Couverture de TF_171

Article de revue

Le lien conjugal à l’épreuve de la maladie d’Alzheimer

Une étude exploratoire auprès de quatre couples, lorsqu’un des conjoints atteint de démence est placé en institution

Pages 71 à 87

« Je découvre sous la femme merveilleuse de nos cinquante années de vie ensemble une autre femme, bizarrement satisfaite d’elle-même. Ce serait comme si des tranches de sa personnalité tombaient, et que peu à peu apparaissait une nouvelle femme quasi sans tête. »
(Rezvani, 2003, p. 81)

Introduction

1La maladie d’Alzheimer suscite de nombreuses questions, sociales, médicales et psychologiques. Génératrice de peur, d’angoisse et de fantasme, c’est la maladie de la perte : perte de sa mémoire, perte de son histoire, perte de son intelligence, perte de soi-même. Plusieurs fois, j’ai été touchée par le témoignage de personnes exprimant leur souffrance devant un conjoint ou un parent atteint d’Alzheimer. Comment accepter de voir un être cher ne plus vous reconnaître, changer de personnalité et adopter des comportements indécents ou inadaptés, tellement loin de ce que vous connaissiez de lui ? La personne atteinte de la maladie d’Alzheimer reste celle que vous avez aimée et devient une autre en même temps. Votre histoire avec elle semble s’évanouir dans le temps et vous ne savez pas comment agir face à cette inexorabilité.

2En stage de master 1 dans une Unité Long Séjour pour personnes âgées dépendantes, j’ai été en contact avec des sujets atteints de la maladie d’Alzheimer ou d’une démence apparentée. Certains d’entre eux recevaient la visite très régulière, parfois quotidienne, de leur conjoint valide. La constance de ces derniers, l’attention qu’ils déployaient à l’égard de leur conjoint dément, mais aussi l’expression de leur tristesse ou de leur désarroi, m’ont donné envie d’explorer la façon dont le lien conjugal se maintient dans cette situation.

3Pour cela, j’ai interviewé quatre personnes qui vivaient cette situation de placement de leur conjoint. Je leur ai demandé de me raconter leur histoire de couple et la façon dont ils faisaient face à cette situation. Je cherchais à identifier comment chaque système se réaménageait face à la démence et au placement, ce qui était facilitant et ce qui l’était moins, quelles étaient les variables systémiques, personnelles et extérieures qui agissaient dans ce remaniement.

4Derrière cette première exploration réside l’idée qu’il est certainement possible de plus et mieux accompagner les conjoints aidants, quand leur partenaire dément est placé en institution. Mes recherches bibliographiques ont en effet révélé de nombreuses études portant sur les proches aidants lorsque le malade est encore à la maison et sans distinguer plus particulièrement le conjoint des autres proches familiaux. Il m’a semblé qu’il existait une certaine béance sociale vis-à-vis de ces conjoints qui restent seuls chez eux, comme si l’institution, en garantissant le soin du malade, n’avait plus à se préoccuper de la personne valide.

Le couple face à la démence et au placement

5La démence est une pathologie très particulière, aux confins de la maladie organique et de la maladie mentale. Elle affecte les fondements de la personne en tant qu’individu singulier : ses modes de pensée, ses modes de relation à l’environnement et aux autres, et surtout sa mémoire, lieu où s’est élaborée et s’élabore son histoire de vie. Ce processus est progressif et irréversible. La modification profonde de la personnalité et des comportements de l’être aimé induit un remaniement inévitable de la relation, pour les proches et peut-être plus encore pour le conjoint.

La démence est une perte ambiguë

6La perte ambiguë est un concept développé par Pauline Boss, dès les années 1970, à partir de son expérience auprès de familles ayant subi des pertes traumatisantes et ambiguës, mais aussi dans le cadre de ses interventions en thérapie familiale à New York. Elle distingue deux situations de perte ambiguë :

  • L’absence physique et la présence psychologique : la personne est absente physiquement mais très présente d’un point de vue affectif et intellectuel dans l’esprit de ses proches. Il peut s’agir de cas de disparitions lors de guerres ou de catastrophes, ou bien de séparations dans des contextes d’immigration ou d’adoption, mais aussi dans des situations familiales de divorce.
  • La présence physique et l’absence psychologique : le proche est présent physiquement mais absent émotionnellement et/ou intellectuellement. Ce sont les situations où le proche est atteint d’une démence mais aussi toutes les situations liées à l’addiction, la maladie mentale ou la dépression.

7La démence correspond à cette deuxième situation de perte ambiguë : le conjoint dément est en même temps présent et absent, il est celui que l’on a toujours connu et un autre. La perte n’est pas claire, les repères changent, l’autre n’est plus psychiquement le même. Dans un tel contexte, il est difficile de continuer à donner un sens à la relation de couple et le conjoint valide entre dans l’inconnu d’une nouvelle relation à inventer. Tout ceci se fait de façon progressive, par étapes, sans aucune certitude sur le lendemain.

8Une telle situation est potentiellement source de symptômes dépressifs ou anxieux, du fait de la confusion et de l’incertitude qu’elle porte en elle. Au-delà de la charge de travail représentée par le soin au malade et du changement de mode de vie, ce sont cette incertitude et cette ambiguïté qui sont la source de souffrance. C’est une situation bien différente des cas où l’un des conjoints est atteint d’une maladie strictement organique.

