Notes
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[1]
Ce ne sera pas le prétexte de cet article ; on trouvera une bibliographie sur ces métiers de femmes dans Delphine Gardey, “Perspectives historiques”, dans Margaret Maruani (dir.), Les nouvelles frontières de l’inégalité. Hommes et femmes sur le marché du travail, Paris, La Découverte, 1998, pp.23-38.
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[2]
On fait en particulier référence ici au Code civil et aux constitutions jusqu’à la IVe République.
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[3]
Pour ces fonctions, on renvoie aux travaux de Jean-Noël Luc sur les écoles maternelles, de Jean-Michel Chapoulie et Jean-Pierre Briand pour l’enseignement primaire supérieur et secondaire, de Françoise Mayeur, mais aussi de Gérard Vincent et de Marlaine Cacouault pour l’enseignement secondaire, de Charles Langlois pour les congrégations.
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[4]
Pour reprendre l’expression de Jeannine Mossuz-Lavau et Anne de Kervasdoué (Odile Jacob, 1997), “les femmes ne sont pas des hommes comme les autres” : dans les sources utilisées par les historiens, elles n’ont souvent pas droit à une mention d’état-civil identique à celle des hommes, comprenant leur nom de famille et leur prénom : elles sont “Melle X” ou “Mme Y”, soit une nomination incomplète, qui pourrait par ailleurs conduire à des erreurs, par simple homonymie ; on sait que l’usage veut que, quand des individus sont décédés, on n’utilise plus que leur nom de famille pour mentionner leur histoire et qu’il va toujours de soi que les individus ainsi mentionnés sont des hommes ; en essayant de ne pas ouvrir une nouvelle voie vers l’invisibilité des femmes, on utilisera ici le même code.
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[5]
Voir par exemple les travaux de Jacqueline Laufer et de Catherine Marry.
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[6]
Bonnie Smith, Les bourgeoises du Nord, 1850-1914, Paris, Perrin, 1981.
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[7]
Une revue, Clio, Histoire, Femmes et société, éditée par les Presses universitaires du Mirail ; deux thèses sur le travail des femmes ont pour l’instant été publiées, celle de Mathilde Dubesset et Michelle Zancarini-Fournel, Parcours de femmes, Réalités et représentations, Saint-Étienne, 1880-1950, Lyon, PUL,1993, 262 pages ; celle de Catherine Omnès, Ouvrières parisiennes, Marchés du travail et trajectoires professionnelles au XXe siècle, Paris, EHESS, 1998, 367 pages.
-
[8]
1924 est l’année où les cursus secondaires des filles s’alignent sur ceux des garçons.
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[9]
Mais aujourd’hui les proportions restent faibles avec, du haut en bas de la hiérarchie : 15% de femmes parmi les inspecteurs généraux, 26% chez les inspecteurs pédagogiques régionaux, 15% chez les inspecteurs d’académie et 30% chez les inspecteurs de l’Education nationale.
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[10]
Une recherche sur ces inspectrices du Travail a démarré à l’automne 1999 au Centre Pierre Léon d’histoire économique et sociale.
-
[11]
Rapport de Bouquet au Congrès des accidents du travail, Milan, 1914, cité par Villate-Lacheret (1919).
-
[12]
Les ordonnances de 1944 autorisent les femmes greffiers et jurés de cours d’assises.
-
[13]
Respectivement : rapport du substitut général de la Cour d’Appel de Paris à Monsieur le Procureur général, 17 novembre 1955 et rapport du jury de recrutement en 1956, cités par Boigeol (1996).
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[14]
Cité par Thuillier (1988).
-
[15]
Cité par Klejman et Rochefort (1993).
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[16]
Commission Cavallier, citée par Thuillier (1988). On peut rappeler ici que l’École des Beaux-Arts a longtemps refusé les filles sous prétexte qu’il n’y avait pas de toilettes séparées…
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[17]
Note du 6 juin 1934, citée par Thuillier (1988).
-
[18]
Loi du 19 juillet 1889 sur les dépenses ordinaires de l’Instruction primaire publique et les traitements du personnel de service ; l’arrêté de 1918 qui modifie ces règles ne vaut pas pour les grades les plus élevés, comme directrice d’École normale.
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[19]
Rapport de 1956 du jury de l’École nationale de la Magistrature, cité par Boigeol (1996). Sur l’élaboration de la notion de salaire d’appoint, Frader (1998).
-
[20]
Le préfet de la Seine en 1878, cité par Viet (1994).
-
[21]
Comme pour les inspectrices du travail, les sages-femmes ont interdiction de se mêler de technique et ne peuvent toucher les instruments qui qualifient l’obstétricien : forceps, instruments chirurgicaux.
