Notes
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[1]
Parmi divers travaux sur cette enquête on me permettra de renvoyer à un précédent ouvrage Instituteurs avant la République, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1999, qui traite un échantillon national de 248 mémoires. Voir aussi, récemment, G. Nicolas, qui a consacré un ouvrage à l’ensemble des mémoires rédigés dans les sept départements de l’académie de Rennes : Le Grand Débat de l’école au XIXe siècle, Paris, Belin, 2004.
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[2]
Des extraits ont été publiés par D. Delhomme, N. Gault, J. Gonthier, Les Premières Institutrices laïques, Paris, Mercure de France, 1980. Voir également Lettres d’institutrices rurales d’autrefois rédigées à la suite de l’enquête de Francisque Sarcey en 1897, I. Berger (éd.), Paris, Association des amis du Musée pédagogique, s. d.
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[3]
Sur L. Charpentier, voir G. Rouet, L’Invention de l’école, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1993. Voir également F. Jacquet-Francillon, Instituteurs avant la République.
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[4]
La Classe ininterrompue : cahiers de la famille Sandre, enseignants : 1780-1960, M. Ozouf (éd.), Paris, Hachette, 1979.
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[5]
Sur L.?A. Meunier, on peut également se reporter à un assez long et bon article biographique d’H. Dubief, « Arsène Meunier. Instituteur et militant républicain », Recueil de la Société d’histoire de la Révolution de 1848, 1954. H. Dubief s’appuie lui-même sur différentes sources, notamment un chapitre du livre de J. Vidalenc, Le Département de l’Eure sous la monarchie constitutionnelle (1814-1848), Paris, M. Rivière, 1952.
-
[6]
Sur cette distinction voir F. Ferraroti, Histoire et histoires de vies. La méthode biographique dans les sciences sociales, Paris, Librairie des Méridiens, 1983, p. 89.
-
[7]
Un très bon inventaire de ces sources a été dressé par P. Gerbod : « À propos des biographies d’enseignants, 1800-1980 », Histoire de l’éducation, no 7, décembre 1982. P. Gerbod évoque du reste les matériaux biographiques secondaires, notamment les « dossiers individuels » constitués par les administrations scolaires depuis le Consulat et dont on trouve dans certains dépôts d’archives départementales des séries impressionnantes ; et des sources imprimées qu’on peut localiser dans les catalogues de la Bibliothèque nationale de France, notamment dans la série Ln27. Outre cela il faut se reporter évidement à P. Lejeune, « Les instituteurs du XIXe siècle racontent leur vie », Histoire de l’éducation, no 25, janvier 1985, et « Les maîtres d’école dans la littérature », Références documentaires, no 3, octobre 1983, qui comprend romans et récits biographiques, autobiographiques ou pas. Par ailleurs, J. Peneff qui, dans La Méthode biographique, Paris, A. Colin, 1990, consacre plusieurs passages aux instituteurs, a aussi publié une dizaine de récits de vie d’instituteurs bretons (écoles publiques et privées), et il a fait précéder ces textes de quelques remarques méthodologiques simples et éclairantes, dans les Cahiers du LERSCO, no 8, janvier 1987. Noter enfin une rigoureuse élaboration méthodologique de Kathy Carter (professeur aux USA, à Tucson, Arizona), « The place of Story in the Study of Teaching and Teacher Education », Educational Researcher, janvier-février 1993.
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[8]
Ce texte a été redécouvert récemment et publié dans les Cahiers percherons, n° 65-66, 1981.
-
[9]
Voir. J.-N. Luc, La Statistique de l’enseignement primaire, XIX-XXe siècles. Politique et mode d’emploi, Paris, INRP – Economica, 1985.
-
[10]
E. Hughes, Le Regard sociologique, J.-M. Chapoulie (éd.), Paris, EHESS, 1996 ; et l’intervention de J.-M. Chapoulie au colloque sur La Formation aux didactiques, Paris, INRP, 1980.
-
[11]
AN, F17 10?788, Seine-et-Oise.
-
[12]
J.-M. Chapoulie parle en ce sens de la compétence pédagogique comme enjeu de conflits, dans Les Professeurs de l’enseignement secondaire. Un métier de classe moyenne, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1987, p. 265 sq.
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[13]
Voir sur ce point, concernant les métiers en général dans la société moderne, P. d’Iribarne, Vous serez tous des maîtres, Paris, Seuil, 1996, p. 137 sq.
-
[14]
M. de Cornemin, Entretiens de village, 9e éd., Paris, Pagnerre, 1847.
-
[15]
Cf. P. d’Iribarne, Vous serez tous des maîtres, p. 140.
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[16]
L. A. Meunier, De l’enseignement congréganiste (1845), et Lutte du principe clérical et du principe laïque dans l’enseignement (1861). Voir sur ce cas, F. Jacquet-Francillon, « Louis-Arsène Meunier : une déontologie pour les instituteurs du XIXe siècle », Ateliers, Cahier de la Maison de la Recherche de l’Université Charles de Gaulle – Lille III, n° 33, 2005 ; ainsi que du même, « Déontologie professionnelle », Le Télémaque, n° 17, mai 2000, p. 15-22.
-
[17]
F. Muel-Dreyfus, Le Métier d’éducateur, Paris, Minuit, 1983.
-
[18]
Darroze, instituteur à Arjuzanx, Landes, AN F17 10?764.
-
[19]
Voir C. Dubar et P. Tripier, Sociologie des professions, Paris, A. Colin, 1998, p. 101-102.
-
[20]
Voir E. Hughes, Le Regard sociologique, sur les enjeux liés au nom de la profession : notamment quelles tâches et qui peut s’en prévaloir.
-
[21]
M. de Certeau, La Faiblesse de croire, Paris, Seuil, 1987, p. 269 sq.
-
[22]
Cf. C. Dubar et P. Tripier, Sociologie des professions, p. 95. La formation d’une identité professionnelle, comme étant ce qui se donne dans le récit de carrière, est un thème classique de la sociologie des professions. C. Dubar et P. Tripier examinent la sociologie interactionniste des professions, notamment E. Hughes, déjà évoqué à plusieurs reprises ici, d’après qui l’activité professionnelle de n’importe qui doit s’étudier comme un processus biographique et identitaire. Voir aussi C. Dubar, « Usages sociaux et sociologiques de la notion d’identité », Éducation permanente, n° 128, 1996, qui traite p. 41 la question du recueil de la parole pour saisir quelque chose de l’identité et montre alors que cette catégorie est effectivement utilisée par les sociologues qui pratiquent ce genre d’entretien.
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[23]
C. Dubar, La Crise des identités, Paris, PUF, 2000, p. 94. C. Dubar se réfère aussi à R. Sainsaulieu, L’Identité au travail. Les effets culturels de l’organisation, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1977.
-
[24]
Voir W. Doise et al., Psychologie sociale expérimentale, sur l’image positive de soi et du groupe, Paris, A. Colin, 1978.
-
[25]
Pour illustrer cette définition, on peut se référer à Deleuze qui, dans Pourparlers (Paris, Minuit, 1990), p. 160, parle de la « subjectivation » non pas comme de la constitution d’un sujet, mais comme la création de modes d’existence. La même idée se trouve dans Foucault : Dits et Écrits, Paris, Gallimard, 1994, t. IV, l’article « Sexe, pouvoir, identité », p. 734 sq., qui évoque une identité définie comme un « jeu pour favoriser des rapports sociaux ».
1 Pour suivre l’émergence de la profession moderne d’instituteur au XIXe siècle nous disposons de plusieurs séries de sources parmi lesquelles les récits de vie ou de carrière sont d’une grande utilité, même si on ne peut pas les examiner isolément des autres matériaux disponibles, aussi divers qu’on l’imagine.
