Notes
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[1]
Même si ce modèle, plutôt IIIème République n’a plus vraiment cours. Cf. Thomas Ferenczi, L’invention du journalisme en France, Plon, 1993. L’élite de la profession s’en tenant davantage à l’attrait, sans doute bien immodeste, pour l’influence sur le cours de l’histoire.
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[2]
La définition de ces journalistes politiques ne va pas sans poser problème. En premier rang figurent les journalistes rattachés aux services politiques proprement dits. Certains éditorialistes, chroniqueurs, rédacteurs en chefs et directeurs de rédaction le sont aussi, certainement, dans ces cas, c’est le volume de l’information politique qu’ils traitent qui a été prise en compte, voire leur itinéraire pour les hiérarques. La question se pose d’autant plus, que le périmètre de l’information politique s’est rétréci à mesure que se développait une série de rubriques (éducation, économie, société, etc.) abordant des questions hier intégrées dans l’information politique et prises en charge par les journalistes politiques.
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[3]
Le présent article s’appuie sur l’exploitation des interviews en face à face de soixante journalistes des services politiques de la plupart des médias Français. Certains journalistes ont été revus plusieurs fois. Quelques services (Libération, France 2, Le Figaro, France Inter) ont donné lieu à des interviews de l’ensemble des journalistes de ces services. Plusieurs observations ont été menées sur des lieux d’intervention classiques de journalistes politiques. Plusieurs séminaires ont permis de discuter collectivement des observations et questions posées à propos de leurs pratiques et de leur manière d’envisager des situations concrètes.
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[4]
Le recours à des pourcentages pour rendre compte d’une enquête qualitative peut être discuté. De l’ordre de la moitié du groupeé étudié ayant été interviewée avec un souci de représentativité, de tels chiffres permettent simplement de situer des ordres de grandeur. Ils ne sont bien sûr pas utilisables comme de véritables données statistiques.
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[5]
V. Devillard et al. Les journalistes français à l’aube de l’an 2000. Profils et parcours, Éditions Panthéon Assas, Paris, 2001.
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[6]
Depuis toujours spécialiste de la politique, avant d’accéder à son poste de direction actuel.
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[7]
Selon les données de l’étude V. Devillard et al. Idem.
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[8]
Deux seulement, ce qui est-ce un hasard, étaient ou sont des directeurs de rédaction.
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[9]
Rappelons que selon l’enquête de V. Devillard et al. ( Idem), cette proportion est de 12 % pour l’ensemble de la profession.
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[10]
Sont englobés ici les formations universitaires en économie, ainsi que des diplômés de formations commerciales ou de gestion, notamment un diplômé de l’ESSEC.
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[11]
Quelques uns ont interrompu le journalisme, pour une autre profession avant d’y revenir (deux cas). Plus nombreux sont ceux qui ont exercé une autre profession au préalable, parfois sur une période longue (une quinzaine d’années, dans au moins un cas). Parmi ces derniers, l’interruption a été l’occasion de reprendre une formation au journalisme : en formation permanente ou dans des formations « non reconnues par la profession ».
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[12]
On la retrouve déjà décrite quasiment à l’identique dans des travaux et essais sur « L’élite des journalistes » publiés dans les années 1980 et 1990 : Rémy Rieffel, L’élite des journalistes, PUF, Paris, 1984 ; Yves Roucaute, Splendeurs et misères du journalisme, Calmann-Lévy, Paris. 1991.
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[13]
Quelques rares exceptions viennent ici de jeunes journalistes qui peuvent préférer « Télé Matin », plus ludique, plus convivial, à la radio, dont ils savent par ailleurs qu’elle constitue la règle chez leurs collègues, comme pour les politiques.
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[14]
Quelques uns évoquent à ce propos les risques de leur spécialisation qui les conduirait à laisser passer des événements internationaux, des faits divers, des informations culturelles ou artistiques, etc. que par leur caractère synthétiques les bulletins de radios leur fournissent instantanément.
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[15]
Pour certains, il s’agit de l’une de ces rares occasions de sentir les réactions de leurs lecteurs, du public, du citoyen ordinaire…, y compris pour quelques uns à leurs propres articles.
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[16]
Le Figaro, Libération, le Parisien, complétés selon les cas par les Echos ou la Croix, plus rarement l’Humanité.
-
[17]
Le passage par la case Monde est moins systématique que l’on pouvait le penser.
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[18]
Les « sources et ressources » constituent les moyens et les personnes sur lesquelles s’appuient les journalistes politiques afin de nourrir leur activité. On s’est particulièrement intéressé à celles qui constituent en quelque sorte la routine quotidienne d’un côté, et de l’autre à celles qui sont mobilisées face à une question ou un problème qui se pose au journaliste.
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[19]
Sachant que le journaliste chargé de suivre exclusivement les travaux des Assemblées sont devenus des exceptions (Le Monde, France Inter, les agences). À propos de ce phénomène, on pourra se reporter aux travaux de Nicols Kaciaf, notamment : « « La dernière séance ». Mutations stylistiques et déclin d’un genre caractéristique du journalisme politique français : le compte rendu parlementaire », in Les genres journalistiques, savoirs et savoirs faire, Lannion, septembre 2004.
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[20]
Celle-ci serait en quelque sorte captée par les seules télévisions, auxquelles la plupart des leaders et députés les plus marquant réserveraient leurs « petites phrases ». Le phénomène est renforcé par le fait que les journalistes politiques consacrent de moins en moins de temps aux séances de discussions des textes au Parlement, privilégiant essentiellement les séances de « questions au gouvernement ».
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[21]
Choisi par le journaliste sans que l’actualité en soit le déclencheur.
-
[22]
À Europe 1, par exemple, le passage de Jérôme Bellay à Jean-Pierre Elkabbach conduit à une large ouverture de la conférence de rédaction, à tous ceux qui le souhaitent, là où les choses se discutaient précédemment à l’intérieur d’un cercle restreint de chefs de service. Au Figaro, en revanche, c’est la « tradition » qui veut que la conférence ne concerne que « les chefs », selon les termes mêmes utilisés par les journalistes.
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[23]
La généralisation de locaux pour les rédactions, en plateau, pour les rédactions, un même service se trouvant regroupé autour d’un même ensemble de tables – bureaux, favorise ce mode d’échanges, rendant parfois incongrue aux yeux des journalistes l’idée de se réunir pour se parler, alors qu’ils sont côte-à-côte ou en vis-à-vis, en permanence.
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[24]
Les journalistes politiques les plus critiques sur les pratiques de leurs spécialités sont souvent ceux qui viennent depuis peu d’autres services. Est-ce un effet d’échantillon ? Toujours est-il que les analyses les plus précises et les plus percutantes, viennent de journalistes issus de l’économie et du social.
