Notes
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[1]
Parmi les rares exceptions, nous pouvons signaler la comparaison entre la couverture de la campagne présidentielle de 1980 aux États-Unis par l’agence de presse américaine UPI et par le réseau de télévision CBS proposée par Robinson M. et Sheehan. M., Over The Wire and on TV. CBS and UPI’s Campaign’80, New York, Russel Sage Foundation, 1983.
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[2]
En effet, à l’heure où le grand public a de plus en plus un accès direct, via d’innombrables sites internet, aux dépêches d’agence, sans réécriture ou intervention de la part de journalistes d’autres médias, il devient de plus en plus difficile de maintenir telle quelle l’ancienne distinction entre « grossistes » et « détaillants » sur les marchés de l’information.
-
[3]
Gerstlé J., La communication politique, Paris, Armand Colin, 2004, p.137.
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[4]
« La campagne électorale se présente alors comme une séquence privilégiée de construction de la réalité politique à laquelle contribuent tous les acteurs selon leurs ressources, leurs contraintes et leurs intérêts », résume Gerstlé. (p.138).
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[5]
Date de naissance de l’AFP, née à la Libération sur les décombres de l’Office français d’information (OFI), lui même « successeur » imposé par l’occupant allemand de la branche information de l’agence Havas.
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[6]
Pour plus de détails, nous renvoyons à notre étude : Lagneau E., Couvrir une campagne électorale. Les journalistes de l’Agence France Presse et les élections législatives des 25 mai et 1er juin 1997. Paris : Institut d’Etudes Politiques de Paris, 1997, 178 p., Mémoire de DEA de science politique.
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[7]
Nous avons choisi dans la suite de cet article de nous intéresser exclusivement à la seule couverture en dépêches, ce support d’information qui a fait le succès de l’agence et qui demeure la clé de voûte de sa production journalistique, même si les autres supports montent commercialement en régime.
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[8]
Un abonnement, que ces clients, précisons-le, ont souscrit non pour ce seul événement, mais pour recevoir tout au long de l’année la couverture par l’AFP de l’actualité nationale et internationale.
-
[9]
On retrouve l’étymologie latine du verbe informer (in-formare).
-
[10]
Pour une description plus précise, voir Lagneau E, « Le style agencier et ses déclinaisons thématiques. L’exemple des journalistes de l’AFP », Réseaux n°111, vol 20, 2002, p 57-100.
-
[11]
Nous nous intéresserons exclusivement ici à la production textuelle de l’agence, en laissant de côté les autres supports de diffusion de l’information également utilisés par l’AFP (photos, vidéos, infographies…).
-
[12]
Pour une présentation plus complète des différents types de dépêches, nous renvoyons à un article à paraître : Lagneau E., « La dépêche d’agence à l’épreuve du ballon rond. Ce que l’écriture agencière (s’) autorise pour rendre compte d’un match de football ».
-
[13]
En première ligne, le service politique, composé de 24 journalistes en mars 1997, est par exemple renforcé par cinq nouveaux éléments après la dissolution pour assurer la couverture des législatives. Mais il faut aussi signaler les mobilisations exceptionnelles pour les soirées électorales, avec, rien que sur Paris, une cinquantaine de journalistes sur le pont pour la partie « production », une moitié d’entre eux étant détaché pour l’occasion d’autres services parisiens (sport, économie…), sans parler d’un desk France renforcé.
-
[14]
Entretien avec l’auteur.
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[15]
Ce classement de visibilité peut d’ailleurs varier de manière non négligeable selon la période de campagne prise en compte. Jean-Pierre Chevènement, le présumé « troisième homme », se détache par exemple assez nettement des autres « candidats moyens » si l’on prend en compte la période allant du 1er février au 20 avril 2002, mais il est en perte de visibilité par rapport à ces concurrents à ce titre dans la dernière ligne droite d’avril, lors de la « campagne officielle » où l’AFP procède à un rééquilibrage pour rapprocher le traitement de tous les candidats.
-
[16]
Ils le font aussi parfois de manière moins subtile en surlignant dans le texte les passages importants, mais c’est souvent vu par les journalistes, attachés à la conservation de l’initiative, comme une insigne maladresse et risque au contraire de les braquer.
-
[17]
On trouvera une bonne illustration de « pack journalism » au cours d’une campagne électorale dans Crouse, T. The Boys on The Bus. New York : Random House, 1973.
-
[18]
Certains journalistes de presse écrite n’hésitent d’ailleurs pas à se reposer sur les dépêches des agenciers pour récupérer après coup les citations exactes qu’ils reprendront dans leurs articles lorsque les candidats ne fournissent pas de version écrite de leur discours.
-
[19]
Pour des développements sur ces distinctions, on renvoie à Lagneau E., « La dépêche d’agence à l’épreuve du ballon rond. Ce que l’écriture agencière (s’) autorise pour rendre compte d’un match de football ».
-
[20]
En fait, un échantillon regroupant les 890 dépêches produites pendant onze jours de campagne sélectionnés au hasard.