1L’histoire des femmes au travail est souvent celle de contradictions entre les discours dominants et les faits, en particulier en ce qui concerne le moment de leur accès au marché du travail : contrairement à ce que l’on a longtemps voulu penser, les femmes ont toujours travaillé, représentant peu ou prou un actif sur trois, même si leur part a augmenté depuis les années 1970 ; de ces femmes, on connaît de mieux en mieux les métiers, en particulier ceux issus des mutations de l’industrialisation : ouvrières, vendeuses, commerçantes, enseignantes, assistantes sociales, surintendantes d’usines pour la plupart jusqu’au milieu du XXe siècle [1]. L’histoire de contradictions, certes, mais aussi de paradoxes : alors que les discours et les pratiques sociales dominants dénient aux femmes toute responsabilité civile et civique [2], certaines de ces femmes, comme les directrices d’établissements scolaires ou les supérieures de congrégations religieuses, sont pourtant chargées de responsabilités institutionnelles, pédagogiques, financières, même si ces responsabilités s’engagent seulement sur les personnes de leur sexe [3]. Ces fonctions sont anciennes et si l’on a beaucoup dit que la guerre de 1914-1918 a contribué à leur élargissement, il n’est en rien, puisque les années du conflit ne voient qu’une seule femme, Tissot-Monod [4], diriger un hôpital militaire, à Lyon (Thébaud, 1986).
2Interdits, pression sociale, objections sur les compétences et l’intelligence, les discours abondent pour justifier la mise à l’écart des femmes, pour réserver aux hommes les lieux de décision et d’autorité. Pourtant, dès le début du XIXe siècle, fugacement, l’État a su accorder à des femmes une place dans ses institutions. Ces places sont dans plusieurs registres. Il y a d’abord celui du contrôle et du conseil, avec des femmes nommées par le pouvoir central, les directrices générales des salles d’asile et les inspectrices générales du ministère de l’Intérieur : on est là proche des compétences accordées aux grands corps. Il y a ensuite les inspectrices du ministère du Travail, recrutées par concours, chargées de faire appliquer le code du travail, ces lois de protection de la main-d’œuvre que la constitution leur interdit d’élaborer ; on verra, avec l’exemple des femmes magistrats, que cette question de la maîtrise du droit suscite encore de fortes résistances au cours du XXe siècle. Il y a enfin l’autorité d’apparence plus ordinaire, celle qui s’exerce sur des subordonnés, hommes et femmes, dans le cadre des emplois d’encadrement liés aux hiérarchies de la fonction publique, avec les chefs de service de l’administration.
3Si l’on a ici tenu à isoler ces femmes aux fonctions et métiers bien différents, c’est parce que, au service de l’État de droit, elles le représentent, une responsabilité et une reconnaissance sociale qui ne sauraient être assimilées aux professions et emplois de l’industrie et du commerce : là, si les femmes cadres apparaissent tard dans le XXe siècle [5], les femmes entrepreneurs sont nombreuses, dans les petites entreprises et le commerce, mais encore, surtout au XIXe siècle, dans les grandes entreprises [6]. Les recherches sur ces professions assorties de responsabilités de la fonction publique sont à peine ébauchées, témoignant une fois encore de l’invisibilité longtemps orchestrée autour des femmes au travail, invisibilité par ailleurs marquée dans l’école historique française [7]. Faute de recherches plus précises, l’exposé du cadre concret de l’exercice de ces métiers est pauvre : ces quelques pages veulent juste rappeler que, en pleine misogynie affichée des XIXe et XXe siècles, des femmes sont présentes dans le service de l’État.
Pionnières et femmes-alibis
4Quand la quasi-totalité des femmes se trouve dans des métiers subordonnés, on compte quelques pionnières et premières, qui s’imposent ponctuellement dans des domaines jusque-là réservés aux hommes, en particulier ceux du savoir. Marie Curie, évidemment, professeur titulaire de la chaire de physique à la Sorbonne en 1900, ou Baudry, reçue à l’agrégation de philosophie masculine en 1905, quand les femmes ne sont autorisées à enseigner cette discipline qu’en 1924 [8]. Mais ce n’est qu’en 1968 qu’une femme, Alice Saunié-Séïté, sera élue par ses pairs doyenne de faculté et en 1982 qu’Hélène Ahrweiler sera la première femme nommée recteur des universités.
5Dans le registre du pouvoir, on ne peut oublier la tentative du premier gouvernement Blum, en 1936, quand trois femmes sont nommées sous-secrétaires d’État, Irène Joliot-Curie, Cécile Brunschvicg et Suzanne Lacore ; accueillies avec condescendance, il leur est bien précisé qu’elles “n’auront pas à diriger, mais à animer”. Dénuées d’expérience et de formation administratives, elles se heurtent aussi aux grands directeurs des services. Elles sont d’ailleurs dotées de très pauvres moyens matériels et Irène Joliot-Curie se plaint à son ministre, Jean Zay : “une fois de plus je viens pour vous signaler que je n’ai toujours ni huissier, ni dactylographe ; mes services, dans ces conditions, ont la plus grande difficulté à fonctionner” (Reynolds, 1999). On sait que cette expérience fera long feu et que les femmes ministres dotées de vrais pouvoirs sont une innovation de la dernière décennie.
6Rarissimes exceptions, identifiées comme telles par la mémoire collective, ces femmes ont tracé un chemin, en attendant l’accès des filles à des filières d’enseignement et de formation ouvertes et autorisées dans la seconde moitié du XXe siècle. C’est cet accès qui a accru leurs chances d’accéder au “dernier cercle”, avec en 1971 la très symbolique ouverture du concours de l’École polytechnique. Si l’ENA accueille les femmes depuis 1945, il a néanmoins fallu attendre 1974, cette année où Valéry Giscard d’Estaing créa pour Françoise Giroud un secrétariat d’État à la condition féminine, pour voir certaines de ces énarques accéder à des carrières classiques pour leurs confrères : Nicole Briot première inspectrice des Finances, Florence Hugodot première sous-préfète, Françoise Chandernagor-Jurgensen première femme au Conseil d’État. Néanmoins, elles restent elles aussi des femmes alibis, puisqu’il faudra patienter sept ans encore pour qu’en 1981 Yvette Chassagne devienne la première préfète.