-
[25]
Seuls sont cités ceux du Cevipof, décrits comme adaptés à la participation d’un public de journalistes.
-
[26]
Centre de recherche de Sciences Po Paris
-
[27]
L’un d’entre eux, qui a commencé une brève carrière dans les études, a même créé son propre site d’information sur les institutions et la vie politique française. Il s’agirait pour lui de constituer sa propre ressource documentaire, à laquelle auraient recours quelques uns de ses collègues, à commencer par ceux de son service.
-
[28]
Il faut cependant tenir compte de la sensibilité des journalistes politiques aux critiques dont ils ont fait l’objet à propos de leur utilisation des sondages, lors de la Présidentielle de 2002. Quelques uns font la remarque qu’il est devenu de bon ton chez leur confrère de prétendre ignorer les sondages, ce qui serait loin de la réalité des pratiques.
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[29]
Cette lecture se faisant le soir à la maison, dans les transports en commun, mais certainement pas à la rédaction, où cela paraîtrait totalement incongru, voire déplacé.
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[30]
Ces effectifs peuvent avoir baissé de moitié, après une privatisation, comme ce fut le cas pour TF1.
-
[31]
Au printemps 2006, le service politique d’Europe 1 passe de trois à cinq journalistes. Se conjugue ici un facteur personnel, l’arrivée de Jean-Pierre Elkabbach, et un facteur de conjoncture, la préparation de la Présidentielle de 2007.
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[32]
Ceux-ci peuvent créer un double filtre, comme à La Croix, par exemple, le chef de service n’assistant pas à la conférence de rédaction, doit d’abord défendre ses propositions de sujets face au responsable de la section France, pour que ceux-ci les présentent en conférence de rédaction. De la même manière, celui-ci pourra accepter une suggestion de la rédaction en chef, qui devra alors être reprise par le journaliste du service politique.
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[33]
Qui ne saurait se confondre à l’engagement militant qui fut longtemps présent au sein du journalisme politique. Aucun des journalistes interviewés ne fait allusion à une conviction militante dans l’exercice de sa profession, même si certains expriment, parmi les tenants de la vigilance, une sensibilité… de gauche.
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[34]
Le fait que ce « rôle politique », cette influence du journalisme politique ne soit revendiqué que face à la menace des extrêmes ou des excès, voire comme pédagogie, face une forme de dépolitisation du grand public, manifeste-t-il une quasi-disparition de la croyance historique dans l’influence du journaliste politique sur le cours des choses et de l’histoire, ou celle-ci n’ose-t-elle plus s’exprimer explicitement dans le cadre d’un entretien ?
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[35]
La mise en cause des médias lors de la campagne du Référendum est interprétée très différemment. Il s’agirait plutôt d’un désaveu des directions et d’une poignée d’éditorialistes qui n’ont pas voulu voir les mouvements perceptibles dans la société, se permettant ainsi d’une forme de mépris à l’égard de la majorité du pays.
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[36]
La plus substantielle fut sûrement la création du poste de Didier Hassoux, chargé d’approches transversales, sur le terrain, du politique, au sein du service politique de Libération. Que deviendra-t-elle après le départ de celui-ci ?
1Les journalistes politiques n’ont pas bonne presse. Ils sont aujourd’hui l’objet de bien des critiques et de commentaires négatifs. L’un des moments forts de leur remise en cause devait intervenir au lendemain du 21 avril 2002. Non seulement, ils n’avaient pas vu venir la qualification pour le second tour, du leader du Front National, mais ils lui avaient peut-être tenu la main, en accordant une place centrale à l’insécurité tout au long du suivi de la campagne électorale. Trois ans plus tard, dans un contexte pourtant très différent, les critiques allaient reprendre toute leur vigueur, les médias se voyant reprocher un traitement déséquilibré en défaveur du non au référendum sur la constitution européenne. Rendus aveugles par leur proximité avec une classe politique qui ne sent plus le pays, ils n’auraient manifesté que dédain à l’égard des tenants d’un rejet, pourtant largement majoritaire.
2À deux reprises donc, de manière particulièrement manifeste, la crise du politique en France conduirait à invoquer la question des journalistes et de leurs responsabilités dans celle-ci. Tout à trac sont posées alors les questions de ce que sont ces journalistes : trop proches des politiques et si loin de la société qu’ils connaissent peu, de comment ils travaillent : toujours ensemble, s’influençant mutuellement, exclusivement en prise avec les hommes politiques, leurs sources. Quelles sont leurs valeurs et leurs motivations ? N’est-ce pas de longue date une aristocratie enviée de la profession, une sorte de voie royale pour atteindre la direction des rédactions, sinon des journaux, sans parler d’aller et venues célèbres, avec les responsabilités politiques [1]. Il n’est à cet égard certainement pas anodin que, parmi les succès de librairies de ces dernières années, figure une charge brutale contre la connivence et une dénonciation des turpitudes que cacheraient les relations réelles entre le « quotidien de référence » et le Pouvoir.
3Témoignages de journalistes déçus, enquête à charge sur l’équipe de direction du Monde, avide d’exercer son influence sur le cours des choses, interprétations parfois impressionnistes du contenu même de l’information politique relative à des périodes (Présidentielle de 2002, campagne pour le référendum) ou à des questions (thématique sécuritaire, reprise de grille d’analyses libérales, etc.), les analyses postulant les caractéristiques sociologiques, les pratiques, les valeurs ou les idées des journalistes politiques fourmillent, semblant converger la plupart du temps. Ce qui n’est pas sans troubler, à la lumière de l’absence de données récentes concernant une catégorie de journalistes dont la formation, la composition, l’objet, la place dans l’information comme dans les rédactions ont pourtant sensiblement évolué depuis deux décennies. Tel est le point de départ d’une enquête au long cours, entendant interviewer et observer un nombre significatif de journalistes politiques [2] de tous médias et niveaux hiérarchiques. Cette enquête doit permettre de livrer aujourd’hui un portrait de groupe des journalistes et services politiques français dans cette première moitié de la décennie 2000. Par sa méthodologie cette enquête est qualitative, cependant au regard de la proportion des journalistes interviewés ses résultats revêtent une quasi représentativité statistique [3].
Qui sont-ils ?
