qui n’existait pas… : un parcours à Madeleine Guilbert, une réponse de Pierre Bourdieu à la Controverse autour de son livre La domination masculine, une contribution de Michelle Perrot… Et puis les choses se sont faites. Toute l’équipe a eu, je crois, une grosse frayeur : donner existence à une chose qui n’existait pas, c’est une aventure formidable. Heureusement, Chantal Rogerat était très activement partie prenante et elle était la seule d’entre nous à avoir l’expérience d’une revue puisqu’elle avait dirigé le Magazine Antoinette. Sa présence était rassurante, nous étions très proches, très complices.
52HR : Et vous avez eu tout de suite des soutiens pour créer une telle revue ? Un éditeur, un comité de rédaction…
53MM : Oui, nous avons eu des soutiens, mais trouver un éditeur, cela n’a pas été facile. Bien des éditeurs n’ont pas voulu de nous : « Une revue qui n’existe pas, on ne prend pas ». Nous avons ramassé quelques gamelles, j’en garde des souvenirs pas très agréables. Et puis nous avons été chez L’Harmattan et Denis Pryen s’est tout de suite déclaré intéressé. Ce contact, c’est grâce à Bruno Péquignot que je ne remercierai jamais assez de nous avoir soutenues. Il a toujours été là, à différentes étapes de la vie du Mage et de la revue.
54JL : C’était une équipe multidisciplinaire, incluant des éclairages économiques, historiques, ou plus sociologiques, ce qui constituait une force de frappe non négligeable.
55MM : L’équipe était pluridisciplinaire, avec au départ une dominante de trois disciplines : la sociologie, l’histoire et l’économie. De même, nous étions ouvertes à différents courants de pensée qui traversaient et traversent encore les études de genre. Au Mage comme à la revue, nous avons rassemblé des gens qui habituellement ne se parlaient pas, qui s’invectivaient par notes de bas de page interposées. Cela a constitué notre originalité, celle de ne pas être la revue d’une école ou d’une discipline. Et puis nous avons bénéficié des soutiens de personnalités très fortes, comme Christian Baudelot, Robert Castel, Geneviève Fraisse, Maurice Godelier, Madeleine Guilbert, Michelle Perrot, Madeleine Rebérioux, Michel Verret et bien d’autres. Et je n’oublie pas le chaleureux accueil de François de Singly lorsqu’en 2010 nous sommes arrivé·e·s à l’université Paris Descartes dans le laboratoire qu’il dirigeait – et qui se poursuit aujourd’hui sous la direction d’Olivier Martin.
Écrire pour être lu·e·s
56JL : Lors des séminaires du Mage, les Cahiers du Mage en attestent, puis la revue, notre public était très diversifié, des syndicalistes, des fonctionnaires du Service des droits des femmes et du ministère Roudy, des étudiant·e·s, des chercheur·e·s, bien sûr, mais aussi tout ce public qui manifestait le désir de réfléchir avec nous.
57MM : Oui, c’est vrai que nous avons toujours été en dialogue avec le mouvement social, des syndicats, des féministes, des représentants de l’administration du travail et des droits des femmes. En même temps nous avons toujours voulu garder une ligne académique, nous étions une revue de recherche, c’est important. Nous ne nous sommes jamais définies comme « revue militante » ou « revue féministe », mais comme « revue de recherche engagée ». Cela fait partie de mes convictions personnelles, je les ai projetées un peu sur la revue, mais je crois qu’on était toutes et tous d’accord là-dessus, en tout cas toutes celles qui ont fondé la revue. Je l’ai toujours dit pour moi : « Je suis sociologue de profession, féministe de conviction. ». Je crois que nous avons toujours recherché en même temps l’ouverture sur le mouvement social et une reconnaissance académique. Je pense que nous y sommes parvenues en traitant de sujets d’actualité brûlants. Le premier numéro de la revue portait sur la pauvreté, la part des femmes dans la pauvreté laborieuse et ce n’est pas anodin. Question de recherche et problèmes sociaux, c’est cette connexion que nous avons cherché à établir. Nous voulions à la fois une revue de recherche et une revue qui soit écrite pour être lue – ce qui rejoint notre ouverture sur le mouvement social et sur le monde social. C’est un de mes grands chevaux de bataille : être dans les « normes académiques », mais sans le jargon qui va avec ; les acronymes, on les bannit ; on veut que cette revue puisse être lue au-delà de notre tout petit monde. Je pense que cela a été un élément tout à fait fondateur et durable pour notre revue.
