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Article de revue

Le patrimoine : une ressource pour le développement

Pages 7 à 20

Notes

  • [1]
    Cf. Bortolotto (2011) et Cominelli (2013).
  • [2]
    Pour la valorisation du patrimoine, le tourisme joue un rôle essentiel : cf. Cuvelier et al., 1994 ; Patin, 2005 ; Bensabe et Donsimoni, 2007.
  • [3]
    Cf. Banque mondiale, 2012.

1Le patrimoine peut être défini comme un ensemble de biens, matériels ou immatériels, dont l’une des caractéristiques est de permettre d’établir un lien entre les générations, tant passées qu’à venir. Il est donc issu d’un héritage, produit de l’histoire, plus ou moins ancienne, d’un territoire ou d’un groupe social.

2Dès le 19e siècle, en France sous l’impulsion de Prosper Mérimée, un certain nombre de monuments ont été identifiés en tant que patrimoine devant être sauvegardé comme témoignage du passé à transmettre aux générations futures. Puis, dans l’entre deux guerres (loi de 1930), des paysages et des sites ont été, à leur tour, classés comme patrimoniaux. Après la seconde Guerre mondiale, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) a fortement contribué à valoriser la dimension culturelle de certains biens en les inscrivant sur la liste du patrimoine mondial, leur conférant ainsi une reconnaissance internationale. Depuis les années quatre-vingt, cette notion de bien patrimonial s’est considérablement étendue tant géographiquement que concernant sa définition qui permet d’y compter aussi bien des biens matériels qu’immatériels.

3Sous ses diverses formes, le patrimoine a nécessairement une dimension collective et sa conservation relève de l’intérêt général. Longtemps envisagé sous le seul angle de sa valeur culturelle (Choay, 1992), le patrimoine apparaît actuellement comme une ressource qu’il convient de valoriser dans une perspective de développement économique et social du territoire qui en dispose (Vernières, 2011). Cette nouvelle approche du patrimoine est tout à la fois le fait des responsables politiques et celle des bailleurs internationaux. La valorisation du patrimoine est donc désormais un des secteurs de la coopération pour le développement. Dès lors les projets le concernant entrent en concurrence avec le financement des autres domaines de coopération, il est donc particulièrement important pour les financeurs de pouvoir évaluer l’apport des opérations de valorisation du patrimoine. Mais ces évaluations sont rendues particulièrement délicates en raison de la diversité des valeurs à prendre en compte.

4Après avoir montré en quoi le patrimoine est un bien collectif (1), ses apports et limites pour le développement seront identifiés (2). Celles-ci sont largement fonction de la relation entre tradition et modernité au sein de chaque société (3). Mais, dans tous les cas, les contraintes issues des possibilités de financement sont déterminantes (4).

La notion de patrimoine culturel immatériel[1]

Sous ce terme de patrimoine immatériel peuvent être englobés un grand nombre de biens : l’image de marque d’un territoire, la qualité de l’air, la qualité de la vie, l’agrément du cadre de vie, des valeurs culturelles, des coutumes locales, des savoirs faire, des règles de droit…
Pour sa part, la définition de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO en 2003 laisse une large place à l’interprétation. En effet, il s’agit des « pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire, ainsi que des instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés ». Mais, pour être considérés comme un patrimoine immatériel, ils doivent être :
  • reconnus comme faisant partie de leur patrimoine culturel par des communautés, des groupes et, le cas échéant, des individus ;
  • transmis de génération en génération ;
  • recréés en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire ;
  • l’objet d’un sentiment d’identité et de continuité ;
  • conformes aux instruments internationaux existants relatifs aux droits de l’homme, ainsi qu’à l’exigence du respect mutuel entre communautés, groupes et individus, et d’un développement durable.
Ainsi, au delà de la spécificité de chaque type de patrimoine (monumental, urbain, modeste, paysager, immatériel…), des éléments communs émergent quant à la nature profonde du patrimoine, les outils pour l’analyser, les conséquences de son existence et les politiques les concernant.
Pour sa part, comme tout patrimoine, le culturel immatériel est construit et enraciné dans un territoire plus ou moins large. De ce fait, il est étroitement lié à une communauté dont il constitue un bien collectif. Les questions relatives à sa conservation, sa disparition et son authenticité y sont également importantes. Il est lui aussi susceptible d’évoluer et son analyse doit donc être faite en dynamique.

Le patrimoine : un bien collectif, produit d’une histoire et reconnu socialement

5A priori, tout ensemble de biens susceptibles d’être ultérieurement conservés et transmis peut constituer un patrimoine, composé d’un ensemble très large de ressources. Il peut s’agir du capital fixe que constituent des infrastructures, des bâtiments de toutes natures, des biens d’équipements, des terrains… De plus, cette notion de patrimoine est désormais également étendue à des biens immatériels (cf. encadré).