4Les journalistes politiques français sont en majorité des hommes. Ils sont plutôt d’âge moyen. Contrairement à une image de parisianisme qui leur colle à la peau, ils sont plus souvent originaires de la province, quelques uns sont nés ou ont passé leur enfance à l’étranger. Au regard de l’échantillon étudié la proportion des hommes (65 %) [4] se rapproche de la moyenne de la profession telle qu’elle ressortait des statistiques des titulaires de la carte de presse en 1999 (61 %) [5]. De la même manière la majorité de femmes sont des journalistes « de base », une situation qui semble évoluer avec l’arrivée de femmes, plutôt quarantenaires, à des postes de responsabilité de chef du service politique, davantage dans la radio (France Inter, Europe 1, France Info), les petits quotidiens (La Croix), voire même à la télévision (TF1), sans parler de l’arrivée de Arlette Chabot [6] à la tête de la rédaction de France 2, aussi bien que dans les gros services de presse écrite. La structure d’âge est en revanche assez discordante des moyennes de la profession, dans le sens où elle est sensiblement plus élevée [7] : très peu de moins de trente ans, alors que ceux-ci représentent près du quart de la profession. Davantage de plus de cinquante ans, alors que 70 % contre 61,2 % ont entre trente et cinquante ans.
5Ce sont surtout des enfants de couches moyennes intellectuelles, principalement cadres et enseignants, ainsi que quelques chercheurs. Cela n’exclut pas non plus quelques cadres supérieurs, des hauts fonctionnaires ou professions libérales. Il y a très peu d’enfants d’employés (c’est alors la profession de la mère), d’ouvriers et encore moins d’agriculteurs. Il faut remarquer la quasi absence d’enfants de journalistes [8] ou de politiques. Le rapport privilégié à la politique de ces familles, lorsqu’il existe, se réduit surtout à l’importance donnée à celle-ci dans les discussions familiales, les lectures de la presse. En fait, les deux tiers des journalistes politiques disent leurs parents non engagés politiquement. Il y a cependant des familles politisées (moins de 20 %), voire militantes (10 %) et c’est alors à gauche. Quelques uns, très peu en fait, ont un parent plus ou moins éloigné – grands parents, cousins, etc. - qui a pu être élu local ou avoir des responsabilités locales dans un parti. Il n’y a qu’un cas de proximité (oncle) avec un homme politique de premier plan (ancien ministre du général de Gaulle).
6La formation des journalistes politiques est plutôt supérieure à la moyenne de la profession. Pratiquement 80 % d’entre eux ont suivi au moins deux cursus d’enseignement supérieur. Ils sont un peu plus d’un tiers à en avoir suivi au moins trois. Cette multiplicité de cursus marque chez certains, une hésitation à s’orienter dans un projet professionnel. C’est en tout cas ce que peuvent suggérer quelques cas de formations « inattendues » au regard de la politique (histoire de l’art, architecture, musique, Langues O, etc.). Un seul s’est arrêté au bac. Un seul ne dispose que d’un diplôme de formation permanente en journalisme (CPJ). Plus de la moitié, ont fréquenté une école de journalisme, et la moitié les écoles « reconnues par la profession » [9]. En tête de celles-ci, le CFJ est nettement surreprésenté (presque un tiers), suivi de l’ESJ de Lille (un peu plus de 10 %), puis du CUEJ de Strasbourg et du diplôme de journalisme de l’IFP. Pour ce qui est des formations universitaires, la primeur revient nettement à l’histoire (près du quart) suivi du droit, des lettres et dans une moindre mesure de la philosophie, de l’infocom et de l’anglais. Les sciences humaines, hormis l’histoire sont bien peu prisées, avec un seul sociologue, pas de psychologues, de géographes ou d’anthropologues. Peu de formations à l’étranger, dans de brefs cursus (essentiellement aux États-Unis, en Grande Bretagne ou en Israël). L’économie [10] est loin d’être absente (un peu plus de 10 %), cette dernière étant souvent liée à la volonté récente de décloisonner les services et de diversifier les recrutements. Ce qui fait que Sciences po Paris, et les IEP de province concernent tout juste un tiers des journalistes politiques (près de la moitié pour les cadres). Sciences po, souvent présentée comme la matrice de bien des problèmes dans la relation journalistes et personnel politique, ne concerne donc qu’un quart des journalistes politiques.
7C’est peu de dire que la vocation pour le journalisme politique n’est pas la plus répandue parmi les motivations à l’entrée dans cette profession, puisqu’elle ne concerne que 5 % d’entre eux. Certes, un peu plus de la moitié, voulaient, parfois très tôt, devenir journalistes. Cependant, au total, les deux tiers des journalistes évoquent un concours de circonstances pour expliquer leur entrée dans cette spécialité. D’ailleurs 10 % ont commencé par un autre métier ou une autre activité personnelle (telle qu’élever ses enfants) que le journalisme et l’ont rejoint un peu plus tard que leurs confrères. Tout comme on verra plus loin, que la plupart ont exercé une succession de postes et de spécialités journalistiques avant d’entrer dans le journalisme politique. Pour le tiers de ceux qui ont voulu, à un moment donné, rejoindre cette spécialité, certains évoquent (grosso modo au même modeste niveau de l’ordre de 7 à 8 %) le milieu familial ou amical, les études (autant générales, qu’au cours de l’école de journalisme), ou encore la militance ou la politisation. Deux d’entre eux, seulement, font référence à leur goût et à une expérience professionnelle, pour et dans la science politique.
8L’itinéraire des journalistes politiques est loin d’être un long fleuve tranquille, surtout à leurs débuts [11]. Comme cela a été dit plus tôt, l’entrée immédiate dans la profession comme journaliste politique est peu fréquente, soit à peine 15 % des cas. La même proportion est représentée par ceux qui vont y trouver leur première stabilité dans une spécialité. En fait, les trois quarts des journalistes politiques – on est loin de cette représentation simple d’une voie toute tracée : Sciences po – service politique - ne vont arriver dans la spécialité qu’en troisième poste ou davantage encore (61 % sont représentés par les troisième, quatrième et cinquième postes). Il n’est pas rare non plus d’observer des alternances entre des passages par le journalisme politique et d’autres spécialités ou fonctions (présentation, reportage, etc.). Parmi les spécialités ou postes qui ont précédé le journalisme politique arrivent nettement en tête économie et social (presque un sur cinq), puis suivent logiquement les postes généralistes de l’audiovisuel (reporters, présentateurs, etc.) pour 15 %. Puis, par ordre décroissant, viennent les « info. géné. » et la locale, puis l’éducation et les médias, puis l’international, puis la justice…
9Les motivations au moment du choix ou l’acceptation d’un poste dans un service politique sont diversifiées dessinant largement ce que seront par la suite les intérêts et les manières de pratiquer le journalisme politique. Grosso modo elles peuvent être regroupées en trois ensemble : 1) La politique en tant qu’idées, questions, programmes, institutions, etc. 2) La politique en tant qu’histoires d’hommes et de luttes de pouvoir. 3) La volonté de distance critique à l’égard de la chose et de l’univers du politique. Nous y reviendrons.
