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Article de revue

Repères méthodologiques pour thérapeutes de couple débutants

Pages 27 à 50

Notes

  • [1]
    Il s’agit d’un baccalauréat (études supérieures non universitaires). Le conseiller conjugal et familial (CCF) est compétent pour toutes les problématiques touchant à la vie affective et sexuelle. Le CCF est formé à différents types d’intervention : accueil, accompagnement, prévention, animations, entretiens individuels, conjugaux et familiaux.
  • [2]
    Pour la suite de l’article, on emploiera le terme « étudiant » pour désigner les personnes qui se forment à la thérapie conjugale ou qui débutent dans le métier.

Introduction

1Ce texte s’adresse à de jeunes thérapeutes de couple qui débutent dans ce métier. L’auteur dispense depuis dix ans un cours de « méthodologie de l’entretien de couple » à de futurs conseillers conjugaux et familiaux. [1] Cet article leur est destiné. Mais il peut également servir à tout étudiant[2] qui se forme à la clinique bien particulière de la thérapie conjugale.

2On constate que les étudiants sont en général bien équipés théoriquement lorsqu’il s’agit d’analyser une situation conjugale. Ils ne manquent pas de concepts en effet. Ils savent repérer les collusions à l’œuvre dans le couple, dégager les cartes du monde et les programmes officiels des partenaires, identifier les types d’attachement insécure à l’œuvre dans le couple, repérer les mythes fondateurs, etc.

3En revanche, lorsqu’il s’agit de pratiquer la relation thérapeutique avec des couples (dans le cadre de jeux de rôle par exemple), l’étudiant se retrouve souvent démuni, impressionné par le conflit, débordé par la quantité d’informations, ne sachant plus quelle direction donner à l’entretien, etc. Il est bien normal de se sentir perdu dans ces jeux de rôle ainsi que dans les premiers entretiens conjugaux en stage. Ces difficultés sont très formatrices pour l’étudiant qui ne manque pas d’en tirer profit lors du débriefing.

4Ce contraste entre une certaine maîtrise intellectuelle et la difficulté de manier la relation thérapeutique montre bien qu’il s’agit là de compétences distinctes. L’une n’entraîne pas automatiquement l’autre. On peut être un excellent théoricien du couple et un piètre thérapeute. L’inverse est possible également.

5En tant qu’enseignant/formateur, j’ai pu observer la récurrence des pièges dans lesquels tombent les étudiants lors de leurs premiers entretiens conjugaux. Par exemple : se centrer sur l’individu et oublier la relation, se précipiter dans la première énonciation du problème, négliger l’analyse de la demande, tenir le cadre sans discernement, etc. Je vais passer en revue ces différents pièges et je vais tenter de proposer des repères. Ces repères, je les considère non pas comme des réponses mais comme des questions. Ceci peut paraître étonnant. Les étudiants croient à tort qu’un bon thérapeute, c’est quelqu’un qui sait. Or, je pense au contraire que les thérapeutes qui ont de la bouteille, sont justement ceux qui ne savent pas toujours mais qui se posent de bonnes questions. Ce sont donc des questions qui serviront de repères.

6Mais avant de construire ces quelques repères méthodologiques, je propose de déconstruire quelques croyances à propos du métier de thérapeute conjugal et de son apprentissage. J’ai repéré trois a priori avec lesquels les étudiants débutent leur formation : la croyance que le métier s’apprend avec l’accumulation de techniques et d’outils, celle qu’un bon thérapeute est quelqu’un qui sait et celle que l’agressivité est nécessairement négative.

Des croyances à déconstruire

Croire que le métier de thérapeute s’apprend par une accumulation de techniques et d’outils

7Les étudiants sont souvent demandeurs et friands de techniques et d’outils concrets : blason, sculpting, jeu de l’oie, génogramme, etc. Tous ces outils existent. Ils sont même très faciles à apprendre. Mais leur application suffit-elle à faire un travail thérapeutique ? La thérapie de couple peut-elle se réduire à une succession d’exercices concrets à proposer au couple ? Peut-on considérer le thérapeute comme un technicien qui débarque avec sa boîte à outils ? Non évidemment. L’intérêt excessif que portent les étudiants à ces techniques se comprend peut-être à la lumière de leurs angoisses à l’idée de rencontrer un couple et de cheminer avec lui.

8Bref, le métier de thérapeute (de couple) ne s’apprend pas. On s’y forme. Il nous faut nettement distinguer ici l’apprentissage de la formation.

L’apprentissage

9L’apprentissage consiste à retenir par cœur des séquences de mots, de gestes, de règles, etc. que l’on emmagasine et que l’on restitue le plus fidèlement possible. C’est ainsi que nous avons appris les tables de multiplication, la recette de la sauce béchamel, les sept couleurs de l’arc-en-ciel ou le code de la route. Dans l’apprentissage, pas besoin de comprendre. La reproduction fidèle suffit. Nous pouvons apprendre (retenir par cœur) une foule de choses très pratiques qui nous font gagner du temps dans notre vie quotidienne.

10Les procédures pour réaliser un blason, pour diriger un jeu de l’oie, les consignes d’un sculpting sont de l’ordre de l’apprentissage. Et on sait bien que cette connaissance élémentaire ne suffit pas pour faire un travail thérapeutique de qualité. Il faut quelque chose en plus. Une compétence qui ne s’acquiert que par la formation.

La formation

11La formation suppose une transformation intérieure. Il s’agit de comprendre le monde sous un nouveau jour. Pensons à toutes ces choses que nous avons un jour lues, entendues, dites pour la première fois, comprises intimement et qui nous ont marqués pour la vie. Cette fois, pas besoin d’un long labeur pour les retenir par cœur. Ce que nous avons découvert nous a transformés. Nous ne sommes plus tout à fait les mêmes. La formation passe donc par un moment d’étonnement, de bouleversement. Elle s’accompagne très souvent d’une charge affective. En se formant, on passe nécessairement par un moment de trouble, puisqu’il s’agit d’abandonner, de déconstruire une idée bien ancrée pour se laisser séduire par une autre construction du monde, plus complète, plus nuancée, même si elle n’est pas encore très claire. La formation suppose donc une certaine force pour accepter cette perturbation. Force qui manque aux personnes particulièrement rigides.

12Prenons l’exemple de la musique. On peut prendre connaissance des structures musicales des styles baroque, classique ou romantique, on peut apprendre qu’en ré majeur il y a deux dièses à la clé, qu’une syncope est une note à cheval sur deux temps. Mais cela ne fait pas comprendre la musique. Alors un jour, nous écoutons une musique (ou mieux, nous en jouons) et cette fois-là, cela nous émeut, nous bouleverse, nous transforme. Sans que l’on sache encore trop bien ce qui se passe, quelque chose vient d’être saisi. C’est ça la formation. Il en est de même pour l’éducation, l’art, la santé mentale, la philosophie, etc.

13En systémique, on peut apprendre des concepts comme la fonction, la loyauté, les transactions souples et rigides, la ponctuation des séquences de faits, etc. Mais cette connaissance ne nous fait pas comprendre le paradigme systémique. Pour se former à la systémique, il s’agirait plutôt de voir combien nous sommes reliés les uns aux autres, de sentir à l’intérieur de nous l’influence du contexte relationnel dans lequel nous nous trouvons, de vivre l’expérience de la transmission générationnelle, etc.

14En résumé, il nous faut abandonner l’idée qu’un simple apprentissage de techniques, d’outils, de procédures suffit à faire de nous des thérapeutes sensibles, créatifs et intelligents. Par contre, pour devenir thérapeute (de couple), il nous faut accepter l’idée qu’il faille passer par des découvertes qui nous bousculent, des prises de conscience qui nous émeuvent, des principes qui s’effritent, des horizons qui s’élargissent. En d’autres termes, lorsqu’on a comme projet de devenir thérapeute, il faut accepter l’idée que nous allons devoir nous transformer. Avec toute la charge affective liée à ces recatégorisations. Malheureusement (ou plutôt heureusement), il n’y a pas de modèles à copier, de recettes à appliquer ou de procédures à suivre, mais bien une créativité, une sensibilité, une souplesse d’esprit, une adaptabilité à développer.