6Mais, pour être qualifié de patrimoine, un ensemble de biens, matériels ou immatériels, doit être reconnu comme tel par la collectivité considérée qui lui attache une valeur liée à son histoire et qui souhaite le transmettre. L’une de ses caractéristiques est donc de permettre d’établir un lien entre les générations, tant passées que futures. Le patrimoine est nécessairement lié à un héritage à transmettre, issu de l’histoire, plus ou moins ancienne, du territoire ou du groupe pris en considération. Le patrimoine a donc nécessairement une dimension collective.

7Certes, les divers éléments qui le constituent peuvent être l’objet d’une propriété soit privée, soit publique. Mais, il est un bien collectif, au sens économique du terme, c’est-à-dire un bien dont l’existence et l’usage ont une implication forte sur le bien-être de la collectivité dans son ensemble. En effet, il convient de prendre en compte les effets externes générés par la nature et l’évolution de ce patrimoine. Ces effets ne peuvent qu’être renforcés quand des biens immatériels sont considérés comme des éléments essentiels.

8Dès lors, il y a interdépendance entre les valeurs d’existence et d’usage de l’ensemble de ces biens. En effet, la satisfaction des propriétaires privés d’un bien peut accroître ou réduire celle de la collectivité territoriale. Le patrimoine constitue en quelque sorte un écosystème qui produit tout à la fois une satisfaction privative et du lien social. Du fait des comportements qu’il suscite, la valeur d’un bien patrimonial est liée à celle des autres. Ainsi, par exemple, un monument historique rénové peut mettre en valeur un paysage naturel de qualité et permettre d’attirer davantage de touristes. Il en est de même d’une agriculture raisonnée respectueuse de son environnement. Inversement des carrières ou des mines peuvent dévaloriser un paysage. Le patrimoine constitue donc bien un écosystème dont tous les éléments sont interdépendants.

9Il apparaît comme composé de quatre séries d’éléments qui sont le fondement de sa valeur. Ces éléments sont d’ordre économique, social, culturel et environnemental. De proportion variable selon la nature du patrimoine, la présence simultanée de ces quatre éléments est constitutive de son existence ce qui suppose qu’en dessous d’un certain seuil, à définir cas par cas pour chacun d’eux, ce patrimoine peut se dégrader ou disparaître. Mais son identification peut varier avec l’échelle du territoire considéré. En effet, les effets externes et les phénomènes de complémentarité entre ses divers éléments ne sont pas nécessairement les mêmes selon le niveau territorial ou social considéré.

10Dès lors, deux cas types peuvent apparaître. Le patrimoine peut être reconnu à l’échelle internationale, comme patrimoine mondial de l’UNESCO par exemple, ou nationale en tant que patrimoine classé ou inscrit à un inventaire. Il peut aussi n’être reconnu que par un groupe social ou une collectivité territoriale. Mais, dans tous les cas, il est le résultat d’un processus de reconnaissance, de patrimonialisation, qui fait passer un ensemble de biens de patrimoine potentiel au statut de patrimoine reconnu.

11L’amorce d’un tel processus de patrimonialisation peut se dérouler de deux manières. D’une part, elle peut provenir d’initiatives extérieures au territoire où se situe le patrimoine, qu’il s’agisse d’initiatives d’organisations étrangères, internationales comme non gouvernementales, ou d’administrations et d’ONG nationales. Mais elle peut aussi être issue de l’action de groupes ou de collectivités locales.

12La nature et les modalités concrètes de ce processus sont très diverses. Elles dépendent des caractéristiques du territoire considéré et, en premier lieu, des logiques comportementales des acteurs de cette patrimonialisation qui se réfèrent à des modèles, des imaginaires, des référents fort variables d’un cas à l’autre. Ce fait génère des conflits qu’il convient de résoudre, tâche première des collectivités publiques dont le rôle est dès lors essentiel dans ce processus.

13Aussi, face à cette diversité des acteurs de la patrimonialisation, celle-ci ne saurait être séparée des modèles spécifiques de développement local auxquels ils se référent. Ainsi, les conceptions chinoises centrées sur la réalisation de villes nouvelles et la rénovation massive de quartiers anciens ne semblent guère en phase avec la conception occidentale de la conservation du patrimoine. Celle-ci peut alors apparaître comme « une vieillerie de blanc » pour reprendre une expression utilisée à Porto-Novo (Cousin et Mengin, 2011). Dès lors, la valorisation pour le développement économique et social d’un patrimoine essentiellement reconnu à l’échelle internationale ne va pas de soi. Cette valorisation suppose aussi sa reconnaissance locale en tant que patrimoine, son appropriation par les populations en relation étroite avec les réalités du développement territorial.