Comment travaillent-ils ?
10Rendre compte succinctement de la manière de travailler d’un groupe professionnel ne va pas sans poser de problèmes, étant donné le risque de schématisme et de simplification. Il semble toutefois qu’au regard de ce qu’est le journalisme politique, y compris tel que le décrivent les intéressés, il est possible d’appréhender les méthodes de travail au travers de trois questions extrêmement complémentaires : 1) la manière de s’informer, 2) les sources et ressources utilisées, 3) la structure et le fonctionnement des services.
La manière de s’informer des journalistes politiques
11La manière de s’informer des journalistes politiques est assez homogène. Elle n’est pas très différente de celles d’autres professions intellectuelles, tout au plus occupe-t-elle plus de temps, mobilisant davantage de stations de radios et de titres de presse [12]. Notons qu’elle fait plutôt la part belle aux médias « chauds », tout du moins les quotidiens, radios et télévisions généralistes. Les radios et télévisions d’information en continu sont souvent moins fréquentés (sauf lors des déplacements – travail pour France Info). Les news magazines, les hebdomadaires d’actualité (politiques, confessionnels) tout comme les journaux satiriques sont peu cités.
12La journée commence donc par le premier contact avec « le fil des nouvelles » fourni par l’une des radios périphériques (le plus souvent Inter et Europe), - « je me réveille avec la radio… » [13]. Il est prolongé par le zapping des interviews « d’invités » de chacune des grandes stations généralistes. Il s’agit de saisir rapidement les principaux points de l’actualité [14], de vérifier que ce qui a été fait la veille est validé par la tonalité générale des sujets traités, de trouver éventuellement, déjà, quelques idées dans les propos des personnalités politiques interviewées. Le passage sur France Info ou la prise de contact avec le premier quotidien n’interviendra que sur le trajet domicile - travail. Quelques journalistes apprécient une sorte de moment intermédiaire entre le domicile et le lieu de travail, c’est la halte au café. Là, tranquillement installés, ils tendent l’oreille et peuvent entendre la lecture commentée des nouvelles politiques, au moins celles du Parisien, par les consommateurs [15].
13Le temps fort de la lecture des journaux, au minimum trois à quatre titres nationaux [16], n’intervient que sur le lieu de travail. Il se fait le plus souvent parallèlement au « survol » des dépêches d’agence, tombées depuis la veille. Il s’agit de parcourir et de lire leurs pages politiques en se concentrant sur le traitement factuel : est-ce qu’on n’avait rien oublié ? Quels sont les angles et mode de traitements privilégiés par les autres collègues, des autres titres ? Les commentaires sont-ils dans les mêmes tonalités que leurs propres commentaires ou des collègues du service ? Au dire des journalistes politiques, ils n’accorderaient que peu de temps et d’intérêt à la lecture des éditoriaux et chroniques, qui « n’apprennent rien », « sont sans surprises », « disent tous la même chose », voire « se trompent tout le temps » ; un chef de service parle à leur propos de « boussoles qui indiquent le sud ». Cette lecture est à la fois méthodique et rapide car elle doit être terminée avant les conférences de rédaction du matin, les réunions de services, ou le « retour des responsables de services », selon le poste occupé, l’organisation et le fonctionnement de la rédaction. À partir de ce moment, la répartition définitive des « papiers » et sujets étant arrêtée chacun se tourne vers ses sources et ressources particulières, oubliant en quelque sorte les médias d’information [17].
14Rares sont ceux qui ont une chaîne d’information en continu allumée auprès d’eux ou qui la regardent (hormis les cadres, principalement de l’audiovisuel). La grosse surprise tient à la relativement faible place accordée à l’information télévisée, et tout particulièrement au Vingt heures : « pas encore rentré », « encore en bouclage », « il faut bien décompresser et penser à autre choses », la famille, etc. Autant d’explications compréhensibles, si ce n’est qu’elles dénotent du rôle qu’est sensé jouer le dit Vingt heures sur la vision qu’aura le grand public, de l’actualité et singulièrement des sujets politiques. Ceux qui s’obligent à regarder le Vingt heures, insistent d’ailleurs sur cette motivation première : savoir ce qu’aura vu et entendu le public le plus large et quelque part leur public, de l’actualité politique. Ils soulignent en revanche à l’unisson la faiblesse de l’information politique délivrée par le média dominant. La télévision redevient, en revanche, incontournable, avec les émissions politiques ou les grandes déclarations des leaders, même si elles sont peu nombreuses. L’Internet, en revanche, n’est pratiquement pas cité comme moyen de s’informer. Il trouve en revanche rapidement sa place en tant que sources et ressources…
Sources et ressources
15Au premier rang des sources et ressources [18] figurent les relations directes avec les politiques, avec des confrères, avec des « experts » du domaine, avec des contacts au sein de la « société civile ». Les contacts avec les politiques - les leaders, leurs « entourages », les portes paroles, des personnalités marquantes, voire quelques députés de base - sont les plus cités et les plus denses, faits d’appels téléphoniques, de rencontres au cours de déjeuners, de participation aux conférences de presses et « déplacements », sans oublier quelques échanges moins fréquents que jadis [19] et plus compliqués à la « salle des 4 colonnes » de l’Assemblée [20]. Le suivi le plus classique d’un secteur et de ses principaux acteurs, passe donc surtout par les repas, en face à face ou en groupe. Ce sont les fameux « groupes de déjeuners », souvent considérés avec scepticisme, sinon réprobation par les journalistes d’autres spécialités. Ces groupes sont stables constitués de quelques journalistes, de médias différents, qui se sont choisis les uns les autres. L’appel téléphonique est plus réactif – obtenir dans l’urgence l’interprétation d’un événement, obtenir un point de vue – ou adapté à un sujet d’initiative [21]. Nombre de journalistes ont constitué, dans la durée, un réseau de contacts, en qui ils ont confiance ou dont ils savent qu’il est « disponible », parmi lesquels figurent les politiques et leurs conseillers, parfois députés de bases, élus de terrains, auxquels ils ont recours pour remettre en perspective un événement, une situation, une déclaration…
16Les échanges avec les autres journalistes politiques, les plus nombreux, sont les moins formalisés. La présence en conférence de rédaction, voire les réunions de services quotidiennes ne sont pas forcément la règle. Elles dépendent du fonctionnement interne de chaque rédaction, parfois de la direction [22]. Aussi les questions, discussions, commentaires avec les confrères se font d’un poste de travail à l’autre [23], dans les couloirs, lors des déplacements et conférences de presse, et, bien sûr, au cours ou à propos des « groupes de déjeuners ». C’est dire que les avis les plus recherchés ne sont pas forcément auprès de la hiérarchie ou de collègues du même service. Les discussions se font donc avec d’anciens collègues de confiance qui ne sont plus dans la même rédaction, des collègues qui traitent le même domaine, pour les autres médias (fussent-ils concurrents). Les conférences de presse, les meetings, les congrès, les universités et toutes sortes de déplacements, sont les moments privilégiés où se tissent ces liens et formes d’échanges. Ils sont dénoncés par les journalistes les plus critiques, ou ceux d’autres services [24], comme étant la matrice de la production et de l’ajustement de ce conformisme, de cette homogénéité des commentaires si souvent dénoncés.
