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Article de revue

Violence intrafamiliale ordinaire, une clinique systémique de l'individu

Pages 275 à 287

Violence « privée », violence « publique »

1La violence occupe plus l’actualité sociale et politique que l’actualité clinique psychiatrique. Elle reste cachée derrière les symptômes de la souffrance psychique qui envahissent les consultations individuelles et familiales : passages à l’acte, troubles des comportements et des conduites, états dépressifs récurrents ou chro~niques.

2Les pathologies mentales, lorsqu’elles existent, sont amplifiées par les situations de violence.

3Les difficultés des adolescents et des enfants (de plus en plus jeunes) confrontent les adultes et parmi eux les consultants de psychiatrie infanto-juvénile, aux vio~lences familiales et à la violence du monde et de la société où nous vivons.

4Bien sûr les violences « privées » dans les familles et les violences « publiques » dans la rue ont toujours existé. Elles façonnent « naturellement » les caractères humains. Tellement naturellement que les questions de l’effet de la violence sur les personnes et de ses rapports avec la souffrance psychique sont peu étudiées sur un plan psychopathologique.

5La prise de conscience de toutes les formes de violence est progressive. Le har~cèlement sexuel, le harcèlement moral, sont par exemple des « découvertes » récentes.

6Cette progressivité de la prise de conscience des situations publiques et privées de violence peut être rapportée à des facteurs sociaux, comme la tolérance de faits violents connus depuis longtemps, dont les populations victimes étaient moins pro~tégées par les pouvoirs publics, ou bien, plus sous la tutelle de pouvoirs privés comme ceux de la famille (femmes, enfants). Elle concerne les effets destructeurs des formes les plus extrêmes de cette violence (9), et aboutit à un traitement avant tout judiciaire et social des situations.

7Parmi les formes extrêmes de violence familiale, les maltraitances graves, les abus sexuels, les violences conjugales, ont d’abord été reconnus, puis ensuite répri~més. Ceci à une époque récente. Ces violences existent pourtant depuis toujours, mais elles n’étaient pas considérées auparavant comme (socialement) intolérables.

8Le traitement de telles situations reste précaire. Il accompagne le plus souvent les traitements social et judiciaire et il ne peut pas suffire seul, ou bien avec le risque de perpétuer la violence (question du signalement ou de la compromission).

9Un traitement préventif des violences extrêmes passerait par la reconnaissance des situations plus banales de la violence intrafamiliale, celles que j’appellerais de la violence « ordinaire ». Mais la prise de conscience de cette violence ordinaire ne va pas de soi.

Violence intrafamiliale : violence extrême et violence ordinaire

10Si des facteurs comme l’évolution morale et politique des sociétés peuvent expliquer la prise de conscience progressive de certaines formes extrêmes de vio~lence (viols, maltraitances subies par les enfants), il existe aussi des facteurs psy~chologiques individuels qui rendent cette prise de conscience difficile voire douloureuse.

11Derrière les représentations classiques de la violence comme la brutalité et la destruction, se cachent d’autres réalités telles la souffrance et la peur.

12La violence implique une relation entre un agresseur et une victime mais en l’absence d’expression de ses affects par la victime, et si les conduites de l’agres~seur restent masquées, d’une authentique relation violente n’émergent que le « stress » ou l’angoisse de la victime. Cela peut être le cas de situations perverses où l’agresseur contrôle la violence qu’il exerce sur sa victime, et en tire des bénéfices personnels (jouissance de pervers, ou harcèlement professionnel pour éviter une procédure de licenciement par exemple).

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C’est plus généralement le cas des situations banales d’une violence ordinaire, où agresseur et victime sont liés dans une relation violente et réciproque d’emprise. Dans certains cas la relation violente peut être symétrique. Mais la réciprocité de la relation violente n’implique pas toujours la symétrie et l’égalité des responsabilités, quand, même dans une situation de violence ordinaire, il existe une hiérarchie des niveaux de souffrance et des pouvoirs de modifier la relation violente (violence d’un adulte sur un enfant, violence physique d’un homme sur une femme).

14Il s’agit alors derrière les symptômes cliniques provoqués par le stress et l’angoisse, d’identifier la relation violente ordinaire entre les différents protago~nistes, les niveaux de souffrance relatifs des uns par rapport aux autres, condition~nant les responsabilités qui en découlent, et les possibilités d’engagement dans un processus relationnel de changement de la situation violente comme dans les situa~tions de violence extrême.

15Les processus relationnels observés dans les situations extrêmes de violence familiale aident à prendre conscience que l’amour et l’attachement n’excluent pas la violence, même si bien sûr, la violence finit par détruire les liens affectifs.

16Un abuseur intrafamilial est toujours violent. S’il est pédophile, la violence est un moyen pour obtenir une satisfaction en dehors de tout sentiment d’attachement. Si l’abuseur n’est pas dans une relation pédophile, l’abus est une manifestation extrême de la relation violente qui existait avant le passage à l’acte, sous une forme jusque là ordinaire, malgré des liens d’attachement authentiques.

