Notes
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Psychologue systémicienne indépendante.
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Si je tiens à ces remerciements, c’est que l’intérêt et le soutien de collègues estimés qui sont pour moi des « figures d’autorité », ont constitué une source de sécurité et d’encouragement pour poursuivre dans une voie de travail qui est restée relativement marginale en systémique. Ce sont là, je pense, de saines dépendances !
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Un système est un ensemble aux frontières repérables composé d’individus en interaction, évoluant dans le temps, organisé en fonction de l’environnement et des finalités.
1Les quelques réflexions que je vais développer concernant la dépendance et l’autonomie en milieu scolaire viennent d’années de collaboration avec les enseignants « sur le terrain » dans une perspective de résolution de problèmes ou de recherche de solutions, des années de formation et de supervision d’enseignants et de professionnels qui s’occupent d’enfants et d’adolescents en difficulté scolaire.
2Je souhaite d’abord remercier Guy Ausloos qui a donné la première impulsion à notre travail systémique en milieu scolaire lorsqu’il travaillait avec nous à Genève; mes collègues de Chapelle-aux-Champs à Bruxelles, de l’Adrets à Lyon et du Cerfasy à Neuchâtel et pour finir, ma collègue Chiara Curonici avec qui j’ai le privilège de penser et de travailler depuis de nombreuses années [2].
3Il y aurait beaucoup de choses à dire concernant la question de la dépendance et de l’autonomie en milieu scolaire. Les limites de cette présentation permettent d’évoquer brièvement quelques points essentiels.
4La pratique que nous avons développée en nous intéressant aux difficultés scolaires et à la collaboration avec les enseignants (Curonici, McCulloch, 1997; Curonici, Joliat, McCulloch, 2006) repose sur quatre bases théoriques complémentaires : d’abord la notion d’encadrement, modèle d’une très élégante simplicité développé par Elisabeth Fivaz et ses collaborateurs à Lausanne (Fivaz, et al., 1982), puis la première cybernétique, la cybernétique de 2e ordre (constructivisme) et pour finir, la définition du système et de son fonctionnement.
5Pouvoir nous appuyer sur ces quelques notions théoriques très simples nous a aidées à garder le cap et à ne pas nous perdre dans la complexité des difficultés rencontrées en milieu scolaire, à ne pas sombrer dans des situations graves, chroniques ou dramatiques, à garder notre fonction encadrante par rapport aux enseignants et autres professionnels impliqués avec qui nous avions à collaborer.
6Si je tiens à souligner ces quelques idées simples, c’est d’abord parce qu’elles sont utiles.
7C’est aussi parce que je pense que c’est précisément en nous appuyant sur quelques points de repère simples qu’on peut participer à réintroduire de la complexité dans des situations appauvries à force d’être problématiques.
8Pour finir, c’est parce qu’actuellement, dans le but de résoudre les nombreuses difficultésrencontrées à l’école, on invente souvent des mesures compliquées et coûteuses alors que l’expérience montre qu’on peut faire beaucoup avec peu.
9Voyons en quoi ces quelques notions théoriques peuvent nous être utiles pour comprendre et pour traiter la dépendance en milieu scolaire.
La fonction encadrante
10Pour dire très simplement, je pense que le facteur principal qui participe à la construction de la dépendance des élèves (enfants/adolescents), c’est la perte (momentanée ou chronique) de la fonction encadrante des adultes (des enseignants dans notre propos), fonction encadrante telle qu’elle est définie par Fivaz et collaborateurs (Fivaz, et al., 1982).
11Selon ce modèle, pour pouvoir assumer un encadrement fonctionnel, les adultes (les parents, les enseignants, et les thérapeutes) doivent occuper une position complémentaire haute, et faire preuve de deux compétences complémentaires : ils doivent pouvoir assurer, d’une part, une plus grande constance/stabilité dans le temps avec les personnes encadrées (enfants, élèves, patients) et, d’autre part, faire preuve d’une capacité d’ajustement et d’adaptation à ces mêmes personnes.
12La fonction de l’encadrement, selon Fivaz, est précisément de favoriser l’autonomie des personnes encadrées.