Apports et limites du patrimoine en tant que ressource pour le développement

14Le patrimoine étant une construction sociale, sa place dans les projets de développement est fonction des objectifs que la société considérée se donne en matière de développement. Elle est aussi dépendante des autres types de ressources disponibles sur son territoire.

15Cette place est également variable selon que l’on se situe à l’échelle nationale ou locale. Ainsi les décideurs nationaux peuvent considérer que la destruction de biens antérieurement reconnus comme patrimoine est justifiée par l’intérêt économique national de la création d’un barrage ou de la mise en exploitation d’une vaste zone minière. Par contre, les acteurs locaux y perdent leur cadre de vie et les ressources, par exemple liées au tourisme, qu’ils en retiraient. C’est là une source fréquente de conflits qui sont réglés en fonction des rapports de force politiques et sociaux à la suite de l’arbitrage des pouvoirs publics qui ont donc un rôle essentiel à jouer pour déterminer la valeur qu’ils accordent au patrimoine pour le développement.

16Il ne peut donc y avoir de réponse générale relative à l’utilisation du patrimoine comme ressource pour le développement. Elle varie d’un territoire et d’une société à l’autre. Par contre une grille générale d’analyse peut être établie en fonction de la conception du développement économique et social qui est adoptée. Ainsi, si l’on accepte celle proposée par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) selon lequel, de façon lapidaire, le développement humain est celui de la population (accroissement de sa santé et de son éducation), par la population (participation aux décisions) et pour la population (progression du revenu et diminution des inégalités), cette grille d’analyse peut être synthétisée de la manière qui suit.

Patrimoine et développement de la population

17Pour identifier la valeur de la ressource qu’est le patrimoine pour cet aspect du développement humain, il convient d’identifier son impact sur l’évolution de la population, son niveau d’éducation et de formation, et son état de santé.

18L’évolution démographique d’un territoire est un élément clé de l’analyse de son développement. Quand sa population diminue au regard de l’évolution démographique d’ensemble du pays, c’est un signe de son faible dynamisme économique et social, d’autant plus fort que cette population y est plus âgée. La présence d’un patrimoine important est susceptible d’attirer de nouveaux résidents et de nouvelles activités et, donc, de contribuer à une évolution démographique favorable. Même si la mesure de cet effet d’attraction est délicate, il convient de l’introduire dans l’analyse.

19Plus le niveau d’éducation et de formation de la population est élevé plus l’une des conditions essentielles du développement territorial est remplie. Le patrimoine, s’il est valorisé dans les pratiques locales d’enseignement (activités périscolaires autour de ce patrimoine, conférences et animations culturelles) est un facteur positif d’enrichissement culturel et renforce l’effet d’attraction évoqué ci-dessus.

20L’état de santé des populations est un facteur maintes fois cité de productivité et de bien-être. Certes, l’évaluation de l’état de santé de la population est délicate du fait de l’imprécision et de la complexité de cette notion. Mais, pour sa part, le patrimoine contribue à cet état de santé en fonction de l’importance relative de la dimension environnementale qui est la sienne : faible pollution due à l’existence de zones naturelles ou d’espaces verts, au calme lié à la protection de la zone patrimoniale.

Patrimoine et développement pour la population

21Pour cette dimension du développement humain, l’apport du patrimoine sur son évolution est fonction de son influence sur les revenus distribués, de leur répartition plus ou moins égale, des conditions de logement et de la qualité de l’environnement.

22Le niveau de revenu d’un territoire dépend de sa capacité à conserver les revenus issus des productions qu’il réalise, mais aussi de ceux, produits à l’extérieur, qu’il réussit à attirer.

23Ceux liés au patrimoine proviennent, en premier lieu, de ceux apportés par le tourisme, issus de l’activité hôtelière, de la restauration, du commerce de souvenirs, des visites… Pour leur part, les résidents secondaires, attirés sur le territoire du fait de l’existence de ce patrimoine, accroissent les revenus des artisans du bâtiment, des commerces locaux et les ressources fiscales locales.

24Mais, l’existence du patrimoine est aussi une occasion de donner un supplément de valeur aux productions locales en leur conférant un caractère distinctif de produits concurrents, permettant ainsi des prix plus élevés ou une progression du volume des ventes issues de l’image positive associée au patrimoine.