17L’abord trigénérationnel des relations violentes dans la famille permet d’ouvrir la voie pour une prise de conscience des mécanismes psychopathologiques de trans~mission de la violence (5), et pour tenter de prévenir sa répétition transgénération~nelle (3). En effet les relations violentes intrafamiliales s’inscrivent toujours dans une continuité chronologique et se reproduisent génération après génération avec des variations dans leur forme.

18Il est étonnant de constater, d’un côté l’évidence de relations familiales vio~lentes, la reconnaissance facile de peurs réciproques provoquées par des comporte~ments agressifs, exercés depuis longtemps et de manière répétitive, et d’un autre côté l’aveuglement des acteurs de cette violence; chacun se considère plus comme la victime de l’autre, mais d’un autre qui, même s’il fait peur, s’il provoque souf~france et symptômes, n’est pas reconnu comme violent. Comme s’il était trop dou~loureusement concevable d’être la victime, d’avoir peur de quelqu’un à qui on est attaché.

19Il est difficile pour quelqu’un d’ordinairement violent de prendre conscience de la peur qu’il provoque chez un proche. Comme s’il était trop douloureusement concevable d’être violent, c’est-à-dire de faire peur et de causer une souffrance psy~chique à quelqu’un à qui on est attaché.

20Pour les familiers de l’œuvre de René Girard, le « patient désigné » porteur des symptômes évoque irrésistiblement le « bouc émissaire » qui exorcise la violence de sa communauté familiale. Il est acteur autant que victime de sa « bouc~émissarisa~tion », assumant parfois son fardeau par amour dans une relation sacrificielle (7).

21Le tiers observateur de la relation violente ordinaire est lui-même aveugle à la violence cachée derrière les symptômes de la souffrance psychique, comme s’il était trop douloureusement concevable qu’une relation violente puisse détruire deux êtres réellement attachés l’un à l’autre et parce que cette violence est associée aux manifestations familiales authentiques de l’amour et de l’affection.

Qui a peur de Virginia Woolf ?

22Cette pièce de théâtre d’Edward Albee (1) est familière aux systémiciens depuis qu’elle a illustré les concepts d’interaction dans un système ouvert et de méta~commu~nication dans le livre de Watzlawick, Helmick Beavin, et Jackson (10), paru en 1967.

23Elle peut illustrer aussi les communications paradoxales en double contrainte(8) des comportements contradictoires d’agressivité et d’attachement dans les « rela~tions violentes ordinaires ».

24Dans « Qui a peur de Virginia Woolf ?», la violence des relations ne fait aucun doute.

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Georges et Martha son épouse, se livrent avec leurs « invités » Nick et Honey à un jeu de massacre verbal et comportemental, dont personne ne sort indemne. Pendant toute la durée de la pièce, une fin de soirée trop arrosée, la crainte d’un passage à l’acte, crainte entretenue par la cruauté et la crudité des propos et des conduites, crée un climat oppres~sant. Finalement, les deux couples, échantillons de la bourgeoisie moyenne de « New-Carthage », garderont le contrôle d’une situation, qui ne finira ni à l’hôpital, ni chez la police. Pourtant les alertes auront été chaudes : Martha flirtera surtout avec le coma alcoolique, Georges avec la violence conjugale, Honey avec la crise d’hystérie et Nick manquera de peu d’agresser physiquement ou d’outrager la pudeur de ses hôtes.
Le père de Martha, personnage despotique, président de l’université, absent physi~quement de la pièce, impose à sa fille et à son gendre de recevoir tard dans la nuit, Nick un collègue professeur de Georges, et son épouse Honey. Ce jeune couple est aussi peu enthousiaste que ses hôtes à la perspective de cette fin de soirée imposée. La crainte qu’inspire le père de Martha interdit tout refus aux quatre personnages pré~sents. Ils préfèreront courir ensemble le risque de leur agressivité réciproque, liée à la fatigue, la frustration, l’alcool, plutôt que le risque d’un conflit avec leur président.
De même, la crainte entretenue par les comportements agressifs de Martha, Georges puis Nick, crée une tension entre tous les personnages, tension qui se communique au spectateur.
La crainte apparaît avec toutes ses nuances dans les notes de l’auteur pour accompa~gner le jeu des acteurs : « petit rire nerveux, silence lourd, dangereusement calme, rire embarrassé, sur la défensive, gloussement nerveux, tendu, implorant, franchement nerveux, qui sent le danger, d’une voix légèrement tremblante, moins assurée, qui prend peur, suppliant soudain, toute pâle, tremblant doucement, méfiant, toujours sur ses gardes, apeurée, terrifiée, un peu effrayée »…
Honey, la femme de Nick, est le personnage le moins agressif. Elle est la seule lorsque sa crainte devient de la peur, à l’exprimer ouvertement et verbalement. Elle le fait à deux moments de la pièce : au milieu de l’acte I (l’échauffement), lorsque la jeune femme croit que Georges va abattre sa femme, et à la fin de l’acte II (la nuit de Walpur~gis), lorsque Georges dévoile la peur de Honey de la grossesse et de l’enfantement.
Agressivité et crainte s’entretiennent réciproquement en boucle. Mais la crainte dis~paraît brutalement, après que Georges a décidé de « tuer » le fils imaginaire. Succè~dent aux expressions de la peur celles de l’attachement, en une chute déconcertante dans les dernières minutes de la pièce. Les notes d’Albee pour le jeu des personnages de Martha et Georges sont alors : « tendrement, les yeux pleins de larmes, doucement, en étroite communion avec lui, …tout ce qui suit est fait doucement, très lente~ment…, après un long silence, posant gentiment sa main sur l’épaule de Martha… ».
L’attachement de Martha et Georges était masqué derrière l’agressivité pendant toute leur joute verbale, et il n’apparaissait ou se laissait deviner que par des signes discrets de connivence : « avec une joie enfantine, chantonnant, ils rient tous les deux, avec une voix d’enfant, amusée, jouant le jeu, joyeusement (après la pseudo tentative de meurtre de Georges sur Martha), riant malgré elle, riant vraiment amusée », sont les indications d’Albee pour ponctuer le jeu du couple au milieu des répliques cinglantes.

