Notes
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[1]
Éditée à Arcis-Sur-Aube (siège social : 11, place Danton) à l’adresse personnelle de Roger Cousinet.
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[2]
R. Cousinet, L’Oiseau bleu, no 1, janvier 1922, p. 1.
-
[3]
Nous pouvons citer, ici, les articles de Fernand Divoire « Ce que lisent les enfants d’aujourd’hui », L’Opinion, 31 décembre 1910, et de Georges Lefèvre « Lecture et collégiens », Revue pédagogique, 15 décembre 1910.
-
[4]
Et notamment celui de J. Macé, Histoire d’une bouchée de pain, Paris, Hetzel, 1888.
-
[5]
Par G. Bruno, Paris, Belin, 1877.
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[6]
La Belle et la Bête (1742), Lettres d’Emerance à Lucie (1767), La Nouvelle Clarice (1767), etc.
-
[7]
L’Ambition de Jean Trémisort (1894).
-
[8]
R. Cousinet, « La littérature enfantine », L’École et la Vie, Série B, no 37, 3e année, 5 juin 1920, p. 586.
-
[9]
Selon E. Conradi, « la passion de la lecture atteint son degré le plus élevé au début de l’adolescence pendant les années qui vont de 12 à 14 ans » (« Children’s interests in words, slang stories », Pedagogical Seminary, 1903, vol. X, p. 359-404, cité par R. Cousinet, « Les lectures des enfants », L’Éducateur moderne, 15 avril 1911, p. 146).
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[10]
« Pendant les années scolaires 1909-1910 et 1910-1911, la Société des bibliothèques populaires de Palerme avait fait fonctionner, tant à Palerme que dans toute l’île, environ 150 bibliothèques dans autant d’écoles élémentaires. On pensa alors à profiter de ces bibliothèques pour instituer un référendum, en posant à tous les jeunes lecteurs la question suivante : Des livres que tu as lus lesquels as-tu le mieux aimé ? (G. Gabrielli, La letteratura infantile, Palerme, 1912). 2657 enfants appartenant à 79 classes et âgés de 8 à 14 ans répondirent à ce référundum. […] ». Pour plus d’informations, consulter R. Cousinet, « La littérature enfantine en Italie », L’École et la Vie, Série B, no 8, 4e année, 13 novembre 1920, p. 117-118.
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[11]
R. Cousinet, « Le rôle de l’analogie dans les représentations du monde extérieur chez les enfants », La Revue philosophique, t. LXIV, août 1907, p. 173.
-
[12]
Cette démarche fut entreprise par Mrs Mitchell, présidente du Bureau d’expériences pédagogiques de New York, en 1922, avec des enfants de 2 à 7 ans dans le cadre d’une initiative qui consistait à noter patiemment une grande quantité d’histoires contées en classe. Elle s’inspira, ensuite, de la forme que les enfants donnaient, selon leur âge, à leurs récits et aux sujets qui les intéressaient, pour composer un charmant recueil de « modèles d’histoires » qui avait pour but de rendre les plus grands services aux personnes désireuses d’écrire pour les enfants de cet âge.
-
[13]
Mobilisé en 1915, Cousinet est blessé sur le front avant d’être évacué vers l’arrière et rendu à la vie civile en 1917.
-
[14]
Mentionnons que la première illustration de ce travail sera mené par un groupe d’élèves de 5e de l’École des Roches (âge moyen : 12 ans) intitulé « Un bienfait n’est jamais perdu » (R. Cousinet, Bulletin de La Nouvelle Éducation, L’Éducation, no 4, janvier 1922, p. 169-170).
-
[15]
Entre 1918 et 1923, Roger Cousinet avait rédigé une série d’articles sur le thème de « La pédagogie expérimentale » à laquelle venait s’ajouter la rédaction d’un programme de travail en quarante-deux articles sur l’enseignement de l’histoire-géographie dans la revue L’École et La Vie où il avait fait la connaissance de Mme Madeleine Guéritte qui traduisait, de son côté, des articles anglais et qui n’hésitait pas à se montrer très critique vis-à-vis des méthodes pédagogiques en vigueur dans l’enseignement traditionnel (note : ses articles sont souvent signés M.-T. Guéritte, des initiales de son mari).
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[16]
Il sera ainsi invité dans de nombreux congrès internationaux qui se proposent alors de réfléchir sur les orientations à donner aux réformes éducatives en Europe (Angleterre, 1925 ; Belgique, 1927 ; Écosse, 1928 ; Danemark, 1929).
-
[17]
Maurice Maeterlinck (1862-1949) : écrivain francophone belge, auteur de poèmes et de pièces de théâtre à succès telles que Mona Vanna (1902). Il obtient le prix Nobel de littérature en 1911.
-
[18]
Gabrielle C. Réju dite Réjane (1856-1920) : actrice française rendue célèbre par ses rôles dans Un père prodigue (1880) ou Madame sans-gêne (1893). En 1895, sa notoriété est décuplée lors de sa tournée en Amérique avec cette dernière pièce. En 1906, elle rachète et transforme le Nouveau Théâtre de Paris en lui donnant son nom.
-
[19]
Cette pièce connut plusieurs adaptations au cinéma dès 1910. L’histoire est celle d’une fille appelée Mytyl et de son frère Tyltyl qui sont à la recherche du bonheur, représenté par l’oiseau bleu de la joie ; ils seront aidés dans leur quête par la fée Bérylune.
-
[20]
Revue rédigée par les élèves de l’école de Bowness-on-Windermere. Une autre revue anglaise imprimée et illustrée par les élèves de l’école de Bevoistown de Southampton paraît également à cette époque.
-
[21]
Traduction : Les enfants aux enfants. Revue rédigée par des enfants russes réfugiés en France et publiée par M. et Mme Kovarsky (J. Povolozky éditeur), sociétaires de La Nouvelle Éducation.
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[22]
R. Cousinet, L’Oiseau bleu, no 1, janvier 1922, p. 1.
-
[23]
Ces essais de rédaction libre avaient été menés par cet instituteur avec des élèves de 7 à 10 ans dans une école primaire de la banlieue parisienne dès 1911. Consulter, à cet endroit, la série d’articles intitulée « Nos élèves écrivent et font de l’art… quelquefois » parue dans la série A de L’École et la Vie entre le mois d’octobre 1921 et le mois de juillet 1922. Une étude approfondie de ces textes reste, à ce jour, à entreprendre.
-
[24]
R. Cousinet, Troisième bulletin de La Nouvelle Éducation, L’Éducation, no 6, mars 1922, p. 275-276.
-
[25]
R. Cousinet, Principe et technique du travail collectif, Éditions de La Nouvelle Éducation, mai 1922, 8 p.
-
[26]
R. Cousinet, L’Oiseau bleu, no 1, janvier 1922, p. 1.
-
[27]
Sur cette question, voir D. Ottavi, « Roger Cousinet et la société enfantine » in L’Éducation nouvelle, histoire, présence et devenir, A. Ohayon, D. Ottavi, A. Savoye (dir.), Berne, Peter Lang, 2004, p. 125-143.
