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Article de revue

Jean-Paul, lecteur de Jean-Jacques : l'approche herméneutique de l'éducation

Pages 95 à 120

Notes

  • [1]
    J.-P. Richter, Levana oder Erziehlehre [Leipzig, 1885], trad. fr. A. Montadon, Levana ou traité d’éducation, Lausanne, L’Âge d’homme, 1983.
  • [2]
    Cf. P. Szondi, Introduction à l’herméneutique littéraire, trad. fr. J. Bollack, Paris, Cerf, 1989.
  • [3]
    Cf. P. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy, L’Absolu littéraire, Paris, Seuil, 1978, p. 65-67.
  • [4]
    Cf. M. Heidegger, « La fin de la philosophie et le tournant », in Questions IV, trad. fr. J. Lauxerois et C. Roëls, Paris, Gallimard, 1976, p. 143 ; D. Moreau, « Le recueil de soi à l’épreuve de la post-historicité », Horizons philosophiques, vol. 15, no 1, automne 2004.
  • [5]
    P. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy, L’Absolu littéraire, p. 67.
  • [6]
    Cf. F. Schleiermacher, Brouillon zur Ethik, trad. fr. C. Berner, Paris, Cerf, 2003.
  • [7]
    Cf. H.?G. Gadamer, Vérité et Méthode (édition intégrale), Paris, Seuil, 1996, p. 197.
  • [8]
    H.?G. Gadamer, Philosophie de la santé, trad. fr. M. Dautrey, Paris, Grasset et Mollat, 1998, chap. 9 : « Autorité et liberté critique ».
  • [9]
    L. Wittgenstein, De la certitude, trad. fr. J. Fauvé, Paris, Gallimard, 1976.
  • [10]
    C’est nous qui soulignons.
  • [11]
    On trouvera une analyse assez proche chez Schleiermacher. Cf. aphorisme pédagogique no 30.
  • [12]
    Cf. H.?G. Gadamer, Vérité et Méthode, 2e partie, chap. 1, a) « La métamorphose essentielle de l’herméneutique entre les Lumières et le Romantisme ».
  • [13]
    Cf. H. Atlan, Entre le cristal et la fumée, Paris, Seuil, 1979.
  • [14]
    Cette dialectique réceptivité / spontanéité est une des clefs de la pédagogie de Schleiermacher.
  • [15]
    Cf. R. Cousinet, Une méthode de travail libre par groupes, Paris, Cerf, 1949.
  • [16]
    C’est nous qui soulignons.
  • [17]
    F. Schiller, Quinzième Lettre sur l’éducation esthétique de l’homme, trad. fr. R. Leroux, Paris, Aubier, 1992, p. 221.
  • [18]
    Référence à l’ouvrage de Coménius.
  • [19]
    Cf. P. Szondi, Introduction à l’herméneutique littéraire, trad. fr. M. Bollack, Paris, Cerf, 1989, chap. 3 : « Chladenius », p. 31-99.
  • [20]
    H. Jonas, Le Principe responsabilité, trad. fr. J. Greisch, Paris, Cerf, 1993.
  • [21]
    Cf. J.?L. Austin, Quand dire c’est faire, trad. fr. G. Lane, Paris, Seuil, 1970.
  • [22]
    Cf. J. Habermas, Morale et Communication, trad. fr. C. Bouchindhomme, Paris, Cerf, 1991.
  • [23]
    Cf. J. Habermas, De l’éthique de la discussion, Paris, Cerf, 1992, p. 197-199.
  • [24]
    C’est nous qui soulignons.
  • [25]
    J.-P. Richter, La Loge invisible, trad. fr. G. Bianquis, Paris, José Corti, 1965.
English version

1 La réussite de la lecture d’un texte ancien et méconnu suppose d’abord que le lecteur soit apte à poser au texte des questions pertinentes quant à ce dont il traite, mais ensuite que le texte soit capable d’y répondre par d’autres questions qu’il renvoie au lecteur et par lesquelles celui-ci progresse dans la compréhension de ses propres difficultés. C’est à cela que l’on peut reconnaître un texte important, comme l’est le traité d’éducation de Jean-Paul Richter, Levana[1]. L’oubli relatif dans lequel cette œuvre était tombée était dû pour une part à l’immense succès que lui firent ses contemporains, et d’autre part à l’incapacité dans laquelle on s’était muré d’y lire autre chose qu’une illustration des idées du Romantisme allemand en pédagogie. Certes, l’originalité et le sérieux de certaines idées pédagogiques de Jean-Paul avaient souvent été signalés mais elles semblaient aussi parataxiques que ses œuvres romanesques. Nous voudrions ici montrer que la Levana est une œuvre remarquablement éclairante parce qu’elle reprend les problèmes centraux de la pédagogie, tels que Rousseau les avaient discernés, dans une perspective pour laquelle la transparence d’autrui n’est plus garantie par une universalité de la raison humaine, mais par le projet, inachevable, d’un effort herméneutique en proportion de notre finitude. Si le Romantisme allemand interroge la tradition, ce n’est pas pour la rétablir, mais pour l’interpréter librement, et Jean-Paul fait de l’éducation la clef de cet effort herméneutique.

Rousseau, découvreur de l’esprit de l’éducation

2 En pédagogie, rien n’est comparable à Rousseau, déclare Jean-Paul : avant lui, il n’y a rien, après lui, « ceux qui le copient ou l’amplifient ». Cette reconnaissance de Jean-Paul est à la mesure de l’importance qu’il confère à la pédagogie : le pessimisme historique immunise contre l’idée d’un nécessaire progrès de l’humanité grâce aux développements des arts et des sciences. Cette idée même relativise le rôle de l’éducation, qui peut se voir réduit à une technique de transmission des savoirs déjà construits. C’est la difficulté à laquelle se confronte Jean-Paul : que faire de l’éducation, si l’avenir est incertain ? La pédagogie a le rôle essentiel de décider quels savoirs doivent être constitués, et de quelle qualité : « trop de savants, trop peu d’inventeurs » (§ 136), et le paragraphe 130 décrit ces « érudits paralytiques » sans avenir, ne créant jamais, héritiers d’idées qu’ils ne savent pas transmettre. Là est la puissance de la pédagogie : permettre à des individualités de porter au jour, par une libre décision, une époque nouvelle ; qu’ils puissent le faire parce qu’ils auront interprété la tradition que leur communauté leur a léguée, dans la perspective d’une universalité plus riche. Ou non. Car il appartient à chaque époque de faire le choix de l’avenir, par l’éducation qu’elle décidera des enfants et de l’accueil qu’elle réservera au nouveau qu’ils représentent : un des griefs que Jean-Paul adresse à l’éducation de son temps est qu’elle cherche plutôt à affaiblir la jeunesse, pour se prémunir contre elle (§ 105). C’est en ce sens que l’œuvre de Rousseau est capitale : elle pose d’abord cette relation essentielle de la pédagogie à la construction éthique des individus et des communautés qu’ils forment, elle donne ensuite les moyens de s’approprier cette construction dans une direction choisie par la volonté. Examinons successivement ces deux points.

3 En ce qui concerne le premier point, Rousseau apparaît pour Jean-Paul comme celui qui va extraire des règles de pédagogie ce qu’il nomme « l’esprit de l’éducation » : l’horizon fondamental vers lequel s’oriente l’acte éducatif devenu conscient de ses buts. Cet esprit de l’éducation n’est pas celui d’une nation ou d’une époque et en ce sens l’éducation ne peut pas réaliser les buts d’une société donnée (sauf dans la contrainte et l’appauvrissement). Mais comment l’acte éducatif peut-il devenir conscient de ses buts s’ils ne lui sont pas octroyés par cette société même ?

4 Ici s’articule le second point de la rupture rousseauiste selon Jean-Paul : l’Émile expose comment l’éducation peut devenir réflexive et de ce seul fait, produire à la fois des savoirs pragmatiques nouveaux tout en élucidant les principes fondamentaux de la relation éducative, ce que Jean-Paul salue comme une « harmonie parfaite entre idéal et observation » (« Préface », p. 15). Rousseau permet d’échapper à l’aporie traditionnelle dans laquelle la pédagogie se trouvait enfermée, d’avoir à opter entre n’être qu’un recueil de règles empiriques, de préceptes arbitraires et contradictoires, ou se transformer en un système théorique dont la cohérence se paie en perte de réalité. Dégager « l’esprit de l’éducation », c’est découvrir que la pédagogie s’oriente dans une perspective qui lui est propre, c’est-à-dire qui ne peut lui être ouverte par aucune autre science, qu’elle réalise des buts immanents à son projet même, et que pour cette raison ces buts ne peuvent être dégagés que par la réflexion sur l’observation de l’acte éducatif.

5 Cette reconnaissance de la rupture rousseauiste permet à Jean-Paul de décrire le nouveau visage de la pédagogie.

6

Il n’y a pas un seul livre de trop sur le vaste champ de la pédagogie ; là où les fragments seuls sont possibles, le tout ne se compose que de la totalité des fragments (« Préface », p. 15).