26Ce très « Girardien » sacrifice du fils imaginaire évoque la question du choix de la victime comme bouc-émissaire pour contenir la violence. Inventer la mort d’un fils imaginaire est le seul moyen qu’a trouvé Georges pour interrompre le jeu cruel et toujours plus violent, entretenu par l’agressivité et la crainte, (ne pas perdre la face), et pour permettre l’expression commune à Martha et Georges de leur attache~ment réciproque. L’aveuglement de Nick et Honey, les tiers dans la relation violente du couple Martha-Georges, leur incapacité à intervenir et à interrompre l’escalade des provocations et des menaces, a conduit « les parents » à sacrifier leur « enfant », comme si seules une grande douleur et une grande culpabilité supportées ensemble pouvaient les réunir et sauvegarder la relation de Georges et Martha.

27Au début de la pièce, leur histoire était celle du couple pas très sympathique mais fascinant « qui a déçu les hautes espérances de papa », pour devenir à la fin de la pièce l’histoire plus émouvante du couple « qui a perdu son enfant » (ou qui ne peut pas avoir d’enfant ?), comme si cette seconde histoire était pour eux (et pour nous) moins douloureuse, plus supportable à vivre, que l’histoire de l’échec et de la déception; comme si la crainte de décevoir (de perdre ?) un parent (un père) était dans cette pièce, plus forte que celle de perdre (de décevoir, de ne pas avoir ?) un enfant (un fils).

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L’aveuglement des tiers dans la relation violente ordinaire, et son rôle néfaste dans la perpétuation de la violence, peut être compris comme résultant d’un effet de contamination : Nick et Honey ne s’opposent pas à Martha et Georges parce qu’ils les voient plus comme les acteurs de leur violence réciproque et comme des agresseurs pour les autres, que comme les victimes d’une relation qui pourrait les détruire.

29Nick et Honey (encore que Honey soit pleine de compassion au risque de passer pour une idiote) sont envahis à leur tour par la crainte, le dégoût, et deviennent à leur tour (Honey moins que Nick), agressifs. Pour eux, (pour nous), Martha et Georges se livrent à une comédie, ils inventent un fils imaginaire. Ils se moquent de leurs invités et se livrent à leur jeu cruel, alors pourquoi les considérer en plus comme des victimes ?

30Nous pouvons tous être, suivant notre degré d’agressivité, des Honey ou des Nick, devant les Martha et Georges.

31La relation violente est transgénérationnelle suivant le même effet de contami~nation.

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Le rôle du père de Martha l’inscrit lui aussi dans une relation violente qui engendre la crainte chez sa fille et son gendre. Martha n’ose pas s’opposer à son père, même lorsqu’il humilie son mari, et elle se laisse contaminer à son tour par la violence de son père en retournant cette violence contre Georges : c’est le souvenir d’un combat de boxe évoqué scène I, où Georges ne peut pas se battre contre son beau-père et où sous l’effet de sa honte Martha le met K.O.
Pour ce qui concerne l’histoire familiale de Georges, ce serait l’histoire d’un fils respon~sable de la mort de ses parents, puis à l’acte III, celle d’un père qui sacrifie son fils…

Contes de la violence ordinaire

33Ce sont les histoires qui se racontent dans les centres de consultations médico~psychologiques infanto-juvéniles, et les centres de consultations familiales, au cours d’entretiens ordinaires.