58Il faut enfin re-dire que Travail, genre et sociétés a été créée dans le sillage du réseau Mage et que ce réseau offre aux textes publiés par la revue une caisse de résonance qui va au-delà de nos frontières géographiques et professionnelles. Lorsque nous organisons des débats autour de dossiers ou de controverses publiés par la revue, dans ce que nous nommons « Les amphis du Mage » que nous avons créés en arrivant à l’université Paris Descartes en 2000, il n’est pas rare de croiser des syndicalistes, des représentant·e·s d’associations féministes ou de l’administration, des élu·e·s et de nombreux/ses étudiant·e·s qui viennent débattre avec nous. Parmi les fidèles de nos colloques et amphis, je pourrais citer Annick Coupé, Monique Dental, Maryse Dumas, Fatima Lalem, Anne Le Gall, Maya Surduts et bien d’autres encore.
59HR : À l’occasion du colloque pour fêter les 20 ans de la revue, nous avons édité un ouvrage qui reprend l’ensemble des Parcours publiés dans Travail, genre et sociétés. Le titre fait apparaître pour la première fois le terme « féminisme » dans son titre…
60JL : C’est le cas aussi du livre anniversaire du colloque des 20 ans du Mage dont le titre est Je travaille donc je suis. Perspectives féministes.
61MM : Oui, et à ce colloque anniversaire du Mage, nous avions invité Angela Davis à prononcer la conférence inaugurale, ce qu’elle a fait de façon magistrale. Cela a été, pour moi et pour nombre d’entre nous, je crois, un grand moment d’émotion. Qui mieux qu’elle pour traiter des enjeux de classe, de race et de sexe qui traversent le monde du travail ?
62Alors pour revenir à la question du féminisme, oui, il apparaît dans le titre du livre, mais aussi dans le message que j’ai voulu livrer dans mon introduction : au cœur des questions sociales et des logiques de genre, nous resterons « féministes tant qu’il le faudra », pour reprendre un slogan des années 1970.
63HR : Pourrais-tu nous dire à grands traits les principales caractéristiques du fonctionnement de la revue dès sa naissance ?
64MM : Nous avons toujours fait le choix de la discussion, de la dispute parfois, pas celui de l’expertise sèche. Nous avancions en discutant. Je pense que tout le monde peut dire cela : il m’est arrivé à plusieurs reprises de changer d’avis en cours de réunion. Nous avons fonctionné à la délibération, depuis le début. C’est quelque chose d’important, notamment dans un milieu qui évolue vers une logique de l’évaluation qui de mon point de vue assèche le travail intellectuel. Notre travail est fait d’échanges, pas de notation, d’évaluation, de classement, etc. Nous avons opté pour une revue ouverte, qui a une ligne intellectuelle autour du travail et du genre, une ligne claire. Je pense que c’est important, la logique de la discussion, du débat, pour moi, se distingue, s’oppose même à celle de l’évaluation et du classement. Cette perspective est dominante aujourd’hui et nous faisons partie de ceux et celles qui résistent, nous l’avons toujours fait et je pense que nous avons raison de le faire. Un produit intellectuel n’est pas un instrument d’évaluation. Et je suis très heureuse de voir que ce positionnement intellectuel continue sous ta direction, Hyacinthe.
65JL : On doit aussi évoquer tous ces livres collectifs dont, dans plusieurs cas, tu as pris l’initiative.
