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Article de revue

L’égalité professionnelle, plus de reculs que d’avancées : Le point de vue de fo

Pages 161 à 165

Notes

  • [1]
    Prestation partagée d’éducation de l’enfant (remplaçant le complément de libre choix d’activité depuis la loi du 4 août 2014).
  • [2]
    Art. L2232-33 du Code du travail.
  • [3]
    Art. L2253-3 du Code du travail.
  • [4]
    Art. L2253-5 du Code du travail.
  • [5]
    Pour plus d’informations : <http://egalitepro.force-ouvriere.org>.
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1Pour fo, le bilan des récentes évolutions et dispositions législatives en matière d’égalité professionnelle est mitigé. Le présent texte se propose de faire le point des quelques avancées mais aussi des limites des dispositions récentes. Les lois du 4 août 2014 et celle du 17 août 2015, mais aussi celle du 8 août 2016 seront examinées successivement.

Avancées et limites de la loi du 4 août 2014

2Tout d’abord, la loi du 4 août 2014, « Pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes », a modifié les conditions d’accès à l’allocation du congé parental d’éducation. Ainsi, la durée de versement de cette allocation est conditionnée à la prise du congé par les deux parents. Pour le premier enfant d’un couple, six mois d’allocations sont réservés à l’autre parent ou… perdus ! Pour fo, cette réforme visait surtout à faire des économies.

3Depuis 2014, le congé est, soit écourté, soit poursuivi sans allocations. En effet, si le parent qui ne perçoit plus l’allocation (le plus souvent la mère) reprend le travail, le ou les enfants du couple doivent alors être gardés. Faute de modes de garde accessibles (soit pour des raisons financières, soit faute de mode de garde disponible), c’est le temps partiel, voire la poursuite du congé sans allocation qui est favorisé. Les travailleuses, étant majoritairement concernées, seront davantage coupées du travail, ce qui accentuera encore les inégalités professionnelles.

4Pour fo, le congé parental devrait faire l’objet d’un libre choix véritable, non faussé par des questions de rémunération et d’allocation. Cela nécessite une meilleure compensation par la Prepare [1] ainsi qu’une offre de garde de jeunes enfants plus importante. Enfin, et afin de limiter les effets défavorables de la coupure de carrière, il faudrait qu’une formation soit obligatoire après un congé long. Il faudrait également une période de protection adaptée contre le licenciement en fonction de la durée du congé. Cela permettrait d’éviter un certain nombre de licenciements pour insuffisance professionnelle due à un défaut d’accès à des formations d’adaptation, surtout après un congé long.

5S’agissant de la protection du salarié à la naissance d’un enfant, une disposition de la loi du 4 août 2014 prévoit que le deuxième parent bénéficie d’une protection calquée sur celle de la mère dans les quatre semaines qui suivent la naissance d’un enfant. Pour fo, cette mesure va dans le bon sens. Elle crée un égal accès à la protection pour les parents salariés.

6Une autre disposition de la loi du 4 août concerne la conditionnalité des marchés publics au respect de l’égalité. Depuis le 1er décembre 2014, les personnes publiques doivent s’assurer, avant l’attribution du contrat, que le candidat dont l’offre a été retenue n’entre pas dans un des nouveaux cas d’interdiction de soumissionner créés par la loi du 4 août 2014. Ainsi, les entreprises candidates doivent attester sur l’honneur qu’elles satisfont à leurs obligations en matière d’égalité professionnelle, et notamment qu’elles n’ont pas fait l’objet, dans les cinq dernières années, d’une condamnation pour violation aux dispositions légales liées à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Pour fo, les acheteurs publics ne sont pas souvent en mesure d’effectuer un véritable contrôle. Dès lors, la loi ne sera qu’un effet d’annonce.

7Concernant les classifications, la loi du 4 août 2014 rappelle que, lorsqu’un écart de rémunération est constaté, les branches doivent faire de sa réduction une priorité. À cet effet, la loi précise qu’à l’occasion de l’examen des classifications, les critères d’évaluation retenus dans la définition des différents postes de travail sont analysés afin d’identifier et de corriger ceux d’entre eux susceptibles d’induire des discriminations entre les femmes et les hommes et de garantir la prise en compte de l’ensemble des compétences des salariés. Il s’agit, entre autres, de mettre en pratique la notion « d’un salaire égal pour un travail de valeur égale » et de veiller à ce que les classifications ne soient plus vectrices de discriminations indirectes.