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Steven a 11 ans et il est un peu trop enrobé. Son père l’accompagne. Les parents sont séparés depuis 6 mois. La consultation a été demandée par le conseiller d’éducation (le surveillant général) du collège, où Steven est scolarisé en 6e : Steven est brutal avec ses camarades et surtout, il répond aux professeurs, il en a insulté un il y a quelques semaines. Sa mère ne peut plus le supporter et elle l’a remis au père. Elle garde avec elle Lara, 4 ans, la sœur de Steven. Elle n’a pas pu venir à la consultation parce qu’elle travaille, ce qui n’est pas le cas du papa qui est en invalidité. Pour son père, Steven n’a pas de réel problème, son fils est nerveux comme lui, qui a de bonnes raisons de se méfier des psychiatres, il en a vus de (trop) près durant de précédentes hospitalisations. Père et fils sont donc très nerveux, il ne faut pas les chercher. Ça ne posait pas tant de problèmes du temps du père, parce qu’à l’époque, « il y avait plus d’autorité ».
Steven, seul, explique qu’il se met facilement en colère, surtout quand sa mère le gronde et le traite de « gros con » (comme son père). Parfois, ça le fait pleurer. Il n’aime pas être traité par sa mère de gros (con ça pourrait passer). Il a surtout peur que sa mère ne l’aime plus (elle n’aime plus papa). Il sait qu’il a 10 kg de trop. Alors il s’énerve, il la menace et il a peur de la taper. Elle, elle le tape, mais pas beaucoup;
elle ne lui fait pas peur dans ces moments-là, elle le met plutôt en colère. Son père le tape moins que sa mère mais il lui fait peur quand il se met en colère; Steven ne sait pas pourquoi, peut-être parce que si son père se mettait trop en colère, contrairement à sa mère, il ne saurait pas s’arrêter, alors Steven préfère ne pas prendre le risque de trop le contrarier. C’est vrai que Steven menace ses copains et des professeurs, pour leur faire peur, pour qu’ils le laissent tranquille et ne le traitent pas de gros.
Son père est d’accord avec ce que dit Steven à propos des menaces et des coups. Il se trouve bien moins sévère que son propre père. Il souhaite continuer de s’occuper de son fils avec l’accord de l’enfant et celui de la mère. Au bout de 2 mois les provoca~tions de Steven au collège ont cessé. Les parents sont tombés d’accord pour partager le droit de garde. Le père a accepté un traitement sédatif pour l’enfant. Ce traitement s’est révélé complètement inefficace ou en tout cas beaucoup moins qu’un autre trai~tement homéopathique prescrit à l’initiative du père. Steven voit sa mère qui habite à côté du domicile du père tous les week-ends et reste chez le père en semaine. Steven a décidé de faire un régime, c’est une des raisons du refus du premier traitement. Le père est très maigre. La mère n’a pas voulu ou pu venir à la consultation…
Jordan a 13 ans, et en fait 9. Il est en 6e SEGPA (Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté). Il est le troisième d’une fratrie de cinq et il a été placé avec son frère et sa sœur aînés à l’âge de 5 ans. Les deux derniers de la fratrie, une fille et un garçon, sont placés dans une autre famille d’accueil. Jordan est donc le plus jeune des trois placés dans sa famille d’accueil. La demande de consultation vient aussi du collège, pour les mêmes motifs que Steven. Jordan est accompagné par Jean-Pierre, son « père d’accueil » auquel il est très attaché. En plus de ses provocations, Jordan fait peur aux autres en « s’automutilant ». En fait il se griffe le visage ou se coupe avec la pointe d’un compas ou des ciseaux. Jean-Pierre explique que Jordan a été placé de 2 à 5 ans dans une première famille d’accueil, dont il a été retiré pour des soupçons de maltraitance et d’abus sexuels. Jordan n’a pas de trouble du comportement sexuel. Il voit ses parents naturels chez eux, théoriquement toutes les deux semaines, sans hébergement ni accompagnement. Il est peu attaché à la femme de Jean-Pierre, il réclame sa mère, et il est aussi très en colère contre elle parce qu’elle annule souvent des visites prévues. Il a peur qu’elle ne l’aime plus parce qu’il est en famille d’accueil. Il est peu attaché à son père naturel qui vit toujours avec la mère. Jordan a peur aussi quand ses parents se disputent, s’insultent et se tapent, et il a encore plus peur quand sa mère menace de se suicider. Jean-Pierre se fait aussi du souci pour Mélanie, la sœur de Jordan parce qu’elle est souvent énervée et en conflit avec ses deux frères, mais il n’y a pas eu de demande de consultation pour elle dans la mesure où elle ne s’oppose pas et a un bon comportement en classe. Jordan au contraire ne pose pas de problème à sa famille d’accueil.
Mélanie, âgée de 15 ans, accepte avec des réticences de venir à la consultation avec Jordan. Elle convient que les relations avec ses frères sont très dures. Elle aussi est très en colère contre sa mère qui « fait des différences » entre ses frères et elle. Méla~nie pense qu’elle fait exprès pour la punir d’avoir dénoncé des comportements vio~lents contre les enfants et les disputes conjugales. Mélanie pense que sa mère ne l’aime pas, ou pas beaucoup, mais elle n’est pas sûre. Elle a peur en plus que ses frères la rejettent et la rendent responsable des annulations des visites de leur mère ou de leur placement. Elle a peur que Jordan lui en veuille parce que lorsqu’elle veut le consoler quand il est triste, il la repousse ou lui donne un coup de pied.
Jordan répond à Mélanie qu’il l’aime quand même.
Jean-Pierre aimerait bien que Jordan accepte de venir plus régulièrement en consulta~tion, même si le comportement à l’école s’est amélioré, pour qu’il parle de son passé. Mais Jordan ne veut pas.
Adrien a 4 ans. Sa maîtresse de petite section de maternelle a demandé à sa mère qu’il soit vu en consultation parce que le comportement de l’enfant l’inquiète : il ne tolère aucune contrainte et fait de violentes crises d’opposition. Ses parents sont sépa~rés depuis 3 ans. Il voit son père très épisodiquement. Brigitte sa mère, vit avec un nouveau compagnon, Jean-Paul depuis plus d’un an. Celui-ci et la maman ont été vus par le médecin scolaire après qu’une marque sur la joue de l’enfant ait attiré l’atten~tion de la maîtresse.