Inventaire des récits de vie
2 Il y a d’abord des récits romanesques, des biographies plus ou moins véridiques ou fictionnelles comme on voudra, dont certaines s’inspirent néanmoins de personnages réels et donnent des indications sur une époque et un milieu particuliers. Le livre d’A.-J. Matter, L’Instituteur de village (1832), et celui de Paul Luiz, les Scènes de la vie d’un instituteur (1868), sont à compter parmi les plus significatifs dans cette catégorie – à manier avec précaution, cela va sans dire.
3 Il y a ensuite des textes comportant des fragments autobiographiques et qui nous renseignent à ce titre, parfois avec une grande précision, sur la vie et les activités des individus concernés. Ces textes sont souvent nés d’une commande extérieure, administrative la plupart du temps. L’une d’entre elles, la plus précieuse de toutes, fut le concours ouvert en 1861 auprès des instituteurs publics (non compris les congréganistes) par un ministre, Rouland, désireux, pour toutes sortes de raisons avant tout politiques, de connaître les besoins de l’école, des élèves et du maître dans les communes rurales [1]. D’autres enquêtes, de moindre ampleur, sont également très précieuses, comme celle effectuée en 1858 dans la Gironde pour évaluer les connaissances pédagogiques des instituteurs ; de même que celle réalisée en 1911 sous l’égide du Manuel général de l’enseignement primaire, sur L’Instituteur et l’Institutrice dans la société moderne. Autre cas intéressant mais d’un autre genre, les réponses spontanées des institutrices au roman de Léon Frapié, L’Institutrice de province (1897), publiées à l’époque par Francisque Sarcey dans les Annales politiques et littéraires [2] (réponses qui ont donc le même caractère fortuit que celles reçues au début des années 1960 par Jacques Ozouf, en complément du questionnaire pourtant détaillé qu’il avait envoyé aux maîtres survivants de la Belle Époque).
4 Il y a enfin et surtout des autobiographies pures et simples. Celle que je citerai en premier, pour l’usage que j’ai déjà cru devoir en faire, a été rédigée par Léopold Charpentier, instituteur “mutuel” à Reims du début de la monarchie de Juillet jusqu’à la fin du Second Empire, de 1831 à 1867 exactement [3]. Les cahiers de la famille Sandre, retrouvés par Mona Ozouf, traversent la même époque [4]. Un peu antérieur, le texte de Louis Arsène Meunier a davantage retenu l’attention des spécialistes [5]. Ce type de récit est assez fréquent et, sur les deux siècles, la série totale en comporte sans doute quelques dizaines, qui se différencient par les situations dans lesquelles ils ont été produits : situations sociales, culturelles, géographiques, institutionnelles, ce qui exige toujours un examen critique des plus scrupuleux. Les institutrices y deviennent majoritaires à notre époque. On en a de très bons exemples avec H. Bastide, Institutrice de village (1969), N. Bosson, Maîtresse détresse (1990), ou encore C. Bravo, Maîtresse à Belleville (1984).
5 Évidemment, on peut toujours ajouter à cela d’autres types de documents biographiques, dits « secondaires » : correspondance, recueils de souvenirs ou autres traces, dossiers administratifs, etc. [6] Toutes choses qui ne se traitent pas de la même façon, notamment parce que le récit de vie est un geste réfléchi de reconstruction d’un trajet ou d’un itinéraire par le sujet lui-même [7].
6 Certains des instituteurs cités à l’instant révèlent dans leur récit de très fortes personnalités, si bien qu’ils peuvent constituer pour nous une « figure » historique donc une référence permettant de comprendre un ou plusieurs moments dans la formation de la culture professionnelle des membres de l’enseignement primaire. Je pense là encore à Léopold Charpentier, maître d’élite s’il en fut, appelé à Reims pour diriger une école mutuelle dans la période qui fait suite à la Révolution de Juillet. Charpentier fut plongé, à son corps défendant protestera-t-il, dans toute une série de péripéties, pour ne pas dire de turpitudes, de la politique locale, c’est-à-dire des conflits entre libéraux et catholiques traditionalistes, ou bien même, à l’intérieur du camp « progressiste », entre un courant attaché aux idéaux de la Révolution et un courant plus modéré, le tout étant encore compliqué par des relations corporatives qui n’étaient pas exemptes de concurrence. Certes son récit, qui est plutôt un récit de carrière, est peu visible à cause d’un titre décalé : L’Enseignement primaire et notamment l’enseignement mutuel à Reims de 1831 à 1868 (Reims, 1869) ; mais il recèle toutes sortes de notations vivantes et colorées sur l’ambiance et le “folklore” de ces villes de province entraînées dans les agitations et les vicissitudes de la démocratie municipale naissante. On a en outre la chance de pouvoir compléter sa reconstitution par un autre témoignage, auquel il peut aussi être comparé, celui d’un avocat nommé Jean-Baptiste Arnould, membre du comité scolaire de la ville, ouvrage intitulé Notes et documents sur les établissements d’instruction primaire de la ville de Reims (Reims, 1848).
7 Autre personnage et autre récit intéressants – pour la prise qu’ils offrent sur les contextes politiques, sociaux et culturels de l’enseignement primaire, Louis Arsène Meunier. Celui-ci a laissé, à côté de plusieurs genres d’écrits, un fragment d’autobiographie, les Mémoires d’un ancêtre ou Les tribulations d’un instituteur percheron, publié après sa mort, en 1904, dans la revue L’École nouvelle [8]. Meunier a débuté sa carrière très tôt, à 15 ans et demi, en tant qu’instituteur ambulant dans les campagnes du Perche, puis il a connu tous les états possibles dans cette profession : instituteur communal, professeur libre, maître de pension et surtout directeur de l’École normale d’Évreux. Il a aussi dirigé dans cette ville entre 1836 et 1842 un cours d’adultes gratuit qui accueillait jusqu’à 400 participants. Après avoir quitté cette ville pour rejoindre Paris, il fonda au Palais royal une école professionnelle qui devait prospérer les années suivantes. C’est alors qu’il publia le journal dont il fut le principal rédacteur, L’Écho des instituteurs, de 1845 jusqu’à son interdiction, en 1850 (interdiction qui frappa en même temps son école professionnelle). Cela dit, son témoignage ne porte que sur les années 1815-1830, qui concernent sa carrière d’instituteur proprement dite, sans inclure les années suivantes et la Révolution de 1848 pendant lesquelles il put et sut se hisser au faîte de la politique nationale et avoir ainsi son heure de gloire, laquelle devait se solder par une révocation définitive en 1850.
L’existence professionnelle des instituteurs
8 Si on examine ces récits de vie achevés ou fragmentaires, intentionnels ou accidentels, dans lesquels des instituteurs ont exposé les principaux aspects de leur vie et de leur pensée afin de les conserver et de les faire connaître au-delà de leur sphère, à quelles informations peut-on précisément accéder ? Disons, en admettant une distinction assez fruste : d’une part des données objectives concernant les conditions dans lesquelles ces maîtres accomplissent leurs activités et poursuivent leurs finalités (le développement pédagogique des méthodes et des procédés, l’installation matérielle de leurs écoles, la fréquentation de leur classes, les rémunérations qu’ils perçoivent, etc.), et d’autre part des notations subjectives engagées dans ces contextes : des jugements d’approbation ou de désapprobation, des réactions d’enthousiasme ou d’amères désillusions, etc., bref des opinions, des croyances, et toutes les expectations qui se fondent pour une large part (ce qui peut paraître évident) sur les idéaux et les valeurs admis par la profession. Ce sont là des représentations d’une existence collective, des formes de conscience du monde social et historique des instituteurs. Bien sûr, tant les données objectives que les repères subjectifs méritent d’être confrontés à des informations indépendantes, obtenues par une enquête classique et éventuellement quantifiables, comme sont les statistiques disponibles, qu’on peut tenter d’utiliser d’une façon scrupuleuse malgré toutes les difficultés, connues, des recueils du XIXe siècle (imprécision, manque de fiabilité, faiblesse et instabilité des catégories servant de base au recueil et au traitement, etc. [9]).