7 Cette proposition : « là où les fragments seuls sont possibles » nécessite un éclaircissement. Jean-Paul considère que la systématicité des théories déductives ne peut pas concerner la pédagogie, dans la mesure où elle a affaire au « fait vivant », à l’irruption du nouveau irréductible. Une pédagogie déductive ne ferait que planifier un certain type d’humanité, comme l’automate de Kempele, qui fascine tant Jean-Paul (§ 113) : une machine peut imiter la vie mais ne peut pas créer des idées. A contrario, la pédagogie doit accueillir cette irruption de l’individualité en favorisant l’atteinte par l’enfant du « Moi idéal » qu’il a conçu à partir de sa communauté (diachronique et synchronique). Ni science déductive, ni somme empirique, la pédagogie doit trouver une voie propre entre l’individualité et la totalité, et cette voie est ouverte par le « fragment ». La pédagogie est fragmentaire dès l’abord parce qu’elle est une écriture collective d’individus en prise avec l’individualité en vue de l’universalité de l’éducation. Cette écriture collective assure, par la multiplicité de ses récits, que la totalité inaccessible directement soit bien posée dans la singularité – recherche de la convergence, et non de la cohérence. Mais cette fragmentation permet, dans un second temps, l’accès au sens, en l’absence d’absolu. Le fragment se clôt sur lui-même et conquiert son sens du fait de sa clôture. Un texte pédagogique est, selon cette modalité, autoréférent, puisqu’il manifeste son propre projet par son accomplissement même [2]. Enfin, le fragment n’est pas une simple brisure : c’est un monument, une « ruine » [3], destiné à commémorer une unité perdue impossible désormais à atteindre : Andenken nous permet de nous saisir nous-mêmes à travers ce qui nous est donné-légué [4] par d’autres qui nous ont précédés. Faire de la pédagogie la science de la communauté qui se construit est un projet qui ne peut se réaliser que par l’écriture fragmentaire d’une communauté de pédagogues. Si le fragmentaire est bien « la visée romantique du Système » [5], c’est que par lui est obtenu l’ajointement à soi, en l’absence de toute transcendance accessible. D’où il en résulte à l’extrême que : « Quels sont les vrais précepteurs dans les peuples et les temps ? Ce sont les peuples et les temps » (§ 6). Une éducation qui se bornerait à imposer des impressions dans une cire vierge verrait bientôt ses empreintes effacées par l’usure du « temps vivant ». Elle serait vaine et stérile. Mais comment concevoir une pédagogie qui permette aux individualités de se manifester librement à partir d’une communauté donnée et dont elles ne soient pas les copies mécaniques de ceux qui les ont précédés ? La réponse montre le visage authentique de la pédagogie : l’éducation doit déployer un “double horizon herméneutique” :

8

  • – Aider l’enfant à interpréter le monde (des autres) en interprétant les situations pédagogiques dans lesquelles il se trouve placé.
  • – L’éducation est essentiellement un “étayage herméneutique” : permettre la compréhension par l’effort de compréhension que le pédagogue lui-même manifeste. Cet étayage ne peut être ni factuel ni contingent : il est un souci constant qui définit la relation pédagogique. Mais cette herméneutique, comme celle de Schleiermacher, suppose d’abord le fait radical de la « mécompréhension » [6], et refuse l’utopie d’une transparence réalisée : pas de promesse de maîtrise sur le monde faite à l’enfant comme prix de son obéissance… Comme le constate la conclusion pessimiste du § 157, il s’agit aussi de préparer les enfants à un avenir qui peut s’avérer hostile.

Les axes d’une approche herméneutique

9 L’exposition de la pédagogie par Jean-Paul ne sera donc pas un système monotone mais un « pêle-mêle » (« Préface »), dans lequel l’accès à la totalité ne peut se faire, ainsi que nous l’avons précisé, que par l’interprétation des fragments en apparence désordonnés. Certains s’y sont laissés prendre ; il n’empêche qu’une lecture inspirée par « l’anticipation de la perfection » [7] ne peut qu’être impressionnée par la rigueur de pensée que Jean-Paul cache dans ses fragments. Elle découvre que la pédagogie jeanpaulienne s’organise comme la reprise, dans un éclairage herméneutique, des trois grands problèmes légués par Rousseau : l’éducation négative, la construction d’un sujet éthique, le rapport au savoir. Ces trois problèmes sont liés entre eux parce qu’ils trouvent leur origine dans le renversement rousseauiste lui-même : si l’enfant est un être spécifique, l’éducation se doit de manifester la vérité de cet être en favorisant son épanouissement, indépendamment de tout modèle tiré du monde adulte et de toute demande de l’éducateur, par la médiation d’expériences authentiques réalisées à partir des besoins reconnus par l’enfant lui-même.

10 Pour réaliser cette fin à ces conditions, l’éducation devrait idéalement abstraire l’élève du monde social existant. Rousseau envisage la solution concrète intermédiaire d’une éducation réalisée à l’abri de l’opacité des grandes communautés urbaines et au contact d’acteurs développant des relations pragmatiques – donc authentiques – avec leur monde vécu, tels les artisans. Ce n’est pas la difficulté, selon Jean-Paul, car Pestalozzi, ce « Rousseau du peuple » (« Préface »), en a montré la possibilité (§ 135). L’obstacle majeur est plutôt celui-ci : pour comprendre quelle relation essentielle se réalise dans l’acte éducatif, c’est-à-dire pour en extraire le but immanent, Rousseau est contraint d’isoler sa structure la plus élémentaire : la relation de l’éducateur à l’éduqué, qui est celle du précepteur à son élève. Alors l’acte éducatif peut être compris comme la démarche ayant pour finalité la construction d’un sujet éthique capable d’accéder à l’autonomie morale et intellectuelle, et de choisir le type d’association civile et politique le plus conforme à cette liberté. Mais ceci posé, il faut retrouver le monde extérieur, et se réconcilier avec ce dont on s’est séparé. Pour Jean-Paul Richter, c’est l’école, au titre nouveau qu’elle est un espace d’interprétation à la fois des relations synchroniques, avec les autres enfants, avec les adultes et la famille, mais aussi diachronique, avec l’histoire, avec les traditions présentes créées à partir de l’histoire.

Le statut de la pédagogie selon Jean-Paul

11 Ainsi la pédagogie devient-elle la science première, celle dont dépend non seulement l’avenir d’une nation donnée, mais, d’une manière explicitement cosmopolitique, celui de l’humanité en général. C’est la science première, dans la mesure où l’acte éducatif possède un caractère radical. Or cette radicalité ne consiste pas dans le pouvoir de façonner un homme nouveau, selon un plan conçu à l’avance. C’est tout à fait le contraire, dit Jean-Paul. En effet, si « le monde des enfants renferme tout le monde à venir », c’est parce qu’il reproduit sous une forme rajeunie et donc nouvelle le monde des ancêtres. C’est parce que les enfants font l’expérience d’un monde façonné par l’expérience de ceux qui les ont précédés que chaque génération d’enfants recommence l’histoire du monde (chapitre 1). C’est pour cela que les actes pédagogiques possèdent une puissance déterminante, et plus les pratiques pédagogiques seront aléatoires, plus l’avenir nous échappera. En effet, les pratiques communes, faute d’être pénétrées de « l’esprit de l’éducation », ne peuvent s’orienter que vers des finalités extrêmement limitées, et le procès que Jean-Paul fait à l’éducation de son temps trouve des échos dans la réflexion contemporaine : l’éducation cherche moins à développer les facultés des enfants qu’à assurer le repos des maîtres ; pour ce faire elle vise la soumission comme fin, plutôt que l’obéissance comme moyen. Elle préfère enseigner les idées plutôt que le maniement des idées, elle fabrique des érudits et inhibe les inventeurs, elle perpétue la domination d’un sexe sur l’autre, elle favorise enfin l’isolement individuel au détriment de la solidarité humaine… La pédagogie commune abrite ses pratiques bornées derrière l’alibi universel, que Rousseau a sans doute contribué à propager, alors qu’il en faisait a contrario un concept offensif, de la corruption du monde, face à l’innocence du passé. Pour Jean-Paul, ce n’est pas l’impureté du monde qui pose le problème de l’éducation et de fait la solution qui consiste à tendre devant les enfants un paravent pour protéger leur regard du spectacle de sa dépravation ne s’est jamais montrée efficace, bien au contraire ! Le problème de l’éducation, affirme avec force Jean-Paul, c’est le choix qu’elle fait de ses actes : « poison ou miel ». Et faute d’avoir éclairci son propre concept et ses propres buts, ce qui suppose qu’elle développe une méthode, elle demeure une puissance irresponsable, capable de faire basculer du côté du « dieu infernal » plutôt que de celui de l’« ange tutélaire » le projet existentiel que l’enfant renferme en lui et qu’elle se montre inapte à déceler.

12 La pédagogie est cette herméneutique des êtres destinée à les guider vers une compréhension juste du monde, et le plus important pour elle, c’est la “grammaire” du savoir (sa structure en vue de sa compréhension) plus que les contenus – contingents et inachevables. La pédagogie jeanpaulienne s’appuiera ainsi sur un statut spécifique de l’individualité, qui s’oppose nécessairement à la communauté d’où elle émerge, parce qu’elle tend vers l’universalité. Et elle acquerra de ce fait une structure propre, d’être une dialectique de l’individu et de sa communauté historique, dans la mesure où celle-ci joue le jeu du dialogue avec le propre fonds qui la constitue comme historique, depuis l’Antiquité ; si l’acte éducatif est une herméneutique croisée (comprendre l’enfant pour l’aider à interpréter le monde), c’est parce que le développement de l’enfant est une dialectique herméneutique (interpréter le monde pour comprendre qui on veut être).

Le fondement de l’herméneutique

13 Si l’éducation est, de part en part, un procès herméneutique, il faut établir la nature du sol sur lequel s’enracine la relation pédagogique. Son mouvement naturel est que l’enfant apparaît d’abord dans une communauté humaine, entouré d’adultes. Les éducateurs sont, parfois hélas, déjà là ; il s’agit de savoir comment l’enfant va parmi ces adultes reconnaître ceux qui seront ses éducateurs. Car il semble bien y avoir un choix de la part de l’enfant, et ce choix est déjà celui du “Moi Idéal” que Jean-Paul place en avant du projet de vie de l’enfant. Le fondement de toute éducation est une racine anthropologique : c’est la croyance qui est nécessaire à l’homme et qui lui permet de vivre dans un univers relativement stable sans avoir à reprendre à son compte toutes les expériences de l’humanité qui l’a précédé :

14

Le monde scientifique se refuse peut-être à l’admettre de lui-même mais que savons-nous de l’île découverte par un voyageur, si ce n’est ce que notre foi en reçoit ? […] Si l’on prend à témoin toute la multitude, aucune opinion vraisemblable ne peut se formuler, à moins que cette grande foi au Moi ne se fortifie en se multipliant (§ 73).