Jean-Paul est outré d’être soupçonné d’avoir giflé le fils de son amie sans non plus démentir formellement. C’est finalement Brigitte qui se dénoncera, Adrien n’ayant jamais rien dit. Elle explique qu’Adrien s’oppose à elle de plus en plus violemment.
Elle est en situation précaire, ce qui ne se voit jamais ni dans sa présentation, ni dans celle de son fils. Elle lutte contre la dépression. Jean-Paul est violent mais il n’a jamais levé la main sur elle ou sur Adrien malgré les provocations de l’enfant. S’il le faisait, elle deviendrait elle-même très violente, et physiquement. Quand Jean-Paul sent qu’il va exploser, il s’enfuit et passe sa colère sur des objets. Il a ainsi endom~magé une voiture en stationnement, ce qui lui a causé des ennuis. Peu de temps avant l’épisode de la gifle, il a passé, de rage, son bras à travers un carreau. Adrien explique qu’il a très peur quand Jean-Paul se met en colère. Il n’a pas peur des fessées de maman même si des fois cela fait mal, et il ne pleure pas, mais il a peur quand elle est en colère et qu’elle fait la grimace et il me le montre en déformant son visage.
Philippe a 16 ans, il est en troisième et il inquiète beaucoup ses parents en ne tra~vaillant pas et en cultivant des mauvaises fréquentations. L’inquiétude a été à son comble quand, dans un accès de colère, Philippe a lacéré avec un cutter le blouson d’un camarade au cours d’une dispute au collège. Sylvie, la maman a d’abord caché la triste réalité à Didier le papa, qui bien sûr a quand même découvert le pot aux roses après son retour d’un voyage professionnel, quand le père de la victime lui a réclamé le prix du blouson, avant que Sylvie ait pu résoudre le problème à l’amiable et en cachette de son mari.
La famille demande une thérapie. Michel, le fils cadet de 12 ans instigue beaucoup Philippe contre les parents. Il dévoile aussi la violence de Didier contre le fils aîné, les bêtises ou l’opposition de Philippe déclenchant des représailles punitives de plus en plus violentes. Didier pense qu’il est le problème même lorsque Michel, décidément d’une grande aide derrière une apparence niaise ou « je m’en foutiste », explique que Sylvie exaspère tout le monde (et particulièrement le père) par ses cris et ses récrimi~nations. Affronter leur mère, les garçons appellent ça « passer à la guillotine ». Dans un premier temps, le dévoilement de cette violence du père a un effet apaisant sur la violence du fils : Philippe se remet à travailler et les problèmes de comportement régressent. Didier se met de plus en plus en avant, fait des rapprochements avec son histoire familiale, la violence de son propre père et son sentiment d’abandon de sa mère. Il était très attaché au père de Sylvie, et il a fait une dépression après son décès.
Mais dans un deuxième temps, Sylvie développe une clinique dépressive, et sa souf~france semble entretenir autour d’elle la protection du reste de la famille qui se satis~fait bien d’une « bouc-émissairisation » du père comme principal fautif.
Un travail douloureux pour la maman fait apparaître la violence de son père contre Antoine le frère aîné de Sylvie, violence à laquelle toute la famille maternelle était restée aveugle : Antoine se rebellait contre un père dont l’autorité se manifestait par la tonte parce qu’il voulait porter les cheveux longs (les années soixante-dix), punition à laquelle Antoine répondait par un défi, marcher toute la journée pied nus dans les Corbières, et Sylvie évoque rétrospectivement avec angoisse et culpabilité la vision des pieds ensanglantés de son frère et le silence familial. Les relations entre Philippe et Didier reproduisent pour Sylvie celle d’Antoine et de son père. Sylvie ne peut pas se rappeler les réactions de sa mère face à cette violence. Elle ne peut pas se représen~ter sa propre réaction face à la violence entre son mari et son fils ni se représenter les relations violentes de son père avec elle. Sylvie n’a pas pu faire le deuil de son père :
« quand il était en train de mourir j’étais la seule à ne me rendre compte de rien, et quand il est mort, je n’ai pas eu le temps de me déprimer ».
Jean-Yann, comme son prénom ne l’indique pas, est un garçon de 9 ans dont les parents sont anglais vivant en France. Ils se sont séparés quand l’enfant avait trois ans. Le père, officier de marine marchande, a d’abord laissé la garde de leur fils à la mère. Il récupère Jean-Yann quelques mois après, en accord avec la mère, et stigma~tise les carences et la violence maternelles. Il rend la garde un an après, lorsqu’il reprend son métier de marin. Jean-Yann a donc vécu avec la mère et son nouveau compagnon. Ils ont un fils Harold, âgé de cinq ans.
Durant l’été 2001, alors que sa mère s’est séparée du père d’Harold et s’est mise en ménage avec un nouveau compagnon, Jean-Yann est mis à la porte de la maison et confié à Anita, une récente compagne de son père. C’est alors que je fais connais~sance de l’enfant, accompagné de sa nouvelle belle-mère, avec une lettre faxée de Singapour, où se trouve le père. Jean-Yann réclamait depuis longtemps à rester chez son père, écrit celui-ci, et il a très peur d’être récupéré par sa mère qui en a toujours la garde et dont les intentions ne seraient pas claires. L’enfant me répète ce que son père a écrit. Il dit qu’il s’est sauvé et qu’il a peur de sa mère quand elle va chercher Harold à la maternelle, à côté de l’école primaire du village. Elle fait semblant de ne pas le reconnaître, et lui jette des regards furieux. L’enfant est anxieux et a besoin de parler.