13Lorsqu’un enseignant, un groupe d’enseignants, un corps enseignant, ou encore l’institution scolaire perdent leur fonction encadrante, ils se trouvent définis par l’élève ou les élèves et sur-ajustent leur action à ceux-ci. Pour dire autrement la dimension « ajustement » est privilégiée au détriment de la dimension « constance/stabilité » de l’encadrement. L’enseignant, le corps enseignant perdent le cap de leurs objectifs, de leurs attentes et de leurs exigences.
14Dans la durée, ceci est très nocif pour l’évolution scolaire et personnelle des élèves. C’est anxiogène pour les élèves et épuisant pour les enseignants. C’est, je pense, une des sources principales de l’usure professionnelle des enseignants et une composante majeure dans la construction de l’échec scolaire de bon nombre d’élèves.
15Il arrive qu’un encadrement sur-ajusté de la part de l’enseignant soit suivi dans le temps par un encadrement rigide, une tentative, généralement peu fructueuse, de corriger la suradaptation précédente.
Deux catégories de dépendance
16Nous avons pu constater deux grandes catégories de dépendance qui sont construites à l’école.
17La première est la complémentarité dysfonctionnelle que nous avons appelée « paradoxe de l’aide », situation dans laquelle il se met en place une interaction répétitive entre un élève et un ou plusieurs enseignants (en même temps ou successivement), de rééducateurs ou de thérapeutes, interaction qu’on peut décrire schématiquement ainsi : plus l’élève manifeste de difficultés, d’inattention, d’incompétences… plus les adultes s’activent, pensent, font, proposent, expliquent, aident… et plus l’élève devient passif, plus ses difficultés persistent… Dans ces situations, l’enseignant perd le cap de ses exigences et de ses attentes pour l’élève et est, en quelque sorte, aspiré dans une sur-adaptation problématique à celui-ci. Ce mode interactionnel relativement répandu participe significativement à la construction de la dépendance et de l’échec scolaire. C’est un problème majeur dans notre contexte de travail au point où nous pouvons parler, dans certaines situations, de « paradoxe de l’aide institutionnel ».
18L’autre grande catégorie de dépendance en milieu scolaire est la lutte symétrique. Ce tableau est très problématique. Il se met parfois en place très tôt à l’école et, s’il n’est pas résolu rapidement, s’amplifie et finit fréquemment par l’exclusion des élèves concernés et leur placement dans des structures spécialisées, par la construction d’un échec scolaire parfois très important et pour finir, par une atteinte grave à leur estime d’eux-mêmes.
19Dans ce cas, l’interaction répétitive constatée est une « bataille » entre l’enseignant et un/plusieurs élèves qui s’opposent, refusent de travailler, dérangent la classe, présentent une variété de troubles de comportement… L’attention et l’énergie de l’enseignant sont focalisées sur le comportement de l’élève et engagées à le calmer et à le remettre au travail. Dans ces situations, on observe fréquemment que les apprentissages passent au deuxième plan, l’attention de l’enseignant étant détournée de la tâche scolaire et focalisée sur ce qui occupe le devant de la scène, soit le comportement de l’élève. L’enseignant se trouve réduit à réagir, à intervenir « après coup », ou pour dire autrement, à se faire définir par les comportements des élèves, et là encore, perd sa fonction encadrante.
20En travaillant avec les enseignants de l’école primaire, nous sommes souvent interpellées pour des difficultés où l’on voit se dessiner très clairement les débuts de la construction de la dépendance de l’élève sous l’une ou l’autre de ces deux formes. Il est utile de désamorcer ces interactions nocives le plus tôt possible, avant qu’elles ne deviennent l’unique mode interactionnel de l’élève avec l’école et avec l’apprentissage.
21Regarder la dépendance de cette façon c’est simplement faire appel à des notions théoriques de la première cybernétique – c’est repérer le fameux « toujours plus de la même chose » de Watzlawick, et al. (1972).
Facteurs qui font perdre la fonction encadrante
22Quels sont les facteurs qui contribuent à ce que l’enseignant perde sa fonction encadrante, qu’il entre dans une danse interactionnelle infructueuse avec l’élève ou les élèves ?