15 Nous avons d’abord besoin de croire pour des raisons pragmatiques. Notre expérience du monde étant limitée, nous recherchons l’autorité de ceux qui, non seulement ont une expérience du monde qui reste hors de notre portée, mais qui, de surcroît, se sont avérés compétents pour l’interpréter et ainsi nous donner les clefs du comprendre. Gadamer reprendra cette définition herméneutique de l’autorité en montrant que nous ne pouvons apprendre qu’en accordant notre confiance à une autorité qui possède pratiquement un “jugement” supérieur à celui dont nous pouvons faire preuve [8]. Il montre que le principe même de l’Aufklärung n’est pas contesté par cette référence à l’autorité. Si chacun peut seul accéder désormais au savoir, c’est en faisant un usage correct de sa raison, en suivant une méthode qui consiste, dans sa définition cartésienne, en une autodiscipline et qui prémunit contre les préjugés en neutralisant les intérêts purement subjectifs. Et c’est bien en ce sens, semble-t-il, que la foi est légitime dans la construction des savoirs scientifiques.

16 Mais il y a une autre raison de porter notre confiance à autrui : on peut dire d’elle qu’elle dépasse précisément l’horizon de l’individualité. C’est par la confiance que l’homme porte à l’homme que l’humanité peut se réaliser comme “vie communicative”. Jean-Paul dit que c’est là que réside la « foi au Moi » : dans la mesure où elle s’appuie sur ce qui fonde l’humanité en chacun de nous, nous accordons paradoxalement une plus grande confiance en autrui (s’il est digne de foi) qu’en nous-mêmes, parce que nous supposons alors qu’il a fait ce travail de formation que nous n’avons pas achevé, et par lequel il se montre désormais capable de dépasser les limites bornées de sa propre individualité. Jean-Paul interprète ainsi le moment dans lequel Alexandre boit le remède prescrit par son médecin :

17

Alexandre, en buvant le breuvage suspect, était plus grand que son médecin qui l’avait fait salutaire ; il est plus sublime de témoigner une confiance dangereuse que de la mériter (§ 73).

18 Alexandre ne réalise pas un calcul selon lequel il paraît plus avantageux de boire le remède pour être guéri car le risque qu’il fût empoisonné, s’il est réel, reste cependant faible, étant donné la connaissance qu’avait Alexandre de la situation et des personnes. Alexandre boit parce que l’autre est un homme, que la foi en l’humanité doit triompher, et que cette « foi embrasse, non un acte ou un cas isolé, mais toute une vie » (§ 73). Or il ne s’agit pas là, pour Jean-Paul, du triomphe d’une volonté contre la crainte, mais du mouvement inverse qui nous ramène vers l’humanité même. D’où procède une telle orientation ? Il y a deux réponses à cette question : pour l’enfant, cette confiance est nécessaire à l’entrée dans l’existence, c’est en ce sens qu’elle semble un mouvement naturel, contre lequel l’enfant ne peut se prémunir, et qui le place dans une dépendance totale vis-à-vis de l’adulte. Pour ce dernier, la confiance est la seule réponse possible à l’expérience de la mécompréhension, qui est la règle dans les relations humaines, lorsque l’entente réalisée est plutôt l’exception. C’est une figure, thématisée par Jean-Paul, qui rejoint le principe d’« indulgence herméneutique » de Schleiermacher ou d’« anticipation de la perfection » chez Gadamer. Il en tire un impératif : « Que la foi de l’enfant vous soit sacrée, car sans elle aucune éducation n’est possible » (§ 73).

19 Si la confiance est la condition de possibilité de toute éducation, il faut bien entendre alors que l’éducation est un processus de construction d’un sujet éthique, et non un art qui gagnerait à s’entourer de précautions morales. C’est à notre avis la conséquence la plus importante, et l’on commence à percevoir comment Jean-Paul lit Jean-Jacques : la radicalité de l’acte éducatif tient à ce qu’il se meut intégralement dans le monde moral, c’est une relation interpersonnelle dont la finalité est le développement d’une vie communicative par laquelle se réalise l’essence de l’humanité ; Rousseau, lui, s’arrêtait à la genèse du sujet responsable de son agir.

20 De cette conséquence centrale découlent un certain nombre de préceptes d’action pédagogique. Le premier est ce que l’on pourrait désigner comme les bases d’une didactique de l’herméneutique : « ne détruisez pas votre infaillibilité par des preuves inutiles » (§ 74).

21 Sa portée est considérable. Il s’étend d’abord bien sûr dans une direction morale. Comme pour Rousseau, la ratiocination est la marque de la perte de la transparence dans la relation à autrui (« l’homme qui raisonne est un animal dégénéré ») et par là, perte de la « foi en l’homme ». Mais on peut comprendre qu’il concerne aussi tout le champ épistémologique. En effet, toute construction de savoir vérifiable suppose une base de certitude qui est, elle, hors démonstration. Mais ce qui solidifie cette base de certitude, c’est une Lebensform, une forme de vie construite sur des jeux de langage [9]. On comprendra en ce sens la condamnation absolue que Jean-Paul adresse au mensonge lié à la fausse promesse, comme déni d’une forme de vie et d’une communauté de projets. Ainsi, l’éducateur doit apparaître comme le destinataire de la foi spontanée de l’enfant, et pour ce faire doit avoir foi en lui-même en tant qu’éducateur : non pas en ses compétences immédiatement mobilisables, avoir réponse à tout, argumenter contre tous, mais bien plutôt se faire confiance dans sa possibilité de donner confiance à l’enfant : en un mot, dans son aptitude à faire vivre le lien herméneutique qui le relie à ses élèves. Comme :

22

L’aveu de votre ignorance se concilie plus facilement avec la foi ; déjà l’enfant peut exercer sa force et son scepticisme sur les assertions d’autrui, sans que ce soit à vos dépens (§74).

23 Garantir le pôle de certitude, en tant qu’autorité apte à guider dans la compréhension et dans le discernement de l’action, et non en tant que dépositaire d’un savoir d’érudition. Le premier encourage la liberté critique, comme l’analyse Gadamer, le second enferme dans le dogmatisme. Ce n’est pas le moindre paradoxe de la pédagogie jeanpaulienne d’affirmer que la foi en autrui est garante de la liberté de penser…

24 Or il y a bien un paradigme de cette éducation, que Jean-Paul cerne progressivement, avec beaucoup d’hésitation. C’est celui de l’éducation parentale. Pour Jean-Paul, la meilleure éducation possible devrait construire le rapport que, dans l’idéal, des parents construiraient avec leur enfant, s’ils le pouvaient : bienveillance et bienfaisance, relation de confiance, abandon d’une position subjective au profit du développement de l’enfant. Mais il montre aussi que de tels parents ne sauraient exister réellement, car très peu pourraient accéder à ce détachement et à cet oubli de soi qui font précisément que l’éducation est un service à autrui :

25

Si l’enfant a un excellent père qu’il croit infaillible et de plus une sainte mère ; s’il leur soumet la parole d’autrui pour qu’ils la confirment ou la nient, s’il oppose au monde entier ainsi qu’au monde qui est au-dedans de lui[10] , ces deux seuls êtres dont la force physique et morale lui inspire une confiance absolue, il expose à nos yeux un trésor si précieux qu’il suffit de le retrouver dans un être plus mûr pour en apprécier justement la valeur (§ 73).

26 Le paradigme jeanpaulien [11] est contrefactuel : c’est en se portant vers l’horizon inaccessible que le pédagogue peut interpréter la réalité éducative. C’est ce qui permet à la Levana de proposer des analyses tout à fait étonnantes de situations pédagogiques.

L’herméneutique des situations pédagogiques

27 Deux situations, parmi celles qu’évoque Jean-Paul, sont essentielles pour prendre la mesure de l’importance qu’a pour nous sa pensée pédagogique : l’éducation religieuse et la fonction du jeu.

L’éducation religieuse

28 Ce que Jean-Paul nomme l’éducation religieuse a peu de rapport avec ce que nous avons désormais coutume de désigner par ce terme. Il serait plus approprié de parler d’éducation à la religiosité, étant entendu que celle-ci ne concerne pas le dialogue avec une transcendance inaccessible mais plutôt en direction d’une « exigence de l’absolu », selon l’expression de Merleau-Ponty. La religiosité pour Jean-Paul est ainsi la tension propre à l’être humain qui découvre la finitude de son individualité et s’oriente vers l’universalité du Moi, grâce à l’interprétation qu’il fait des signes élaborés par ceux qui l’ont précédé et qui furent animés du même élan. C’est en ce sens que la religiosité s’alimente de la tradition pour créer des formes sans cesse nouvelles d’expérience du sacré. Mais cette religiosité, en tant qu’elle questionne vers la totalité, ramène finalement vers l’humanité ; car le sacré, pour Jean-Paul, réside dans la relation éthique aux autres. C’est sa définition de la religion : « la poésie de la morale ». Ainsi, le but d’une « éducation religieuse » n’est pas de rallier à un culte, mais d’atteindre un but purement éthique, que le droit positif ne permet pas de réaliser :

29

Il y a eu beaucoup de religions, mais il n’y a qu’une loi morale : dans celles-là Dieu se fait homme sous des enveloppes diverses, dans celle-ci l’homme se fait Dieu et se dépouille de son enveloppe (§ 38).