-
[21]
Pour une rapide synthèse, on renvoie à Legavre J.-B., « Les journalistes politiques : des spécialistes du jeu politique », in Matonti F. (dir.), La démobilisation politique, La dispute, Paris, 2005. Tout en l’utilisant, l’auteur signale à juste titre que « la distinction entre jeux et enjeux posent d’évidents problèmes », notamment d’un point de vue méthodologique. Il faut donc prendre les chiffres donnés comme un indicateur assez grossier de tendances avérées.
-
[22]
Source : Gertslé J. et al., « La couverture télévisée des campagnes présidentielles. L’élection de 1988 aux États-Unis et en France », Pouvoirs n°63, 1992.
-
[23]
Source : Gertslé J. « La campagne électorale au prisme de l’information télévisée », in Habert, P. et al. (dir), Le vote sanction. Les élections législatives des 21 et 28 mars 1993, Presses de Science Po, Paris, 1993.
-
[24]
Source : Lagneau E., Couvrir une campagne électorale. Les journalistes de l’Agence France Presse et les élections législatives des 25 mai et 1er juin 1997. Paris : Institut d’Etudes Politiques de Paris, 1997, 178 p., Mémoire de DEA de science politique.
-
[25]
Source : Legavre J.-B., « Les journalistes politiques : des spécialistes du jeu politique », in Matonti F. (dir.), La démobilisation politique, La dispute, Paris, 2005.
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[26]
Sur les 686 dépêches personnalisées de notre corpus restreint, Alain Juppé est cité en titre et lead dans 93 (13 %), Lionel Jospin dans 85 (12 %) et Jacques Chirac dans 37 (5 %).
-
[27]
Aisément identifiables dans la production agencière grâce à des mots-clés (slug en jargon agencier) spécifiques comme « Présid » pour la présidentielle ou « Légis » pour les législatives.
-
[28]
Voir notamment Gertslé J., « La persuasion de l’actualité télévisée », in Politix, n°37, L’Harmattan, 1997.
-
[29]
Cf. Gautier A., « Affaire Paul Voise », Enquête sur un fait divers qui a bouleversé la France à la veille de la présidentielle, Paris, L’Harmattan, 2003.
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[30]
Il faut noter de ce point de vue des différences notables d’une élection à l’autre. En 2002, Jacques Chirac a fait acte de candidature le 11 février, Lionel Jospin le 20 février, alors que le 1er tour avait lieu le 21 avril. En 1995, Jacques Chirac s’était lancé en campagne bien plus tôt, dès le 4 novembre 1994 (1er tour le 23 avril 1995). A l’inverse, François Mitterrand avait attendu le 22 mars 1988 pour annoncer son intention de briguer un nouveau mandat (1er tour le 24 avril 1988).
-
[31]
Huteau J., Ullmann B., AFP. Une histoire de l’Agence France-Presse : 1944-1990. Paris : Robert Laffont, 1991, p.409 et suivantes.
1Si la couverture journalistique des élections est désormais un terrain d’études largement balisé par les historiens, les sociologues, les politistes ou les linguistes, il faut bien reconnaître que dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, tous les médias ne bénéficient pas du même degré d’attention de la part des sciences sociales. Viennent en tête la télévision et la presse, longtemps le média privilégié en la matière, talonnées depuis peu par l’internet, le nouvel objet d’étude à la mode, et en dernier lieu, la radio, qui reste le parent pauvre de ces travaux. Mais que dire alors des agences de presse, à l’évidence les grandes oubliées de cette histoire [1] ? Il y a un paradoxe étonnant dans cette négligence prolongée quand on connaît la place considérable, sinon primordiale, que ces grossistes de l’information, ces « médias des médias » comme on les appelle parfois, occupent dans le fonctionnement quotidien de la plupart des autres supports de l’information, peut-être plus encore dans ces périodes d’actualité « chaude » que constituent les campagnes électorales.
2Sans se lancer ici dans la formulation des hypothèses multiples permettant d’éclairer les raisons de cet étrange « oubli », sans doute peut-on avancer une relative difficulté d’accès pour le chercheur aux agenciers et à leur production comme obstacle objectif à une telle investigation. Mais le manque d’intérêt découle surtout de l’angle d’attaque longtemps privilégié dans les études sur « médias et élections », à savoir l’impact des premiers, leurs « effets » sur les lecteurs/téléspectateurs/ auditeurs-qui-sont-aussi-des-électeurs, une problématique que l’on résume habituellement par la question canonique : « les médias font-ils l’élection ? ». Dans une telle perspective, les agences de presse, précisément parce qu’elles ne touchent (ou plutôt ne touchaient) [2] qu’indirectement le « grand public », semblaient pouvoir être considérées sans graves dommages comme quantité négligeable.
3Le présent article n’est pas seulement une modeste contribution à la réparation de cet oubli, pour le seul plaisir (ce n’est déjà pas si mal) d’aborder une terra incognita de la recherche sur les médias. Car avec le déplacement du questionnement, entamé en science politique au tournant des années 1980 [3], la campagne électorale est devenue un objet d’étude autonome. Il paraît dès lors intéressant d’étudier sa dynamique propre en mettant l’accent sur les interactions entre une foule de protagonistes, dont les journalistes [4], et notamment de pointer les influences mutuelles entre médias dans la construction de l’agenda et des cadrages de l’information. C’est dans cette optique que l’étude de la contribution de l’AFP à la traduction journalistique de l’événement électoral trouve une pertinence renouvelée.