Croire qu’un bon thérapeute sait

15La deuxième illusion à déconstruire concerne le statut du savoir.

16Dans l’imaginaire des gens, les psys ont réponse à tout. Ils savent ce qui se passe dans la tête du client, ils savent où est le vrai problème, quelle est l’explication, d’où ça vient. Ils savent si c’est normal ou non, ils ont des théories qui expliquent très bien le comportement du client. Il n’en est évidemment rien. Ce supposé savoir du psy relève de l’imaginaire ou du fantasme.

17En fait, les psys ne sont pas tant des professionnels de la réponse mais des professionnels de la question. Un bon psy est quelqu’un qui sait qu’il ne sait pas tout et qui supporte sereinement cette ignorance.

18Ceci doit sans doute surprendre ou soulager l’étudiant d’une pression inutile. En effet, je vois beaucoup d’étudiants tenter de maîtriser intellectuellement la problématique du couple et la marche à suivre pour l’en sortir. Ils pensent sans doute qu’ils doivent savoir et que c’est de cette maîtrise intellectuelle que dépend la qualité de leur travail.

19Cette croyance est sans doute alimentée par la plupart des livres psy dans lesquels les auteurs racontent leurs réussites thérapeutiques, font état de leurs interprétations judicieuses et de leur maîtrise du processus thérapeutique. La clarté de leur propos laisse entendre combien les choses sont évidentes dans leur tête. Quelques rares auteurs cependant (par exemple Irvin Yalom (2005), Guy Ausloos (1985) Carl Rogers (1968)) font preuve de plus d’honnêteté et de modestie dans leurs ouvrages. Leurs livres sont passionnants parce que ces auteurs témoignent en toute simplicité de leurs égarements, de leurs questionnements, de leurs difficultés. Personnellement, je me retrouve dans cette lecture. Et beaucoup d’étudiants m’ont confié que ces livres les avaient transformés.

20« La réponse est le malheur de la question » avait l’habitude de dire le célèbre pédagogue Jean Piaget. En (se) donnant une réponse, on (se) ferme la porte à la réflexion et au questionnement. Je pense que la qualité d’un aidant tient à sa capacité de se poser des questions, de ne pas s’enfermer dans une réponse, de garder son esprit ouvert et de cultiver une certaine modestie face à la complexité du psychisme humain et des relations humaines. Paradoxalement, c’est de notre ignorance que nous tirons notre principale compétence (Tournebise, 2001).

Croire que l’agressivité, c’est l’ennemi à combattre

21Enfin, la troisième illusion concerne la vision négative de l’agressivité.

22Les étudiants me demandent souvent comment réagir face à l’agressivité entre les partenaires du couple. Il me semble qu’il y a plusieurs choses à dire à ce sujet. Notamment sur les aspects positifs de l’agressivité. Car l’effroi des futurs thérapeutes conjugaux face à l’agressivité tient, je pense, au fait que celle-ci est vue sous un angle négatif, comme quelque chose à combattre.

23Je vois pourtant dans l’agressivité des aspects positifs. Pour l’individu d’abord. Pour la relation ensuite.

24Je pense qu’il faut un minimum d’agressivité dans la vie. Pour laver une vaisselle qui traîne, pour étudier un cours, pour pratiquer un sport, etc. Bref, pour effectuer n’importe quelle tâche qui a du sens pour nous et qui nécessite un certain effort. Cette agressivité nous permet de persévérer, de passer au-dessus de la paresse qui peut parfois nous envahir. Il ne s’agit pas de se donner des coups de fouet, de se maltraiter ou se faire violence ! Mais de s’encourager, de ramasser notre énergie. De mieux l’orienter. L’absence d’agressivité dans la vie peut conduire à un vécu dépressif, à un sentiment de lourdeur, de lassitude.

25Dans la relation, je pense aussi que l’agressivité est parfois utile. Une amitié, une relation de couple ou une relation parent-enfant, amène parfois les protagonistes à se dire des choses de manière agressive. Des reproches, des paroles confrontantes seront dits pour l’authenticité de la relation. Je ne veux pas garder pour moi des reproches que j’ai à te faire. Et je te les dis. Non pas pour me soulager, ni pour te démolir. Ni pour te faire ton éducation. Non. Mais parce que je tiens à notre relation. Et que ne pas te les dire, ça me met à distance de toi. Ravaler mon reproche, c’est courir le risque que notre relation reste entachée. Il me faut même beaucoup de courage pour te dire ce reproche. Beaucoup d’amitié. Car je prends le risque de te faire mal. De passer pour quelqu’un de méchant.

26Je crois que ce qui fait frontière entre l’agressivité et la violence, c’est justement l’intention, la visée. Dans l’agressivité, on vise l’authenticité et la vitalité de la relation. Dans la violence, sa destruction. L’agressivité est animée d’un projet constructif. La violence est plutôt le signe d’un échec, d’un aveu d’impuissance.

27Avec certains couples, plutôt réservés, le rôle du thérapeute consistera paradoxalement à libérer cette agressivité qui n’ose s’exprimer mais qui ronge la relation. Certains couples finissent par mourir pour n’avoir pas vu la nécessité de se confronter, de se disputer, de connaître des moments de crise.

28Bref, ne mettons pas toutes les manifestations agressives dans le même sac. N’y voyons pas toujours un mal à corriger. Je connais des couples très polis, très calmes dans lesquels il y a beaucoup de violence. Je connais aussi des couples plus explosifs, maladroits dans leurs paroles mais dans lesquels j’ai pu voir, dans le fond, beaucoup d’honnêteté et de solidarité.

Des repères à construire

29Lors des jeux de rôle ou en supervision, les étudiants font des erreurs. Je pense que ces erreurs sont très utiles dans leur formation. Je pense très sincèrement qu’il vaut mieux expérimenter le plus d’erreurs possibles en cours de formation. Je les vois comme des opportunités de progrès, d’évolution, de découvertes, de recatégorisations. Bref, de (trans)formation. Comme me l’a dit un jour un pédagogue : « c’est en se plantant qu’on forme ses racines ! »

30Je vais partir des principaux pièges dans lesquels tombent les étudiants qui se forment à la thérapie de couple. A ces pièges, je vais proposer quelques repères qui seront autant de questions à se poser.

L’objet de la consultation : la relation

31Le premier piège consiste à se focaliser sur les positions respectives des membres du couple et d’oublier le principal objet de la consultation : la relation.

32Recevoir un couple en consultation, ce n’est pas seulement rencontrer deux individus. C’est faire la connaissance d’une relation. Comme l’écrit Philippe Caillé (2004), un et un font trois. Un couple, ce n’est pas la somme de deux individus. Un couple fait émerger des caractéristiques que ne possèdent pas les partenaires pris isolément.

33Depuis Von Bertalanffy (1968), on sait que le tout est plus que la somme des parties. Lorsque des éléments sont organisés en un système, les interactions entre les éléments donnent à l’ensemble des propriétés que ne possèdent pas les éléments pris séparément. Une « simple somme » négligerait la totalité nouvelle qui naît du fait que les éléments ne sont pas simplement juxtaposés « dans » le système, mais entretiennent des relations organisées et structurées. Bref, nous ne sommes pas tout à fait le même individu une fois placé dans tel ou tel contexte (couple, famille, travail, amis, club de sport, etc.).

