Notes
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Docteur en psychologie ? Psychothérapeute familial ? Chargé de cours à l?Université de Mons-Hainaut, Service de Psychologie Clinique. Consultant au C.H.P. « Le Chêne aux Haies » de Mons (Belgique).
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Histoire, géographie, archéologie.
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Ce tournant peut être assez facilement daté puisque le passage du DSM II au DSM III le marque de façon frappante.
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Situation qui a conduit à mettre les thérapies systémiques hors circuit de la législation en Allemagne.
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[5]
Voir notre autre article dans ce même numéro.
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[6]
Voir notre autre article dans ce même numéro.
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[7]
Idée énoncée par Kiesler en 1971 (cité par Pinsof et Wynne, 2000).
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[8]
Et des méta-analyses.
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[9]
Ces outils ont été présentés par Robert Pauzé lors de la journée d’étude du 8 novembre organisée à Lausanne par la revue Thérapie Familiale – « La recherche et l’évaluation des interventions et des thérapies systémiques », dont ce numéro constitue les actes.
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[10]
A ce propos, si la notion d’accréditation fait partie aujourd?hui des pratiques courantes en médecine, on peut déplorer que cela ne soit pas encore le cas en ce qui concerne les psychologues cliniciens, du moins en ce qui concerne la Belgique.
Les enjeux scientifiques et épistémologiques de l’évaluation
1 L’efficacité des différentes formes de psychothérapie est devenue un thème de recherche scientifique essentiel (Bergin et Garfield, 1994,2003 ; Inserm, 2004). Ces recherches posent des problèmes épistémologiques très complexes et le nombre de facteurs pouvant influencer le cours d’une psychothérapie est si important que tout projet d’évaluation apparaît comme nécessairement réducteur.
2 Les problèmes épistémologiques ne cèdent en rien aux problèmes méthodologiques en termes de complexité. D’une part, d’aucuns s’interrogent encore actuellement si la psychothérapie relève des sciences idiographiques – concernées par les faits uniques et non répétables [2] – ou des sciences nomothétiques qui s’efforcent d’établir des lois et à tester des hypothèses au moyen d’expériences.
Le contexte général de l’évaluation des psychothérapies
3 En effet, l’évaluation des psychothérapies est également devenue l’objet d’enjeux économiques et sociologiques importants. Envisageons d’abord les enjeux économiques. La maladie mentale et la gestion des conflits font l’objet d’une attention accrue dans les entreprises qui y voient des facteurs grevant leur productivité. Dans la foulée, les assurances privées trouvent là une opportunité de conquérir de nouveaux marchés ; les pouvoirs publics s’inquiètent de l’explosion des coûts en matière de sécurité sociale ; les firmes pharmaceutiques perçoivent une menace au primat des approches biochimiques qui fondent leur succès. Etats, entreprises, organismes assureurs sont donc à la recherche de traitements à la fois efficaces (c’est-à-dire qui traitent avec succès les problèmes) et efficients (c’est-à-dire qui traitent avec rapidité et à moindre coût les problèmes). On comprend dès lors que dans ce contexte, la notion d’évaluation attire l’attention et suscite bien des débats. Les uns y voient une notion rentable ; les autres craignent une instrumentalisation du concept au profit d’objectifs qui n’ont rien à voir avec la santé mentale.
4 A ces enjeux économiques s’ajoutent des enjeux de pouvoir. En effet, depuis 30 ans, les troubles psychiques étaient redevenus une chasse gardée du corps médical après des décennies de domination de la psychanalyse [3]. Qu’il s’agisse de syndromes où la composante biogénétique paraît peu discutable comme la schizophrénie, ou de perturbations apparemment éloignées de l’art médical comme les troubles de l’attachement ou de la personnalité, on s’est acharné à ranger toutes ces perturbations dans des catégories nosologiques – par exemple le DSM IV – justifiant à la fois un monopole médical et le primat des approches pharmacologiques. Il s’agit d’un enjeu de pouvoir car la définition de l’expert change en fonction de la définition du trouble psychique. S’agit-il d’une perturbation mentale essentiellement fonctionnelle ? Dans ce cas, le psychothérapeute est le premier expert et le psychiatre, l’auxiliaire. Le trouble psychique est-il d’abord une perturbation biochimique ? En ce cas, le rapport s’inverse : le psychiatre redevient l’expert et le psychothérapeute, l’auxiliaire.
5 Encore faut-il s’entendre sur ce qu’est un « psychothérapeute ». S’agit-il d’un ensemble d’actes spécifiques posés par des professionnels de la santé mentale ou s’agit-il d’une profession spécifique ? Dans les deux cas, quelle est la formation de base nécessaire et suffisante pour pratiquer la psychothérapie ? Comme il n’existe pas de consensus à propos de ces questions, on assiste à des luttes acharnées entre divers corps de métier. Ceci conduit certains de ces corps à évacuer la question de l’évaluation. En effet, l’évaluation des pratiques implique une démarche scientifique qui implique à son tour une formation universitaire. On assiste par conséquent soit à des tentatives de redéfinition de la psychothérapie comme un « art » – ce qui permet alors d’échapper à l’évaluation –, soit à des tentatives de disqualification de la démarche scientifique.
6 En toute équité, il importe aussi de constater que d’autres cherchent à définir la démarche scientifique de manière tellement restrictive que cette définition met hors course la plupart des modèles thérapeutiques « concurrents ».
7 Il suffit de voir comment, ces dernières années, les passions se sont déchaînées autour de ce débat, tant en Belgique qu’en Europe, pour se convaincre que celui-ci est alimenté par des enjeux qui dépassent l’analyse rationnelle des faits.
