Notes
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[*]
Licenciée en affaires publiques et internationales, travailleuse sociale à La Lice et chargée de recherche.
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[**]
Docteur en sciences psychologiques, psychothérapeute et co-fondateur de la Lice.
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[***]
Pédopsychiatre, médecin directeur et co-fondateur de la Lice.
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[1]
La Lice est un centre conventionné INAMI, situé 520, chaussée de Wavre à 1040 Bruxelles.
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[2]
Office de la Naissance et de l’Enfance.
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[3]
Le terme « horizontalité » est une notion reprise à B. Fourez, 1999.
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[4]
Deux membres de l’équipe de la Lice, un pédopsychiatre et un psychologue formé à la psychothérapie (le psychologue référent) participent toujours aux entretiens d’admission.
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[5]
SOS-Enfants est une équipe pluridisciplinaire qui prend en charge des problèmes de maltraitance et d’abus sexuels.
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[6]
Mme C. requiert les services d’un avocat pro deo pour le jugement qui organise la garde de Carine et la séparation de fait.
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[7]
Cette vignette clinique a été présentée à un atelier lors du colloque « Santé mentale, santé sociale » organisé par CODAPSY – UCL à Louvain-La-Neuve, les 6 et 7 octobre 2000.
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[8]
Pour plus d’informations à ce sujet, nous vous proposons de vous rapporter à l’article de B. de Bellefroid (B. de Bellefroid,1991) ainsi qu’au livre de M. Born et A.M. Lionti (M. Born et A.M. Lionti, 1996).
1« L’on sait aujourd’hui que les trois premières années de vie sont essentielles à la construction de l’équilibre psychique du futur enfant et adulte. La littérature scientifique montre aussi que le bébé humain ne peut élaborer sa personnalité qu’en référence aux adultes-parents qui le soignent et lui parlent, en un mot qui l’élèvent. Le style d’interaction précoce du bébé avec ses parents va conditionner le mode de relation de l’enfant avec son environnement social, scolaire et professionnel. »
2Cette citation est extraite du projet de La Lice, une structure pilote qui a pour objectif la prise en charge ambulatoire des troubles interactifs précoces entre le jeune enfant et son environnement. Cette structure est constituée d’une équipe pluridisciplinaire composée de pédopsychiatres, psychologues, infirmières psychiatriques, psychomotricien(ne)s et travailleurs sociaux.
3Le nom de la Lice fait référence entre autres aux pièces mobiles d’un métier à tisser qui servent à l’ouverture des fils de la chaîne d’un tissu, permettant le passage de la navette et par conséquent du fil de la trame. Sa clinique se fonde sur l’hypothèse selon laquelle « les troubles graves du développement psychique induisent et sont induits par des troubles interactifs précoces entre le bébé et son environnement ». Cette clinique est celle du tissage de liens – liens intra-psychiques, liens intrafamiliaux ou encore liens sociaux.
4Les ressources de traitement sont de trois ordres : le travail à domicile ou dans les lieux de vie de l’enfant, le suivi dans le lieu d’ancrage, c’est-à-dire dans les locaux de la Lice et, le travail en partenariat avec le réseau. Dans cet article, nous allons présenter ce troisième axe de la clinique de la Lice.
5Ce thème a été choisi pour sa situation nodale dans la trame du travail de la Lice.
6Nous allons ancrer notre réflexion dans celle des fondateurs du projet et l’approfondir en nous appuyant sur la pratique de l’équipe après deux années de fonctionnement.
7Nous expliquerons d’abord ce que signifie et implique ce « travail en partenariat avec le réseau »; dans un second temps, nous essayerons de comprendre ce qu’apporte le fonctionnement en réseau; et finalement, nous illustrerons la théorie par une vignette clinique.
8En introduction, nous allons donner une définition brève mais non exhaustive du terme réseau. « L’étymologie du terme réseau renvoie au latin « retis » traduit par filet, c’est-à-dire un ouvrage formé d’un entrelacement de fils » (P. Bantman, L. Dufour-Zelmanovitch, 1995). Cette notion utilisée de plus en plus et dans de nombreux domaines pourrait être abordée en profondeur. Nous nous limitons ici à notre cadre, celui de la Lice et du travail de l’interaction précoce. Dans ce but, nous déterminons deux types de réseaux (ibid.).
9Les réseaux primaires sont constitués d’individus en interaction les uns avec les autres. Les liens affectifs unissant ces personnes se sont construits lors des premières relations au sein de la famille. De nombreuses recherches ont montré que les toutes premières interactions mère/bébé ont une influence sur le processus de socialisation de l’enfant.