34L’étudiant a trop souvent tendance, dans les consultations conjugales, à s’intéresser à l’un, puis à l’autre, en négligeant ce troisième terme : la relation. Or l’objet de la consultation conjugale, c’est de prendre en considération l’alchimie relationnelle qui s’opère entre les partenaires du couple. Bien sûr, on peut s’intéresser aux vécus individuels des membres du couple. Mais les étudiants ont tendance à se focaliser sur les vécus respectifs de chacun, un peu comme une balle de ping-pong. Et en arrivent très vite à une impasse. Chacun dit ce qu’il vit. Et alors ? La séance de couple ressemble à une sorte de double thérapie individuelle sans que la relation ne soit réellement investiguée.

35Il convient, tôt ou tard, d’interroger la relation. Questionner la relation, c’est voir par exemple que tel couple a bâti la relation sur un mode parent – enfant ou infirmier – patient, que tel autre évite tous sentiments agressifs, que tel couple se retrouve essentiellement dans la jalousie et la séduction, que dans cette relation-ci la question de l’engagement se pose, etc.

36La consultation conjugale est donc le lieu d’un soin à une relation. Moins d’un soin individuel. Ce soin donné à la relation peut même parfois conduire à une fragilisation de l’individu. Ce qui montre bien qu’une consultation conjugale ne conduit pas nécessairement à un mieux-être individuel. Dans certains (rares) cas, la consultation conjugale sera même contre-indiquée compte tenu de la fragilité d’un individu.

37En résumé, le but d’une consultation conjugale est de questionner le fonctionnement relationnel, de mettre en lumière les jeux interactifs entre les partenaires, les mouvements affectifs, les mythes et les rites, l’imbrication des rôles, etc. Ce faisant, le thérapeute invite les partenaires à envisager leur problème sous l’angle de la coconstruction. On est loin d’une discussion de salon où chacun se contente d’exprimer passivement ses doléances.

L’analyse de la demande

38Le deuxième piège consiste à s’engouffrer sans discernement, dès la première séance, dans l’exploration de la première plainte énoncée. La plupart des étudiants, tout contents de recevoir leurs premiers couples, sont souvent impatients de traiter des problèmes conjugaux. Ils oublient trois choses importantes :

  1. La démarche des consultants est parfois motivée par des raisons très différentes : M. vient en thérapie pour faire plaisir à sa femme, Mme vient en thérapie pour qu’un psy s’occupe de son mari, M. vient en thérapie pour faire comprendre à sa femme qu’en fait c’est elle qui a un problème, etc. Il y a donc lieu de bien analyser les enjeux de la démarche avant de s’occuper de la plainte (Tilmans-Ostyn, 2007).
  2. Le problème (ou la plainte) énoncé n’est peut-être pas le problème à traiter. Il n’est peut-être même pas un problème mais une solution à un autre impératif.
  3. Ce n’est pas parce qu’un couple consulte qu’ils sont tous les deux également motivés à faire une thérapie. Il convient d’avoir en tête ce qu’on appelle l’analyse de la demande.

Prendre le temps d’analyser la demande avant de s’occuper de la plainte

39Il y aurait beaucoup à écrire sur cette « analyse de la demande » et la nécessité de prendre le temps, dans le cadre d’entretiens préliminaires, de comprendre les enjeux d’une éventuelle thérapie, d’identifier le sens qui lui est conféré par les partenaires. Je me limiterai ici à quelques points essentiels. Mais je renvoie le lecteur à l’intéressant article d’Edith Tilmans-Ostyn (2007), pour qui l’exploration de la demande doit précéder l’exploration de la plainte, du problème à traiter. Le terme « analyse de la demande » est mal choisi. Ce vocable présuppose que les partenaires conjugaux sont en demande et qu’en plus il n’y en a qu’une. C’est loin d’être toujours le cas.

40Face à la thérapie, les partenaires ne sont pas toujours sur la même longueur d’onde. En reprenant les trois aspects de l’analyse de la demande, décrits par R. Neuburger (1984) – symptôme / demande / souffrance – on constate que plusieurs scénarios sont possibles :

  • Concernant le symptôme (le problème à traiter) : les consultants n’ont pas nécessairement la même plainte ni la même lecture du problème. Parfois, l’un des deux trouve qu’il n’y a pas de problème du tout et qu’il n’y a pas lieu de se plaindre !
  • Concernant la demande d’aide : celle-ci n’est pas nécessairement portée par les deux partenaires. L’un vient en croyant à cette démarche, l’autre ne croit pas qu’un psy pourrait les aider. Parfois ce n’est ni l’un ni l’autre qui a sollicité notre service, mais un tiers.
  • Enfin, concernant la souffrance, autre source de motivation : ici aussi, on constate qu’elle n’est pas présente également parmi les partenaires.

41Bref, ce n’est pas parce que deux personnes sont présentes à la première consultation (1) qu’ils considèrent tous les deux qu’il y a un problème de couple, (2) qu’ils s’entendent sur sa définition et (3) qu’ils adhèrent à l’idée qu’une thérapie conjugale puisse constituer un début de solution.

42Analyser la demande consiste à s’intéresser d’une part à l’énoncé du problème (sans encore s’en occuper !) et d’autre part à la motivation des partenaires pour faire une thérapie de couple. Il y a donc trois questions à (se) poser. Ce préambule peut prendre quelques minutes ou être l’objet de trois séances !

A propos du problème

Sont-ils d’accord sur l’existence même d’un problème entre eux ?

43Pour démarrer un travail avec le couple, il semble important que chacun des partenaires soit d’accord sur le fait qu’il existe un problème conjugal. On peut comprendre qu’un membre du couple, qui considère que tout va bien ou que le problème est chez l’autre, vienne en traînant les pieds. Pourquoi faire une thérapie s’il n’y a pas de problème ? Mais l’autre membre ne l’entend pas de cette oreille. Pour lui, il y a un problème de couple. Et on peut comprendre qu’il soit, lui, motivé. Que faire en cas de désaccord sur cette première question ? En parler, tout simplement, dans le cadre d’un entretien préliminaire. Sans encore s’engager dans une thérapie proprement dite (bien que cette discussion puisse déjà être très significative sur le plan thérapeutique).

Si oui, comment définissent-ils le problème ?

44Ici, on entendra des définitions très générales et consensuelles comme : nous avons des problèmes de communication. Ou des définitions contradictoires : le problème c’est l’autre. Ou encore autre chose. Peu importe. Chacun a sa vision du problème et il n’est pas nécessaire ni très utile de se mettre d’accord sur la question. On sait, en systémique, que ce qu’on appelle problème ou solution change selon la délimitation du contexte dans lequel on situe le phénomène. Le problème local peut s’avérer être une solution originale dans un contexte plus large. Bref, il s’agit de prendre les énonciations respectives comme autant de sources d’informations sur le système.

A propos de la solution

Sont-ils d’accord sur l’idée que consulter un thérapeute puisse constituer un début de solution à leur problème ?

45Enfin, pour démarrer un travail avec un couple, il semble important que les partenaires adhèrent à l’idée que la consultation conjugale puisse constituer un début de solution à leur problème. Ils sont d’accord pour dire qu’il y a un problème dans le couple (même s’ils le définissent différemment), mais ils ne sont pas d’accord sur le fait qu’une démarche psy puisse les aider. A nouveau, en cas de désaccord sur cette troisième question, on ne va pas plus loin et on en discute. Il est bien normal, compte tenu du caractère anxiogène de la consultation conjugale, que nous rencontrions une certaine méfiance, parfois bien légitime, chez certains consultants.

46On le voit, l’analyse de la demande consiste aussi à analyser l’éventuelle non-demande d’un des partenaires. À l’autoriser à s’exprimer. À en comprendre le sens. À accueillir cette non-envie de faire une démarche conjugale. À ce stade, le thérapeute n’a pas à convaincre la personne porteuse d’une non-demande de changer d’avis, d’avoir envie de consulter. Son rôle consiste à accueillir les positions de chacun (demande et non-demande) à les rendre explicites, sans privilégier l’un ou l’autre.