-
[28]
Il s’agit, en toute vraisemblance, de Mme Marie Fargues (1884-1973) qui, entrée à l’École des Roches depuis le mois de septembre 1920, collabore régulièrement à la revue dirigée par le directeur de l’école, Georges Bertier.
-
[29]
M. Fargues, « L’oiseau bleu », L’Éducation, no 8, mai 1922, p. 412.
-
[30]
M. Fernier, « À propos de L’Oiseau bleu », L’Éducation, no 1, octobre 1922, p. 51-52.
-
[31]
M. Guéritte, Quatrième bulletin de La Nouvelle Éducation, L’Éducation, no 7, avril 1922, p. 337.
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[32]
Des travaux d’enfants anglais, belges, suisses et russes furent ainsi exposés.
-
[33]
L’affiche de cette exposition fut réalisée par les élèves de Mlle Quinet, sociétaire de La Nouvelle Éducation, disciple de M. Gaston Quénioux et professeur de dessin à l’École Normale de Nice.
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[34]
Des dessins et des aquarelles d’enfants prêtés par M. Copeau, M. Kovarsky et M. Purghart, des études historiques ainsi que des répertoires zoologiques et botaniques vinrent compléter les textes littéraires (contes et poésies) exposés à cette occasion. Le Dr Decroly avait également fait parvenir, pour l’exposition, des documents relatifs aux différents aspects de ses méthodes d’éducation.
-
[35]
R. Cousinet, Sixième bulletin de La Nouvelle Éducation, L’Éducation, no 9, juin 1922, p. 455.
-
[36]
Pour certains lecteurs, les ouvrages recommandés ne présentaient pas de profit intellectuel et ne possédaient pas de caractère moral, voire ils consolidaient chez les enfants une mentalité nettement immorale, présentant ainsi de réels dangers.
-
[37]
R. Cousinet, « Les lectures des enfants », L’Éducateur moderne, juillet 1911, p. 304-309.
-
[38]
Les articles de cette rubrique ne sont pas signés.
-
[39]
« L’Oiseau bleu », Revue pédagogique, t. 91, juillet-décembre 1922, p. 232.
-
[40]
Ibid., p. 232-233.
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[41]
Ibid., p. 233.
-
[42]
Ibid.
-
[43]
R. Cousinet, Onzième bulletin de La Nouvelle Éducation, L’Éducation, no 4, janvier 1923, p. 213.
-
[44]
Ibid.
-
[45]
R. Cousinet, L’Oiseau bleu, no 9, 2e année, 1er novembre 1923, p. 72.
-
[46]
Ce conte, dont la traduction est due à Mme M. Guéritte, paraîtra en quatre parties dans le no 2 du 1er février 1924 (p. 14-16), no 3 du 1er mars 1924 (p. 22-24), no 4 du 1er avril 1924 (p. 31-32) et no 5 du 1er mai 1924 (p. 37-39).
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[47]
R. Cousinet, M. Guéritte, Onzième bulletin de La Nouvelle Éducation, L’Éducation, no 4, janvier 1923, p. 214.
-
[48]
R. Cousinet, M. Guéritte, Douzième bulletin de La Nouvelle Éducation, L’Éducation, no 5, février 1923, p. 276.
-
[49]
La société pédagogique La Nouvelle Éducation et quelques-uns de ses sociétaires abonneront les bibliothèques de Belleville, de Soissons, de Coucy-le-château et d’Anizy-le-château à L’Oiseau bleu en 1923.
-
[50]
C. M., « La bibliothèque de l’enfant », L’Éducation, no 3, décembre 1923, p. 188-189.
-
[51]
Sur l’histoire de cette bibliothèque, consulter le site dédié à l’histoire du mouvement de l’Éducation nouvelle en France (1899-1939) : http://hmenf.free.fr (Rubrique 2.3 « Les expériences éducatives et pédagogiques affiliées à ce mouvement après 1918 »).
-
[52]
Ses responsabilités au sein de La Nouvelle Éducation l’amènent à diminuer le nombre de ses inspections. Dès lors, les remontrances de sa hiérarchie ne se font pas attendre. Mais l’opportunité va lui être donnée de poursuivre ses expériences pédagogiques grâce à l’aide d’une nouvelle collaboratrice, Mme Bertrand.
-
[53]
M. Kitahara, cité par R. Cousinet et M. Guéritte, « Revues et livres : L’Oiseau rouge », La Nouvelle Éducation, bulletin no 18, octobre 1923, p. 8.
-
[54]
Ce livre est aujourd’hui devenu quasiment introuvable. Il ne figure, en effet, dans aucun catalogue en ligne des principales bibliothèques en France.
-
[55]
R. Cousinet, Carnabot et autres contes et poèmes, Éditions de La Nouvelle Éducation, J. Baucomont, Garches (Seine-et-Oise), février 1925, p. 2-3.
-
[56]
« Le Times Educational Supplement du 16 et du 23 mai 1925 a fait paraître de très sympathiques notices sur […] Carnabot », cité par R. Cousinet et M. Guéritte, « Revues et livres », La Nouvelle Éducation, no 37, juillet 1925, p. 115.
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[57]
R. Cousinet, M. Guéritte, « Nouvelles », La Nouvelle Éducation, no 38, octobre 1925, p. 126-127.
-
[58]
C’est ainsi qu’un cahier consacré aux poésies d’enfants en supplément au numéro d’avril 1928 de La Nouvelle Éducation ne verra jamais le jour.
-
[59]
M. Guéritte, « Notre nouvelle année », La Nouvelle Éducation, no 71, janvier 1929, p. 3.
-
[60]
Cette jeune fille appartenait à une vieille famille anglaise dont plusieurs membres étaient alors musiciens.
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[61]
M. Guéritte, « Littérature enfantine », La Nouvelle Éducation, no 74, avril 1929, p. 61.
-
[62]
À cet égard, il convient de citer Le Cirque de Brocardi dû à la coopération de M. Lucien Gérard, inspecteur primaire à Saint-Dié, aidé de son collègue, M. Clap et de Mme Guénot, professeurs au lycée de jeunes filles de Sèvres, dans lequel ils ont recueilli des travaux d’écoliers et de lycéens.
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[63]
R. Cousinet, Onzième bulletin de La Nouvelle Éducation, L’Éducation, no 4, janvier 1923, p. 213.
-
[64]
Ibid.
-
[65]
L. Gutierrez, D. Ottavi, Roger Cousinet (1881-1973) : un philosophe à l’épreuve de la pédagogie, Paris, INRP, 2007.
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[66]
L’Oiseau bleu est, en effet, absent de l’ouvrage de F. Caradec, Histoire de la littérature enfantine en France, Paris, Albin Michel, 1997.