9 À la lecture des documents réunis, une distinction s’impose et se justifie d’emblée, celle entre l’existence professionnelle et l’exercice professionnel stricto sensu. On s’attend en effet à ce que les maîtres d’école se centrent sur leurs activités ordinaires, face à leurs élèves, et montrent l’univers de leurs leçons, des exercices et de la discipline – ce qui n’exclut pas leurs obligations administratives et tout le reste de ce qu’Everett Hughes appelle le « faisceau des tâches » [10]. Or, si ces récits offrent de nombreuses descriptions, parfois irremplaçables, des travaux quotidiens et des affaires courantes, ils insistent par ailleurs beaucoup sur les activités externes que les instituteurs assument à la marge de l’école, voire tout à fait en dehors. Ils retracent dans ce cas toute une circulation dans la société alentour, les liens avec les familles, avec les pouvoirs locaux, avec les collègues proches, etc. Et si quelques-unes de ces situations sont directement liées aux capacités évidentes des instituteurs, comme les cours d’adulte ou l’enseignement des poids et mesures, d’autres s’en séparent bien davantage, comme leurs relations avec les autorités locales ou les conseillers municipaux (qui sont aussi leurs employeurs), ou plus encore les activités extrascolaires rémunérées qui leur apportent un appoint de ressources, mais peuvent aussi leur réserver d’autres difficultés. Il faut d’ailleurs ajouter que si les instituteurs prennent ainsi quelque distance avec la routine de leur métier, c’est aussi, soit pour présenter le meilleur d’eux-mêmes – et ils inclinent alors à restituer des événements exceptionnels et extraordinaires, avec un vague espoir de postérité, soit pour susciter chez leurs hypothétiques lecteurs un courant de sympathie (constat qui mène à se méfier de ce genre de source).
10 Le livre de Charpentier, très comparable à celui de Meunier sur ce plan, ne s’arrête jamais sur le déroulement de sa classe et les exercices effectués par ses élèves sous la direction des moniteurs. Ces données n’affleurent que lorsque sa réputation souffre, d’après lui, de reproches fallacieux, ou lorsque ses compétences sont contestées et son prestige entamé, par ses collègues instituteurs laïcs ou ses émules congréganistes. Ce fut le cas lors d’une polémique sur la question de savoir qui, de lui ou des frères, avait le premier introduit l’étude de la grammaire dans son école ; ou bien au moment de prendre sa retraite lorsque, devant ses interlocuteurs de la mairie qui refuseront de lui accorder un supplément de pension, il sera contraint de dresser le bilan de ses mérites et de faire l’inventaire de ses succès, en soulignant les aspects les plus marquants de cette charge assumée pendant 35 ans, par exemple le cours d’adultes qu’il donna un temps, juste après sa classe du soir, à 200 personnes, et dans lequel il devait affronter des difficultés matérielles aussi étonnantes pour nous que les innombrables plumes d’oies à tailler, les lampes à huile qu’il fallait dégeler auprès du poêle en hiver, etc.
11 Bref, puisque sont ainsi minorées les situations en classe et majorées les situations hors classe, il faut rendre compte de cette excursion au-delà des cadres de l’exercice ordinaire, dans l’environnement institutionnel et social, en fixant une catégorie englobante, qui admet dans sa géographie le non-professionnel à côté du professionnel : c’est cette catégorie que j’ai proposé d’appeler l’existence professionnelle des instituteurs. Comment les instituteurs perçoivent-ils leur monde et que souhaitent-ils en faire entendre ? L’analyse de leur discours à travers les documents dont j’ai parlé conduit alors à définir trois registres principaux, qui mettent en lumière un schéma de ce qui est ou devrait être l’existence normale des maîtres d’école de cette époque. Il s’agit de leur position sociale, de leur fonction sociale et de leur statut institutionnel. Je précise que, dans les récits, ces registres apparaissent souvent en rapport avec certains destinataires, qui peuvent être aussi des partenaires réels. La position est débattue avec les collègues dans le cadre des sociabilités corporatives ; le statut est en question dans les relations avec les autorités locales, municipales ou cléricales ; la fonction est mise en cause avec les familles et les populations visées par l’école.
La position sociale
12 La notion de position sociale renvoie au niveau de ressources atteint par la moyenne des membres de la profession, et qui se concrétise par une “situation” – une “bonne situation”, dit-on, lorsqu’elle est avantageuse et qu’au moins elle protège contre les difficultés habituelles. La position sociale des instituteurs s’établit à la fois sur la base de ressources économiques et de ressources culturelles. N’oublions pas que les secondes agissent sur les premières et inversement. L’ensemble dépend de l’ambition de la société et de l’État vis-à-vis de cette corporation. De toutes façons, tout au long du siècle, les instituteurs ont fait de leur position sociale un objet de revendications multiples et de négociations incessantes.
13 Les ressources culturelles des instituteurs, c’est-à-dire leur « bagage » de connaissances, leur culture générale et spécialisée, sont acquises dans des institutions et certifiées par des titres, en particulier les fameux brevets de capacité (dont les congréganistes furent parfois dispensés). Ces brevets, qui signalent un degré d’aptitude, comportent deux ou trois degrés selon les époques. En fait, ces ressources ont été nettement augmentées par les politiques volontaristes qu’ont incarnées les Écoles normales primaires, rivales des séminaires congréganistes (ce qui engage là encore à analyser avec nuance l’apport et l’évolution des uns et des autres). L’amélioration se juge d’ailleurs aux phénomènes de concurrence qu’elle a engendrés dans des grandes villes où laïcs et congréganistes renchérissaient leur offre d’enseignement, pour attirer les familles avec des programmes de plus en plus complets, incluant des matières comme les sciences, l’histoire, le dessin linéaire, etc. Il y avait même, autre signe de ces évolutions rapides, des concours honorifiques à l’occasion desquels rivalisaient les instituteurs en exercice.
14 Les ressources économiques dépendent de la rétribution versée par les familles, variable selon le service offert : lecture, écriture, arithmétique, etc., mais aussi du traitement fixe que paient les municipalités et qui se monte à 200 francs annuels à partir de la loi de 1833 (la loi Falloux prévoit en 1850 que traitement plus rétribution ne peuvent pas être inférieurs à 600 francs, faute de quoi un supplément doit être accordé). Ces éléments sont en outre complétés, dans les limites admises par la loi, par ces éventuelles activités extrascolaires, plus ou moins lucratives, auxquelles j’ai fait allusion plus haut, et parfois aussi par la possession et l’exploitation de terres.
15 Le niveau économique du maître d’école du XIXe siècle doit être évalué avec prudence si nous voulons nous défaire du stéréotype courant : le pauvre hère officiant dans un semi-taudis, en butte aux moqueries des uns et aux tracasseries des autres, et mendiant quelques liards en échange de ses leçons. Pour éviter une telle vision misérabiliste, il faut distinguer les anciennes générations, avec des catégories en voie d’extinction comme les instituteurs ambulants (état que connut Meunier dans sa jeunesse), et la nouvelle génération, sortie des jeunes Écoles normales après 1830. Car si la moyenne des revenus de cette dernière est assez basse, c’est quand même parfois moins qu’on ne le pense. Il y a bien au total une assez large frange au seuil de la pauvreté, comparable à certains ouvriers (en faisant abstraction des possibles revenus annexes), mais il y a en revanche dans les bourgs et les centres urbains une fraction supérieure aisée qui forme une élite, d’ailleurs admise dans certains cercles des notables provinciaux, et qui a sans doute fixé les normes de l’existence professionnelle de la corporation toute entière. C’est le groupe auquel appartiennent Charpentier et ses collègues : car ceux-ci perçoivent, dans une ville qui assure un service d’instruction gratuite aux familles, 1?800 francs annuels, trois fois plus que la fraction inférieure et le double de la moyenne, tout en bénéficiant en plus d’un logement gratuit (qu’ils n’ont d’ailleurs pas obtenu sans difficultés).