47La neutralité du thérapeute se teste dès les premiers instants. En accueillant le couple, le thérapeute, sans le savoir, fait le jeu de « celui-qui-a-envie-d’être-là » aux dépens de « celui-qui-n’a-pas-envie-d’être-là ». L’analyse de la demande et de la non-demande permettra de rééquilibrer la position du thérapeute.

48Le thérapeute doit bien garder à l’esprit que la consultation conjugale n’est pas la panacée. La thérapie conjugale n’est qu’une solution parmi d’autres pour résoudre des problèmes de couple. D’autres voies sont possibles : le sport, un voyage, la méditation, la religion, la lecture, la philosophie, le yoga, les amis, etc. Que sais-je ! Parfois même, cette consultation peut ne pas être une bonne idée. Par exemple, un couple qui se connaît depuis quelques mois et qui a déjà consulté trois psys, n’aurait-il pas intérêt à construire sa relation sans qu’un psy fasse partie des fondations ? Il faut donc bien mesurer l’impact d’une consultation conjugale sur le couple, sur la santé des partenaires, de l’entourage, etc. Ce n’est pas parce qu’un couple consulte qu’il doit consulter.

Les quatre profils de demande

49Troisième piège fréquent : les étudiants considèrent trop rapidement que la consultation conjugale s’assimile nécessairement à une thérapie conjugale. Que l’aide à apporter est nécessairement d’ordre thérapeutique. Aussi s’attellent-ils (avec beaucoup de zèle d’ailleurs) à étudier, analyser, autopsier, disséquer le problème conjugal. C’est à nouveau faire preuve de précipitation. L’aide que le thérapeute va apporter au couple peut être de nature très différente selon les situations.

50Dans un article très vivant et concret, Florence Calicis (2009) reprend les quatre profils de demande décrits par Philippe Callié (2004). Pour chacun de ces profils, le rôle du thérapeute sera très différent.

Désengagement d’un membre du couple

51Certains couples viennent consulter et on perçoit assez rapidement qu’un des membres du couple (voire les deux) ne tient plus à la relation. Classiquement, celui qui tient encore au couple a pris un rendez-vous. Celui qui semble se désengager du couple arrive avec un faible degré de motivation. Très souvent également, le plus motivé des deux (pour la consultation et pour le sauvetage du couple) n’est pas conscient du désengagement de son partenaire.

52Lorsqu’on interroge le couple sur le début de leur relation, on remarque chez « celui-qui-y-croit-encore » une certaine émotion, une certaine animation affective. L’attachement est encore perceptible. Par contre, on observe une certaine froideur, une indifférence, un certain détachement chez celui qui a visiblement décidé de rompre.

53De même, le partenaire qui est encore attaché au couple montre qu’il a envie de se battre pour améliorer les choses. Maladroitement certes, mais sincèrement. Le membre du couple pour qui les jeux sont faits n’a visiblement plus de motivation. Il n’est même pas au stade du découragement. Il est plus loin que ça. Il n’y croit plus.

54Le thérapeute n’a bien sûr pas à critiquer ces différentes positions. Il n’a pas à motiver ou démotiver l’un et l’autre. Nous ne sommes qu’au début (et peut-être déjà à la fin) de la consultation. Le thérapeute ne connaît pas toute l’histoire. Ce qui semble clair ici, c’est qu’il soit déconseillé de faire comme si tout le monde voulait améliorer le couple. Ce n’est apparemment pas le cas. Il est question de la subsistance même de ce couple. Pas de son amélioration.

55Le rôle du thérapeute consistera à faire dire, par chacun, dans quelle mesure il croit encore au couple. Et si la capitulation de l’un se confirme, il s’agira, doucement, prudemment, de s’enquérir de la manière dont l’autre reçoit cette nouvelle. Tout cela peut prendre quelques séances, qui resteront des séances préliminaires à une thérapie qui n’aura pas lieu. Aider l’un à nommer sa décision, aider l’autre à sortir d’une illusion. Et essayer de donner du sens à cette situation. Éventuellement accompagner la séparation (ce qui est rarement demandé). C’est un travail très délicat eu égard aux vives émotions qu’il suscite.

Obstacles extérieurs

56Ici les deux membres du couple tiennent encore au couple. Aucun ne veut se séparer (même si la perspective d’une rupture est présente à l’esprit). Le problème qui affecte le couple n’est pas exclusivement lié au couple lui-même, mais aussi à des événements extérieurs : M. vient de perdre son emploi et déprime à la maison, Mme vient de perdre sa sœur, un enfant a des problèmes d’assuétudes, Mme est toujours en procédure judiciaire avec son ex, M. se fait harceler au boulot, etc.

57Bref, des événements extérieurs au couple, pénibles à vivre, finissent par altérer l’ambiance du couple. Chacun est tendu, fatigué, tracassé. Tout cela concourt à des crispations.

58Ici, le travail sera davantage centré sur la manière dont chacun vit les événements extérieurs. Les séances n’auront pas de vocation thérapeutique proprement dite, elles seront plutôt des lieux de débriefing, des aires de repos et de recul. La tension conjugale sera considérée plus comme une conséquence bien compréhensible, moins comme un sujet à traiter.

59Je voudrais insister sur ce profil de plus en plus fréquent. Je constate que beaucoup de couples et de familles sont, dans notre société actuelle, matérialiste et individualiste, fortement mis sous pression par des contraintes extérieures : problèmes financiers, pressions professionnelles (harcèlements en tout genre), contraintes horaires, maison à rénover, enfants en bas âge, faible réseau social, famille disloquée, etc. Un contexte générateur d’angoisses, de tensions, de sur-occupation, d’épuisement, de perte de plaisir, de perte des priorités, de perte de sens. Et je pense que dans ce genre de profil, la plus précieuse aide à apporter au couple, c’est de leur offrir un temps d’arrêt. Non pas pour chercher des problèmes psychologiques supplémentaires – on en trouve toujours ! – mais pour mettre à jour ce contexte oppressif. Pour le conscientiser. J’irais même plus loin : je crois qu’un travail d’ordre thérapeutique reviendrait parfois rajouter de l’angoisse à l’angoisse. Inutilement.

60Dans la mesure où nous percevons un couple solide et engagé, notre rôle peut consister à dédramatiser le problème conjugal. Et à mettre à jour les motifs non pas internes mais externes à leur tension. Il m’arrive parfois de dire à ces couples : Vous savez, je ne sais pas quel couple pourrait tenir le coup dans un contexte (externe) semblable. Je trouve votre couple bien solide pour réussir à faire face à toutes les contraintes qui vous assaillent. J’ai pu voir des couples fortement soulagés de m’entendre leur tenir ces propos. Les séances, finalement, n’avaient d’autres vertus que de leur permettre de décoller leur nez du guidon. Et de redéfinir leurs priorités. Rien de bien thérapeutique en somme. Bref, évitons de psychologiser sans discernement.

Étape de vie

61Proche du profil n° 2, il s’agit ici de couples, encore bien engagés, qui connaissent une étape dans le cycle de la vie du couple et qu’ils peinent à franchir : arrivée d’un enfant, déménagement, engagement professionnel, adolescence des enfants, syndrome du nid vide, passage à la retraite, etc. Étapes qui suscitent en général une réorganisation du système conjugal, une nouvelle organisation des rôles. Mais dans ce cas-ci, la crise perdure, les négociations piétinent et se crispent.