8Pour fo, il s’agit d’une amélioration qui a été accueillie favorablement car il s’agissait d’un renforcement de l’obligation d’intégrer l’égalité salariale dans les négociations sur les classifications. Cependant, ces dispositions ont été affaiblies par la loi Travail, du 8 août 2016, qui permet de retarder la périodicité de cette négociation jusqu’à sept ans… retardant d’autant les effets sur l’égalité salariale.

9La loi du 4 août 2014 ajoute également l’obligation de prendre en compte l’objectif de mixité des emplois lors de la négociation de branche portant sur les classifications. De plus, les actions de promotion de la mixité dans les entreprises, de sensibilisation à la lutte contre les stéréotypes sexistes et pour l’égalité professionnelle, font maintenant partie de la liste des actions entrant dans le champ de la formation professionnelle continue.

10Pour fo, la mixité des métiers ne doit pas être envisagée comme une fin en soi, mais plutôt comme un moyen au service de la progression de l’égalité entre hommes et femmes et comme un vecteur de revalorisation des métiers à leur juste mesure, par une prise en compte de l’ensemble des compétences nécessaires à l’exercice des emplois. Plus généralement, le thème de la mixité prendra, à notre sens, tout son intérêt, s’il parvient à constituer un tremplin pour améliorer les conditions de travail de l’ensemble des salariés et permettre une meilleure conciliation des temps personnel et professionnel.

11Enfin, la loi du 4 août 2014 a inséré un nouveau champ d’analyse dans le défunt rapport de situation comparée entre les femmes et les hommes : la sécurité et la santé au travail.

12Pour fo, l’ajout d’indicateurs relatifs à la sécurité et la santé au travail permet de mettre en lumière des situations invisibles (surtout concernant les femmes). Dès lors, cela permettra d’améliorer les conditions de travail de tous les salariés quel que soit leur sexe. Toutefois, il ne faudra pas que ces informations se retournent contre un sexe déterminé.

Lois Rebsamen et Travail : des reculs pour la négociation de l’égalité professionnelle

13En premier lieu, ces lois introduisent un encadrement de la négociation collective défavorable à l’égalité professionnelle : elles permettent de modifier la périodicité des négociations obligatoires de branches et d’entreprises dans la limite de trois ans pour les négociations annuelles, de cinq ans pour les négociations triennales et de sept ans pour les négociations quinquennales.

14De plus, depuis la loi Rebsamen du 17 août 2015, l’employeur n’est plus incité à signer un accord collectif en matière d’égalité professionnelle. Avant cette loi, seule la signature d’un accord portant spécifiquement sur l’égalité professionnelle permettait de reporter la périodicité de sa négociation à trois ans. À défaut, la négociation devait avoir lieu tous les ans et un plan d’action sur l’égalité devait être mis en place également tous les ans.

15Depuis cette loi, qu’un accord soit signé ou non, la périodicité reste celle prévue par la loi ou par les accords la modifiant. Dès lors, à défaut d’accord en matière d’égalité et en cas de périodicité modifiée, la prochaine négociation pourrait n’avoir lieu que trois ans plus tard. Certes, à défaut d’accord, l’employeur devra mettre en place des plans d’actions chaque année. Cependant, ces derniers privilégient souvent les mesures les moins coûteuses. Pour fo, un accord collectif a plus de chance d’être de meilleure qualité qu’un plan d’action. Permettre de retarder la négociation de l’égalité professionnelle, ainsi que des autres négociations ayant vocation à en traiter, c’est permettre de retarder l’égalité professionnelle.

16Enfin, depuis la loi Travail du 8 août 2016, les entreprises composant un groupe sont dispensées d’engager une négociation sur un thème de négociation obligatoire, lorsqu’un accord portant sur le même thème a été conclu au niveau du groupe. De plus, l’engagement d’une négociation obligatoire au niveau du groupe peut dispenser les entreprises le constituant d’engager ces négociations lorsqu’un accord de méthode conclu au niveau du groupe le prévoit [2]. Pour fo, en empêchant la négociation d’entreprise d’être effectuée, c’est la possibilité d’avoir un accord plus favorable que celui du groupe qui est stoppée. Non seulement cela permet d’évincer la négociation de l’égalité professionnelle dans l’entreprise, mais surtout cela permet aux groupes d’entreprises de réduire leurs actions en matière d’égalité professionnelle.