Conseiller le pouvoir
7Les premières femmes à avoir accès aux fonctions publiques d’autorité sont les inspectrices déléguées générales des salles d’asile, instituées en 1837 (Luc, 1995). Ces salles d’asile - qui deviendront avec les lois Ferry nos écoles maternelles, aux buts scolaires plus affirmés - sont imaginées à la fois pour faire cesser la cohabitation entre les différentes classes d’âge d’enfants et pour accueillir les tout-petits des ouvrières qui, travaillant, “ne peuvent exercer sur ces malheureux enfants une surveillance continue”. Créés sous l’impulsion des notables des grandes villes, ces lieux sont rapidement réglementés par des circulaires et ordonnances, où figurent en particulier les âges requis pour encadrer ces écoles du premier âge : il faut avoir au moins 24 ans, un âge supérieur aux écoles primaires (18 ans pour les hommes, 20 ans pour les femmes). La maturité est donc imposée, mais pas la féminité : des hommes enseignent et dirigent, à la seule condition qu’une femme soit toujours présente. Ce n’est qu’en 1855 que l’éducation des petits enfants devient une affaire de femmes et que les hommes concèdent leur primauté d’organisation et de gestion (Rouet, 1993). Les écoles dites “maternelles” consacrent dès lors les mutations sociales du XIXe siècle qui attribuent aux femmes la responsabilité des enfants. Comme les effectifs enfantins scolarisés sont très importants (400 000 garçons et filles), il faut bien remarquer que cette institution mobilise plus de personnel que tous les autres niveaux scolaires.
8Vingt ans auparavant, l’État avait déjà tranché en ne nommant que des femmes comme inspectrices de ces salles d’asile, inspectrices dont le nombre progresse régulièrement. En 1879, elles sont huit déléguées générales, secondées par seize déléguées spéciales (futures inspectrices générales des décrets organiques de 1881) dans chacune des académies, relayées par trente-cinq inspectrices permanentes (futures inspectrices départementales). Les inspectrices générales font partie d’une corporation restreinte et élitiste, l’Inspection générale de l’Université. Celle-ci, masculine, est essentiellement tournée vers les facultés, lycées et collèges : sur les seize postes d’inspecteurs généraux en 1866, deux seulement sont pour le primaire. Parmi ces inspectrices du primaire, on compte des femmes, qui inspectent les classes de filles ; on notera là qu’elles ne peuvent prétendre se hisser au grade d’Inspectrices d’académie jusqu’en 1946 [9].
9Nommées par le chef de l’État, les déléguées générales peuvent être très mal acceptées par leurs interlocuteurs institutionnels masculins : en 1858, le recteur de Strasbourg juge qu’il “faut du temps pour façonner une tête féminine à l’exactitude et à la précision qu’exige un rapport d’ensemble, embrassant dans sa totalité un service vaste et multiple”. Le maire d’une commune estime, quant à lui, qu’il peut accepter des remarques du préfet, mais pas d’une femme, pourtant nommée par le chef de l’État (Luc, 1995).
10Les inspectrices générales du ministère de l’Intérieur sont elles aussi nommées pour contrôler l’administration et pour conseiller le pouvoir politique. C’est en 1842 qu’est créée la fonction d’inspectrice des prisons, classée parmi les inspecteurs généraux du ministère de l’Intérieur. Dans un premier temps, ces nominations ne reposent sur aucune base statutaire. Il faut attendre soixante ans et le décret de 1901 qui unifie cette inspection générale de l’administration - la plaçant directement sous l’autorité du ministère de l’Intérieur et en lui donnant compétence sur tous les services dépendant de cette tutelle - pour que soit légalement prévu un poste, et un seul, d’inspectrice des prisons, pour quinze inspecteurs généraux. Six ans plus tard, l’inspection générale des services administratifs est réorganisée et le nombre des inspectrices passe à trois, un concours spécial est créé pour leur recrutement ; elles sont d’ailleurs diplômées, puisque par exemple la dernière inspectrice générale, recrutée en 1914, est licenciée en droit et inscrite au barreau de Paris ; d’autres ont été enseignantes ou inspectrices des écoles maternelles.
11Dans un premier temps, ces inspectrices générales se contentent de visiter les prisons de femmes, puis leurs fonctions s’élargissent, de même que leur appellation : “inspectrices générales des prisons de femmes et des établissements de jeunes filles détenues”, puis “inspectrices générales des prisons”, “inspectrices générales des établissements pénitentiaires” et en 1901, “inspectrices générales des services administratifs” (Pion, 1986). Les inspectrices ont-elles alors des compétences élargies, comme leurs collègues masculins ? On ne sait. Hasard du tri des archives, il se trouve que les rapports fournis par ces femmes n’ont pas été conservés (ou pour l’instant retrouvés), que l’on connaît donc mal leurs fonctions et attributions. En 1919, l’une d’entre elles définit son métier dans une interview au Petit Parisien : “j’aurai à visiter des établissements d’assistance, hospices de vieillards, prisons de femmes, maisons de refuge ; à me préoccuper de tout ce qui touche à l’assistance maternelle : établissements pour femmes en couches, pouponnières, etc.”. Pour l’avancement, ce grade d’inspectrice générale du ministère de l’Intérieur comporte trois classes, mais sans formalisation de leur durée : on peut mettre entre cinq et vingt-trois ans pour accéder à la 1ère classe.