8 Ces positions, très radicales et antagonistes, sont sans doute aussi gouvernées par la difficulté qu’il y a à remettre en cause son propre « savoir » et ses pratiques.
9 Notre approche se veut nuancée puisque nous plaidons en faveur d’une approche scientifique de la question de l’évaluation, mais une approche scientifique qui tienne compte que l’objet d’étude est ici l’être humain et non des molécules ou des photons. En outre, d’autres enjeux concernant l’évaluation nous paraissent plus essentiels.
Aspects éthiques de l’évaluation des psychothérapies
10 L’évaluation des psychothérapies est aussi, et sans doute d’abord, une question éthique. Il paraît assez clair qu’une personne en souffrance a le droit de questionner les « experts » sur les fondements et l’efficacité de leurs modèles thérapeutiques. Le « patient » est aussi en droit d’attendre les interventions les plus appropriées, c’est-à-dire susceptibles de produire les changements espérés, dans un délai aussi court que possible et ce, à des coûts accessibles. Il a aussi le droit d’être informé sur les procédures auxquelles il sera exposé et d’avoir la garantie que ces procédures sont sans danger pour son intégrité physique, mentale et sociale.
11 La question de la durée – notion au cœur des thérapies brèves – n’est donc pas, comme d’aucuns le prétendent, la simple résultante des pressions provenant des ministères de la santé et des exigences des tiers payants (organismes assureurs, entreprises), mais aussi la conséquence de l’effet légitime des attentes des principaux usagers : les patients.
Aspects scientifiques
12 Par ailleurs, l’humain est très complexe. Son abord relève à la fois de la biologie, de la médecine, de la psychologie, de la sociologie, voire de la philosophie et de la politique. Les mécanismes conduisant à la souffrance psychique ou à la maladie mentale sont encore mal connus. Les processus susceptibles de lever la souffrance et/ou de guérir les maladies mentales ne sont pas plus clairs.
13 Il semble donc raisonnable de mener des recherches afin de mieux comprendre les processus morbides et thérapeutiques. L’évaluation des psychothérapies pose des questions utiles à la fois sur le plan de la recherche fondamentale et de la recherche appliquée.
14 Toutefois, on est en droit de se demander quelles méthodes sont les plus appropriées pour répondre à ces questions complexes. L’observation clinique ? La méthode expérimentale ?
Le fossé entre praticiens et chercheurs
15 On conçoit que les contraintes expérimentales sont lourdes et compliquées à mettre en œuvre. Elles sont hors de portée du psychothérapeute tout-venant. En effet, la pratique clinique s’accommode assez mal de certaines exigences méthodologiques de la recherche. Faute de satisfaire ces contraintes, les cliniciens qui se sont aventurés à tenter de démêler ces deux facettes ont été cloués au pilori parce que leur démarche n’était pas assez « rigoureuse ».
16 Dès lors, un fossé important s’est creusé entre cliniciens et chercheurs. Les thérapeutes ont donc fini par s’abstenir, entraînant de la sorte un désintérêt pour l’évaluation, ce que l’on comprend, mais qui s’avère, en même temps, inquiétant. En Belgique, en France ou en Suisse, peu de thérapeutes, hormis ceux du courant cognitivo-comportemental, cherchent à vérifier les effets de leurs interventions. Au moment où les psychothérapeutes sont, en Europe, en quête d’une forme de reconnaissance, bien peu sont capables de convaincre le législateur, les associations de consommateurs, les ministères chargés de la santé publique ou les commissions scientifiques de l’efficacité de leurs pratiques. Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne les approches systémiques [4].
17 Il faut admettre que les préoccupations des uns et des autres sont assez divergentes et que les modes de construction du savoir sont très différents :
- Le praticien est confronté à une démarche idiographique ; c’est-à-dire à un processus de décision constant qui est spécifique à chaque situation clinique, à chaque moment, à chaque contexte, etc. Comment faire avec cet individu-ci maintenant ?
- Le chercheur est confronté à une démarche nomothétique, en quête de régularité, de lois générales. Comment faire avec cette classe d’individus-ci en général ?
18 Une autre source du clivage émerge entre chercheurs et cliniciens lorsqu’il s’agit d’étudier non plus les résultats, mais bien les processus. Ce type de recherches n’exige-t-il pas une compréhension de l’intérieur des processus thérapeutiques ? En clair, le chercheur doit-il être lui-même psychothérapeute (ou encore le praticien doit-il être lui-même chercheur) ? Faute de quoi, le chercheur ne formule que des généralités et demeure à la surface des phénomènes qu’il prétend cerner.
19 Par contre, chaque psychothérapeute adhère à son modèle pour des raisons qui ne sont pas toujours rationnelles. Or, l’évaluation des thérapies fait courir le risque au psychothérapeute de voir ses croyances s’effondrer et d’être obligé de modifier sa pratique (Cottraux, 1995). Néanmoins, c’est aussi ce qu’il attend de ses patients lorsque ceux-ci lui demandent d’accepter de les prendre en thérapie. Dès lors, il nous semblerait curieux que le psychothérapeute exige de ses patients une démarche intellectuelle à laquelle il n’est lui-même pas prêt. Enfin, le clinicien est-il suffisamment détaché des rituels d’appartenance et de sa loyauté à l’école de pensée thérapeutique au sein de laquelle il a appris son métier ?
Stratégies d’évaluation et méthodologies
Introduction
20 Au-delà de ces enjeux, la problématique de l’évaluation des psychothérapies soulève des problèmes méthodologiques considérables.