30 Si le Romantisme pense qu’une communauté authentique ne peut se réaliser que sur un plan supérieur à celui de la discussion juridique entre sujets de droit, et que l’Esprit d’une nation consiste plutôt dans l’interprétation inlassable de ce que la langue a transmis, Jean-Paul, quant à lui, prend une direction différente, en indiquant la possibilité d’une réalisation effective de l’éthique – grâce à l’éducation. C’est en ce sens qu’il rompt avec le noyau conservateur du Romantisme allemand. La religiosité n’est pas un retour vers ce qui nous a autrefois unis et dont la nostalgie baigne le monde, elle est un effort vers un but qui peut devenir un avenir si une époque le décidait ainsi : elle est, dit la Levana, « solidarité avec l’infini – contre la solitude du moi » (§ 39). Or il se trouve que cet effort est rationnel, et c’est pour cela qu’il peut être objet d’enseignement. Mais non son contenu dogmatique. Pour permettre à l’enfant d’accéder à cette intuition de l’absolu, il faut donc lui fournir un étayage herméneutique. La doctrine pédagogique de Jean-Paul s’appuie sur une structure de la précompréhension :

31

S’il n’y avait pas une métaphysique religieuse complète qui dort et rêve dans l’enfant, comment pourrait-on lui donner une intuition intérieure de Dieu, de l’éternité, de la sainteté, etc. […]. L’enfant de quatre ans s’informe déjà de ce qu’il y a derrière les planches de ce monde (§ 40).

32 L’éducation ne fait que réveiller cette précompréhension et accompagne le questionnement enfantin. Elle s’organise, dans cette sphère de la religiosité, autour de deux préceptes pédagogiques : i) laisser l’accès libre aux symboles (« il est indifférent que ce symbole soit une église de village ou le temple de la nature » § 40) : la précompréhension se différencie par le choix qu’elle fait des symboles à interpréter ; il convient de ne pas la masquer par des démonstrations théologiques ; ii) laisser libre l’initiative religieuse : chaque être construit son propre parcours d’interprétation suivant les symboles qui lui parlent et grâce auxquels il construit une expérience de son exigence d’absolu.

33 Ces deux préceptes fusionnent dans une règle, dans laquelle on reconnaîtra facilement la règle herméneutique elle-même : « Stimulez dans l’enfant la faculté de voir les choses dans leur ensemble, et combattez la partialité de l’égoïsme » (§ 40). Remonter au tout par le symbole qui en est partie, puis comprendre la partie (et soi-même comme partie, ce qui en est le bénéfice éthique) comme faisant partie du tout, c’est là le Cercle herméneutique tel que la tradition l’a énoncé et qui suppose, comme on le sait, cette précompréhension du tout dès que le regard se pose sur la partie [12].

Le jeu

34 Le jeu est crucial dans la pédagogie jeanpaulienne. Si l’éducation religieuse permettait de sortir de l’égocentrisme par l’appartenance à la communauté humaine, d’un point de vue diachronique autant orienté vers l’avenir que vers le passé, le jeu quant à lui possède une fonction éminemment socialisatrice dans le présent. Son statut central tient en ceci qu’il est la seule activité assurant à l’enfant un développement homogène de ses facultés : « Le jeu développe toutes les forces simultanément, sans assigner à l’une d’elles, en particulier, une direction, au détriment des autres » (§ 49). Jean-Paul le perçoit de façon étonnamment moderne comme un processus libre de « mise en ordre par le bruit » [13], en quelque sorte : « Nous croyons souvent régler par des procédés le hasard extérieur, quand c’est un hasard intérieur plus étroit qui a déterminé en nous ces procédés » (§ 49). Ainsi, comprendre les jeux des enfants est un moment déterminant de la réflexion pédagogique, qui permet de saisir à la fois la modalité du développement de l’enfant et les structures qui s’y construisent, de façon à savoir les étayer. C’est l’application de la « pédagogie nouvelle » telle que Jean-Paul l’a définie. D’une manière très attentive, il distingue deux catégories de jeux, qui correspondent aussi à deux stades de la vie enfantine, et qui se séparent par la maîtrise du langage. À la petite enfance correspondent des jeux qui stimulent la compréhension du monde :

35

soulever des fardeaux, mettre des clefs dans des serrures, fourrer une chose dans une autre, fermer et ouvrir des portes, […] élargir et rétrécir l’espace, observer un travail de leurs parents, les écouter parler (§ 48).

36 Cette classe visiblement rassemble les activités herméneutiques de l’enfant, qui devient l’interprète assidu des êtres et des choses. En tant que phase, elle tente de trouver des réponses à la question : comment puis-je exister dans le monde ?

37 La deuxième classe, que la Levana présente comme la « phase active, la classe pratique », correspond à une étape d’imitation sociale cette fois organisée par des rôles, telle l’improvisation dramatique. Ce que dit Jean-Paul est que ce besoin d’exubérance et d’activité physique correspond à l’expérience de soi dans le monde et tente de répondre à la question : quel Moi idéal porté-je en moi-même ? Ici commence la liberté du jeu autonome qui devient un jeu créateur. Et ce passage du jeu interprétatif-réceptif au jeu interprétatif-créateur est rendu possible par le langage [14]. Jean-Paul l’expose lumineusement : « C’est par la parole que l’enfant conquiert sur le monde extérieur un monde intérieur d’après lequel il fait mouvoir le premier » (§ 50).

38 Mais pour créer, il faut une médiation qui permette une action sur la réalité extérieure, et d’une façon une fois encore très nouvelle, Jean-Paul distingue entre la médiation du “jouet”, et celle des “compagnons de jeu”. Il ne suffit pas de remarquer que le jeu est une activité spécifique de l’enfance ; Jean-Paul va plus loin : il affirme que le jeu est la vie sociale de l’enfant, par laquelle il se construit spécialement. Comme le fera Piaget, il distingue nettement le caractère égocentrique de la première phase du jeu : « Dans leurs premières années, les enfants sont les uns pour les autres des compléments à leurs fantaisies en fait de jouet » (§ 54). Et comme Piaget, il analyse que cet égocentrisme est entretenu par les adultes :

39

Les parents et les maîtres sont toujours pour les enfants ces dieux étrangers qui apparaissaient aux premiers hommes pour les instruire et les aider ! […] Sous ce régime théocratique et monarchique, la libre opposition leur est interdite et fatale (§ 54).

40 Il ne peut y avoir de construction du “toi” dans cette relation de confiance absolue qu’on a vu être celle, nécessaire, que l’enfant établit avec l’adulte, et, partant, il n’y aura pas de monde social :

41

Voulez-vous forger un esclave ? Soudez pendant quinze ans un jeune garçon au coude et au talon de son gouverneur, qui doit être à la fois son directeur, son collègue et son interlocuteur. […] Il sera incapable de s’opposer aux individualités qui l’entoureront de toute part (§ 54).

42 C’est une critique de l’Émile : le projet rousseauiste d’éducation à la liberté est autoréfutant, s’il n’est pas conduit dans le monde social de l’enfant. D’où ce mot d’ordre que Cousinet reprendra pour sien [15] : « Élevez les enfants par les enfants ! » (§ 54).

43 C’est l’initiation à la vie démocratique, hors du cadre protecteur de la transcendance adulte, la découverte du conflit, la gestion du débat : « il est plus utile de donner des coups que d’en recevoir de son maître » (§ 54), l’instauration du dialogue librement accepté, la création et l’application de normes. Et ainsi Jean-Paul peut-il opposer à Jean-Jacques sa propre réflexion politique : « Les enfants qui jouent sont de petits sauvages européens qui forment un contrat social en vue du jeu » (§ 54). C’est une éviction radicale de l’adulte hors de la sphère du jeu que prononce la Levana, d’abord parce que les adultes ne savent plus jouer, pour avoir sûrement subi l’école : « Il n’y a que les enfants qui soient assez enfants pour les enfants » (§ 54), parce qu’ensuite la spécificité de l’enfance, c’est de tendre à l’autosocialisation : « Si les hommes sont faits pour les hommes, les enfants sont encore mieux[16] faits pour les enfants » (§ 54), et qu’enfin cette réalisation de l’enfance dans l’enfant suppose une aire réservée et préservée pour accéder authentiquement au sens de l’être-ensemble : « C’est dans le préau qu’ils deviennent explorateurs et commencent à conjuguer la pratique humaine » (§ 54). Cette importance du jeu dans la sphère éducative atteste également qu’il se dévoile, à travers lui, quelque chose de la situation d’être-homme ; Jean-Paul est fidèle ici à Schiller : « l’homme ne joue que là où dans la pleine acceptation de ce mot il est homme, et il n’est tout à fait homme que là où il joue » [17].

44 Le jeu réalise bien l’entrée dans le monde, mais parce que, au premier plan : « c’est le commerce de leurs semblables qui développent leurs forces intellectuelles » (§ 54).

45 La tâche de la pédagogie devient plus claire : il s’agit d’aménager le monde du jeu de l’enfant :

46

On pourrait émettre le vœu que l’enfant fut placé dans un petit monde où il trouvât les individualités, les conditions, les âges les plus divers, afin de se préparer dans cet Orbis Pictus[18] pour le monde réel (§ 56).