16 Cependant, la plupart des récits d’instituteurs profèrent sur ces questions des récriminations très appuyées. Dans les mémoires de 1861, la faiblesse des revenus (traitement fixe plus rétribution) est le thème le plus fréquent. Une véritable litanie. Certains textes, réduits à quelques lignes, n’ont été rédigés, à la hâte, que pour révéler, dénoncer, stigmatiser la gêne éprouvée par leurs auteurs toute une vie durant. Mais les soucis pécuniaires troublent aussi bien les instituteurs plus favorisés, à cause des rivalités entre laïcs et congréganistes : soit pour empocher les subsides municipaux et tout ce qui s’ensuit (logements, compléments et avantages divers), quand la gratuité pour les familles est assurée dans la ville ; soit pour s’emparer des écoles susceptibles d’accueillir un grand nombre d’élèves lorsque les familles paient normalement la rétribution. Les frères des Écoles chrétiennes, à cause de leur organisation et de leur pédagogie, travaillent au moins à trois, afin de créer les trois divisions que leur méthode préconise, et de ce fait ils jettent leur dévolu sur les écoles importantes des grandes villes, privant alors les laïcs, s’ils le peuvent, d’une situation a priori rentable.
La fonction sociale
17 La fonction sociale de l’enseignement primaire (donc du maître d’école) ne doit pas être confondue avec les finalités de l’école. Tandis que celles-ci sont des motifs subjectifs pour des individus, celle-là se concrétise objectivement dans la société et ne se définit que par des effets sensibles, des résultats mesurables, ce qui engendre aussi un bénéfice pour les populations destinataires. La fonction d’un enseignement primaire supposé utile ou indispensable pour la société (et qui prend place à ce titre dans la division du travail) est le fondement des activités normales des instituteurs, des tâches qu’il leur revient d’accomplir sur la base de leurs connaissances et de leurs savoir-faire (en rapport avec des programmes et des règlements, avalisés par des institutions, dont la substance tient au lire-écrire-compter, auxquels s’ajoutent selon les époques diverses matières, sacrées ou profanes).
18 Mais l’exercice de cette fonction dépend d’une offre adressée à un public qui l’attend ou ne l’attend pas et, de ce fait, qui l’accepte ou la refuse. Dans la situation où il n’y a ni obligation ni gratuité légales, les instituteurs doivent toujours promouvoir une offre de scolarisation attractive, adaptée à une demande si elle existe, ou qui est en mesure dans le cas contraire de satisfaire une demande non encore formulée ou un « besoin » non encore conscient. Si bien qu’ils déploient maints efforts pour convaincre les populations jusqu’alors ignorantes des bienfaits de l’école. Une autre protestation, récurrente dans les mémoires de 1861, concerne les familles et parfois même les autorités locales qui persistent dans leur indifférence à l’égard de l’instruction.
19 Mais lorsque le public potentiel est conquis, les soucis de l’instituteur ne sont pas encore apaisés. Quelle que soit son audience virtuelle, il doit l’emporter sur des offres concurrentes, supplanter des rivaux, magisters privés ou congrégations religieuses, l’idéal pour lui étant d’obtenir un monopole (n’oublions pas que les frères des Écoles chrétiennes qui ont la gratuité pour principe, ne demandent pas de rétribution et fournissent par conséquent une offre avantageuse et attractive pour les familles). C’est dire que les conflits entre groupes constitués n’ont pas pour seule et unique cause des divergences culturelles ou “idéologiques”, voire politiques (par exemple, lancinantes tout au long du siècle, les querelles sur l’ampleur que doivent avoir la culture religieuse, le catéchisme, l’histoire sainte, les prières, etc., dans l’enseignement primaire élémentaire), mais aussi le fait plus prosaïque qu’on se dispute d’une part le suffrage des familles, et d’autre part, accessoirement, les avantages que l’État octroie aux écoles publiques. Cette difficulté atteindra son point culminant sous le Second Empire dans sa phase autoritaire. À ce moment, la rancœur des instituteurs laïcs viendra de la concurrence, qu’ils estiment déloyale, des congrégations, notamment les frères des Écoles chrétiennes.
20 Le récit de Meunier est très révélateur de ces problèmes. Aux différents moments de sa carrière, avant de s’installer en tel ou tel endroit, on le voit procéder à de véritables études prospectives : il cherche à cerner la population scolarisable, à évaluer les offres de scolarisation existantes et leurs faiblesses éventuelles, afin de proposer ensuite, si possible, un programme d’enseignement plus étoffé, gage de ses succès futurs. Ces questions sont tout aussi centrales dans le récit par Charpentier de sa trajectoire professionnelle rémoise. La maîtrise de sa fonction sociale est certes assortie chez lui de considérations idéologiques qui témoignent de ses convictions en faveur de l’enseignement populaire et de sa foi dans la méthode mutuelle pour réaliser ses idéaux. Mais il s’étend davantage sur les batailles pour imposer sa fonction dans la société locale, batailles compliquées par le contexte politique et l’opposition des libéraux à l’enseignement congréganiste juste après 1830. Dans ce contexte en effet, Charpentier est emporté dans des conflits tous azimuts, aussi bien avec ses « partenaires » extérieurs, les notables locaux qui siègent au conseil municipal ou dans les comités de surveillance de l’instruction publique, qu’avec ses émules, qui sont aussi ses proches voisins, les frères des Écoles chrétiennes, soutenus par des groupes politiques conservateurs (mais qui peuvent avoir aussi l’approbation de familles modestes).
Le statut institutionnel
21 Le statut institutionnel des instituteurs tient au degré de dépendance ou d’indépendance donc au niveau de responsabilité qui leur est conféré par les instances officielles de leur corporation. Le statut donne des possibilités d’initiative plus ou moins étendues soit à l’intérieur soit à l’extérieur de l’institution. Léopold Charpentier et de nombreux instituteurs du concours de Rouland consacrent une large part de leurs récits à ce domaine de leur existence professionnelle, et c’est une fois de plus pour relater les tourments qu’ils attestent y avoir enduré.
22 Certaines de leurs difficultés s’inscrivent y compris dans les rapports horizontaux ou égalitaires avec leurs collègues dans le cadre des sociabilités professionnelles, dont les enjeux leur tiennent plus ou moins à cœur et qui débouchent sur des rivalités plus ou moins fortes (associations, réunions obligatoires ou volontaires comme les conférences pédagogiques, participation aux comités locaux ou à des organismes comme les caisses d’épargne, etc.).
23 Mais leurs plus graves ennuis naissent en général dans les rapports verticaux et inégalitaires où ils sont exposés au regard de leurs « supérieurs » et des « autorités » proches ou lointaines. Ce sont les préfets qui, après 1848, peuvent révoquer les instituteurs suspects d’entretenir l’agitation politique ; ce sont plus souvent les inspecteurs départementaux, à la fois appréciés pour leur compétence et redoutés pour la sévérité de leurs verdicts ; ce sont encore les maires et les notables présents dans les comités de surveillance et d’encouragement ; et ce sont enfin, de façon plus significative peut-être, les curés. Ces derniers regardent à bon droit l’enseignement religieux, mais ils se complaisent souvent dans un rôle de contrôleur permanent, assez rigoureux pour en devenir tatillon, qui est donc à l’origine des querelles les plus caractéristiques de cette époque, même s’il ne faut pas généraliser ce constat. Les mémoires de 1861 relatent des scènes parfois amusantes mais d’autres fois pénibles, où l’on devine une volonté pernicieuse de contrecarrer l’instituteur, de le rabaisser et de l’humilier, et finalement de le fatiguer assez pour obtenir son départ et son remplacement par un congréganiste, du moins si les conseillers municipaux s’en laissent persuader. C’est ainsi qu’un instituteur de Seine-et-Oise, qui dit avoir connu cinq curés, affirme que « nul ne saurait comprendre » combien ces « messieurs » l’ont fait souffrir, et qu’il dut faire preuve d’« une patience à toute épreuve » et d’« un courage invincible » pour accomplir malgré tout ses devoirs [11].
