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Article de revue

Les origines de la presse dans un micro-État européen : le cas d'Andorre

Pages 275 à 279

Notes

  • [*]
    Cet article est issu de l’étude commandée par la Biblioteca Nacional d’Andorra et le ministère des Affaires étrangères, de la Culture et de la Coopération du Gouvernement d’Andorre aux chercheurs du Groupe de Recherche en Journalisme de l’Université Pompeu Fabra. L’objectif principal de cette recherche était de retracer une histoire de la presse d’Andorre de 1917 à 2005. Nous remercions tout particulièrement la Societat Andorrana de Ciències et Diana Figueras Nieto, pour l’aide apportée dans la recherche et la traduction.
  • [**]
    Universitat Pompeu Fabra de Barcelona (UPF)
  • [***]
    Département de Communication Groupe de Recherche en Journalisme (GRP)
  • [1]
    Un micro-État est un État souverain avec une surface ou une population très faible, inférieure à 5000 kilomètres carrés (Sangui : 1981). En Europe continentale, on considère qu’il y a cinq micro-États -Andorre, la Cité du Vatican, le Liechtenstein, Luxembourg, Monaco, Saint-Marin-, qui sont tous membres du Conseil de l‘Europe, à l’exception de l’observateur du Vatican, qui est un invité.
    Cf. définition de Sanguin, André-Louis dans Geografía política, Oikos-Tau : Barcelone, 1981, et «L’Andorre, micro-État pyrénéen : quelques aspects de géographie politique», Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, vol 49, n° 4 (1978), p. 455-474.

1La Principauté d’Andorre, qui est étroitement liée à la France par son statut de co-principauté entre le Président de la République française et l’évêque d’Urgell (Espagne), a des caractéristiques spéciales aux niveaux politique, social et économique. Cette spécificité est particulièrement évidente dans la presse et les médias. La création d’un système de presse dans la plupart des pays a déterminé l’apparition des premières publications périodiques, leur déploiement et leur expansion, et la formation d’un marché journalistique libre et conventionnel. Dans les petits États ou micro-États [1] européens tels qu’Andorre, l’apparition d’un marché des médias présente des caractéristiques différentes par rapport aux grands États européens, du fait surtout d’un décalage temporel évident, puisque dans la majorité des petits États, elle s’est produite beaucoup plus tard. Ainsi, le premier journal de la Principauté d’Andorre remonte à l’année 1917, date chronologiquement très éloignée par rapport à la situation des États voisins, la France (1631) et l’Espagne (1641).

2Les origines de la presse en Andorre ne peuvent être dissociées de l’histoire de certains intellectuels andorrans ayant étudié à Barcelone. De même, certains journalistes travaillant en Andorre sont d’origine catalane. En outre, il faut évoquer l’influence de deux villes françaises dans le développement socio-économique et culturel d’Andorre : Perpignan et Toulouse. La relation constante entre la petite principauté pyrénéenne et les villes du Sud de la France tient en partie ses origines de Catalogne et de la culture occitane, mais surtout de relations économiques et sociales. Toulouse est ainsi devenue, avec Barcelone, une ville de référence pour la société andorrane. C’est dans ce contexte que pendant le xxe et au début du xxie siècles, Andorre a tissé un espace politique unique qui a culminé en 1993 avec l’approbation de la première Constitution andorrane. Le retard de l’apparition de la presse en Andorre peut se comprendre si l’on prend en compte que ce n’est qu’en 1940 qu’apparaît la première imprimerie et que la première Constitution politique, prévoyant la reconnaissance de la liberté d’imprimerie, n’est approuvée qu’en 1993.

3Pour mener à bien cette recherche, nous avons fait une étude approfondie des publications andorranes à partir de l’enregistrement ISSN (International Standard Serial Number) andorran accordé aux publications par la Biblioteca Nacional d’Andorra (Bibliothèque Nationale d’Andorre). En même temps, nous avons fait une enquête approfondie dans les différentes archives françaises et espagnoles mentionnant l’existence de publications andorranes. Nous avons effectué nos recherches dans les lieux suivants, entre autres : Biblioteca Nacional d’Andorra ; Biblioteca de Catalunya (Bibliothèque de Catalogne), Bibliothèque Nationale de France (Paris), Arxiu històric de la Ciutat de Barcelona (Archives de la Ville de Barcelone), Library of Congress (Bibliothèque du Congrès, États-Unis) ; Centre de la Cultura Catalana (Centre de la culture catalane, Perpignan), CIRDOC (Centre Interrégional du de développement de l’occitan, Béziers, Hérault) Bibliothèque Universitaire (Montpellier), Bibliothèque Universitaire Centrale de Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Toulouse-Le Mirail.

4Le nombre total, retenu pour cette recherche, des publications d’Andorre entre 1917 à 2005 est de 112. Ce chiffre est tiré de fonds fournis par la Biblioteca Nacional d’Andorra et a été élaboré à partir de critères historiques et journalistiques.

