Notes
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[*]
Directrice de recherche CNRS, Directrice du laboratoire Communication et Politique.
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[1]
Monique Dagnaud, L’État et les médias, Paris, Odile Jacob, 2000, p. 120.
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[2]
Texte de sa conférence, « Race et culture », présentée en 1971 à l’Unesco, C. Lévi-Strauss, De près et de loin, Paris, Points, Seuil, 1990, pp. 206-207.
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[3]
Texte de Thorez cité par de Laurent Marie, Le cinéma est à nous : le PCF et le cinéma français de la Libération à nos jours, L’Harmattan, 2005, p. 69.
-
[4]
Elie Cohen, « L’exception culturelle », Le Monde des Livres, février 2002.
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[5]
Voir Régine Chaniac, Jean-Pierre Jézéquel, La Télévision, Paris, La Découverte, coll. Repères, 2005.
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[6]
Voir plus loin le volume de fiction diffusé selon les pays européens.
-
[7]
Isabelle Veyrat-Masson, Quand la télévision explore le temps. L’histoire au petit écran (1953-2000), Paris, Fayard, 2000.
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[8]
Michel Souchon, La Télévision et son public 1974-1977, La Documentation française, Paris, 1978.
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[9]
Philippe Urfalino, « De l’anti-impérialisme américain à la dissolution de la politique culturelle », Revue française de science politique, Année 1993, Volume 43, Numéro 5, p. 823-849, p. 825.
-
[10]
UNESCO 1973-1983 : Tapio Varis, International Flow of TV Programms, cf. A Lange et JL Renaud, 30 % des programmes de TV européens sont importés, dont 40 % viennent des USA. France : 17 % (en prime time) (1973 : 9 %). Si on ramène ces chiffres à la part de fiction c’est évidemment plus important.
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[11]
Régine Chaniac et Jean-Pierre Jézéquel, Télévision et cinéma. Le désenchantement, Paris, Ina/Nathan, coll. Médias-Recherches, 1998, p.136.
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[12]
Chaniac, Jézéquel (2000) op. cit., p. 139.
-
[13]
Pour certains, ce concept reviendrait à Jacques Rigaud.
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[14]
DDM DIRECTIVE 89/552/CEE (Journal officiel n° L 298 du 17/10/1989 p. 0023/0030) du Conseil du 3 octobre 1989 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle, modifiée par la directive 97/36/CE du Parlement européen et du conseil du 30 juin 1997.
-
[15]
Le Compte de soutien à l’industrie des programmes audiovisuels (COSIP) est géré par le Centre national de la cinématographie (CNC) qui collecte une taxe sur les recettes des salles de cinéma et sur le chiffre d’affaires des chaînes de télévision et sur la vidéo. Ces ressources sont redistribuées à des producteurs ou à des auteurs, pour aider au financement des films de cinéma et des œuvres audiovisuelles. Cette aide a été créée en 1948 pour le cinéma et, en 1986, elle a été étendue à la télévision. En 2005 le Compte de soutien se répartissait ainsi : sur 468 millions d’euros, (hors frais de gestion) 46 % était pour l’audiovisuel (214 millions) et 54 % pour le cinéma (254 millions).
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[16]
Cf « Mission de réflexion et de médiation sur la rediffusion des fictions françaises sur les chaînes de télévision », Rapport au Ministre de la Culture et de la Communication. Présenté par Raphaël Hadas-Lebel, Président de Section au Conseil d’État, mai 2006.
-
[17]
M. Dagnaud, op. cit. p. 112.
-
[18]
Tout ne s’explique évidemment pas par « un paramètre aussi sujet à caution que leur « qualité » ni par une cause unique qui serait le développement d’une niche particulière par la chaîne américaine à péage HBO. » pour citer E. Maigret, G Soulez, MédiaMorphoses, janvier 2007, p. 8 ; cette chaîne est symbolique d’une certaine politique. Il n’est pas question ici de réfléchir aux séries américaines, à leur contenu et à leur production.
- [19]
-
[20]
Le numéro hors-série de MédiaMorphoses, de janvier 2007 cité plus haut et dirigé par deux professeurs d’Université (E. Maigret, G. Soulez) s’intitule : « Les raisons d’aimer les séries télé » et le titre de l’introduction en forme de clin d’œil : « Comment peut-on encore ne pas regarder les séries télévisuelles ? » (G Jacquinot)…
- [21]
-
[22]
Rapport CNC, La diffusion de la fiction à la télévision, Année 2008 (Publication avril 2009), p. 5.
1Très vite, la France de Lumière et de Pathé a vu reculer l’influence de son industrie cinématographique dans le pays d’Edison, cet inventeur-homme d’affaires. Très vite, les Pathé et les Gaumont se sont retrouvés sur la défensive face à l’irrésistible conquête du monde par Hollywood. Expliquer cette évolution par l’« impérialisme américain » permet, il est vrai, de mettre l’accent sur l’agressivité des méthodes commerciales des États-uniens mais c’est cacher l’essentiel : le goût jamais démenti des spectateurs du monde entier pour la fiction américaine, pour le savoir-faire incomparable des Américains en matière de divertissement. Or, contrairement à ce qu’avaient imaginé ses inventeurs, c’est grâce à la fiction et à son pouvoir distrayant que le cinéma triomphe universellement.