24 Dans l’ensemble, les instituteurs ont dépensé pas mal d’énergie et de ruses pour se protéger contre des autorités suspicieuses ou malveillantes et se mettre hors de portée des maires et des curés des villages qu’ils jugeaient de toutes façons trop étrangers à la société scolaire et à ses buts. Les instituteurs aspiraient à un statut d’autonomie dont ils pensaient avoir besoin, dans cet environnement administratif ou politique, pour gagner la confiance des familles, pour avoir du même coup sur les enfants l’ascendant que leur charge réclamait, et pour maintenir leur école en bon ordre de marche en usant aussi des sanctions et des punitions utiles selon eux. Que leur statut réel, ajouté au manque d’aisance financière, les précipite au contraire dans des relations de soumission paralysantes, provoquait en eux assez de désespoir pour les décider à fuir une profession dont aucun des postes accessibles ne les garantissait plus contre ces dangers.
L’affirmation collective de soi
25 D’après les récits examinés ici, il s’avère que l’existence professionnelle des instituteurs, quel que soit leur milieu d’insertion, est exposée et intellectuellement construite sur l’expression d’une amertume permanente. C’est au point que l’un des recueils composés après le concours de 1861 s’intitule Plaintes et vœux présentés par les instituteurs publics en 1861 sur les situations des maisons d’école, du mobilier et du matériel classique (publié par C. Robert en 1864). Cependant ceci ne doit pas nous tromper, et il faut aussi constater qu’au-delà de l’acrimonie surgit toujours un sentiment de fierté. Les deux se répondent sans doute. C’est que la déploration n’est pas seulement de circonstance : les instituteurs y cultivent une image d’eux-mêmes assez valorisée pour soutenir leurs intérêts primordiaux : une position sociale plus ou moins élevée, une fonction sociale plus ou moins reconnue, et un statut institutionnel plus ou moins enviable [12]. Ainsi espèrent-ils a minima se prémunir contre l’inquiétude et la déréliction.
26 Célébrant aussi bien leur métier qu’ils en dénoncent les modalités d’exercice, les instituteurs se donnent ainsi un enjeu non pas seulement d’honorabilité mais de prestige. Ils défendent ce qu’on appelait avant eux un rang (dans une hiérarchie) [13], et ce que la science sociale nous désigne parfois comme un « status » (pour le différencier du statut). Et c’est en adoptant une telle posture qu’ils entrent dans les conflits à travers lesquels la conquête de leur existence est possible – conflits avec d’autres catégories sociales : les familles et le public à qui l’offre de scolarisation est destinée, les groupes susceptibles de fournir une offre concurrente, et les instances qui contrôlent ce champ d’activité.
27 On peut donc réunir ces représentations dans la catégorie de l’affirmation collective de soi, laquelle se fonde en l’occurrence sur l’universalité qu’un État démocratique assigne à l’instruction et à la moralisation du peuple : c’est l’image d’un métier qui se présente comme service rendu à l’ensemble de la communauté humaine. Ainsi les mémoires de 1861 parlent-ils d’une profession qui tient entre ses mains le destin de la société, sur laquelle repose l’avenir du monde, qui protège la civilisation moderne (qui est celle du progrès), etc. ; moyennant quoi il est loisible aux maîtres de réclamer une approbation générale, si ce n’est l’admiration collective de leur vocation et de leur existence. Ceci est somme toute banal, quoiqu’en réalité, parmi les professions occupées du gouvernement des conduites humaines, toutes ne sont pas en mesure de procéder avec autant de certitude (on pourrait aujourd’hui comparer les enseignants avec les éducateurs spécialisés, qui mettent en avant un idéal de réparation sociale et de défense des exclus).
28 L’affirmation collective des instituteurs, dont on voit qu’elle n’a pas attendu la Troisième République, est assez limitée dans l’exposé des qualités qu’elle célèbre. Elle se remarque à l’emploi insistant du terme « mission », qui couvre d’une sorte de sacralité ceux qui appartiennent à une telle profession, et qui leur reconnaît une véritable grandeur sociale. Dans les livres de Charpentier ou de Meunier, il est clair que le maître d’école est entouré d’une aura particulière. Mais cette grandeur que les instituteurs s’accordent à eux-mêmes leur est aussi délivrée par d’autres. Elle est même ressassée dans maints discours depuis Guizot et la lettre qu’il adressait aux maîtres d’école après la loi de 1833, en leur témoignant un respect ostensible et sans doute inhabituel (« Pénétrez-vous donc, Monsieur, de l’importance de votre mission »). Nul n’oublie cependant d’enjoindre aux instituteurs l’humilité et la modestie conformes à leur position. Un ouvrage qui eut un grand succès sous la monarchie de Juillet, les Entretiens de village, de M. de Cornemin, rassemble d’ailleurs les deux notions, la positive et la négative, dans cette unique formule : « Si j’étais maître d’école, j’estimerais mon humble métier au-dessus de tous les métiers du monde » [14].
Une morale professionnelle
29 À de tels enjeux s’associe dès cette époque la constitution d’un discours de morale professionnelle, dans lequel se conjoignent et se répondent les fins de l’instruction et l’affirmation collective des instituteurs. Ceci démontre la volonté de cette profession de conquérir son autonomie, autre question cruciale, et fréquente [15], en posant des obligations décidées par elle-même ; quoique dans le cas des enseignants ces obligations n’aient jamais été relevées par une charte officielle, conçue dans ce seul but, et dont l’application aurait pu être surveillée par une instance accréditée (il n’y en a d’ailleurs jamais eu dans l’Éducation nationale au sens où il y en a dans les professions libérales, où elles sont même typiques). À ce titre, la morale professionnelle a été créée en partie par la “base” de la corporation et en partie à son “sommet”, étant entendu qu’il y a toujours une tension entre les deux. Le processus est double : il est hiérarchique et “descendant”, mais il est aussi collégial et horizontal.
30 On peut saisir deux choses a priori dans un tel discours. Premièrement, les idéaux et les fins de la profession, donc son image d’elle-même et de sa dignité, se traduisent dans des normes de conduite et sont donc énoncés comme des devoirs (ce pourquoi on a affaire à une éthique). Secondement ces devoirs offrent à leur tour des garanties au public qui peut bénéficier du service.
31 Parmi les documents déjà évoqués, les textes de Meunier sont des plus significatifs en ce domaine. C’est sa défense corporative des maîtres d’école laïques qui l’a amené à définir des principes de morale professionnels et à les associer dans une synthèse originale à des valeurs « politiques » plus générales. Dans plusieurs de ses écrits, il décrit ainsi les vertus cardinales du bon instituteur, vertus toujours opposées aux tendances malsaines selon lui des congréganistes : le laïque est une « âme courageuse et forte » et non pas une « âme faible et pusillanime » ; il est porté par une véritable vocation, une passion pour l’activité d’instruire et n’est donc pas le serviteur aveugle d’une « agrégation parasite », etc. [16]. Meunier a en outre montré beaucoup de ténacité dans sa volonté d’organiser sur ces bases sa corporation, essayant à plusieurs reprises d’édifier une structure nationale sous forme de ce qui n’était pas encore un syndicat mais une sorte d’amicale ou de société de secours mutuel. En mars 1848 il convoqua ses collègues de Paris, rédigea un programme et créa un embryon d’appareil, avant de renoncer à cause de sa nomination à la commission ministérielle. En septembre 1849 il fit une nouvelle tentative dans le même sens, mais qui devait demeurer aussi vaine que les précédentes.