21 Intuitivement, on peut penser qu’une psychothérapie est efficace si on est certain que cette dernière permet d’aboutir à des améliorations notables dans un délai raisonnable. Cependant, cette définition est simpliste. Il importe de procéder à des mesures précises et valides afin par exemple de faire la part des choses entre des améliorations spontanées et des améliorations résultant d’un traitement. Dès lors, à partir de quand une mesure témoigne-t-elle d’une différence suffisante ? La nécessité de critères se fait donc sentir.
22 Deux types de programmes de recherche ont émergé et se sont affrontés. Le premier programme rassemble les chercheurs qui pensent qu’il est indispensable de mener des études sur le modèle des études d’efficacité pharmacologiques dont la rigueur est présentée comme un modèle. A l’opposé, le second programme, qui rassemble surtout les cliniciens, estime que la méthode des études pharmacologiques n’est pas transposable au champ des psychothérapies et qu’il faut développer de nouvelles méthodologies appropriées aux contraintes du champ de la clinique. Examinons ces deux thèses.
Thèse I – Les essais contrôlés – Randomized Controlled Trials (RCT) – constituent la seule approche scientifique possible
23 Dans cette approche, seuls les essais contrôlés sont considérés comme présentant une valeur scientifique, c’est-à-dire une étude dont les résultats reposent sur des faits reproductibles et non sur des opinions ou des anecdotes.
24 Un « essai contrôlé » respecte trois règles de base (Roberts et Ilardi, 2003). Les sujets entrant dans l’essai doivent être assignés aléatoirement au groupe expérimental ou au groupe de contrôle (Randomized). L’étude doit inclure un groupe de contrôle (Control). Enfin, on procède à des mesures à divers moments du processus : avant et après celui-ci (Trials). La notion de mesure implique le recours à des instruments présentant de bonnes qualités psychométriques (validité et fidélité). Dans le cadre de la recherche sur l’efficacité des psychothérapies, ce type d’étude doit se soumettre à d’autres critères très stricts.
Groupe de contrôle et groupe expérimental
25 Le groupe expérimental est constitué des sujets sur lesquels on applique le traitement. En effectuant des mesures avant et après, on sera susceptible de vérifier si un changement s’est produit. Toutefois, si un changement est constaté, on ne peut totalement exclure que celui-ci résulte d’autres paramètres indépendants du traitement. Par exemple, il est possible que les sujets du groupe expérimental se soient de toute façon améliorés même s’il n’y avait pas eu de traitement. Pour être en mesure d’éliminer cette éventualité, on crée un second groupe appelé groupe de contrôle.
26 Le groupe de contrôle permet d’observer ce qui se produit lorsqu’on n’applique pas le traitement, par exemple des sujets que l’on place sur une file d’attente. On compare ensuite les résultats des deux groupes, ce qui permet cette fois d’être à peu près certain que les changement résultent du traitement et uniquement de ce dernier. D’autres types de groupes de contrôle sont possibles : sujets bénéficiant d’un ancien traitement éprouvé (groupe dit « as usual »), sujets suivant un traitement « placebo » (traitement très simplifié réputé ne produire que des améliorations mineures). Ce dispositif implique toutefois une contrainte importante : les deux groupes doivent être équivalents avant le traitement.
Homogénéité des groupes sur le plan diagnostique
27 On recommande de travailler avec des groupes de patients présentant des pathologies identiques (uniquement dépressifs ou phobiques, etc). En effet, puisqu’il s’agit d’évaluer si le traitement produit effectivement une amélioration, il importe de préciser de façon préalable ce que l’on souhaite améliorer.
28 Un bon diagnostic constitue donc la première étape de tout traitement. Actuellement, le manuel diagnostic de base est le DSM IV dont la vocation est de pourvoir les chercheurs et les cliniciens du monde entier d’une classification standardisée, indépendante de tout référent théorique et uniquement fondée sur une approche sémiologique.
29 Une autre raison qui commande l’homogénéité est que cette façon de procéder permet de satisfaire à la contrainte que nous venons d’énoncer dans la section précédente : garantir que le groupe expérimental et le groupe de contrôle soient équivalents avant le traitement. Pour garantir cette équivalence, on veillera à ce que les sujets souffrent d’un seul trouble (absence de comorbidité). Par exemple, des sujets tous dépressifs, mais sans problème d’alcoolisme ou sans problème conjugaux, etc.
Modalités d’évaluation
30 On peut avoir recours à l’auto-évaluation (demander au patient s’il estime avoir progressé) en utilisant des questionnaires auto-administrés, ou à l’hétéro-évaluation (dans ce cas, l’évaluation est effectuée par le thérapeute lui-même, par des observateurs indépendants ou des proches du patient). De façon générale, les données sont considérées comme étant moins fiables si elles résultent du thérapeute lui-même. Celui-ci ne peut être à la fois juge et partie à la cause.
Analyse des données
31 Les partisans de la thèse I apportent un soin particulier à l’analyse quantitative des données. Plusieurs approches complémentaires sont possibles, mais nous n’en citerons ici que la principale : la comparaison statistique entre groupes. Cette méthode bien connue est la plus ancienne et est commune à tout chercheur. Le principe consiste à déterminer si des différences constatées – par exemple entre un groupe expérimental et un groupe de contrôle – s’expliquent par une cause systématique ou bien par de simples fluctuations aléatoires.
Description du traitement et mesures d’adhésion
32 Si on souhaite vérifier qu’un traitement est efficace, il faut évidemment vérifier que celui-ci a été effectivement appliqué. Ceci peut paraître simple s’il s’agit de prendre une pilule chaque jour, mais les choses se compliquent s’il s’agit d’administrer une psychothérapie. Comment peut-on être certain que le thérapeute fait bien ce que le traitement prévoit ? Et comment être sûr que c’est bien le même traitement qui sera appliqué à tous les sujets ?