25Cependant, la mobilisation de ressources patrimoniales peut aggraver les inégalités. En effet, les revenus issus de l’existence du patrimoine liés au tourisme, qui est sa forme de valorisation principale, bénéficient principalement à des groupes particuliers, en premier lieu aux divers prestataires de services touristiques. Il y a donc un risque d’accroissement des inégalités de revenus entre les différentes catégories de la population, selon qu’elles sont au contact des touristes ou non. Ce phénomène est spécialement sensible dans les territoires les plus pauvres où les écarts de revenus sont particulièrement visibles et ressentis.

26De plus, les charges liées à l’accueil des touristes (supplément d’entretien du domaine public, investissement de voirie pour faciliter la circulation, création de parking…) incombent principalement à la collectivité publique et sont donc financées par l’ensemble des citoyens. Via la fiscalité, une forte valorisation touristique du patrimoine peut donc aggraver l’inégalité en termes de revenus disponibles si les impôts locaux sont peu progressifs comme cela est le cas en France.

27La présence des touristes peut également entraîner une augmentation d’ensemble du prix des biens et services. Ceci diminue le pouvoir d’achat des résidents comparés à ceux de zones non patrimoniales.

28L’accès à un logement décent, c’est-à-dire conforme aux normes moyennes de taille et de confort du pays considéré, est un élément essentiel du développement humain.

29Or, du fait de l’afflux de touristes et de résidents secondaires, les prix du foncier ont tendance à augmenter ce qui peut gêner l’installation ou le maintien de résidents permanents à plus faibles revenus. C’est là un phénomène souvent qualifié de gentrification qui traduit l’élimination, partielle ou totale, des habitants des territoires patrimonialisés disposant des plus faibles revenus.

30Outre ses effets sur la santé évoqués plus haut, la qualité de l’environnement, par son impact sur le cadre de vie, est un élément important du développement humain. Cette qualité environnementale du patrimoine peut s’identifier à travers l’importance de sa composante naturelle (forêts, parcs, jardins), sa qualité esthétique, le plaisir ressenti à évoluer dans un contexte chargé de l’histoire collective du territoire.

Patrimoine et développement par la population

31Pour l’essentiel, cette troisième dimension du développement humain peut être identifiée par le volume et la qualité des emplois, l’ampleur du chômage ainsi que le degré de participation de la population.

32Le volume d’emploi créé par l’existence d’un patrimoine est un indicateur clé des études d’impact de ce dernier sur l’économie territoriale (ARP-PACA 2009). Il s’agit des emplois directs tels que ceux liés à l’accueil des touristes (restauration, hôtellerie, guidage, transports, entretien du patrimoine, commerces de souvenirs…) [2]. Mais il s’agit aussi des emplois induits par les dépenses, faites sur le territoire, des titulaires de ces emplois directs et plus largement de tous ceux qui bénéficient des revenus créés par la présence de ce patrimoine. Par le jeu du multiplicateur, ces emplois induits peuvent être en nombre important. Mais l’estimation de ce coefficient multiplicateur est délicate et très variable d’un cas à l’autre (Greffe, 2003). Plus un territoire est petit et la gamme de ses services et productions réduite, plus les revenus engendrés par le patrimoine auront tendance à être dépensés ailleurs et l’effet de multiplication sera faible, les fuites de revenus étant fortes.

33En matière de développement territorial, le volume des emplois créés est important. Mais il faut tenir aussi compte de leur qualité, c’est-à-dire de leur nature en termes de statut et du degré de qualification qu’ils exigent. En effet, des emplois plus qualifiés, en attirant ou conservant dans la zone des personnes mieux formées, facilitent les initiatives et les adaptations nécessaires pour tout processus de développement.

34Cette nature des emplois n’est pas sans influence sur le volume du chômage dans le territoire considéré. Des emplois à temps partiel ou de courte durée, très fréquents du fait du caractère saisonnier de nombreuses activités liées au patrimoine, ne peuvent qu’aggraver le chômage de la zone.

35Le degré de participation aux décisions politiques renvoie, dans le cas du patrimoine, à la manière dont il s’est constitué via le processus de patrimonialisation qui l’a fait naître et le fait évoluer dans le temps. Il est complexe et très variable d’un territoire à l’autre. Dans certains cas, ce processus est initié par des agents extérieurs au territoire, experts nationaux ou internationaux, qui déclenchent des mécanismes de classement et de reconnaissance de ce patrimoine. Dans d’autres cas, la mise en route de ces mécanismes est issue de l’action de groupes locaux soucieux de conserver et valoriser un ensemble de biens, matériels ou immatériels, issus de l’histoire de leur territoire. Il est essentiel d’estimer la place relative de ces deux catégories d’agents dans ce processus de patrimonialisation. En effet, la participation effective de la population à ce processus est la condition pour que le patrimoine puisse être un facteur significatif de développement territorial. Aucune action de développement, dans quelque domaine que ce soit, ne peut être durable sans cette participation.