1 L’école redécouvrirait-elle la « littérature de jeunesse » au moment où les candidats au concours de recrutement des professeurs des écoles peuvent choisir cette nouvelle option ? Une fois de plus, on peut se demander si toute une tradition de pensée et d’expérimentation pédagogique ne devrait pas, à cette occasion, nourrir les innovations d’aujourd’hui, au lieu d’être laissée sous le boisseau. Dès le début du XXe siècle, en effet, certains pédagogues n’ont pas manqué d’interroger le rapport de l’enfant à la littérature. Parmi eux, un jeune instituteur, Roger Cousinet (1881-1973), rechercha les raisons des préférences des enfants en matière de lectures. L’originalité de sa démarche fut de considérer les enfants comme des lecteurs actifs, susceptibles de constituer un public, en même temps que des auteurs potentiels de fiction. Devenu inspecteur primaire, il publia, après la première guerre, pendant sept ans, une revue mensuelle rédigée par des enfants intitulée L’Oiseau bleu [1] à travers laquelle il souhaitait présenter
[des] œuvres écrites en toute liberté, sans direction, ni aide, ni correction d’aucune sorte. Des œuvres où se manifest[aient] le plaisir de créer et d’inventer, et la joie d’écrire. Des œuvres qui fer[aient] voir de quoi sont capables des enfants en qui une éducation libérale a laissé se développer l’initiative et l’activité personnelle [2].
3 Contemporain des premiers essais d’imprimerie scolaire d’un Célestin Freinet et presque dix ans avant la parution des premiers albums du Père Castor, L’Oiseau bleu s’inscrit véritablement comme une contribution de premier plan dans la généalogie de la littérature enfantine française.
Promouvoir une littérature enfantine sur des bases scientifiques
4 Nommé dans un cours préparatoire avec soixante-quinze élèves, en octobre 1902, Roger Cousinet débute sa carrière en tant qu’instituteur suppléant communal à Malakoff. S’intéressant de près à la psychologie et la sociologie, il adhère, dès 1904, à la Société libre pour l’étude psychologique de l’enfant où il rencontre Alfred Binet et Théodule Ribot, respectivement inventeur célèbre de l’échelle métrique de l’intelligence et directeur de la Revue philosophique. Licencié ès-Lettres, entre-temps, Cousinet devient, en 1906, le secrétaire de rédaction de la revue L’Éducateur moderne fondée et dirigée par les docteurs Jean Philippe et Paul Boncour, collaborateurs de Binet et spécialistes de l’éducation des anormaux. En décembre 1909, alors qu’il est instituteur titulaire à Malakoff, Roger Cousinet est reçu au certificat d’aptitude de l’inspection des écoles primaires et devient ainsi à l’âge de 29 ans l’un des plus jeunes inspecteurs primaires de France. À cette époque, il s’intéresse aux expériences de psychologie expérimentale menées aux États-Unis et s’interroge, entre autres, sur les motifs qui amènent les enfants à choisir certains livres au lieu de certains autres ainsi que sur ce qu’il y a de commun dans le plaisir que procurent ces ouvrages plébiscités. Il a le sentiment, même si son intérêt pour ces questions est partagé par quelques-uns [3], que la France reste très en retard dans ce domaine.
5 Dès lors, il souhaite rompre avec ce qu’il considère comme une orientation dominante dans la littérature pour enfants, et qu’il appréhende de la manière suivante. Depuis la fin du XVIIe siècle, les livres de lecture pour enfants ont été considérés comme devant servir d’auxiliaires à l’instruction et à l’éducation. Dès lors, ces livres ne doivent pas être seulement agréables, il faut qu’ils soient aussi et avant tout utiles. Dans cette perspective, des ouvrages de sciences [4], d’histoire et de géographie (Le Tour de France par deux enfants [5]) et, surtout, de morale (tous les livres de Mme Le Prince de Beaumont [6], de P. Girardin, de Mme J. Colomb [7], etc.) se sont multipliés en France. Les livres de prix distribués aux meilleurs élèves en fin d’année scolaire participent également à cette célébration de la littérature moralisatrice. Cette orientation éditoriale que l’on retrouve également dans les autres pays d’Europe tient essentiellement, selon Roger Cousinet, à la conception traditionnelle que se font les adultes de l’enfant. Il est alors essentiellement perçu comme un être naturel vicié, toujours prêt à mal agir. C’est d’ailleurs « à la morale qu’on le juge le plus rebelle et qu’il est le plus difficile de le contraindre » [8]. En effet, explique-t-il, la formation morale de l’enfant est si difficile qu’on ne veut pas un seul instant cesser d’agir en ce sens et qu’on veut que tout y contribue, des exhortations journalières à la discipline à l’école en passant par les lectures des enfants qui sont, à l’image des ouvrages de la comtesse de Ségur, de véritables livres d’édification morale. C’est là faire fausse route que de considérer le rôle de la lecture enfantine de cette manière et ce n’est pas mieux assurer l’éducation morale, au contraire, c’est la compromettre, que tout vouloir y ramener, estime Roger Cousinet.
Avec l’avènement de la pédagogie expérimentale, la littérature enfantine prend une figure et une importance nouvelles
6 La pédagogie expérimentale, qui ne considère pas l’enfant comme naturellement mauvais, « s’évertue » à savoir quelles sont les raisons qui expliquent que certains livres sont communément plus appréciés par les enfants que certains autres. Ces recherches, nées aux États-Unis [9] à partir d’enquêtes sur les livres préférés des enfants et des adolescents, ont été poursuivies en Europe, essentiellement en Italie [10], ainsi qu’en France, de façon plus confidentielle, par Roger Cousinet entre 1907 et 1911 afin de déterminer les caractères généraux des livres qui plaisaient aux enfants. Les premières observations de Cousinet portaient, pour leur part, sur des lectures faites à des enfants de 8 à 12 ans, lectures empruntées surtout aux littératures allemandes (Grimm), anglaise (Kipling, Barrie), danoise (Andersen, Ewald), suédoise (Selma Lagerlöf), italienne (Collodi) et russe (Gogol, Tolstoï). Il en conclut que la prédilection des enfants va aux contes fantastiques, aux récits d’aventure et aux romans policiers. Après deux années d’étude et d’analyse sur les réactions des enfants, Cousinet dégage deux éléments communs aux différents récits qui les charment. Le premier est relatif au fait que dans tous ces récits, quel que soit leur genre littéraire, il y a l’histoire d’un succès, d’une réussite due, le plus souvent, et c’est là le deuxième élément commun à ces récits, à un hasard heureux qui répond à la tournure essentielle de l’esprit des enfants.
7 Selon Cousinet, qui a étudié cette question dès 1907, les raisons des préférences que les enfants manifestent dans leurs lectures s’expliquent par les caractéristiques liées à leur développement intellectuel qui repose, à cet âge, sur une perception peu précise des événements et sur un principe d’identité encore vacillant. Selon lui,
la prétendue imagination des enfants n’est que le mélange confus des sensations et des images et l’impossibilité de voir exactement le réel. […] Les enfants perçoivent les choses sous une forme analogique [11].