33 Pour satisfaire à ces contraintes, les chercheurs doivent rédiger des « manuels » qui décrivent avec un maximum de précision le traitement : ce que le thérapeute doit faire et quand il doit le faire. Pour être parfaitement certain que le thérapeute a bien appliqué le traitement prescrit, on filme son travail et un juge indépendant vérifie le degré d’adhésion aux procédures décrites dans le manuel. L’objectif vise à renforcer la validité interne en s’assurant que les effets résultent effectivement du modèle thérapeutique et non d’autres pratiques.
34 En résumé, les essais contrôlés imposent des contraintes très strictes qui garantissent la validité interne de l’étude. On peut alors être certain que les effets observés résultent effectivement du traitement testé et non d’autres paramètres comme des différences entre les sujets ou des fluctuations dans l’application du traitement.
Thèse II – Les études contrôlées – RCT – sont impraticables et réductrices
35 Comme indiqué ci-dessus, bon nombre de praticiens se reconnaissent peu ou pas du tout dans le modèle d’évaluation décrit ci-dessus. Cette attitude s’appuie sur une série de critiques méthodologiques.
Les études RCT s’appuient sur des classifications psychiatriques discutables
36 D’aucuns ont fortement critiqué le recours à ce type de classification. En effet, la plupart de ces études reposent généralement sur un diagnostic des troubles mentaux (généralement sur base du DSM). Il en résulte que nous savons beaucoup moins de choses sur l’efficacité des thérapies lorsque le problème mis en avant concerne des problèmes relationnels tels que les conflits parent-enfant ou la mésentente conjugale, etc. – situations très courantes en consultation familiale ou de couple. D’autres formes de problèmes comme la stérilité (sans cause biologique), la timidité, etc., ne se prêtent pas à une classification psychiatrique.
37 Même si les auteurs du DSM sont capables de mettre sur la table des études qui démontrent la fidélité inter-juges du système, dans la pratique, cette fidélité sur le terrain est souvent médiocre. Un examen même sommaire de dossiers de patients hospitalisés indique que les diagnostics varient en fonction du moment ou du psychiatre.
38 Clarkin et Levy (2003) montrent que ce que l’on appelle les « variables clients », plus que le seul diagnostic, devraient entrer en ligne de compte dans la caractérisation des groupes [5]. De même, l’étude de Eisler, et al. (1997) indique que l’efficacité de la thérapie familiale dépend davantage de variables modératrices (durée et âge de début de la maladie) que du fonctionnement familial ou du diagnostic initial [6].
39 D’autres critiques, plus générales et que nous ne reprendrons pas ici, ont été formulées. On consultera à ce propos les ouvrages de Barrett (1998), Kirk et Kutchins (1998) ou la critique de Martens (2001).
Les problèmes liés à l’homogénéité des diagnostics
40 On reproche souvent à certains praticiens de traiter des maladies et non des malades. Dans une perspective clinique, on prend en charge une personne humaine, dans sa globalité, et non une pathologie. Une personne phobique n’est pas l’autre. Et lorsque des similitudes apparaissent entre deux individus présentant un même symptôme, celles-ci se manifestent sur des plans qui ont peu de rapport avec la « maladie » : fonctionnement familial, « coping style », ressources personnelles. En d’autres termes, l’homogénéité du diagnostic ne garantit en aucune manière l’homogénéité des situations cliniques.
41 En pratique, il est relativement rare qu’un thérapeute tout-venant se spécialise dans un type de pathologie. Sa clientèle est constituée de personnes présentant des diagnostics différents. Par conséquent, dans le cadre d’une consultation classique, il est impossible de constituer des groupes homogènes.
Les diagnostics sans comorbidité sont une chimère de laboratoire
42 Un des grands principes est de travailler avec des groupes de sujets présentant des diagnostics sans comorbidité. Or, en clinique, l’absence de comorbidité n’est pas la règle mais l’exception. Par ailleurs, il ne faut pas confondre diagnostic et plainte. Ainsi, il n’est pas rare qu’un alcoolique rejette le diagnostic d’alcoolisme, mais qu’il reconnaisse qu’il a de sérieux problèmes conjugaux. Le thérapeute traite alors le problème conjugal. De même, on peut traiter un patient comme une personne souffrant d’un « trouble anxieux ». Mais il se peut que, pour cette personne, le problème principal réside dans sa relation avec sa mère et que cela le rende également dépressif.
43 Le diagnostic correspond à ce qui est important aux yeux du praticien. Mais ceci ne signifie pas que le patient voit les choses de la même manière. L’absence de comorbidité est donc une situation rarissime.
La notion d’adhésion au manuel est illusoire, voire nuisible
44 Pinsof et Wynne (2000) indiquent que les études contrôlées reposent sur le mythe de l’uniformité [7] c’est-à-dire sur la croyance – fausse – qu’un thérapeute travaille toujours de la même façon d’une thérapie à l’autre, voire même au cours d’une même thérapie. Son approche n’est pas plus constante s’il travaille avec des sujets souffrant d’une même perturbation (trouble ou problème).
45 Bien au contraire, il apparaît que la plupart des cliniciens deviennent de plus en plus éclectiques et intégratifs au fur et à mesure qu’ils progressent dans leur carrière. Alors que les chercheurs s’efforcent de garantir l’adhérence du thérapeute à son modèle, les cliniciens de terrain tendent à y adhérer de moins en moins. Toujours selon Pinsof et Wynne (2000), on sait aujourd’hui que toutes les thérapies produisent environ 2/3 d’améliorations et 1/3 d’échecs. Ceci signifie que toute intervention « uniformisée » est également soumise à cette règle. Ceci implique que les sujets appartenant au 1/3 d’échecs ont besoin de quelque chose d’autre, de différent du modèle uniformisé. Or, la plupart des cliniciens tenteront de nouvelles stratégies qui ne sont pas prévues si le client ne répond pas au modèle initial.