62Le rôle du thérapeute s’assimile ici à celui d’un accompagnateur. Les séances serviront de contenant à une discussion autour de ce sujet. Le contexte sécurisant que proposera le thérapeute sera généralement suffisant pour accompagner ces réaménagements. Il ne sera pas nécessaire, ici encore, de travailler en profondeur les fondements du couple. Je renvoie ici le lecteur aux textes d’Étienne Dessoy (1996, 1997) sur le rite de passage.

Problématique de couple

63Cette fois, il s’agit d’une réelle problématique de couple. Chacun des partenaires tient encore au couple, veut se battre pour sa survie (≠ profil 1). Certes, il y a peut-être des difficultés extérieures (profil 2), le couple traverse peut-être une étape du cycle de vie (profil 3), mais il y a, plus profondément, un problème de couple qui refait surface périodiquement et rend la vie de couple douloureuse pour chacun des membres.

64C’est un travail plus en profondeur que le thérapeute va proposer ici. Il s’agira de revisiter les fondements du couple, les jeux interactifs inconscients, les éventuels secrets ou malentendus, les collusions, etc. Bref, tout le travail qui s’apparente à une thérapie conjugale.

Conclusion

65Comme on le voit, le thérapeute devra être très attentif au profil du couple et de la problématique sous-jacente. Le thème à aborder (1. engagement, 2. problèmes extérieurs, 3. étape de vie, 4. problème de couple en tant que tel) sera très différent selon le profil identifié. L’erreur serait de se précipiter dans un travail de type thérapie alors qu’il n’est pas requis. Précisons enfin que le profil (et le type d’aide proposé) peut évoluer au cours de la même prise en charge.

La neutralité

66Le quatrième piège renvoie évidemment à la question de la neutralité. L’erreur que l’on observe fréquemment chez les étudiants (lors de jeux de rôle par exemple) est le fait de prendre parti pour l’un au détriment de l’autre. Ce parti pris du thérapeute est souvent discret mais il transpire néanmoins dans le non-verbal (regard, attitude corporelle, silence, etc.). Les thérapeutes conjugaux expérimentés le diront : lorsqu’on est devant un couple, nous nous sentons rapidement plus en phase avec l’un plutôt que l’autre. Dès lors, nous sommes tentés de regarder et de nous adresser au partenaire du couple qui nous semble le plus sympathique, le plus proche de nos valeurs, délaissant le partenaire qui nous paraît le plus hostile ou le plus distant.

67Pour ne pas manquer à sa neutralité, l’étudiant adopte parfois une autre stratégie : rester en dehors, se montrer impartial en se retranchant dans une attitude la plus distante possible, pour ne rien montrer de son vécu. Et surtout taire et cacher vaille que vaille l’hostilité ou la peur que lui inspire l’un des membres du couple. Là aussi, cette attitude n’est pas très praticable. Ce contrôle de soi du thérapeute finit par le bloquer mentalement. En cachant son aversion envers un membre du couple, ce sentiment finit par prendre toute la place dans l’esprit de l’étudiant.

68Face à la difficulté de ne pas prendre parti et à la difficulté de rester en dehors, que reste-t-il comme issue ? Boszormenyi propose de prendre parti… mais pour les deux ! La neutralité du thérapeute est obtenue par une attitude de partialité multidirectionnelle. Puisqu’il est difficile de se montrer impartial devant un couple ou un système (chacun cherchant à tirer la couverture du thérapeute vers lui, le renvoyant ainsi dans un rôle d’arbitre), Bozsormenyi propose que l’écoutant se montre partial… mais pour chacun des membres du système. En d’autres termes, le thérapeute cherchera à se montrer aussi proche de l’un que de l’autre. Il témoignera de sa compréhension empathique à chacun des membres du système. Il s’agira de témoigner à chacun qu’on le comprend. Vraiment. Profondément. Laisser tomber le poker face qui n’a de neutre que l’apparence et s’impliquer vis-à-vis de chacun. La neutralité, ce n’est pas montrer le moins possible, c’est montrer plus. Surtout vis-à-vis de la personne la plus éloignée de nous. Cela exige du thérapeute qu’il soit capable de beaucoup de souplesse mentale pour comprendre la logique de l’un et, dans la foulée, la logique de l’autre. Et de témoigner de cette compréhension sans que s’immisce une quelconque désapprobation de l’un ou de l’autre.

69Concrètement, alors que nous sommes tentés de nous tourner vers la personne qui nous semble la plus proche de nous, il conviendrait au contraire d’abandonner ce réflexe, et de s’attarder prioritairement sur le partenaire que nous sentons le moins. Et de chercher à le comprendre (ce qui ne veut pas dire approuver). Et cela commence dès la première séance, lors de l’analyse de la demande. Nous aurons à faire de la place, prioritairement, à celui qui, éventuellement, n’a pas envie d’être là, qui se méfie des psys ou qui vient sans trop y croire. Oser une rencontre sincère avec celui ou celle qui se méfie, qui nous impressionne ou qui nous fait peur. Nous passerons plus de temps avec celui ou celle-là. La partialité multidirectionnelle n’est donc pas une question de quantité, de 50/50, mais une question de qualité de la rencontre. Il s’agit que chacun quitte la séance avec l’impression d’avoir été compris par le thérapeute. Et il est vrai que certains sont plus difficiles à comprendre que d’autres…

Au-delà du texte

70Les étudiants me disent souvent être dépassés face au couple en consultation par la quantité d’informations qu’ils reçoivent. Je crois que le problème ne vient pas de la quantité d’informations (qui vient du couple) mais de la difficulté (qui vient de l’étudiant) à sélectionner l’essentiel de l’accessoire. Toute la question revient à identifier ce qui est important.

71Une erreur que je vois souvent chez les étudiants (et c’est le cinquième piège), c’est leur concentration sur le texte. Ils cherchent à ne rien rater de ce qui se dit. Quel que soit le sujet. Et cette focalisation sur le textuel du discours les rend aveugles sur d’autres points importants, les empêche de prendre du recul et de voir les choses de plus loin, avec d’autres éléments. Je pense qu’une des grandes qualités d’un thérapeute face au couple, c’est sa capacité d’observation. Il y a en effet beaucoup de choses à observer au-delà du texte.

L’intention

72Entendons-nous bien, je ne dis pas que le texte n’est pas important. Mais à trop se centrer sur ce qui se dit, on oublie, par exemple, de s’interroger sur ce que ça veut dire. Où veut en venir cette personne en disant cela ? Que veut-elle faire à travers son discours ? Que fait-elle finalement ? John Austin (1970) prétend que tous nos dires sont finalement des faire. Lorsque nous parlons, nous faisons quelque chose (séduire, contester, promettre, plaider sa cause, chercher l’approbation, se plaindre, demander de l’aide, forcer l’admiration, faire rire, distraire, dramatiser, etc.). Ces actions, concomitantes à nos dires, nous n’en avons pas toujours conscience. On peut améliorer la conscience de nos actes de langage en nous posant parfois la question : tiens, en disant cela, que suis-je en train de faire ? Cela vaut autant pour le thérapeute que pour le consultant. Parfois, il peut être intéressant de faire dire cette action :

  • En disant cela, que cherchez-vous à obtenir ?
  • J’ai l’impression que vous cherchez à le convaincre…
  • On dirait que vous cherchez à vous défendre. Mais je n’ai pas compris de quoi…
  • Etc.

La réception

73Tout en écoutant celui qui parle, le thérapeute s’intéresse, en silence, au comportement du partenaire. Alors que A parle, le thérapeute s’interroge sur ce qui se passe chez B : Comment reçoit-il les paroles de son/sa partenaire ? Que comprend-il ? Est-il en position d’écoute ? De fermeture ? De révolte ? D’indifférence ? Et A, est-il conscient des réactions de B ? etc. Parfois l’intervention du thérapeute portera sur cette chaîne de réactions.