9Ainsi, une perte ambiguë est une perte qui ne répond pas complètement aux critères de la perte et, de ce fait, elle ne permet pas de faire un deuil selon les rituels habituels. Le processus est plus complexe ; il ne peut être linéaire et simple. Boss observe que les personnes qui se donnent la permission de faire un deuil progressif à chaque nouvelle perte arrivent souvent à mieux vivre la situation. À l’opposé, certains préfèrent un deuil anticipé, faisant l’impasse du temps de vie encore en cours avec le conjoint, ou un deuil gelé, sorte de déni de la démence. Ces deux cas de figure engendrent souvent plus de souffrance, aussi bien pour le conjoint valide que pour le conjoint dément.

10Faire face à la démence de son partenaire, c’est élaborer la perte ambiguë en s’engageant dans un processus de deuil progressif, deuil de l’autre, deuil d’une relation, deuil d’une partie de soi-même.

Face à cette perte ambiguë, le modèle de couple est remanié

11Le couple est fondé sur le libre choix, contrairement aux autres liens familiaux tels que les liens de filiation et de consanguinité qui sont portés par la biologie. Caillé nous dit : « Là où il n’y avait encore rien, deux individus ont vu un couple et, en parvenant à le voir, l’ont créé. » (2004, p. 43).

12Hefez indique que « pour vivre et se construire ensemble, les partenaires doivent créer leur mythe conjugal, donner naissance à un ensemble de croyances qui seront partagées par les membres de la famille qu’ils vont fonder ensemble et ne pourront être remises en question par l’extérieur » (2012, p. 140). Un couple est fondé à partir d’un mythe conjugal, récit organisé autour de croyances et de valeurs qui font la spécificité de cette rencontre unique. Mais, tout mythe induit des rituels, qui vont s’observer dans les règles et les comportements de la vie quotidienne du couple.

13Ainsi, chaque couple crée son modèle unique, spécifique et original, qui agit sur un niveau mythique et sur un niveau rituel, son absolu du couple (Caillé, 2004). Ce modèle, formé à partir de deux individualités, est, pour partie, invisible, même aux partenaires du couple. En permanence, ils composent avec lui, dans une « danse » qui évolue avec les étapes du cycle vital et les événements extérieurs, pour maintenir un état d’équilibre permettant la survie du système.

14La démence est une situation qui amène nécessairement ce modèle à évoluer. Le niveau mythique et le niveau rituel sont revisités et rééquilibrés, pour retrouver une cohérence qui tend à se perdre. La perte psychique tend en effet à modifier le sens de ce qui fondait le niveau mythique. La maladie et le placement impliquent des modifications inévitables de la vie quotidienne. Ce réaménagement nécessaire est une étape importante dans l’élaboration de la perte ambiguë.

Ce remaniement du modèle du couple est un processus de reconstruction identitaire pour le conjoint valide

15Caillé, dans le titre de son livre Un et un font trois, considère le couple comme une entité à part entière, qui fait tiers avec les deux conjoints. Chacun des partenaires fonctionne ainsi dans un équilibre à trois, avec lui-même, son partenaire et son couple.

16Le remaniement du modèle de couple suppose que les intersections et les relations sont modifiées au sein de ce système ternaire. Une partie de soi, qui était fortement investie et définie en fonction du couple, devra être repensée. En modifiant son modèle du couple, le conjoint valide réorganise différemment les facettes de sa personnalité et de son histoire. Il est amené à découvrir de nouvelles façons d’agir dans le quotidien, des nouvelles modalités de lien avec ses autres proches familiaux ou amicaux. La définition qu’il se faisait de lui-même en rapport avec son couple est inévitablement attaquée.

17Élaborer la perte ambiguë, c’est revisiter une partie de son identité qui s’était construite en référence au couple. Accepter que le conjoint devienne autre, c’est aussi accepter de devenir autre.

Quelles seraient les conditions favorables à une élaboration de la perte ambiguë ?

18Dans une perspective systémique, il est impossible de prévoir comment un système va évoluer quand il est confronté à la crise. Face à la démence et au placement, le modèle de couple est revisité, plus ou moins facilement selon le contenu de ses composantes mythiques et rituelles et selon la façon dont il a été et est encore investi par le partenaire valide. D’autres variables interviennent également sur ce processus de reconstruction identitaire.

19Pour mon mémoire de master, je souhaitais commencer à mettre en lumière certaines modalités d’ajustement plus efficaces que d’autres dans l’élaboration de la perte ambiguë. J’ai mené une analyse qualitative exploratoire en interrogeant quatre conjoints de personnes démentes placées en institution. Les entretiens, sur la base d’un guide d’entretien semi-directif, ont été enregistrés puis retranscrits intégralement. À partir de cette matière, j’ai dégagé une liste de variables d’influence.

20Il faut noter que j’ai interrogé des personnes qui rendaient encore visite très régulièrement à leur conjoint dément, excluant de mon champ d’études les personnes qui avaient rompu le lien et avaient choisi la voie d’un deuil anticipé.