66MM : D’autres que nous avons faits ensemble, Jacqueline, que nous avons dirigés ensemble.
67JL : Tout d’abord Les nouvelles frontières de l’inégalité, en 1998, puis Le travail du genre en 2003, ou encore Femmes, genre et sociétés en 2005 et puis Travail et genre dans le monde en 2013.
68MM : Il y avait chez moi, et je crois chez nous toutes et tous, la volonté de montrer l’importance des recherches sur le genre et je dois dire que j’ai eu beaucoup de plaisir à orchestrer tous ces livres collectifs. À chaque nouveau livre, je sentais que les personnes sollicitées étaient très contentes de participer à une aventure collective. Il y avait quelque chose de joyeux… Les nouvelles frontières de l’inégalité, j’ai retrouvé des notes que j’avais prises sur les nappes en papier des bistrots où nous allions… Nous avons discuté, palabré, avant de tomber sur ce titre qui est très juste parce qu’il dit bien ce que nous avons voulu montrer : les inégalités entre hommes et femmes dans le monde du travail ne se réduisent pas à la reproduction de la division sexuelle du travail dans la famille. Je pense que cela a été un des éléments fondateurs du Mage et qui s’est retrouvé dans ce livre. Celui-ci a été traduit dans plusieurs langues, il a été réédité, je pense que c’est un livre qui a fait son chemin.
69Parmi les livres du Mage, il y a eu aussi celui qu’on a fait avec Jacqueline et Catherine Marry sur Masculin-féminin ou encore Le travail du genre. Masculin-féminin résultait d’un cours que l’École Normale de Cachan nous avait demandé, lorsque la question « masculin-féminin » avait été posée comme un sujet de l’agrégation de sciences économiques et sociales. Il y a eu Le travail du genre, beaucoup de ces livres sont accolés à des colloques et c’est quelque chose que nous avons toujours voulu : un livre, c’est durable ! Après, il y a eu les deux États des savoirs. Femmes, genre et société, était une demande de mon éditeur, François Gèze, je ne me serais pas risquée à faire un État des savoirs comme cela si on ne me l’avait pas demandé. Et là, toutes les forces du Mage y ont contribué. Le deuxième État des savoirs, Travail et genre dans le monde, c’est une histoire particulière parce que lié à l’histoire du Mage. C’est lié à l’espèce de disgrâce institutionnelle que nous a fait subir le cnrs. En 2010, la direction de l’Institut des sciences humaines et sociales du cnrs, après avoir accepté le dossier scientifique du Mage, est revenue sur sa décision de nous reconduire en nous transformant en Groupement de recherche international (gdri). De fait, ils voulaient supprimer le Mage pour créer au sein du cnrs une autre structure. Ce fut un coup de force. « Les gdr ne sont pas pérennes », nous a-t-on dit un beau matin. « Oui, mais le Mage est durable », avons-nous rétorqué. Il faudrait que le Mage dégage, nous a-t-on suggéré. Alors, bien sûr, nous aurions pu répondre à la manière de Jacques Brel face à l’ami Léon dans Je vous ai apporté des bonbons : « Si vous voulez que je cède ma place ». Mais non, nous n’avons rien cédé, nous avons préféré nous en tenir à notre antienne : « Je travaille, donc je suis. ». Cinq ans plus tard, en 2015, nous fêtions les vingt ans du Mage avec un colloque en Sorbonne, puis un livre, tous deux précisément intitulés « Je travaille, donc je suis ». Dix ans plus tard, en 2020, le Mage est toujours là, et bien là ! Le titre Je travaille donc je suis dit plusieurs choses. Il dit la centralité du travail que nous avons toujours voulu mettre en avant bien sûr. Mais il dit également la stratégie qui a été la nôtre quand on a voulu nous faire disparaître, c’était une façon de répondre à ce diktat bureaucratique. Institutionnellement, ils avaient eu gain de cause puisque nous n’avions plus le « label » gdr. Intellectuellement, nous avons gagné, le Mage continue de vivre sa vie de réseau de recherche international.