5La presse contemporaine andorrane ne dispose pas d’un grand nombre de journaux : il faut attendre pour cela les années 1930. En 1917, furent publiés Les Valls d’Andorra, puis il fallut attendre douze ans pour qu’apparaisse le Bulletí de la Societat Andorra de Residents de Barcelona (1929). Dans les années trente, qui coïncident avec la proclamation de la Seconde République Espagnole, paraissent, principalement à Barcelone, dix publications éditées par des Andorrans, qui avait pour but d’informer les émigrés et les habitants des sept paroisses d’Andorre. Il convient de mentionner quelques-uns de ces journaux, tels La Nova Andorra (1932) et Acció Andorrana (1933). 1934 a été particulièrement prolifique avec l’émergence de cinq publications, dont les plus importantes furent El Andorrà (1934), Poble Andorrà (1934) ou Revindicació (1934). À partir de 1936, la guerre civile espagnole ébranla l’édition de la presse basée à Barcelone. La période plus pauvre de la presse andorrane a eu lieu entre 1937 et 1950 : une période sans publications. En 1952 apparut le premier journal entièrement publié en Andorre : Neu : Portaveu de l’Esquí club Envalira (1952), dédié aux sports d’hiver. Il faut remarquer que la première imprimerie andorrane ne fut fondée qu’en 1940 et qu’avant cette date, toutes les publications ont été éditées et publiées à Barcelone, La Seu d’Urgell (Espagne) ou Béziers (France).

6Dans les années 1950-1960, sont nées d’autres publications publiées aussi bien par des associations que par le gouvernement d’Andorre. Elles visaient à promouvoir les atouts touristiques de la Principauté. C’était l’époque ou Andorre reliait une France qui se remettait du bouleversement de la Seconde Guerre mondiale et une Espagne placée sous un régime dictatorial. Sachant que la publication de journaux locaux aurait pu perturber les gouvernements voisins, les tentatives de créer de nouvelles publications ont été quelque peu freinées dans la Principauté, sans compter que la langue officielle (le catalan) était lourdement persécutée en Espagne et ignorée par l’État français.

7Dans les années 1970, commence le processus de professionnalisation de la presse. Les premières entreprises de presse apparaissent et certains journalistes établis dans la Principauté se font un nom. Andorra Magazine (1970) ou Tribuna (1973) ouvrent la voie, ce qui permet peu de temps après la sortie du premier quotidien national en 1974 : Poble Andorrà, qui fut également le premier journal entièrement écrit en catalan après la fin de la Guerre civile en Espagne. Son principal éditeur est Ricard Fité et son premier directeur Antoni Sementé. À l’origine, Poble Andorrà fait appel à un nombre important de journalistes catalans, arrivés de Barcelone. Mais la loi andorrane décrétant que le directeur d’une publication devait avoir la nationalité andorrane, c’est Antoni Sementé qui fut désigné comme directeur. Mais c’est Enric Bastardes, journaliste qui avait travaillé dans le Diario de Barcelona, qui démarre le projet.

8La parution des hebdomadaires Informacions (1975) ou Andorra 7 (1978) contribue à compléter une presse d’information faite par des professionnels. Dans les années 1980 et 1990, le contenu des publications se stabilise et se diversifie. L’émergence de journaux quotidiens comme Diari d’Andorra (1991), Informacions Diari (1991) et El Periódico d’Andorra (1997), ainsi que d’hebdomadaires comme Actual (1993) Andorra Magazine (1993)), permet la consolidation d’un modèle de presse encore en vigueur de nos jours dans la Principauté. L’approbation de la Constitution du pays en 1993 est décisive pour la presse andorrane, apportant les garanties juridiques qui facilitent la professionnalisation des journalistes et des éditeurs andorrans.

9Dans les premières années du xxie siècle, Andorre s’adapte à l’évolution de la société et commence une forte diversification avec l’apparition de publications périodiques spécialisées comme Hàbitats (2000), Solo Fondos (2001), Metre Quadrat (2002) ou La Meva Revista (2005). Plus remarquable encore est le lancement de deux journaux gratuits du lundi au vendredi, Bon dia (2003) et Més Andorra (2004), qui ressemblent aux quotidiens gratuits qui s’étendent dans la plupart des grandes villes européennes au début du nouveau siècle.

10Cette étude a permis de conclure que dans la deuxième partie du xxe siècle un modèle de presse andorran s’est imposé, avec les caractéristiques suivantes : une périodicité assez élevée, mensuelle généralement, un grand nombre de titres spécialisés, principalement dans le tourisme, l’immobilier et de l’économie, et l’utilisation de différentes langues ; ont été recensées jusqu’à six langues différentes dans les publications d’Andorre, bien que le catalan soit majoritaire.