21J’ai ainsi identifié les variables suivantes :

  • le contenu des niveaux mythique et rituel et leur équilibrage ;
  • le type de loyauté engagée dans la relation de couple ;
  • la valeur attribuée au diagnostic de démence ;
  • le désir de contrôle ;
  • le rôle de l’institution ;
  • la structure du système familial ;
  • les autres modèles sociaux de référence.

22Et, j’ai tenté une modélisation schématique de leurs impacts et interactions.

figure im1

23Dans les pages suivantes, je donne une illustration de l’impact de chacune de ces variables au travers des quatre exemples de couples rencontrés.

Contenu et équilibrage du niveau mythique et du niveau rituel dans le modèle de couple

Quand l’entente intellectuelle fonde le mythe conjugal

24

« Je l’ai toujours défendu car j’ai toujours admiré mon mari… Enfin, quelqu’un qui a un doctorat de physique, ce n’est quand même pas un imbécile. »
« On était une équipe excellente. »
M. et Mme A. sont mariés depuis 53 ans. Ils ont deux fils. La maladie d’Alzheimer de M. A. a été diagnostiquée alors qu’il avait à peine 70 ans. Son épouse s’est occupée de lui pendant trois ans à la maison mais il devenait violent et agressif et il est entré dans une petite EHPAD spécialisée pour les malades déments.

25Ce couple fonctionnait sur une grande entente intellectuelle. Niveaux mythique et rituel étaient organisés autour de l’engagement social, politique et culturel. Il est difficile pour Mme A. de réaménager son absolu de couple, dans un contexte où la maladie ôte toute capacité intellectuelle à son mari. Aussi bien l’image très idéalisée de son mari brillant intellectuellement que les activités quotidiennes qu’ils partageaient sont empêchées par la démence. Il s’agit véritablement de revoir toute la construction de ce système, sachant qu’elle-même y a mis une grande partie de sa construction identitaire. Abandonner l’idéal porté par le niveau mythique représente une attaque narcissique importante.

26Cependant, au-delà du partage intellectuel, Mme A. évoque aussi son couple comme une équipe exceptionnelle, très soudée. Cet idéal lui permet de maintenir et de nourrir le lien avec son mari. Le fait qu’elle reste son point d’ancrage, qu’il la reconnaisse et la réclame, donne de la substance au niveau mythique, fondé sur la rencontre de deux êtres complémentaires et soudés pour la vie.

27Du point de vue rituel, elle a mis en place une organisation où elle rend visite à son mari tous les jours. Elle n’envisage pas de déroger à cette règle ; la présence physique l’un à l’autre est indispensable.

Quand le placement vient restaurer le niveau mythique et alléger le niveau rituel

28

« Mais, maintenant, il est beaucoup plus heureux de me voir et il m’aime plus, voilà, je crois qu’on s’aime plus maintenant qu’on n’est pas ensemble tout le temps. »
M. et Mme B. sont mariés depuis trente-trois ans. Ils se sont connus relativement tard ; elle avait 41 ans et lui 35 ans lorsqu’ils se sont mariés. Ils ont eu très vite une fille, qui a maintenant 33 ans. Mme B. est anglaise et s’est installée en France quand elle avait une trentaine d’années.
M. B. a été hospitalisé plusieurs fois, durant sa vie adulte, pour des épisodes dépressifs. Il avait une reconnaissance handicap et n’a pas travaillé de façon régulière. Il est atteint d’une démence fronto-temporale (DFT). Il présente des troubles attentionnels, des troubles de la mémoire ainsi que des troubles du comportement, stabilisés par traitement médicamenteux depuis qu’il est dans l’EHPAD.

29Mme B. propose un récit de son couple, où deux individus seuls se sont retrouvés pour fonder une famille. Le niveau mythique de l’absolu du couple était fondé sur un choix social et raisonnable, imprégné par ailleurs du devoir et de la foi chrétienne. Dans ce couple, la vie quotidienne n’a pas toujours été facile du fait de la fragilité psychologique du mari ; le niveau rituel était lourd et contraignant. Avec le placement, les contraintes présentes au niveau rituel se sont déplacées vers l’institution. Mme B. n’a plus à prendre soin des troubles du comportement de son mari. Comme elle a longtemps été célibataire, elle ne souffre pas de cette solitude et, au contraire, semble apprécier la liberté retrouvée. Elle rend visite à un mari « gentil », avec qui elle maintient une relation privilégiée. Il a confiance en elle, il l’attend et clame son amour pour elle. Elle est touchée par les émotions qu’il exprime et les respecte. C’est en quelque sorte une restauration de l’amour au niveau mythique, illustrée par son propos : « on s’aime plus maintenant ». M. B., de son côté, exprime beaucoup de douleur d’être séparé de sa femme, de ne plus être chez lui, mais on peut se demander si le fait de pouvoir exprimer cet amour, de façon parfois excessive, n’est pas une forme de soulagement également pour lui, comme s’il se réfugiait dans une version un peu « idéalisée » de son mariage.

Quand la démence et le placement balayent un modèle ancré sur le niveau rituel et exacerbent le manque au niveau mythique

30

« Ben maintenant, elle est muette, un peu plus qu’avant malheureusement. On avait un minimum de conversation, aussi bien pour le ménage que pour les enfants, les sorties, qui étaient rares d’ailleurs, en dehors de la famille. C’est tout. »
M. et Mme C. sont mariés depuis cinquante-neuf ans ; ils ont deux garçons. Mme C. est entrée à l’EHPAD, suite à une attaque cérébrale ; elle ne marche plus et ne parle pratiquement plus. Un diagnostic de maladie d’Alzheimer avait par ailleurs été posé, avant l’accident.