Contrôler l’application des lois
12Le XIXe siècle compte d’autres fonctionnaires féminines, chargées de surveiller l’application des lois, quand les femmes ne sont ni électrices, ni éligibles. Ces femmes à rôle public d’autorité et de contrôle sont les inspectrices du ministère du Travail ; elles apparaissent en 1878 dans le département de la Seine (Viet, 1994). Au concours de recrutement se présentent cette année-là cent cinquante candidates et le temps est alors à la parité : on admet six hommes et six femmes. Lorsque la loi de 1892 sur le travail des enfants, des filles mineures et des femmes dans les établissements industriels entraîne la naissance officielle du corps des inspecteurs du travail pour l’ensemble du territoire national, les proportions changent très nettement : on recrute quatre-vingt-seize inspecteurs pour vingt-et-une inspectrices, un peu plus de 20%. Leur répartition est tout à fait symptomatique de l’importance accordée à la capitale. Paris compte en effet onze femmes et onze hommes ; dans la banlieue, il y a quatre femmes et deux hommes. Enfin, cinq autres inspectrices sont saupoudrées en province, pour cinquante-huit inspecteurs : Lille, Nantes, Bordeaux, Marseille, Lyon, soit de grandes régions industrielles, où sont salariés aussi bien des hommes que des femmes, et en grand nombre. Dans les années suivantes, quand croît la place des inspecteurs (quatre-vingt-dix en 1902, cent cinq en 1908, cent treize en 1914), celle des femmes reste stable. Dans la première moitié du XXe siècle, les proportions sont en net recul : quarante-trois inspectrices en 1937, trente-six en 1958 pour deux cent cinq hommes. Il faut attendre les années 1980 pour que les proportions atteignent un tiers du corps. Pourquoi cette stagnation et même cette régression ? La loi de 1892 a fait de l’Inspection un véritable corps de l’État, avec un concours de recrutement national, une rémunération assurée par le ministère et en a scellé la professionnalisation : était-ce là une raison suffisante pour en écarter les femmes, au moins partiellement ? [10]
13Il faut dire que dans un premier temps, les tâches de ces inspectrices ont été discutées : “certains s’y sont montrés absolument opposés ; selon eux, la femme, par son tempérament même, n’a pas les qualités de patience, de sang-froid et d’équité nécessaires pour remplir les fonctions d’inspectrice des fabriques. Elle est nerveuse, facilement irritable, partiale souvent. Mais on fait remarquer, d’autre part, que ces défauts de la femme peuvent être atténués, qu’ils sont compensés par des qualités de souplesse, de tact et d’habileté qu’elle possède souvent à un plus haut degré que l’homme. D’ailleurs l’expérience montée à Paris a prouvé que la femme pouvait rendre de réels services si son action était limitée aux ateliers où le personnel est exclusivement féminin et où il n’y a pas besoin de connaissances techniques spéciales” [11]. Et ces tâches sont aussi statutairement limitées : en cas de litige technique avec un industriel, les inspectrices doivent faire appel à un collègue masculin. Leurs compétences reconnues excluent donc les rapports à la technique et sont d’abord réservées aux ateliers où travaillent femmes et enfants. Ces limitations disparaissent peu à peu, les inspectrices se voyant de plus en plus confier des visites d’ateliers mixtes ; mais dans les années 1920, elles sont toujours exclues des grandes usines et de toutes celles qui possèdent des moteurs complexes. Il n’empêche qu’elles ont prêté serment devant le préfet et que leur statut les investit, comme leurs collègues, de pouvoirs répressifs puisqu’elles peuvent en particulier dresser des procès-verbaux et faire entamer des poursuites devant le Parquet.
14Quant à leur avancement, il est bouclé de plusieurs manières. D’abord pour le cas des simples inspectrices, l’avancement aux deuxième et première classes, à l’ancienneté, est paralysé faute de places ; on peut ainsi attendre sept ou huit ans (Villate-Lacheret 1919). Statutairement et probablement jusqu’aux accords Parodi-Croizat de 1946, les inspectrices peuvent postuler au titre d’inspecteur départemental. Mais l’interdit sur les techniques leur barre probablement l’accès à ces fonctions : comment avoir autorité sur les entrepreneurs sans ce type de compétences ? Pour l’accès à l’échelon supérieur, celui d’inspecteur divisionnaire (chapeautant une division administrative), il leur est tout simplement interdit.
15Il n’empêche que ces femmes expliquent la loi, tant aux salariés qu’aux employeurs : “la multiplicité des lois nouvelles et l’obscurité de leurs termes égarent les patrons”, note une juriste (Villate-Lacheret, 1919). Pour les faire appliquer, l’institution ne craint pas de les mettre en rapport avec des industriels, des commissaires de police, des maires, des juges, tous des hommes à l’époque.