10Lorsque les interactions ont été de qualité suffisante pour que l’enfant ait une représentation intériorisée sécurisante de l’adulte qui occupe une fonction maternelle, cette représentation peut diffuser ses qualités et autoriser l’ouverture à des relations différenciées à d’autres personnes. Au contraire, lorsque les interactions ont été défaillantes, le processus de socialisation primaire de l’enfant se trouve perturbé et les différentes personnes susceptibles de participer à un réseau d’échange sont soit ignorées, soit vécues comme une menace psychique.
11Les réseaux secondaires sont constitués par les institutions psycho-médico-sociales.
12Les familles reproduisent généralement leurs problématiques vécues au sein des réseaux primaires sur le plan des réseaux secondaires. Nous y reviendrons lorsque nous parlerons des apports du travail en réseau.
13A une moindre échelle, l’équipe pluridisciplinaire est une forme de réseau secondaire.
Le dispositif
14Etre en relation avec d’autres équipes, d’autres intervenants, les contacter et se tenir au courant, est une pratique fréquente. Cependant, ce que nous entendons par « partenariat avec le réseau » demande une plus grande rigueur. Que signifie cette forme de collaboration et quelles en sont les implications ?
15La Lice se présente comme un organe d’intervention pluridisciplinaire de seconde ligne, par opposition aux intervenants de première ligne. Concrètement, avant toute prise en charge d’une famille, il existe une période d’admission au cours de laquelle la Lice rencontre et fait se rencontrer les différents intervenants du réseau secondaire actifs auprès de la famille (médecin traitant, école, infirmière O.N.E. [2], pédiatre, psychologue…). Les objectifs de ces réunions sont d’évaluer la demande ainsi que de coordonner et d’intégrer les actions dans un projet thérapeutique cohérent. La prise en charge est ensuite rythmée tous les deux mois par des réunions d’évaluation auxquelles sont invités les membres du réseau psycho-médico-social. Il arrive que des membres du réseau primaire soient également conviés (famille élargie et recomposée, amis).
16Les parents et l’enfant sont présents à tous ces entretiens. Ils sont partenaires de l’élaboration du projet. Le réseau se constitue à partir de leurs besoins et savoirs et non pas de leurs limites. La création d’une plate-forme où se retrouvent, à des moments réguliers fixés de façon institutionnelle, les différents intervenants – avec leurs connaissances –, autour de la famille – avec ses compétences et ses demandes – contribue à une meilleure circulation de l’information. Elle permet également d’éviter « la création d’un réseau trop serré entre les professionnels qui aboutirait à un contrôle des personnes, incompatible avec le maintien de l’expression de la subjectivité » (P. Bantman, L. Dufour-Zelmanovitch, 1995). En d’autres termes, les intervenants parlent « avec » la famille au lieu de parler « d’» elle.
17Selon F. Molénat et R.M. Toubin (1996), « Tout ce qui fait le lit de la maltraitance et des troubles du développement se décrypte avec une relative aisance si peuvent être analysés dans un même mouvement les caractéristiques du nourrisson, les représentations et les affects des parents, les éprouvés des professionnels engagés auprès de la famille. La lecture en est délicate : l’intégration des différents niveaux en jeu exige une excellente collaboration entre tous ceux qui interfèrent dans la dynamique familiale. Le témoignage des parents est également indispensable et peut venir confirmer ou infirmer les hypothèses anticipatoires ».
18Si une collaboration entre les membres du réseau s’avère nécessaire, il est indispensable de rester attentif, au préalable, à la définition claire des places de chacun dans un esprit de différenciation. C’est-à-dire que les partenaires aient « la connaissance de l’identité professionnelle de chacun, avec son ressenti particulier et les représentations que chaque intervenant se fait de la famille, de sa propre place et de celle des autres » (ibid.).
19Bantman et Dufour-Zelmanovitch (1995) font la distinction entre des fonctions différentes au sein du réseau : la fonction soignante (qui aborde le psychisme du patient) et la fonction sociale (qui s’occupe de la quotidienneté matérielle de sa vie). Ils pointent un des risques du travail en réseau; confondre le réseau avec une de ses fonctions, le support social. Nous y reviendrons lorsque nous aborderons les apports du partenariat au sein du réseau. Les fonctions soignantes et sociales n’offrent un intérêt réel que dans la mesure où elles sont à la fois différenciées et articulées car elles se situent toutes deux à la charnière de deux réalités imbriquées : la misère sociale et relationnelle et, par ailleurs, les mécanismes psychiques. « La réflexion doit porter sur cette articulation : articulation de la pensée, articulation des intervenants, articulation des lieux et des structures, articulation des administrations compétentes » (ibid.).