31M. C. décrit un couple où le niveau mythique était fondé sur des valeurs rationnelles et matérielles ; l’amour et l’affection étaient peu présents. Mais, ceci était source de souffrance pour lui car ce mythe ne correspondait pas à ses désirs ; il attendait de l’amour. La maladie de Mme C. n’est pas en mesure de restaurer un niveau mythique plus satisfaisant. Au contraire, Mme C. est encore plus distante qu’auparavant et son mari attend toujours un signe.

32Le couple fonctionnait essentiellement sur un niveau rituel, organisé sur un partage des tâches matérielles. Mme C. était une maîtresse de maison parfaite ; M. C. un homme travailleur qui a toujours pourvu aux besoins de la famille. La vie s’est organisée autour de l’éducation des enfants, des courses, des travaux dans la maison. La maladie et le placement très rapide de Mme C. en institution ont complètement bouleversé cette organisation, introduisant une rupture importante dans un lien qui passait par le matériel. M. C. en souffre beaucoup et s’adapte mal à ces nouvelles modalités de fonctionnement.

33La réorganisation de l’absolu du couple est rendue très difficile car la maladie a balayé le niveau rituel qui était un pilier dans le lien conjugal et a presque accentué la souffrance induite par le niveau mythique. On peut penser que les visites quotidiennes de M. C. ainsi que les soins de « nursing » qu’il prodigue à sa femme en la faisant manger patiemment sont une façon de maintenir le niveau rituel qui organisait le couple.

Quand la démence renforce la fusion et le repli sur le couple

34

« Au moins, j’ai quelqu’un à moi, jusqu’au bout. »
M. et Mme D. sont mariés depuis soixante ans. Ils se sont connus jeunes ; elle est tombée enceinte et ils se sont mariés contre l’avis de leurs familles respectives.
Mme D. est diagnostiquée de la maladie d’Alzheimer. Elle est en fauteuil, ne parle plus et dort pratiquement toute la journée. Son mari lui rend visite tous les jours. Il est bien connu du personnel soignant qui parle de lui comme d’un mari particulièrement aimant et attentionné.

35M. D. décrit un couple uni, qui a toujours résisté envers et contre tous. Sa femme était « quelqu’un à lui », qui lui permettait de panser ses blessures d’enfance. Il était l’élément moteur mais ils étaient toujours d’accord sur leurs décisions. Au niveau mythique, ce couple était fondé sur la lutte contre l’extérieur dans une union indéfectible. Au niveau rituel, la vie commune s’organisait dans un partage des tâches matérielles ; M. et Mme D. passaient la majeure partie de leur temps tous les deux ensemble. La situation aujourd’hui paraît finalement peu changée, même si elle est beaucoup plus extrême. Au niveau mythique, M. D. garde sa femme pour lui et il la défend envers et contre tous, notamment ses enfants dont on se demande s’il les laisse réellement approcher leur mère. Au niveau rituel, il continue d’assumer à la maison les tâches qu’il assumait déjà pour la plupart. Il a transposé certains aspects dans l’institution, lui apportant de la nourriture et des habits, passant du temps à s’occuper d’elle physiquement. Elle s’est réfugiée encore plus « dans sa bulle » mais il sait interpréter les signaux d’amour qu’elle lui envoie. Il aimerait continuer ainsi jusqu’au bout.

36On pourrait dire que l’absolu du couple est exacerbé par cette situation de démence et de placement, conduisant à un mécanisme de déni de la réalité et de confusion des identités entre lui-même, sa femme et son couple. Cette accentuation du repli sur le couple paraît préoccupante pour l’état de santé physique et mental de M. D. Son discours prolixe et peu structuré, ses propos à tendance paranoïaque pourraient refléter un état dépressif latent et alertent sur un état de crise potentiel. Il a déjà été hospitalisé pour une fatigue excessive alors qu’il s’occupait de sa femme à la maison, ce qui a d’ailleurs conduit au placement en institution.

37Avec ces quatre exemples, nous entrevoyons quatre histoires de couple très spécifiques, qui conduisent à des remaniements plus ou moins importants et plus ou moins satisfaisants, face à la démence et au placement. Il serait bien sûr illusoire de vouloir tirer des règles générales de ces quatre exemples. Mais, cela peut néanmoins fournir des pistes intéressantes sur la façon dont les conjoints peuvent élaborer autour de leur modèle de couple et découvrir des voies d’évolution plus ou moins satisfaisantes.

Loyauté et culpabilité

38Le placement en institution peut être source de culpabilité et de souffrance, certains conjoints exprimant le sentiment d’abandonner leur partenaire. C’est la loyauté à la relation de couple qui est en jeu et qui s’exprime avec plus ou moins de culpabilité selon ce qui la fonde.