23Nous avons rencontré plusieurs catégories de facteurs systémiques qui parfois agissent en même temps.
24En voici quelques-uns :
La « construction de la réalité »
25 Un facteur majeur dans la perte de la fonction encadrante de l’enseignant est la logique linéaire. En effet, il règne à l’école et dans nos services psychologiques une solide logique linéaire qui consiste à penser que s’il y a un problème à l’école, la cause de celui-ci se trouve ailleurs (dans le fonctionnement psychique de l’enfant, dans sa famille, dans la société…) et que les solutions sont par conséquent à trouver essentiellement en-dehors de l’école. L’enseignant qui pense ainsi va se sentir impuissant à agir sur le problème de son élève. Ce sentiment d’impuissance deviendra un élément important dans l’amplification du problème.
26Un autre facteur agissant est la focalisation sur les problèmes.
27Cette focalisation est souvent accompagnée par une pensée psychologisante explicative et un intérêt pour les causes (passé), plus que pour les ressources et pour l’avenir. Nous constatons une tendance à expliquer les difficultés des élèves (un exemple de logique linéaire) ce qui revient souvent subtilement à les justifier. Justifier les difficultés des élèves, c’est une façon de leur donner raison, de les trouver normales. Si elles sont normales, l’enseignant n’est pas autorisé à y trouver des solutions, ce qui augmente son impuissance. Se centrer sur les causes et les problèmes fait perdre de vue les ressources de l’ici et maintenant et les objectifs que l’enseignant poursuit avec ses élèves. Là encore, il perd sa fonction encadrante et a tendance à « suivre le mouvement ».
La définition du système
28Si on regarde le phénomène de dépendance des élèves avec, en tête, une simple définition du système [3], on trouve d’autres facteurs qui y contribuent.
Frontière
29Si l’on s’arrête sur la notion de « frontière », l’on constate souvent que la frontière entre « dehors » et « dedans » n’est pas bien marquée. Les élèves entrent en classe souvent comme s’ils n’avaient pas vu qu’il y a une porte, un enseignant, un autre lieu, traînant avec eux des contentieux de la récréation, de la famille, de la rue… en somme, avec toute une série de préoccupations qui ne concernent pas l’école et la tâche à faire. Ce qu’on observe dans les situations problématiques, c’est que l’enseignant se fait déstabiliser d’emblée, en début d’année, en début de journée ou en début de cours, se trouve à essayer de gérer des questions qui appartiennent à d’autres contextes sur lesquels, bien souvent, il n’a aucune prise. Ainsi, il se détourne de sa tâche, perd de vue ses objectifs, perd sa fonction encadrante et passe le reste de l’année, de la journée, du cours, à « courir après les élèves » pour qu’ils se mettent au travail.
30Le manque de soin à l’accueil des élèves est une autre façon de « rater » les passages des élèves en début d’année, en début de journée ou en début de cours, alors que l’accueil, les premiers gestes/mots de la rencontre sont si importants pour créer des liens entre enseignants et élèves, pour favoriser un sentiment d’appartenance.
31Une frontière clairement marquée entre dehors et dedans, ainsi qu’une attention accordée à l’accueil des élèves aident à asseoir la position encadrante de l’enseignant et à installer un cadre sécurisant pour les élèves, pour l’enseignant, et en définitive, pour le travail à faire. Si les enseignantes de classes enfantines accordent beaucoup d’importance à la ritualisation des passages, dans la suite de la scolarité, ces notions se perdent ou s’émoussent. C’est bien dommage, car ces gestes simples, mais essentiels, donnent le ton à l’entrée à l’école/classe. Cela ne résout certainement pas tout par un coup de baguette magique, mais si le début est bon, si le contact entre enseignants et élèves est établi, la suite de la transmission et de l’appropriation des savoirs et des savoir-faire en sera facilitée.
Finalités
32Si, la plupart du temps, les enseignants sont très au clair sur la matière à enseigner, sur les modalités qu’ils vont utiliser, sur les buts à atteindre au fur et à mesure de l’année scolaire, sur leurs exigences, sur le rythme des évaluations… on observe fréquemment que cela n’est pas explicité clairement aux élèves. Le manque de « balises » claires, des balises anticipées et explicitées, puis respectées par l’enseignant, participe souvent à ce que celui-ci et ses élèves perdent le cap de leur tâche partagée, tant en terme de dynamisme qu’en termes de sens.