20Cette différenciation des places au sein d’un réseau « articulé » va permettre aux membres de la famille d’expérimenter une nouvelle façon d’être en relation et favoriser chez les parents un avènement de leur propre rôle et de leur propre fonction (P. Marciano, 2000).
21Pour que les différentes positions puissent s’articuler, il est nécessaire que se dégage un langage commun. Un langage qui n’appartienne pas qu’aux psychothérapeutes, mais qui tienne compte du vécu de chacun y compris des parents. Sans quoi, le réseau perdrait de sa richesse et aboutirait à la disqualification des professionnels de première ligne ainsi que de la famille.
22Cependant, complémentarité et langage commun ne signifient pas pour autant une horizontalité [3] absolue où chacun aurait connaissance de tout et pourrait se sub-stituer aux autres intervenants. Prenons l’exemple de la place du psychologue au sein du réseau formé par l’équipe pluridisciplinaire de la Lice. Il intervient directement auprès de la famille dans sa fonction thérapeutique et, par ailleurs, sa fonction de référent lui donne un rôle d’éclairage et de soutien de la place de chacun autour de l’enfant et de sa famille. C’est lui qui coordonne et, avec le soutien de l’équipe, prend des décisions dans l’organisation du projet thérapeutique.
23La mise en place d’un réseau centré sur les potentialités de la dyade parents/enfant, réseau différencié et articulé, ayant un langage commun, va remplir certaines fonctions, permettre d’éviter certaines répétitions et… peut-être quelque chose pourra se jouer, se rejouer ou se déjouer. Nous allons maintenant essayer de comprendre quels sont les apports de ce partenariat.
Les apports
24La première fonction que remplit le travail en réseau, comme le rappelle M. Lamour et M. Barraco (1996), est celle de « l’accès aux familles ». « Les parents n’étant pratiquement jamais demandeurs, l’accès aux nourrissons à risque psycho-social et leur traitement ne sont possibles que grâce à un travail conjoint de notre équipe et des différents intervenants médico-sociaux de la communauté » (ibid.). Ces auteurs parlent « d’aller vers » les nourrissons et leurs familles comme « la seule façon de prévenir les perturbations relationnelles graves ».
25Un autre intérêt de l’intervention en réseau est d’offrir à la famille une prise en charge souple et sécurisante qui respecte sa dynamique propre. Prise en charge qui évite aux intervenants de participer inconsciemment à un processus de répétition en étant entraînés malgré eux dans une pathologie du lien. En fait, s’organiser en réseau ce n’est pas tout se communiquer sur une famille mais c’est, à travers la transmission d’informations, un mode d’activation du lien entre intervenants et entre les intervenants et la famille. Lorsque la dynamique familiale imprègne le réseau secondaire, la communication ou métacommunication au sein du réseau doit permettre de prendre conscience de ce qui se rejoue à un autre niveau, de ce qui passe du vécu familial aux relations entre membres du réseau secondaire. Par exemple, les clivages, les ruptures, l’agressivité entre les intervenants qui se chargent de la mère et ceux qui se chargent de l’enfant, pourront être compris en lien avec les ruptures et clivages habituels au sein de la famille et entre la famille et son environnement. « Repérer les tournants sous-entend que tous les professionnels aient intériorisé la globalité de la famille et l’écoulement du temps » (F. Molénat, R.M. Toubin, 1996). En effet, les ambivalences vécues par une personne sont parfois telles qu’elle va avoir des demandes ou exprimer des besoins opposés aux différents intervenants, à des moments proches. Ainsi, le travail en réseau est un outil de réajustement qui devrait permettre au réseau secondaire de garder une souplesse et une stabilité respectueuses de la dynamique de la famille.
26Au sein du réseau secondaire, la relation aux autres acteurs psycho-médicaux-sociaux limite le domaine d’intervention de chacun, lui permettant d’éviter une trop grande proximité et une surcharge émotionnelle. Par exemple lorsque la famille présente une demande sociale à la psychologue, cette dernière la dirige vers la travailleuse sociale. Par contre, lorsque cette même famille aborde un thème en rapport à sa vie psychique, la travailleuse sociale lui propose de l’approfondir avec la psycho-logue. Cependant, chacune des intervenantes écoute tout d’abord la demande avec son oreille et selon ses qualifications. Elle se positionne ensuite dans un suivi global.