9 C’est seulement en grandissant que leurs perceptions se précisent. Entre 8 et 12 ans, le monde n’oppose pas encore de résistance au triomphe des héros. Si l’enfant est plus âgé, la ruse, des inventions scientifiques, les forces occultes lui paraissent devoir vaincre tous les obstacles. Il faut tenir compte de ces tendances et chercher des ouvrages offrant les mêmes caractères qui ont fait aimer les romans criminels, policiers, etc., sans en présenter les dangers. On conservera les légendes, les récits de voyage, ainsi que les romans d’aventures, et on aura ainsi présenté à l’enfant un monde conforme à ses vues. Cousinet estime, enfin, qu’en multipliant de semblables enquêtes, qu’elles confirment ou non son hypothèse, il sera envisageable, par la suite, de constituer des collections de livres qui satisferont ainsi « à coup sûr » les goûts des enfants [12].
L’étude de la vie sociale des enfants au service d’une méthode de travail libre par groupes
10 Souhaitant approfondir sa réflexion dans le domaine de la sociologie enfantine, Cousinet commence une thèse en juillet 1913 sur La vie sociale des enfants sous la direction d’Émile Durkheim mais cette recherche novatrice va malheureusement être interrompue par la guerre [13]. Celle-ci terminée, il reprend son poste dans l’Aube et fait la connaissance d’une jeune institutrice, Mlle Marie-Louise Wauthier, qui adhère à son idée de faire travailler ensemble des enfants, de 6 à 12 ans, autour d’un thème librement choisi par eux. Le premier champ d’application de cette méthode d’auto-éducation qui deviendra, par la suite, la méthode de travail libre par groupes est celui des « Contes libres écrits et illustrés pour les enfants » [14]. Cette approche séduit aussitôt Mme Madeleine Guéritte [15] avec qui il fonde, dès le mois de janvier 1921, la société pédagogique La Nouvelle Éducation. Cette association emblématique du mouvement de l’Éducation nouvelle en France, durant l’entre-deux-guerres, va permettre à Roger Cousinet de faire connaître ses idées et plus particulièrement sa méthode [16], d’une part, et, d’autre part, de lancer la publication d’une revue rédigée « par des enfants pour des enfants » qu’il intitule L’Oiseau bleu, titre qui n’est pas sans évoquer la célèbre pièce de théâtre écrite par Maurice Maeterlinck [17], en 1908, dont l’actrice Réjane [18] donna la première représentation française au Théâtre Réjane, à Paris, en 1911 [19].
Les expériences de littératures enfantines étrangères, un modèle ?
11 À cette époque, il existe déjà des publications de ce genre dans d’autres pays du monde comme la revue anglaise Webs [20] et la revue russe Diéti Diétam [21]. Persuadé que les enfants français détiennent également des dons d’auteurs, R. Cousinet souhaite accueillir tous les travaux, quels qu’ils soient (descriptions, récits, contes originaux, et, exceptionnellement, arrangements de contes traditionnels) et en publier les meilleurs pour autant que la place le permette. Dans cette perspective, il émet pour seule condition l’authenticité parfaite des productions littéraires enfantines :
Il faut que les œuvres nous parviennent telles que les enfants les ont librement écrites, sans que d’autres personnes (parents ou maîtres) y aient mis la main [22].
13 Les essais dont fait état cette revue suivent ceux d’avant-guerre de Jean Baucomont publiés à la même période dans L’École et la Vie [23]. L’Oiseau bleu, dont le premier numéro paraît au mois de janvier 1922, ne pourra exister, prévient l’inspecteur primaire, que si elle rencontre l’accueil favorable de ceux qui comprendront que son but n’est pas seulement le divertissement. Roger Cousinet attache ainsi beaucoup d’importance à l’aspect expérimental de la création et de la rédaction de ces textes par les enfants. À ce niveau, il souhaite garantir un véritable caractère scientifique à ces essais en précisant les principes de travail aux enseignants désireux d’appliquer sa méthode [24]. C’est dans cet esprit qu’il publie une petite brochure [25] dans laquelle il préconise notamment de laisser les groupes se constituer librement, que ces derniers ne dépassent pas 6 à 7 élèves, de n’intervenir d’aucune manière dans le travail tout en encourageant les enfants à se corriger, de s’abstenir de tout jugement une fois le travail terminé, etc. Cette volonté d’expérimentation va être perçue par certains comme prenant le pas sur l’acte créatif de l’écriture des enfants.
14 Il est vrai que Cousinet a des attentes éducatives et pédagogiques qui excèdent et peut-être excluent dans une certaine mesure de donner priorité à cet acte créatif. Au sujet des fautes de syntaxe ou d’orthographe, par exemple, il pense que les enfants sont capables de ne pas en faire s’ils travaillent selon sa méthode. Aussi souhaite-t-il favoriser davantage les travaux collectifs que des travaux individuels qui incitent les enfants à travailler ensemble et, par là même, à se corriger mutuellement. Dès lors,
les interventions étrangères y sont inutiles, et la collaboration, surtout la collaboration des écoliers, est, pour des raisons à la fois pédagogiques et morales, la meilleure forme de travail [26].
16 Plus qu’à une imitation de modèles, on assiste donc, à travers la mise en place de cette revue, à l’application de la « méthode de travail libre par groupes », alors en cours d’élaboration [27].
Nul ne sait mieux que l’enfant ce qui lui convient
17 Ainsi, quelques mois après la parution de L’Oiseau bleu, la revue L’Éducation publie une note signée des initiales M. F. relative au rôle que peut remplir une initiative de ce genre. Selon l’auteur de cette notice [28], L’Oiseau bleu devrait « extrêmement intéresser les éducateurs, les expérimentateurs, les psychologues, plus, peut être, que les enfants auxquels elle est destinée » [29]. En réaction à cette opinion, Mme Marcelle Fernier, présentée comme une excellente collaboratrice de la revue, affirme que les enfants qu’elle connaît
lisent L’Oiseau bleu avec plaisir, s’intéressent à ce qu’écrivent d’autres enfants de leur âge, comparent et jugent leurs petits écrits, et qu’ils préfèrent même cette revue à d’autres journaux pour les enfants, composés par de grandes personnes [30].
19 Il est ainsi dangereux de juger a priori les tentatives toutes neuves comme celle de M. Cousinet qui fait partie, d’autre part, de tout un système d’éducation. Dans cette perspective, conclut-elle, ce type de démarche mérite d’être suivi en observant et en notant avec soin les résultats observés afin qu’ils puissent apporter un nouvel éclairage sur ce domaine encore trop méconnu qui est celui de la psychologie de l’enfant.
Difficultés éditoriales
20 Malgré toute la bonne volonté de Roger Cousinet qui gère et édite cette revue sur ses fonds propres, la promotion et la diffusion d’une littérature enfantine restent encore très timides en France. Aussi afin d’aider les maîtres et les parents, La Nouvelle Éducation entreprend de dresser une liste des meilleurs livres français ainsi que des traductions de livres étrangers destinés aux jeunes enfants
[tant] chacun sait combien la littérature enfantine est pauvre […] et dans quel embarras on est quand on veut donner à nos petits des livres bon marché qui comportent à la fois une histoire amusante, un texte bien imprimé et de jolies illustrations [31].