2À partir des années trente, l’industrie culturelle américaine domine ainsi partout dans les salles et malgré les critiques jamais lasses des intellectuels et des prophètes, elle trouve, après la deuxième guerre mondiale, un débouché naturel sur les petits écrans du monde entier. Avec l’apparition de la télévision, la guerre entre Pathé et Edison trouvera bien des prolongements. Les conflits industriels et économiques de l’avant-guerre entre les magnats du cinéma à propos des brevets et des parts de marché se transforment dès lors en antagonismes culturels. Au moins d’un côté : du côté de l’Europe.
3Avec la Seconde Guerre mondiale, les Américains ont pris une longueur d’avance sur les Européens en termes de production de programmes de télévision. Quelles différences en effet, au début des années 1960, entre le touchant Thierry la fronde et l’implacable Eliott Ness ! Décors en carton-pâte, scénarios affligeants et acteurs maladroits pour le feuilleton français, riche production, maîtrise du jeu et récits haletants pour la série américaine… La fronde du jeune homme en collant contre la mitraillette de l’homme au chapeau mou est une arme bien légère…
4Le succès des productions américaines marque dès les années cinquante, le signal précoce des menaces qu’elles feront courir à la télévision tricolore. L’histoire de la télévision française est dès lors scandée par les mesures d’indépendance prises, essentiellement au niveau politique, contre l’hégémonie des programmes américains. L’histoire de la télévision française est aussi marquée par la course poursuite – inégale du point de vue des moyens et du savoir-faire – entre une production française, dont la grande force repose sur une préférence du public pour les thèmes nationaux, et une production américaine qui parvient à reconquérir systématiquement son hégémonie, malgré « l’alliance entre les grands acteurs privés et le pouvoir politique [1] » français, en se renouvelant régulièrement et en améliorant avec constance la qualité de ses productions.
5Commençons par évoquer les politiques françaises – soutenues par la droite comme par la gauche – de contrôle des importations américaines d’images et de protection des écrans. Initiées bien avant l’arrivée de la télévision, à propos du cinéma, ces politiques invoquent l’intérêt supérieur, la préservation de l’identité nationale et le respect des valeurs nationales, sans craindre d’agir à contre-courant du goût populaire, du choix des spectateurs toujours très nombreux à choisir des images venues d’outre-Atlantique ; les créateurs, eux-mêmes pétris pourtant de références étrangères et souvent influencés par la culture de masse américaine, soutiennent avec détermination les mesures de protection décidées en leur nom et souvent sous leurs pressions. Claude Lévi-Strauss théorise ce paradoxe de la culture audiovisuelle : « Chaque culture se développe grâce à ses échanges avec d’autres cultures. Mais il faut que chacune y mette une certaine résistance, sinon, très vite, elle n’aurait plus rien qui lui appartienne en propre à échanger. L’absence et l’excès de communication ont l’un et l’autre leur danger [2] ».
Il est vrai que la puissance de l’industrie culturelle américaine est impressionnante et que le risque qu’elle submerge les cultures nationales n’est ni infondée ni sans gravité. Les statistiques, études et rapports internationaux constamment effectués depuis quarante ans ne cessent de le confirmer qu’il s’agisse des informations, des jeux et surtout de la fiction (films et séries télévisées). C’est de ce dernier genre qu’on traitera essentiellement dans cet article, non seulement parce que la fiction constitue en nombre la majorité des programmes américains importés, mais également parce que c’est bien à travers elle que les valeurs, modes de vie et comportements qui réfèrent à l’identité sont véhiculés.
Le cinéma et la télévision ne sont pas que des techniques
6Après la guerre, où un conflit au moins, celui qui opposait le cinéma français au cinéma américain avait été mis entre parenthèses, Maurice Thorez, secrétaire général du Parti Communiste, pose la question telle qu’elle se présente alors : « Le cinéma français est dans une situation désespérée (…) L’Humanité a publié des chiffres qui disent la ruine de nos industries nationales et le triomphe de ses concurrents américains. Ayant obtenu des visas de censure dans le premier trimestre 1946 : 38 films américains et 46 films français ; dans le deuxième semestre 1946 : 145 films américains et 46 films français, et dans le premier semestre 1947 : 338 films américains et 55 films français. Mais la question n’est pas seulement celle du profit réalisé par les Américains et de la ruine et du chômage, de la misère qui frappe les artistes, les musiciens et les travailleurs des studios français. Il faut y voir un aspect de la préparation idéologique, à laquelle les Américains soumettent les peuples qu’ils se proposent d’asservir. C’est une entreprise de désagrégation de la nation française, une entreprise de démoralisation de nos jeunes gens et de nos jeunes filles avec des films abêtissants où l’érotisme le dispute à la bondieuserie, où le gangster est roi ; ces films ne visent pas à préparer une génération de Français conscients de leurs devoirs envers la France, envers la République, mais un troupeau d’esclaves écrasés par le « Talon de fer » [3]. Ce texte annonce les trois volets qui organiseront toutes les « croisades » contre l’envahissement des images américaines au cinéma puis à la télévision : la question économique compte certes mais elle est secondaire au regard de ce qui se joue véritablement : la préservation de notre identité nationale, de nos valeurs, de nos modes de vie, d’une part, et le rejet d’une culture abâtardie et dégradante, d’autre part. « Personne ne nie que la langue, les œuvres de l’esprit et par conséquent les industries culturelles, forment le noyau dur de l’identité nationale. Il semble légitime de défendre la création, de soutenir la diversité et la pluralité de la production audiovisuelle, de protéger l’industrie nationale de programmes » [4] explique encore en 2002 l’économiste Élie Cohen…