17La troisième ressource personnalisée invoquée par les journalistes est constituée des « experts » du domaine : politologues, sondeurs, etc. La fréquence et les conditions du recours aux dits experts varient cependant sensiblement, selon la personnalité du journaliste, mais aussi de la structure de son service. Être dans un gros service, permet de disposer de plus de temps pour de tels échanges, voire participer à des séminaires [25]. Ici, il s’agira d’avis autorisés régulièrement sollicités auprès de personnes connues et de confiance. Là, on recherchera plutôt un point de vue ponctuel lié à une situation ou un problème, ailleurs enfin, il s’agira d’obtenir un propos exploitable à des fins de publication ou de diffusion. Il est notable que la fréquentation de Sciences Po ou d’Universités où exercent les dits politologues n’est pas forcément, facteur d’un recours automatique à ceux-ci. Au contraire même. Le cercle des politologues les plus sollicités est assez étroit, de fait, quelques chercheurs du Cevipof [26], même si quelques journalistes le reconnaissent et le regrettent, allant parfois jusqu’à se tourner vers quelques spécialistes de l’université ou d’IEP de province.
18L’appel à des non spécialistes, extérieurs au champ politique et aux médias, n’est pas le plus répandu, il est généralement présenté comme une tentative de sortir du conformisme et du vase clos dans lequel l’ensemble des acteurs se meut. Bien souvent il ne s’agit que de proches (familles, voisins, amis, etc.). Cependant, quelques journalistes, souvent parmi ceux qui ont un parcours en locale, en info. géné. ou en social, entretiennent un véritable réseau de contacts – leurs anciens interlocuteurs et sources (élus locaux, fonctionnaires territoriaux, responsables associatifs, travailleurs sociaux, syndicalistes, etc.) - dont les réactions sont régulièrement sollicitées afin d’obtenir un « autre regard », un recul, un contrepoint.
19Les moyens de connaissance, de validation ou d’enrichissement de l’information ne se limitent pas à ces contacts directs, sachant que l’on retrouve les outils classiques de nombre de professions intellectuelles, cependant moins fréquemment cités et utilisés, de manière moins homogène. Figurent parmi ceux-ci en premier lieu, le « dossier demandé à la doc », et plus rarement, la lecture de revues, le suivi de séminaires, la lecture d’études et de rapports, les notes et documents de partis. À noter, la part encore modeste de recherches sur Internet, même si, au cours des deux dernières années, les choses ont rapidement évolué – le développement des blogs d’hommes politiques n’y étant pas pour rien - quelques journalistes en font, désormais, leur moyen de recherche documentaire privilégié [27]. Les sondages sont rarement évoqués, accompagnés de commentaires critiques [28]. Là où les journalistes politiques se distinguent sans doute de l’ensemble des autres spécialités journalistiques, c’est dans le recours au livre. La plupart disent lire, voire lire beaucoup de livres [29], majoritairement des livres de personnalités politiques ou de journalistes sur un politique, un parti, une situation. Quelques journalistes seront cependant de fervents lecteurs d’ouvrages historiques, nécessaires à leur background ou pour nourrir analyses et remises en perspective, d’autres moins nombreux recherchent des ouvrages consacrés aux institutions ou à la science politique.
Les services politiques
20La taille des services politiques varie selon les médias, les entreprises, voire les périodes : les quotidiens nationaux, surtout haut de gamme (Le Monde, le Figaro et Libération) ont les services les plus nombreux, avec les télévisions publiques (au moins une dizaine de journalistes). En revanche, les quotidiens d’opinion, les radios généralistes, publiques et privées, comme les télévisions commerciales [30], disposent de services plus petits (5 à 6 journalistes). Le Parisien se trouve dans une situation intermédiaire. Enfin, les médias d’information en continu - qu’ils soient publics ou privés - comme les quotidiens économiques ou les radios thématiques, se contentent de très petites équipes. Une tendance est perceptible, à renforcer les effectifs au moment des grandes échéances politiques, telles que les Présidentielles [31].
21Au-delà du nombre, la structure des services politiques connaît des constantes, elle repose sur une organisation en « pôles » : droite, gauche, exécutif. Selon les forces, chaque parti correspond à un pôle et bénéficie ou non d’un journaliste. Le Figaro ou Le Parisien consacrent deux journalistes au PS par exemple. L’exécutif : Élysée, Matignon, Gouvernement, peuvent être traités par un seul journaliste ou chacun bénéficie d’un journaliste, lorsque dans un service plus petit ils sont traités par le journaliste qui suit le pôle de la majorité. L’ancienneté ou la crédibilité recherchée par ces institutions, conduit parfois aussi les chefs de services ou leurs adjoints à cumuler le suivi de l’Élysée ou de Matignon (comme à TF1 ou à France 2). Les petits partis peuvent être rattachés au pôle correspondant à leur positionnement à droite ou à gauche, ou revenir à un seul et même journaliste. Rares sont les services qui disposent de journalistes travaillant transversalement, par problème, sur des milieux. Libération a fait le choix d’un journaliste de ce type. Le Parisien dispose d’un journaliste politique chargé des questions de Paris et du Conseil Régional d’Ile de France. Le Monde ou le Figaro font référence à leurs grands reporters, ou chroniqueurs. Dans la plupart des cas l’invocation de « problèmes » ou questions transversales appelle des réponses en terme de traitement par d’autres services : éducation, économie et social, info géné. Cette organisation, qui, au-delà de réorganisations en « séquences » ou super service « France », etc. semblent plutôt marquer un cloisonnement et un renfermement des services politiques sur l’institutionnel pour ne pas dire la « politique politicienne ».