27L’ouverture procurée par la coopération est en relation directe avec la fonction précédente. Une citation de J.Y. Diquelou (2000) illustre l’intérêt de l’investissement partagé des difficultés que peut traverser une famille : «(…) on remarquera combien une volonté de protection de l’enfant à naître peut être potentiellement iatrogène si on ne fait pas intervenir l’aspect poly-institutionnel du réseau, repérant par l’avis motivé de professionnels qualifiés, des passions, des angoisses, des peurs qui sont pourtant tout aussi délétères que respectables ».
28L’aspect « contenant » et « structurant » est certainement une qualité de la mise en réseau. Qualité nécessaire dans la clinique des troubles interactifs précoces entre le bébé et son environnement. En effet, le début de la vie est un moment fondateur au niveau du lien – moment de grande sensibilité et de mobilité psychique. L’aménagement d’un milieu de vie le plus stable et le plus fiable possible est un des objectifs du projet thérapeutique.
29C’est cette fonction qu’abordent Bantman et Dufour-Zelmanovitch (1995) lorsqu’ils parlent du support social. Le réseau joue en quelque sorte le rôle de filet indispensable au développement du petit enfant qui ne se différencie pas encore clairement de son environnement et qui a besoin de continuité dans les soins et dans les relations affectives. Mais il supporte également la mère qui, si elle se sent suffisamment soutenue par son environnement social, pourra remplir elle-même la fonction de soutien auprès de son enfant.
30« Les cas les plus graves nous démontrent que le travail psychique n’est guère efficace sans l’actualité des liens sociaux de confiance. Les parents nous disent combien parler d’un passé douloureux est anxiogène. (…) Par contre, lorsqu’un accompagnement très concret (auquel participent les équipes médicales) procure une sécurité matérialisée, il devient possible pour les parents de rouvrir les chapitres douloureux de leur histoire » (F. Molénat, A.M. Toubin, 1996).
31Cette phrase des auteurs français rejoint le point de vue de Bantman et Dufour Zelmanovitch (1995) en ce sens qu’elle retient également l’articulation entre les deux domaines. La fonction de support social, remplie par une partie du réseau, autorise l’accès au travail psychique d’autres membres du réseau. Cependant, les deux facettes du travail avec la famille sont imbriquées et la richesse de la prise en charge se situe partiellement au niveau de leur articulation.
32Le support social fourni par le réseau secondaire est en fait une fonction de suppléance du réseau primaire. Quand la détresse des familles les mène à rencontrer la Lice, nous constatons souvent que le réseau primaire est très limité et n’est plus capable de remplir ses fonctions. Born et Lionti (1996) définissent cinq fonctions remplies par le réseau primaire : compagnie sociale, soutien émotionnel, guide cognitif et conseil, régulation sociale (interactions qui rappellent les responsabilités et les rôles et qui neutralisent les déviations du comportement), aide matérielle et service. Il semble que le réseau psycho-médico-social vient « pour un temps » remplacer sinon seconder le réseau primaire avec, pour objectif, de mobiliser les ressources de la famille et de son entourage et de petit à petit, étoffer ce réseau et mettre en place des relais.
Illustration clinique
33Nous allons, à présent, faire un état des lieux des réseaux de Mme C. et de ses deux enfants. Nous l’illustrerons par un graphique élaboré avec la maman, après 8 mois de prise en charge. A cette époque, Carine, l’aînée, a 3 ans et Bernard a 2 mois.
34Nous tenterons, de cette façon, de montrer l’intérêt du partenariat avec le réseau dans le projet thérapeutique de la Lice.
35Le schéma proposé ci-dessous est inspiré du modèle de Sluzki (M. Born, A.M. Lionti, 1996). Il est séparé en quadrants : trois pour le réseau primaire (famille, amis, relations de travail et d’études), le quatrième étant réservé au réseau secondaire. Sur les quadrants s’inscrivent trois cercles qui définissent la proximité relationnelle. Les individus ou organismes composant le réseau seront, par conséquent, placés d’autant plus au centre que la maman les considère comme étroitement liés à elle et aux enfants.
36Le schéma nous montre un réseau primaire très restreint. Il révèle les ressources psychodynamiques réduites du bénéficiaire et de son environnement social. Mme C. a omis volontairement d’y faire paraître certaines personnes. La représentation graphique témoigne de la solitude ressentie et exprimée par Mme C. dès le début de la prise en charge et encore au moment de l’exercice.
37Dans un premier temps – après avoir énoncé les demandes à l’origine de la prise en charge -, nous décrirons la façon dont ce réseau primaire va évoluer et se différencier.
38Ensuite, nous passerons en revue les différents partenaires du réseau secondaire. Réseau qui s’étoffera au cours de la prise en charge.