36Il en est d’autant plus ainsi que le développement humain se caractérise par la progression de l’implication des habitants dans la vie collective du territoire. En ce domaine, la présence d’un patrimoine, même modeste, est un puissant facteur de vie sociale. Celle-ci apparaît dans l’activité des associations qui, tout à la fois, utilisent et valorisent ce patrimoine pour et par de nombreuses manifestations pour lesquelles il sert de cadre ou qui le font revivre dans son usage initial.

37Pour le développement, le patrimoine apparaît donc bien comme une ressource potentielle, certes variable d’un territoire à l’autre. Mais dans un contexte de rareté des financements disponibles, quelle part de ceux-ci faut-il accorder pour valoriser le patrimoine ? Cette valorisation n’est-elle que l’apanage de vieux pays assez riches pour valoriser leur passé, leurs traditions et remettre en cause une certaine conception de la modernité ?

Le patrimoine entre tradition et modernité

38Pour un économiste du développement, les termes de tradition et modernité renvoient à une opposition des années cinquante/soixante entre secteur moderne et traditionnel des économies des pays en développement (Lewis, 1954 ; Fei et Ranis, 1962). Le premier secteur était censé se caractériser par une productivité et des salaires plus élevés. Il était supposé géré selon les méthodes des entreprises occidentales et utiliser leurs techniques, modernes par définition. Le passage progressif des travailleurs du second secteur au premier était la caractéristique principale d’un processus de développement. Les croyances et comportements liés à la tradition étaient, dans cette approche, considérés comme des freins au développement qu’il fallait éliminer ou radicalement transformer pour permettre ce dernier.

39Loin d’être envisagés comme un patrimoine, les traditions, les techniques plus ou moins ancestrales, les types d’habitats devaient donc être abandonnés au profit de techniques et comportements modernes, c’est-à-dire de type occidental. Cette approche semble avoir été bien assimilée, au cours des décennies suivantes, par une bonne partie des élites dirigeantes des pays du Sud. Le processus dit de mondialisation, caractéristique de la situation du tournant du millénaire, n’a fait que renforcer cet état de fait.

40Dans ce contexte, tous les biens, matériels et immatériels, hérités du passé ne se voient donc affectés par les collectivités concernées qu’une valeur très faible. Si ce n’est pas le cas, c’est que la société considérée n’est pas encore entrée dans la modernité. Celle-ci se caractérise par l’édification de tours les plus hautes possibles ou de somptueuses villas en béton et le recours à des techniques sophistiquées souvent coûteuses en énergie… Certes quelques attitudes différentes ont vu le jour au cours des décennies écoulées, telles que la réalisation d’architectures de terre, la redécouverte de la pharmacologie traditionnelle… Mais ces cas sont limités en nombre.

41Face à la montée du prix des terrains, à la croissance de la population, aux besoins d’assainissement, il apparaît économiquement rationnel de raser des quartiers anciens et de construire du neuf, ce qui n’est d’ailleurs pas réalisé assez vite vu la multiplication des bidonvilles et autres favelas dans les pays en développement. Les destructions en cours du centre de Pékin, mais aussi celles des Halles de Baltard dans le Paris de la modernisation pompidolienne ou des quartiers moyenâgeux du Paris d’Haussmann montrent que ce phénomène n’est ni contemporain, ni réservé aux pays du Sud.

42En effet, la valeur marchande de ces biens anciens est sans rapport avec celle d’immeubles modernes. Plus net encore, ce qu’ils rapportent ne justifie ou ne permet pas leur entretien pour en assurer la sauvegarde. Donc, non seulement leur valeur marchande est faible, mais, de plus, elle tend le plus souvent à diminuer, les centres historiques hébergeant alors des populations pauvres, ce qui déclenche un phénomène cumulatif de dégradation. En effet, la sauvegarde d’un centre ancien ne peut être entretenue que si ses occupants trouvent un intérêt aux contraintes entraînées par sa sauvegarde. Un label tel que celui de patrimoine mondial suppose qu’en raison de leur qualité esthétique et historique exceptionnelle, les zones délimitées doivent être mises en valeur pour le bénéfice de l’humanité en général mais aussi dans l’intérêt des territoires eux-mêmes.

