1La presse pour la jeunesse est une presse de divertissement ou de distraction, mais pas seulement. Au xixe siècle, et au début du xxe siècle, elle est très pénétrée du sens de sa mission. Educative, elle se fixe des objectifs pédagogiques, mais fait aussi œuvre de propagande ou à tout le moins de prosélytisme.
Distraire en instruisant
Le Journal des enfants, octobre 1896
2Récréation
3Jours pluvieux, jours d’automne, vous voilà donc revenus, et, sombres trouble-fête, vous croyez priver mes petites lectrices, mes petits lecteurs, de ces bonnes récréations qui séparent les heures de travail et font paraître celles-ci agréables et bonnes… Non, vous n’empêcherez rien, saison boudeuse, car les récréations en plein air ne sont pas les seules goûtées par mes amis, et je viens bien vite leur indiquer une libre qui les initiera à un doux passe-temps pour les soirées d’hiver.
4Je veux parler de l’art du découpage, que tous nos lecteurs, garçons et filles de six à dix et onze ans, pourront apprendre facilement ; ils verront dans ce bon libre de M. Karl-Robert comment au moyen d’une scie, de limes, de rabots, et de quelques outils accessoires, ils pourront découper de faciles objets d’abord, puis de véritables objets d’art, tels que : cadres, écrans, étagères, et mille autres plus jolis les uns que les autres.
5Que mes lecteurs suivent mon conseil : qu’ils achètent et consultent le livre en question ; ils remercieront alors leur bon ami Pierre de les avoir si bien conseillés.
6L’Ami Pierre.
Distraire, instruire en préparant l’avenir : quand la presse de jeunesse est genrée
Le Petit Monde, journal bi-mensuel pour la jeunesse, s’adresse aux lectrices de Cousine Claire, 15/10/1919
7Mesdemoiselles,
8Vous toutes qui avez apprécié déjà les charmants « Cinq Heures » de cousine Claire, voulez-vous faire avec elle plus ample connaissance ? Si oui, vous trouverez ses conseils éclairés dans la charmante publication « Mademoiselle », revue mensuelle d’ouvrages pour jeunes filles de 12 à 18 ans. Chaque numéro vous apportera des lectures variées : nouvelles, causeries instructives et littéraires, leçons de broderie, très claires et illustrées, enfin, descriptions d’ouvrages permettant une application intelligente des leçons.
9Les abonnés de l’édition complète recevront chaque mois avec leur journal, un ouvrage de broderie dessiné sur tissu et accompagné des fournitures (soie, coton, etc…) nécessaires à l’exécution de la broderie. Une explication détaillée, que viendra compléter un échantillonnage, permettra à toutes les habiletés d’obtenir un succès certain.
10(…) Nota : le journal « Ma Poupée » offre le même programme aux fillettes de 6 à 11 ans.
Distraire, instruire en préparant l’avenir : quand la presse de jeunesse est catholique
Naissance des Annales de la jeunesse catholique, 16/01/1905
11En face des jeunesses laïques, anarchistes et athées, il existe une Jeunesse catholique. Elle vit, elle pense, elle agit. Vraiment jeune, elle entend prendre sa place dans la vie sociale, et ne se désintéresser de rien de ce qui passionne le monde moderne. Vraiment catholique, de cœur et d’esprit, convaincue que l’Eglise détient seule le dépôt de la vérité révélée, c’est du point de vue catholique qu’elle entend juger les événements, les idées, les doctrines.
12Les Annales seront l’expression de sa pensée. Mais la Jeunesse Catholique ne se contente pas de penser, d’étudier, de juger. L’intellectualisme n’a rien qui la séduise » c’est vers l’action qu’elle tourne toutes ses énergies. Grandie au milieu des luttes, arrivant à la vie publique à une heure où, contre le catholicisme, se liguent la haine des sectes, et la stupide inconscience des politiciens, la Jeunesse Catholique veut défendre avec le catholicisme le patrimoine moral de la nation. Elle veut davantage. C’est l’ignorance qui a engendré la haine des foules. C’est parce qu’elles ne connaissent du Christ que les caricatures odieuses de l’anti-cléricalisme qu’elles tendent contre lui leurs poings crispés. A toutes les âmes en quête de vérité et d’idéal, à toutes celles que tourmente l’infini, aux cœurs assoiffés de justice et de paix, la Jeunesse Catholique veut porter la manne divine de l’Evangile.