39Boszormenyi-Nagy (1973) décrit plusieurs dimensions de la réalité relationnelle, qui engendrent différents types de loyauté. Il distingue notamment :

  • la loyauté psychologique et familiale relative aux injonctions de devoir reçues par notre culture et notre éducation : « On doit s’occuper de son conjoint malade » ;
  • la loyauté portée par une éthique relationnelle : il postule que nous sommes naturellement programmés pour la coopération et la réciprocité. Le cerveau humain serait équipé biologiquement pour faire le compte de ce qu’il reçoit et de ce qu’il donne ; l’éthique relationnelle ferait partie de nos gènes. Ainsi, un individu peut être loyal à une relation parce qu’il estime qu’il doit donner autant qu’il a reçu.

40Au cours des entretiens, j’ai posé la question suivante : « En quoi est-ce important pour vous de venir régulièrement rendre visite à votre conjoint ? » Je souhaitais identifier à quel type de loyauté se référait la personne et ce que cela impliquait sur son vécu psychologique de la situation, notamment en termes de culpabilité.

Quand le souci d’éthique relationnelle prédomine et génère de la culpabilité, de la souffrance ou de l’épuisement

41

« Cela a été pour moi atroce de dire “j’abandonne ce mari qui m’a tout donné” (sanglots). »

42Mme A. est dans la souffrance d’une loyauté qu’elle juge toujours insuffisante. Elle se sent coupable de ne pas donner suffisamment à son mari. Il s’agit d’un couple qui s’entendait très bien, où semblait régner une grande justice systémique. Dans cette logique de don, elle a l’impression qu’elle est en dette permanente. Elle voudrait combler toute la souffrance de son mari et n’en a pas les moyens. Le placement est une grande source de culpabilité.

43

« J’attendais un peu d’affection. Ben rien du tout… Toute la vie, ça a été comme ça… Des fois, je m’en vais déçu, des fois, quand elle veut bien ouvrir la bouche un petit peu, malgré qu’on ne comprend pas ce qu’elle dit, ça fait plaisir. »

44La situation paraît inversée pour M. C et c’est également source de souffrance. Il me semble que M. C. vient dans l’espoir de recevoir ce qu’il n’a pas eu, plutôt que de donner en échange de ce qu’il aurait reçu. Il décrit un mariage où sa femme ne lui a jamais donné l’affection qu’il espérait. C’est un peu comme si l’entrée dans la démence de cette dernière lui avait fait espérer qu’il recevrait enfin cette tendresse tant attendue, en retour des soins qu’il lui prodigue. Et cette attente n’est pas comblée car au contraire, sa femme est toujours plus distante, ne lui souriant pas et le regardant peu. Comme pour Mme A., mais dans une logique inversée, la perception d’une dette non acquittée induit de la souffrance.

45

« Je sais qu’elle est contente. Je le vois quand elle me dit bonjour ou au revoir. »

46M. D. se dit heureux de pouvoir s’occuper de sa femme et ressent le lien fort qui les unit. Il se dédie uniquement à elle. Il évoque à plusieurs reprises son enfance malheureuse et sa condition d’orphelin et met en relief le bonheur qu’il a éprouvé à avoir une femme qui l’aimait et qu’il aimait. En continuant ainsi à s’occuper d’elle de façon si exclusive, j’ai l’impression qu’il fait aussi indirectement du bien à cet enfant orphelin qu’il était.

47Mais, bien qu’il n’exprime pas de culpabilité ou de souffrance, ce dévouement total est source d’isolement et d’épuisement pour M. D.

La loyauté qui s’exprime dans le registre du devoir, de la famille et de la foi semble source de plus d’apaisement

48

« … ah non, je ne vais pas le laisser tomber. Il est malade… pour ne pas perdre le contact avec la famille. »

49La loyauté chez Mme B. s’exerce essentiellement sur les dimensions psychologique et familiale décrites par Boszormenyi-Nagy (1973). Elle parle beaucoup de devoir et de famille : on n’abandonne pas un malade, il est important de maintenir un lien familial. Elle n’évoque pas du tout un sentiment de justice dans son couple qui la pousserait à donner à son mari en échange de ce qu’il lui a donné lui-même.

50Chez Mme B., cette forme de loyauté est une composante importante dans le maintien du lien conjugal, et ceci peut-être même avant la démence et le placement de son mari. C’est une loyauté bien vécue, peut-être du fait de sa foi. On ne perçoit pas de sentiment de sacrifice : Mme B. fait ce qu’il est son devoir de faire. Après ma question, elle enchaîne d’ailleurs sur le fait qu’il est important pour elle également de conserver une vie sociale.

51Parmi les quatre personnes interrogées, Mme B. est celle qui rend le moins visite à son mari, espaçant parfois ses venues sur un rythme de deux semaines.

52

« C’est mon devoir de m’en occuper, c’est la mère de mes enfants. »

53M. C. fait preuve d’une loyauté familiale très forte. Il parle beaucoup de ses fils, qui viennent aussi régulièrement. Le système familial est très présent et la loyauté garantit l’homéostasie familiale. Ce sentiment de devoir est un facteur qui lui permet d’accepter la situation de façon relativement apaisée. Il ne se révolte pas mais s’en remet à la fatalité.

54Ainsi une condition d’élaboration de la perte ambiguë serait cette capacité à s’appuyer sur une loyauté portée par les valeurs familiales et le devoir.