16Bien plus tardif, le cas des femmes magistrats met en jeu les mêmes éléments. Ici, la question de l’incapacité politique a été l’un des principaux arguments de leur interdiction d’accès, après avoir été longtemps utilisée pour leur barrer le métier d’avocat. Ainsi, en 1897, Jeanne Chauvin avait-elle été la première doctoresse en droit (avec une thèse sur “Les professions accessibles aux femmes”), sans pouvoir accéder au barreau, au motif de son incapacité politique. Trois ans plus tard, l’interdit était levé - les avocates ne pouvant néanmoins siéger comme juges pour compléter un tribunal, contrairement à leurs confrères -, et se déplaçait sur les femmes magistrats. Les premières initiatives législatives pour ouvrir la magistrature aux femmes datent de 1930 (Boigeol, 1996). L’argumentaire avancé navigue dans plusieurs registres : difficulté de trouver des candidats pour pourvoir les postes, absence de cataclysme après l’entrée des femmes au barreau, compétence garantie par les conditions de sélection, exercice de certaines fonctions de juges en France par des femmes, puisqu’elles siègent depuis 1907 aux conseils de prud’hommes, exemple d’autres pays qui ont déjà des femmes magistrats. Refusé, le projet de loi est à nouveau déposé en 1932, puis en 1937, mais de manière plus étroite, puisqu’il s’agit juste de promouvoir les femmes aux postes de juges assesseurs des tribunaux pour enfants : on avance alors l’argument des compétences maternantes des femmes. Néanmoins, le projet est refusé, tout comme d’ailleurs, celui de l’accès des femmes aux fonctions de notaire et de greffier [12].
17Si la loi autorisant l’accès des femmes à la magistrature est votée en 1946 sans aucun débat, elle suscite bien des résistances ultérieures, tant dans les discours ordinaires, que dans les jurys de recrutement de l’École nationale de la Magistrature ou que dans les tentatives, repoussées à de faibles majorités, de les priver des fonctions de police judiciaire ou de celle de juge d’instruction (1949). Au milieu des années 1950, le substitut général de la Cour d’appel de Paris dit encore que “sauf exception, les femmes, d’une part, sont inaptes à exercer nos fonctions d’autorité, d’autre part, nuisent au prestige du corps judiciaire” ; au même moment, le rapport du jury de recrutement de l’École nationale de la Magistrature souligne que “les candidates démontrent trop souvent qu’elles n’ont pas les qualités d’autorité, de raisonnement, de présence d’esprit et de maîtrise de soi qui nous paraissent indispensables dans l’exercice des fonctions judiciaires” [13]. On voit comment la loi, le droit, soit l’essence de l’organisation sociale, sont au centre du déni de compétence des femmes.
18Jusqu’aux années 1960, les taux de réussite des filles à l’École de la Magistrature n’excèdent guère les 10%. Ce n’est que dans les années 1990 que s’établit une parité qui fait resurgir de vieux démons, comme ce jury qui souligne que la montée des femmes est “un phénomène qui n’est pas sain du point de vue social ; autant il a pu être anormal qu’au nom de l’ensemble du peuple français une majorité d’hommes rende la justice, autant il le serait qu’une majorité de femmes le fasse à l’avenir”. Aujourd’hui, là comme ailleurs, les résistances se font pour l’accès des femmes aux postes les plus importants, ceux du “dernier cercle”.
Diriger des bureaux
19Les oppositions aux femmes investies d’autorité font appel à des registres peu différenciés. Au XIXe siècle, Camille Sée, pourtant promoteur des lycées de filles, n’hésitait pas à expliquer à l’Assemblée : “je crois qu’il est des jeunes filles qui ont leur brevet de docteur en médecine, mais ce sont de rares exceptions et s’il faut dire le fond de ma pensée, nous aurons toujours assez de docteurs femelles ! Je n’examine même pas la thèse de l’introduction des femmes dans les carrières dites libérales ou administratives” [14]. Autrement dit, il récusait ce qu’une lyonnaise, directrice d’une institution d’éducation pour jeunes filles appelait “ce troisième sexe que notre époque veut former et auquel le Bon Dieu n’avait pas songé en créant le monde : ces femmes féministes et non féminines, avocats, médecins, électeurs, députés” [15]. On pourrait poursuivre ce redoutable florilège, avec les discours qui ont présidé à la première tentative de mise en place de l’ENA en 1936, cette école dont “les jeunes filles sont expressément exclues. En premier lieu, la plupart des carrières qu’offre l’ENA sont actuellement fermées aux femmes et il paraît difficile qu’il en soit autrement. En second lieu, l’École est en principe un internat et les élèves sont tenus de suivre pour les uns les cours de préparation militaire supérieure, pour les autres, les cours de perfectionnement ; il faudrait prévoir pour les jeunes filles un régime spécial qui ne paraît pas souhaitable. Enfin, tous les élèves de l’École s’engagent à demeurer au service de l’État pour un très long temps ; il serait fâcheux d’imposer la même obligation pour les jeunes filles” [16].