Les accords signés le 28 mai 1946 entre le président du Conseil Léon Blum, assisté de Jean Monnet, et le Secrétaire d’État des États-Unis James F. Byrnes marquent à la fois la première victoire de la fabrique d’images américaine et la première tentative pour en limiter le poids. D’un côté en effet, la France accepte d’ouvrir ses portes aux produits américains contre l’effacement de 2,8 milliards de dettes et un crédit supplémentaire de 500 millions de dollars, et de l’autre, les distributeurs sont obligés de réserver 4 semaines par trimestre à l’exploitation des films français de première exclusivité. Ce qui suit ce traité, négociations et combats menés par les professionnels du cinéma, a été dit plus haut par L’humanité. En 1948, les défenseurs du cinéma français obtiennent le vote d’une loi instaurant un « fonds de soutien » à l’industrie cinématographique. Le fonds est alimenté par le prélèvement d’une fraction de 10,9 % du prix du billet dite TSA (Taxe supplémentaire additionnelle) ; l’argent est ensuite redistribué au secteur de la création. L’avance sur recettes en 1959 perfectionne le système d’aides en introduisant des critères de qualité [5]. Le système progressivement perfectionné, reposant sur 1/ une définition de l’œuvre audiovisuelle, 2/ des obligations de diffusion, 3/ des obligations de production, 4/ une haute autorité de contrôle, 5/ un soutien à la production (Cosip géré par le CNC mis en place depuis 1986 sur le modèle de ce qui existait pour le cinéma depuis 1948) s’est maintenu jusqu’à aujourd’hui et est encore considéré comme le garant de la survie du cinéma français. Les résultats en matière de production audiovisuelle sont en revanche plus contestés [6]. Ainsi en ce qui concerne les exportations audiovisuelles, comme le montre le graphique ci-dessous, la production audiovisuelle française reste entre 1997 et 2001 très inférieure à celle de la Grande-Bretagne.
Origine des programmes de fictions européennes diffusées par les chaînes de télévision d’Europe occidentale (1997-2001)
Origine des programmes de fictions européennes diffusées par les chaînes de télévision d’Europe occidentale (1997-2001)
(en heures de diffusion)Deux modèles de télévision
7Le cinéma a trouvé avec l’arrivée de la télévision un concurrent mais, sur bien des aspects, un support. Les raisons de la concurrence sont évidentes, les intérêts objectifs que cinéma et télévision ont en commun sont plus compliqués. Leur politique commune d’indépendance à l’égard des images américaines en est un ; c’est ce point qu’on abordera ici. A la question de la limitation des programmes de télévision importés des États-Unis et aux questions d’identité nationale que poserait un rapport disproportionné entre la place de programmes français et étrangers sur nos écrans s’ajoute la relation de la France à la culture populaire, dépourvue, dans notre pays, de toute légitimité. Les différences entre les deux modèles de télévision en sont une illustration.
8Les télévisions américaine et européenne se sont développées avec des objectifs différents et ont construit deux modèles presque opposés. Ces dissemblances expliquent – plus qu’elles ne justifient – la méfiance teintée de mépris pour ce qui vient d’outre-Atlantique. Distraction, (to entertain) et rentabilité sont les credo des télévisions privées américaines. Pour les télévisions européennes, informer et cultiver précédent distraire dans la trilogie qui les surplombe. On parle de fonction « pédagogique » du média, les responsables de la télévision française arguent de leur responsabilité, du rôle de lien social du petit écran, de sa vocation culturelle et patrimoniale. Ces caractéristiques justifient dès lors les fictions sérieuses, lentes, sociales, les adaptations d’œuvres littéraires du panthéon culturel, les émissions à caractère historique [7] ; dans les trente premières années de la télévision, elles expliquent ces documentaires et magazines graves que la télévision diffuse alors aux meilleures heures. Quand elle cherche à développer des émissions de distraction, elle se fait sermonner. Une audience forte est synonyme de vulgarité. Des hauts fonctionnaires dirigent, naturellement, ces haut lieux de l’industrie culturelle.
9La télévision américaine ne connaît évidemment pas cette contrainte paradoxale sous laquelle vit notre petit écran.
10La télévision française est non seulement « engoncée » dans une série de responsabilités, elle est aussi entravée par un contrôle politique tatillon qui ne se contente pas d’intervenir sur les programmes directement politiques.
11Les États-Unis exportent leurs fictions décomplexées, séries et feuilletons, leurs dispositifs populaires de jeu et de variétés. Les Zorro, les Incorruptibles et autres Rintintin font les belles heures des téléspectateurs des années 1960 et suivantes.
Et pourtant la télévision française ne bénéficie pas (contrairement à la BBC) en termes de légitimité, des ardents principes qui la contraignent. Son manque de légitimité dans l’espace culturel est total ; en tant que média, elle appartient à la « masse » indifférenciée des téléspectateurs dont on dit (encore aujourd’hui) que leur cerveau n’est pas plus actif qu’un dormeur. Ses auteurs n’existent pas dans l’espace public, où cinéastes et producteurs de cinéma se pavanent. Souvent les moyens manquent.
« Dallas ton univers impitoyable »… pour la fiction française
12L’éclatement de l’ORTF en 1974 en instaurant une concurrence non pas farouche mais certaine et surtout d’un nouveau type apporta, il faut le reconnaître, une certaine ouverture, un air frais, mais, comme Michel Souchon l’a montré, il ne provoqua pas ce que l’on appellera plus tard un « mieux-disant culturel ». La concurrence entre les chaînes ne se manifeste pas en effet par la mise en production de programmes de télévision ambitieux, au contraire. On observe à partir de cette période une progression des émissions populaires, jeux, magazines, émissions de variétés, sinon en volume, du moins aux heures de grande écoute, en première partie de soirée, et on constate également une baisse des émissions « de culture et de connaissance » qui passent de 22 % en soirée en 1973 à 17 % en 1978 [8]. La durée de diffusion s’allonge dans l’après-midi. Les coûts de production augmentent tandis que l’attention au ratio audience/prix des programmes s’impose aux nouveaux responsables des médias. La fameuse « télévision de compagnie » - des invités, un animateur et des « causeries » - s’installe dans les foyers français. Commence alors ce que Régine Chaniac a appelé « la traversée du désert » de la production française.