32 Ceci ne peut cependant pas faire croire que, lorsque les instituteurs du XIXe siècle seront couverts de la gloire et des honneurs qu’ils attendaient, ils auront pour autant fait preuve d’un engagement indéfectible. Certes il y aura dans leur mentalité, surtout ceux de la période Jules Ferry, une dynamique de vocation, assumée parfois jusqu’au sacrifice – au moins le sacrifice du confort matériel (et celui de la vie conjugale pour les institutrices plus encore que pour les instituteurs). Mais la dimension idéale de leur mission ne les a pas forcément déterminés à demeurer toute leur vie et en toutes circonstances « totalement instituteurs », comme on a pu le dire [17]. Elle ne leur a pas interdit le scepticisme. C’est pourquoi, en me défiant de la célébration nostalgique, et peut-être un peu condescendante, qui s’applique surtout, il est vrai, aux instituteurs de la Troisième République, je suggère l’existence de deux courants de sentimentalité corporative : l’un est celui d’une adhésion globale, mais l’autre est celui de la critique, du désarroi et parfois même du dénigrement, au sens où l’un d’eux avoue, non sans malice peut-être : « je n’ai jamais ressenti en allant en classe le contentement intérieur que j’éprouvais les jours de vacances » [18].
Des situations contrastées
33 Il est donc indispensable de faire la part des motifs et des jugements de satisfaction et d’insatisfaction [19]. De toutes façons, comme le note E. Hughes, l’identification au rôle professionnel suppose des crises et oblige à renoncer à des identités antérieures, et elle provoque au total une « conversion identitaire » qui fait même courir le risque d’une perte d’identité. Voici au bout du compte un paradoxe : le haut degré de fierté, la grande exigence de respect, d’un côté renforcent les réflexes d’appartenance, mais d’un autre côté ils créent aussi la possibilité de les désamorcer, de les interrompre. L’adhésion ne va pas sans désadhésion, l’identification sans désidentification, l’engagement sans désertion. La déception peut toujours déboucher sur la recherche d’une autre profession. C’est pourquoi les récits de vie des instituteurs évoquent souvent ceux de leurs collègues qui, à la moindre opportunité, ont préféré partir, quitter leur métier.
34 Parler dans un tel cas de « souffrance sociale » ou de « souffrance professionnelle » paraît assez pertinent. Ces termes risquent cependant de séparer la réaction individuelle subjective de ses fondements collectifs et sociaux. Car l’épreuve est infligée non par la pure réalité, qui est certes plus ou moins facile à supporter, mais par l’écart entre cette réalité et la norme des situations acceptables, norme fixée implicitement par l’affirmation (donc l’image) collective de soi. La souffrance du sujet n’est pas seulement une réaction naturelle ; elle est aussi une construction a priori de l’affirmation collective de soi à laquelle il adhère. Toute affirmation collective de soi, toute définition d’une dignité professionnelle inclut pour ceux qui l’adoptent, aussi longtemps qu’ils l’adoptent, des motifs de souffrance qui s’expriment à l’occasion dans un ressenti psychique (et même physique) plus ou moins intense. À l’idée d’une affirmation collective de soi s’adjoint la notion d’une pénibilité symbolique objective. J’emploie donc ce terme de préférence à « souffrance », en pensant aussi au double sens de la peine : avoir de la peine et se donner de la peine.
35 La fierté professionnelle s’observe dans l’usage que les instituteurs font du nom de leur profession [20]. Un tout jeune maître du Second Empire, Ludovic Léchaut, raconte l’effroyable offense que lui infligea le curé de son village en exigeant qu’il aille le dimanche matin porter de l’eau bénite aux habitant de son village (avec un bénitier portatif). Or, l’immense honte qu’il relate est justement proportionnelle à la grandeur de son titre, qu’il écrit à bon droit avec une impériale majuscule (« Instituteurs ! »). L’épreuve subie par le « je » tient au désir de préserver l’honneur du nom collectif ; et elle n’est jamais aussi intense que lorsque l’intégration au « nous » est totale, parfaite faudrait-il dire. Quand Charpentier dénonce une injustice, déjoue une manœuvre hostile, etc., il s’emporte toujours dans les mêmes termes (« Moi qui suis Instituteur… »). Il a d’ailleurs un vocabulaire spécial pour convoquer le nom de sa profession et y projeter sa destinée personnelle : il parle de « la pédagogie inférieure », du « corps des instituteurs de la Marne » ; il se dit « instituteur communal » qui a une « possession d’État » (en particulier le jour où il subit l’affront de devoir repasser une sorte d’épreuve d’intronisation, parce que des papiers officiels avaient été égarés par un supérieur peu conciliant).
La solidarité
36 On comprend que l’affirmation collective des instituteurs se reconnaisse dans les sentiments de solidarité qui les animent et dont l’esprit de corps est la forme morale la plus élaborée. Cette composante essentielle de la vie dans les institutions repose sur le dévouement aux collègues, au delà ou en fonction d’une acceptation commune de l’idéal et des fins de la profession. Dans l’esprit de corps (qui est aussi une médiation fondamentale pour l’exercice intellectuel, surtout s’il admet l’énoncé de croyances et de vérités [21]), le « nous » est saisi dans une intuition que partagent tous les membres et qui est en quelque sorte à disposition de chacun pour s’identifier lui-même et se faire identifier par les autres. C’est pourquoi cette intuition est captée par des symboles comme la vêture, des stéréotypes de langage, un jargon à usage interne, etc. Symboles que le public peut renvoyer sous la forme d’une marque quasi publicitaire. La métaphore de Péguy – les « Hussards noirs de la République » – en est un modèle éternel (la référence militaire n’étant pas le fait du hasard s’il s’agit d’évoquer la solidarité).
37 Ces sentiments de solidarité expliquent aussi la prégnance des rituels par lesquels le groupe prodigue l’onction de ses valeurs sur les individus qui y participent et qui sont invités à persister dans leur adhésion. On pense bien sûr aux attributions des récompenses, aux remises de décorations et de médailles par les instances hiérarchiques. Si l’on en croit Charpentier, elles furent très prisées. On organisait en plus de cela entre les instituteurs, pour les mêmes raisons, des concours scolaires dans les départements et les cantons, qui se soldaient par l’attribution de mentions honorifiques. Toutes ces distinctions étaient convoitées parce qu’elles désignaient les membres les plus méritants du groupe, qui étaient donc félicités pour leur conformité à l’image collective. C’est aussi la raison pour laquelle Charpentier fait part de ses plus vifs regrets quand de telles distinctions sont, selon lui, usurpées parce que décernées par connivence à des personnalités étrangères et sans mérite professionnel particulier.
38 On pourrait citer a contrario les nombreux cas de rivalités aux conséquences très dommageables pour les protagonistes. Le même Charpentier, ayant obtenu de la municipalité l’avantage de diriger un cours d’adulte, dit avoir été immédiatement jalousé de ses collègues qui, du coup, lui refusèrent ensuite une aide dont il avait un urgent besoin. Mais quel est l’enjeu de ces rivalités, sinon de se situer et de se comparer sur une échelle de prestige à l’intérieur de la corporation elle-même ? Il n’y a donc dans ces concurrences et ces inimitiés ordinaires aucune véritable contradiction avec l’esprit de corps. Charpentier eut pour rival direct l’un de ses collègues nommé Bourdonné, avec qui ses relations courantes furent souvent difficiles et même orageuses. Mais une fois que ce dernier eût quitté l’école mutuelle pour l’école primaire supérieure, Charpentier, voyant arriver à sa place un inconnu, « étranger au corps des instituteurs », trouva là encore matière à scandale. Il put toutefois se réjouir peu après, lorsque le précédant s’effaça au profit d’un nouveau collègue, dénommé Homo, bien connu dans le département de la Marne, et avec lequel Charpentier aperçut enfin la possibilité de recréer un « faisceau », pour travailler ensemble et mettre leur enseignement « sur le même pied ».