11L’un des aspects les plus originaux de la presse andorrane est l’irrégularité de certaines publications. Les recherches menées ont montré que près de 31 publications se caractérisaient par une grande irrégularité dans leurs dates de parution. Un titre officiellement mensuel pouvait par exemple sortir un numéro tous les deux mois, puis à un moment donné paraître quatre mois après. Ce manque de régularité est constant dans toutes les périodes analysées. Il a été constaté que de nombreuses publications, après des tentatives ratées pour respecter leur périodicité, avaient changé de fréquence de parution voire suspendu leur publication.

12Par ailleurs, le nombre de journaux quotidiens est remarquable dans un petit pays comme Andorre, qui dispose actuellement de quatre journaux quotidiens (deux payants et deux gratuits) : une situation similaire à celle du Luxembourg qui compte plus de cinq quotidiens, payants ou gratuits. Les autres micro-États n’ont un seul journal, tels le Liechtenstein et Saint-Marin, Monaco ne possède pas de quotidien, et le Vatican publie un journal spécial tourné vers l’ensemble du monde catholique, L’Osservatore Romano. En conséquence, un système de presse comme celui d’Andorre n’est comparable qu’à celui du Luxembourg, petit État plus important par sa population et sa situation territoriale.

13En ce qui concerne la législation sur la presse dans la Principauté d’Andorre, on notera que les décrets et ordonnances des autorités d’Andorre du Consell General (Parlement andorran) ou Viguiers (représentants des Coprinces français et épiscopal) naissent généralement d’un conflit lié à la publication de certaines informations dans la presse locale ou étrangère. Ce n’est qu’après l’approbation de la Constitution en 1993 que l’on a pu commencer à légiférer sur le droit à l’information en Andorre.

14En réalité, compte tenu de son jeune âge, l‘histoire de la presse d’Andorre est avant tout l’histoire de sa naissance et de sa consolidation : un processus qui, émaillé d’incidents, jette un pont entre, d’une part, la présence ancienne de correspondants et des chroniqueurs andorrans dans la presse et la radio espagnole et française et, d’autre part, l’apparition et le développement de la télévision et d’Internet. La création d’un système de presse, dans la plupart des pays, est caractérisée par l’apparition des premières publications périodiques, leur déploiement et leur expansion, ainsi que la formation d’un marché journalistique libre et concurrentiel. Aujourd’hui, on peut considérer que ce processus est bel et bien accompli dans la Principauté d’Andorre.

Bibliographie

  • - (2002). Mitjans de comunicació a Andorra : publicacions periòdiques, mitjans radiofònics, mitjans audiovisuals. Andorra : Àgora Cultural.
  • Guillamet, Jaume (1975). La nova premsa catalana. Barcelona : Edicions 62.
  • Pont, Carles i Guillamet, Jaume (2009). Història de la premsa andorrana : 1917-2005. Andorra la Vella : Govern d’Andorra.
  • Sorribes, Rosa Maria. (2002). « Evolució de la premsa a Andorra », dans Els mitjans de comunicació, realitat i objectius : Setenes Jornades de la Societat Andorrana de Ciències. Andorra : Societat Andorrana de Ciències. p. 21-28.
  • Valls, Àlvar. (2002). « Notes sobre la llibertat d’expressió i d’informació a Andorra » dans Els mitjans de comunicació, realitat i objectius : Setenes Jornades de la Societat Andorrana de Ciències. Andorra : Societat Andorrana de Ciències. p. 83-90.

Date de mise en ligne : 29/06/2012

https://doi.org/10.3917/tdm.018.0275

Notes

  • [*]
    Cet article est issu de l’étude commandée par la Biblioteca Nacional d’Andorra et le ministère des Affaires étrangères, de la Culture et de la Coopération du Gouvernement d’Andorre aux chercheurs du Groupe de Recherche en Journalisme de l’Université Pompeu Fabra. L’objectif principal de cette recherche était de retracer une histoire de la presse d’Andorre de 1917 à 2005. Nous remercions tout particulièrement la Societat Andorrana de Ciències et Diana Figueras Nieto, pour l’aide apportée dans la recherche et la traduction.
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    Universitat Pompeu Fabra de Barcelona (UPF)
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    Département de Communication Groupe de Recherche en Journalisme (GRP)
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    Un micro-État est un État souverain avec une surface ou une population très faible, inférieure à 5000 kilomètres carrés (Sangui : 1981). En Europe continentale, on considère qu’il y a cinq micro-États -Andorre, la Cité du Vatican, le Liechtenstein, Luxembourg, Monaco, Saint-Marin-, qui sont tous membres du Conseil de l‘Europe, à l’exception de l’observateur du Vatican, qui est un invité.
    Cf. définition de Sanguin, André-Louis dans Geografía política, Oikos-Tau : Barcelone, 1981, et «L’Andorre, micro-État pyrénéen : quelques aspects de géographie politique», Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, vol 49, n° 4 (1978), p. 455-474.

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