46 Comme Stuart et Robertson (2003) le rappellent, l’exigence d’une stricte adhérence à un manuel, en dehors du cadre d’une étude en laboratoire, ne peut que diminuer l’efficacité du traitement parce qu’elle bride le thérapeute dans l’exercice de son jugement clinique. Par ailleurs, s’agissant d’une psychothérapie, que faudrait-il penser d’un traitement qui serait parfaitement identique pour tous les individus sous prétexte qu’ils ont en commun le même diagnostic ? Et lorsque, à l’instar d’un Elkaim, on base l’essentiel de l’intervention sur les singularités et les résonances ou que l’on considère le travail thérapeutique comme un processus de co-construction, la notion de « manuel » n’a plus guère de sens.
47 Enfin, l’analyse de Beutler, et al. (2003) indique également que les effets observés découlent davantage de facteurs généraux que de facteurs spécifiques. Duruz (2004) nous rappelle que tout modèle est toujours partiel par rapport à ce qui se passe réellement en thérapie. Par ailleurs, il se demande comment « […] le recours à un manuel standardisé, censé contrôler au mieux le processus thérapeutique, est capable de prendre en compte des processus relationnels intersubjectifs, où l’imprédictibilité comme la créativité qui les caractérisent sont des facteurs opérants de premier ordre en toute thérapie ».
48 En conséquence, le recours à un manuel trop strict apparaît comme une pratique illusoire, voire nuisible.
La randomisation n’a pas sa place dans une consultation
49 Enfin, les cliniciens tout-venant ne randomisent pas leurs sujets. Pour des raisons pratiques tout d’abord. Les thérapeutes qui travaillent seuls et dont la thérapie est un gagne-pain ne vont pas renvoyer un patient à un collègue s’ils s’estiment compétents pour effectuer la prise en charge. Lorsqu’ils travaillent en équipe, chaque thérapeute a sa spécialité, son modèle et ses centres d’intérêts. Les prises en charge sont donc attribuées en fonction de ces spécificités et de ces intérêts et non nécessairement en fonction du diagnostic.
50 Des raisons éthiques interviennent parfois. Ainsi, aucun thérapeute tout-venant n’acceptera de placer un patient sur une file d’attente à moins que cette procédure ne soit justifiée par un agenda trop chargé. Mais dans ce cas, on oriente le patient vers un collègue. L’envoi se fonde souvent sur des critères d’indication mais aussi, et parfois plus souvent, sur un critère géographique ou sur la perception subjective des compétences du collègue.
Les instruments de mesure en science humaine sont peu fiables
51 Un aspect fréquemment négligé dans les études de validité concerne la question de la sensibilité des instruments de mesure au changement. Hill et Lambert (2003) rapportent les tailles d’effet calculées sur des mesures pré/post-test effectuées sur des sujets agoraphobes à l’aide d’instruments différents mesurant la même classe de symptôme. Les effets observés peuvent varier entre 0,47 et 1,83. (INSERM, 2004). En d’autres termes, un même traitement peut être jugé soit comme modérément efficace, soit comme très efficace selon la sensibilité de l’instrument utilisé.
Les processus familiaux systémiques ne sont pas mesurables
52 A ces critiques, certains systémiciens en ajoutent une autre, à leurs yeux rédhibitoire. En effet, l’essentiel des méthodologies à disposition est adapté à l’évaluation des thérapies individuelles. Elles conviennent peu aux thérapies familiales où l’on essaie d’étudier des phénomènes : 1) Relationnels [interactions, c'est-à-dire des séquences de comportements] ; 2) Complexes [les combinaisons interactionnelles croissent de manière exponentielle avec le nombre de protagonistes] ; 3) Systémiques [c’est-à-dire où des lois invisibles gouvernent les interactions ; exemple : homéostasie, loyauté, mythe ; même problème qu’avec le transfert en psychanalyse].
53 Par ailleurs, il n’existe pas de « Gold standard » en matière d’instruments de mesure. Il en résulte une multitude d’échelles auto-rapportées, des grilles d’observation, etc. Ceci rend les comparaisons et les généralisations entre les études très difficiles. En outre, il n’existe pas une théorie unique de ce qu’est un fonctionnement familial « sain ». A ceci s’ajoute que le lien entre une intervention et son effet est rarement proximal. Ce qui implique qu’entre un effet donné et la cause supposée vient s’interposer une multitude d’autres interventions ou d’évènements, parfois contradictoires, susceptibles d’expliquer le changement.
54 Enfin, et cette critique rejoint celle des psychanalystes, les études contrôlées escamotent une dimension essentielle du traitement : la relation patient/thérapeute.
55 En conclusion, les critères issus du modèle des études pharmacologiques apparaissent pour certains tantôt impraticables, tantôt dénués de sens lorsqu’on les transpose à un humain et non à un organisme, tantôt inacceptables pour des raisons éthiques. Faut-il pour autant renoncer à toute forme d’évaluation rigoureuse ? Comment sortir de ce dilemme ?
Propositions méthodologiques
56 Lors de l’examen des deux thèses « historiques », on constate qu’au-delà des principes, deux catégories de professions se sont affrontées : les chercheurs et les cliniciens, chacun défendant son point de vue, parfois avec beaucoup d’incompréhension à l’égard du point de vue de l’autre.
57 Si on se dégage de ces luttes de pouvoir, que reste-t-il de ce débat ? Notre point de vue est que les arguments des uns et des autres se valent et que les deux approches – expérimentale et clinique – sont complémentaires.