55La logique du don et de la réciprocité semble se heurter aux manifestations démentielles, qui sont justement hors de l’échange habituel. Vouloir apporter ou recevoir de l’autre tout ce qui paraît juste dans une logique d’éthique relationnelle peut conduire à l’épuisement avec une personne atteinte de démence.

56Dans une perspective d’accompagnement du conjoint valide, il peut être intéressant d’explorer avec lui ce qui fonde sa loyauté, de l’aider à exprimer et à objectiver ce qu’il croit devoir donner, afin d’alléger le sentiment éventuel de culpabilité.

Valeur attribuée au diagnostic de démence

Quand le diagnostic organique rassure

57

« On a lu dans un livre que l’on a sur la maladie que les gens font souvent des choses vulgaires et agressives… Maintenant, s’il est un peu énervé ou quelque chose comme ça, on sait que c’est la maladie et pas lui. »
« Moi, je pense que c’est fort différent de la sénilité. »

58Les deux femmes rencontrées semblent soulagées par une explication organique des manifestations démentielles. Cela participe à un processus de restauration narcissique.

59À plusieurs reprises, Mme A. distingue cette pathologie de la sénilité. Elle me dit par ailleurs combien ce diagnostic a été une souffrance pour un homme qui avait si bien réussi intellectuellement et je perçois que ce le fut également pour elle car cela remettait totalement en question ce qui fondait son admiration pour lui. Il est donc très important pour elle de pouvoir poser une explication rationnelle, extérieure qui ne remet pas en cause les véritables capacités intellectuelles de son mari.

60Pour ces deux femmes, cela permet également de mettre des mots sur les comportements agressifs ou vulgaires de leurs époux.

Quand le diagnostic est éludé

61

« Elle est toujours un peu dans les nuages. On lui parle, elle ne répond pas. »
« Moi je pense, c’est qu’elle était trop timide. Elle ne s’exprimait pas. Si vous voulez, maintenant, elle s’exprimerait mieux. Parce que, des fois, elle les rembarre… À l’heure qu’il est, à mon avis, elle est plus heureuse que moi (silence)… Ben oui, parce qu’elle est dans sa bulle, elle est tranquille et tant mieux. »

62Les deux hommes interrogés ont une approche beaucoup plus factuelle et descriptive. Ils ne semblent pas s’intéresser à une cause rationnelle et lient plutôt la maladie au caractère de leur femme, comme une continuité à ce qu’elles étaient.

63Il ne s’agit pas réellement de déni mais plutôt d’une manière de considérer la maladie comme un événement, certes malheureux, mais qui doit être accepté tel qu’il est. Dans leurs propos à tous les deux transparaît même l’idée que cette maladie est « voulue » ou « bénéfique » pour leur femme.

64Ces deux attitudes sont opposées mais elles semblent toutes deux générer des effets positifs sur le vécu psychologique des personnes qui l’adoptent. Ceci me laisse penser qu’il est important que le personnel soignant respecte ce besoin du conjoint d’être soit confronté à un diagnostic organique rationnel ou, au contraire, entretenu dans un flou qui laisse la voie libre à d’autres explications moins rationnelles mais plus satisfaisantes pour le conjoint.

Désir de contrôle

65Cette variable est citée comme une variable prédictive de la dépression chez les épouses d’hommes placés en institution, par Boss et Kaplan (1999).

66Elle est également apparue dans l’analyse des entretiens que j’ai menés et les résultats vont dans le même sens que celui donné par Boss, à savoir que les deux personnes qui cherchent et pensent le plus pouvoir maîtriser la situation sont celles qui expriment le plus de détresse.

67

« Ce que je lui donne, ils sont capables de faire mais je le fais, moi, parce que ça lui plaît. »
« Ah bah, c’est sûr. Jusqu’au bout. J’étais son point d’ancrage. »

68Dans ses propos, M. D. donne l’impression que la situation actuelle est contrôlée par lui-même et son épouse. Il souligne d’ailleurs qu’il est très satisfait de sa vie car il en a la maîtrise. Ce sentiment de contrôle lui permet de tenir même si je perçois une grande fragilité dans ce mécanisme de défense, notamment par l’isolement et l’épuisement que cela produit chez lui. Il refuse toute aide et estime qu’il est le seul à pouvoir bien s’occuper de sa femme. Par ailleurs, il projette sur l’extérieur tout sentiment négatif. Ainsi, il incrimine les médecins dans la mauvaise gestion d’un médicament qui aurait précipité la dégradation de l’état de sa femme.

69Mme A. agit de façon un peu similaire poussant ses limites jusqu’au bout pour s’occuper seule de son mari et estimant qu’elle est la seule à le comprendre. Elle aussi relate des relations conflictuelles avec les médecins qui ont posé le diagnostic.

70Mme B., qui exprime un besoin de maîtrise beaucoup moins élevé, semble cheminer plus facilement dans l’acceptation et l’élaboration de la perte ambiguë.

71

« Il est un mélange de petit garçon et de personne un peu plus âgée. Maintenant, s’il est difficile, je ne suis pas là pour le voir. C’est plus facile dans ce sens. »

72Elle semble s’accommoder de la situation, sans faire de conjonctures sur l’avenir et sur l’évolution de l’état de son mari. Elle s’immisce par ailleurs très peu dans le travail du personnel soignant, avec lequel elle garde de la distance tout en les laissant faire. On peut penser qu’elle a déjà réalisé des deuils successifs de son mari et que ceux-ci vont se poursuivre, avec une acceptation de sa part.