Études de genre, année zéro : et puis quoi encore !
70HR : L’ensemble de ces ouvrages collectifs marque des jalons pour plusieurs générations. Ce sont des ouvrages de référence, qui ont permis à d’autres de réfléchir et de s’engager dans ce domaine de recherche.
71MM : Ce sont des états des lieux, et c’est vrai que nous avons toujours fait attention à ce qu’il y ait un mélange des générations, à ce qu’il y ait des ancien·ne·s et des nouveaux et nouvelles arrivant·e·s dans ce métier, porteurs/ses de nouvelles thématiques, de nouvelles approches. Par exemple, Hyacinthe, ce que tu nous as apporté sur la musique, sur les arts, voilà. Tout cela marque, on voit des évolutions de problématiques, des évolutions thématiques, ça s’appelle des jalons, exactement. Au fond, je crois que les collègues étaient content·e·s de participer à ce genre d’entreprise, content·e·s de montrer notre force.
72HR : Il s’agit aussi de situer l’histoire du domaine et des problématiques, pour lutter contre l’idée selon laquelle, indéfiniment, on en est à « études genre, année zéro ».
73MM : Bien sûr ! C’est là que les livres sont indispensables, il faut laisser des traces. Parce que, quand même, on en a entendu des annonces d’année zéro… Vous souvenez-vous de cet emblématique exemple du colloque organisé à Lyon en 2014 et tout bonnement intitulé « Premier congrès des études de genre en France ». Vous avez dit premier ? Il y a toujours besoin, tu as raison Hyacinthe, de poser des jalons pour montrer que, non, on ne démarre pas de rien. Il y a une accumulation des savoirs, c’est important. La recherche, c’est ça : sans cumul des connaissances, il n’y a pas de recherche. Nous-mêmes, nous n’avons pas été les premières. Cela a commencé bien avant nous et dans d’autres disciplines. Les recherches sur les femmes et le genre, appelons cela comme on veut, n’ont plus été les mêmes après la parution, en 1992, de L’histoire des femmes en Occident dirigé par Georges Duby et Michelle Perrot. Il y a eu un avant et un après ce livre, c’est clair.
74HR : Si je regarde année après année ta liste de publications, Margaret, c’est extrêmement impressionnant !
75MM : Mais moi aussi, tu sais Hyacinthe, je travaille donc je suis (rires).
76HR : Il y a une fidélité je trouve dans la relation à certaines personnes, aussi bien au fil de l’écriture que de la collaboration au Mage et à Travail, genre et sociétés…
77MM : C’est aussi pour ça qu’on arrive à faire avancer un certain nombre de choses, parce que ce sont des collaborations intellectuelles au long cours. Il ne s’agit pas juste d’écrire un article ou un livre, d’organiser un colloque avec une telle ou un tel, de diriger telle ou telle thèse, ce sont des relations amicales qui se nouent dans l’univers professionnel, des affinités intellectuelles durables qui parfois deviennent des amitiés pour la vie.
78HR : Tu nous disais ton goût pour l’écriture. On peut aussi observer, dans ton cheminement, la déclinaison des thématiques, leur diversité, le changement de lignes et, en même temps, le fil qui transparaît depuis le début…
79MM : Oui j’ai eu quelques idées fixes (rires), des convictions, des hypothèses fortes. Il est vrai que j’aime écrire, même si en ce moment j’ai besoin d’oublier un petit peu tout le tumulte et le désordre des dernières années pour me remettre à écrire à mon idée. J’ai eu beaucoup de plaisir à ce que nous organisions ensemble cet anniversaire des vingt ans de la revue, ce fut une très belle fête. Nous avions fêté les vingt du Mage en 2015, les deux événements ont été une grande réussite. Et puis, la relève est prise, et bien prise, donc moi je peux partir tranquille, écrire, voilà. C’est vrai que ce que j’aime le plus dans ce métier, c’est écrire.