13Les programmes américains, déjà amortis sur leur marché intérieur s’engouffrent sur les petits écrans. Pour les téléspectateurs, le plaisir de découvrir la fiction américaine ne diminue pas. Bien sûr, on pense au joyeux Starsky et Hutch, ses voitures et ses « créatures ». Toutefois, Holocauste en 1978 ou Roots révèlent que la production américaine est aussi capable de traiter des sujets essentiels. C’est cependant Dallas qui devient en 1981 le symbole du savoir-faire américain, de son pouvoir sur les esprits et de la suprématie des États-Unis sur les médias de masse.
Les conséquences de cet engouement pour les programmes américains – ils obtiennent systématiquement les meilleures audiences - sont nombreuses. Il provoque tout d’abord un phénomène de suivisme. Essayons de faire comme eux ! Les copies de Dallas, tels Châteauvallon et autres sitcoms du type de Maguy se multiplient sans toujours atteindre l’objectif. Dans La Roue de la fortune, seuls l’animateur et les candidats sont français. L’émission pour les enfants 1 rue Sésame est une simple traduction de Sesame Street. Le plus souvent, les chaînes se soumettent devant le triomphe quasi planétaire des programmes américains : les importations de programmes venus de l’autre côté de l’Atlantique sont considérables et leur succès ne se dément pas ; jusqu’à une sorte de sursaut national mené par les socialistes au pouvoir depuis peu.
Navarro contre J.R.
14L’antiaméricanisme a fonctionné longtemps à gauche comme une construction idéale et cimentante d’un adversaire à la fois trop puissant pour qu’il se fâche réellement contre la mouche qui pique son flanc et trop généralement révéré pour qu’il y croit vraiment. Le général de Gaulle en avait fait l’expression du refus du déclin français, les communistes avaient stigmatisé le symbole du capitalisme et les socialistes choisissent d’en dénoncer l’impérialisme culturel. Pour Philippe Urfalino (1993) l’« anti-impérialisme américain » des socialistes a joué un rôle fondamental dans sa prise de pouvoir et dans son maintien ; non seulement il apparaît, pour lui qu’« une représentation de l’adversaire issue du Parti socialiste a bien influencé la politique culturelle [9] » du nouveau gouvernement qui s’installe en 1981 mais il ne fait pas de doute pour cet auteur que la reprise à son compte d’un anti-américanisme traditionnellement du ressort du Parti communiste a été pour le PS une manière de vider le PCF d’une partie de sa substance. Les différentes manifestations culturelles organisées par Jack Lang, nouveau délégué national à la culture, et ses actions destinées à se rapprocher des créateurs, traditionnellement proches des communistes, ont joué le même rôle. Les actions allant dans ce sens se multiplient : les Assises européennes pour le cinéma et l’image d’Hyères en 1980 affirment vouloir « échapper à la loi du profit et à l’américanisation de la culture ». Le PS refuse d’assister au festival du film américain de Deauville en 1981. Le discours de Mexico de Jack Lang en juillet 1982 à l’occasion de la seconde « Conférence mondiale de l’Unesco sur les politiques culturelles » est le point d’orgue de ces dénonciations successives de la « domination culturelle américaine ». Le rapport Mac Bride sur la circulation internationale de l’information déposé le 25 octobre 1980 à Belgrade n’avait pas eu au pays de l’Agence France Presse le retentissement dont il a bénéficié dans d’autres contrées pour qui la communication à sens unique était évidente. En revanche, le discours de Mexico dénonçant « l’invasion, la submersion d’images fabriquées à l’extérieur »… « ces images qui rabotent les cultures nationales et véhiculent un mode unique » trouve un excellent retentissement. À Mexico, Jack Lang s’interroge en effet : « nos pays sont-ils des passoires et doivent-ils accepter sans réagir ce bombardement d’images ? Notre destin est-il d’accepter de devenir des vassaux de l’immense empire du Profit ? ». Malgré la réponse forcément négative, le petit écran ne voit en aucun cas diminuer les séries américaines [10] dans les années qui suivent.
En revanche, la multiplication des heures de programme (11 000 heures en 1984, 44 000 en 1987) et la privatisation de la Une sont à l’origine d’un effort visible pour produire des fictions françaises. Entre 1983 et 1993, le volume horaire de la fiction française est multiplié par 5, l’offre totale passe de 19 à 30 % de l’offre totale. Commence le règne de la fiction française en série avec héros récurrent, genre dont la série Navarro reste emblématique, produit dans des conditions proches de celles du cinéma de série B (films de genre, auteur collectif, toute puissance du producteur, rationalisation des méthodes de production). Citons les chiffres frappants rassemblés par Régine Chaniac et Jean-Pierre Jézéquel, « en 1983, le volume de production originale produite se montait à 418 heures et en 1986 à 475 heures, soit un niveau encore inférieur à celui de l’ORTF ». En 1988, (démarrage amorcé deux ans plus tôt), les 5 chaînes nationales en clair, diffusaient 1068 heures de fiction inédite et 1445 l’année suivante [11]. L’échec de la Cinq, sept ans à peine après sa naissance, (dépôt de bilan le 31 décembre 1991), chaîne privée dont la programmation reposait sur les séries américaines, confirme que « des produits industrialisés à bon marché (Jack Lang) » américains ne suffisent pas pour développer une chaîne généraliste et met (pour un temps seulement) les rediffusions d’anciennes séries américaines au rebut. Les fictions françaises de télévision détiennent dès lors jusqu’à très récemment (à quelques exceptions près) les meilleures audiences du prime time : « à la différence de ce que l’on pouvait observer une dizaine d’années plus tôt, le palmarès des cinquante meilleures audiences de l’année 1995 recensait ainsi vingt et une fictions françaises (…) on ne retrouvait que neuf films de cinéma dont quatre seulement était français [12] ».