Le temps des institutrices
39 Récemment, disons dans les années 1960, la présence des femmes, très majoritaires dans l’enseignement primaire, a détruit l’ancienne identification corporative. Les institutrices, ayant opté pour d’autres qualités, ont produit une nouvelle intuition du « nous » : elles n’ont pas développé le même esprit de corps, ou du moins la solidarité n’a plus eu pour elle le sens qu’elle avait eu pour les hommes. On peut dire que les femmes se sont débarrassées de la conception et de la mentalité des hommes : institutrice est devenu une autre profession, pas tout à fait équivalente à celle d’instituteur. Depuis les récits biographiques du début du siècle jusqu’aux plus récents, écrits cette fois dans ce contexte de féminisation massive survenue dès les années 1960, et que représente à l’origine Huguette Bastide (Institutrice de village, 1969), se fait jour en effet un refus de s’investir dans une identité corporative qui rassemblerait sans distinction toute personne admise dans le groupe professionnel. Le « nous » des femmes ne comprend pas la totalité des enseignantes concernées. C’est même la raison pour laquelle il ne crée plus où il crée de moins en moins d’investissement militant et syndical, en donnant un autre sens au militantisme éventuel. Car il répond désormais à des relations de proximité, des liens de sympathie noués directement, de manière sensible, affective, de personne à personne. Ce « nous » rassemble des collègues connues et appréciées dans le voisinage amical et chaleureux des « copines ». C’est ce que montre un ouvrage comme celui de Christine Bravo, Maîtresse à Belleville (1984), lorsque celle-ci proclame que « toutes les collègues s’appellent Yolande », tandis que, dans le même temps, la directrice acariâtre, ou l’inspectrice menaçante et dédaigneuse, sont reléguées dans une sphère administrative lointaine et presque nuisible.
40 Cette évolution dépend elle-même de deux conditions. Une condition externe : les femmes s’efforcent d’articuler la sphère professionnelle avec la sphère familiale afin de les faire tenir dans un ensemble harmonieux où la première préserve le temps de la seconde, chose qui est jugée essentielle. Dès l’enquête de 1911 on voit en ce sens monter une plainte tout à fait nouvelle : la solitude dans les petits villages, au sein de milieux paysans parfois hostiles où les institutrices jeunes et moins jeunes se languissent, condamnées qu’elles sont, sinon au célibat du moins à un mariage tardif : « quel vide affreux », dit l’une d’elles, « à côté de la joyeuse gaieté de l’École normale ». Autrement dit, à partir de la fin du XIXe siècle et par la suite, dans les année 1960, s’imposent dans leurs récits les affaires privées, conjugales, avec les problèmes de l’éloignement éventuel et la nécessité problématique de rester disponible pour ses propres enfants. Charpentier ne disait pas un mot de sa famille, rien de son épouse ou de ses enfants, dont on ne sait pas combien ils étaient. Car les instituteurs, ceux d’hier comme ceux d’aujourd’hui (beaucoup plus rares), ignorent ces questions la plupart du temps. Ils préfèrent s’occuper ou se dire occupés des affaires de la place publique, sauf bien sûr quand ils s’affligent de leur sort et qu’ils avouent leur simple difficulté à faire bouillir la marmite du ménage.
41 Autre condition, interne celle-là, la montée des finalités puérocentriques, qui sont en effet typiquement portées par les institutrices. La domination des sentiments de bienveillance envers l’enfance, qui relèguent les grands desseins politiques, républicains, à l’arrière-plan de l’idéologie professionnelle (ce qu’on comprendrait mal si on y voyait le résultat d’une action conquérante de quelques « pédagogues » illuminés), est un des axes forts sur lequel s’est transformée l’ancienne « identité », du moins l’image collective idéale de la corporation, appuyée sur ses idéaux universalistes traditionnels. L’une de ces institutrices, Nancy Bosson, dans un récit intitulé Maîtresse détresse (1990), révèle nettement que la définition classique, « pédagogique », du métier, subit une dévalorisation frontale et devient presque honteuse : elle voudrait se dire non pas institutrice mais « psychopédagogue ». Quand ces changements se sont opérés, c’est donc bien la dignité professionnelle qui s’est inscrite dans un nouveau cadre de valeurs.
42 Les institutrices ont donc créé de nouvelles formes d’existence professionnelle, une nouvelle affirmation collective d’elles-mêmes, en décrétant une autre norme de l’acceptable et de l’inacceptable, dans une autre dialectique du plaisir et de la peine.
Existence ou identité ?
43 On aura sans doute remarqué dans les pages qui précèdent un usage parcimonieux de la notion d’« identité professionnelle », qui semblait pourtant requise tant son lien avec les récits de vie, ou de carrière, semble direct et naturel [22]. Je lui ai préféré les notions d’« existence professionnelle » et d’« affirmation collective de soi », qui visent une réalité non pas d’abord individuelle mais sociale, et surtout une réalité qui est objet d’une conquête sans fin. Certes on n’accède à l’existence professionnelle des groupes qu’à travers la parole des individus. Mais il s’agit alors de cette parole dont le sujet n’est plus un « je » mais un « nous », du moins un « je » qui n’a d’expression possible que sous couvert du « nous » dont il se réclame (on en a eu l’exemple avec certains propos émis dans des moments marqués d’enthousiasme ou de désespoir). Je résumerai mes hypothèses de traitement aux définitions suivantes du sujet de l’existence professionnelle comme sujet collectif (et stratégique) :
44 i) ce n’est pas d’abord dans le fond une somme de caractères acquis au gré d’une trajectoire et synthétisés dans l’exercice d’un rôle ; c’est l’ensemble des expériences que le groupe accomplit à sa place dans la division du travail, lorsqu’il entre dans les rapports sociaux (rapports de concurrences, de conflits, etc.) avec d’autres groupes, avec des institutions, ou la société globale. Dans ces rapports, le groupe met en jeu ses propriétés spécifiques (relatives) afin de les transformer au mieux de ses intérêts, et, disais-je, d’obtenir une position sociale avantageuse, de s’emparer d’une fonction reconnue, de bénéficier d’un statut enviable, ou simplement de se prémunir contre la tendance inverse. L’existence professionnelle est une configuration de rapports ; c’est donc une « gestion » stratégique des tensions inhérentes à ces rapports. Même une profession bien installée, détentrice d’un monopole du service offert et légitimée par un consensus public, est affrontée à ces situations avec ce qu’elles apportent de bienfaits ou de déconvenues, ne serait-ce que parce qu’elle cherche à maintenir la rentabilité de ses propriétés spécifiques, ou qu’elle tente de les convertir et de les investir dans un autre champ, par exemple les médecins qui se “lancent” dans la politique ou les professeurs qui accèdent à des postes dans les médias de masse.
45 ii) Ce sujet collectif n’a pas seulement pour fonction d’assumer des tâches spéciales et de déployer des logiques d’action adéquates et efficaces dans une réalité donnée [23], mais par une tendance à produire des formes de conscience de soi en rapport avec un idéal [24], des affirmations narcissiques donnant en retour un pouvoir de critique de la réalité en question ; d’où la dénonciation et la protestation, cultivées comme de véritables prérogatives de la corporation.
46 iii) Le sujet de l’existence professionnelle n’est pas seulement voué à l’application de principes ou au respect d’un code, si bien que sa modalité n’est pas toujours celle de l’égalité à soi (en tablant sur la permanence de cette égalité), c’est aussi une modalité différenciatrice, à la fois vis-à-vis des autres et vis-à-vis de soi-même [25], une forme toujours ouverte sur de nouvelles formes.