Bibliographie de Margaret Maruani
- Les syndicats à l’épreuve du féminisme, ouvrage publié avec le concours du CNRS, Paris, Éditions Syros, 1979, 271 p.
- Le temps des chemises. La grève qu’elles gardent au cœur, Paris, Éditions Syros, 1982, 249 p. (avec Anni Borzeix).
- Mais qui a peur du travail des femmes ? Paris, Éditions Syros, 1985, 176 p.
- France-Allemagne : débat sur l’emploi, Paris, Éditions Syros, 1987, 319 p. (dir. avec Emmanuèle Reynaud).
- La flexibilité en Italie, Paris, Éditions Syros, 1989, 317 p. (dir. avec. E. Reynaud et Claudine Romani).
- Au labeur des dames, métiers masculins, emplois féminins, Paris, Éditions Syros, 1989, 192 p. (avec Chantal Nicole).
- La flexibilité à temps partiel, conditions d’emploi dans le commerce, Paris, La Documentation française, 1989, 105 p. (avec Chantal Nicole).
- Chroniques internationales du marché du travail et des politiques d’emploi,, Paris, La Documentation française, 1990, 190 p. (dir., avec Peter Auer et Emmanuèle Reynaud).
- L’emploi en Espagne. Marchés du travail et relations professionnelles, Paris, Éditions Syros, 1991, 305 p. (dir. avec Christophe Guitton et Emmanuèle Reynaud).
- Sociologie de l’emploi, Paris, La Découverte, Collection « Repères », 1993, 128 p. (avec Emmanuèle Reynaud), 5e éd. 2009.
- Les nouvelles frontières de l’inégalité. Hommes et femmes sur le marché du travail. (dir.), Paris, La Découverte, Coll. « Recherches », 1998, 283 p.
- Travail et emploi des femmes, Paris, La Découverte, Coll. « Repères », 2000, 128 p., 5e éd. 2017.
- Les mécomptes du chômage, Paris, Bayard, 2002, 159 p.
- Le travail du genre. Les sciences sociales du travail à l’épreuve des différences de sexe, Paris, La Découverte, Coll. « Recherches », 2003, 299 p. (dir. avec Jacqueline Laufer et Catherine Marry).
- Femmes, genre et sociétés. L’état des savoirs (dir.), Paris, La Découverte, 2005, 728 p.
- Travail et genre, regards croisés France, Europe, Amérique latine, (dir. avec Helena Hirata et Maria Rosa Lombardi), Paris, La Découverte, coll. « Recherches », 2008, 278 p.
- Un siècle de travail des femmes en France – 1901-2011 (avec Monique Meron), Paris, La Découverte, 2012, 230 p.
- Travail et genre dans le monde. L’état des savoirs (dir.), Paris, La Découverte, 2013, 464 p.
- Réceptions – Le genre à l’œuvre, volume 1, (dir. avec Marie Buscatto, Mary Leontsini, Bruno Péquignot et Hyacinthe Ravet, sous le pseudonyme collectif de Mélody Jan-Ré), 2012, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques sociales », 268 p.
- Créations – Le genre à l’œuvre, volume 2, (dir. avec Marie Buscatto, Mary Leontsini, Bruno Péquignot et Hyacinthe Ravet, sous le pseudonyme collectif de Mélody Jan-Ré), 2012, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques sociales », 244 p.
- Représentations – Le genre à l’œuvre, volume 3, (dir. avec Marie Buscatto, Mary Leontsini, Bruno Péquignot et Hyacinthe Ravet, sous le pseudonyme collectif de Mélody Jan-Ré), 2012, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques sociales », 190 p.
- Je travaille, donc je suis. Perspectives féministes (dir.), Paris, La Découverte, coll. « Recherches », 2018, 304 p.