47 L’école est une mise à l’abri dans le loisir grâce à laquelle on expérimente sans conséquence irréversible les rapports interindividuels de la vie sociale réelle : c’est la définition même de la schola. Mais l’entrée dans le monde n’est pas une pure exploration du possible, et en tant qu’elle correspond à une entrée dans le monde des autres elle nécessite de surcroît l’étayage d’adultes dans la tâche d’interpréter pour comprendre. Aussi Jean-Paul formule-t-il une proposition qui se trouve être, plus encore que la précédente, totalement originale : « Je voudrais qu’il y eût des maîtres de plaisir ou de jeu, qui seraient comme les chefs de file des maîtres d’école » (§ 56). Cette place centrale du jeu tranche tout à fait avec la découverte de la nécessité des choses et l’épreuve de la limitation qu’elle impose au désir, dans la pédagogie de l’Émile. Jean-Paul dépasse ainsi une difficulté majeure chez Rousseau : pourquoi l’apprentissage de la nécessité favoriserait-t-il la liberté plutôt que la soumission ? Ici la liberté est portée par cette dimension proprement romantique du génie individuel et de la créativité personnelle : la “poétique”, dimension essentielle de l’homme. La finitude devient positive en nous détachant de la nécessité. Si, comme on l’a vu, malgré toutes les apparences contraires, l’éducation à la religiosité permettait l’exercice de cette créativité, c’est parce qu’elle s’appuie sur cette disposition herméneutique à interpréter les signes et les œuvres, pour les doter d’un sens nouveau apte à transmettre à son tour une expérience vécue de l’approche de l’absolu : la religion était dite la « poésie de la morale » (§ 39). Il en est de même pour le jeu, et d’une façon encore plus totale puisqu’il s’enracine dans tous les apprentissages initiaux que l’enfant fait du monde et de lui-même : « L’esprit de l’enfant joue d’abord avec les choses, avec lui-même par conséquent » (§ 50).

48 Quel est donc le jouet le plus approprié à cet exercice de la créativité du jeu ? C’est le moins structuré de tous, le moins différencié, une pure matérialité donc. Il fait l’objet d’un paragraphe isolé, modèle du Witz, le sable : « Philosophes, ne jetez plus le sable aux yeux de vos disciples, jetez-le devant vos enfants » (§ 50). Il faut développer l’inventivité de l’enfant, car c’est dans sa satisfaction que le jeu pourra évoluer en s’organisant vers des structures qui pourront être aussi contraignantes que les normes sociales elles-mêmes qui nous permettent de coopérer avec autrui :

49

Les enfants n’aiment aucun jeu autant que ceux où ils ont à espérer ou même à craindre : c’est que le poète joue de bonne heure dans l’homme, s’exerçant à nouer et à dénouer. De temps à autres ils exigent, comme des joueurs malheureux, de nouvelles cartes (§ 56).

Une théorie herméneutique de l’apprendre : étayage et créativité

50 Toutes les analyses que la Levana entreprend des situations pédagogiques mettent en exergue des facultés propres sur lesquelles les apprentissages s’appuient mais aussi que certains apprentissages choisis peuvent stimuler et développer. Et on sent comme un reproche tacite adressé à Rousseau de ne pas les avoir davantage éclairées. Nous avons repéré dans une première approche ces facultés – « le poète en l’homme » – comme la créativité herméneutique : créer en interprétant le donné. Il est indispensable désormais d’éclaircir brièvement cette question.

51 Quelles facultés sont développées par l’éducation ? Cette question pour Jean-Paul est fondamentale ; fidèle à la démarche rousseauiste, c’est par la connaissance des facultés de l’enfant que se déterminera le choix des démarches éducatives. Et là, son apport a été décisif. La vision traditionnelle que Klopstock tentait de légitimer par une étymologie suspecte (l’esprit [Geist] viendrait de verser [giessen]) supposait que l’enfant pouvait engloutir les savoirs les plus hétéroclites, et l’on doit à Pestalozzi, rappelle Jean-Paul, de nous en avoir débarrassé. Mais la raison pour laquelle il critique cette conception accumulative des apprentissages est beaucoup plus novatrice que l’argument qui a cours, de nos jours. Il s’agit, ni plus ni moins, de défendre l’avenir de la culture par le développement de la créativité :

52

Ce système d’éducation [par entassement de connaissances] produit des érudits paralytiques, ne pouvant rien accomplir, sans présence d’esprit ni avenir, étant créés éternellement et ne créant jamais, héritiers de toutes les idées, sans en transmettre aucune (§ 130).

53 Que pourront transmettre à leur tour ceux qui n’ont rien inventé ? La pédagogie jeanpaulienne montre ici l’aspect novateur de son approche herméneutique : une tradition ne peut être vivante que par l’interprétation créatrice que chaque génération fait de ce qui lui est transmis. Le nouveau doit se créer lui-même, et son principe s’appelle la « force plastique de l’esprit » (§ 130). Elle consiste dans ce mouvement d’appropriation du réel par l’esprit qui le comprend et ainsi se transforme, pour créer de nouvelles formes qui incorporent un sens renouvelé :

54

La force plastique de l’esprit agit selon la volonté et par la volonté pour faire sortir une nouvelle idée des idées anciennes ; elle est l’empreinte de l’homme (§ 130).

55 Cette faculté herméneutique distingue l’homme de l’animal : c’est la dimension historique de l’humanité. Que serait une éducation qui ne développerait pas cette dimension ? Elle serait peut-être semblable au rêve : « dans l’état de veille nous pensons nous-mêmes, dans le rêve nous sommes pensés » (§ 130). Auparavant, Jean-Paul nous avait averti des cauchemars qui nous guettent : « L’avenir qui va s’ouvrir est digne d’attention – la terre est pleine de poudre de guerre » (§ 2). L’enjeu est crucial, et il passe par la prise en compte de l’individualité dans l’éducation. Cette considération de l’individualité posait au rationalisme classique une difficulté insurmontable, qui était la perte de l’universalité d’une certaine essence rationnelle de l’homme au profit de quelque chose qui semblait obscur et par quoi chaque individu se distinguait des autres. Or le problème de l’individualité est mal posé quand il est référé à la pure question de la subjectivité. C’est ce qui incite Jean-Paul à rompre avec une tradition élitiste de l’éducation du génie, et à mettre au premier plan la question de l’éducation des « esprits moyens » (§ 2). En effet, dans la perspective romantique, c’est le génie qui se trouve être la subjectivité capable d’inventer de nouvelles idées : « (le génie ne nous devance-t-il pas dans les livres de bien des siècles) ? » (§ 131). Mais cette créativité exceptionnelle suppose, pour qu’une époque puisse en faire son profit, le relais des « esprits moyens », aptes à interpréter les idées géniales, comme idées interrogeant la tradition. Et sur ce point, la Levana est formelle : il n’y a qu’une différence de degré entre la créativité « pure » du génie et la créativité réflexive des hommes ordinaires ; et la créativité est une faculté universelle que développe et structure l’éducation. Ainsi, s’il est vrai qu’une société n’est pas (sinon négativement) responsable de la génialité qui y a cours, il devient manifeste en revanche que c’est l’éducation dont elle décidera pour l’ensemble de ses enfants qui déterminera si les idées – novatrices, voire salvatrices – qui ont pu émerger de l’interprétation du sens d’une situation historique donnée seront reçues, comprises et transformées. L’introduction de la perspective herméneutique en éducation n’est pas le culte de la créativité individuelle, elle repose sur la médiation d’une fonction fondamentale de l’éducation : développer une culture de la “réception”, de l’interprétation conçue comme application-création [19]. Jean-Paul écrit :

56

Quoiqu’un système d’éducation doive s’occuper d’abord des génies […], ce système ressemblerait trop à une liste de préceptes à tenir au cas où on gagnerait le gros lot, si l’on n’observait pas que la majorité des esprits moyens constituent la matière future sur laquelle un génie peut s’exercer. Ils sont aussi importants dans leur masse que le génie dans son individualité. C’est pour cette raison que puisque d’un côté vous donnez à l’avenir une aumône par les enfants, puisque de l’autre vous devez les envoyer désarmés dans un siècle orageux dont vous ne connaissez point les vents empoisonnés, rien n’est plus important en ce qui regarde la postérité que la façon dont vous lui envoyez vos enfants (§ 2).

57 Nos successeurs devront inventer des réponses à des problèmes que nous leur léguons sans les avoir compris ; l’éducation doit donc les doter de cette faculté de produire et comprendre des idées nouvelles à partir de l’expérience de nous-mêmes et de ceux qui nous ont précédés. La théorie de la créativité doit se renforcer, pour ce faire, d’une théorie de l’étayage. À l’étayage intergénérationnel, que Jean-Paul précise dans le paragraphe 2 comme responsabilité de l’éducation consciente de ses buts, doit correspondre un étayage dans l’apprendre. C’est dans l’étude de la racine de tout apprentissage, celui du langage, que la Levana introduit cette théorie.

58

Ne craignez pas de n’être pas compris ; votre air, votre ton et l’irrésistible besoin de comprendre éclaircissent la moitié d’une phrase théorique, et avec le temps cette moitié aide à faire comprendre l’autre (§ 131).

59 Une herméneutique ne se conçoit pas sans un plan pragmatique et, d’une manière anticipatrice, Jean-Paul établit que l’apprentissage se fait par un ajustement du degré de coopération en vue de la pertinence, en introduisant une dimension supplémentaire, qui est la fonction de la tradition culturelle, comme coffre des clefs du décodage des intentions. Dans la mesure où la faculté interprétative effectue la plus grande part du travail (« Ayez confiance dans l’œuvre du temps et de la logique » § 131), il s’agit essentiellement d’organiser des situations dans lesquelles l’enfant soit le mieux étayé possible, ce qui suppose une formation plutôt du maître que du novice :

60

Un enfant de cinq ans comprend les mots : « cependant, sans doute, pourtant, au contraire, certainement », mais essayez d’en donner une explication, non à l’enfant mais au père (§ 131).

61 Mais pourquoi le parent a-t-il besoin d’une explication ? Parce qu’il est trop éloigné des problèmes de compréhension tel que l’enfant est amené à se les poser ! Jean-Paul précise :

62

Puisque l’enfant de huit ans est compris de l’enfant de trois ans, pourquoi voulez-vous resserrer votre langage dans son balbutiement ? Devancez-le toujours de quelques années par votre langage. Parlez à l’enfant d’un an comme s’il en avait deux, et à ce dernier comme s’il en avait six (les différences dans le développement diminuent en proportion inverse des années) (§ 131).