39L’objectif du travail avec les réseaux primaires et secondaires est de constituer ce que nous pouvons appeler un maillage où le patient peut disposer de multiples possibilités relationnelles, de liens stables, séparés les uns des autres.
40La demande émane du réseau secondaire et de la famille.
41Au cours du premier entretien d’admission [4], l’envoyeur, le médecin de famille, demande l’intervention de la Lice car il est inquiet des répercussions sur l’enfant d’une crise aiguë au sein du couple. Carine a été hospitalisée récemment. Elle était tombée lors d’une dispute entre ses parents. Ceux-ci se disent dans l’incapacité d’être attentifs à leur fille lors de leurs conflits. Ils expriment également leur difficulté à communiquer. Enfin, ils demandent de l’aide afin de trouver une issue à cette situation et s’interrogent sur la façon de rester parents tout en étant séparés. Mme C. exprime, par ailleurs, des difficultés à sevrer Carine, qu’elle allaite encore, à 2,5 ans.
42Le réseau primaire se limite à la grand-mère maternelle, son compagnon, le frère de Mme C. et le père des enfants.
43Lorsque débute le travail avec la Lice, Mme C. habite avec son mari, le papa des enfants.
44Le couple se sépare et, dans un premier temps, la jeune femme loue un appartement où elle s’installe avec Carine. A la naissance de Bernard, tous trois déménagent chez la grand-mère maternelle et son compagnon. C’est une solution transitoire fréquemment remise en question lors de disputes houleuses. La famille proche de Mme C. est son seul relais et la relation avec la grand-mère maternelle est très intense avec une difficulté d’autonomisation de part et d’autre.
45Mme C. désire déménager et retrouver un appartement pour elle et pour ses enfants « où elle serait comme les autres jeunes femmes ». Elle montre cependant une grande ambivalence et dans les actes freine toute possibilité de s’éloigner de sa mère. Dans un premier temps, il nous est difficile de comprendre la fonction que remplit cette recherche de proximité.
46Mr C. est présent lors de certains entretiens d’évaluation mais reste distant par rapport à la prise en charge de la Lice. Il soutient peu Mme C. dans l’éducation des enfants.
47Ce n’est qu’après 14 mois de suivi thérapeutique que la maman aborde avec la psychologue son placement qui a commencé lorsqu’elle avait deux ans et s’est terminé « grâce à » son mariage. Petit à petit, les membres de la famille se différencient. La relation avec la grand-mère maternelle évolue. Un accord est pris entre la jeune femme et la grand-mère maternelle d’officialiser cette installation « provisoire ». Elles décident ensemble qu’un déménagement est nécessaire mais que, pour l’instant, Mme C. et ses enfants habitent toujours chez la grand-mère maternelle.
48Mme C. prend de la distance par rapport aux différents membres de la Lice. Le lien est toutefois maintenu et, soutenue par la psychologue, Mme C. peut formuler de « nouvelles » demandes à La Lice. Elle se mobilise afin de trouver une place en crèche pour Bernard et commencer une vie professionnelle.
49Le réseau secondaire est plus important que celui dessiné par Mme C. sur le graphique. Non seulement des contacts ont été pris après la représentation graphique du réseau, mais par ailleurs, elle n’a pas estimé nécessaire d’y faire apparaître certains intervenants.
50Pouvons-nous nous interroger sur la fonction de ces omissions ? Nous l’avons dit, Mme C. se sent peu entourée. Elle exprime ses craintes par rapport aux nouvelles rencontres et son peu de confiance dans les relations à plusieurs reprises. Nous verrons dans la suite du texte combien Mme C. questionne la solidité et l’intérêt du lien et peut provoquer les intervenants à interrompre la prise en charge.
51L’envoyeur est le médecin de famille. Il sollicite la Lice et est présent lors des entretiens d’admission et lors des évaluations.
52Inviter l’envoyeur avec la famille facilite non seulement la rencontre mais permet également au travail avec la Lice de s’inscrire dans le temps; le passé, l’histoire de la famille et l’avenir dans lequel seront mis en place des relais. Par ailleurs, tout au long de la prise en charge, cette personne ressource gardera une position extérieure, tierce.
53Le médecin de famille va, dans un premier temps, porter la demande de la famille et soutenir le père pour qu’il prenne une place dans la prise en charge. Le lien entre la famille (le père, la mère et les enfants) et le médecin traitant est fort et la relation investie de part et d’autre. Comme nous l’avons dit, Mr C. est peu présent dans le travail. Mme C., par contre, va petit à petit reprendre la demande à son compte et la formuler en ses termes. Elle rejette alors le médecin de famille qui se sent essoufflé. Mme C. interpelle à plusieurs reprises les membres de la Lice, demandant si la Lice et l’envoyeur ont des entretiens téléphoniques. Pour reprendre les mots de M. Selvini-Palazzoli et all (1984), Mme C. craint qu’une « coalition niée » puisse exister entre intervenants. Elle sera tenue au courant des contacts pris en vue de l’organisation d’une réunion d’évaluation avec le médecin de famille.