22L’animation des services politiques, leur relation aux autres journalistes de la rédaction varient sensiblement en fonction de la taille, mais aussi d’histoires propres à chaque média, voire des styles de direction de rédaction. La conférence de rédaction peut-être totalement ouverte (Libération) ou, strictement réservée aux chefs de services, voire chefs de séquences. Des réunions de services peuvent être quotidiennes (France Inter), hebdomadaires, voire très épisodiques. L’audiovisuel pratique les conférences de débriefing et d’une façon générale tient davantage de réunions formalisées. Dans tous les cas, il faut noter la très grande dépendance hiérarchique, surtout en audiovisuel, non pas dans l’activité au jour le jour de suivi de l’information, ni dans l’intervention dans l’écriture elle-même de l’article ou du sujet, mais dans la décision de traiter d’un sujet, dans l’espace qui lui est donné, parfois de son angle. La création de grandes « séquences » ou sections [32] vient renforcer cette pression hiérarchique et structurelle, dans la mesure où il n’y a plus d’espace automatiquement dévolu à la politique. Il faut donc défendre chaque papier, chaque sujet et savoir saisir au bond l’intérêt manifesté par la rédaction en chef à l’égard de telle personnalité, phénomène, mode de traitement, etc. Dans les faits, le décloisonnement ne s’est pas opéré, les journalistes des différents services constituant ces entités plus larges, ne collaborent pas davantage. Cette évolution qui se retrouve dans plusieurs titres et médias, semble plutôt accompagner le recul que connaît, de fait, un peu partout, l’information politique qu’il s’agisse du nombre de sujets traités, de leur place ou de la pagination qui lui est consacrée.
Les motivations à l’égard du politique
23Le rapport qu’entretiennent les journalistes politiques avec leur domaine de spécialité devrait faire l’objet d’une analyse en soi. Leur analyse du politique, des problèmes qu’il traverse demanderait d’autant plus d’espace qu’il fait l’objet de désaccords souvent profonds selon les journalistes. Dans le présent article qui ambitionne de simplement dresser un portrait de ce groupe professionnel, il sera seulement question d’évoquer sommairement ce que disent les journalistes de leurs motivations à l’égard du politique. Celles-ci sont au nombre de quatre, qui par ordre décroissant sont les suivantes :
24En premier lieu figure l’attrait pour les hommes, leur comportement, leurs affrontements, leur lutte pour le pouvoir. L’aspect le plus important serait celui de la personnalité – d’aucuns parlent de « pâte humaine », du caractère, de la psychologie, voire chez certains d’une intelligence. Nombre de journalistes expriment une forme d’étonnement, sinon d’admiration pour l’incroyable dynamisme que manifesteraient les hommes politiques. D’aucuns utilisent des qualificatifs tels que « grands fauves », « belles mécaniques », etc. En tout état de cause, enregistrant dans leur grande majorité, la disparition des grands affrontements idéologiques et programmatiques, la question du politique se recentrerait sur les hommes qui l’incarnent et y agissent. Quelques journalistes d’ailleurs disent un intérêt, voire une certaine fascination pour « le déchaînement des passions » ou le « théâtre du pouvoir ». L’attention portée aux caractères, aux passions, comme aux jeux de la conquête du pouvoir et de sa conservation est peut-être d’autant plus grande que la croyance dans l’étendue et la puissance du dit pouvoir fait désormais problème.
25En second lieu, un nombre important de journalistes expriment leur attrait pour le contenu même de la politique. Il s’agit de l’intérêt porté aux idées, aux analyses, aux projets, comme aux programmes. Les plus âgés font souvent référence aux qualités d’argumentation de certaines personnalités, telles Pierre Mendès France. Les plus jeunes disent leur attrait pour l’échange des points de vues contradictoires. Cependant, nombreux sont ceux qui regrettent un appauvrissement à ce niveau : l’affrontement idéologique s’est épuisé. Les clivages entre partis paraissent s’émousser au contact d’une réalité et de problèmes qui résistent aux belles idées. Nombreux sont ces journalistes qui également doutent de la capacité du politique à influencer le cours des choses au regard d’autres lieux de pouvoirs (économiques, internationaux, etc.). Logiquement, l’intérêt va alors se reporter vers les questions à traiter, la diversité de celles-ci et la manière de les aborder par les différents acteurs politiques.
26Quelques journalistes politiques invoquent leur motivation pour le rôle « politique » spécifique, qui serait celui de cette spécialité journalistique. Ils font alors référence à la manière dont celui-ci peut s’exprimer vis-à-vis du public, de la société ou de la situation politique elle-même. Il s’agirait d’expliquer « comment ça marche », de faire œuvre de pédagogie, de décrypter les enjeux cachés derrière l’image et la mise en scène du pouvoir. D’aucuns, encore moins nombreux, parleront d’une vigilance [33] qui reviendrait au journaliste, au service du citoyen ou de la société, face à la menace « populiste » ou aux dérives d’une politique saturée et dévoyée par les excès de la communication [34]. Il est notable que les quelques journalistes, qui invoquent cette motivation, produisent ou ont surtout produit une information destinée au plus grand nombre, à commencer par la télévision, les grandes agences d’information et la presse régionale. Pour ce qui est de ces journalistes de télévisions, ceux-ci se sentiraient d’autant plus invités à une telle vigilance que leur média fait l’objet, à leurs yeux, de toutes les attentions des plus communicateurs, comme des plus démagogues.