L’état d’organisation du système (agrégat ou système ?)
33R. Pauzé et L. Roy (Pauzé, Roy, 1987) ont eu le mérite de rappeler qu’un agrégat, c’est-à-dire une juxtaposition d’individus (telle qu’on peut la rencontrer dans une classe ou une école) n’est pas un système. Ils ont souligné que le faible état d’organisation d’un groupe (un groupe ressemblant plutôt à un agrégat qu’à un système) peu générer toute une série de symptômes, notamment des troubles de comportement, qu’on a tendance à attribuer aux individus ou à leur problématique personnelle ou familiale. A l’école, ce genre de manifestations a tendance à susciter, de la part des enseignants, des interventions constantes auprès des élèves, des réactions contrôlantes qui sont, en quelque sorte, « dictées » par les comportements de ceux-ci. Etre aspiré dans une interaction contrôlante est une autre façon de perdre la fonction encadrante, de faire persister la dépendance des personnes encadrées et, en même temps, de faire perdurer le faible état d’organisation du système (agrégat).
34Quel est l’intérêt de cette idée ? Un système classe/école (je parle ici des sous-systèmes élèves et des sous-systèmes enseignants) organisé de façon stable, fonction-nelle(c’est-à-dire, qui n’est plus à l’état d’agrégat) constitue un contenant qui apaise les troubles de comportement, qui en facilite leur résolution et qui soutient les apprentissages. Cette analyse des troubles de comportement a l’avantage d’être non-pathologisante et d’ouvrir à des moyens de travail utiles aux enseignants pour sortir de modes interactionnels infructueux avec leurs élèves.
35On utilise couramment le terme « corps enseignant » pour désigner un groupe d’enseignants dans une école. Il s’agit malheureusement, la plupart du temps, d’un corps bien morcelé, d’un agrégat plus que d’un système, chacun travaillant dans son coin. La force encadrante du corps enseignant dans les écoles est, par conséquent, souvent très maigre. Les équipes pédagogiques, des groupes de supervision ou d’intervision sont encore très rares. C’est regrettable, car penser ensemble est une mesure simple qui, lorsqu’elle est en place, est très porteuse pour encadrer les élèves.
36Voilà rapidement esquissés quelques points d’appui systémiques très utiles pour comprendre comment différentes formes de dépendance se mettent en place à l’école, comment elles persistent ou s’amplifient. Ces points de repère nous aident à trouver des solutions à ces problématiques en collaboration avec les enseignants.
Soutenir la fonction encadrante de l’enseignant
37L’utilisation que nous ferons de ces notions dépend évidemment de notre mandat professionnel, de la place que nous occupons par rapport à l’école et des difficultés scolaires des élèves.
38Je vais passer en revue rapidement quelques moyens que nous avons pu expérimenter en tant que psychologues en collaborant directement avec les enseignants, en assumant une fonction encadrante auprès d’eux pour coconstruire un nouveau regard sur la situation qui leur pose problème.
39Notre but général dans ces collaborations est de comprendre les difficultés rencontrées par les enseignants dans leur classe et de chercher avec eux des solutions réalisables avec leurs moyens d’enseignants. Ce faisant, nous cherchons à soutenir/rétablir leur fonction encadrante mise à mal par la situation qui les préoccupe.
Comment faire ?
40Tout d’abord, nous renoncerons nous-mêmes à la logique linéaire qui consiste à penser que les causes des difficultés scolaires se trouvent essentiellement en-dehors de l’école, pour nous intéresser à ce qui se passe à l’école et en classe.
41Nous préférerons une pensée « et-et » par laquelle nous chercherons à clairement différencier ce qui appartient au contexte scolaire de ce qui relève d’un contexte de consultation ou d’une intervention éducative ou sociale.