La maman n’accepte pas de venir tout de suite en consultation. En septembre quand je le revois accompagné de son père, la mère s’est mariée avec son ami, elle avait invité Jean-Yann à son mariage, il avait refusé l’invitation, le père, la mère et son nouveau mari s’étaient copieusement insultés et menacés. Le père, John, a fait les formalités pour régulariser la situation de son fils, avec une nouvelle demande de récupérer la garde de Jean-Yann, sans véritable opposition de Margaret son ex-épouse.
Les relations entre Jean-Yann, son père et sa future belle-mère sont mouvementées :
l’enfant est souvent opposant avec Anita et avec son père (« opposing nose to nose »).
Une consultation est demandée en urgence, un jour parce que Jean-Yann entend des voix adultes qui lui commandent de faire des bêtises comme lever la main sur son père ou sur Anita. Le médecin de famille n’a pas pu réduire les symptômes avec des tranquillisants et je prescris un traitement neuroleptique sédatif. Dans les semaines qui suivent le discours de Jean-Yann sur ses voix varie : d’abord il les entendait, puis ce sont des pensées qui l’obsèdent. En même temps, la crainte de sa famille, qu’il ait des hallucinations se transforme en soupçon qu’il fabule. Le traitement est progressi~vement diminué puis arrêté au bout d’un mois. Jean-Yann exprime sa culpabilité d’abandonner Harold à la violence de sa mère et du nouveau beau-père. Ceux-ci vien~nent en consultation : le contraste entre la mère plutôt cultivée, s’exprimant bien en français et son mari frustre, alcoolisé, est saisissant. Leur inquiétude pour Jean-Yann se résume à des soupçons d’attouchement ou de pénétration sexuels qu’il aurait prati~qués sur Harold, parce que les deux enfants auraient été surpris nus, le grand sur le petit, il y a deux ans, sans signalement. Les enfants ont été élevés par la maman sans contrainte avec une idéologisation sur la sexualité de type libertaire. Elle-même a été élevée ainsi par sa mère et plusieurs beaux-pères, les adultes, notamment le père d’Harold, son ancien compagnon, se montrant facilement nus avec les enfants. En entretiens Jean-Yann exprime sa rage d’être accusé par sa mère; les voix sont déclen~chées par les appels téléphoniques de la mère après qu’elle ait momentanément dis~paru pour suivre un cirque. Après signalement, son droit de visite est suspendu.
Actuellement, l’enfant n’entend plus de voix (depuis six mois), il s’est remis à tra~vailler et son père commence à évoquer ses crises de colère à lui, et les problèmes que cela lui cause dans ses confrontations avec son fils.
Eliane, 62 ans, alcoolique chronique sevrée depuis 3 ans, suivie en thérapie indivi~duelle, conduit ses filles Karine 39 ans, Cédrine 31 ans et son mari Jean-Yves 64 ans en thérapie familiale. Leur fils Patrick 35 ans a refusé de les accompagner. Eliane est inquiète pour Karine, l’aînée, mariée, deux enfants, parce qu’elle a des ennuis dans son couple. Elle est inquiète pour Patrick, le cadet, parce qu’il mène une vie de pata~chon, célibataire, toujours chez ses parents, travaillant au noir, ne supportant l’auto~rité d’aucun employeur très longtemps. En ce qui concerne la dernière, Cédrine, elle vit en couple avec un homme décrit comme violent et alcoolique, avec un passé très carentiel. Les premières séances, il est question du passé douloureux d’Eliane, de la solitude de son enfance entre une mère peu aimante, un beau-père rejetant voire mal~traitant; le passé de Jean-Yves, plus « normal », apparaît marqué par l’autoritarisme des parents et la recherche d’affection. Puis le passé du couple parental, l’alcoolisme d’Eliane, l’isolement de Jean-Yves, l’alliance des enfants Cédrine, Patrick et leur mère, « contre » Karine et son père.
Mais la thérapie piétine, avec l’idée d’un « secret » sous-jacent, faisant soupçonner une violence indicible : Eliane a-t-elle été abusée enfant, ou bien ses enfants ? L’inté~rêt familial faiblit avec la crainte des thérapeutes de passer à côté de quelque chose. Jusqu’à l’évocation de la violence familiale, sous la forme de l’autoritarisme de Jean-Yves, comme si en l’évoquant, Eliane, les enfants se retrouvaient pour décrire le cli~mat de peur dans lequel ils ont vécu. Une peur lorsque Jean-Yves, un Monsieur très calme très posé en entretien, se met en colère par exemple dans la file d’attente d’un magasin si quelqu’un passe devant lui, ou bien contre un promeneur avec son chien non tenu en laisse, et qui ne peut plus se contenir à la maison, se met à hurler lorsqu’il est en colère, sans qu’il ait jamais frappé ses enfants, mais une fois sa femme, ou bien lors d’une crise, balayant d’un geste de la main toute la vaisselle sur la table. Se des~sine alors une carte familiale : les « victimes », Eliane, Cédrine. Les « bourreaux », Jean-Yves, Patrick, et aussi Karine, violente en paroles et en réactions dans sa famille.
Eliane se culpabilise d’être la responsable de cet héritage à cause de l’alcoolisme, ou bien Cédrine de mal comprendre son ami dont elle attend un enfant, ce qui entretient la violence des « bourreaux ». Jean- Yves a un infarctus, manque mourir, et après un épisode dépressif se remet complètement en question, d’autant plus que maintenant son fils Patrick lui fait peur à son tour et que Jean-Yves se retrouve du côté des vic~times. La demande initiale d’Eliane se transforme en un travail d’un côté avec le couple Cédrine/son ami, (la perspective de son futur bébé revivant une partie de l’his~toire familiale de la maman étant insupportable pour Cédrine); d’un autre côté un tra~vail Jean-Yves, Eliane/ Patrick, sur la question d’un départ du fils de chez ses parents.
Karine, elle, se retire du jeu familial préférant traiter son problème de couple ailleurs.
Actuellement ce travail se poursuit. La question insoluble du pourquoi de cette vio~lence est remplacée par la question qu’empêche cette violence ? La réponse de cette famille est : notre violence nous empêche d’aborder des sujets angoissants pour nous;
que deviennent les parents, vieillissant, et Patrick s’ils sont séparés ? Que devient Cédrine, que devient le couple si son compagnon continue de boire et de s’isoler ?