43Une fois de plus, se retrouve donc posée la question essentielle de la valeur (Orléan, 2011). Mais il ne s’agit pas d’opposer radicalement valeur économique et d’autres valeurs de type culturel. En effet, c’est une fois reconnus comme ayant une valeur que les biens changent de statut. L’objectivité de la valeur est au cœur de la réflexion des économistes. Ils l’ont recherchée dans la quantité de travail nécessaire pour produire un bien, puis dans son utilité. Ce serait donc une grandeur objective et calculable. Mais, dans bien des cas comme ceux du patrimoine ou de la monnaie, cette approche ne donne pas une bonne analyse de la réalité économique. Elle oublie l’importance des rapports des acteurs entre eux. L’objectivité de la valeur n’est pas dans les objets. Elle est issue d’une production collective, via des institutions. La valeur économique, comme les autres types de valeur, a pour origine le groupe social considéré. Elle est le produit historique d’une structure sociale donnée. Selon les sociétés et les périodes, la valeur économique elle-même évolue.

44Dès lors, pour qu’un bien issu de l’histoire, un bien potentiellement patrimonial, puisse avoir une valeur économique, il convient que, par la médiation d’institutions, une convention passée entre les membres du groupe lui reconnaisse une telle valeur dans la période prise en compte. En ce sens, un patrimoine ne peut être, du point de vue économique, que moderne puisque la tradition, l’histoire qu’il incorpore, se voient alors attribuées une valeur contemporaine.

45C’est à partir de l’estimation de cette valeur que des décisions seront prises quant à l’ampleur des investissements destinés à le conserver et à le valoriser.

La contrainte du financement du patrimoine

46Dans un contexte de ressources financières d’autant plus limitées qu’il s’agit des pays les moins avancés (PMA), le choix d’investissements patrimoniaux s’effectue en concurrence avec d’autres investissements productifs essentiels, tels que l’amélioration des communications (routes, lignes de chemin de fer, aéroports…), la production d’électricité et l’irrigation dans le cas des barrages… Ces investissements eux-mêmes sont souvent susceptibles de mettre en péril des éléments du patrimoine. Certes, le recours à l’archéologie préventive, à l’élaboration de copies, à la création de musée peut être considéré comme permettant des compromis pour assurer, au moins partiellement, leur conservation. Mais de telles solutions sont également coûteuses.

La concurrence entre projets

47Aussi, même si économiquement et socialement des investissements patrimoniaux sont jugés souhaitables, la contrainte financière demeure. Les acteurs du développement disposent-ils des ressources pour supporter leur coût ? Dans les pays pauvres ou en crise, celles-ci sont rares et d’autres projets peuvent être jugés prioritaires, même si la valeur patrimoniale de certains biens, donc à conserver, est reconnue par la collectivité.

48Il y a un arbitrage budgétaire à réaliser en fonction des avantages attendus de chaque type d’investissement. Ce choix est le résultat des rapports de force existant dans la société entre les groupes et donc des préférences des groupes sociaux et politiques dominants au moment de la décision. Ces choix sont donc susceptibles de varier d’une période à l’autre. Dès lors, le patrimoine valorisé au cours d’une époque antérieure peut avoir une valeur faible ou même négative pour les groupes dominants d’une autre période. Dans les cas limites où cette valeur est négative, la destruction accroît leur satisfaction comme l’ont illustré les cas des Bouddhas d’Afghanistan ou des mausolées et manuscrits de Tombouctou. Par conséquent, aucun calcul économique ne peut de façon générale déterminer les choix d’investissements patrimoniaux. Ceux-ci sont toujours relatifs à une période et à un contexte social et politique bien identifié.

49Néanmoins, certains éléments doivent toujours être pris en compte. Ainsi, est-il nécessaire d’estimer le surcoût issu de la conservation. En moyenne, l’on estime souvent à quelques 20 % ce surcoût du à la rénovation de bâtiments ou d’équipements anciens par rapport à des constructions neuves. Mais, quelle que soit la pertinence de ce pourcentage, les réalisations nouvelles sont généralement moins chères. Si ce coût est néanmoins supporté, il indique, dans une vision étroitement monétaire, la valeur monétaire accordée par le financeur à la conservation du patrimoine. Mais il faut aussi tenir compte de la possibilité de valoriser ce patrimoine conservé (immeubles de style vendus plus chers, attraction de visiteurs…).

50Un deuxième aspect à analyser est l’implication aussi bien de la conservation que de l’abandon du patrimoine sur le devenir et le bien-être de l’ensemble des populations. Il s’agit alors d’intégrer dans le calcul économique l’impact de ces projets d’investissement pour les divers groupes sociaux concernés tout particulièrement quant à l’évolution des inégalités que ces projets peuvent entrainer, aussi bien sur les revenus que sur leur localisation. Se retrouve ici la question délicate de la gentrification évoquée plus haut.