47 La notion d’existence professionnelle prend donc en compte le fait que les groupes, certes ne sont pas voués au changement comme tel, au changement pour lui-même (ce qui serait contradictoire avec l’idée même d’institution), mais sont aussi bien enclins à la création des normes qu’au respect des normes existantes, que ce soit dans le domaine strictement professionnel ou dans les domaines associés, que les sujets investissent en fonction de leurs caractéristiques professionnelles – comme la vie privée que gèrent les femmes, ou la vie publique qui intéresse les hommes (d’après le stéréotype sexiste courant).
Notes
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[1]
Parmi divers travaux sur cette enquête on me permettra de renvoyer à un précédent ouvrage Instituteurs avant la République, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1999, qui traite un échantillon national de 248 mémoires. Voir aussi, récemment, G. Nicolas, qui a consacré un ouvrage à l’ensemble des mémoires rédigés dans les sept départements de l’académie de Rennes : Le Grand Débat de l’école au XIXe siècle, Paris, Belin, 2004.
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[2]
Des extraits ont été publiés par D. Delhomme, N. Gault, J. Gonthier, Les Premières Institutrices laïques, Paris, Mercure de France, 1980. Voir également Lettres d’institutrices rurales d’autrefois rédigées à la suite de l’enquête de Francisque Sarcey en 1897, I. Berger (éd.), Paris, Association des amis du Musée pédagogique, s. d.
-
[3]
Sur L. Charpentier, voir G. Rouet, L’Invention de l’école, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1993. Voir également F. Jacquet-Francillon, Instituteurs avant la République.
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[4]
La Classe ininterrompue : cahiers de la famille Sandre, enseignants : 1780-1960, M. Ozouf (éd.), Paris, Hachette, 1979.
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[5]
Sur L.?A. Meunier, on peut également se reporter à un assez long et bon article biographique d’H. Dubief, « Arsène Meunier. Instituteur et militant républicain », Recueil de la Société d’histoire de la Révolution de 1848, 1954. H. Dubief s’appuie lui-même sur différentes sources, notamment un chapitre du livre de J. Vidalenc, Le Département de l’Eure sous la monarchie constitutionnelle (1814-1848), Paris, M. Rivière, 1952.
-
[6]
Sur cette distinction voir F. Ferraroti, Histoire et histoires de vies. La méthode biographique dans les sciences sociales, Paris, Librairie des Méridiens, 1983, p. 89.
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[7]
Un très bon inventaire de ces sources a été dressé par P. Gerbod : « À propos des biographies d’enseignants, 1800-1980 », Histoire de l’éducation, no 7, décembre 1982. P. Gerbod évoque du reste les matériaux biographiques secondaires, notamment les « dossiers individuels » constitués par les administrations scolaires depuis le Consulat et dont on trouve dans certains dépôts d’archives départementales des séries impressionnantes ; et des sources imprimées qu’on peut localiser dans les catalogues de la Bibliothèque nationale de France, notamment dans la série Ln27. Outre cela il faut se reporter évidement à P. Lejeune, « Les instituteurs du XIXe siècle racontent leur vie », Histoire de l’éducation, no 25, janvier 1985, et « Les maîtres d’école dans la littérature », Références documentaires, no 3, octobre 1983, qui comprend romans et récits biographiques, autobiographiques ou pas. Par ailleurs, J. Peneff qui, dans La Méthode biographique, Paris, A. Colin, 1990, consacre plusieurs passages aux instituteurs, a aussi publié une dizaine de récits de vie d’instituteurs bretons (écoles publiques et privées), et il a fait précéder ces textes de quelques remarques méthodologiques simples et éclairantes, dans les Cahiers du LERSCO, no 8, janvier 1987. Noter enfin une rigoureuse élaboration méthodologique de Kathy Carter (professeur aux USA, à Tucson, Arizona), « The place of Story in the Study of Teaching and Teacher Education », Educational Researcher, janvier-février 1993.
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[8]
Ce texte a été redécouvert récemment et publié dans les Cahiers percherons, n° 65-66, 1981.
-
[9]
Voir. J.-N. Luc, La Statistique de l’enseignement primaire, XIX-XXe siècles. Politique et mode d’emploi, Paris, INRP – Economica, 1985.
-
[10]
E. Hughes, Le Regard sociologique, J.-M. Chapoulie (éd.), Paris, EHESS, 1996 ; et l’intervention de J.-M. Chapoulie au colloque sur La Formation aux didactiques, Paris, INRP, 1980.
-
[11]
AN, F17 10?788, Seine-et-Oise.
-
[12]
J.-M. Chapoulie parle en ce sens de la compétence pédagogique comme enjeu de conflits, dans Les Professeurs de l’enseignement secondaire. Un métier de classe moyenne, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1987, p. 265 sq.
-
[13]
Voir sur ce point, concernant les métiers en général dans la société moderne, P. d’Iribarne, Vous serez tous des maîtres, Paris, Seuil, 1996, p. 137 sq.
-
[14]
M. de Cornemin, Entretiens de village, 9e éd., Paris, Pagnerre, 1847.
-
[15]
Cf. P. d’Iribarne, Vous serez tous des maîtres, p. 140.
-
[16]
L. A. Meunier, De l’enseignement congréganiste (1845), et Lutte du principe clérical et du principe laïque dans l’enseignement (1861). Voir sur ce cas, F. Jacquet-Francillon, « Louis-Arsène Meunier : une déontologie pour les instituteurs du XIXe siècle », Ateliers, Cahier de la Maison de la Recherche de l’Université Charles de Gaulle – Lille III, n° 33, 2005 ; ainsi que du même, « Déontologie professionnelle », Le Télémaque, n° 17, mai 2000, p. 15-22.
-
[17]
F. Muel-Dreyfus, Le Métier d’éducateur, Paris, Minuit, 1983.
-
[18]
Darroze, instituteur à Arjuzanx, Landes, AN F17 10?764.
-
[19]
Voir C. Dubar et P. Tripier, Sociologie des professions, Paris, A. Colin, 1998, p. 101-102.
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[20]
Voir E. Hughes, Le Regard sociologique, sur les enjeux liés au nom de la profession : notamment quelles tâches et qui peut s’en prévaloir.
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[21]
M. de Certeau, La Faiblesse de croire, Paris, Seuil, 1987, p. 269 sq.
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[22]
Cf. C. Dubar et P. Tripier, Sociologie des professions, p. 95. La formation d’une identité professionnelle, comme étant ce qui se donne dans le récit de carrière, est un thème classique de la sociologie des professions. C. Dubar et P. Tripier examinent la sociologie interactionniste des professions, notamment E. Hughes, déjà évoqué à plusieurs reprises ici, d’après qui l’activité professionnelle de n’importe qui doit s’étudier comme un processus biographique et identitaire. Voir aussi C. Dubar, « Usages sociaux et sociologiques de la notion d’identité », Éducation permanente, n° 128, 1996, qui traite p. 41 la question du recueil de la parole pour saisir quelque chose de l’identité et montre alors que cette catégorie est effectivement utilisée par les sociologues qui pratiquent ce genre d’entretien.
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[23]
C. Dubar, La Crise des identités, Paris, PUF, 2000, p. 94. C. Dubar se réfère aussi à R. Sainsaulieu, L’Identité au travail. Les effets culturels de l’organisation, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1977.
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[24]
Voir W. Doise et al., Psychologie sociale expérimentale, sur l’image positive de soi et du groupe, Paris, A. Colin, 1978.
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[25]
Pour illustrer cette définition, on peut se référer à Deleuze qui, dans Pourparlers (Paris, Minuit, 1990), p. 160, parle de la « subjectivation » non pas comme de la constitution d’un sujet, mais comme la création de modes d’existence. La même idée se trouve dans Foucault : Dits et Écrits, Paris, Gallimard, 1994, t. IV, l’article « Sexe, pouvoir, identité », p. 734 sq., qui évoque une identité définie comme un « jeu pour favoriser des rapports sociaux ».