Conclusion (provisoire)

35Bateson dans son article de 1971, la cybernétique du « soi», une théorie de l’alcoolisme » (4), redéfinit les rapports entre relations symétriques et relations complémentaires en utilisant la théorie des types logiques de Russel : aucune classe (ensemble) ne peut être membre (élément) d’elle-même. Suivant un premier type logique, la relation entre un individu A et un individu B est soit complémentaire soit symétrique. La course aux armement, est un exemple de relation symétrique entre deux pays, la soumission d’un vaincu à un adversaire plus fort est un exemple de relation complémentaire. Suivant ce premier type logique, relation complémentaire et relation symétrique sont deux éléments différents appartenant à une même classe, la classe des relations.

36Suivant un deuxième type logique, la classe des relations, qu’elles soient symé~triques ou complémentaires, est elle-même un élément d’une classe de deuxième ordre, une classe difficile à dénommer mais qu’on peut « deviner » en observant comment dans la vie courante, la relation entre A et B, par exemple deux personnes ou deux pays, ou deux animaux, etc., est redéfinie en permanence par A et par B sui~vant le contexte.

37La relation pourra par exemple être symétrique pour A mais peut-être pas pour B, si bien qu’une séquence relationnelle symétrique pour l’un peut être complémen~taire pour l’autre et réciproquement. Bateson cite le cas où une nation A diminuerait ses efforts d’armement si la nation B en fait autant, si les nations A et B restent en relation symétrique, mais qui développerait au contraire un surarmement si l’effort d’armement de la nation B fléchit, dans l’espoir de l’écraser si la nation A « passe » en relation complémentaire. Ou bien dans un autre cas de figure, A peut vouloir assister B, dans l’idée d’une relation complémentaire, et B refuser cette aide et répondre par un comportement de rivalité dans une relation qui devient symétrique.

38Dans les manifestations d’attachement ou d’agressivité telles qu’elles apparais~sent dans « Qui a peur de Virginia Woolf » les personnages répondent soit de manière symétrique soit de manière complémentaire, dans leurs comportements d’attachement ou d’agressivité. Lorsque Georges répond à des manifestations d’attachement de Martha par des manifestations d’agressivité ou réciproquement, parce que Georges et Martha « décident » de se mettre en relation complémentaire, l’expression de la peur et l’apparition de la violence ne sont pas les mêmes que lorsque les deux personnages « décident » de se mettre en relation symétrique. La peur peut résulter de l’escalade symétrique de deux comportements d’agressivité, lorsque par exemple la violence de Georges a pour but de faire apparaître chez Mar~tha une peur qu’elle cherche à dissimuler (le premier qui montre sa peur a perdu). Ou bien résulter d’un comportement d’attachement qui n’entraîne pas chez l’autre un arrêt du comportement agressif, quand Martha continue d’insulter Georges qui montre plutôt un comportement de soumission.

39La violence peut être cliniquement définie comme un comportement dont le but volontaire est de provoquer sur l’autre de la peur pour en tirer bénéfice.