20Néanmoins, un certain nombre de ministères réfléchissent à cet accès des femmes aux fonctions d’autorité et d’encadrement, conséquence de leur accès aux diplômes des universités. Tant que le statut de la fonction publique n’est pas unifié, les pratiques sont hétérogènes et posent probablement la question de la responsabilité des différents ministres, des textes réglementaires qu’ils édictent. Contrairement à ce que l’on pourrait spontanément imaginer, les ministères sociaux ou de l’éducation ne sont pas seuls concernés. Ainsi, en même temps que le Commerce, la Guerre ouvre en 1919 le grade de rédacteur (accessible aux licenciés) et compte quinze ans plus tard vingt-huit femmes rédactrices (sur cent vingt) et cinq sous-chefs sur quarante-sept. Ce sont des proportions suffisantes pour effrayer les hommes, et un décret de 1931 précise que dès que le nombre de femmes rédactrices atteindra 50% des effectifs, le concours leur sera fermé… On voit que les discours sur la parité sont apparus tôt. Recrutées au début des années vingt, ces femmes peuvent, quelques années plus tard, accéder par les règles de l’avancement au rang de chef de bureau. On compte en 1926 une chef de bureau à l’Agriculture et deux autres au Commerce et là non plus, la réaction ne se fait pas attendre : “la valeur intellectuelle des femmes ne saurait être mise en question. Leur succès aux concours et examens montrerait, s’il en était besoin, que beaucoup d’entre elles possèdent les plus brillantes facultés (…). Quant aux emplois supérieurs, il est apparu à tous les directeurs de l’Administration que les femmes doivent en être écartées” [17].
21Les décennies suivantes verront quelques faibles améliorations. En 1958, au ministère du Travail, les deux inspecteurs généraux restent des hommes, les vingt-et-un inspecteurs divisionnaires aussi ; pour les cent-trois directeurs départementaux, par contre, on compte deux femmes. Ces pourcentages restent longtemps immobiles et le haut de l’échelle des traitements quasi inaccessible : en 1985, une seule femme est directrice hors classe. Sans doute, pour la haute Administration, est-ce déjà beaucoup : en 1969, le ministère du Travail compte 18% de femmes à des emplois de direction (sous-directeur, chef de service, directeur), contre 0,8% aux Finances, et 0% aux Affaires étrangères, à l’Intérieur, aux PTT comme aux Transports.
Des traitements différenciés
22Il faut croire que l’inégalité des traitements financiers n’allait pas d’elle-même, car elle est très formalisée. Tous les textes la mentionnent. Pour les Inspectrices générales des prisons, dès la proposition de leur création, il est spécifié que le traitement d’une inspectrice de 2e classe sera de 4 000 fr. par an, contre 5 000 fr. pour son homologue masculin ; pour les frais de tournée, on propose 2 000 fr., soit 500 fr. de moins que pour un homme. Les intéressées insistent pourtant sur les fait qu’il coûte plus cher d’héberger une femme qu’un homme. Pour les inspectrices du travail, il n’en va pourtant, curieusement, pas de même, leurs salaires sont identiques, quand on sait que dans d’autres lieux de la fonction publique comme l’enseignement les distorsions de salaires sont établies : entre la 3ème et la 1ère classe, les institutrices gagnent de 100 à 400 fr. de moins que les instituteurs, et il en est de même pour les enseignantes des écoles normales ; les directrices d’écoles normales d’institutrices gagnent systématiquement 500 fr. de moins que leurs collègues masculins et ce, jusqu’en 1919 [18]. Chez les magistrats, une fois acquise l’égalité des droits, cette question des traitements différenciés apparaît en filigrane, puisque “il est manifeste que dans bien des cas les femmes qui se présentent à l’examen professionnel de la magistrature ne cherchent pas à proprement parler à faire une carrière judiciaire, mais désirent obtenir une situation leur permettant d’obtenir un salaire d’appoint” [19].
23Même à très haut niveau, il doit rester bien entendu que les femmes ne peuvent se sentir les égales des hommes. Et on continue par ailleurs à entretenir la fiction des travaux de femmes qui ne rapporteraient que des salaires d’appoint dans leur ménage.
Paradoxes ?
24Dans tous ces cas, le Pouvoir articule ses discours et légitimations dans deux directions. D’une part, l’exclusion des hommes de certains lieux où les femmes sont seules ou majoritaires ; d’autre part les fonctions maternantes, que seules les femmes seraient en droit d’exercer ; or, on sait que ces fonctions maternelles qui légitiment l’exclusion, s’élaborent au courant de ce même XIXe siècle. Ainsi, quand vient en 1842 l’idée de créer des inspectrices générales des prisons, le motif est d’ordre religieux : préserver les sœurs gardiennes des prisons, ne pas déroger à leurs règles : “l’emploi des sœurs dans les maisons centrales de femmes, à l’exclusion des gardiens, et le placement de la plupart des jeunes filles dans des établissements religieux semblent exiger la création d’un emploi d’inspectrice. Les inspecteurs généraux des prisons du royaume ne sauraient entrer dans certains détails de service de la vie des sœurs”, en particulier pour les ordres dont la règle interdit le franchissement du parloir aux hommes (Pion, 1986). Pourtant, laïcisées, les prisons de femmes gardent ces mêmes inspectrices et leurs compétences se sont étendues aux hospices de vieillards, aux pouponnières, bref tout ce qui touche à “l’assistance maternelle”. Des arguments similaires ont été invoqués pour les inspectrices du travail : l’ingérence d’hommes dans les ateliers féminins semble difficile et “il paraît convenable à tous égards de confier à des femmes la surveillance des ateliers exclusivement occupés d’ouvrières” [20]. Parce qu’elle est femme, l’inspectrice paraît la mieux placée pour observer et défendre l’univers féminin, qui serait un monde spécifique. Éventuellement admissible dans l’air de ce temps, l’argument tient cependant bien peu : au XIXe comme au XXe siècle, les femmes constituent bien au moins 30% de la population active, quand les inspectrices ne sont, on l’a dit, que 12% du corps.