13Au jour le jour, les Annales diront ses efforts pour la conquête des âmes.
Distraire, instruite et édifier : quand la presse pour enfant suscite des vocations journalistiques
Le Figaro de la jeunesse, 26/11/1909
14L’Echo du Cerf-Volant
15Il serait injuste, dans ce journal de la jeunesse, d’oublier les jeunes journalistes.
16Ils sont plus nombreux qu’on ne pourrait le croire.
17En cinquième, déjà, nous sentons en nous le besoin irrésistible de donner notre avis. Et, un jour, sans hésitation, comme sans crainte, nous fondons notre premier journal. On le recopie en cachette et les abonnés sont les meilleurs abonnés du monde puisqu’ils collaborent. Beaucoup oublieront plus tard le petit journal hebdomadaire du lycée ou du collège ; ils choisiront, heureusement pour eux, une, autre, carrière mais combien d’écrivains, aujourd’hui glorieux, ont débuté de cette manière, qui pensent avec attendrissement à leur premier article.
18Faire un journal, cela ne va pas sans difficultés. On crée une « feuille » et puis la « feuille » tombe. Seulement, elle ne tombe pas en même temps que les feuilles des arbres, lorsque vient l’automne ; elle tombe dès le premier jour des grandes vacances.
19En fait de journal, il ne reste plus que « le journal » que nos sœurs s’en vont. écrire dans leur chambre après le déjeuner et qu’elles ne montrent qu’à leurs amies - et encore en sautant des pages !
20Cependant, il y a à Paris un journal qui s’intitule L’Echo du Cerf-volant, et que les vacances n’ont pas fait disparaître. C’est l’organe officiel des petits aviateurs des Tuileries et du Bois de Boulogne. J’en connais le rédacteur en chef, Il s’appelle Georges, Rouard. Je lui ai demandé, un jour, comment il s’y prenait pour faire vivre son journal. Il m’a répondu :
21- Pour le faire vivre ? C’est bien simple. J’ai trouvé des abonnés. Ils sont aujourd’hui près de cent et je tire à deux cents exemplaires. Il va sans dire que je réalise d’appréciables bénéfices.
22Et comme je m’étonnais qu’il ait un si grand nombre d’amis abonnés à son journal, Georges Rouard m’a déclaré :
23- Ne croyez pas que mes lecteurs soient seulement mes petits camarades. De grandes personnes me lisent. M. Delagrange, le célèbre aviateur que j’ai vu à Reims voler sur un Blériot, figure parmi mes abonnés. Voulez-vous voir la lettre qu’il m’a écrite ? La voici :
24… Je vous fais tous mes compliments, tant pour la façon fort intelligente avec laquelle votre journal est rédigé que pour l’idée poursuivie. Hardi ! Courage ! Vous irez loin et vous réussirez !
Quand la presse pour enfant travaille à la connaissance de l’étranger et forge des mythes…
Le Figaro de la jeunesse, 14/04/1910
25Les Enfants américains
26Les enfants américains sont rarement élevés avec la douceur qui entoure leurs camarades de France. Dès leurs premières années, les parents leur apprennent à se tirer d’affaires tous seuls, et cela, en leur laissant beaucoup de liberté de courir et d’agir à leur guise. Ils ne s’effraient pas de leur voir acquérir de l’expérience même au prix de quelque chute ou de quelque bosse au front.