73Ces trois exemples semblent confirmer que les conjoints qui cherchent à maîtriser la situation et ne veulent pas lâcher prise, notamment en déléguant certaines tâches et en desserrant quelque peu le lien avec leur partenaire, vivent la perte ambiguë de façon plus douloureuse.

Rôle de l’institution

74Lors d’un placement en institution, la relation binaire époux/épouse devient ternaire, dans un système de triangulation plus riche mais également plus complexe et potentiellement source de conflits. L’institution peut devenir bouc émissaire pour soulager la culpabilité et la souffrance de la séparation. Elle peut être confrontée aussi à des conjoints qui envahissent l’espace soignant ou au contraire le désertent, lui déléguant toute responsabilité.

75Les quatre personnes interrogées ont exprimé, de leur côté, un vécu positif vis-à-vis de l’institution.

Soulagement et reconnaissance du travail des équipes soignantes

76

« En tout cas, je sais qu’il est bien soigné là maintenant et il a tout ce qu’il faut, il obéit, j’allais dire, presque plus aux infirmières qu’à moi. »
« On ne peut pas leur demander l’impossible. Ils font un travail qui est difficile aussi. »

77Elles soulignent toutes le soulagement lié à la prise en charge de leur conjoint qui était devenu ingérable. Aucune animosité ni critique ouverte n’est exprimée envers l’équipe soignante.

Lien social, soutien affectif et valorisation

78

« Alors, l’équipe, ce sont des femmes absolument extraordinaires qui sont respectueuses, polies, compétentes, toujours présentes et qui soutiennent à la fois le malade et les familles… Moi, ce qui m’a émue beaucoup, c’est ce respect qu’ils portaient à des malades déments. Plusieurs fois, je me suis effondrée en pleurant et elles m’ont beaucoup aidée. »

79Mme A. souligne l’importance du soutien reçu par le personnel soignant, soutien affectif qui lui permet de tenir le coup, et participe également à une certaine restauration narcissique, par le respect accordé au malade. Elle décrit aussi des moments partagés avec d’autres épouses, où le rire et l’humour ont pu alléger la souffrance de la situation.

80Pour M. D., les visites à l’EHPAD sont pratiquement son seul lien social avec l’extérieur. Il prend plaisir à discuter avec les lingères et les infirmières, à déambuler dans les couloirs. Il a un statut de mari aimant qui est valorisant.

81Il est intéressant de noter que la place prise par chacun est variable. Ainsi, M. D. et M. C. viennent par exemple tous les jours et s’occupent notamment de nourrir leurs épouses. Alors que Mme A. et Mme B. se consacrent plutôt à une présence affective et morale.

82Il me semble que cette capacité de l’équipe soignante à accepter les besoins de chaque conjoint valide, à accompagner et à soutenir, de façon flexible et personnalisée, est un facteur primordial pour aider dans l’élaboration de la perte ambiguë.

Structure du système familial

83La prise en charge d’un dément dans une famille fait surgir d’anciens conflits, bouleverse les rôles et les places, réactive des loyautés et remet en cause l’homéostasie du système. Le système tend parfois à fixer le couple dans sa forme ancienne alors que la maladie ne permet plus le même fonctionnement.

84Gaucher et Ribes (2007) décrivent des situations d’implosions psychiques où toute la famille se réorganise autour du dément et, au contraire des situations d’explosion familiale où un aidant principal est désigné. La configuration familiale initiale et la souplesse avec laquelle elle peut évoluer tend à prédire un réaménagement des liens plus ou moins satisfaisant.

85Pour Mme A., Mme B. et M. C., la famille reste très présente et unie autour de la maladie. Elle est perçue comme un soutien. Et, elle permet au conjoint de souffler, de reprendre pied dans des dimensions de sa construction identitaire autres que son rôle de conjoint.

86

« C’est très important mes deux fils et ma belle-fille. Elle est un grand rayon de soleil pour moi. »

87Au contraire, M. D. décrit comment, petit à petit, le système familial s’est réduit au couple, qui s’est complètement replié sur lui-même depuis la maladie. Les enfants et petits-enfants semblent complètement désengagés. D’une certaine manière, M. D. peut extérioriser sa colère et son amertume sur le reste de la famille, dans un mécanisme projectif. Il leur reproche leur absence mais il semble leur laisser peu d’ouverture.

88

« Vous voyez, on n’arrive même plus à trinquer. Parce que, en principe, avant, on prenait l’apéritif tous autant qu’on était, un petit gâteau, la vie courante et c’est fini. »

Autres modèles de référence

89Caillé (2004) rappelle qu’un individu est en permanence en relation avec différents modèles cognitifs qui lui permettent d’interpréter le réel. L’absolu du couple est un de ces modèles, au même titre que le modèle de la famille d’origine, le modèle professionnel, le modèle religieux ou culturel.

90Les témoignages recueillis dans cette étude montrent comment la référence à d’autres modèles que le couple permet au conjoint valide de maintenir une vie jugée satisfaisante, malgré la démence et le placement, et de se projeter dans un avenir sans le conjoint.