Nombre de fictions dans le palmarès des 50 meilleures audiences de fiction en première partie de soirée
Nombre de fictions dans le palmarès des 50 meilleures audiences de fiction en première partie de soirée
Graphiques réalisés à partir du livre de R. Chaniac, 199815Ces graphiques montrent le succès des productions audiovisuelles françaises (1), le déclin des films français (2) et dès lors le maintien de la fiction américaine (films + fictions TV) dans le palmarès des meilleures audiences (3) entre 1986 et 1996.
16À l’échelle européenne, les conséquences du discours de Mexico sont importantes. Y sont en effet décidées, les premières mesures destinées à protéger la télévision contre l’« invasion » des programmes américains. En 1985, lorsque Jacques Delors prend la tête de la Commission européenne et qu’il développe l’idée d’une « exception culturelle [13] » touchant les biens de l’esprit en partant du principe qu’il ne s’agit pas de « marchandises comme les autres » et qu’il est donc nécessaire de les exclure des règles du libre-échange total, il peut se prévaloir de plusieurs antériorités. Cette notion avait été soulevée en effet pour les films en 1947 puis en 1981 pour le livre au cours d’un débat qui avait débouché sur la Loi du 10 août 1981 (« Loi Lang ») imposant le prix fixe du livre quels que soient le lieu et la période de l’année.
En 1989, après 4 ans de négociations difficiles destinées à rendre compatibles les règles du commerce international avec les spécificités des productions culturelles, la Commission adopte la directive « Télévision sans frontières [14] ». Cette « voie européenne » en matière d’échanges audiovisuels prévaut toujours aujourd’hui ; elle légitime les mesures de promotion des œuvres télévisées communautaires et nationales au regard du droit communautaire. Des quotas en matière de diffusion audiovisuelle sont prévus. La France fixe ainsi un quota obligatoire de diffusion sur ses chaînes de 60 % d’œuvres européennes dont 40 % pour des œuvres d’origine linguistique française.
Entre TF1 et Arte
17La télévision qui se dessine à la fin des années 1980 est bien différente de celle issue de l’ORTF. Ouverte largement aux chaînes privées, elle ne ressemble pas pour autant au modèle américain. Non seulement les nouvelles chaînes privées ont gardé de leur passé un certain sentiment de responsabilité, quelques exigences dont témoignent l’indéniable qualité du journal de TF1 ou la diffusion de programmes ambitieux comme la série Shoah, elles sont également « tenues » par quelques contraintes d’intérêt général. En outre, le paysage audiovisuel français s’est vu enrichi en 1992 d’une télévision culturelle franco-allemande diffusée en clair sur les ondes hertziennes, Arte, puis d’une chaîne de la connaissance, la Cinquième, en 1994, toutes deux naturellement réfractaires aux produits de la sous-culture américaine. En revanche, les chaînes câblées qui se sont multipliées au début des années 1990 diffusent largement la production américaine plus ou moins récente, certaines chaînes comme Canal Jimmy, se sont même spécialisées dans ce type de programme.
18Les mesures d’audience de plus en plus sophistiquées confirment alors que les téléspectateurs préfèrent la fiction télévisée française non seulement aux films du commerce mais également à la fiction américaine (cinéma ou télévision). Les Navarro, Julie Lescaut, ou autres Mercredi de la vie célèbrent en prime time le mode de vie français, les tracas et les amours « bien de chez nous ». Plusieurs millions de téléspectateurs ne manqueraient pour rien au monde Sous le soleil le samedi après-midi. Les inépuisables Feux de l’amour ou Melrose Place sont cantonnés dans le creux des après-midi.
19La situation dans les salles de cinéma est différente et les parts de marché des films français ne cessent de reculer devant ce qu’on appelle dorénavant les blockbusters américains. Le cycle de l’« Uruguay round » qui débute en 1986 apparaît comme une machine de guerre américaine destinée à parfaire leur conquête des écrans grands et petits. Le puissant Jack Valenti, président de la Motion Picture Association of America, mène l’attaque contre les politiques nationales et européennes de soutien à l’audiovisuel. La France en particulier a mis en effet au point un système d’aide automatique à la production audiovisuelle (Compte de soutien COSIP [15]), renforcé par une aide sélective attribué sur des critères de qualité (Avance sur recettes). L’existence des quotas, comme on l’a vu plus haut, constitue le troisième pilier de ce puissant système de soutien à l’industrie française d’images animées. Les chaînes de télévision comme contributrices financières et premières clientes de cette industrie sont étroitement mêlées à cette logique « souverainiste ».
