Notes
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[1]
Voir G. Sand, Œuvres autobiographiques, G. Lubin (éd.), t. I, Paris, Gallimard (Pléiade), 1970, Histoire de ma vie, p. 52.
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[2]
J. Goldin, « De Félicité de Genlis à George Sand », in L’éducation des filles au temps de George Sand (Actes du colloque de La Châtre, 8-11 juin 1995), M. Hecquet (dir.), Arras, Artois Presses Université, 1998, p. 163-177 (p. 170).
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[3]
Cet éducateur ingénieux avait créé des jeux éducatifs pour capter l’attention des enfants que l’abstraction fatigue et décourage. Étiquettes, cartes, boules jetons, tableaux diversement coloriés lui servaient à enseigner avec succès le latin, le français, la géographie, l’histoire, les sciences physiques, etc. Cf. Histoire de ma vie, note p. 1397.
1George Sand – Aurore Dupin dans son enfance – bénéficia dès sept ans des leçons de Deschartres, professeur de collège, qui était entré au service de sa grand-mère pour l’éducation de son fils. Il suivra la famille à Nohant, où il se montre utile dans une quantité de domaines, y compris en médecine et chirurgie – talents qu’il exerça fort utilement en soignant la famille et les habitants du village. On fera donc appel à lui pour l’éducation d’Aurore, qui en fait un portrait contrasté mais admiratif : « fort savant, très sobre et follement courageux [avec] un caractère insupportable » [1]. Deschartres, selon Jeanne Goldin, élèvera Aurore « presque comme un garçon » [2]. Il l’introduit à l’histoire de l’Antiquité, lui apprend un peu de mathématiques, des rudiments de latin et de l’anglais, mais il l’exerce aussi à des exercices plus « virils » : il lui apprend à monter à cheval (p. 1021), l’invite à s’habiller en garçon (p. 1079) ou l’emmène à la chasse.
2Deschartres, donc, lui donne des leçons de latin qu’elle supporte mal, de versification française « qui lui donnent la nausée », d’arithmétique ; même les leçons de botanique – matière pour laquelle elle se passionnera plus tard – la repoussent, car elles se réduisent à mémoriser des classifications (p. 774). Elle dira plus tard : « Les seules études qui me plurent réellement furent l’histoire, la géographie, qui n’en est que l’appendice nécessaire, la musique et la littérature », encore que pour la première, on l’enseignât à l’époque sans « aucune idée d’ordre et d’ensemble dans l’appréciation des faits ». C’est Pierre Leroux qui lui fera découvrir cette « grande découverte […] des temps nouveaux », la « théorie du progrès » (p. 799-800). Elle lit aussi d’elle-même ce qu’elle trouve dans la bibliothèque familiale, s’empare en particulier des livres de philosophie – dont l’enseignement est réservé aux garçons. En cachette, elle lit avec Hippolyte, son demi-frère un peu plus âgé, Le Grand Albert et Le Petit Albert, que Deschartres cache en haut de la bibliothèque et qui traitent de sorcellerie et de croyances campagnardes.
3« Ce fut donc par pure affection pour ma grand-mère que j’étudiai de mon mieux les choses qui m’ennuyaient, que j’appris par cœur des milliers de vers dont je ne comprenais pas les beautés ; le latin qui me paraissait insipide » (p. 802). Seule l’histoire l’intéresse, qu’elle étudie « comme un roman ».
4Quand ils viennent à Paris, en 1812, on fait venir pour les enfants « deux, trois fois par semaine, un maître d’écriture, un maître de danse, une maîtresse de musique », et les autres jours, Aurore reçoit les leçons d’une certaine madame de Pontcarré, qui lui apprend le piano, mais aussi la géographie et un peu d’histoire. « Pour tout cela elle se servait des méthodes de l’abbé Gaultier, qui étaient en vogue alors et que je crois excellentes. C’était une sorte de jeu avec des boules et des jetons comme au loto, et on apprenait en s’amusant » [3] (p. 721). Mais la pédagogie du maître d’écriture est bien différente ! Pour atteindre à la perfection dans le tracé des lettres, il surveillait chez ses élèves la bonne attitude du bras et du corps ; il avait donc inventé divers instruments (pour la tête une sorte de couronne, pour le dos une ceinture attachée par derrière, etc.) « pour forcer ses élèves à avoir la tête droite, le coude dégagé, trois doigts allongés sur la plume » (p. 723). Quant à la maîtresse de dessin, qui avait sans doute du talent, « elle m’enseignait, de la manière la plus bête du monde, à faire des hachures avant de savoir dessiner une ligne » (p. 724).
5Les dissensions familiales, l’hostilité incessante qui opposent en particulier sa mère et sa grand-mère et dont elle est souvent l’enjeu, font qu’on la place à quatorze ans au couvent des Anglaises, qui est pour elle comme un refuge. Elle y reçoit l’éducation destinée aux jeunes filles de bonne famille : littérature, langues étrangères, histoire, géographie et « talents d’ornement » (pour savoir tenir sa place en société : chant, lecture, conversation). L’éducation doit former des filles sages et vertueuses, les conduire vers la figure rassurante d’épouse soumise et fidèle et de mère attentive. Mais au couvent elle noue aussi des amitiés durables et y fait ses premiers pas dans l’expérience du théâtre en montant une adaptation du Malade imaginaire (p. 998 sq.)
6Quand elle entreprend à partir de 1847 d’écrire Histoire de ma vie, elle fait de son éducation une description à la fois critique et reconnaissante. Elle a subi les contraintes et les manques de l’éducation dévolue aux jeunes filles de son temps, des formes de disciplines stupides et rebutantes (qui s’imposaient tout autant aux garçons), mais les excentricités de Deschartres, la pédagogie de l’abbé Gaultier, et même le couvent qui lui apporte le théâtre, lui ont permis toutes sortes d’ouvertures : autorité, dressage, jeux et encyclopédisme sévère, George Sand a tout essayé ou subi en termes d’exercices ? Une formation certes très complète, laissant suffisamment d’insatisfaction cependant pour maintenir le désir de s’instruire encore et toujours…
Notes
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[1]
Voir G. Sand, Œuvres autobiographiques, G. Lubin (éd.), t. I, Paris, Gallimard (Pléiade), 1970, Histoire de ma vie, p. 52.
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[2]
J. Goldin, « De Félicité de Genlis à George Sand », in L’éducation des filles au temps de George Sand (Actes du colloque de La Châtre, 8-11 juin 1995), M. Hecquet (dir.), Arras, Artois Presses Université, 1998, p. 163-177 (p. 170).
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[3]
Cet éducateur ingénieux avait créé des jeux éducatifs pour capter l’attention des enfants que l’abstraction fatigue et décourage. Étiquettes, cartes, boules jetons, tableaux diversement coloriés lui servaient à enseigner avec succès le latin, le français, la géographie, l’histoire, les sciences physiques, etc. Cf. Histoire de ma vie, note p. 1397.