74On peut à cet égard utiliser des questions circulaires :

  • M., vous venez de parler cinq minutes. Comment, à votre avis, Mme reçoit-elle vos paroles ?
  • Mme vient de soupirer pendant que vous parliez. A votre avis, que se dit-elle ?
  • Mme, je vois que vous écoutez M. avec attention. En résumé, que cherche-il à dire selon vous ?

La relation

75S’interroger sur l’intention de celui qui parle, observer comment sont reçues les paroles. Voilà déjà deux autres choses au-delà du texte à prendre en considération. Et ce n’est pas tout ! On peut aussi observer la dynamique de la discussion. Est-ce lourd ou léger ? Est-ce ouvert ou fermé ? Rationnel ou émotionnel ? Passe-t-on du coq à l’âne ? Quel est l’enjeu finalement ? D’avoir le pouvoir ? D’avoir raison ? D’être aimé ? D’être irréprochable ? De paraître conciliant ? De quelle relation s’agit-il ? Parent – enfant ? Deux ados ? Patron – employé ? Prof – Élève ? Avocats en plaidoirie ?

76En systémique, on considère que toute communication présente deux aspects : le contenu et la relation, tels que le second englobe le premier et par suite est une méta-communication. Le contexte relationnel donne un sens particulier au message. Il s’agit dès lors de prendre du recul par rapport à ce qui se dit et resituer les paroles dans le contexte.

77L’intervention du thérapeute peut donc porter sur le contenu. Mais il est parfois utile de souligner la relation, le jeu interactif que l’on perçoit. Surtout lorsqu’on a l’impression que chaque sujet (contenu) sert de prétexte à un jeu interactif (relation).

78Exemples (à ne pas prendre comme des modèles à suivre !) :

  • On dirait, Mme, que vous vous épuisez à faire son éducation. Et que vous, M., vous acceptez que vous avez besoin d’être éduqué.
  • Ça semble insupportable, pour tous les deux, de ne pas être en parfait accord.
  • J’ai l’impression que vous voulez tous les deux être le chef. Comme si un couple était, selon vous, une entreprise.
  • J’ai l’impression de voir deux avocats en plaidoirie. Comme si un juge allait devoir trancher la question.
  • Je me demande si derrière tout ça, vous ne craignez pas que l’autre ne vous aime plus.
  • Etc.

Pertinence et congruence de l’information

79Revenons au’texte. Les étudiants se sentent souvent dépassés face au couple parce qu’ils prennent avec une égale importance tout ce qui est dit dans la séance. Or on doit bien constater qu’il y a beaucoup de paroles qui ne font guère avancer alors que d’autres, plus rares, semblent faire progresser la thérapie. Il y a donc lieu de faire un peu le tri. Comment y voir plus clair ?

80Guy Ausloos (1985) définit l’information pertinente comme celle qui vient du système et qui retourne au système. Qu’est-ce que cela signifie ? Dans le cadre d’une thérapie individuelle, nous avons sans doute tous fait l’expérience d’avoir été surpris par nos propres paroles. C’est ça l’information pertinente. Alors que nous parlons pour la trente-deuxième fois de notre dernière dispute, voilà que tout à coup nous la racontons dans une autre perspective. Avec d’autres mots. Et nous en sommes surpris. Peut-être même très émus. En thérapie de couple, beaucoup de choses sont exprimées qui ne sont que des répétitions de ce qui se dit à la maison. Il m’arrive parfois de demander à l’un de terminer la phrase de l’autre. Et c’est mot pour mot ce que ce dernier allait dire. Peu de pertinence ici. Aucune information nouvelle qui fera la différence. Mais il arrive que l’un s’exprime comme jamais il ne s’était exprimé auparavant. Parfois, c’est même ensemble qu’ils dialoguent comme ils n’ont jamais dialogué. Et là, c’est nouveau. Le système s’informe. Et cette information étonne. L’émeut. Parfois aussi, ce n’est pas l’information qui est nouvelle mais sa réception. L’un vient d’entendre l’autre. Comme il ne l’avait jamais entendu. L’information pertinente, ce sont finalement ces instants, assez rares, où le système est ébranlé, surpris par ce qui vient d’être dit. Ce n’est pas toujours un moment agréable. Parfois oui. Ce sont des instants comme ceux-là qui nous donnent l’impression d’avoir mené une bonne séance, d’avoir assisté à un tournant dans la thérapie.

81La congruence est un autre critère qualitatif de l’information. Dans une consultation conjugale, on assiste souvent à des discours peu congruents. Le contexte triadique, formé par le couple et le thérapeute, favorise sans doute des positions défensives qui, elles-mêmes engendrent des propos exagérés, minimisés, scabreux, tordus, d’apparence logiques, mais dans le fond peu authentiques. C’est de bonne guerre. Chacun plaide sa cause. Il convient donc d’apprécier la justesse des propos sur le plan sémantique.

Le thème

82Une autre manière de faire le tri dans l’abondance verbale d’une consultation conjugale, c’est d’observer le thème. Et de s’interroger sur sa pertinence. Est-ce bien de ce thème dont il convient de parler pour améliorer votre relation ? Souvent, le couple débute la séance sur une anecdote de la semaine. Et les voilà en train de se crisper. Faut-il prendre ce thème comme tel ? Ou faut-il aborder la séance sous un autre angle ? Parfois, le thème évoqué est un bel exemple de leur problématique. Mais dans d’autres cas, c’est un sujet plus périphérique et il n’y a peut-être pas lieu de lui faire autant de place.

83Parfois, le thème ne semble pas vraiment important, mais la manière dont le couple en débat est très significatif. Par exemple, cette fois, Mme ne se laisse plus dominer comme elle en avait l’habitude. Elle réagit et se défend. Autre exemple : un couple très fusionnel parvient cette fois-ci à discuter sans dramatiser leur désaccord. On a aussi des couples qui, dans le fond, vont beaucoup mieux, mais une fois installés dans le cabinet du thérapeute semblent chercher une raison de se disputer. Bref, interrogeons-nous (et peut-être interrogeons le couple) sur la pertinence du thème.

Le niveau du discours

84J’entends par niveau plusieurs aspects : le propos est-il personnel ou général ? Affectif ou rationnel ? Spontané ou calculé ? Infantile ou mature ? Authentique ou narcissique ? Rigide ou nuancé ? Objectif ou subjectif ? Moqueur ou honnête ? Sur soi ou sur l’autre ? Moral ou psychologique ? etc.

85Aucun niveau n’est en soi meilleur qu’un autre. Ce qui est intéressant, c’est de repérer le niveau employé. Parfois, on suggérera à la personne de passer à un autre niveau. C’est une intervention souvent efficace. Exemples :

  • M., je crois que vous voulez faire comprendre à Mme ce qui se passe en elle. Mais je pense que ça marchera mieux si vous nous dites d’abord ce qui se passe en vous.
  • Quelles expériences vécues vous amènent à exprimer ce principe général ?
  • Vous parlez de manière très rationnelle. Mais dans le fond, que ressentez-vous ?
  • M., vous énoncez votre idée comme s’il s’agissait d’une vérité universelle. Vous voulez sans doute montrer par là qu’il s’agit d’une idée à laquelle vous êtes personnellement très attaché ?
  • Mme, vous parlez avec toute la maturité d’un adulte. C’est très bien. Comment diriez-vous les choses si vous étiez une adolescente ?

86Ces suggestions de changement de niveau peuvent être dérangeantes ou vexatoires pour la personne. Surtout en présence du partenaire. Il y a lieu d’en avoir conscience avant de s’y risquer. Parfois, on laissera tomber l’intervention.