51Il apparaît donc que le recours indispensable au calcul économique pour justifier un choix d’investissements patrimoniaux est particulièrement délicat. C’est ce qui a conduit, au cours des années récentes, des institutions finançant la coopération internationale à s’interroger sur les méthodes à appliquer.

Les limites de la coopération internationale pour le financement du patrimoine

52Depuis leur naissance, à l’issue de la période de décolonisation, les politiques de coopération ont bien sûr fortement évolué et vu le champ des secteurs concernés s’étendre. La période actuelle se caractérise, dans l’ensemble de ce domaine, par la multiplication des acteurs, l’évolution des référentiels adoptés et l’émergence de nouveaux outils techniques. Pour sa part, la coopération en matière de patrimoine est relativement récente ou, du moins, ne relève plus exclusivement du secteur culturel et tend à s’intégrer aux politiques de développement économique.

53Si, du côté des institutions internationales, l’UNESCO, de par sa vocation même, se préoccupe de longue date de la valorisation du patrimoine, elle dispose de bien peu de moyens financiers. Le fait nouveau est l’intérêt, relativement récent, des institutions financières internationales (Banque mondiale, Banque interaméricaine, Banque européenne d’investissement), pour cette valorisation du patrimoine [3]. Il en est de même pour les administrations et agences des États donateurs. C’est tout particulièrement le cas de l’Agence française de développement que ses préoccupations opérationnelles en matière d’urbanisme en zones historiques ont conduit à commanditer récemment deux études sur ce thème (AFD, 2011 et 2014). De plus, de nombreux pays dits autrefois du Sud, tels que la Chine ou le Brésil, jouent désormais un rôle croissant. Ce rôle se retrouve t’il pour le patrimoine ou bien le négligent t’ils ? Cette interrogation renvoie aux nombreux débats sur la dimension occidentale de cette préoccupation patrimoniale.

54Pour leur part, les collectivités territoriales des pays du Nord, dans le cadre de la coopération décentralisée, interviennent plus fréquemment dans ce domaine qui les mobilise souvent assez fortement sur leur propre territoire. Pour la France, la coopération de la ville de Chinon pour la valorisation du patrimoine de Luang-Prabang ou celle de Lille avec Saint Louis du Sénégal sont de bons exemples de cette tendance. Quant aux acteurs privés, du fait leur statut juridique mais qui agissent le plus souvent avec une part de financement public directe via des subventions ou indirecte via des dégrèvements fiscaux, ils sont également partie prenante d’actions de coopération patrimoniale. Leur action est révélatrice de la sensibilité de l’opinion publique à ce domaine de la coopération.

55Tous ces acteurs sont très divers et ont des logiques d’action et des objectifs différents. Leurs éventuelles interventions sur des biens patrimoniaux sont-elles cohérentes et convergentes ? Sont-elles en accord avec les politiques patrimoniales nationales, à supposer qu’elles existent ? De fait, la concurrence entre eux ne peut être que source d’incohérences. Comme pour les autres secteurs de coopération, les financeurs reconnaissent la nécessité d’une coordination de leurs actions mais sa mise en œuvre est toujours délicate.

56Au cours des dernières décennies, la lutte contre la pauvreté a remplacé une approche plus directe en termes d’objectifs de développement. Ce contexte est favorable à la réalisation d’actions ciblées vers les catégories classées comme pauvres. Dès lors, l’investissement dans le patrimoine, qui pourrait avoir un impact sur le développement dans le cadre d’une politique territoriale globale, risque d’apparaître comme non prioritaire. Il en est de même pour les transferts d’argent des migrants, généralement évalués à trois fois le montant de l’aide publique au développement (APD). Par leur action microéconomique sur des dépenses de consommation ou de petits investissements, ils ont peu de chance de porter sur des actions patrimoniales.

57Il en est sans doute différemment pour la sauvegarde du patrimoine naturel, car la durabilité est devenue, pour reprendre un terme du à J. Stiglitz, « le stade ultime du développement ». En fait, le plus souvent, on est confronté à une juxtaposition de mots clés (lutte contre la pauvreté, bonne gouvernance, participation,…) auxquels il est nécessaire de faire référence pour obtenir des financements.

58Pour tenter de juger des actions de coopération, la tendance actuelle est en effet de recourir à de nouveaux outils techniques. De multiples indicateurs sont censés permettre de conclure à la validité des projets envisagés ou adoptés. Il s’agit, le plus souvent, d’outils quantitatifs. Cette dimension quantitative encourage le recours à des indicateurs monétaires plus faciles à quantifier. Une telle démarche incite, même si elle ne l’impose pas en théorie, à la mise en place de normes financières issues des pratiques de la finance internationale.