54Elle interroge l’utilité d’une rencontre qu’elle n’a pas demandée mais se présente à l’entretien dans le cabinet du médecin de famille, tout comme Mr C.. La psychologue référente et la pédopsychiatre de la Lice, le médecin traitant, ainsi que les enfants sont également présents. Un espace est ouvert à l’expression des différents points de vue. Lors de cet entretien, le médecin tente de mettre des mots sur la dégradation de sa relation avec Mme C. : « Je suis peut-être associée à une mauvaise période de votre vie ». Mme C. acquiesce et explique l’évolution positive de la relation avec ses deux enfants.
55La famille C. fonctionne selon un système d’alliances duelles comme dans le livre «Deux contre un» de T. Caplow (1984). Le travail « avec » le médecin de famille permet peut-être la découverte d’une autre réalité possible.
56SOS-Enfants [5] a été interpellé par l’équipe de l’hôpital lors de la naissance de Bernard. Les membres de SOS-Enfants étaient inquiets et s’interrogeaient quant à la mise en place d’un environnement cadrant à la sortie de la maternité de Mme C. et de Bernard. Une table ronde avec les différents intervenants et les parents a permis d’inscrire cette intervention dans la continuité du suivi. Les craintes ont pu être nommées par les intervenants de SOS-Enfants et le dispositif existant expliqué par les parents ainsi que par les membres de la Lice. Les places de chacun ont été respectées et cette différenciation a permis au réseau de rester souple et contenant.
57Le tandem d’admission pédopsychiatre et psychologue – qui a assuré les entretiens à domicile pendant les trois premiers mois –, s’ouvre petit à petit à d’autres membres de l’équipe. La volonté de Mme C. de trouver des solutions à ses difficultés sociales – alors qu’elle ne sait ni lire, ni écrire –, conduit la psychologue référente à lui présenter la travailleuse sociale de l’équipe. Alors que cette dernière n’est présente que depuis peu de temps dans la prise en charge, Mme C. lui demande de trouver des activités pour sa fille le week-end ainsi qu’un cours de cuisine pour elle-même.
58En lien avec les autres membres de la Lice, la travailleuse sociale la soutient et l’accompagne dans ce projet en la mettant en contact avec une association de femmes de son quartier. Elle investit ce nouveau lieu pendant plusieurs semaines avant de s’en détourner. Son désir de se mettre en lien avec l’extérieur était-il prématuré ? L’équipe de la Lice constate cependant que quelque chose s’est joué « autour du fourneau ». Cette démarche a remobilisé Mme C. dans son lien à la famille et plus particulièrement à sa mère, ce qui a eu des conséquences sur sa relation avec les enfants. Depuis lors, Mme C. se charge elle-même de la préparation des repas des enfants.
59Des demandes sont adressées et des contacts pris avec différents organismes et intervenants : Centre Publique d’Aide Sociale, avocat [6], service juridique, Agence Immobilière Sociale, etc. Mme C. demande un soutien de la travailleuse sociale dans ces démarches lorsqu’elle estime cela nécessaire. Ces liens plus ponctuels avec des membres du réseau secondaire permettent une ouverture à l’utilisation des services offerts par la société. Mme C. peut se faire une représentation de ce que chaque service peut lui apporter. Peut-être ces organismes deviendront-ils des relais auxquels elle s’adressera plus aisément sans soutien dans l’avenir.
60Carine est accueillie à la halte-garderie à la demande du Juge de la Jeunesse, avant le début de la prise en charge de la Lice. Lorsque Carine entre à l’école, Mme C. demande qu’une place soit gardée pour Bernard. Mais la maman et l’enfant ne sont pas encore prêts à se séparer. Une relation a été tissée entre la halte-garderie et la famille, Bernard est attendu.
61Ce n’est que lorsque Bernard a 13 mois que sa maman réitère la demande d’accueil de jour. Elle voudrait qu’une place lui soit faite d’emblée, à temps plein et surtout, sans période d’adaptation. La relation avec la halte-garderie est tendue et sur le point de se rompre de part et d’autre. La maman vit mal les demandes faites par le lieu d’accueil d’accompagner Bernard dans la séparation. Elle dit : « ça ne s’était pas passé comme cela pour Carine !» Les puéricultrices souffrent de voir Bernard « abandonné » sans tétine et sans transition. Les membres de la Lice vont soutenir l’importance d’une continuité et essayer d’inscrire le projet d’accueil de Bernard dans le cadre plus large de la prise en charge. En effet, Mme C. commence une vie professionnelle, projet aux implications multiples. Avec l’accord de la maman, la travailleuse sociale de la Lice prend contact par téléphone avec la directrice de la halte-garderie pour insister sur l’importance de faire une place à Bernard. Ensuite, la psychologue prévoit une rencontre à la halte-garderie avec la directrice, Bernard et sa maman, elle-même et la travailleuse sociale de la Lice. Cette rencontre permettra d’entériner l’accord qu’ont finalement trouvé la responsable du lieu d’accueil et Mme C., entre le respect des règles de la halte-garderie et celui des difficultés à vivre la séparation. Ont-elles réussi à dépasser le souvenir du contexte dans lequel Carine avait été placée à la halte-garderie et séparée un peu de force de sa maman ?
62Lorsque Mme C. entreprend des démarches dans le but de trouver un emploi, elle va clairement limiter sa demande à la Lice, à une fonction de soutien. Elle sollicitera la présence de la travailleuse sociale de la Lice lors de premiers contacts avec le service de réinsertion professionnelle et avec son futur employeur. Elle s’adressera plus tard d’elle-même et de façon différenciée à ces personnes.
63Nous avons parlé à plusieurs reprises des interventions de la travailleuse sociale et de la psychologue référente de la Lice dans leurs rôles différenciés par rapport au réseau secondaire. Approchons maintenant la Lice en tant qu’équipe pluridisciplinaire dans laquelle s’articulent différents intervenants avec leur spécificité. Dans cette famille sont également intervenues une pédopsychiatre, une infirmière psychiatrique, une kiné-psychomotricienne et une autre psychologue de la Lice. Cette dernière psychologue prend – après 1,5 an de suivi – une place importante pour Carine. A la demande de Mme C. et en concertation avec l’équipe, le dispositif thérapeutique permet à Mme C. et à Carine d’avoir une fois par semaine des temps et des espaces séparés. Les visites à domicile ont été faites par des tandems à la composition variable en fonction de besoins ressentis par la famille et par les intervenantes.
64La famille C. fonctionne selon un système d’alliances et de contre-alliances. Pour reprendre les termes utilisés par M. Bowen (1984), nous pouvons dire que les relations sont caractérisées par des triangles qui englobent une personne tierce lors de tensions émotionnelles entre deux personnes. Or, la prise en charge par une équipe « articulée » ne permet pas ce genre d’organisation relationnelle, au contraire, elle est caractérisée par le rôle différencié de ses membres. Elle débute avec le tandem d’admission – pédopsychiatre et psychologue -, et s’ouvre, en fonction des différentes problématiques abordées, à des intervenants ayant chacun un rôle et une spécificité.
65Les places ont pu être interrogées, nommées et intériorisées par Mme C. en fonction de son projet. La patiente ne se positionne pas de la même façon par rapport aux différents membres de l’équipe. Elle voit, par exemple, plus clairement ce que peut lui apporter le travail social. Par ailleurs, elle interroge souvent le lien qu’elle a avec la psychologue référente : « Cela ne sert à rien de parler !» et dans la foulée, « Est-ce que la psychologue vient bien la semaine prochaine ?» Cependant, étant donné la vision d’ensemble de chacun des intervenants – alimentée entre autres par les réunions d’équipe – la fonction contenante et structurante est privilégiée.
66L’équipe pluridisciplinaire peut offrir, à une moindre échelle, les apports du travail en partenariat. Le fait qu’elle représente plusieurs disciplines apporte une première forme d’ouverture. Cependant, la multiplicité des intervenants internes à l’équipe ne doit pas restreindre le réseau. Cela entraînerait une fermeture et empêcherait la richesse du réseau partenaire développée dans cet article.
67Lors de la présentation de cette vignette clinique [7], la question a été posée de savoir si le graphique inspiré par Sluzki (M. Born, A. M. Lionti, 1996) était un outil qui permettait une mise en image et une distanciation pour la patiente. Nous avons remarqué qu’il était peu représentatif pour elle lorsque nous avons voulu réitérer l’exercice après plusieurs mois. Cependant, il est d’une grande utilité pour nous, intervenants. Nous n’abordons pas dans cet article l’intérêt et les difficultés de l’utilisation de ce média. [8] L’actualiser sans la participation des intéressés nous paraît une démarche erronée et figeante. Cependant, ayant en tête le schéma élaboré après 8 mois de prise en charge, nous pouvons imaginer une dynamique, chacun de notre point de vue.
68Cette vignette clinique illustre les pièges à éviter et les différentes fonctions que peut remplir l’approche en partenariat. Elle vient expliciter, selon nous, les propos de Bantman et Dufour-Zelmanovitch (1995) pour qui : « La question du réseau ne peut se résoudre simplement dans celle du support social, mais doit articuler des niveaux et des fonctions distinctes. (…) Le principe de la discontinuité dans la prise en charge tant temporelle que locale et interpersonnelle est la contrepartie nécessaire au principe de la continuité thérapeutique ».
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
- 1. Bantman P., Dufour-Zelmanovitch L. (1995): La notion de réseau en psychiatrie. Réflexions sur l’utilisation du terme de réseau dans le champ médicosocial. L’Information Psychiatrique, n° 8, pp.750-763.
- 2. Born M., Lionti, A.M., (1996): Familles pauvres et intervention en réseau. Paris, L’Harmattan.
- 3. Bowen M. (1984): La différenciation du Soi. Paris, E.S.F. Editeur, pp. 24-27.
- 4. de Bellefroid B. (1991): La carte de réseau dans le travail éducatif : l’expérience du foyer Li-Mohon à Liguières (Belgique). Résonances, Vol. 1, n° 2, pp. 27-34.
- 5. Caplow T. (1984): Deux contre un. Paris, E.S.F. Editeur.
- 6. Diquelou J.Y. (2000): Les effets préventifs du travail en réseau sur les troubles de la parentalité, in: Les réseaux de soin en périnatalité. Dossier coordonné par Marciano P. – Spirale, n° 15, Ramonville Saint-Agne, Editions Erès.
- 7. Fourez B. (1999): Fraternité : perspectives historiques et sociétales, in: Tilmans-Ostyn E. et Meyn-kens-Fourez M., Les ressources de la fratrie, Ramonville Saint-Agne, Editions Erès, pp. 23-36.
- 8. Lamour M., Barraco M. (1998): Souffrances autour du berceau – Des émotions au soin. Paris, Edition Gaëtan Morin, Collection Interventions psycho-sociales.
- 9. Marciano P. (Sous la direction de) (2000): Préambule, in: Les réseaux de soin en périnatalité – Spirale, n° 15, Ramonville Saint-Agne, Editions Erès.
- 10. Molénat F., Toubin R.M. (1995): Accouchement terrifiant, réseau protecteur. L’Information Psychiatrique, n°1, pp. 24-38.
- 11. Molénat F., Toubin R.M. (1996): Vers des réseaux de soins précoces, in: Dugnat M., Troubles relationnels père-mère/bébé : quels soins ? Ramonville Saint-Agne, Editions Erès.
- 12. Selvini M. et All. (1984): Dans les coulisses de l’organisation. Paris, E.S.F. Editeur.
Mots-clés éditeurs : Continuité, Support social, Lien, Réseau, Articulation, Interaction précoce
Mise en ligne 01/02/2007
https://doi.org/10.3917/tf.014.0371Notes
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[*]
Licenciée en affaires publiques et internationales, travailleuse sociale à La Lice et chargée de recherche.
-
[**]
Docteur en sciences psychologiques, psychothérapeute et co-fondateur de la Lice.
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[***]
Pédopsychiatre, médecin directeur et co-fondateur de la Lice.
-
[1]
La Lice est un centre conventionné INAMI, situé 520, chaussée de Wavre à 1040 Bruxelles.
-
[2]
Office de la Naissance et de l’Enfance.
-
[3]
Le terme « horizontalité » est une notion reprise à B. Fourez, 1999.
-
[4]
Deux membres de l’équipe de la Lice, un pédopsychiatre et un psychologue formé à la psychothérapie (le psychologue référent) participent toujours aux entretiens d’admission.
-
[5]
SOS-Enfants est une équipe pluridisciplinaire qui prend en charge des problèmes de maltraitance et d’abus sexuels.
-
[6]
Mme C. requiert les services d’un avocat pro deo pour le jugement qui organise la garde de Carine et la séparation de fait.
-
[7]
Cette vignette clinique a été présentée à un atelier lors du colloque « Santé mentale, santé sociale » organisé par CODAPSY – UCL à Louvain-La-Neuve, les 6 et 7 octobre 2000.
-
[8]
Pour plus d’informations à ce sujet, nous vous proposons de vous rapporter à l’article de B. de Bellefroid (B. de Bellefroid,1991) ainsi qu’au livre de M. Born et A.M. Lionti (M. Born et A.M. Lionti, 1996).