27Certains, donnent une formulation plus « psychologique » à leurs motivations en parlant du « plaisir » éprouvé dans l’exercice du journalisme politique. Que veulent-ils exprimer ainsi ? Que veulent enfin exprimer les journalistes qui invoquent comme motivation un certain plaisir lié au journalisme politique lui-même ? Dans la plupart des cas il s’agit de marquer la situation plutôt exceptionnelle, celle de l’observateur, qui tout en se percevant comme un homme ordinaire peut accéder à cette sphère réservée, voire prestigieuse, du politique, voire du pouvoir. Sans compter que suivre le politique ce serait varié, « être dans la vie », se confronter à l’imprévu, à l’incertitude, au mouvant. Cette question du plaisir éprouvé à exercer cette forme de journalisme trouve également son contraire, certains exprimant leur déception ou leur malaise dans cette proximité avec le politique, sans compter le comportement des politiques à leur égard : le tutoiement, les déjeuners, les déplacements, le poids de la « communication », les risques de la connivence. Nul doute qu’ils ne tarderont pas à demander ou à profiter de la première proposition d’une autre affectation. Le plus étonnant -, et sans doute le signe du déclin et de la perte de prestige pour cette forme de journalisme -, nombre de jeunes et de moins jeunes journalistes, qui disent aimer le journalisme politique, affirment vouloir un jour en partir pour retrouver intérêt et goûts de la découverte dans d’autres domaines. « Contrairement à leurs aînés » font-ils alors remarquer…
28Les journalistes politiques apparaissent plutôt conscients des problèmes qui traversent le rapport entre les politiques et les citoyens, avec l’importance que revêt aujourd’hui l’interpellation à l’égard des politiques, des partis, du pouvoir. De la même manière, ils ne se font guère d’illusion quant à l’opinion du public et plus généralement de larges franges de la société concernant la manière dont les médias – et donc eux-mêmes – rendent compte de la vie politique. Chacun a clairement à l’esprit leur mise en cause lors de la Présidentielle de 2002 : les « médias responsables » et autres « TFhaîne » brandis par les manifestants. Le traitement de la campagne avait été mauvais et ils n’avaient « rien vu venir ». Nombreux sont ceux qui partagent un sentiment d’échec ou de fiasco, à ce propos [35]. Pour autant, comment perçoivent-ils les moyens de répondre à ces critiques qui peuvent traverser les débats au sein de leurs propres rédactions ? Comment éviter surtout que ne se produise un échec de même nature lors de la prochaine Présidentielle ? Certains invoquent une évolution des comportements personnels. Il faut travailler plus, mieux, se former, enrichir la production et être capable de plus de courage ou de pugnacité face aux politiques eux-mêmes. D’autres s’interrogent davantage sur le recrutement des journalistes eux-mêmes. Il faut décloisonner, faire appel à des journalistes d’autres domaines, opérer davantage de rotations entre les services. Chez certains, l’espoir d’amélioration est donc renvoyé à plus tard : « Ça ira peut-être mieux la prochaine fois, pour la Présidentielle de 2007. Du moins je l’espère », entend-on souvent.
29En même temps, un certain scepticisme, ou plutôt un certain fatalisme, peut se percevoir au regard des conditions d’exercice de l’activité elle-même : manque ou diminution des moyens, à commencer par les effectifs, pour certains ; pression du temps face aux médias d’information en continu ; primeur donnée par les politiques eux-mêmes, sans doute aussi le public, aux médias les plus « chauds », avec le poids écrasant de la télévision ; comportement des politiques qui privilégient des émissions de divertissement ou des comportements tirant vers le people.
30Une chose frappe : l’éventuelle reconnaissance d’une logique de structure, découlant d’un mode d’organisation des services politiques, ne semble pas, ou si peu, déboucher sur d’autres formes d’organisations, ni même simplement leur mise en cause. Bien sûr il y a eu cette idée des séquences ou sections, avec les limites ou effets pervers évoqués plus haut, est apparue. Mais, il n’est, sinon, nullement question de transformer substantiellement l’approche du politique, à commencer par le modèle des pôles, qui semble pourtant contribuer puissamment à un mode de traitement suiviste à l’égard des institutions et de la classe politique elle-même. Nulle tentatives ou recherches visant à s’engager, par exemple, dans une organisation par dossiers, par problèmes. Très peu [36] d’idées, d’initiatives ou de tentatives pour trouver des moyens de saisir le politique tel qu’il se vit sur le terrain, dans des milieux diversifiés. Au contraire, le sentiment d’un certain déclin, d’être devenus des mal-aimés, y compris au sein de leurs rédactions, pourrait bien conduire à des attitudes de repli, sur les fondamentaux et de défense des structures et moyens traditionnels.
Notes
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[1]
Même si ce modèle, plutôt IIIème République n’a plus vraiment cours. Cf. Thomas Ferenczi, L’invention du journalisme en France, Plon, 1993. L’élite de la profession s’en tenant davantage à l’attrait, sans doute bien immodeste, pour l’influence sur le cours de l’histoire.
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[2]
La définition de ces journalistes politiques ne va pas sans poser problème. En premier rang figurent les journalistes rattachés aux services politiques proprement dits. Certains éditorialistes, chroniqueurs, rédacteurs en chefs et directeurs de rédaction le sont aussi, certainement, dans ces cas, c’est le volume de l’information politique qu’ils traitent qui a été prise en compte, voire leur itinéraire pour les hiérarques. La question se pose d’autant plus, que le périmètre de l’information politique s’est rétréci à mesure que se développait une série de rubriques (éducation, économie, société, etc.) abordant des questions hier intégrées dans l’information politique et prises en charge par les journalistes politiques.
-
[3]
Le présent article s’appuie sur l’exploitation des interviews en face à face de soixante journalistes des services politiques de la plupart des médias Français. Certains journalistes ont été revus plusieurs fois. Quelques services (Libération, France 2, Le Figaro, France Inter) ont donné lieu à des interviews de l’ensemble des journalistes de ces services. Plusieurs observations ont été menées sur des lieux d’intervention classiques de journalistes politiques. Plusieurs séminaires ont permis de discuter collectivement des observations et questions posées à propos de leurs pratiques et de leur manière d’envisager des situations concrètes.
-
[4]
Le recours à des pourcentages pour rendre compte d’une enquête qualitative peut être discuté. De l’ordre de la moitié du groupeé étudié ayant été interviewée avec un souci de représentativité, de tels chiffres permettent simplement de situer des ordres de grandeur. Ils ne sont bien sûr pas utilisables comme de véritables données statistiques.
-
[5]
V. Devillard et al. Les journalistes français à l’aube de l’an 2000. Profils et parcours, Éditions Panthéon Assas, Paris, 2001.
-
[6]
Depuis toujours spécialiste de la politique, avant d’accéder à son poste de direction actuel.
-
[7]
Selon les données de l’étude V. Devillard et al. Idem.
-
[8]
Deux seulement, ce qui est-ce un hasard, étaient ou sont des directeurs de rédaction.
-
[9]
Rappelons que selon l’enquête de V. Devillard et al. ( Idem), cette proportion est de 12 % pour l’ensemble de la profession.
-
[10]
Sont englobés ici les formations universitaires en économie, ainsi que des diplômés de formations commerciales ou de gestion, notamment un diplômé de l’ESSEC.
-
[11]
Quelques uns ont interrompu le journalisme, pour une autre profession avant d’y revenir (deux cas). Plus nombreux sont ceux qui ont exercé une autre profession au préalable, parfois sur une période longue (une quinzaine d’années, dans au moins un cas). Parmi ces derniers, l’interruption a été l’occasion de reprendre une formation au journalisme : en formation permanente ou dans des formations « non reconnues par la profession ».
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[12]
On la retrouve déjà décrite quasiment à l’identique dans des travaux et essais sur « L’élite des journalistes » publiés dans les années 1980 et 1990 : Rémy Rieffel, L’élite des journalistes, PUF, Paris, 1984 ; Yves Roucaute, Splendeurs et misères du journalisme, Calmann-Lévy, Paris. 1991.