22 Mais son action la plus remarquée sera l’organisation d’une exposition enfantine de revues et de livres composés et illustrés librement par des enfants français et étrangers [32] durant tout le mois d’avril 1922 au Musée pédagogique (41, rue Gay Lussac) à Paris [33]. Cette manifestation vit affluer plusieurs centaines de visiteurs dont la majorité furent des universitaires et des artistes venus admirer et apporter leur adhésion aux différentes réalisations enfantines [34]. La presse relaya en des termes louangeurs cette exposition à travers notamment des journaux tels que le Times, le New York Herald, le Journal des débats, Ève, la Victoire, la Revue française, le Courrier de Genève, le Rappel et le Havre-Éclair. Enfin, après le succès rencontré à Paris, la majorité des documents de cette exposition furent, de nouveau, exposés au Havre le mois suivant [35]. Dans ce contexte, L’Oiseau bleu est principalement soutenu par les membres de La Nouvelle Éducation dont le bulletin livre régulièrement l’actualité dans ses colonnes. Si la principale difficulté est liée au nombre d’abonnés, il n’en demeure pas moins que les textes rédigés selon la méthode de Cousinet ne suffisent pas à honorer le nombre de pages de cette revue. Dans cette optique, Roger Cousinet va également publier des compositions d’enfants étrangers à partir du mois de décembre 1922, au moment où L’Oiseau bleu fait l’objet d’une attaque virulente dans la Revue pédagogique.
En littérature, comme ailleurs, liberté entraîne responsabilité
23 Si, en 1911, son article sur la littérature enfantine avait connu quelques réactions [36] amenant Roger Cousinet à reprendre sa démonstration dans un second article [37], la polémique lancée par l’article de la Revue pédagogique dont l’auteur est resté anonyme [38] constitue aussi bien sur le fond que sur la forme une véritable remise en cause des fondements de L’Oiseau bleu et, par là même, de sa méthode. Paru dans la rubrique « Bibliographie », cet article de 38 lignes critique sans concession le projet de pédagogues
[qui s’inspirent] de méthodes bien connues [et qui] entendent laisser à l’enfant la plus grande initiative, la plus grande liberté dans ses exercices scolaires. […]. Telle est, du moins, l’intention qui est annoncée en tête du premier numéro [39],
25 souligne, sceptique, ce chroniqueur. En effet, selon lui, la réussite de cette tentative s’avère toute relative car parmi les compositions publiées dans les six premiers numéros, le nombre de celles qui révèlent une observation personnelle ou un effort créateur est très faible. Pour cela, il s’appuie sur la cinquantaine de morceaux déjà publiés dont la moitié au moins est constituée par des anecdotes et des contes de fées qui n’ont rien d’enfantin ni d’original témoignant, par là même,
[que] les jeunes auteurs se sont bornés à reproduire de mémoire une lecture ou un récit de leur maître. Pour une vingtaine au plus, il ne semble pas y avoir eu d’intermédiaire entre la réalité observée et la traduction qu’en a donnée l’enfant : encore [que] cette traduction manque souvent de spontanéité [40].
27 Dès lors, c’est sans appel qu’il fustige la prétention d’un mouvement pédagogique qui, à en juger par ses premiers essais,
n’apporte donc pas en pédagogie la révolution qu’elle avait annoncée, non sans fracas. Les résultats qu’elle nous offre dans L’Oiseau bleu sont inférieurs, sans conteste, à ceux qu’on obtient dans les classes où, suivant plus exactement les instructions ministérielles, on fait la part moins grande au merveilleux mais plus grande à l’observation directe et à la réflexion sincère [41].
29 Après quoi, l’auteur critique la méthode utilisée qui fait croire aux enfants, en imprimant leurs œuvres, qu’ils sont des écrivains, développant ainsi leur vanité littéraire. Aussi est-il favorable à ce qu’on laisse aux enfants une pleine initiative et une pleine liberté, à condition qu’on ne leur fasse pas croire
[que] tous les produits de leur liberté sont des chefs-d’œuvre et, loin de leur faire l’honneur de la publicité, jetons au panier ceux qui ne révèlent ni fraîcheur, ni harmonie. Hélas !, si cette règle était appliquée, L’Oiseau bleu n’aurait jamais vu le jour [42].
31 Lecteur de la Revue pédagogique pour y avoir lui-même collaboré, Roger Cousinet ne va pas rester insensible à cette critique, estimant, dès le mois suivant [43], que c’était là avoir bien mal compris que ces histoires, ces contes et autres poèmes n’avaient pour but que d’introduire à l’école une liberté d’écrire dont les enfants ressentaient parfois le besoin. La satisfaction qui en résulte amène, d’autre part, ces derniers à réaliser dans le domaine littéraire de véritables créations artistiques, affirme Roger Cousinet, qui en faisant appel à l’expérience de ceux qui ont essayé sa méthode dans leurs classes, assure que les enfants n’en tirent résolument aucune vanité. Dès lors, il affirme devant ses détracteurs son plus ardent désir de continuer cette expérience malgré les difficultés auxquelles il doit encore faire face.
De L’Oiseau bleu aux bibliothèques pour enfants
32 En effet, alors qu’elle entre dans sa deuxième année,
malgré l’indifférence qu’elle a rencontrée dans certains milieux, malgré l’opposition qu’on lui a faite, opposition très vive et d’autant plus fâcheuse qu’elle ne semble pas toujours avoir été dictée par des motifs purement pédagogiques [44],
34 L’Oiseau bleu continue d’être publiée. Malgré le nombre d’abonnés qui s’est accru durant l’année 1922-1923, notamment grâce à la propagande active qu’il fit dans le Bulletin de La Nouvelle Éducation, Roger Cousinet doit se rendre à l’évidence et constater que les recettes issues de la vente ne couvrent toujours pas les frais d’impression [45]. Dès lors, tout en conservant la plus grande place aux « œuvres » des enfants, il décide afin de récompenser les collaborateurs de leur effort et de varier le plaisir des lecteurs, d’introduire des contes, des récits et des poèmes écrits par des grandes personnes « qui n’ont pas trop grandi ». Roger Cousinet publie ainsi, à partir du mois de février 1924, un conte, presque inconnu en France, de Charles Dickens : « Le Roi et l’arête magique » [46].