17En second lieu, la loi Rebsamen a dilué la négociation dédiée à l’égalité professionnelle dans un bloc de négociations intitulé « Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et qualité de vie au travail ». Le titre de ce bloc de négociations est certes évocateur mais si l’égalité est mise à l’honneur ce n’est que pour mieux la diluer parmi un nombre important de thèmes de négociation (six avec la loi Rebsamen et sept en 2017 avec la loi Travail).

18De plus, depuis la loi Rebsamen, l’égalité ne fait plus l’objet d’un rapport spécifique. C’est désormais, une rubrique de la base de données économiques et sociales qui doit être mise à la disposition des institutions représentatives du personnel.

19Ainsi, avant de négocier sur le bloc de négociations portant sur l’égalité professionnelle et la qualité de vie au travail, les négociateurs devront rechercher toutes les informations en rapport avec la situation comparée des femmes et des hommes dans l’entreprise, mais également celles en rapport avec la formation professionnelle, les conditions de travail et tous les éléments en rapport avec les autres thèmes du bloc de négociations.

20L’analyse de l’égalité est alors, elle aussi, diluée. Or, depuis la loi du 4 août 2014, les informations à remettre sont plus nombreuses et méritent une analyse plus importante. Pour fo, la dilution de l’égalité risque d’aboutir à une négociation de l’égalité de faible qualité car elle ne permet pas un examen attentif et approfondi.

21En troisième lieu, la prédominance des branches risque d’être limitée. La loi Travail prévoit qu’en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement ne pourra comporter des clauses dérogeant à celles des conventions de branche ou accords professionnels ou interprofessionnels [3].

22fo tient à la primauté de l’accord de branche. Cela permet d’assurer une couverture effective de tous les salariés, y compris ceux des très petites -tpe- et petites et moyennes entreprises -pme-. La branche est alors le niveau qui permet d’assurer une égalité de droits entre tous les salariés d’un même secteur d’activité tout en servant d’amortisseur social.

23Dès lors, prévoir la prédominance des accords de branche sur les accords d’entreprise en matière d’égalité professionnelle va dans le bon sens. Pour autant et dans le même temps, la loi Travail permet de retarder la négociation des accords de branche, y compris en matière d’égalité professionnelle. Or, tous les accords de branches ne prévoient pas nécessairement des dispositions concernant l’égalité professionnelle et, pour ceux qui le font, certaines sont parfois devenues inadaptées. Dès lors, permettre de retarder leur négociation retarde d’autant tout accord de branche sur l’égalité professionnelle.

24Enfin, à défaut d’un encadrement suffisant, le rôle accru des accords de groupes sera dangereux pour l’égalité. Depuis la loi Travail, un accord de groupe peut prévoir que ses stipulations se substituent à celles des accords d’entreprise ou d’établissements de son périmètre ayant le même objet, que l’accord de groupe soit conclu antérieurement ou postérieurement aux accords d’entreprises [4].

25Pour fo, faute d’articuler la relation entre accord de groupe et accords d’entreprise sur un principe de faveur, la loi Travail permet une harmonisation par le bas des droits des salariés. En matière d’égalité professionnelle, ce risque est aggravé par celui d’avoir des accords très éloignés de la réalité du terrain car les entreprises d’un groupe peuvent connaître des situations très diverses. Or, il n’y a aucune obligation pour l’accord de groupe de reposer sur un diagnostic complet portant sur la situation des entreprises du groupe, ni aucune condition de moyens, d’adaptation ou de déclinaison des accords [5].


Date de mise en ligne : 02/05/2017

https://doi.org/10.3917/tgs.037.0161

Notes

  • [1]
    Prestation partagée d’éducation de l’enfant (remplaçant le complément de libre choix d’activité depuis la loi du 4 août 2014).
  • [2]
    Art. L2232-33 du Code du travail.
  • [3]
    Art. L2253-3 du Code du travail.
  • [4]
    Art. L2253-5 du Code du travail.
  • [5]
    Pour plus d’informations : <http://egalitepro.force-ouvriere.org>.

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