20Le 15 avril 1994 à Marrakech marque la fin de l’« Uruguay round ». Les ministres des 117 pays membres du GATT signent un accord où il n’y a ni vainqueur ni vaincu. En effet, l’Europe a réussi à ne prendre aucun engagement sur la libéralisation du secteur audiovisuel et les Américains ont maintenu le secteur audiovisuel dans l’Accord sur les services (AGCS).
21La bataille est finie, mais la guerre continue. À l’intérieur, les différents ministres de la communication, qu’ils soient libéraux comme Alain Carignon déclarant le 16 juillet 1993 « une heure de programme de télévision française sur deux est d’origine américaine. Cela suffit ! » ou socialiste comme Catherine Tasca, ont soutenu avec fermeté cette « exception culturelle » obtenue de haute lutte. Pourtant, elle est rediscutée à intervalle régulier, à l’aune, d’une part, des changements techniques et commerciaux et également en fonction de son efficacité. Dès lors, la pression se maintient et les négociations sur le commerce international (GATT puis OMC) se succèdent, Hollywood maintenant sa pression pour que les frontières déjà bien ouvertes disparaissent. En effet, la question est d’importance pour les États-Unis ; avec 8 milliards de dollars exportés, l’audiovisuel représente dans ce pays le second poste d’exportation après l’aéronautique.
Les partisans du libre-échange trouvent une nouvelle tribune en avril 1995 à l’occasion des négociations sur l’accord multilatéral sur l’investissement (AMI) dans le cadre de l’OCDE. Minoritaire dans ses positions protectionnistes, le gouvernement français choisit de se retirer de la négociation. En 1999, c’est la Commission européenne elle-même qui demande à ses représentants de soutenir la « diversité culturelle » pendant les négociations commerciales de l’OMC. L’Europe fait donc front commun. Pour quels résultats ?
Origine des programmes de fiction importés diffusés par les chaînes de télévision en Europe occidentale (1994-2001)
Origine des programmes de fiction importés diffusés par les chaînes de télévision en Europe occidentale (1994-2001)
22Le graphique de la page précédente est parlant. Malgré les mesures de protection de l’industrie audiovisuelle, la part de programmes américains n’a cessé d’augmenter. (Si l’augmentation semble marquer le pas en 1999-2000 cette relative diminution est compensée par l’augmentation des co-productions).
23La France est à peine mieux lotie comme le révèle le graphique ci-après montrant l’évolution des heures de fiction diffusée entre 1990 et 2004 dans les chaînes hertziennes selon leur origine nationale.
24Les différents gouvernements ont bien du mal à concilier à la fois leur politique traditionnelle de protection face aux programmes importés, les demandes d’ouverture des frontières dans un cadre plus global de libre-échangisme et les progrès techniques galopants. Comme l’explique Monique Dagnaud, « Etalées sur la longue durée, ces négociations sont souvent bousculées par un élément extérieur qui les fait dévier sur une piste non prévue ou parfois les oblige à repartir presque à zéro : la préparation de la loi Carignon a été perturbée par les accords du GATT en décembre 1994, celle de la loi Douste-Blazy a été secouée par le coup de force du groupe NRJ en novembre 1996 et a dû s’accorder aux lancements de plates-formes numériques de Canalsatellite (avril 1996) et de TPS (décembre 1996) puis a été écartée par le changement de gouvernement en juin 1997 ; celle initiée fin 1997 par Catherine Trautmann a changé de braquet et d’orientation face aux profondes mutations technologiques et capitalistiques survenues dans les années 1997-98 mais aussi face à l’opposition radicale des grands diffuseurs français [17] ».
Les années 2000, la faiblesse de la « diversité culturelle » face la « télévision HBO [18] »
25L’Europe (avec le Canada) semble unie dans les années 2000 pour résister aux programmes américains et faire front face aux négociateurs états-uniens qui trouvent dans l’explosion de la technologie du numérique des arguments à la fois simples et forts. Selon eux en effet, la technologie du numérique devant remplacer progressivement celle de l’analogique, les frontières entre les secteurs de l’audiovisuel et des télécommunications ne peuvent que disparaître : « avec la convergence technologique vient la convergence des marchés ». Dans ces conditions, la directive « Télévision sans frontières » est attaquée de toutes parts. La « fin de la télévision » est annoncée, la vidéo à la demande et la multiplicité des échanges permis par Internet devant remplacer inéluctablement ce média « ancien » (devant lequel on passe pourtant de plus en plus de temps !). Ce contexte justifie pour les Américains la disparition de la directive « Télévision sans frontières ». En face, on rappelle de nouveau, que ce contexte ne modifie pas les principes de base : la réglementation audiovisuelle s’inscrit dans le cadre de la défense de l’intérêt général.
26Le Canada pour des raisons différentes de la France (préservation de sa spécificité linguistique) prend la tête du combat « anti-américain » au nom de la « diversité culturelle » et obtient des ministres de la culture des Cinq continents de créer un Réseau international sur la politique culturelle (RIPC) avec comme objectif de « faire en sorte que la diversité culturelle et linguistique fasse partie intégrante de la réflexion mondiale sur le développement ». L’UNESCO adopte le 2 novembre 2001, à l’unanimité, la Déclaration universelle sur la diversité culturelle donnant ainsi un statut officiel à cette notion. Il s’agit de la première formalisation du contenu de l’exception culturelle, comme moyen d’atteindre la diversité culturelle, le but. Le portail de l’Unesco présente cette Déclaration comme « un instrument normatif reconnaissant, pour la première fois, la diversité culturelle comme un « héritage commun de l’humanité » et considérant sa sauvegarde comme un impératif concret et éthique inséparable du respect de la dignité humaine » [19].