35 Mais ce début d’année 1923 est surtout marqué par le projet de La Nouvelle Éducation de créer des Bibliothèques enfantines sur le modèle de celles fondées récemment à Paris (6, rue Fessart, Paris 19e) et dans la région de Soissons par le Comité américain. Dans cette perspective, l’association lance un appel auprès de ses membres afin de trouver des volontaires pour en assurer la gestion et l’organisation [47]. L’idée de Madeleine Guéritte et de Roger Cousinet, est aussi, à travers cette initiative, de travailler à l’enrichissement et à la promotion d’une littérature enfantine encore trop pauvre en France [48] et dont L’Oiseau bleu pourrait représenter l’un des exemples à suivre. Dans cette optique, ils abonnent de nombreuses bibliothèques afin d’en assurer la diffusion à une plus grande échelle [49]. Au même moment, sur l’initiative de Mme Rosnoblet, elle-même auteur de livres attrayants pour les enfants, une société fonde « La Bibliothèque de l’Enfant », qui souhaite
grouper tous ceux qui dans les écoles et hors des écoles, estiment que notre éducation nationale trouvera une aide puissante dans la production et la diffusion de lectures récréatives spécialement destinées au jeune âge [50].
37 Faut-il y voir le début d’un engouement pour ces questions de littératures enfantines ? La revue L’Éducation, par exemple, fait paraître annuellement à partir de 1923 un numéro annuel consacré aux « lectures de nos enfants ». L’année 1923 correspond également à l’officialisation d’un programme d’enseignement littéraire au niveau élémentaire par arrêté ministériel. L’année suivante, Marie-Thérèse Latzarus, membre de La Nouvelle Éducation, soutient et publie sa thèse sur La littérature enfantine en France dans la seconde moitié du XIXe siècle alors que la Bibliothèque « L’Heure Joyeuse » ouvre ses portes à Paris [51]. Fort de ce contexte, Roger Cousinet va, non sans risque [52], s’investir un peu plus dans cette revue qui connaît, dans le même temps, son pendant au Japon avec L’Oiseau rouge où le poète japonais M. Kitahara publie les poésies d’écoliers qu’il juge les meilleures afin de « ruiner la pédagogie officielle qui fausse l’intelligence et le goût » [53]. Dans cette perspective, Cousinet va augmenter le nombre de pages de L’Oiseau bleu, passant de 8 à 12, et publier un recueil de ses meilleurs textes sous le titre de Carnabot.
Carnabot et autres contes et poèmes
38 Ce petit livre de contes « écrits et illustrés par des enfants pour des enfants », comme le souligne son sous-titre, paraît en 1925 sous le patronage de La Nouvelle Éducation [54]. Dans sa préface, Roger Cousinet insiste, une nouvelle fois, sur l’authenticité et l’originalité de ces textes, quelles que soient les traces d’aide involontaire qu’on peut y trouver, en rappelant, à cette occasion, qu’aucune œuvre, même d’adulte, n’est exempte d’une part d’imitation. C’est, d’autre part, « la première fois que parait en France un livre de ce genre », ajoutant :
nous souhaitons que d’autres le suivent, et nous nous y emploierons si celui-ci connaît le succès. Les enfants qui le liront y pénétreront aisément, sans qu’il soit besoin de ce commentaire explicatif par lequel on prépare souvent pour des enfants une nourriture qui ne leur convient pas. Ils auront sous les yeux, pour la première fois, un livre fait pour eux, puisqu’il est fait par des auteurs semblables à eux, de même niveau qu’eux. Ils y apprendront vraiment à lire, à entendre pleinement le sens d’un texte dont tous les mots expriment des idées familières, à ne point sauter, comme de pierre en pierre, d’un mot à un autre en franchissant de longs intervalles, à ne point imaginer ce qu’ils ne comprennent pas. Ils y trouveront décrit, développé, expliqué, illustré par des enfants semblables à eux tout ce qui vraiment les intéresse, et non ce qu’on juge devoir les intéresser. Ils y prendront sans doute aussi le désir d’écrire à leur tour des œuvres analogues, à l’aide desquelles on pourra constituer ce qu’on aura seulement alors le droit d’appeler une littérature enfantine [55] .
40 Conjointement à l’accueil favorable qu’il va rencontrer [56], Carnabot va être pris comme livre de lecture dans deux lycées des Ardennes grâce à la bienveillance de M. Prévost, inspecteur d’académie, qui ira jusqu’à l’inscrire sur la liste départementale des livres classiques. Ainsi, « quelques maîtres du département ont pu l’introduire dans leurs classes et le mettre entre les mains de leurs élèves » qui bénéficieront ainsi de « l’un des meilleurs livres de lecture pour le cours élémentaire » [57]. Mais, en décembre 1927, après sept années d’existence, Roger Cousinet, à qui cette tâche devient trop lourde pour l’assumer seul, annonce l’interruption de L’Oiseau bleu.
L’avenir éphémère d’une nouvelle formule
41 C’est avec regret, en effet, que R. Cousinet doit se résoudre à arrêter la publication de cette petite revue qu’il souhaite cependant faire paraître désormais sous la forme de cahiers trimestriels en supplément à La Nouvelle Éducation. Cependant, après en avoir énoncé la condition sine qua non sous la forme d’une souscription minimale d’abonnement avant la fin du mois de février 1928, Roger Cousinet doit constater amèrement l’échec de cette nouvelle formule [58]. Madeleine Guéritte, qui souhaite néanmoins garantir une orientation pédagogique en matière de littérature enfantine dans le cadre de La Nouvelle Éducation, annonce, dans un premier temps, lors de l’assemblée générale du mouvement au mois d’octobre 1928, le remplacement de L’Oiseau bleu par des livres d’enfants à raison d’un volume par an [59]. Mais, en janvier 1929, dans un nouvel article, elle promet, à la suite du succès de Carnabot dont l’édition est épuisée, la publication prochaine d’un roman d’aventure écrit et illustré par une fillette de 9 ans, Margaret Wyndham [60], intitulé Le Roi des animaux [61]. Composé par cette « romancière née », ce livre divisé en douze chapitres, qui s’attache à suivre les différents moments de la vie d’un lion, fait partie de ces ouvrages d’enfants construits sur le même modèle qui connaîtront un certain succès au début des années trente [62].
Conclusion
42 En publiant L’Oiseau bleu, en janvier 1922, Roger Cousinet suit l’exemple de ces revues d’enfants déjà existantes dans de nombreux pays étrangers, partout, écrit-il, « où l’on a essayé de réformer et de rénover la pratique scolaire » [63]. Les histoires que peuvent raconter spontanément les enfants constituent, selon lui, un domaine nouveau encore inexploré par la psychologie qui permettrait d’en savoir davantage sur la nature enfantine. Dans cette perspective, L’Oiseau bleu s’inscrit comme « une occasion de développer la spontanéité des enfants, de permettre à leur personnalité de se former, d’épuiser au lieu d’étouffer un instinct » [64]. Seule une liberté effective permet, selon Roger Cousinet, d’étudier cette nature enfantine et de faire prendre conscience au grand public, par ces résultats, du renversement pédagogique à opérer [65]. Cette initiative originale, mal comprise au début des années vingt, est passée inaperçue dans l’Histoire de la littérature enfantine en France [66]. Puisse cet article réparer cet oubli et témoigner de l’une de ces actions encore insuffisamment connues des artisans du mouvement de l’Éducation nouvelle en France.