63 On peut comprendre, en lisant ces lignes, pourquoi il appartiendra à une psychologie culturaliste, comme celle de Vygotski et de J. Bruner, de formaliser une théorie dans laquelle le sujet individuel est formé par la pensée collective déposée dans la langue, grâce aux interactions sociales. C’est un effet de l’empirisme pédagogique que Jean-Paul adopte de Rousseau, de libérer l’éducation des apories classiques : l’étayage de ceux qui savent est nécessaire à la compréhension, qui, faute de cet appui, produit ses propres interprétations. On peut lire en particulier au paragraphe 129 comment la Levana pose, avant Freud, la nécessité d’une éducation sexuelle, afin d’éviter la construction par l’enfant de théories obscurcissantes :

64

Si l’on fait tout un mystère, l’instinct qui a un long nez, aura vite fait de mettre en relation certaines explications fournies par le hasard et de lever le voile d’obscurité (§ 129).

65 Or, l’instinct ne donne que des réponses, parce qu’il ne sait pas poser des questions, et en cette aptitude réside, on l’a vu, le privilège de l’humanité.

66 Mais comment aider l’enfant à développer ses facultés herméneutiques, comment concevoir l’intervention pédagogique ? Les pistes indiquées par Jean-Paul sont nombreuses, mais la plus caractéristique résulte de la distinction qu’il établit entre mémoire (Gedächtnis) et souvenir (Erinnerung, « intériorisation mémorisante », selon A. Montandon). Si la mémoire est une faculté purement réceptive, propre à la corporéité animale en général, le souvenir est décrit en contrepoint comme une faculté créatrice qui choisit dans les traces mémorielles des éléments qu’elle interprète : « le souvenir est une force créatrice qui à l’aide d’idées fournies par la mémoire réveille ou crée une autre idée qui s’y rattache » (§ 142). La mémoire lie au passé, et l’animal est prisonnier de son monde. Le souvenir est une faculté libératrice qui permet de reconstruire un sens renouvelé à l’expérience humaine. On retrouve ici un thème de l’herméneutique de Chladenius : loin de la fidélité à l’intention de l’auteur, la “compréhension médiate”, qui précède la “digression”, constitue une “compréhension parfaite” parce qu’elle est l’exploration de toutes les idées que l’esprit humain peut concevoir à partir de la “compréhension immédiate” du texte. Or, le souvenir est développé par l’éducation. Mais, dira-t-on, elle peut développer aussi la « mémoire des mots » :

67

Celui qui peut retenir une page de vocabulaire hottentot retiendra plus facilement un volume de Kant. Car, ou bien il le comprend, et chaque idée éveille une idée apparentée, ou il ne le comprend pas, et il ne retient qu’un vocabulaire philosophique et s’en sert pour chaque discussion (§ 142).

68 La compréhension est bien produite ici par le souvenir, lorsque la mémoire verbale ne produit qu’une habileté sociale, sans profit pour la communauté. L’intervention pédagogique que la Levana préconise consiste dans un travail précoce sur les compétences narratives : « Exercez vos enfants à faire des récits – par exemple celui de sa journée » (§ 142). Car cet exercice permet d’établir des liens entre les représentations des événements et les idées qui en découlent, et cette aptitude est la base de l’interprétation créatrice. Ainsi l’apprentissage de l’écrit : bien avant Freinet, Jean-Paul recommande l’usage d’une imprimerie de poche…

69 Mais le développement de la faculté créatrice, de l’imagination au souvenir, nécessite une relation pédagogique basée sur la confiance et la sécurité : « la crainte ou la terreur paralyse la mémoire » (§ 144). Une éducation consciente de sa mission doit d’abord montrer la cohérence de ses moyens et de ses objectifs.

Éducation morale et construction éthique

70 Nous en revenons ainsi au but final de l’éducation. Jean-Paul se montre ici un lecteur attentif et critique de Rousseau. La Levana assume cette rupture radicale avec les modèles classiques de l’?“édification” : elle propose en effet une réflexion sur la « formation morale » (§ 103). Il y est question, comme chez Rousseau, de construire un sujet éthique, c’est-à-dire de permettre à l’enfant de développer des compétences propres quant à ses intuitions éthiques et à son jugement moral. Ce développement doit peu à la spontanéité, et rien à la persuasion du discours édifiant. Il ne peut s’effectuer que dans des situations organisées par le pédagogue. Comme pour Rousseau, c’est la réflexion et la conquête progressive de la rationalité qui sont le moteur du développement moral, car la raison est la base structurelle de l’éthicité, et non le sentiment immédiat. Mais la séparation profonde avec Rousseau se produit quand il est question de définir le cadre pédagogique de cette construction éthique. Pour Jean-Paul, en effet, elle suppose un étayage étroit – ce qui est cohérent avec la théorie de l’apprendre, parce qu’elle s’appuie avant tout sur une herméneutique des situations d’altérité, sur la compréhension de l’interprétation divergente que chacun peut en faire, et sur la valeur du rôle que chacun peut y jouer. Or, pour Jean-Paul, c’est le langage qui est le sol de toute relation intersubjective, et ainsi le fondement radical de toute relation éthique est-il trouvé dans le statut de la “promesse”. On a vu que l’éducation n’est possible que sur la base de la foi de l’enfant en l’adulte, mais cette confiance nécessaire pose un problème redoutable dans la construction éthique : celui de l’?“asymétrie” des positions. Nous pensons que Jean-Paul, bien avant Hans Jonas [20], est le premier à opérer une critique décisive de la thèse de Kant, suivant laquelle il n’y a pas de sujet moral lorsqu’il n’y a pas d’autonomie morale construite : les aliénés, les enfants et les animaux sont exclus de la sphère morale pour cette raison. Jean-Paul pose que l’enfant est un sujet moral, même s’il n’est pas un acteur moral totalement compétent. Une éthique asymétrique est non seulement possible mais possède, comme une très grande fécondité.

71 Selon une analogie que Jean-Paul emprunte à la physique de l’électricité, le champ moral de la vie éthique se trouve organisé selon deux pôles.

72 Le premier, négatif / répulsif, a pour horizon la « force morale » ; c’est une éthique de soi, orientée selon un projet de développement stoïcien de la tranquillité de l’âme et de la résistance aux épreuves, mais que Jean-Paul interprète jusqu’à une dimension d’acquiescement à l’être :

73

Il y a un courage envers l’avenir et l’imagination : il y en a un autre envers le présent et l’imagination ; le premier est l’opposé de la crainte, le second celui de la terreur. S’il faut en choisir un pour les enfants, il vaut mieux la crainte que la terreur ! […] La terreur anéantit complètement l’intelligence et y substitue la démence (§ 107).

74 Au-delà des exercices stoïciens classiques, Jean-Paul recherche ce qui, dans l’éducation, peut contribuer à la sauvegarde des capacités herméneutiques du sujet moral. L’acquiescement à ce qui est constitue la phase initiale de toute attitude de compréhension, à partir de laquelle se déterminera la volonté libre de refuser les décisions d’autrui, de se rebeller contre l’injustice ou de transformer le monde :

75

Comme si le monde avait trop de courage, les éducateurs inspirent la crainte par des actes ou des punitions et ne recommandent le courage que par des paroles ; ils ne louent pas l’esprit d’entreprise, leurs récompenses sont pour l’abstention (§ 105).

76 Cette “force morale”, ce “courage”, sont l’antithèse de l’égocentrisme et l’éducation a pour but ici de permettre cette sortie hors de l’égoïsme d’un repli sur la subjectivité. Jean-Paul préconise que l’éducation doit inciter à la prise de risques, physiques et moraux, dans des projets dont la réalisation permettrait à l’enfant de développer cette aptitude à affronter la réalité extérieure. Dans cette perspective, il critique fermement les procédés pédagogiques qui ne cherchent qu’à obtenir l’obéissance et la soumission de l’enfant, par l’humiliation, voire par la torture :

77

Les accidents moraux laissent des traces éternelles. […] Quelle laideur : comment pouvez-vous confondre les moyens de torture de la police avec l’art de l’éducation ? (§ 106).

78 Jean-Paul analyse très précisément les conséquences éducatives de quelques pratiques : punir des enfants devant d’autres enfants, par exemple, n’encourage que la perversion (et on forme de futurs bourreaux) ou la soumission (et on prépare de futures victimes). D’où il conclut que, bien évidemment, l’obéissance n’a en soi aucune valeur et que les objectifs de l’éducation sont de permettre de comprendre les motifs pour lesquels on obéit : la confiance, le respect, la découverte de la nécessité. Aussi, paradoxalement, une éducation orientée selon ses finalités ultimes doit rendre possible l’opposition, voire la rébellion, comme il le dit dans une formule très jeanpaulienne :

79

Pourquoi pardonne-t-on plus facilement le gros mangeur que le querelleur, comme si les incisives n’étaient pas aussi importantes que les molaires ? (§ 108).