27Les affaires absorbent en grande partie le papa tout le jour. Il part de bonne heure, et, quand il rentre à midi pour le lunch, ce qui est rare, c’est pour absorber en courant un mince repas et tout de suite repartir à son bureau. Le soir, il est trop fatigué pour s’occuper de ses enfants. Quant à la maman, elle confie le plus souvent à des nurses le soin de ses bébés. Et même quand ils sont déjà ; grands, on les voit peu dans la vie de famille.
28Il n’est pas rare, ce qui ferait tant de peine aux mamans françaises, de voir une mère quitter ses enfants et son mari pour voyager ou s’établir loin de leur pays. On s’amuse même à citer cette maman qui, à son retour, ne pouvait plus reconnaître ses deux petits garçons l’un de l’autre tant ils avaient grandi. Les parents français sont trop tendres pour agir ainsi. Chez nous, l’enfant fait complètement partie de la maison et en est la joie, l’ange béni et familier.
29Les Américains prétendent que cela apprend à leurs enfants à être débrouillards que de les laisser livrés à eux-mêmes. Ils considèrent qu’ils ne leur doivent guère plus que la protection de leurs premières années.
30Les parents cherchent surtout à rendre leurs enfants pratiques. Une maîtresse d’école de Boston me disait que ses petits élèves, garçons et filles, avaient des sommes d’argent à leur disposition et des carnets de chèques avec lesquels ils s’exerçaient entre eux à acheter et à revendre ce dont ils avaient besoin. Chaque soir, ils venaient tous déposer leur petite fortune dans un coffre-fort de l’école. On voulait ainsi les habituer à savoir se servir de l’argent.
31Même pour leurs jouets, si leurs parents sont riches, c’est souvent aux petits à se les procurer. J’ai connu un garçonnet de douze ans qui désirait une bicyclette. La machine coûtait 250 francs, et le père était assez riche pour la lui donner sans se gêner. Mais il lui dit :
32-Si vous voulez cette machine, John, vous la gagnerez vous-même.
33Le petit garçon se gratta l’oreille et réfléchit. Le lendemain soir, il ne rentra pas à la maison pour coucher, ni pour manger. Pensez à la terreur où cette absence aurait mis vos mamans ici. Là-bas, on ne s’en inquiéta pas trop. Seulement, au bout de quelques jours, le père songeait à faire rechercher son fils, lorsqu’en passant dans une rue de Boston, il aperçut un petit garçon poussant une voiture à bras où étaient empilés des cartons de modiste. Le petit était rouge et tout en sueurs, mais paraissait donner tout son cœur à l’ouvrage et savait se garer adroitement des voitures et des trams. Sa petite cape en arrière, il poussait sa voiture sérieusement, comme un homme. Tout à coup, le papa reconnut son fils, un peu maigri. Vous croyez peut-être qu’il le gronda ou fut ravi de le retrouver. Du tout.
34-Bonjour, John, que faites-vous ? lui dit-il tranquillement, comme s’il l’avait vu le matin même.
35-Pa, je gagne l’argent de ma bicyclette.
36-Comment ?
37-J’ai lu sur une affiche qu’une modiste demandait pour 30 dollars (150 fr.) un garçon pour nettoyer le magasin et faire les livraisons, et je me suis présenté. Elle me trouvait trop jeune. Je lui ai dit que je m’engageais pour 25 dollars (125 fr.) et que je l’assurais que l’ouvrage serait bien fait. Elle m’a pris, et, au bout de huit jours, m’a augmenté à 30 dollars (150 fr.). Dans deux mois, j’aurai mes 50 dollars et quelque chose de plus pour mon candy (bonbons).
38Le papa, un industriel aisé, fut satisfait, mais, se ravisant :
39-John, dit-il, et l’école ?
40-J’y vais le soir, pa, après le travail, et je fais mes devoirs aussi le dimanche.
41Ce fait n’est pas rare en Amérique, car il n’y a pas là-bas de sot métier. Beaucoup de millionnaires, comme M. Schwab, ont commencé par cirer les souliers dans de petites boutiques, ou par vendre des journaux dans la rue, comme le riche M. Carnegie.