-
[13]
Quelques rares exceptions viennent ici de jeunes journalistes qui peuvent préférer « Télé Matin », plus ludique, plus convivial, à la radio, dont ils savent par ailleurs qu’elle constitue la règle chez leurs collègues, comme pour les politiques.
-
[14]
Quelques uns évoquent à ce propos les risques de leur spécialisation qui les conduirait à laisser passer des événements internationaux, des faits divers, des informations culturelles ou artistiques, etc. que par leur caractère synthétiques les bulletins de radios leur fournissent instantanément.
-
[15]
Pour certains, il s’agit de l’une de ces rares occasions de sentir les réactions de leurs lecteurs, du public, du citoyen ordinaire…, y compris pour quelques uns à leurs propres articles.
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[16]
Le Figaro, Libération, le Parisien, complétés selon les cas par les Echos ou la Croix, plus rarement l’Humanité.
-
[17]
Le passage par la case Monde est moins systématique que l’on pouvait le penser.
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[18]
Les « sources et ressources » constituent les moyens et les personnes sur lesquelles s’appuient les journalistes politiques afin de nourrir leur activité. On s’est particulièrement intéressé à celles qui constituent en quelque sorte la routine quotidienne d’un côté, et de l’autre à celles qui sont mobilisées face à une question ou un problème qui se pose au journaliste.
-
[19]
Sachant que le journaliste chargé de suivre exclusivement les travaux des Assemblées sont devenus des exceptions (Le Monde, France Inter, les agences). À propos de ce phénomène, on pourra se reporter aux travaux de Nicols Kaciaf, notamment : « « La dernière séance ». Mutations stylistiques et déclin d’un genre caractéristique du journalisme politique français : le compte rendu parlementaire », in Les genres journalistiques, savoirs et savoirs faire, Lannion, septembre 2004.
-
[20]
Celle-ci serait en quelque sorte captée par les seules télévisions, auxquelles la plupart des leaders et députés les plus marquant réserveraient leurs « petites phrases ». Le phénomène est renforcé par le fait que les journalistes politiques consacrent de moins en moins de temps aux séances de discussions des textes au Parlement, privilégiant essentiellement les séances de « questions au gouvernement ».
-
[21]
Choisi par le journaliste sans que l’actualité en soit le déclencheur.
-
[22]
À Europe 1, par exemple, le passage de Jérôme Bellay à Jean-Pierre Elkabbach conduit à une large ouverture de la conférence de rédaction, à tous ceux qui le souhaitent, là où les choses se discutaient précédemment à l’intérieur d’un cercle restreint de chefs de service. Au Figaro, en revanche, c’est la « tradition » qui veut que la conférence ne concerne que « les chefs », selon les termes mêmes utilisés par les journalistes.
-
[23]
La généralisation de locaux pour les rédactions, en plateau, pour les rédactions, un même service se trouvant regroupé autour d’un même ensemble de tables – bureaux, favorise ce mode d’échanges, rendant parfois incongrue aux yeux des journalistes l’idée de se réunir pour se parler, alors qu’ils sont côte-à-côte ou en vis-à-vis, en permanence.
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[24]
Les journalistes politiques les plus critiques sur les pratiques de leurs spécialités sont souvent ceux qui viennent depuis peu d’autres services. Est-ce un effet d’échantillon ? Toujours est-il que les analyses les plus précises et les plus percutantes, viennent de journalistes issus de l’économie et du social.
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[25]
Seuls sont cités ceux du Cevipof, décrits comme adaptés à la participation d’un public de journalistes.
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[26]
Centre de recherche de Sciences Po Paris
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[27]
L’un d’entre eux, qui a commencé une brève carrière dans les études, a même créé son propre site d’information sur les institutions et la vie politique française. Il s’agirait pour lui de constituer sa propre ressource documentaire, à laquelle auraient recours quelques uns de ses collègues, à commencer par ceux de son service.
-
[28]
Il faut cependant tenir compte de la sensibilité des journalistes politiques aux critiques dont ils ont fait l’objet à propos de leur utilisation des sondages, lors de la Présidentielle de 2002. Quelques uns font la remarque qu’il est devenu de bon ton chez leur confrère de prétendre ignorer les sondages, ce qui serait loin de la réalité des pratiques.
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[29]
Cette lecture se faisant le soir à la maison, dans les transports en commun, mais certainement pas à la rédaction, où cela paraîtrait totalement incongru, voire déplacé.
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[30]
Ces effectifs peuvent avoir baissé de moitié, après une privatisation, comme ce fut le cas pour TF1.
-
[31]
Au printemps 2006, le service politique d’Europe 1 passe de trois à cinq journalistes. Se conjugue ici un facteur personnel, l’arrivée de Jean-Pierre Elkabbach, et un facteur de conjoncture, la préparation de la Présidentielle de 2007.
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[32]
Ceux-ci peuvent créer un double filtre, comme à La Croix, par exemple, le chef de service n’assistant pas à la conférence de rédaction, doit d’abord défendre ses propositions de sujets face au responsable de la section France, pour que ceux-ci les présentent en conférence de rédaction. De la même manière, celui-ci pourra accepter une suggestion de la rédaction en chef, qui devra alors être reprise par le journaliste du service politique.
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[33]
Qui ne saurait se confondre à l’engagement militant qui fut longtemps présent au sein du journalisme politique. Aucun des journalistes interviewés ne fait allusion à une conviction militante dans l’exercice de sa profession, même si certains expriment, parmi les tenants de la vigilance, une sensibilité… de gauche.
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[34]
Le fait que ce « rôle politique », cette influence du journalisme politique ne soit revendiqué que face à la menace des extrêmes ou des excès, voire comme pédagogie, face une forme de dépolitisation du grand public, manifeste-t-il une quasi-disparition de la croyance historique dans l’influence du journaliste politique sur le cours des choses et de l’histoire, ou celle-ci n’ose-t-elle plus s’exprimer explicitement dans le cadre d’un entretien ?
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[35]
La mise en cause des médias lors de la campagne du Référendum est interprétée très différemment. Il s’agirait plutôt d’un désaveu des directions et d’une poignée d’éditorialistes qui n’ont pas voulu voir les mouvements perceptibles dans la société, se permettant ainsi d’une forme de mépris à l’égard de la majorité du pays.
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[36]
La plus substantielle fut sûrement la création du poste de Didier Hassoux, chargé d’approches transversales, sur le terrain, du politique, au sein du service politique de Libération. Que deviendra-t-elle après le départ de celui-ci ?