80 Car ce n’est que dans la confrontation au point de vue d’autrui que s’opérera la sortie de l’égocentrisme.

81 Le second pôle de la vie éthique, positif / attractif, c’est la beauté morale : son projet est orienté vers une « vie étrangère » et se manifeste par ce que Jean-Paul appelle l’amour. Si l’éthique de soi que constitue la force morale consiste à se défendre contre soi-même, la beauté morale est désormais une éthique de l’altérité herméneutique. La Levana poursuit jusqu’à son terme l’analogie électrique : les deux pôles annulent mutuellement leurs forces à l’horizon du « sacré » : l’unité de la vie éthique se situe bien dans cette tension vers l’absolu, qu’analysait précédemment l’étude de la religiosité. Pour Jean-Paul, le rapport à autrui est essentiellement langagier : c’est par la communication que je peux construire mes projets d’actions, et c’est mon orientation dans la communication qui déterminera la valeur et la portée éthique de mes relations avec les autres. C’est là une des conséquences de sa théorie de l’entrée pragmatique dans le langage : Jean-Paul distingue, à côté de ce qu’Austin appellera un but “perlocutoire”, ce qui préfigure un but “illocutoire” : non seulement mon discours permet de faire faire des choses à autrui, mais il veut également être reconnu comme porteur d’une intention de communication : l’enfant à qui l’on dit : « je te préviens ! », s’il éprouve de la crainte (perlocution), ne pourra pas comprendre l’intention de l’énoncé (illocution) [21]. La norme de validité intersubjective du discours, c’est la “véracité”, c’est-à-dire sa capacité à transmettre de manière transparente les intentions du locuteur, afin que se réalise une communication fondée sur l’intercompréhension plutôt qu’animée par une stratégie orientée vers le succès [22]. Or, pour Jean-Paul, attenter à cette norme, c’est saper les bases mêmes de toute communauté et de l’essence du langage, car la parole nous rend responsable non seulement de l’autre, mais aussi de la totalité de l’Être. Et il apparaît alors qu’une des conséquences mal comprises du développement du savoir soit une régression de l’éthicité, qui exprime précisément cette responsabilité : « Le monde paye l’accroissement du nombre de ses vérités de la perte de la véracité » (§ 111). La perte de la véracité détruit l’humanité même du locuteur, et Jean-Paul montre que le locuteur opaque est semblable à l’automate de Kempele, qui simule la vie mais dont j’ignore tout des intentions réelles puisque ma faculté herméneutique ne peut plus s’exercer ; pis encore il me rend machinal moi-même, puisque, croyant agir selon mes intentions, je suis manipulé par la stratégie que j’ignore de mon interlocuteur :

82

Si mon semblable me ment, son moi s’est dérobé, il ne reste plus de lui que la statue de chair. […] Qu’aurai-je à dire à celui qui est sa propre machine parlante de Kempele et qui comme Kempele a d’autres pensées que celles programmées dans sa machine ? En outre, le mensonge d’autrui est une atteinte portée au tout : il substitue à mon moi une machine, et il rompt toute communication entre les esprits, ou bien en fait un pont-levis dirigé contre autrui (§ 113).

83 La base de l’éducation morale sera ainsi une éducation à la véracité. Et elle s’organisera pédagogiquement par un certain traitement du mensonge. Avant cinq ans l’enfant ne ment pas, « il parle seulement » (§ 114), et ce n’est que l’ouverture progressive à l’altérité qui donnera l’accès à la conscience du mensonge. D’abord chez autrui : « il ne reconnaît bien que la laideur des mensonges qu’il entend, mais il n’a pas conscience de celle de ses propres mensonges » (§ 115). L’accès à la véracité suppose ainsi un étayage éducatif par lequel l’enfant comprendra que la promesse est un projet d’interaction future et non un instrument du désir immédiat. Ainsi la transgression d’une norme n’est-elle qu’une erreur du jugement, lorsque le non-respect d’une promesse est une faute morale. Encore convient-il que le pédagogue distingue entre deux catégories de mensonges selon qu’ils concernent le passé ou le futur. Le premier n’est souvent qu’un effet d’une éducation punitive qui pousse l’enfant à cacher ses actes, mais le second, lui, atteint la promesse. Or le paradoxe d’une telle éducation est le suivant : l’enfant est amené à minorer sa responsabilité par crainte des sanctions, et à s’engager de manière insincère dans les promesses, par espoir d’un bienfait immédiat : « ce n’est pas moi » et « je ne le ferai plus » sont les deux mensonges les plus couramment obtenus dans l’éducation coercitive, et le second est toujours récompensé, lorsque le premier, châtié s’il est découvert, n’incombe finalement qu’à l’éducateur. Il en résulte une règle fondamentale : « Pour la sincérité au moins des plus jeunes, il faut la liberté. […] Plus l’éducation est libre et plus franc est l’enfant » (§ 115). La clef de l’éducation morale est alors le statut de la sanction, car il n’y a pas de sujet éthique sans normes, et car la construction des normes, entendue comme processus herméneutique d’interprétation créative, suppose un traitement pertinent de leurs transgressions. Il affirme dès le paragraphe 63 sa distance avec Rousseau sur ce point :

84

Rousseau n’écrirait pas ce paragraphe ; car il était d’un sentiment très différent. Pour moi je suis de l’avis de Basedow, et comme lui, je ne crois pas que la volonté paternelle puisse et doive prendre les apparences d’un destin.

85 Il convient de replacer l’enfant dans une communauté de parole et de projets, plutôt que de simuler la fiction pédagogique d’une nécessité des choses Ainsi Jean-Paul critique-t-il au paragraphe 115 une sanction préconisée par Rousseau et Kant, sur la question essentielle de l’éducation à la véracité : « … Kant et Rousseau qui punissaient l’enfant menteur en faisant semblant de ne plus croire à sa parole pendant un certain temps. » Les objections de Jean-Paul sont de deux ordres : d’abord son caractère incompréhensible pour l’enfant, dans la mesure où le juge se met lui-même en situation de mensonge, ce que détecte parfaitement l’enfant : « il me croit quoiqu’il s’en défende » ; en second lieu le problème de la « sortie de la sanction » : en vertu de quoi l’adulte peut-il décider le « retour nécessaire de la défiance à la confiance », en l’absence de tout engagement nouveau de l’enfant ? Si cette suspension est arbitraire, la base de la confiance devient aussi arbitraire. La sanction kantienne travaille contre la norme qu’elle entend défendre et restaurer. Pour Jean-Paul, aucune sanction ne doit altérer le fondement de la relation éducative que représente la confiance car il y aurait alors rupture du lien pédagogique. Dans l’exemple cité, il préconise « l’interdiction de parler quand on a mal parlé », car c’est parce que la confiance subsiste qu’il faut la préserver : « si tu n’as pas la force d’être véridique, respecte notre relation, respecte la parole et tais-toi ». C’est un principe que, dans l’éducation, rien ne doive restreindre la franchise.

86 La plus grande difficulté de l’éducation morale, on l’a dit, c’est qu’elle repose sur l’asymétrie. Or une éducation à l’éthique du langage nécessite ce que H.?G. Mead appellera une capacité à l’adoption simultanée de rôles, pour que se construise la Règle d’Or. On peut certes jouer à être un maître avec sa poupée de chiffons, ironise Jean-Paul, mais la poupée, elle, ne répond pas. L’intuition remarquable de Jean-Paul est d’associer l’idée de la construction d’une éthique asymétrique avec la nécessité d’un décentrement prélinguistique. Sa démarche consiste à transformer une simple éthique de la pitié, domaine du sentiment moral, en une éthique de la communication préverbale, dans laquelle l’enfant retrouve une altérité proche de ce qu’il a été :

87

L’enfant reste souvent froid en présence des souffrances de l’animal quand elles ne se révèlent pas à lui par des cris de douleur. […] La souffrance visible devient en augmentant plus proche de l’enfant (§ 118).

88 C’est une intuition que retrouvera Habermas, selon laquelle la base d’une éthique asymétrique, comme celle d’un respect des animaux, provient de la faculté de ceux-ci d’initier des situations d’interaction communicative non verbales [23]. C’est pour cette raison que Jean-Paul y détecte une source fondamentale, non de l’éthique, mais de la possibilité de la construction éthique, et qui est, pour cette raison, un gisement pédagogique de premier ordre :

89

Ceci : apprenez à l’enfant à respecter pieusement toute vie animale, donnez-lui le cœur d’un Hindou plutôt que celui d’un philosophe cartésien. Il s’agit de quelque chose de supérieur à la compassion[24] pour les animaux (mais aussi de cela) (§ 120).

90 Jean-Paul examine précisément la structure d’un tel respect. À travers la forme de vie vulnérable qui tente de communiquer avec lui, l’enfant est amené à comprendre sa propre participation à une totalité dont il est coresponsable. Mais aussi est-il amené à construire une relation purement oblative, analogue à celle de ses parents avec lui, où cette coresponsabilité peut se manifester, identiquement, par la bienveillance et la bienfaisance. Il y aurait sans doute là, si l’on y regardait de plus près, l’expression d’un principe d’indulgence herméneutique qui postule la nécessaire véracité de l’être dont on interprète les signes. C’est ce qui fait que cette « formation à l’amour » ne peut être initiée elle-même que par la bienveillance éducative :

91

Les parents partagent en récompense leur joie par des assentiments laudateurs, leviers pédagogiques dont on n’a pas assez mesuré la puissance. Car les enfants habitués seulement aux ordres et interdictions parentales sont réjouis de la liberté qu’ils ont de pouvoir faire plus et de pouvoir faire reconnaître qu’ils l’ont fait (§ 121).

92 Ainsi le paradigme de l’éducation parentale est-il la clef d’une pédagogie de la réussite.

Gustave et Émile ; conclusion

93 On sait que le personnage de Gustave, que Jean-Paul introduit dans la Loge invisible[25], répond à la fois au Wilhelm Meister de Goethe et à l’Émile de Rousseau. Gustave et Émile sont-ils donc cousins ? Nous pensons, au terme de cette étude, que la position jeanpaulienne s’écarte sensiblement de celle de Rousseau. En ce qui concerne la finalité que l’éducation assigne à l’acte pédagogique, la Levana met l’accent sur un développement du Moi distinct de la pure subjectivité. C’est le thème de l’homme idéal :

94

Chacun de nous a son homme idéal en lui-même dont il s’efforce en secret, à partir de son enfance, d’assurer la liberté et la tranquillité. […] Mais l’homme idéal vient au monde sous l’enveloppe d’un anthropolithe. L’œuvre de l’éducation est d’affranchir de leurs entraves certains membres, en brisant les enveloppes de pierre, afin que les autres puissent s’en délivrer eux-mêmes (§ 26).