59Dans le cas de la coopération patrimoniale, de par la nature même du patrimoine, le recours à de tels outils est particulièrement délicat et contestable. Mais ce constat impose d’analyser plus précisément les outils utilisés ou susceptibles de l’être pour évaluer les projets concernant les divers types de patrimoine. La tendance actuelle à recourir à des indicateurs universels est-elle pertinente ? Ne faut-il pas tenir compte des particularités des diverses régions et sociétés, certains outils adaptés pour les unes se révélant inadaptées à d’autres ?

60Enfin, le recours croissant aux principes et méthodes de la nouvelle gestion publique repose sur des critères de performance, de redevabilité et de segmentation. La performance semble particulièrement difficile à évaluer dans le cas des projets patrimoniaux dont l’impact se distingue mal d’autres éléments de développement territorial. Le principe de redevabilité incite à multiplier les évaluations sur la base d’indicateurs simplistes et discutables. Quant à la segmentation des responsabilités entre des unités de gestion nombreuses, elle ne facilite pas la nécessaire coordination évoquée plus haut.

61Tous ces constats relatifs à l’évolution de la politique contemporaine de coopération internationale expliquent l’attention portée par les bailleurs internationaux aux questions de méthodologie de l’évaluation économique du patrimoine et à la capitalisation des expériences de gestion du patrimoine comme en témoignent des travaux récents publiés tant par la Banque mondiale (2012) que l’Agence française de développement (2011 et 2014).

Conclusion

62Désormais, le patrimoine est reconnu comme une ressource possible pour le développement. Mais pour qu’il en soit effectivement ainsi, de nombreuses conditions doivent être remplies. Tout processus de développement économique et social d’un territoire doit être fondé sur ses caractéristiques propres issues de sa nature et de son histoire et ne saurait répondre à un modèle général importé. De même, pour être un facteur de ce développement, le patrimoine doit être pleinement reconnu ainsi par sa population et non seulement identifié comme tel de l’extérieur. Mais cette condition nécessaire n’est pas suffisante. Encore faut-il, dans un contexte de ressources rares, que l’apport attendu de sa valorisation soit jugé égal ou supérieur à celui d’autres projets économiques et sociaux. Confronté à la concurrence de ces derniers pour leur financement, les porteurs des projets patrimoniaux doivent démontrer une valeur supérieure. Malgré ses difficultés et ses limites, le calcul économique de cette valeur joue donc un rôle essentiel. Mais, vu la diversité des situations concrètes, aucune méthode ne saurait s’imposer a priori. Seule une grille générale d’analyse peut être légitimement proposée pour servir de guide dans chaque cas particulier.

Bibliographie

Références

  • AFD (2014), Gestion du patrimoine urbain et revitalisation des quartiers anciens : l’éclairage de l’expérience française, par N. Devernois, S. Muller, G. Le Bihan, A savoir, N° 26.
  • AFD (2011), Méthodologies d’évaluation économique du patrimoine urbain : une approche par la soutenabilité, par M. Vernières (Coord.), V. Patin, C Mengin, V. Geronimi, L. Dalmas, J.F Noël, J. Tsang, A Savoir, N° 13.
  • ARP (2009), Agence régionale du patrimoine PACA, Etude nationale des retombées économiques du patrimoine, ministère de la Culture, Paris.
  • BANQUE MONDIALE (2012), The economics of uniqueness : investing in historic cities cores and cultural assets for sustainable developpment, G. Luciardi, R. Amirtahmasebi (Eds).
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  • BORTOLOTTO C. (2011), « Le trouble du patrimoine culturel immatériel », Revue Terrain, 15/11.
  • CHOAY F. (1992), L’allégorie du patrimoine, Seuil, Paris.
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  • CUVELIER P., TORRES E., GADREY J. (1994), Patrimoine, modèles de tourisme et développement local, L’harmattan, Paris.
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  • PATIN V. (2005), Tourisme et patrimoine, La Documentation française, Paris.
  • VERNIERES M. (Dir.) (2011), Patrimoine et développement : études pluridsciplinaires, Karthala, Paris.

Notes

  • [1]
    Cf. Bortolotto (2011) et Cominelli (2013).
  • [2]
    Pour la valorisation du patrimoine, le tourisme joue un rôle essentiel : cf. Cuvelier et al., 1994 ; Patin, 2005 ; Bensabe et Donsimoni, 2007.
  • [3]
    Cf. Banque mondiale, 2012.
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