Le corps

87Le corps, on le sait, parle. Et pourtant on fait souvent comme s’il n’était pas là ! Il trahit nos émotions. Nos ouvertures ou fermetures. Le corps (à commencer par celui du thérapeute) peut être source d’informations pertinentes (Bras et jambes croisés, regard qui monte au plafond ou descend sur le tapis, soupirs, sourires, corps avachi ou monté sur des ressorts, etc.).

88À nouveau, le thérapeute observera ce langage corporel sans nécessairement en faire quelque chose tout de suite. Ce langage analogique est fréquemment une information plus révélatrice que le contenu digital. À l’occasion, on peut s’adresser directement à la personne : Mme, vous faites non de la tête en écoutant M. Ou au partenaire : M, votre femme n’a pas l’air d’accord.

Comment choisir d’intervenir ?

89Ce sixième repère est moins un piège qu’une difficulté pour les étudiants. D’ordinaire, je les trouve très prudents dans leur intervention. Et je crois qu’il faut commencer par là. Par une certaine retenue. Leur principale question est formulée dans le sens d’une autorisation : est-ce que je peux dire telle ou telle chose au couple ? Sur quel critère me baser pour choisir ou non d’intervenir ?

90La règle générale est de n’intervenir que lorsqu’on a de bonnes raisons de croire que la personne ou le couple va reprendre à son compte ce qu’on lui propose. Dès lors toute intervention, aussi judicieuse soit-elle, n’est pas toujours bonne à dire.

91A nouveau, posons-nous des questions :

  • Le couple a-t-il son esprit ouvert à ma proposition ?
  • Le couple est-il disposé émotionnellement à entendre ce que j’ai à lui dire ?
  • Chacun est-il présentement en mesure de se laisser remettre un tant soit peu en question ?
  • Que risque de faire l’un si je m’adresse de la sorte à l’autre ?
  • Etc.

92Il faut tenir compte aussi de la présence du partenaire. Si mon intervention a pour but d’assouplir le propos de l’un, de le faire réfléchir, comment l’autre fera-t-il usage cette remise en question chez son partenaire ? Ne va-t-il pas en faire une victoire ? Ne va-t-il pas se croire en coalition avec moi ? C’est toute la question de la neutralité qui se joue ici.

93En tout cas, quand je fais travailler l’un sur ses propres cartes du monde, je dois bien être conscient de ce que je fais : je le déstabilise quelque peu, je le mets dans une sorte de déséquilibre mental. Il est donc un peu fragilisé, troublé. C’est plutôt positif. Mais il ne faudrait pas que l’autre en profite et fasse mauvais usage de cette situation. Le degré de bienveillance est à mesurer ici. On peut aussi faire de l’humour : M., je viens de cuisiner un peu Mme, de bousculer un peu ses croyances. Rassurez-vous, votre tour viendra aussi. On peut valoriser ce qui est en train de se faire : Mme, je vous remercie pour vos réponses. Ce n’est pas facile de se laisser questionner. La fragilité est alors présentée comme une force.

94Enfin, il s’agit aussi de questionner son cadre interne. Ce que je vais dire est-ce bienveillant (ce qui ne veut pas dire gentil) ? Est-ce pour moi ou pour l’autre que j’interviens ? Ne suis-je pas en train de manifester mon irritation ? Etc. Il nous faut à présent parler du cadre interne.

Le cadre externe et le cadre interne

Le cadre externe

95On entend par cadre externe, les règles, les habitudes et la déontologie à l’œuvre dans la relation thérapeutique. Sans entrer dans les détails, parmi les quelques règles importantes de la thérapie de couple, on peut citer : éviter de voir l’un sans l’autre, éviter d’obtenir une information de l’un sans que l’autre ne soit au courant, refuser une thérapie de couple si l’on a déjà reçu l’un des deux membres en thérapie individuelle, etc.

96Concernant les habitudes du thérapeute, elles sont cette fois variables d’un professionnel à l’autre. On remarque cependant que la durée de la séance varie entre 1h et 1h30, la fréquence est en moyenne bi-mensuelle, le vouvoiement prévaut, etc.

97Enfin, la déontologie fait également partie du cadre externe : garantir le secret professionnel, laisser la liberté au patient de choisir son thérapeute, d’interrompre la thérapie, ne pas diriger la vie de ses patients (position de gourou), veiller au meilleur traitement possible (ce qui implique d’orienter judicieusement les patients), fixer des honoraires raisonnables, etc.

98Les étudiants sont d’ordinaire drillés à ce cadre externe. Et c’est tant mieux. Le but du cadre externe est d’assurer une certaine protection contre des dérives possibles. En effet, la relation thérapeutique est une relation très particulière qui touche à l’intime. Des personnes y livrent des confidences très personnelles, avec toute la charge affective associée. Elles peuvent aussi connaître, en séance, d’intenses moments régressifs. Parfois, elles se mettent tellement à nu que de fortes angoisses peuvent apparaître, etc.

99Face à de telles manifestations, l’aidant débutant sera parfois tenté de laisser libre cours à des élans affectifs mal contrôlés : sauver l’autre, le rassurer, prolonger inutilement la séance, lui imposer des choix, ne pas se faire payer, prendre dans les bras, etc. Ces dérapages viennent souvent d’une difficulté, chez l’aidant, de vivre son impuissance, de gérer ses propres angoisses. C’est tout bonnement le contre-transfert qui est à l’œuvre ici.

100Dès lors, le cadre externe agit comme une sorte de balise, un feu rouge extérieur, qui permet de se raccrocher quand on se sent défaillir. Le cadre externe rappelle au système thérapeutique qu’on est engagé dans une relation de service et non dans une relation amicale. Une relation humaine, certes, mais déséquilibrée quant aux rôles de chacun.

101Osons une définition :

102

Le cadre externe est l’ensemble des règles, fixées par le thérapeute, qui balisent la relation thérapeutique et assurent une certaine protection contre des abus. Les règles de déontologie font partie de ce cadre externe

La relativité du cadre externe

103Le piège dans lequel tombent les étudiants ne renvoie pas à la connaissance du cadre externe (là, ils le maîtrisent) mais au rapport qu’ils entretiennent avec lui. Le cadre externe semble être tenu par les étudiants comme un dogme, une Loi inabrogeable à laquelle on doit se soumettre. Ceci est particulièrement perceptible dans les situations un peu extraordinaires (et elles ne manquent pas dans notre métier !) que les étudiants relatent en supervision. La question qui anime les débats se réduit au domaine juridique : que me dit le cadre dans ce cas-là ? Suis-je sorti du cadre ? Ai-je, fait un hors cadre ! Comme si le cadre (externe) était le seul critère valable pour évaluer la qualité d’une intervention.

104Entendons-nous bien : le cadre externe est très utile pour nous éviter de faire des erreurs. Mais il ne doit pas nous empêcher d’être intelligent (c’est-à-dire de faire preuve de souplesse) et de nous poser de bonnes questions. Pas seulement juridiques (suis-je dans les balises du cadre externe ?) mais surtout éthiques (quel est le mieux à faire dans ce cas-ci ?).

105Il y a donc lieu de mettre ce cadre externe à sa juste place.

  1. Le cadre externe constitue un critère parmi d’autres pour évaluer la qualité de notre intervention.

106Quel thérapeute n’a pas un jour agi de manière peu académique ? C’est-à-dire en dehors des règles habituelles d’une séance de thérapie ? Et en y repensant aujourd’hui, on considère que ce fut l’une de nos meilleures intuitions, une intervention adaptée à la situation. Ces exemples que nous avons en tête montrent bien que parfois, ne pas être dans le cadre peut être la meilleure chose à faire. Nous avons eu, dans ces situations, d’autres critères pour évaluer le bien à faire dans ce cas-là. Et parmi ces critères, il y avait ceux du cadre interne. J’y reviens.