42Nous inviterons l’enseignant en difficulté avec une classe ou avec un élève à déplacer son regard des supposées « causes extérieures » pour le remettre sur sa classe :
- pour voir ce qui s’y passe précisément, pour voir ce qui pose problème mais aussi ce qui fonctionne bien;
- pour se pencher sur ce qu’il a réussi, sur les moyens qu’il a mis en place pour faire progresser ses élèves;
- pour mettre en évidence ses objectifs et ses attentes d’enseignant;
- pour voir comment il explicite ses objectifs, ses exigences, ses modalités de travail, et comment il « garde le cap »;
- pour dégager le changement qu’il juge important, de son point de vue d’enseignant, pour que l’élève ou les élèves en question progressent au mieux…
43Nous chercherons à repérer, puis à nommer les redondances interactionnelles problématiques (complémentarité dysfonctionnelle et lutte symétrique) qui font que l’enseignant perd sa fonction encadrante. Le fait de nommer le « toujours plus de la même chose » fonctionne souvent comme un recadrage qui donne une nouvelle perspective sur la situation. L’expérience montre que ces recadrages sont particulièrement parlants et puissants pour les enseignants et ouvrent souvent à des changements significatifs.
44Dans les situations de turbulence généralisée ou de troubles de comportement, on s’intéressera à la manière dont l’enseignant marque les passages entre dehors et dedans, comment il « ritualise » le début de la journée, du cours, comment les élèves entrent en classe, comment il les accueille… c’est-à-dire, comment il se met en position encadrante pour créer un contexte de sécurité pour ses élèves, pour lui et pour le travail à accomplir.
45Dans ces mêmes situations, on s’intéressera à l’état d’organisation du système classe en se demandant comment favoriser la constitution d’un système ou des sous-systèmes stables, comment soutenir la coopération et la solidarité. Des groupes de travail, des projets, des systèmes de parrainage, de tutorat, des conseils de classe et d’école sont toutes des mesures simples (ce qui ne veut pas dire qu’elles sont faciles à mettre en place) que l’intervenant peut avoir à l’esprit et suggérer à l’enseignant si cela s’avère pertinent. Mené de façon adéquate, ce genre de mesure favorise la constitution de systèmes classe/école plus sains et fonctionnels, et la création d’un contenant qui tend à réduire les troubles de comportement et à soutenir les apprentissages.
46Dans le même ordre d’idée, on pourra aussi s’intéresser à l’état d’organisation du système enseignants, comment les enseignants collaborent entre eux, et avec la direction, pour résoudre les problèmes qu’ils rencontrent avec les élèves.
47Voilà, très rapidement esquissées, quelques pistes de travail possibles pour soutenir la fonction encadrante des enseignants.
« Empowerment »
48Il y a en anglais un mot très utile pour nous qui ne se traduit pas de façon directe en français, c’est le mot « empowerment ». La meilleure traduction que je connais est « le fait de créer le sentiment d’être capable de… »
49Créer les conditions pour que les enseignants retrouvent leur fonction encadrante c’est leur permettre en quelque sorte de « fermer la porte » de leur classe, non pas dans le sens d’un repli défensif mais d’une façon protectrice et de se dire « Je suis capable de faire progresser mes élèves; je suis capable d’aider un tel à sortir de son échec scolaire, d’aider un autre à renoncer à ses stratégies d’évitement pour réinvestir ses apprentissages. J’ai mes moyens d’enseignant ». Ce mouvement s’accompagne la plupart du temps d’un regard soutenant et encourageant de la part de l’enseignant sur ses élèves, regard essentiel pour leur évolution scolaire.
50Pour beaucoup d’élèves, pour ceux qui sont pris dans une grande dépendance scolaire sous une forme ou une autre, c’est précisément ce type de positionnement de la part de leurs enseignants qui va les aider à sortir de leur échec, de leur apathie ou de leur révolte par rapport à l’école et à commencer à mettre leur énergie dans leur réussite au lieu de la perdre dans une danse interactionnelle nocive avec l’école et les enseignants. C’est l’apparent paradoxe de l’autonomie : pour pouvoir s’autonomiser, les enfants et les adolescents ont besoin de pouvoir compter sur une présence forte, stable, positive, engagée et non intrusive de la part des adultes significatifs qui les entourent.