27L’idée de l’exception culturelle semble avoir gagné. Elle a dépassé le cadre français où elle a été trop longtemps cantonnée. Il a été admis officiellement que la « culture se trouve au cœur des débats contemporains sur l’identité, la cohésion sociale et le développement d’une économie fondée sur le savoir » (Déclaration de 2001). Les états membres ont reconnu « la spécificité des biens et services culturels qui, parce qu’ils sont porteurs d’identité, de valeurs et de sens, ne doivent pas être considérés comme des marchandises ou des biens de consommation comme les autres ». Les auteurs de la Déclaration ne cachaient pas que leur combat se déroulait contre le temps. Ils admettaient que « le processus de mondialisation, facilité par l’évolution rapide des nouvelles technologies de l’information et de la communication, bien que constituant un défi pour la diversité culturelle (…) », créaient pour eux « les conditions d’un dialogue renouvelé entre les cultures et les civilisations ».
Les producteurs américains ne se sont pas laissés impressionner par les déclarations internationales. Ils ont trouvé une arme anti-traité efficace : la qualité de leurs programmes. Tandis que se démenaient les fonctionnaires internationaux et les ministres de la culture du monde entier pour préserver nos villages gaulois face au progrès techniques et à la mondialisation, Hollywood « dégainait » leur nouvelle trouvaille : HBO. La chaîne câblée américaine créée en 1972 a connu un développement vertigineux en atteignant 26 millions d’abonnés en 2001. L’absence de publicité dans son économie l’a autorisée à prendre des risques commerciaux qui se sont avérés rentables. Des séries comme Les Sopranos, Band of brothers, Sex and the city, Six feet under ou Rome étonnamment innovantes, tournées avec soin remportent très vite des succès qui inspirent les autres chaînes (aux USA et ailleurs) et débordent largement les frontières des États-Unis. L’image des productions américaines se modifie dès lors considérablement. Les premières séries de qualité comme Urgences, Friends ou Ally MacBeal apparues au milieu des années 1990 avaient déjà joué un rôle dans ce repositionnement.
Ceux-là même qui dénonçaient l’impérialisme des productions américaines, qui déploraient l’envahissement des écrans européens par les émissions de bas étage un peu faisandées venues de l’autre côté de l’Atlantique, ces mêmes personnes qui en appelaient à l’exception culturelle comme à une barrière élevée face à l’invasion barbare, se passionnent pour ce type de fictions. Primées à plusieurs reprises par des Emmy awards, les séries américaines sont en France comme en Europe, montrées en modèle. D’un côté le débonnaire Louis la brocante de l’autre les étranges chirurgiens esthétiques McNamara et Troy de Nip and Tuck. Le pauvre Victor Lanoux ne « fait pas le poids ».
28Le regard de ceux qui font l’opinion s’inverse. Les professeurs d’histoire se servent de la série Rome pour illustrer leurs cours d’histoire ancienne. Les jeunes, les intellectuels et les urbains traditionnellement faibles consommateurs de télévision organisent des « soirées télé » autour des séries américaines, téléchargent les épisodes de leurs feuilletons préférés, discutent de ces productions comme ils le feraient d’un film d’art et d’essai [20]. Dans son blog, l’écrivaine Isabelle Alonso, personnage médiatique et « branchée », donne le ton : « J’adore les séries américaines. Qui ne les aime pas ? A côté d’elles, les séries françaises sentent la guimauve et la naphtaline, elles ont quelque chose d’anémique, de nunuche et de conventionnel qui incite à jouer de la zapette. À mes yeux – et je ne suis pas seule à penser ainsi – les séries américaines sont plus en prise directe avec la modernité, rendent mieux compte, souvent avec une brutalité chirurgicale, des transformations de nos sociétés globalisées et des mutations des relations entre les sexes à l’ère hyper-libérale [21] ».
29Encore une fois, les Français sont incapables de produire ce type d’émissions.
Plus grave (au moins pour le secteur de la production), ces séries d’un genre nouveau dament le pion en termes d’audience aux productions françaises traditionnelles. En 2008, « 96 des 100 meilleures audiences de fiction en première partie de soirée sont enregistrées par TF1. 77,0 % des 100 meilleures audiences sont des fictions américaines [22] ». En 1996, France 2 a remplacé son film du dimanche soir par Urgences. Les résultats d’audience sont élevés et surtout, réguliers. Lorsque Les Experts : Miami se substitue sur TF1 au fameux « film du dimanche soir », l’audience conforte ce choix de programmation : 10,2 millions de téléspectateurs le 8 janvier 2008 se passionnent pour les aventures de Horatio Caine et de Calleigh Duquesne.
30À partir de 2007, on ne trouve plus que 3 fictions françaises dans le palmarès des 50 meilleures audiences de la télévision française, 25 sont américaines. La tendance est lourde comme le montre le succès mondial (Docteur House n’est-elle pas la série la plus regardée dans le monde ?) des séries américaines et leur programmation dans le « prime time » des chaînes historiques.
31Les « souverainistes » de la télévision ont ainsi perdu leurs soutiens traditionnels au moment où leur principale critique de la culture populaire, critique qui reposait sur une opposition stricte entre basse et une haute culture – et que justifiait l’ineptie des sitcoms sentimentales, mal écrites et mal doublées – est contredite – dans leurs propres rangs – par l’originalité, la créativité, la liberté de ton de ces importations télévisuelles américaines que suivent avec enthousiasme les catégories les plus dynamiques de la population.