58 Cependant, il nous apparaît que les tenants de la thèse II ont trop longtemps occupé une position défensive. Ces derniers se doivent de formuler des propositions constructives. Afin de concilier les deux thèses, les cliniciens doivent admettre qu’ils ne peuvent se contenter de leurs témoignages – mêmes si ceux-ci sont le plus souvent marqués du sceau de la bonne foi – et de comptes rendus anecdotiques. La démarche clinique n’exclut pas le recours à des procédures systématiques et rigoureuses.
59 De leur côté, les tenants de la thèse I doivent apprendre à aborder leurs recherches avec un peu plus de modestie en admettant que, par définition, les études RCT sont assimilables à des études en « éprouvette » et non à des essais en contexte réel. Aucune firme pharmaceutique respectable ne s’aventure à affirmer qu’une molécule efficace « in vitro » le sera automatiquement « in vivo ». Pourquoi cette sagesse ne s’applique-t-elle pas au contexte de la psychothérapie ?
Vers une nouvelle conception de l’évaluation
60 Ce constat rejoint celui de Pinsof et Wynne (2000) qui distinguent les études d’efficacité potentielle (efficacy) et les études d’efficacité réelle (effectiveness). On préfère distinguer et promouvoir, plutôt que d’opposer, deux types d’études, notamment parce qu’elles combinent validité interne et validité externe et parce qu’elles réduisent le fossé entre chercheurs et praticiens. A ce deux types, nous ajouterons un troisième qui rend compte de la qualité des soins et des services.
Etudes d’efficacité potentielle (Efficacy) ou les études « RCT »
61 Les études d’efficacité potentielle répondent aux prescrits de la thèse no 1 exposée ci-dessus. Elles portent généralement sur des populations présentant des problèmes homogènes (schizophrénie, phobies, toxicomanie). En outre, ces recherches satisfont les spécifications RCT : les sujets sont répartis aléatoirement dans les divers groupes, on constitue un ou plusieurs groupes expérimentaux et de contrôle, on mesure les différences entre avant et après le traitement à l’aide de méthodes quantitatives fiables et multiples.
62 Ces études permettent généralement de conclure que les effets observés résultent bien du traitement administré et non d’un biais quelconque (bonne validité interne). Elles permettent également de comparer différents traitements.
Etudes d’efficacité réelle (Effectiveness)
63 Les études d’efficacité réelle (effectiveness) sont davantage compatibles avec les exigences des cadres cliniques habituels (d’où le qualificatif « réel ») où les thérapies sont administrées. Dans ces situations, les sujets ne sont pas assignés au hasard, mais bien au contraire selon des critères systématiques (la spécialité du thérapeute, par exemple). Un autre aspect d’un cadre « habituel » est que les sujets traités par un même thérapeute ne sont pas nécessairement homogènes d’un point de vue diagnostic.
64 Dans ce type d’études, on peut toujours supposer que l’amélioration provienne plutôt du mode de recrutement des patients que du traitement, ou plutôt du style du thérapeute que du modèle appliqué, etc. Par contre, la validité externe est plus importante que dans les études d’efficacité potentielle puisque les résultats concernent des patients qui existent dans la réalité.
Etudes portant sur la qualité des soins et des services
65 Ce type d’études ne vise pas à démontrer la supériorité d’un traitement par rapport à un autre ni même si on constate une amélioration en fin de traitement. Il s’agit simplement d’établir que les soins ou les services proposés aux usagés se situent dans les normes attendues. Dans ce cas, on peut se contenter d’une mesure en fin de traitement. Si les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes, l’équipe thérapeutique est en mesure de prendre conscience du problème et chercher les moyens d’améliorer les soins. Cette approche trouve dès lors une place légitime dans le dispositif de soins.
Les recommandations de l’American Psychological Association
66 L’American Psychological Association propose la notion de « bonne pratique » de la thérapie (Levant, 2005). L’approche, tout à fait nouvelle, admet qu’il est acceptable, voire nécessaire, de mener des études qui ne sont pas de type expérimental ou quasi-expérimental au sens strict. En effet, « si la recherche sur les médicaments s’inscrit parfaitement dans la perspective d’une recherche expérimentale avec répartition des personnes – au hasard et en double-aveugle – entre le groupe contrôle et le groupe expérimental, il en va très rarement de même dans les disciplines envisageant la globalité de la personne et particulièrement celles portant sur la validité des programmes d’intervention.
67 Dès lors, très souvent, les seules recherches possibles en contexte réel et qui se rapprochent de l’idéal expérimental utilisent des mesures contrôlées répétées, plus rarement un groupe de contrôle et presque jamais la randomisation. Cette approche dite « quasi-expérimentale » prend mieux en compte les traitements dans les conditions cliniques naturelles.
68 A côté des études expérimentales (RCT) [8] ou quasi-expérimentales, l’APA préconise de prendre en compte :
- Les observations cliniques, y compris des études de cas isolées, souvent source d’hypothèses nouvelles et de découvertes scientifiques.
- Les études qualitatives utiles en ce qu’elles décrivent l’expérience subjective du patient.
- Les études expérimentales à cas unique, particulièrement utiles pour établir les relations de cause à effet entre un type d’intervention et un effet chez un patient particulier.
- Les enquêtes auprès des usagers qui permettent de mettre en évidence la disponibilité, l’utilisation et l’acceptation des offres de soins par les usagers.
- Les études centrées sur les processus.
69 Enfin, à côté de l’efficacité des traitements, il y a lieu de prendre en compte leur utilité clinique, c’est-à-dire tout ce qui est relatif à la faisabilité et l’utilité du traitement dans le contexte particulier où celui-ci est proposé (APA, 2002).