51Si beaucoup d’enseignants (sans parler des directions d’école) peinent à assumer clairement une fonction encadrante ou ne croient pas en avoir les moyens, nous constatons que lorsqu’ils perçoivent la nécessité absolue de cette fonction pour l’évolution des élèves, lorsqu’ils en voient le sens et qu’ils en trouvent (ou retrouvent) les moyens, ils reprennent volontiers leur place centrale auprès des élèves. C’est très bénéfique pour tous, autant pour les enseignants que pour les élèves.
52« Fermer la porte » n’exclut aucunement la collaboration avec les parents, avec d’autres enseignants, ou avec des « spécialistes », au contraire. Dans mon expérience, les enseignants qui assument pleinement leur fonction encadrante dans leur classe portent généralement un regard positif sur les parents (ce n’est pas de leur « faute » si leur enfant est en difficulté) et savent engager une collaboration dynamique avec eux et avec les « spécialistes » lorsque cela s’avère utile.
53Pour finir, j’aimerais citer Virginia Satir qui a dit, il y a bien longtemps (Satir, 1984): « La thérapie familiale est simple, mais elle n’est pas facile ». En prenant à mon compte ces quelques mots, je dirais que penser la dépendance en milieu scolaire en termes systémiques est relativement simple. Agir le changement pour soutenir l’autonomie des élèves n’est pas une tâche facile.
- Cela demande de réviser des convictions installées, de différencier la souffrance scolaire qui appartient tout d’abord au contexte de l’école, de la souffrance personnelle, familiale ou sociale qui appartient à d’autres contextes.
- Cela suppose de penser en termes et-et et non en termes de cause-effet.
- Cela suppose que nous apprenions à mieux collaborer avec les enseignants.
- Cela demande aussi que nous acceptions d’assumer une position encadrante claire lorsque nous répondons aux demandes d’aide des enseignants, que nous sachions offrir un cadre de travail qui balise, qui structure et qui organise la réflexion et l’action. Oser prendre clairement cette responsabilité peut contribuer significativement à clarifier et à améliorer des situations scolaires difficiles et complexes pour lesquelles nous sommes interpellés. En somme, prendre cette responsabilité revient à « pratiquer ce qu’on prêche ».
55Une fois que nous sommes convaincus que l’école peut être ou redevenir un lieu de santé pour les élèves en difficulté, quelles que soient leurs souffrances personnelle, familiale ou sociale, il faut de notre part, et d’autant plus de la part de l’enseignant, une bonne dose de détermination, de patience et de fantaisie pour garder le cap, pour tenir la fonction encadrante, pour soutenir la lente et progressive prise d’autonomie des élèves. Ce n’est pas facile, mais cela en vaut largement la peine.
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
- 1. Curonici C., Joliat F., McCulloch P. (2006): Des difficultés scolaires aux ressources de l’école. Un modèle de consultation systémique pour psychologues et enseignants, Bruxelles, De Boeck.
- 2. Curonici C., McCulloch P. (1997): Psychologues et enseignants. Regards systémiques sur les difficultés scolaires, Bruxelles, De Boeck.
- 3. Fivaz E., Fivaz R., Kaufmann L. (1982): Encadrement du développement, le point de vue systémique, Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, 4-5,63-74.
- 4. Pauzé R., Roy L. (1987): Agrégat ou système : indices d’analyse, Traces de faire, 4,41-57.
- 5. Satir V. (1984): Virginia Satir’s International Symposium, Institut de Thérapie Familiale et Pathologie de la Communication, Monte Carlo.
- 6. Watzlawick P., Beavin J.H., Jackson J.J. (1972): Une logique de la communication, Seuil, Paris.
Notes
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[1]
Psychologue systémicienne indépendante.
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[2]
Si je tiens à ces remerciements, c’est que l’intérêt et le soutien de collègues estimés qui sont pour moi des « figures d’autorité », ont constitué une source de sécurité et d’encouragement pour poursuivre dans une voie de travail qui est restée relativement marginale en systémique. Ce sont là, je pense, de saines dépendances !
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[3]
Un système est un ensemble aux frontières repérables composé d’individus en interaction, évoluant dans le temps, organisé en fonction de l’environnement et des finalités.