25L’autre volet des discours est la fonction maternante, qui s’élabore précisément au cours du XIXe siècle. C’est elle qui exclut les hommes des écoles maternelles, puis installe des femmes dans la fonction d’inspection. Mais on remarquera que cette fonction maternante a un seuil limite : les femmes peuvent inspecter de petits garçons de moins de six ans, estimés encore asexués comme les anges, mais cet âge franchi, elles ne se voient attribuer que l’inspection des écoles primaires de filles, les garçons passant sous le contrôle des hommes. De toute façon, ces femmes restent inspectrices académiques, c’est-à-dire pour le département et n’accèdent pas aux responsabilités supérieures. On peut d’ailleurs retourner la question de ces fonctions maternantes. D’autres métiers ne concernent que les femmes : des matrones aux sages-femmes, des femmes accouchent les femmes, exclusivement. Et pourtant, accoucheurs et gynécologues sont longtemps seulement des hommes [21].
26Inspection générale des salles d’asile, inspection des écoles maternelles, inspection du travail, avocates et juges : dans ces métiers et fonctions, il s’agit bien de contrôler l’application des droits individuels et collectifs et même du droit. Ces femmes sont des figures de très fortes contradictions sociales : d’une part le Code civil dénie aux femmes toute compétence et autorité en matière de gestion de la vie privée, en particulier sur leurs enfants, d’autre part les constitutions républicaines successives les privent tant d’élire les législateurs que d’être élues pour élaborer les lois. Et pourtant l’État les emploie pour vérifier l’application des lois et sanctionner leur contournement. Il sera sûrement éclairant d’aller plus avant dans la recherche et d’examiner les discours qui ont, à l’époque, présidé à la légitimation de ces contradictions et permis la création de ces postes.
27L’après Seconde guerre mondiale voit, légalement, un net changement de la condition des femmes : droit de vote et d’éligibilité, accords Parodi-Croizat qui uniformisent la fonction publique et suppriment les recrutements réservés, ouverture de l’École Nationale d’Administration. En fait, pour la haute fonction publique, ce monde d’hommes liés par la fiction d’un service de l’État assimilé à celui des armes (Bécame, 1974), les paradoxes s’exacerbent alors. Faut-il prendre l’exemple de l’Inspection générale de l’Administration, celle où trois femmes avaient été nommées avant 1914 et où l’unité du corps se fait par l’entrée d’anciens énarques ? Ce n’est qu’en 1984 qu’une femme y sera à nouveau admise, une pour quarante-quatre hommes. Pourtant, de réformes en réformes, la donne sociale a fondamentalement changé durant la dernière décennie : la première génération des femmes qui ont eu accès à l’égalité des enseignements est arrivée dans la maturité de sa vie active, cette maturité qui autorise les responsabilités. C’est là que s’ancrent, mieux et plus que jamais, les revendications pour leur admission dans toutes les sphères de pouvoir et de savoir, y compris au sein de l’État, revendications appareillées ou non d’une première étape de parité. On ne peut que remarquer que, face à ces demandes, les discours de résistance et de dénégation sur la place à accorder aux femmes ont, quant à eux, bien peu évolué depuis le XIXe siècle.
Bibliographie
Bibliographie
- Bécame G., “La féminisation de la fonction publique”, La Revue administrative, mars 1974, pp.118-124.
- Boigeol A., “Les femmes et les Cours. La difficile mise en œuvre de l’égalité des sexes dans l’accès à la magistrature”, Genèses, n°22, mars 1996, pp.107-129.
- Clark L. L., “Les carrières des inspectrices du travail, 1892-1939”, dans Robert J.-L., Inspecteurs et Inspection du travail sous la IIIIe et la IVe République, Paris, La Documentation française, 1998, 261 pages, pp.128-135.
- Klejman L. et Rochefort F., “Les Premières”, dans Thébaud F. (dir.), Julie Daubié, Bulletin du Centre Pierre Léon, 2-3 1993, 118 pages, pp.81-92.
- Frader L. L., “Définir le droit au travail : rapports sociaux de sexe, famille et salaire en France aux XIXe et XXe siècles”, Le Mouvement social, juillet-septembre 1998, pp.5-22.
- Luc J.-N., L’invention du jeune enfant au XIXe siècle, de la salle d’asile à l’école maternelle, Paris, Belin, 1997.
- Pion A., “Les Inspectrices générales au ministère de l’Intérieur, 1843-1939”, Administration, octobre 1986, pp.63-71.
- Reid D., “L’identité sociale de l’inspecteur du travail”, Le Mouvement social, n°170, pp.39-60.
- Reynolds S., “Trois dames au gouvernement (1936)”, dans C. Bard (dir.), Un siècle d’antiféminisme, Paris, Fayard, 1999, 480 pages, pp.193-204.