95 Cet homme idéal n’est pas une entéléchie, c’est un projet existentiel que tout enfant – tout nouvel être humain – forme à partir de l’interprétation qu’il fait du monde dans lequel il apparaît. C’est en cela que « le monde des enfants renferme tout le monde à venir : en même temps il nous reproduit rajeuni le monde des ancêtres » (§ 1). Là est l’apport singulier de Jean-Paul à la réflexion pédagogique qui consiste en son orientation dans une perspective herméneutique. Et c’est aussi de là que se creuse la différence avec Rousseau : le statut de l’éducation négative. Ce qui est profondément en jeu ici n’est autre chose que le statut d’une communauté éducative, c’est-à-dire du rôle d’une communauté pour l’éducation. L’éducation négative, telle que Rousseau la conçoit dans cette exclusion de la demande sociale, consiste à laisser apparaître la nécessité des choses, seule digue légitime contre le désir de l’enfant :

96

Ce mot : Il n’y en a plus, est une réponse contre laquelle jamais enfant ne s’est mutiné, à moins qu’il ne crût que c’était un mensonge. Émile, Livre II.

97 Or cette nécessité extérieure est une fiction dangereuse selon Jean-Paul, car le monde des choses est d’abord celui des pratiques humaines et des projets de la communauté.

98

Une éducation purement négative serait en contradiction avec elle-même, et avec la réalité à la fois, comme le serait une vie organique toute pleine de croissance et dépourvue de stimulants. Pour éveiller les enfants, Rousseau préfère les choses aux hommes (§ 25).

99 C’est l’étayage social dans l’éducation qui permet le développement de la « nature dans l’homme ». Comme il le remarque avec une acuité saisissante : « Les quelques enfants sauvages qu’on a trouvés avaient reçu une éducation positive des animaux qui les entouraient » (§ 25). Le seul effet d’une éducation négative serait, au mieux, de contraindre chaque enfant à refaire le parcours d’invention et de développement de l’humanité, au pire, de reproduire le modèle organisé et choisi par ses devanciers ; ce que Rousseau voulait précisément abolir. La solution, on l’a vu, est une éducation bienveillante, qui offre à l’enfant l’accès aux œuvres de ses prédécesseurs, matérielles donc spirituelles, afin que, guidé par un étayage attentif, il puisse développer à la fois ses compétences herméneutiques et sa faculté créatrice pour interpréter et réinventer le monde. Ici l’État a une responsabilité unique : « c’est l’État qui peut faire la véritable éducation de l’œil : dans les rues, les temples et les jardins » (§ 146). Or, s’il reste un domaine privilégié par rapport auquel une éducation négative reste pertinente, c’est celui de la « formation à l’amour », car il s’agit là, au contraire, d’élaguer la complexité des relations intersubjectives, de réaliser a minima une base de confiance qui permette à l’enfant de s’orienter dans une entente compréhensive avec autrui :

100

Dans la mesure où on présuppose que la répression de l’égoïsme réfrigérant est un réchauffement pour l’autre, on admet que nous n’avons besoin de rien d’autre pour l’amour que d’une absence d’obstacle (§ 119).

101 La construction du sujet éthique s’opère ainsi dans une communauté vivante, qui est un monde de normes. La Levana insiste fortement à de nombreuses reprises sur la nécessité des règles. Dans l’Émile, parce qu’elles étaient extraites de la nécessité des choses, elles engendraient un réalisme moral contradictoire avec l’idée même d’un contrat social : la volonté de l’adulte « travestie en destin » ne peut favoriser le développement de l’autonomie morale, qui requiert la compréhension de la norme comme résultat d’une discussion intersubjective. Il n’y a pas de développement sans conflit ; le respect et la reconnaissance de principes supérieurs (adultes ou règles) ne s’obtiennent que par la reconnaissance de leur légitimité, ce qui ne peut être le résultat que de l’exercice d’une liberté, dont Rousseau avait montré la voie :

102

Par ce déguisement flatteur [qui dissimule le but des ordres par de joyeux détours], l’enfant apprend à ne connaître aucune règle, aucune discipline (§ 65).

103 L’identification de la rationalité de la norme sera le moteur de ce développement, mais elle doit être une pratique universelle, partagée par les éducateurs : juger l’acte, jamais la personne (§ 67), ne jamais pratiquer de punition positive (imposition du bonnet d’âne par exemple) : « la honte », écrit Jean-Paul, « est un enfer moral sans rédemption » (§ 67). C’est une erreur pédagogique que de contraindre à la rétractation humiliante l’enfant injurieux : car son injure était un acte de liberté du jugement, et ordonner la rétractation, c’est obliger au mensonge, et instrumentaliser la rationalité (§ 67).

104 Enfin, Jean-Paul affirme qu’une règle injuste est préférable à une absence de normes : car une injustice est rationnellement analysable, lorsque l’absence de normes désocialise fondamentalement :

105

L’enfant le plus malheureux et le plus infortuné est un enfant sans règle, élevé dans l’inconstance, irrité et consolé arbitrairement, sans perspective d’avenir, chaque instant étant pour lui une tempête, ne pouvant rien vouloir que la satisfaction du désir immédiat, ballotté entre l’amour et la haine, entre des douleurs qui ne l’endurcissent pas et des joies qui ne le rendent pas plus aimant (§ 127).

106 Le projet pédagogique de Jean-Paul Richter est à l’encontre de cela : un monde où l’enfant soit accueilli comme un hôte nouveau :

107

Un seul enfant sur terre nous apparaîtrait comme une merveilleuse créature angélique étrangère, qui, peu habituée à nos manières bizarres, à notre langage, à l’air que nous respirons, nous regarderait avec une attention muette (§ 157).

108 Pour qu’il se réalise, il est nécessaire que se forment et fusionnent deux communautés. Celle des enfants d’abord : « Une éducation bien conduite trouve sa vraie force, non dans un enfant, mais dans un grand nombre d’enfants réunis » (§ 153), c’est ce qui manquait à Émile. Celle des enfants et des adultes engagés consciemment dans un projet d’éducation, ensuite :

109

Plus les pères s’élèvent au-dessus de leur temps, et par conséquent au-dessus de l’avenir auquel ils confient leurs enfants, plus ils doivent de reconnaissance au passé qui les a formés. Et c’est par les mains de leurs enfants qu’ils doivent présenter leur tribut à leurs ancêtres (§ 157).

110 L’approche herméneutique de l’éducation consiste bien à s’acquitter de la dette que nous avons contractée vis-à-vis de nos devanciers en transmettant leur richesse à ceux qui nous suivent, et c’est aussi en lisant Jean-Paul que Jean-Jacques nous devient plus lisible.

Notes

  • [1]
    J.-P. Richter, Levana oder Erziehlehre [Leipzig, 1885], trad. fr. A. Montadon, Levana ou traité d’éducation, Lausanne, L’Âge d’homme, 1983.
  • [2]
    Cf. P. Szondi, Introduction à l’herméneutique littéraire, trad. fr. J. Bollack, Paris, Cerf, 1989.
  • [3]
    Cf. P. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy, L’Absolu littéraire, Paris, Seuil, 1978, p. 65-67.
  • [4]
    Cf. M. Heidegger, « La fin de la philosophie et le tournant », in Questions IV, trad. fr. J. Lauxerois et C. Roëls, Paris, Gallimard, 1976, p. 143 ; D. Moreau, « Le recueil de soi à l’épreuve de la post-historicité », Horizons philosophiques, vol. 15, no 1, automne 2004.
  • [5]
    P. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy, L’Absolu littéraire, p. 67.
  • [6]
    Cf. F. Schleiermacher, Brouillon zur Ethik, trad. fr. C. Berner, Paris, Cerf, 2003.
  • [7]
    Cf. H.?G. Gadamer, Vérité et Méthode (édition intégrale), Paris, Seuil, 1996, p. 197.
  • [8]
    H.?G. Gadamer, Philosophie de la santé, trad. fr. M. Dautrey, Paris, Grasset et Mollat, 1998, chap. 9 : « Autorité et liberté critique ».
  • [9]
    L. Wittgenstein, De la certitude, trad. fr. J. Fauvé, Paris, Gallimard, 1976.
  • [10]
    C’est nous qui soulignons.
  • [11]
    On trouvera une analyse assez proche chez Schleiermacher. Cf. aphorisme pédagogique no 30.
  • [12]
    Cf. H.?G. Gadamer, Vérité et Méthode, 2e partie, chap. 1, a) « La métamorphose essentielle de l’herméneutique entre les Lumières et le Romantisme ».
  • [13]
    Cf. H. Atlan, Entre le cristal et la fumée, Paris, Seuil, 1979.
  • [14]
    Cette dialectique réceptivité / spontanéité est une des clefs de la pédagogie de Schleiermacher.
  • [15]
    Cf. R. Cousinet, Une méthode de travail libre par groupes, Paris, Cerf, 1949.
  • [16]
    C’est nous qui soulignons.
  • [17]
    F. Schiller, Quinzième Lettre sur l’éducation esthétique de l’homme, trad. fr. R. Leroux, Paris, Aubier, 1992, p. 221.
  • [18]
    Référence à l’ouvrage de Coménius.
  • [19]
    Cf. P. Szondi, Introduction à l’herméneutique littéraire, trad. fr. M. Bollack, Paris, Cerf, 1989, chap. 3 : « Chladenius », p. 31-99.
  • [20]
    H. Jonas, Le Principe responsabilité, trad. fr. J. Greisch, Paris, Cerf, 1993.
  • [21]
    Cf. J.?L. Austin, Quand dire c’est faire, trad. fr. G. Lane, Paris, Seuil, 1970.
  • [22]
    Cf. J. Habermas, Morale et Communication, trad. fr. C. Bouchindhomme, Paris, Cerf, 1991.
  • [23]
    Cf. J. Habermas, De l’éthique de la discussion, Paris, Cerf, 1992, p. 197-199.
  • [24]
    C’est nous qui soulignons.
  • [25]
    J.-P. Richter, La Loge invisible, trad. fr. G. Bianquis, Paris, José Corti, 1965.
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