Notes
-
[1]
Éditée à Arcis-Sur-Aube (siège social : 11, place Danton) à l’adresse personnelle de Roger Cousinet.
-
[2]
R. Cousinet, L’Oiseau bleu, no 1, janvier 1922, p. 1.
-
[3]
Nous pouvons citer, ici, les articles de Fernand Divoire « Ce que lisent les enfants d’aujourd’hui », L’Opinion, 31 décembre 1910, et de Georges Lefèvre « Lecture et collégiens », Revue pédagogique, 15 décembre 1910.
-
[4]
Et notamment celui de J. Macé, Histoire d’une bouchée de pain, Paris, Hetzel, 1888.
-
[5]
Par G. Bruno, Paris, Belin, 1877.
-
[6]
La Belle et la Bête (1742), Lettres d’Emerance à Lucie (1767), La Nouvelle Clarice (1767), etc.
-
[7]
L’Ambition de Jean Trémisort (1894).
-
[8]
R. Cousinet, « La littérature enfantine », L’École et la Vie, Série B, no 37, 3e année, 5 juin 1920, p. 586.
-
[9]
Selon E. Conradi, « la passion de la lecture atteint son degré le plus élevé au début de l’adolescence pendant les années qui vont de 12 à 14 ans » (« Children’s interests in words, slang stories », Pedagogical Seminary, 1903, vol. X, p. 359-404, cité par R. Cousinet, « Les lectures des enfants », L’Éducateur moderne, 15 avril 1911, p. 146).
-
[10]
« Pendant les années scolaires 1909-1910 et 1910-1911, la Société des bibliothèques populaires de Palerme avait fait fonctionner, tant à Palerme que dans toute l’île, environ 150 bibliothèques dans autant d’écoles élémentaires. On pensa alors à profiter de ces bibliothèques pour instituer un référendum, en posant à tous les jeunes lecteurs la question suivante : Des livres que tu as lus lesquels as-tu le mieux aimé ? (G. Gabrielli, La letteratura infantile, Palerme, 1912). 2657 enfants appartenant à 79 classes et âgés de 8 à 14 ans répondirent à ce référundum. […] ». Pour plus d’informations, consulter R. Cousinet, « La littérature enfantine en Italie », L’École et la Vie, Série B, no 8, 4e année, 13 novembre 1920, p. 117-118.
-
[11]
R. Cousinet, « Le rôle de l’analogie dans les représentations du monde extérieur chez les enfants », La Revue philosophique, t. LXIV, août 1907, p. 173.
-
[12]
Cette démarche fut entreprise par Mrs Mitchell, présidente du Bureau d’expériences pédagogiques de New York, en 1922, avec des enfants de 2 à 7 ans dans le cadre d’une initiative qui consistait à noter patiemment une grande quantité d’histoires contées en classe. Elle s’inspira, ensuite, de la forme que les enfants donnaient, selon leur âge, à leurs récits et aux sujets qui les intéressaient, pour composer un charmant recueil de « modèles d’histoires » qui avait pour but de rendre les plus grands services aux personnes désireuses d’écrire pour les enfants de cet âge.
-
[13]
Mobilisé en 1915, Cousinet est blessé sur le front avant d’être évacué vers l’arrière et rendu à la vie civile en 1917.
-
[14]
Mentionnons que la première illustration de ce travail sera mené par un groupe d’élèves de 5e de l’École des Roches (âge moyen : 12 ans) intitulé « Un bienfait n’est jamais perdu » (R. Cousinet, Bulletin de La Nouvelle Éducation, L’Éducation, no 4, janvier 1922, p. 169-170).
-
[15]
Entre 1918 et 1923, Roger Cousinet avait rédigé une série d’articles sur le thème de « La pédagogie expérimentale » à laquelle venait s’ajouter la rédaction d’un programme de travail en quarante-deux articles sur l’enseignement de l’histoire-géographie dans la revue L’École et La Vie où il avait fait la connaissance de Mme Madeleine Guéritte qui traduisait, de son côté, des articles anglais et qui n’hésitait pas à se montrer très critique vis-à-vis des méthodes pédagogiques en vigueur dans l’enseignement traditionnel (note : ses articles sont souvent signés M.-T. Guéritte, des initiales de son mari).
-
[16]
Il sera ainsi invité dans de nombreux congrès internationaux qui se proposent alors de réfléchir sur les orientations à donner aux réformes éducatives en Europe (Angleterre, 1925 ; Belgique, 1927 ; Écosse, 1928 ; Danemark, 1929).
-
[17]
Maurice Maeterlinck (1862-1949) : écrivain francophone belge, auteur de poèmes et de pièces de théâtre à succès telles que Mona Vanna (1902). Il obtient le prix Nobel de littérature en 1911.
-
[18]
Gabrielle C. Réju dite Réjane (1856-1920) : actrice française rendue célèbre par ses rôles dans Un père prodigue (1880) ou Madame sans-gêne (1893). En 1895, sa notoriété est décuplée lors de sa tournée en Amérique avec cette dernière pièce. En 1906, elle rachète et transforme le Nouveau Théâtre de Paris en lui donnant son nom.
-
[19]
Cette pièce connut plusieurs adaptations au cinéma dès 1910. L’histoire est celle d’une fille appelée Mytyl et de son frère Tyltyl qui sont à la recherche du bonheur, représenté par l’oiseau bleu de la joie ; ils seront aidés dans leur quête par la fée Bérylune.
-
[20]
Revue rédigée par les élèves de l’école de Bowness-on-Windermere. Une autre revue anglaise imprimée et illustrée par les élèves de l’école de Bevoistown de Southampton paraît également à cette époque.
-
[21]
Traduction : Les enfants aux enfants. Revue rédigée par des enfants russes réfugiés en France et publiée par M. et Mme Kovarsky (J. Povolozky éditeur), sociétaires de La Nouvelle Éducation.
-
[22]
R. Cousinet, L’Oiseau bleu, no 1, janvier 1922, p. 1.
-
[23]
Ces essais de rédaction libre avaient été menés par cet instituteur avec des élèves de 7 à 10 ans dans une école primaire de la banlieue parisienne dès 1911. Consulter, à cet endroit, la série d’articles intitulée « Nos élèves écrivent et font de l’art… quelquefois » parue dans la série A de L’École et la Vie entre le mois d’octobre 1921 et le mois de juillet 1922. Une étude approfondie de ces textes reste, à ce jour, à entreprendre.
-
[24]
R. Cousinet, Troisième bulletin de La Nouvelle Éducation, L’Éducation, no 6, mars 1922, p. 275-276.
-
[25]
R. Cousinet, Principe et technique du travail collectif, Éditions de La Nouvelle Éducation, mai 1922, 8 p.
-
[26]
R. Cousinet, L’Oiseau bleu, no 1, janvier 1922, p. 1.
-
[27]
Sur cette question, voir D. Ottavi, « Roger Cousinet et la société enfantine » in L’Éducation nouvelle, histoire, présence et devenir, A. Ohayon, D. Ottavi, A. Savoye (dir.), Berne, Peter Lang, 2004, p. 125-143.