  1. Le cadre externe ne doit pas nous empêcher d’être à la manœuvre et de prendre nos responsabilités.

107En se soumettant docilement aux règles du cadre externe (je peux/je ne peux pas), les étudiants oublient que c’est à eux qu’il revient d’apprécier ce qu’il y a de mieux à faire dans le cas présent. Et que le cadre externe n’est là que pour leur faire des propositions. Pour paraphraser la théorie du développement moral de Kolhberg (1983), il conviendrait que les étudiants dépassent le stade de la moralité conventionnelle pour accéder à une moralité post-conventionnelle. Il ne s’agit pas de jeter les prescrits du cadre externe, mais de les considérer comme une donnée parmi d’autres dans la délibération que nous avons à mener. C’est nous qui, en fin de compte, allons trancher et assumer une décision.

Le cadre interne

108

  • Qu’est-ce que je fais quand j’interviens ? Je manifeste ma compassion ? Je montre mon intérêt ? Je veux lui faire comprendre qu’il se trompe ? Je console ? Je rassure ? Je lui montre que c’est moi le chef ? Je cherche à lui cacher mon irritation ? Je positive ? J’évite un sujet difficile ? etc. A travers nos prises de paroles, c’est un faire, une action qui se cache (J. Austin, 1970). Nous n’avons pas toujours conscience de ce faire. Ou une conscience partielle et imparfaite. En effet, bien des erreurs sont possibles :
    • Je crois manifester ma compréhension, alors qu’en fait, je cherche à lui plaire.
    • Je crois poser une simple question, mais dans le fond je lui fais la morale.
    • Je crois faire un reflet, mais en fait je cache ma désapprobation.
    • Je crois être bienveillant, alors que je cherche à me faire accepter.
    • Etc.
  • Qu’est-ce que je vis quand j’interviens ? Je suis énervé ? Impressionné ? À l’aise ? Amusé ? Dans de bonnes dispositions ou de mauvaises ? Bouleversé ou indifférent ? Intéressé ou curieux ? Sûr de moi ou ouvert d’esprit ? Envieux ou méprisant ? etc. Je crois que nous ne mesurons pas assez la multitude de sentiments qui peuvent nous animer en séance.

109Prenons un exemple : je suis face à un couple et je trouve ce monsieur de mauvaise foi. Cela m’énerve. Si je n’ai aucune conscience ni de mon sentiment (je m’énerve), ni de mon jugement (je le trouve de mauvaise foi), le risque est grand que j’agisse ce sentiment/jugement par une intervention désastreuse. Si j’en prends conscience, j’éviterai de passer à l’acte et de lui projeter mon agressivité. Prendre un recul sur ce que je vis me donne l’occasion de transformer ce sentiment/jugement en quelque chose d’utile. Je pourrais rapidement commencer par me souvenir des fois où moi aussi j’ai été de mauvaise foi. Peut-être me rendrai-je alors ce monsieur moins antipathique. Je pourrais humaniser ce monsieur en m’imaginant son anxiété, son besoin de s’accrocher à une image idéale, sa fragilité qui l’empêche de voir en lui des choses négatives, etc. Et c’est animé par cette nouvelle compréhension que je trouverai une intervention plus acceptable.

Le cadre interne est la conscience aiguisée et alerte de ce que je fais lorsque j’interviens. Il s’appuie sur la présence à soi, soit la conscience verbale de ce que je vis. Ce cadre interne constitue la garantie d’une relation professionnelle.
Le cadre interne est donc ma machine à conscientiser d’une part ce qui se passe en moi, d’autre part ce que je fais quand j’interviens. Cette honnêteté vis-à-vis de moi-même me fait voir combien mes interventions ne sont pas toujours bienveillantes, justifiées, professionnelles. Le cadre interne me conduit à laisser tomber maintes interventions. Il agit cette fois comme un feu rouge interne.

Le cadre interne prime sur le cadre externe

110Finalement, l’attitude professionnelle ne relève pas d’une observance docile du cadre externe mais d’une conscience affûtée de ce que je fais et de pour quoi (en deux mots) je le fais.

111Je serais désolé si mon propos laissait entendre qu’on peut faire tout ce qu’on veut. Pas du tout. Je pense même que le cadre interne est plus contraignant que le cadre externe. Je vois trop souvent des motifs narcissiques à l’œuvre dans les interventions, pourtant très académiques, des psys (envie de plaire, d’être accepté, d’être admiré, de passer pour quelqu’un de bon, d’intelligent, etc.). Il n’y a qu’à voir combien les psys ont du mal à supporter la critique ou la remise en question, combien ils sont prompts à présenter leurs réussites sur le compte de leurs actions et à faire porter leurs échecs sur le compte des résistances des patients. Je pense que beaucoup d’interventions, acceptables du point de vue du cadre externe, ne résistent pas au filtre du cadre interne.

112En revanche, je crois aussi qu’on peut encourager les étudiants à une certaine audace dans la mesure où les feux du cadre interne sont passés au vert (Quelles sont mes réelles intentions ? Suis-je bien au clair avec ce qui m’anime présentement ? Est-ce bien pour l’autre et non pour moi seul que je vais intervenir ? etc.)

113Résumons :

  • Ce n’est pas en respectant scrupuleusement le cadre externe qu’on agit nécessairement bien.
  • Le cadre externe est une donnée dans ma délibération intérieure, et non une règle absolue.
  • L’erreur professionnelle survient notamment quand on sort du cadre externe sans s’en rendre compte.
  • Nous pouvons aussi faire de nombreuses erreurs sans quitter le cadre externe.
  • Ce qui compte avant tout, c’est d’être très subtilement conscient de ce qu’on fait et de ce qu’on vit avant d’intervenir.

Conclusion

114Si vous aviez comme projet, en lisant cet article, de savoir dorénavant comment vous y prendre avec les couples en thérapie, j’espère que vous êtes déçu. Ce que je tiens par dessus tout à éviter, c’est de donner l’impression que le maniement de la relation thérapeutique puisse être réduite à des recettes. Les questions que vous vous poserez face à un couple seront, à mon avis, bien plus fructeuses que les réponses dans lesquelles vous risquerez de vous enfermer.

115Si vous sortez de cette lecture avec l’impression que les choses sont encore plus difficiles que vous ne le pensiez au départ, vous m’en voyez ravi. Je pense qu’une certaine humilité face à la complexité des relations humaines est un bon point de départ pour devenir un excellent thérapeute.

116Enfin, je me demande à présent si le mieux que vous auriez à faire, ce ne serait pas de vous faire confiance, de vous engager dans la relation thérapeutique, d’arrêter de vouloir jouer au psy-qui-sait-tout, d’apprécier de ne pas savoir, de cultiver votre sensibilité et votre intelligence, d’oser plus de créativité. Et de poursuivre votre thérapie personnelle.

117Bonne chance à vous !

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  • 15
    Tournebise T., 2001. Le non savoir source de compétence. Publié sur www.maieusthesie.com.
  • 16
    Whitaker C., 1983. De la théorie comme gêne pour le travail clinique. Cahiers critiques de la thérapie familiale et de pratique de réseaux, n° 7. Éditions Universitaires, Paris.
  • 17
    Yalom I., 2005. Le bourreau de l’amour. Histoires de psychothérapie. Galaade, Paris.

Mise en ligne 04/05/2016

https://doi.org/10.3917/tf.161.0027

Notes

  • [1]
    Il s’agit d’un baccalauréat (études supérieures non universitaires). Le conseiller conjugal et familial (CCF) est compétent pour toutes les problématiques touchant à la vie affective et sexuelle. Le CCF est formé à différents types d’intervention : accueil, accompagnement, prévention, animations, entretiens individuels, conjugaux et familiaux.
  • [2]
    Pour la suite de l’article, on emploiera le terme « étudiant » pour désigner les personnes qui se forment à la thérapie conjugale ou qui débutent dans le métier.
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