40Suivant le point de vue, agressivité et violence peuvent paraître différents (logique de seuil 1), l’agressivité renvoie à la défense du territoire, du corps, la vio~lence recherche un bénéfice autre, la domination par exemple. Dans un autre contexte, (logique de seuil 2), violence et agressivité sont confondus, l’agressivité et la violence ont pour fonction, par la peur, de faire cesser par exemple une première agression. A interprète le comportement de B comme une agression là ou B ne voit qu’un comportement défensif, A et B entameront une escalade dans la peur (la peur doit changer de camp) avec effet de violence. L’agressivité est alors la composante instinctive, réactionnelle de la violence, dans une situation de défense.

41De même l’attachement pourrait être suivant une logique de seuil 2 une compo~sante instinctive de la violence. A peut interpréter un comportement d’attachement de B comme une tentative de domination de B sur lui et y répondre par de l’agressi~vité que B pourra interpréter comme un besoin plus grand d’affection (si je t’aime, prends garde à toi !).

42

La double contrainte de Bateson, n’est pas une double injonction de deux propo~sitions contradictoires sur des niveaux logiques différents et qui rendrait schizo~phrène, c’est l’expérience commune vécue par des êtres vivants, disons peut-être les mammifères, dans les relations les plus quotidiennes, de types logiques différents liés à des contextes de vie, qui font interpréter les comportements d’autrui comme des relations complémentaires ou symétriques et conditionnent d’une façon qui échappe au contrôle volontaire (mais pas à la conscience ?) les rapports avec le monde.

43Dans sa cybernétique du soi, Bateson, à propos de l’alcoolique, étend le domaine de la double contrainte, aux relations de soi avec soi: je peux être en relation avec moi-même, suivant un contexte qui m’échappe d’une manière complémentaire ou symétrique. L’alcoolique qui « touche le fond », serait celui qui fait cette expérience existentielle de l’impossibilité du contrôle sur la relation de soi avec soi (et les autres).

44Dans une perspective systémique, la violence plutôt que la schizophrénie pour~rait être un effet de cette double contrainte en quelque sorte existentielle, et une refondation (en toute simplicité) d’une « clinique systémique de l’individu » pour~rait à partir de la violence, dans ses manifestations les plus quotidiennes, reconsidé~rer les symptômes comme des productions de la peur.

45Les situations de violence familiale, sont déjà en fait des situations de violence extrême, par dégénérescence de situations violentes ordinaires. Par exemple l’abus sexuel intrafamilial, comme l’inceste, sont autant les effets que les causes d’une vio~lence familiale, qui peut courir sur plusieurs générations (2), et le tabou de l’inceste dans les familles ordinaires comme dans les familles recomposées (8), est une tenta~tive de régulation sociale d’une violence qui fait scandale. Girard dans la violence et le sacré (6) insiste sur la violence d’Œdipe et de son père en rivalité mimétique.

46La question du traumatisme psychique et de ses effets sur l’individu n’apparaît pas uniquement comme la question des conséquences psychopathologiques de phé~nomènes critiques, intenses et de courtes durées, (on a abusé un enfant dans sa famille, on a pris quelqu’un en otage), mais aussi comme la question des effets aux longs cours de la peur vécue en continu (quelle est la différence avec le stress ?), et plus particulièrement des processus de dissociation à l’œuvre dans le traumatisme (combien d’autres frères ou sœurs avaient été auparavant abusés, quelles ont été les autres expériences de peur vécues par l’otage ?).

47L’opposition Freud-Ferenczi sur la théorie de la séduction, et les rapports du traumatisme sexuel sur la sexualité infantile peuvent apparaître sous un autre jour à la lumière de la dualité agressivité-attachement, dans les rapports « naturellement » violents de l’enfant et de ses parents.

48Enfin, la violence familiale ordinaire n’est que la reproduction à l’intérieur de la famille d’une violence ordinaire du monde à l’extérieur de la famille, et la genèse de troubles mentaux par la double contrainte de mouvements contradictoires d’attache~ment ou d’agressivité pose suivant un autre seuil logique la question des rapports de domination de l’homme sur lui-même, sur ses congénères et sur le reste du monde et de la folie qui peut en résulter.

Bibliographie

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Peronne R., Nannini M. (1995): Violence et abus sexuels dans la famille. E.S.F., Paris.
  • 2. Cirillo S., Di Blasio P. (1992): La famille maltraitante. E.S.F., Paris.
  • 3. Barudy J. (1997): La douleur invisible de l’enfant. ERES, Paris.
  • 4. Girard R. (1982): Le bouc émissaire. Grasset, Paris.
  • 5. Girard R. (1972): La violence et le sacré. Grasset, Paris.
  • 6. Albee E. (1996): Qui a peur de Virginia Woolf ? Actes Sud, Paris.
  • 7. Watzlawick P., Helmick Beavin J. Jackson Don D. (1972): Une logique de la communication. Seuil, Paris.
  • 9. Balmary M. (1979): L’Homme aux statues. Grasset, Paris.
  • 8. Bateson G. (1977): Vers une écologie de l’esprit. Seuil, Paris.
  • 10. Héritier F. (1994): Les deux sœurs et leur mère. Odile Jacob, Paris.

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