- Rouet G., L’invention de l’école. L’école primaire sous la Monarchie de Juillet, Nancy, Presses Universitaires, 1993.
- Thébaud F., La femme au temps de la guerre de 14, Paris, Stock, 1986 (réédition 1996).
- Thuilliez G., Les femmes dans l’Administration, Paris, PUF, 1988.
- Viet V., Les voltigeurs de la République, L’inspection du travail en France jusqu’en 1914, Paris, CNRS, 1994.
- Villate-Lacheret, Les Inspectrices du travail en France, Manuel pratique, thèse de droit, Paris, 1919.
Notes
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[1]
Ce ne sera pas le prétexte de cet article ; on trouvera une bibliographie sur ces métiers de femmes dans Delphine Gardey, “Perspectives historiques”, dans Margaret Maruani (dir.), Les nouvelles frontières de l’inégalité. Hommes et femmes sur le marché du travail, Paris, La Découverte, 1998, pp.23-38.
-
[2]
On fait en particulier référence ici au Code civil et aux constitutions jusqu’à la IVe République.
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[3]
Pour ces fonctions, on renvoie aux travaux de Jean-Noël Luc sur les écoles maternelles, de Jean-Michel Chapoulie et Jean-Pierre Briand pour l’enseignement primaire supérieur et secondaire, de Françoise Mayeur, mais aussi de Gérard Vincent et de Marlaine Cacouault pour l’enseignement secondaire, de Charles Langlois pour les congrégations.
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[4]
Pour reprendre l’expression de Jeannine Mossuz-Lavau et Anne de Kervasdoué (Odile Jacob, 1997), “les femmes ne sont pas des hommes comme les autres” : dans les sources utilisées par les historiens, elles n’ont souvent pas droit à une mention d’état-civil identique à celle des hommes, comprenant leur nom de famille et leur prénom : elles sont “Melle X” ou “Mme Y”, soit une nomination incomplète, qui pourrait par ailleurs conduire à des erreurs, par simple homonymie ; on sait que l’usage veut que, quand des individus sont décédés, on n’utilise plus que leur nom de famille pour mentionner leur histoire et qu’il va toujours de soi que les individus ainsi mentionnés sont des hommes ; en essayant de ne pas ouvrir une nouvelle voie vers l’invisibilité des femmes, on utilisera ici le même code.
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[5]
Voir par exemple les travaux de Jacqueline Laufer et de Catherine Marry.
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[6]
Bonnie Smith, Les bourgeoises du Nord, 1850-1914, Paris, Perrin, 1981.
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[7]
Une revue, Clio, Histoire, Femmes et société, éditée par les Presses universitaires du Mirail ; deux thèses sur le travail des femmes ont pour l’instant été publiées, celle de Mathilde Dubesset et Michelle Zancarini-Fournel, Parcours de femmes, Réalités et représentations, Saint-Étienne, 1880-1950, Lyon, PUL,1993, 262 pages ; celle de Catherine Omnès, Ouvrières parisiennes, Marchés du travail et trajectoires professionnelles au XXe siècle, Paris, EHESS, 1998, 367 pages.
-
[8]
1924 est l’année où les cursus secondaires des filles s’alignent sur ceux des garçons.
-
[9]
Mais aujourd’hui les proportions restent faibles avec, du haut en bas de la hiérarchie : 15% de femmes parmi les inspecteurs généraux, 26% chez les inspecteurs pédagogiques régionaux, 15% chez les inspecteurs d’académie et 30% chez les inspecteurs de l’Education nationale.
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[10]
Une recherche sur ces inspectrices du Travail a démarré à l’automne 1999 au Centre Pierre Léon d’histoire économique et sociale.
-
[11]
Rapport de Bouquet au Congrès des accidents du travail, Milan, 1914, cité par Villate-Lacheret (1919).
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[12]
Les ordonnances de 1944 autorisent les femmes greffiers et jurés de cours d’assises.
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[13]
Respectivement : rapport du substitut général de la Cour d’Appel de Paris à Monsieur le Procureur général, 17 novembre 1955 et rapport du jury de recrutement en 1956, cités par Boigeol (1996).
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[14]
Cité par Thuillier (1988).
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[15]
Cité par Klejman et Rochefort (1993).
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[16]
Commission Cavallier, citée par Thuillier (1988). On peut rappeler ici que l’École des Beaux-Arts a longtemps refusé les filles sous prétexte qu’il n’y avait pas de toilettes séparées…
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[17]
Note du 6 juin 1934, citée par Thuillier (1988).
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[18]
Loi du 19 juillet 1889 sur les dépenses ordinaires de l’Instruction primaire publique et les traitements du personnel de service ; l’arrêté de 1918 qui modifie ces règles ne vaut pas pour les grades les plus élevés, comme directrice d’École normale.
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[19]
Rapport de 1956 du jury de l’École nationale de la Magistrature, cité par Boigeol (1996). Sur l’élaboration de la notion de salaire d’appoint, Frader (1998).
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[20]
Le préfet de la Seine en 1878, cité par Viet (1994).
-
[21]
Comme pour les inspectrices du travail, les sages-femmes ont interdiction de se mêler de technique et ne peuvent toucher les instruments qui qualifient l’obstétricien : forceps, instruments chirurgicaux.