Le clinicien, chercheur de sa propre pratique
Utilité des recherches menées par les cliniciens
70 De façon générale, le clinicien cherche plus à savoir si le traitement qu’il propose est efficace qu’à déterminer si un modèle thérapeutique est valide. Il y a lieu en effet d’opérer la distinction entre « évaluation du traitement » et « évaluation du modèle ». Dans le premier cas, les résultats dépendent aussi des qualités personnelles du thérapeute alors que, dans le second, ce sont surtout les qualités intrinsèques du modèle d’intervention qui gouvernent les résultats. Par ailleurs, le clinicien cherche à déterminer l’efficacité d’un traitement chez un individu donné et non d’un groupe.
71 Néanmoins, l’accumulation de ce type de recherche peut apporter un éclairage intéressant sur l’efficacité des modèles si on juxtapose les résultats de plusieurs thérapeutes revendiquant des pratiques similaires. Plus le nombre de thérapeutes est grand, plus le poids des différences interindividuelles s’estompe au profit de l’influence relative du modèle.
Quelles mesures en clinique systémique ?
Les questionnaire auto-administrés
72 Ce type d’étude est à la portée des cliniciens de terrain. Cette approche exige simplement le recours à des questionnaires que l’on propose avant et après le traitement et, si possible quelques mois après la fin de ce dernier (follow-up).
73 Nous avons souligné ci-dessus l’importance des instruments de mesure précis et valides. Ces outils existent, y compris dans le champ des thérapies familiales. La forme la plus commode, tant pour le « patient » que pour le thérapeute, est celle du questionnaire auto-administré. Ces questionnaires se présentent comme une liste d’affirmations concernant la famille de l’usager. La personne doit marquer son degré d’accord ou de désaccord avec chaque affirmation selon une échelle graduée, généralement à 4 ou 5 niveaux.
74 Ces questionnaires prennent en compte le fonctionnement familial ou conjugal, la qualité de vie, les niveaux de détresse, les compétences sociales, etc. La mesure de l’amélioration se constate en calculant la différence des scores avant et après le traitement. Dans certains cas, on peut également comparer les résultats à des populations de contrôle dont on connaît déjà les scores moyens. Par exemple, nous avons calculé les normes sur une population non-clinique concernant les FACES de Olson et le FAD de Epstein et Miller [9] ainsi que d’autres instruments (Hendrick, 2003). Il s’agit de deux questionnaires auto-administrés qui mesurent des variables telles que la cohésion familiale, la flexibilité, la communication, la compétence en matière de résolution de problème, l’engagement émotionnel des membres du système, les rôles, le contrôle des comportements, etc.
75 L’encodage, le traitement et l’analyse des résultats sont des tâches relativement simples. Par une simple administration en début et en fin de traitement, il est possible d’évaluer quels paramètres du fonctionnement familial a évolué et quels autres ont stagné.
Un schéma de type quasi-expérimental
76 Un premier niveau de « mesure » – convenons de l’appeler « niveau 1 » – consiste à procéder à des observations répétées avant (prétest) et après le traitement (post-test et follow-up). Toutefois, on se contente d’observations comme la disparition du symptôme ou de la plainte. Ce premier niveau nous paraît un peu trop élémentaire.
77 Afin de conserver une certaine rigueur, nous proposons d’ajouter les dispositions suivantes. A un « niveau 2 », on procède toujours à des mesures répétées, mais on a cette fois recours soit à des mesures standardisées (auto-questionnaires et/ou grilles d’observation standardisées), soit à des protocoles d’analyse à cas unique (voir section suivante). L’évaluation s’effectue à partir de normes relatives à une population « non-clinique » de référence. Au « niveau 3 », on procède comme au « niveau 2 », mais on dispose en outre d’un groupe en file d’attente.
78 Quel que soit le niveau retenu, le clinicien-chercheur réalisera toujours des analyses cliniques fouillées à partir de cas prototypiques. Ces analyses permettent d’étudier les processus thérapeutiques mis en œuvre et le lien entre ceux-ci et les résultats.
Les protocoles à cas uniques
79 Les protocoles à cas uniques sont particulièrement utiles lorsqu’il est vital de s’assurer que le changement intervenu est bien dû au traitement (vérification de la causalité ou de la validité interne). Ils sont également indiqués lorsqu’il est impossible ou difficile d’obtenir un groupe de contrôle comparable ou lorsqu’on ne dispose pas de normes. Voici un exemple (figure 1).
Nombre de comportements automutiliatoires.
Nombre de comportements automutiliatoires.
80 Dans cet exemple, le lien entre le traitement et son effet – une diminution drastique des comportements d’automutilation – apparaît clairement. L’arrêt du traitement au moment 03 provoque une nouvelle augmentation des comportements automutilatoires alors que sa reprise engendre de nouvelles améliorations.
81 Les comportements ne constituent pas la seule cible possible. On peut, par exemple, utiliser des questionnaires sur le fonctionnement familial (cf. ci-dessus) ou conjugal, des échelles de détresse, de qualité de vie, etc.
82 Ces modalités d’évaluation sont certes utiles pour le clinicien qui y a recours. Cependant, elles peuvent également livrer des enseignements utiles pour les autres cliniciens. Ceci implique toutefois un partage de l’information. Comment procéder ?