-
[28]
Il s’agit, en toute vraisemblance, de Mme Marie Fargues (1884-1973) qui, entrée à l’École des Roches depuis le mois de septembre 1920, collabore régulièrement à la revue dirigée par le directeur de l’école, Georges Bertier.
-
[29]
M. Fargues, « L’oiseau bleu », L’Éducation, no 8, mai 1922, p. 412.
-
[30]
M. Fernier, « À propos de L’Oiseau bleu », L’Éducation, no 1, octobre 1922, p. 51-52.
-
[31]
M. Guéritte, Quatrième bulletin de La Nouvelle Éducation, L’Éducation, no 7, avril 1922, p. 337.
-
[32]
Des travaux d’enfants anglais, belges, suisses et russes furent ainsi exposés.
-
[33]
L’affiche de cette exposition fut réalisée par les élèves de Mlle Quinet, sociétaire de La Nouvelle Éducation, disciple de M. Gaston Quénioux et professeur de dessin à l’École Normale de Nice.
-
[34]
Des dessins et des aquarelles d’enfants prêtés par M. Copeau, M. Kovarsky et M. Purghart, des études historiques ainsi que des répertoires zoologiques et botaniques vinrent compléter les textes littéraires (contes et poésies) exposés à cette occasion. Le Dr Decroly avait également fait parvenir, pour l’exposition, des documents relatifs aux différents aspects de ses méthodes d’éducation.
-
[35]
R. Cousinet, Sixième bulletin de La Nouvelle Éducation, L’Éducation, no 9, juin 1922, p. 455.
-
[36]
Pour certains lecteurs, les ouvrages recommandés ne présentaient pas de profit intellectuel et ne possédaient pas de caractère moral, voire ils consolidaient chez les enfants une mentalité nettement immorale, présentant ainsi de réels dangers.
-
[37]
R. Cousinet, « Les lectures des enfants », L’Éducateur moderne, juillet 1911, p. 304-309.
-
[38]
Les articles de cette rubrique ne sont pas signés.
-
[39]
« L’Oiseau bleu », Revue pédagogique, t. 91, juillet-décembre 1922, p. 232.
-
[40]
Ibid., p. 232-233.
-
[41]
Ibid., p. 233.
-
[42]
Ibid.
-
[43]
R. Cousinet, Onzième bulletin de La Nouvelle Éducation, L’Éducation, no 4, janvier 1923, p. 213.
-
[44]
Ibid.
-
[45]
R. Cousinet, L’Oiseau bleu, no 9, 2e année, 1er novembre 1923, p. 72.
-
[46]
Ce conte, dont la traduction est due à Mme M. Guéritte, paraîtra en quatre parties dans le no 2 du 1er février 1924 (p. 14-16), no 3 du 1er mars 1924 (p. 22-24), no 4 du 1er avril 1924 (p. 31-32) et no 5 du 1er mai 1924 (p. 37-39).
-
[47]
R. Cousinet, M. Guéritte, Onzième bulletin de La Nouvelle Éducation, L’Éducation, no 4, janvier 1923, p. 214.
-
[48]
R. Cousinet, M. Guéritte, Douzième bulletin de La Nouvelle Éducation, L’Éducation, no 5, février 1923, p. 276.
-
[49]
La société pédagogique La Nouvelle Éducation et quelques-uns de ses sociétaires abonneront les bibliothèques de Belleville, de Soissons, de Coucy-le-château et d’Anizy-le-château à L’Oiseau bleu en 1923.
-
[50]
C. M., « La bibliothèque de l’enfant », L’Éducation, no 3, décembre 1923, p. 188-189.
-
[51]
Sur l’histoire de cette bibliothèque, consulter le site dédié à l’histoire du mouvement de l’Éducation nouvelle en France (1899-1939) : http://hmenf.free.fr (Rubrique 2.3 « Les expériences éducatives et pédagogiques affiliées à ce mouvement après 1918 »).
-
[52]
Ses responsabilités au sein de La Nouvelle Éducation l’amènent à diminuer le nombre de ses inspections. Dès lors, les remontrances de sa hiérarchie ne se font pas attendre. Mais l’opportunité va lui être donnée de poursuivre ses expériences pédagogiques grâce à l’aide d’une nouvelle collaboratrice, Mme Bertrand.
-
[53]
M. Kitahara, cité par R. Cousinet et M. Guéritte, « Revues et livres : L’Oiseau rouge », La Nouvelle Éducation, bulletin no 18, octobre 1923, p. 8.
-
[54]
Ce livre est aujourd’hui devenu quasiment introuvable. Il ne figure, en effet, dans aucun catalogue en ligne des principales bibliothèques en France.
-
[55]
R. Cousinet, Carnabot et autres contes et poèmes, Éditions de La Nouvelle Éducation, J. Baucomont, Garches (Seine-et-Oise), février 1925, p. 2-3.
-
[56]
« Le Times Educational Supplement du 16 et du 23 mai 1925 a fait paraître de très sympathiques notices sur […] Carnabot », cité par R. Cousinet et M. Guéritte, « Revues et livres », La Nouvelle Éducation, no 37, juillet 1925, p. 115.
-
[57]
R. Cousinet, M. Guéritte, « Nouvelles », La Nouvelle Éducation, no 38, octobre 1925, p. 126-127.
-
[58]
C’est ainsi qu’un cahier consacré aux poésies d’enfants en supplément au numéro d’avril 1928 de La Nouvelle Éducation ne verra jamais le jour.
-
[59]
M. Guéritte, « Notre nouvelle année », La Nouvelle Éducation, no 71, janvier 1929, p. 3.
-
[60]
Cette jeune fille appartenait à une vieille famille anglaise dont plusieurs membres étaient alors musiciens.
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[61]
M. Guéritte, « Littérature enfantine », La Nouvelle Éducation, no 74, avril 1929, p. 61.
-
[62]
À cet égard, il convient de citer Le Cirque de Brocardi dû à la coopération de M. Lucien Gérard, inspecteur primaire à Saint-Dié, aidé de son collègue, M. Clap et de Mme Guénot, professeurs au lycée de jeunes filles de Sèvres, dans lequel ils ont recueilli des travaux d’écoliers et de lycéens.
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[63]
R. Cousinet, Onzième bulletin de La Nouvelle Éducation, L’Éducation, no 4, janvier 1923, p. 213.
-
[64]
Ibid.
-
[65]
L. Gutierrez, D. Ottavi, Roger Cousinet (1881-1973) : un philosophe à l’épreuve de la pédagogie, Paris, INRP, 2007.
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[66]
L’Oiseau bleu est, en effet, absent de l’ouvrage de F. Caradec, Histoire de la littérature enfantine en France, Paris, Albin Michel, 1997.