32Face à la reconnaissance culturelle des productions américaines, producteurs, créateurs, politiques, se trouvent aujourd’hui bien démunis dans ce combat mené depuis tant d’années pour l’indépendance du cinéma et de la télévision à l’égard de la production américaine. Au moment où leur victoire apparaît indiscutable sur le plan institutionnel et juridique, leur défaite est criante dans le monde réel.
33Les tableaux ci-dessous sont parlants. En 2001, la France a produit moins de fictions (en heures et en nombre) que l’Allemagne, l’Espagne, le Royaume-Uni et l’Italie. Certes, les sommes dépensées par les Français pour produire cette fiction audiovisuelle au cœur de tant de combats présentés comme victorieux, arrivent avant l’Espagne et l’Italie, mais c’est une maigre consolation pour ceux qui, depuis le discours de Jack Lang à Mexico, avaient espéré que des mesures politiques suffiraient pour « libérer » les petits écrans français de tous les « flics », « housewives » plus ou moins désespérées, de tous les « friends » et médecins urgentistes qui animent nos soirées et dont la victoire totale pourrait modifier quelque peu notre idiosyncrasie nationale.
Notes
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[*]
Directrice de recherche CNRS, Directrice du laboratoire Communication et Politique.
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[1]
Monique Dagnaud, L’État et les médias, Paris, Odile Jacob, 2000, p. 120.
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[2]
Texte de sa conférence, « Race et culture », présentée en 1971 à l’Unesco, C. Lévi-Strauss, De près et de loin, Paris, Points, Seuil, 1990, pp. 206-207.
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[3]
Texte de Thorez cité par de Laurent Marie, Le cinéma est à nous : le PCF et le cinéma français de la Libération à nos jours, L’Harmattan, 2005, p. 69.
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[4]
Elie Cohen, « L’exception culturelle », Le Monde des Livres, février 2002.
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[5]
Voir Régine Chaniac, Jean-Pierre Jézéquel, La Télévision, Paris, La Découverte, coll. Repères, 2005.
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[6]
Voir plus loin le volume de fiction diffusé selon les pays européens.
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[7]
Isabelle Veyrat-Masson, Quand la télévision explore le temps. L’histoire au petit écran (1953-2000), Paris, Fayard, 2000.
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[8]
Michel Souchon, La Télévision et son public 1974-1977, La Documentation française, Paris, 1978.
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[9]
Philippe Urfalino, « De l’anti-impérialisme américain à la dissolution de la politique culturelle », Revue française de science politique, Année 1993, Volume 43, Numéro 5, p. 823-849, p. 825.
-
[10]
UNESCO 1973-1983 : Tapio Varis, International Flow of TV Programms, cf. A Lange et JL Renaud, 30 % des programmes de TV européens sont importés, dont 40 % viennent des USA. France : 17 % (en prime time) (1973 : 9 %). Si on ramène ces chiffres à la part de fiction c’est évidemment plus important.
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[11]
Régine Chaniac et Jean-Pierre Jézéquel, Télévision et cinéma. Le désenchantement, Paris, Ina/Nathan, coll. Médias-Recherches, 1998, p.136.
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[12]
Chaniac, Jézéquel (2000) op. cit., p. 139.
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[13]
Pour certains, ce concept reviendrait à Jacques Rigaud.
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[14]
DDM DIRECTIVE 89/552/CEE (Journal officiel n° L 298 du 17/10/1989 p. 0023/0030) du Conseil du 3 octobre 1989 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle, modifiée par la directive 97/36/CE du Parlement européen et du conseil du 30 juin 1997.
-
[15]
Le Compte de soutien à l’industrie des programmes audiovisuels (COSIP) est géré par le Centre national de la cinématographie (CNC) qui collecte une taxe sur les recettes des salles de cinéma et sur le chiffre d’affaires des chaînes de télévision et sur la vidéo. Ces ressources sont redistribuées à des producteurs ou à des auteurs, pour aider au financement des films de cinéma et des œuvres audiovisuelles. Cette aide a été créée en 1948 pour le cinéma et, en 1986, elle a été étendue à la télévision. En 2005 le Compte de soutien se répartissait ainsi : sur 468 millions d’euros, (hors frais de gestion) 46 % était pour l’audiovisuel (214 millions) et 54 % pour le cinéma (254 millions).
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[16]
Cf « Mission de réflexion et de médiation sur la rediffusion des fictions françaises sur les chaînes de télévision », Rapport au Ministre de la Culture et de la Communication. Présenté par Raphaël Hadas-Lebel, Président de Section au Conseil d’État, mai 2006.
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[17]
M. Dagnaud, op. cit. p. 112.
-
[18]
Tout ne s’explique évidemment pas par « un paramètre aussi sujet à caution que leur « qualité » ni par une cause unique qui serait le développement d’une niche particulière par la chaîne américaine à péage HBO. » pour citer E. Maigret, G Soulez, MédiaMorphoses, janvier 2007, p. 8 ; cette chaîne est symbolique d’une certaine politique. Il n’est pas question ici de réfléchir aux séries américaines, à leur contenu et à leur production.
- [19]
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[20]
Le numéro hors-série de MédiaMorphoses, de janvier 2007 cité plus haut et dirigé par deux professeurs d’Université (E. Maigret, G. Soulez) s’intitule : « Les raisons d’aimer les séries télé » et le titre de l’introduction en forme de clin d’œil : « Comment peut-on encore ne pas regarder les séries télévisuelles ? » (G Jacquinot)…
- [21]
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[22]
Rapport CNC, La diffusion de la fiction à la télévision, Année 2008 (Publication avril 2009), p. 5.