91Mme A. est restée investie dans des activités culturelles et sociales. De même, Mme B. est très impliquée dans des groupes religieux. Toutes deux expriment de la satisfaction et du bien-être à pouvoir continuer ces activités, même si Mme A. convient que ses soucis vis-à-vis de son conjoint altèrent parfois son humeur et sa capacité à interagir sereinement avec les autres. Elles sont conscientes que cet investissement leur est nécessaire pour poursuivre, notamment après la mort de leur conjoint.

92Au contraire, M. D. et M. C. sont restés bloqués sur une identité construite essentiellement en référence à leur couple. Ils n’ont aucune activité ou lien social en dehors des visites à leur conjointe. Ils abordent très peu l’après, sauf à convenir qu’ils souhaitent que leur épouse meure avant eux, afin d’avoir pu l’accompagner jusqu’au bout. Ils ne sont pas en mesure de se projeter sur un avenir personnel.

93La capacité à se référer à d’autres modèles organisants, hors de son couple, est certainement une ressource importante pour le conjoint valide. D’une part, cela lui permet de vivre la situation actuelle de façon plus équilibrée et, d’autre part, cela lui donne la possibilité de se projeter dans un avenir après le décès de son conjoint malade.

Conclusion

94Dans une société en proie à des mutations importantes, le couple reste une brique majeure dans la construction identitaire d’un individu.

95L’entrée en démence d’un des conjoints, puis son placement en institution, viennent modifier profondément les données de ce système vivant qui, même s’il est appelé à évoluer et à s’adapter à de nouvelles conditions tout au long de son existence, est alors confronté à une situation de perte ambiguë particulièrement difficile à gérer. Avec l’allongement de la durée de vie qui s’accompagne d’une augmentation de la prévalence des cas de démence, cette situation risque de devenir de plus en plus fréquente. La façon dont le conjoint valide se construit dans et par ce « nouveau couple » influe considérablement sur le vécu de la situation.

96Cette étude se proposait d’explorer différentes modalités de réaménagement du lien conjugal chez des couples confrontés à une telle situation. Quatre conjoints valides ont accepté de partager leur expérience quant au fonctionnement de leur couple passé et actuel. Les éléments recueillis ont permis de faire émerger plusieurs variables et les modalités de leur influence sur la manière dont le conjoint valide revisite son absolu du couple, dans un processus d’élaboration de la perte ambiguë : le contenu des niveaux mythique et rituel de l’absolu du couple, le type de loyauté, la valeur donnée au diagnostic, le rôle de l’institution, le désir de contrôle, la structure du système familial et les autres modèles sociaux de référence. Chacun de ces sujets mériterait d’être approfondi et il s’agit véritablement de premières pistes de réflexion. Cette étude conduite dans une approche exploratoire très large gagnerait maintenant à être beaucoup plus ciblée sur des thèmes précis mais également à être étendue à d’autres types de couples, notamment des couples plus « jeunes », modelés sur des attentes sociales et culturelles très différentes de celles des couples des « anciennes générations ».

97Les résultats obtenus, très spécifiques pour chacun des couples interrogés, vont dans le sens de l’intérêt d’accompagner le conjoint valide dans le processus de reconstruction de son modèle de couple. Il faut d’ailleurs noter qu’au cours des entretiens, j’ai parfois eu du mal à tenir la position de chercheur, tendant parfois vers la position de clinicienne en réponse à une demande implicite émise par la personne interrogée. S’agissant du rôle d’un psychologue, le processus thérapeutique pourrait s’apparenter à une thérapie de couple, même si le conjoint dément n’est pas en mesure d’y participer physiquement. Mais, je crois aussi que chaque intervenant dans l’institution, médecin, infirmière, aide-soignant, a un rôle à jouer dans ce soutien et cet accompagnement individualisé de chaque conjoint.

Bibliographie

Bibliographie

  • Boss P., Kaplan L., 1999. Depressive Symptoms among Spousal Caregivers of Institutionalized Mates with Alzheimer’s : Boundary Ambiguity and Mastery as Predictors. Family Process, Spring, 38, 1, 85-103.
  • Boss P., 2011. Loving Someone Who Has Dementia. Jossey-Bass.
  • Boszormenyi-Nagy I., 1973. Invisible Loyalties : Reciprocity in Intergenerational Family Therapy. Brunner, Mazel.
  • Caillé P., 2004. Un et un font trois. Éditions Fabert, Paris.
  • Caillé P., 2009. Comptes et contes dans la relation de couple. Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, 1, 42, 27-42.
  • Ducommun-Nagy C., 2006. Ces loyautés qui nous libèrent. Éditions JC Lattès, Paris.
  • Gaucher J., Ribes G., 2007. Les modes de réponse de la famille à la dépendance d’un âgé », in Philippe P., 2007, Exclusion, maladie d’Alzheimer et troubles apparentés : le vécu des aidants. Érès, coll. « Pratiques du champ social », Toulouse, p. 65-86.
  • Hefez S., 2012. La Danse du couple. Fayard, paris.
  • Rezvani, 2003. L’Éclipse. Actes Sud, Paris.

Mise en ligne 22/03/2017

https://doi.org/10.3917/tf.171.0071

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.9.171

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions