Notes
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Nous remercions Insoo Kim Berg, Courtney Marlaire, et les lecteurs anonymes de Family Process pour leurs commentaires sur un premier jet de cet article. Nous pouvons dire maintenant publiquement que ce projet était une idée d’Insoo. Elle a organisé une rencontre, nous a convaincu d’écrire un article sur ce sujet, et ensuite disparut afin de nous laisser faire seuls tout le travail.
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Professor of Sociology, Department of Social and Cultural Sciences, Milwaukee, Wisconsin.
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Senior Research Associate, BFTC, Milwaukee, Wisconsin.
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Il s’agit d’un travail publié d’abord en Allemagne en 1935.
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[2]
Note du traducteur : les exceptions correspondent aux moments dans la vie des clients au cours desquels les problèmes ne se produisent pas ou se produisent de manière atténuée.
1Il existe un jeu auquel les enfants jouent parfois : une personne chuchote une histoire à l’oreille d’une autre personne qui la chuchote à l’oreille d’une troisième personne. Celle-ci transmet l’histoire à une quatrième personne et ainsi de suite. Ce processus continue jusqu’à ce que chacun ait entendu une version de l’histoire initiale. A ce moment là, la dernière personne ayant écouté l’histoire, la raconte à tout le monde et la version finale est comparée à la version initiale. L’aspect amusant de ce jeu tient aux différences entre les deux histoires et aux essais des joueurs d’expliquer comment la version initiale a été transformée alors qu’elle était transmise d’une personne à une autre. Ce que nous révèle ce jeu a également des applications très sérieuses. Nous l’utilisons quelquefois pour montrer comment naissent les rumeurs et comment elles se propagent au sein des communautés.
2Les rumeurs sont des histoires qui traversent les groupes comme celles du jeu que nous venons de décrire. Selon Ludwig Fleck (1979 [1] ), même lorsque nous observons le développement de faits scientifiques – qui sont de façon surprenante similaires aux rumeurs.
«…nous ne pouvons pas ne pas reconnaître leur structure sociale.. les pensées passent d’un individu à un autre, chaque fois légèrement transformées, puisque chaque individu y ajoute des associations quelque peu différentes. A vrai dire, le receveur ne comprend jamais une pensée exactement comme l’émetteur veut qu’elle soit comprise. Après une série de telles rencontres, il ne reste pratiquement rien du contenu original. De qui est cette pensée qui continue à circuler ? Il est évident qu’elle appartient non pas à un quelconque individu, mais à la collectivité. Qu’un individu le prenne pour une vérité ou une erreur, la comprenne correctement ou non, un ensemble de découvertes vagabonde à travers la communauté, se polissant, se transformant, se renforçant ou s’atténuant, alors que dans le même temps, il influence d’autres découvertes, la formation d’un concept, des opinions et des habitudes de pensée. Après avoir plusieurs fois parcouru la communauté, une découverte revient toujours considérablement changée à son initiateur qui l’examine sous un jour très différent. Ou bien il ne la reconnaît pas comme sienne, ou bien, et cela arrive très souvent, il croit l’avoir conçue dès le début sous sa forme actuelle. »
4Alors que l’histoire passe d’une personne à une autre, de nouveaux mots sont utilisés pour décrire l’action, de nouvelles leçons sont tirées des histoires, et les événements dont il est question peuvent être situés dans des contextes sociaux très différents. Toutefois, en ce qui concerne les rumeurs, le plus souvent nous ne pouvons pas nous mettre d’accord sur l’identité de l’initiateur de l’histoire. Et même si nous pouvons en convenir, nous ne pouvons pas être d’accord sur le fait que la première version de l’histoire est la plus crédible. Décider qui et quoi croire peut devenir un sacré problème pour les membres d’une communauté au sein de laquelle beaucoup donnent énormément d’importance au fait de détenir la « vraie » histoire. Et les choses se compliquent encore lorsque les auteurs des histoires « en compétition » considèrent la leur comme la seule version vraie et crédible.
La thérapie systémique brève centrée sur les solutions en tant que rumeur
C’est un piètre observateur celui qui ne remarque pas qu’une conversation stimulante entre deux personnes crée vite une situation dans laquelle chacun exprime des pensées qu’il n’aurait pas pu avoir seul ou avec une compagnie différente.
Ludwig Fleck (1979)
6Cet article répond à certaines questions soulevées récemment et de plus en plus souvent, au cours de séminaires ou d’ateliers sur la thérapie brève centrée sur les solutions. Ces questions ont été posées par des membres de la communauté des thérapeutes, très soucieux d’obtenir la « vraie » histoire de la thérapie brève centrée sur les solutions. Certaines questions concernent les techniques et les stratégies mais d’autres traitent du sens général de la thérapie systémique brève centrée sur les solutions, et plus particulièrement de ses cadres théoriques et de ses implications politiques. Les sujets les plus fréquemment abordés sont les suivants : Quels sont les principaux thèmes postmodernes retrouvés dans la thérapie systémique brève centrée sur les solutions ? Comment ces thèmes sont-ils reliés à la pratique ? Quelles sont les implications politiques de la thérapie systémique brève centrée sur les solutions ?
7L’intérêt des thérapeutes pour ces domaines reflète le degré d’acceptation de la thérapie systémique brève centrée sur les solutions au sein de divers cercles de thérapeutes. En fait, on pourrait dire que ces questions montrent que les pionniers en thérapie systémique brève centrée sur les solutions ont atteint l’un de leurs plus importants objectifs, à savoir d’amener des débats entre thérapeutes à propos de leurs pratiques professionnelles et des philosophies qui les sous-tendent au delà des hypothèses et intérêts de la thérapie familiale traditionnelle et de la psychothérapie conventionnelle.
8Nous pensons utile de concevoir la thérapie systémique brève centrée sur les solutions comme une rumeur. C’est une série de récits qui circulent à l’intérieur et à travers les communautés de thérapeutes. Ces récits correspondent à autant de versions de la rumeur circulant à propos de la thérapie systémique brève centrée sur les solutions. Alors que l’on retrouve toujours les noms des personnages principaux, les intrigues et les contextes qui organisent l’action peuvent varier du récit d’un épisode à un autre. C’est peut-être pour cela que tant de personnes posent des questions sur les liens intellectuels et les implications politiques de la thérapie systémique brève centrée sur les solutions. Ces thèmes se trouvent au cœur des intrigues et lieux de beaucoup d’histoires constituant la rumeur que nous appelons thérapie centrée sur les solutions. La façon dont sont définis ces sujets dans les communautés de thérapeutes peut aussi avoir des implications pratiques, dans la mesure où les perceptions que les membres de la communauté ont de la réalité sociale et de leurs actions sont parfois liées à l’information véhiculée par les rumeurs.
9Dès lors il est important pour nous d’être très clairs quant à l’objectif de cet article. Il ne s’agit pas d’offrir le seul récit crédible, définitif et final sur la thérapie systémique brève centrée sur les solutions. Pour nous, les rumeurs appartiennent aux communautés entières. Aucun conteur particulier ne « détient » la rumeur. Nous pensons néanmoins pouvoir apporter notre contribution à cette rumeur. Notre seul objectif est de la garder vivante en la racontant à nouveau d’une manière légèrement différente. Nous devons aussi noter que notre récit à propos de cette rumeur est lié à nos implications anciennes, mais différentes, vis-à-vis de la thérapie centrée sur les solutions et de sa mise en œuvre.
10Steve de Shazer est thérapeute et a une pratique clinique. Il est également l’un des « inventeurs » de la thérapie centrée sur les solutions. Il a abondamment écrit sur la théorie et la pratique de cette approche. Au cours de ses voyages dans le monde entier, il anime des ateliers et des séminaires, et discute de la thérapie centrée sur les solutions avec d’autres thérapeutes. Certains pourraient dire qu’il est la plus grande autorité dans ce domaine. Gale Miller, de son côté, est sociologue et professeur d’université. Une partie de ses recherches se passe à étudier et à écrire sur les activités professionnelles des thérapeutes prenant comme référence la thérapie centrée sur les solutions. Dans ce but, il a passé une partie des treize dernières années à observer et analyser la façon dont travaillent les thérapeutes centrés sur les solutions. Ses analyses sont l’une des interprétations possibles de la thérapie centrée sur les solutions réalisée par un « étranger » à la communauté thérapeutique, mais par un étranger intéressé. (Miller, 1997).
11Ces différences sont significatives pour nous. Nous pensons qu’elles constituent des centres d’intérêt et des points de vue distincts sur la thérapie centrée sur les solutions. Les histoires que nous avons entendues racontées par d’autres et que nous racontons à notre tour sont différentes. Cet article est particulier dans la mesure où il mêle nos intérêts et nos interprétations divergents sur la thérapie centrée sur les solutions. Il ne s’agit pas tant d’essayer d’arriver à la « bonne » histoire sur la thérapie centrée sur les solutions que de « clarifier » nos histoires. Nous pensons utile pour les autres de recevoir, à partir de nos deux points de vue, la même histoire. Bien sûr, il appartient à chacun de décider si notre contribution à la rumeur connue sous le nom de thérapie centrée sur les solutions est crédible et utile pour lui-même. Nous ne prétendons pas avoir une connaissance ou une compréhension privilégiée de cette rumeur.
12Il faut aussi noter que notre but, ici, n’est pas d’élaborer un récit sans faille qui relierait adroitement tous les aspects de la thérapie centrée sur les solutions en une histoire où tout serait intégré. Ce type de récit ne correspond pas à ce qu’est pour nous la thérapie centrée sur les solutions et à la façon dont elle fonctionne. Si la thérapie centrée sur les solutions implique la construction sociale de nouvelles histoires des vies des clients, elle ne nécessite pas que ces nouvelles histoires tiennent compte et expliquent tous les aspects des vies des clients. On peut comprendre cet aspect de la thérapie brève centrée sur les solutions grâce à la distinction de Von Glaserfeld’s (1984) entre « correspondance » et « adéquation ». Comme l’explique Anderson (1990),
Ainsi notre récit examine quelques concepts que nous jugeons utiles pour donner sens à la thérapie centrée sur les solutions. Ils correspondent à ce que nous voyons se produire dans les séances de thérapie centrée sur les solutions. Nous examinerons aussi de quelles façons ces concepts peuvent être utilisés pour répondre aux questions concernant les liens intellectuels et les implications politiques de la thérapie centrée sur les solutions.La recherche de la vérité a été dominée par l’idée d’une « adéquation » parfaite entre la réalité cosmique et la compréhension humaine de celle-ci. L’idée d’une correspondance conduit à une vision plus pragmatique des choses. Un système philosophique, une théorie scientifique, une religion ou même une identité personnelle n’ont pas à être le reflet précis d’une réalité définitive tant qu’il/elle opère plus ou moins bien dans son contexte.
Donner un sens à la thérapie centrée sur les solutions
Il arrive souvent que nous ne devenions conscients de faits importants seulement si nous supprimons la question « pourquoi ?» et que au cours de recherches ces faits nous conduisent à une réponse.
Ludwig Wittgenstein (1958).
15Bien que cela soit évident pour beaucoup, nous pensons toujours important de souligner que la thérapie est une pratique mise en œuvre pour plusieurs raisons qui ont des liens mais qui sont différentes. L’une des raisons les plus importantes pour lesquelles la thérapie est pratiquée est d’aider les clients à changer leur vie. Cette justification de la thérapie est également un test de celle-ci. Quand n’est-il pas légitime de poser les questions « Est-ce que le fait de venir en thérapie contribue à la production de changements positifs dans la vie des clients ?» « Est-ce que cela marche ?». Cette justification et ce test sont particulièrement pertinents pour la thérapie centrée sur les solutions, conçue pour créer des changements positifs les plus rapides possible. Les thérapeutes pratiquant la thérapie centrée sur les solutions considèrent ce test comme un critère éthique qu’ils se sentent tenus de respecter. Ainsi toutes les questions que posent habituellement les thérapeutes centrés sur les solutions, des questions s’appuyant sur des « échelles » à la question « miracle » en passant par le « comment faire face à ?», pourraient être évaluées par la question « Est-ce qu’elles marchent ?»
16L’importance de la pratique dans la thérapie centrée sur les solutions est clairement évidente dans la naissance et l’évolution de la question « miracle », pièce centrale de cette approche :
« Imaginez... lorsque nous en aurons terminé ici, vous allez rentrer chez vous et dîner, faire les travaux de ménage habituels, regarder la TV, et tout autre chose, et ensuite vous allez aller au lit et vous endormir,... et, pendant que vous dormez..
un miracle se produit, et les problèmes qui vous ont amené en thérapie ont disparu, juste comme çà !... mais cela est arrivé pendant que vous dormiez, alors vous ne savez pas que cela s’est produit.. Alors, lorsque vous vous réveillez le matin, comment découvrirez-vous que ce miracle a eu lieu ?» (de Shazer, 1985).
18La première version de la question miracle fut posée au Brief Family Therapy Center lors d’un entretien au cours duquel thérapeute et client avaient des difficultés à préciser un objectif de travail. Pour autant que la cliente pouvait en juger, elle seule saurait – d’une façon ou d’une autre, quelque part profondément en elle – que son problème (se sentir déprimée) était résolu et qu’elle se sentirait mieux. Personne d’autre ne pouvait être conscient de cela parce que personne d’autre ne savait comment elle se sentait « déprimée ».
19Comme le disait Wittgenstein avec pragmatisme, tout « processus interne nécessite des critères extérieurs » (1958). Cela signifie que le « mieux être » du client amènera un comportement différent et ce comportement différent incitera les autres personnes à lui répondre différemment. Ces réponses différentes peuvent servir de renforcements aux comportements différents du client, et ainsi de renforcements pour les changements internes.
20La cliente répondit à la question miracle qu’elle irait à son bureau à 6h30 et ferait sa paperasserie. Ceci surprendrait ses collègues et son chef dans la mesure où elle avait l’habitude de se rendre à son bureau peu après 9h00. Son patron lui avait fait des remarques continuelles pendant six mois pour qu’elle rattrape son retard vis-à-vis de ses papiers. Elle ajouta que son mari serait très surpris de voir ce qui se passerait. Ce début de description d’un objectif « travaillable », c’est-à-dire décrit en termes interactionnels, comportementaux et concrets, constitua un fait nouveau noté à la fois par le thérapeute et son équipe.
21Au cours de la seconde séance, la cliente rapporta qu’auparavant elle n’imaginait pas qu’elle n’avait pas besoin d’attendre que le miracle se produise, tout ce dont elle avait besoin était de se lever tôt le matin et d’aller au bureau ! Ce qu’elle avait fait peu après la première séance. De ce fait, elle fit état d’une amélioration considérable.
22Par la suite, les membres du Brief Family Therapy Center ont testé et affiné la question miracle en demandant à d’autres clients d’imaginer et de décrire leurs vies à la suite du « miracle ». Ils ont ainsi mis au point diverses façons de poser cette question afin de l’ajuster à leur style particulier d’interactions avec leurs clients. La question miracle apparut comme une solution concrète à un problème concret, à savoir la définition d’objectifs utiles. Les thérapeutes centrés sur les solutions continuent à l’utiliser parce qu’elle leur sert, dans la pratique, à aider les clients à développer des objectifs de changement qu’ils peuvent atteindre.
23La thérapie centrée sur les solutions et les autres approches thérapeutiques sont aussi liées à des idées, des logiques et des raisonnements généraux qui expliquent les raisons pour lesquelles elles opèrent comme elles le font et/ou ce qu’elles pourraient accomplir en dehors de la salle de thérapie. Ces raisons – variables selon les approches thérapeutiques – constituent les liens intellectuels et les implications politiques de la thérapie. Elles sont en tous points aussi importantes, basiques et contestables que les questions concernant les effets pratiques de la thérapie sur la vie des clients. Elles comportent aussi d’importants problèmes éthiques. Mais ce sont des questions extrêmement différentes, et il est important de garder ces différences à l’esprit.
24Les questions pratiques à propos de la thérapie se centrent sur les désirs de changement des clients, et sur la responsabilité du thérapeute dans la construction de ces changements avec les clients. C’est pour cela que les clients paient les thérapeutes. C’est le travail des thérapeutes. Décrire les thérapeutes comme ayant un travail ne signifie pas qu’ils le font uniquement pour gagner de l’argent, même s’il s’agit aussi de l’un de leurs intérêts professionnels. Pour être plus précis, considérer la thérapie comme un travail est utile pour souligner le côté concret des relations et des activités professionnelles. Les thérapeutes posent des questions et font des suggestions destinées à aider les clients à améliorer leurs vies. Accomplir ce travail est fondamental. Encore une fois, il est nécessaire de répéter la question « Est-ce que cela marche ?». Les thérapeutes qui échouent dans l’accomplissement de ce travail échouent en thérapie, quoiqu’ils puissent accomplir par ailleurs dans le processus.
25L’autre série de questions traite de thèmes qui intéressent en premier lieu des « non-clients », particulièrement des thérapeutes ou quelques professeurs d’université. Ces thèmes soulignent l’orientation que les thérapeutes centrés sur les solutions et les autres thérapeutes prennent vis-à-vis de développements touchant d’autres aspects de la société. Les réponses à ces questions construites par les thérapeutes correspondent à des définitions générales du rôle des thérapeutes dans la société ainsi que de leur contribution en son sein. Leurs réponses prouvent le bien-fondé de la thérapie en associant les thérapeutes avec des idées, des personnes, et des mouvements sociaux. Elles peuvent également les cataloguer comme opposés à d’autres idées, personnes, et mouvements. Souvent les thérapeutes utilisent questions et réponses pour définir la thérapie comme une cause (à défendre), et pour attribuer à différentes formes de thérapie différentes « causes ». Les histoires sur ces thèmes sont racontées surtout à des thérapeutes par d’autres thérapeutes. Ainsi, l’influence et les responsabilités des clients dans le processus de la thérapie y sont souvent minimisées. L’on comprend aisément que les clients aient peu d’intérêt pour ces sujets. Pourquoi les clients se préoccuperaient-ils de causes intellectuelles, politiques ou autres auxquelles les thérapeutes adhèrent ? Les clients ont leurs propres problèmes.
26Les métaphores de travail et de cause (à défendre) utilisées à propos de la thérapie forment deux contextes différents – mais reliés – qui donnent un sens à la thérapie centrée sur les solutions et aux autres approches thérapeutiques. Ils ne constituent pas à eux seuls toutes les façons dont la rumeur « thérapie centrée sur les solutions » peut être contée. Mais il s’agit des deux points de départ principaux utilisés par les thérapeutes pour construire les personnages, les actions, la tension dramatique, et les leçons morales qui composent les histoires qu’ils se racontent les uns aux autres.
27Bien plus, le point de départ choisi par les thérapeutes pour raconter leurs histoires est important. S’ils commencent en considérant la thérapie comme un travail, leurs récits mettront en avant la relation client-thérapeute, les contingences de la relation, et les responsabilités des thérapeutes dans ces relations. Par contre, les histoires construites à partir de la conception de la thérapie comme une « cause (à défendre)», vont vraisemblablement considérer la relation thérapeute-client comme un épiphénomène : son importance, sa signification proviennent d’intérêts plus larges, comme la culture et les structures politiques et économiques. Ces dernières histoires insistent souvent sur la façon dont la thérapie est un processus qui aide les clients à « voir » comment ces réalités « plus larges » façonnent leurs vies et leurs problèmes.
28Commencer par considérer la thérapie comme un travail ou comme une cause (à défendre) a aussi des implications pour les personnes faisant autorité qui, mises en avant par les conteurs d’histoire, fournissent des cadres intellectuels et politiques à la thérapie centrée sur les solutions et aux autres thérapies. Les conteurs créent de telles autorités en racontant des histoires qui attribuent à certaines personnes une connaissance ou un insight privilégiés. Ces autorités s’expriment avec une crédibilité et une considération spéciales, mais leur reconnaissance comme autorité est toujours contingente à l’histoire racontée. Ainsi certains diraient que Steve de Shazer est une autorité en matière de thérapie centrée sur les solutions. Pourtant son rôle varie en fonction de l’histoire : parfois, il est considéré comme la seule autorité crédible – même l’autorité ultime – sur tous les aspects de la thérapie centrée sur les solutions. Dans d’autres histoires, son expertise et sa crédibilité sont limitées à seulement certains aspects de la thérapie centrée sur les solutions. Nous pouvons même présumer qu’il existe des histoires qui présentent de Shazer comme n’ayant aucune crédibilité dans ce domaine.
29Ainsi des points de départ différents peuvent conduire les conteurs d’histoire à reconnaître plusieurs autorités, ou à considérer différemment ces mêmes autorités. Par exemple, nous pouvons tous être d’accord pour considérer que Steve de Shazer est une autorité en thérapie centrée sur les solutions ou pour dire que la thérapie centrée sur les solutions est une forme de thérapie postmoderne. Mais vraisemblablement ce consensus disparaîtra rapidement dès que nous commencerons à discuter de la façon dont Steve est une autorité ou dès que nous demanderons « Quelle est la signification “réelle” de ses déclarations sur la thérapie centrée sur les solutions ?» Des difficultés semblables émergent lorsque nous commençons à décrire les aspects centraux qui définissent la thérapie centrée sur les solutions et le postmodernisme. Répondre à la question « Qu’est-ce que c’est ?» n’est pas toujours aussi facile à faire que nous le supposons parfois.
30Et la discussion peut devenir encore plus litigieuse lorsque nous nous penchons
sur les liens entre thérapie centrée sur les solutions et postmodernisme, ou bien sur
l’influence de certains écrits d’intellectuels postmodernes sur les pratiques et les
idées des thérapeutes se référant à la thérapie centrée sur les solutions. Ces discussions vont vraisemblablement amener les questions suivantes :
Quels sont les auteurs dont on doit considérer que les écrits font autorité à propos du postmodernisme ? Comment ces textes de référence doivent-ils être interprétés ? Quels en sont les aspects les plus utiles pour la thérapie centrée sur les solutions ? Quelles sont les personnes (qu’il s’agisse de thérapeutes centrés sur les
solutions ou d’autres) qui parlent avec autorité sur le postmodernisme aussi bien
que sur la thérapie centrée sur les solutions ?
31Ces questions laissent percevoir quelques-unes des raisons pour lesquelles la thérapie centrée sur les solutions et les autres rumeurs sont si instables. Leur significations et leurs implications pratiques changent avec chaque récit de rumeur, et chaque récit de rumeur doit bien débuter quelque part. Les points de départ que nous utilisons en racontant des histoires sont des points de vue à partir desquels nous construisons des réalités sociales. Nous voyons – et racontons des histoires à ce propos – des réalités différentes quand nous passons d’un point de vue à un autre, mais nous ne pouvons nous tenir qu’à un seul endroit à la fois. Ainsi les conteurs d’histoire ne peuvent pas commencer leurs histoires à propos de la thérapie brève centrée sur les solutions en la considérant en même temps comme une cause (à défendre) et comme un travail. Ils doivent faire un choix. Plus tard, ils peuvent examiner certains aspects associés à l’autre stratégie, mais seulement au sein du contexte narratif qu’ils ont déjà construit.
Un début de récit
Il ne doit rien y avoir d’hypothétique dans nos considérations.
Nous devons laisser de côté toute explication, et seule la description peut prendre sa place… Ludwig Wittgenstein (1958)
33Pour notre part, nous préférons prendre comme point de départ les aspects pratiques de la thérapie brève centrée sur les solutions – ou la thérapie brève centrée sur les solutions comme travail. Cette stratégie se centre sur certains aspects des plus simples, des plus basiques et des plus évidents de la thérapie centrée sur les solutions. Notre histoire souligne des aspects très quelconques comme la responsabilité professionnelle du thérapeute centré sur les solutions dans la mise en place d’une coopération avec les clients et dans l’aide qu’il leur apporte pour améliorer leurs vies. Elle se centre également sur les façons concrètes dont clients et thérapeutes gèrent leurs relations sociales afin de construire des solutions aux problèmes des clients au cours de la thérapie.
34L’une des principales raisons pour lesquelles nous préférons cette stratégie est qu’elle nous amène à porter notre attention sur les détails des échanges entre le client et le thérapeute. La thérapie centrée sur les solutions est un processus interactionnel constitué d’actes très ordinaires : poser des questions et y répondre, commenter les affirmations des autres, et évaluer les solutions possibles aux problèmes du client… De plus, tous ces actes sont des caractéristiques qui peuvent être observés lors des séances de thérapie centrée sur les solutions. Il nous suffit de regarder et d’écouter pour voir et entendre comment les relations thérapeute-client et les solutions aux problèmes des clients sont construites de façon interactionnelle au cours des séances.
35Un avantage supplémentaire de cette approche est qu’elle fournit un frein pour contrôler la tendance des conteurs à « sur-généraliser », c’est-à-dire à raconter des histoires qui n’ont que très peu de liens avec les lieux dans lesquels la thérapie centrée sur les solutions est pratiquée. De telles histoires sont souvent intéressantes et même utiles vis-à-vis de certains objectifs, mais elles peuvent créer aussi de la confusion en séparant la signification de la thérapie centrée sur les solutions des pratiques véritables qui la fondent. Notre stratégie narrative exige que l’ensemble des généralisations et chacune d’entre elles soient ratifiées par les détails observables dans les pratiques et les cadres de la thérapie centrée sur les solutions.
36Cette stratégie est cohérente avec celle de Wittgenstein et d’autres philosophes du langage apparentés. Ils insistent sur le fait que la signification des mots est inséparable des façons dont les personnes les utilisent au sein de contextes sociaux concrets. Dans l’abstrait, chaque mot peut avoir une infinité de significations, mais ceci n’est pas le cas dans le monde pratique de la vie quotidienne. Ici les mots sont utilisés par les orateurs (et les auditeurs) et par les écrivains (et les lecteurs) pour arriver à leurs fins. Nous utilisons le langage pour faire des choses et, ce faisant, nous attribuons des significations concrètes aux mots que nous utilisons.
37Nous oublions souvent l’importance du langage dans nos vies parce que, comme Wittgenstein le déclare, il est organisé comme divers jeux de langage qui nous sont si familiers que nous les tenons pour acquis. Par jeux de langage nous entendons les manières typiques dont nous utilisons le langage pour construire des significations et bâtir des relations. Ce sont, au moins jusqu’à un certain point, des modes d’utilisation du langage, culturellement standardisés, que les autres et nous-mêmes reconnaissons et auxquelles nous répondons au cours de nos rencontres quotidiennes. Les jeux de langage incluent par exemple nos comportements habituels au cours d’interactions sociales avec nos médecins, nos façons d’exprimer notre colère aux autres, ou encore les façons dont l’on nous sollicite au téléphone pour obtenir des dons. Peut-être parce que tout cela est si banal, nous considérons souvent les jeux de langage comme triviaux. L’une des plus importantes contributions de Wittgenstein fut d’attirer l’attention sur la façon dont le langage envahit nos vies quotidiennes, nous rappelant ainsi de prêter attention à cet aspect de la société qui sans cela passerait inaperçu.
38Les jeux de langage sont associés à des formes de vie que Wittgenstein analyse comme nos différentes manières d’exister dans le monde. Les formes de vie consistent dans les relations et les rôles sociaux concrets à l’intérieur desquels nous dirigeons nos vies. Cela inclut des activités très diverses comme acheter des objets dans un magasin du quartier, envoyer et recevoir du courrier électronique avec un ordinateur, et aller à un match de baseball. Chacune de ces formes de vie est inextricablement liée à un ensemble de déplacements observables dans le jeu de langage, déplacements qui définissent ces activités comme distinctes. C’est pourquoi acheter de l’épicerie n’est pas la même chose qu’envoyer un courrier électronique pour saluer un ami. Ce sont des façons différentes d’être au monde.
39On peut dire la même chose à propos des problèmes et des solutions. Ce sont des formes de vie qui sont construites socialement et maintenues par différents jeux de langage. D’un côté, les jeux de langage centrés sur les problèmes mettent en valeur ce qui est mauvais dans la vie des personnes (Miller et de Shazer, 1991). Fréquemment, ce jeu de langage décrit aussi les sources de nos problèmes comme des forces puissantes se situant bien au-delà de nos capacités de contrôle et parfois même de notre compréhension. D’un autre côté, les jeux de langage centrés sur les solutions se centrent sur les façons dont chacun gère ses problèmes – lorsqu’il n’est pas possible d’y remédier – (Miller et de Shazer, 1991). Ici l’accent est mis sur l’identification des ressources que nous utilisons, ou que nous pourrions utiliser pour changer nos vies et les mener sur des chemins que nous préférons. Une façon de « jouer » ce jeu de langage est de considérer le changement comme une lutte pour gagner du contrôle sur nos problèmes. Mais il peut être « joué » de bien d’autres manières, y compris en considérant que les problèmes de quelqu’un et leurs origines sont sans rapport avec le processus de changement.
40Les jeux de langage centrés sur les problèmes et les jeux de langage centrés sur les solutions sont également associés à des formes de vie différentes. Evidemment, les jeux de langage centrés sur les problèmes sont les plus intéressants des deux, surtout pour les sociologues. En effet, cela envahit la vie quotidienne. C’est fréquemment une partie des conversations entre les membres de la famille au moment du repas, des interactions ordinaires entre voisins, et des habituels « bavardages » échangés au travail à propos des chefs et des collègues. Se plaindre à propos de nos problèmes est une façon de construire et de maintenir des relations sociales. C’est souvent une activité agréable qui remplit de nombreuses heures de nos vies. Mais cela peut devenir aussi une expérience très difficile et très frustrante. En « jouant » à ce jeu de langage, nous prenons le risque de créer, pour nous-mêmes, une histoire tragique de notre vie. Cette histoire est organisée comme un cycle autosuffisant : nous nous projetons comme des victimes, sans espoir, des contingences de la vie, et à partir de cette hypothèse nous interprétons les expériences suivantes comme des confirmations de notre statut de victime.
41Les solutions font partie d’un jeu de langage qui peut être déconnecté des jeux de langage centrés sur les problèmes. Quelles sont nos chances, par exemple, d’apprendre à danser le tango si nous passons nos jours et nos nuits à jouer aux échecs ? Souvent, parler des problèmes revient à jouer aux échecs, et parler des solutions à danser le tango. L’absence de connexion entre les jeux centrés sur les problèmes et les jeux centrés sur les solutions est l’un des points-clés de la pratique de la thérapie centrée sur les solutions. Les thérapeutes centrés sur les solutions insistent sur ce point en proclamant cette idée postmoderne que les problèmes des clients n’ont pas de cause. « Trouver » les causes des problèmes des clients n’est pas nécessaire pour construire des solutions, et le temps passé à la recherche des causes peut en fait empirer les problèmes. Ces jeux de langage différents ont des conséquences pratiques différentes pour les « joueurs ».
Promenade au pays du postmodernisme
Notre discours prend son sens du reste de nos manières d’agir.
Ludwig Wittgenstein (1972).
43Wittgenstein a élaboré et décrit les concepts de jeux de langage et de formes de vie comme des façons de se promener dans le monde : grâce aux jeux de langage nous pouvons voir, expérimenter et participer à des mondes sociaux faits de personnes, d’évènements et d’objets divers. Selon Wittgenstein, les différentes utilisations du langage correspondent à des chemins. Ils nous amènent dans des directions différentes, nous permettent de découvrir de nouveaux points de vue et de voir les anciens points de vue différemment. Il est possible, alors, pour deux personnes suivant des chemins différents d’avoir des expériences différentes avec – ce qui semble être – le même panorama. Paris n’est pas la même ville pour le passager d’un avion qui la survole, un vendeur de rue proposant des glaces aux touristes quittant la Tour Eiffel, et pour le conducteur de métro rentrant chez lui après une longue journée de travail. En fait, certains pourraient argumenter que ces chemins, ces expériences et ces formes de vie sont si différentes qu’elles ne correspondent pas du tout à la même ville.
44Cette conclusion pourrait certainement être tirée des développements récents appelés postmodernisme, terme informe pouvant faire référence à une période historique, à un type d’idées ayant des liens assez lâches, et/ou à une attitude envers la vie. Comme pour Paris, le postmodernisme est différent en fonction du chemin que l’on a pris pour s’y promener, et les guides touristiques écrits pour se balader dans le post-modernisme ne sont, en aucune façon, aussi utiles que ceux qui ont été écrits pour se balader dans Paris. Ce qui est considéré comme postmoderne n’est pas toujours très clair. Il est facile de devenir confus lorsque nous nous demandons si nous appartenons à ce courant ou si nous appartenons à quelque chose d’autre. Et, de toutes façons, se pose la question de savoir s’il est réellement important que nous soyons « dans » le postmodernisme. Ne serait-il pas suffisant que chacun fasse bien son travail ?
45Il est important, alors, de garder toujours à l’esprit que notre version de la rumeur sur la thérapie centrée sur les solutions se réfère au postmodernisme au travers du chemin tracé par Wittgenstein. Ce chemin – au risque de nous répéter – fait percevoir les utilisations concrètes du langage dont usent les personnes pour faire les choses, y compris pour construire problèmes et solutions. C’est un chemin qui ne s’écarte jamais très loin des jeux de langage concrets des thérapeutes et de leurs clients. Il n’est ni droit ni linéaire. Il tourne autour et passe à travers certaines parties du postmodernisme tandis qu’il en évite d’autres. Bien plus, la vue que l’on a à partir de ce chemin est celle d’un processus et d’un mouvement continuels. Ceux qui voyagent sur ce chemin apprennent vite à accepter le changement, la discontinuité et l’imprévu comme des figures normales de la vie normale.
46C’est la raison pour laquelle les thérapeutes centrés sur les solutions font leur la pratique postmoderne qui consiste à éviter les métanarrations (Lyotard, 1984). Les métanarrations, ou grandes théories, sont des histoires qui expliquent la réalité tout en la réduisant à quelques éléments et principes fondamentaux. Elles sont centrales dans la catégorisation que thérapeutes classiques et thérapeutes familiaux font de leurs clients qu’il s’agisse de maladie mentale ou de types de systèmes familiaux. Ces catégories sont simultanément des classifications des clients et de leurs problèmes, des théories qui expliquent les circonstances de la vie des clients et leurs problèmes, des stratégies pour résoudre les problèmes des clients. Ces métanarrations sont très souvent sous-tendues par l’idée que les vies des clients sont stables. Elles contiennent aussi l’idée que les vies des clients sont saturées de problèmes et que, en conséquence, un changement nécessite une intervention extérieure.
47A l’inverse, dans les histoires qu’ils racontent, les thérapeutes centrés sur les
solutions insistent sur le fait que les solutions des problèmes des clients sont déjà
présentes dans la vie de ces derniers. Les solutions sont présentes de même que les
exceptions [2] aux problèmes des clients, et de même que les ressources personnelles
et sociales sur lesquelles les clients peuvent s’appuyer pour résoudre leurs problèmes. En fait chaque question habituellement posée par un thérapeute centré sur
les solutions est lié à cette hypothèse. Par exemple, lorsque les thérapeutes centrés
sur les solutions posent des questions à partir d’échelles, ils le font en cherchant à ce
que le client découvre et fasse état des exceptions :
« Sur une échelle de ‘0’ à ‘10’, si 10 représente la façon dont les choses seront le
lendemain du miracle, et si 0 représente la façon dont les choses étaient au moment
où vous avez téléphoné et pris ce rendez-vous, où diriez-vous que les choses sont en
ce moment entre 0 et 10 ?»
48(Evidemment, cette question particulière est posée après la réponse du client à la question miracle). La réponse la plus fréquemment donnée par les clients est que les choses actuellement en sont à « trois ». Cela signifie que depuis l’appel téléphonique, une amélioration s’est déjà produite. Les thérapeutes centrés sur les solutions demanderont ensuite au client de décrire, avec autant de détails que possible, les différences qu’il ou qu’elle voit (et que les autres voient) entre zéro et trois. Puis ils poursuivent généralement en lui demandant d’expliquer comment il a fait en sorte que ces exceptions se produisent; il s’agit dans le jeu de langage d’une figure destinée à identifier les ressources personnelles et sociales que les clients ont et qu’ils ont déjà utilisées pour résoudre leurs problèmes. Ensuite, fréquemment, le thérapeute demande comment le client et les autres personnes sauront que les choses sont passées de trois à quatre. Cela implique à la fois que le changement peut être attendu et qu’il peut déjà être identifié et connu. Et, bien sûr, la question miracle est conçue pour utiliser les capacités des clients à espérer et imaginer de façon à identifier de nouvelles formes de vie – moins perturbées.
49Ces questions centrées sur les solutions partent de l’hypothèse que les vies des clients sont continuellement changeantes, et que les problèmes des clients sont des réalités discontinues et contingentes. Les problèmes sont des réalités discontinues parce qu’ils ne sont pas toujours présents dans les vies des clients. Ils sont contingents parce que problèmes et solutions sont directement liés aux activités concrètes des clients, y compris leurs utilisations du langage pour interpréter la réalité. Le jeu de langage centré sur les solutions est conçu pour persuader les clients que le changement non seulement est possible, mais que de plus il est déjà en train de se produire. C’est, en d’autres termes, un procédé rhétorique destiné à amener les clients à trouver des solutions à leurs problèmes.
50L’idée que nous pouvons nous persuader nous-même des solutions et l’idée connexe que nous pouvons nous persuader nous-même des problèmes sont parfois difficiles à accepter pour les thérapeutes – et les autres. Ces prétentions peuvent sembler spécieuses à certains, et même irrespectueuses vis-à-vis des expériences et des inquiétudes des clients. Mais ces réserves sont des productions de leurs propres jeux de langage et de leurs contextes sociaux. A l’intérieur d’un jeu de langage Wittgensteinien, pourtant, l’idée que nous nous amenons nous-mêmes à des problèmes et à des solutions est évidente et même une question de bon sens. Nous construisons les problèmes en interprétant et en décrivant des aspects de notre vie comme des conditions indésirables que nous souhaitons changer. Et nous maintenons nos problèmes en continuant à parler de cette manière. Nous nous persuadons nous-même des solutions en changeant notre façon d’interpréter et de décrire nos vies.
51D’autres font parfois l’objection que de telles affirmations ne tiennent pas compte des conditions matérielles de vie des personnes. Ils donnent souvent l’argument qu’il est important de prendre en compte le fait que les clients décrivent leurs vies comme très agitées. Ces descriptions ne sont pas des fictions, et d’ailleurs, les clients ne peuvent pas simplement faire le vœu que leurs problèmes disparaissent. Pourtant, à partir du chemin tracé par Wittgenstein, nous pouvons percevoir que le langage et les prétendues circonstances matérielles de la vie ne sont pas des entités séparées. Ils sont inextricablement entrelacés. Notre façon d’expérimenter les conditions matérielles est toujours influencée par les jeux de langage que nous « jouons ». Ces jeux façonnent notre façon de catégoriser et de nous orienter vis-à-vis des circonstances de la vie. Ils nous encouragent à faire attention à certains aspects de nos vies et à ne pas prêter attention ou à ignorer d’autres aspects. Les prétendues conditions matérielles de nos vies sont aussi contingentes du langage, discontinues et en cours de construction.
52La thérapie centrée sur les solutions se fonde sur la conception Wittgensteinienne de la vie. Le thérapeute centré sur les solutions pose la question suivante : « Dans la mesure où de toutes façons nous nous persuadons nous-mêmes de l’existence des problèmes et des solutions, pourquoi ne pas accentuer les solutions ?». Cette accentuation des solutions n’est pas une façon de nier les carences et les injustices dans la vie des clients, mais de les dépasser. Comment le fait de continuer à parler de la façon dont elles ont été « victimisées », améliore-t-il les vies des victimes ? Est-ce que ce discours – qui est aussi une rhétorique contenant la justification de son bienfondé – ne fait pas que renforcer leur victimisation en continuant à attirer l’attention sur l’impuissance et le désespoir des clients ? Les thérapeutes n’ont-ils pas la responsabilité d’encourager leurs clients à noter comment ils ont déjà réussi à gérer leurs problèmes et à identifier les ressources personnelles et sociales qu’ils pourraient utiliser pour renforcer le contrôle qu’ils ont sur leur vie ? Ces questions – qui sont basées sur l’hypothèse postmoderne qu’il faut se persuader de l’existence des problèmes et des solutions – ne sont ni désinvoltes, ni irrespectueuses.
53Ces questions aident aussi à expliquer pourquoi de Shazer (1991) analyse la thérapie centrée sur les solutions comme un processus de déconstruction d’une interprétation incorrecte des circonstances de la vie d’une personne. Cette affirmation repose sur deux théories postmodernes. En premier lieu, parce qu’une signification suppose toujours une interprétation, les significations peuvent changer. En deuxième lieu, les thérapeutes centrés sur les solutions considèrent que tous les jeux de langage contiennent des hypothèses tenues comme allant de soi par les « joueurs » eux-mêmes. Une stratégie pour changer nos interprétations et celles des autres est, dès lors, de rendre explicite ces hypothèses allant de soi. Cette stratégie transforme les hypothèses en choix. Il y a maintenant des sujets dont nous pouvons parler, que nous pouvons laisser tomber, modifier ou maintenir.
54Intéressons-nous à nouveau aux questions que les thérapeutes centrés sur les solutions posent habituellement à leurs clients. Beaucoup d’entre elles sont conçues pour déconstruire les mauvaises interprétations que les clients font à propos de ce qui leur arrive. Les questions au sujet des exceptions, par exemple, mettent en cause indirectement les hypothèses des clients selon lesquelles leurs vies seraient perturbées de manière uniforme. Les questions sur les façons dont les gens gèrent leurs problèmes sont destinées à mettre en lumière toute information à propos de leurs forces, de leurs succès, de leur perspicacité. Ces informations peuvent être utilisées pour mettre en cause l’hypothèse des clients selon laquelle ils sont impuissants vis-à-vis de leurs problèmes. Ces questions leur offrent un nouveau choix. Ils peuvent choisir de continuer à se centrer sur leurs problèmes et leur impuissance, ou bien ils peuvent choisir de faire valoir leurs succès passés et les raisons pour lesquelles leur vie future peut même être meilleure. Et lorsque les thérapeutes centrés sur les solutions posent des questions sur les façons dont les clients s’y sont pris pour réussir, ils vont encore plus loin dans la remise en question de cette hypothèse d’impuissance.
55C’est par ces questions et les utilisations concrètes du langage qui y sont liées que les thérapeutes centrés sur les solutions encouragent leurs clients à réinterpréter leurs options dans la vie, et à construire eux-même des solutions. Ces aspects de la thérapie centrée sur les solutions sont aussi des manières de jouer avec le langage et le sens. Quelques philosophes postmodernes attirent l’attention sur cette « attitude » étayée par l’approche du langage de Wittgenstein. Si notre utilisation du langage nous permet toujours de changer une signification, alors pourquoi ne pas jouer avec le langage pour produire de nouvelles significations, plus désirables. Ainsi l’humour des thérapeutes centrés sur les solutions a une portée sérieuse. Le langage est une ressource qui est vitale pour les pratiques de tous les thérapeutes et les relations avec leurs clients.
Vers une politique de possibilités
56Il existe, à notre avis, des avantages clairs à raconter la rumeur thérapie centrée sur les solutions comme une histoire Wittgensteinienne. C’est une histoire pratique, centrée sur le langage qui met en lumière les façons dont les individus et les groupes peuvent changer les circonstances de leurs vies, même si elle reconnaît aussi que personne n’a de contrôle absolu sur sa vie. La philosophie du langage de Wittgenstein a donc un côté sociologique qui souligne comment les jeux de langage et les formes de vie sont des pratiques organisées socialement. C’est pourquoi nous sommes capables de reconnaître les jeux de langage de chacun et d’y participer.
57Le versant sociologique de la philosophie du langage de Wittgenstein est aussi utile pour comprendre l’un des plus grands « périls » de notre façon de raconter la rumeur de la thérapie centrée sur les solutions. Ce « péril » réside dans le fait d’être accusé de colporter une histoire politiquement conservatrice, accusation également fréquente vis-à-vis de la philosophie de Witgenstein (Pitkin, 1972). Pour nous, bien sûr, cette accusation fait elle-même une partie d’un jeu de langage construit à partir de ses propres hypothèses et de ses propres mouvements rhétoriques qui encouragent les « joueurs » à donner un nombre limité de définitions de la politique. A l’intérieur de ce jeu de langage, cela fait parfaitement sens de décrire la thérapie centrée sur les solutions comme conservatrice. Et il n’y a pas de raisons qui pourraient contraindre les « joueurs » de ces jeux à reconsidérer leur position, d’autant plus que, comme Wittgenstein nous l’apprend, chaque jeu de langage constitue un tout pour lui-même.
58Peut-être que l’hypothèse la plus importante associée à ce jeu de langage particulier est la nécessité qu’une thérapie faisant preuve d’une certaine sensibilité politique doit être explicitement liée à une idéologie ou à une politique reconnue. Cette hypothèse est centrale dans beaucoup de rumeurs racontées par les thérapeutes à propos de diverses approches thérapeutiques. Elle affirme la linéarité de la relation existant entre les pratiques qui définissent les approches thérapeutiques et leurs effets généraux – sociaux et politiques. Cette rumeur soutient l’idée que le meilleur moyen de changer le monde est de le faire directement, qu’il s’agisse d’interventions collectives ou individuelles. Les thérapeutes mettent en pratique cette hypothèse de nombreuses façons différentes.
59Certains thérapeutes, par exemple, demandent à leurs clients d’expliquer comment leurs problèmes sont liés à des schèmes sociaux et culturels. Cette stratégie thérapeutique recontextualise les problèmes des clients en les traitant comme des problèmes sociaux et cela justifie, au moins implicitement, les réponses politiques aux problèmes des clients. Traiter les problèmes des clients comme des problèmes sociaux est une des façons par lesquelles thérapeutes et clients font des problèmes des épiphénomènes de difficultés plus vastes que la vie et les inquiétudes immédiates des clients. Trouver les solutions aux problèmes, alors, implique nécessairement le fait de changer les schèmes sociaux et culturels plus grands, c’est-à-dire, les problèmes sociaux qui les causent ou les entretiennent.
60Les thérapeutes centrés sur les solutions ne discutent pas le fait que de telles interventions sont parfois efficaces pour traiter les problèmes des clients. Ils remettent en cause seulement le fait qu’elles soient toujours les meilleures approches et donnent comme argument « qu’une taille unique ne peut aller à tout le monde ». La bonne taille dépend des préférences des clients, de la façon dont ces préférences sont construites dans l’interaction sociale avec les thérapeutes. Nous expliquons le fait que la thérapie centrée sur les solutions insiste sur ce point, en revenant aux caractéristiques de la thérapie définie comme un travail. Ayant un travail à accomplir, les thérapeutes centrés sur les solutions ont une responsabilité éthique pour développer des remèdes aux problèmes des clients qui soient efficaces et satisfaisants pour eux. Il existe de nombreuses manières de remplir cette responsabilité, y compris en utilisant parfois le langage de manière indirecte et ironique. Voici donc un autre thème postmoderne présent dans la thérapie centrée sur les solutions : comment une action bienveillante et efficace nécessite parfois incertitude, paradoxe et contradiction.
61Ce thème est central dans une analyse déconstructionniste qui souligne les tensions, les lacunes, les omissions et les apparentes contradictions qui peuvent être trouvées dans tous les textes. Mais alors qu’ils révèlent les « problèmes textuels », les déconstructionnistes refusent d’y remédier. (Rosenau, 1992). Leur intérêt est d’ouvrir de nouvelles possibilités d’interprétations pour les lecteurs en évitant d’en fermer d’autres. C’est un jeu de langage destiné à perturber les autres jeux de langage et les autres formes de vie, particulièrement celles qui traitent les significations comme stables et évidentes. En thérapie, la stratégie déconstructionniste est parfois utile pour ébranler les définitions conventionnelles des problèmes des clients, comme les catégories diagnostiques formelles des thérapeutes et les orientations inefficaces prises par les clients vis-à-vis de leur vie et de leurs problèmes.
62De Shazer (1991) ne manque pas de décrire le cas d’un couple marié venu consulter pour traiter la nymphomanie de la femme. Elle confia avoir développé récemment le besoin d’avoir des relations sexuelles au moins une fois par jour, faute de quoi elle ne pouvait pas dormir. Mari et femme s’en plaignaient tous deux : elle disait se sentir contrôlée par sa compulsion, et il se plaignait d’être devenu un « étalon » dont la seule fonction était de servir sa femme. Lors d’une séance ultérieure, ils firent état d’une aggravation du problème. Un changement significatif arriva, pourtant, lorsque le mari affirma qu’il croyait qu’il ne s’agissait pas d’un problème sexuel mais d’un problème de sommeil. La femme répondit en demandant au thérapeute, « Avez-vous des traitements pour l’insomnie ?».
63«Cette question ouvrit toute une variété de nouvelles possibilités pour expliquer et résoudre le problème du client. Il est aussi significatif que cette nouvelle possibilité émerge dans l’interaction sans que le thérapeute ne suggère aux clients que le concept de nymphomanie n’était pas approprié dans leur cas. Au contraire, le thérapeute posa des questions destinées à susciter le développement de nouvelles com-préhensions,- en compétition- sans éliminer les compréhensions précédentes. Les nouvelles compréhensions ont rendu un choix possible. D’autres compréhensions alternatives auraient pu émerger et être efficaces dans ce contexte, y compris des compréhensions explicitement politiques. »
64La thérapie centrée sur les solutions, donc, implique une orientation différente vis-à-vis de la politique. La thérapie centrée sur les solutions est un jeu de langage distinct au sein duquel les hypothèses conventionnelles à propos de la politique ont peu de sens, et peuvent même être improductives. C’est peut-être pourquoi les thérapeutes centrés sur les solutions refusent parfois de parler de politique. Par exemple, ils répondent aux questions sur la politique en décrivant la thérapie uniquement comme un travail. Ces questions et cette réponse amènent les « joueurs » impliqués dans le jeu de langage politique conventionnel à leur attribuer une étiquette de « conservateurs ». Interprétée au sein d’un jeu de langage différent, cette réponse indique pourtant que le travail de thérapie est un processus politique. C’est-à-dire qu’il s’agit d’un combat de réalités entre les histoires centrées sur les problèmes que le client amène en thérapie et les histoires centrées sur les solutions que les thérapeutes centrés sur les solutions préfèrent.
65La politique de la thérapie centrée sur les solutions est focalisée sur les façons concrètes par lesquelles thérapeutes et clients remplacent les histoires centrées sur les problèmes par des histoires centrées sur les solutions. C’est une politique de possibilités parce qu’elle permet aux clients de construire plusieurs histoires centrées sur les solutions – même contradictoires. Une taille unique ne convient pas à tous les clients même si les thérapeutes posent les mêmes questions centrées sur les solutions à leurs clients. C’est une raison pour laquelle nous rejetons les histoires qui décrivent la thérapie centrée sur les solutions seulement comme une technique, ou comme trop dépendante de la technique. Chaque réponse d’un client à la question miracle, par exemple, est quelque peu différente, et elles sont souvent extrêmement différentes. Ces différences existent même lorsque deux clients se plaignent de ce qui apparaît être le même problème. Certaines histoires centrées sur les solutions des clients justifient une action politique, mais d’autres non. Le jeu de langage centré sur les solutions est sensible aux deux possibilités et en tient compte.
66La politique de possibilités de la thérapie centrée sur les solutions est peut-être plus facile à percevoir dans la préférence des thérapeutes centrés sur les solutions pour les histoires à fin ouverte. Ces histoires s’inscrivent toujours dans un processus et sont donc susceptibles d’être réinterprétées et révisées. Les thérapeutes centrés sur les solutions n’insistent pas pour que les clients développent de nouvelles histoires qui intègrent leurs vies entières. Il est suffisant pour les clients d’être capables de décrire de meilleures vies futures, et d’identifier comment certains aspects de leurs vies futures sont évidentes dans leurs vies présentes. La stratégie alternative implique la construction de récits « méta » des vies des clients. Ces histoires font des vies des clients des histoires cohérentes basées sur quelques éléments fondamentaux. Cette stratégie narrative va à l’encontre de l’accent que les thérapeutes centrés sur les solutions mettent sur la vie conçue comme contingente, changeante, discontinue et socialement construite.
67Les thérapeutes centrés sur les solutions sont en droit de se demander pourquoi nous devrions nous limiter à une seule histoire de vie, à un seul miracle … Est-ce que la vie ne pourrait pas être une série de miracles et d’histoires ? Et est-ce que toutes nos histoires et nos miracles doivent être en accord les uns avec les autres ? N’est-il pas suffisant de vivre aussi bien que nous le pouvons dans les circonstances présentes, tout en gardant le droit de changer dans le futur ? Voici le type de questions qui émergent du jeu de langage que nous appelons la politique de possibilités.
Quoi ensuite ?
68Un principe de base de la thérapie centrée sur les solutions est que le sens d’une question n’est connu que par la réponse qu’elle engendre. Ainsi, si vous n’aimez pas la réponse que vous avez obtenue, alors vous devriez poser une question différente. Le même conseil pourrait être donné aux thérapeutes quand ils s’interrogent mutuellement sur les pratiques, philosophies et politiques de la thérapie. A notre avis, l’une des raisons pour lesquelles de nombreux thérapeutes sont si soucieux à propos de la signification et des implications de la thérapie centrée sur les solutions vient de la mauvaise construction de leurs questions. Celles-ci ne sont pas adaptées au jeu de langage de la thérapie centrée sur les solutions. Ainsi, les thérapeutes déconcertés obtiennent des réponses qui augmentent leur confusion.
69N’y a-t-il pas ici une certaine ironie ? N’existe-t-il pas une certaine similitude avec les situations que les thérapeutes centrés sur les solutions font valoir en expliquant comment leurs clients se concentrent trop sur leurs problèmes et sont bouleversés ? Et, comme les clients, les thérapeutes « inquiets » peuvent écouter sans aucune critique des histoires qui promettent d’expliquer et de résoudre leurs problèmes. Mais, souvent, cela augmente seulement leur confusion et leur inquiétude parce que les auditeurs dépourvus d’esprit critique laissent les autres décider quelles sont les questions qui devraient être posées et qui devraient obtenir une réponse.
70L’une des principales méthodes que les thérapeutes centrés sur les solutions utilisent pour aider leurs clients consiste à leur poser de nouvelles questions afin d’évaluer leurs vies. Ces questions invitent les clients à élaborer de nouvelles conceptualisations de leurs vies et à en faire de nouvelles descriptions. Autre élément tout aussi important, les clients peuvent utiliser ces questions pour avoir une écoute critique des histoires qui circulent à travers leurs vies. Cette possibilité est centrale dans notre version de la rumeur de la thérapie centrée sur les solutions, basée sur la philosophie de Wittgenstein. En effet, en suivant Wittgenstein, pour commencer un examen critique de nos propres récits et de ceux des autres à propos de la thérapie centrée sur les solutions, les thérapeutes centrés sur les solutions doivent, à notre avis, arrêter temporairement de poser la question du « pourquoi ». Or, les demandes de renseignements à propos des contextes intellectuels et des implications politiques de la thérapie centrée sur les solutions sont souvent formulées à partir de « pourquoi ».
71Lorsque des questions commençant par « pourquoi » sont posées prématurément, les plus grands problèmes émergent. Cela se produit lorsque les questionneurs supposent qu’ils savent déjà ce dont on parle et comment cela fonctionne. Nous pensons cette situation courante en ce qui concerne la thérapie centrée sur les solutions. Les différentes histoires en compétition, racontées à propos de la thérapie centrée sur les solutions indiquent – au moins pour nous – que la question « qu’est-ce que c’est ?» n’a pas encore eu de réponse correcte. Est-ce que la thérapie centrée sur les solutions est un travail, une cause à défendre, ou quelque chose d’autre, ou le tout ensemble ? A notre avis, trop peu d’attention est portée à la question « comment est-elle pratiquée ?». C’est une question qui requiert des descriptions détaillées et concrètes des relations des thérapeutes centrés sur les solutions avec leurs clients et qui devrait être posée avant la question « qu’est-ce que c’est ?». Alors que beaucoup de gens trouvent les questions du « pourquoi » plus intéressantes et plus amusantes à discuter, nous croyons que l’on ne peut pas répondre correctement à ces questions sans avoir, auparavant, fait des descriptions soigneuses de « ce » dont on parle et de « comment » cela fonctionne.
72Ceci nous amène à notre seule recommandation. Nous suggérons que les thérapeutes centrés sur le solutions et les autres, lorsqu’ils entendent des versions différentes de la rumeur sur la thérapie centrée sur les solutions, posent deux questions à propos de ces histoires : Comment la thérapie centrée sur les solutions est-elle définie au sein de ces histoires, quel est le sujet de ces histoires ? Et, ces histoires sont-elles des descriptions satisfaisantes de la façon dont la thérapie centrée sur les solutions est pratiquée ? Les thérapeutes centrés sur les solutions pourraient soulever un peu différemment ce dernier point, en demandant : « Est-ce que cette histoire décrit de manière satisfaisante les détails concrets de ce que je fais en tant que thérapeute et de ce que font mes clients en retour ?». Après avoir obtenu des réponses correctes à ces questions, il est bien possible que les thérapeutes considèrent que poser les questions du « pourquoi » n’est vraiment plus nécessaire.
73Cette stratégie n’aboutira pas à des réponses définitives et irrévocables, mais elle pourrait favoriser l’émergence de réponses utiles. Ces dernières aident les thérapeutes (et les autres) à donner du sens aux pratiques réelles et fondamentales de la thérapie centrée sur les solutions. C’est suffisant pour nous.
74Traduction Marie-Christine Cabié
Bibliographie
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Notes
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[*]
Nous remercions Insoo Kim Berg, Courtney Marlaire, et les lecteurs anonymes de Family Process pour leurs commentaires sur un premier jet de cet article. Nous pouvons dire maintenant publiquement que ce projet était une idée d’Insoo. Elle a organisé une rencontre, nous a convaincu d’écrire un article sur ce sujet, et ensuite disparut afin de nous laisser faire seuls tout le travail.
-
[**]
Professor of Sociology, Department of Social and Cultural Sciences, Milwaukee, Wisconsin.
-
[***]
Senior Research Associate, BFTC, Milwaukee, Wisconsin.
-
[1]
Il s’agit d’un travail publié d’abord en Allemagne en 1935.
-
[2]
Note du traducteur : les exceptions correspondent aux moments dans la vie des clients au cours desquels les problèmes ne se produisent pas ou se produisent de manière atténuée.