Pour un partenariat entre le champ clinique et les universités
83 Il nous paraît essentiel de sensibiliser, former et accompagner les cliniciens de terrain dans la démarche d’évaluation de leur pratique clinique. L’objectif est de réduire le fossé qui existe entre les résultats des recherches concernant l’efficacité des psychothérapies et les pratiques de terrain. De tels partenariats existent déjà aux Etats-Unis. Ils lient des centres de recherche universitaires, des « communautés thérapeutiques » (hôpitaux, centres de santé mentale, etc.), des pourvoyeurs de fonds et les décideurs politiques (Santisteban, 2006). Outre la réduction du fossé entre la recherche et les pratiques, cette association permet également d’anticiper les difficultés en menant des actions préventives et de mener des politiques cohérentes et coordonnées à l’échelle d’un état.
84 Concernant la recherche et ses applications, les universités doivent prendre leurs responsabilités : 1) en intégrant davantage l’évaluation des pratiques cliniques dans la formation de base des cliniciens ; 2) en organisant des formations continues dans ce domaine et 3) en mettant en place des structures d’appui régionales au service des réseaux de soin. Ces pôles d’appui sont susceptibles de rendre de multiples services. Outre la formation, ils peuvent : rechercher et adapter les instruments de mesure adaptés aux types de thérapie pratiqués, procéder aux traitements statistiques et/ou aux analyses de contenu des entretiens, encourager et soutenir les cliniciens dans un travail de communication de leurs travaux, faciliter la collecte, la synthèse et la diffusion des données et des résultats, etc. Afin de respecter les sensibilités épistémologiques des divers modèles thérapeutiques, il y a lieu de laisser une large liberté aux acteurs de terrain quant au choix des procédures et des instruments d’évaluation. Seule la rigueur constitue une contrainte incontournable.
85 La multiplication des différents types d’évaluation, notamment des études d’efficacité réelle combinée à des études de cas approfondies devrait aboutir à la construction d’une nouvelle base de connaissances précieuse et accessible à tous. Du fait de son caractère multi-sites, la collecte des données serait facilitée, autorisant de la sorte une plus grande généralisabilité des résultats. Inversement, la diffusion de ces résultats serait grandement améliorée. Enfin, ces études pourraient également s’appuyer sur des études d’efficacité potentielle, ce qui est indispensable puisque nous avons indiqué la complémentarité de ces approches.
Le rôle des pouvoirs publics
86 Par ailleurs, les pouvoirs publics devraient encourager les institutions à promouvoir ce type de partenariat. Cette action doit davantage reposer sur des incitations financières – par exemple accroître le financement – que sur une contrainte. On pourrait aussi assortir le maintien de l’accréditation et des financements à des exigences minimales en termes de formation continue et de recherche [10].
87 Outre le soutien aux structures d’appui que nous venons de décrire, il y a lieu de financer les études d’efficacité potentielle et les études de rendement. En effet, ces recherches exigent des moyens financiers et logistiques importants et la mobilisation d’équipes de recherche de haut niveau.
88 Par ailleurs, il faudra être vigilant quant aux choix des thèmes de recherche. En effet, ceux-ci peuvent mobiliser des enjeux sociétaux importants. Il en va ainsi de la problématique des assuétudes. Ces problématiques troublent l’ordre public. Elles ne connaissent pas de réponses pharmacologiques réellement efficaces et participent au sentiment d’insécurité. L’opinion publique pousse alors les pouvoirs publics à agir.
89 Il serait fâcheux que les thèmes de recherche soient ainsi uniquement gouvernés par des préoccupations éloignées des priorités objectives du champ clinique.
90 D’autres problématiques doivent retenir notre attention : dépression, aide à la jeunesse, etc. Dans les situations où il existe des réponses pharmacologiques et/ou des structures de prise en charge (hôpitaux psychiatriques, centres de santé mentale, etc.), les pouvoirs publics pourraient alors être enclins à moins financer des approches alternatives comme la psychothérapie. Ceci serait regrettable car l’efficacité de ces réponses est soit inconnue, soit contestée.
91 Nous espérons avoir encouragé les acteurs de la santé mentale à se mobiliser pour implémenter et évaluer la thérapie familiale, au profit des premiers intéressés : les usagers.
92 Il est essentiel que ces réformes se réalisent dans un climat de confiance et de respect, en tenant compte des sensibilités et des contraintes qui pèsent sur les épaules des cliniciens de terrain tout en visant « la meilleure recherche possible ».
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Mots-clés éditeurs : Efficacité potentielle, Evaluation des psychothérapies, Efficacité réelle
Mise en ligne 22/06/2009
https://doi.org/10.3917/tf.092.0147Notes
-
[1]
Docteur en psychologie ? Psychothérapeute familial ? Chargé de cours à l?Université de Mons-Hainaut, Service de Psychologie Clinique. Consultant au C.H.P. « Le Chêne aux Haies » de Mons (Belgique).
-
[2]
Histoire, géographie, archéologie.
-
[3]
Ce tournant peut être assez facilement daté puisque le passage du DSM II au DSM III le marque de façon frappante.
-
[4]
Situation qui a conduit à mettre les thérapies systémiques hors circuit de la législation en Allemagne.
-
[5]
Voir notre autre article dans ce même numéro.
-
[6]
Voir notre autre article dans ce même numéro.
-
[7]
Idée énoncée par Kiesler en 1971 (cité par Pinsof et Wynne, 2000).
-
[8]
Et des méta-analyses.
-
[9]
Ces outils ont été présentés par Robert Pauzé lors de la journée d’étude du 8 novembre organisée à Lausanne par la revue Thérapie Familiale – « La recherche et l’évaluation des interventions et des thérapies systémiques », dont ce numéro constitue les actes.
-
[10]
A ce propos, si la notion d’accréditation fait partie aujourd?hui des pratiques courantes en médecine, on peut déplorer que cela ne soit pas encore le cas en ce qui concerne les psychologues cliniciens, du moins en ce qui concerne la Belgique.