4On l’aura compris, il ne s’agit pas de nous demander si « l’AFP a fait l’élection », au sens usuel de l’expression qui voudrait que le média soit jugé responsable du résultat de la consultation électorale. Notre point de départ pourra sembler beaucoup plus prosaïque, platement descriptif : « Que fait donc l’AFP pendant l’élection ? ». Pourtant, en nous attachant à cette question, nous serons en mesure chemin faisant d’apporter quelques réponses à une autre interrogation, « Que fait l’AFP à l’élection ? », ou plus exactement, même si les deux ne sont pas sans rapport, « Que fait l’AFP à la représentation médiatique de l’élection ? », ce qui est finalement une manière plus circonscrite d’aborder la fameuse question des « effets ».
5Pour simplifier, nous avons jusqu’à présent évoqué l’élection de manière générique mais bien évidemment, l’AFP ne couvre jamais que des élections particulières, précisément situées dans l’espace et le temps. Si l’on peut, comme on se propose de le montrer, dégager quelques traits communs à toutes ces couvertures, qui tiennent à la fois aux caractéristiques du média et à certaines régularités des séquences électorales, il ne faut pas sous-estimer les différences dans les traitements de ces moments à chaque fois singuliers, même si nous les laisserons au second plan dans cet article. Il ne saurait en effet être question de nous lancer ici dans un vaste panorama de la couverture par l’AFP des élections partout dans le monde depuis 1944 [5]. Pour étayer notre argumentation, nous avons choisi de nous appuyer sur deux élections récentes en France, les législatives des 25 mai et 1er juin 1997 [6] et l’élection présidentielle de 2002.
Mise en ordre et mise en formats de l’élection
6« Que fait donc l’AFP pendant une élection ? » ou dit autrement, « en quoi consiste la couverture d’une élection par une grande agence de presse généraliste » ? La réponse la plus triviale est la suivante : les journalistes de l’AFP produisent des dépêches [7], des photos, des vidéos, des infographies, des pages internet relatives à la campagne électorale et à son dénouement que l’agence fournit à ses clients (pour l’essentiel des médias) en échange (le plus souvent) du paiement d’un abonnement [8]. Pour l’exprimer dans un vocabulaire un peu plus conceptuel, on dira que l’AFP propose une traduction journalistique de l’élection, qui se veut la plus « objective » possible (c’est-à-dire en fait la moins critiquable possible) en la passant au tamis de ses formats de production (organisation du travail, utilisation du personnel et de son temps…) et de diffusion (supports de publication de l’information, notamment les différents types de dépêches).
7En ce sens précis, on peut bel et bien parler d’un formatage de l’événement par l’AFP. Mais que l’on ne s’y trompe pas. Il ne s’agit pas ici de dénoncer la déformation de l’élection par le média, mais simplement de décrire la manière dont l’événement électoral doit nécessairement être mis en ordre et en forme [9] (c’est-à-dire mis en formats) par les journalistes pour pouvoir être relaté. Plus exactement, nous allons maintenant analyser dans une perspective interactionniste la traduction journalistique comme un processus à double sens d’adaptation mutuelle, de l’événement électoral au média et du média à l’événement. Par la même, nous voudrions échapper à l’opposition manichéenne entre deux réductionnismes, le naturalisme (« l’événement s’impose à nous journalistes, nous ne faisons que le refléter ») encore trop souvent mis en avant par une partie de la profession journalistique pour clore prématurément la discussion sur ce qu’elle fait et l’hyperconstructivisme (« l’événement est fabriqué en tout arbitraire par les médias et n’a plus qu’un lien ténu avec le réel, quand il n’est pas une pure création médiatique ») de certaines critiques bulldozer qui refusent, quoi qu’elles en disent, de prendre au sérieux l’activité journalistique.
8Ce que vise à souligner l’approche par les formats, c’est qu’il n’y a pas de traduction journalistique sans mise en ordre du réel et que, pour l’opérer, les journalistes prennent appui sur les formats et les grilles de lecture du monde qu’ils ont à leur disposition. Il faut donc pointer le lien étroit entre les principales caractéristiques de la traduction agencière et les formats de production et de diffusion employés. Pour le dire vite [10], il s’agit d’une traduction factuelle centrée sur l’événement, qui se veut la plus « objective » possible, mais aussi d’une traduction rapide, en continu, réalisée donc le plus souvent dans l’urgence, avec un recul limité. Autrement dit, les clients de l’AFP attendent de l’agence qu’elle leur rapporte quasiment en temps réel un maximum de ces faits et gestes (et paroles) mais aussi chiffres (de sondage…) et résultats, qui font la chair médiatique d’une élection. Elle fournit ainsi une sorte de socle factuel commun qui nourrira les différentes mises en récit proposées par les uns et les autres. Ces faits doivent être tous à la fois vrais (authentifiés) et importants et/ou intéressants (significatifs, pertinents…).
9Pour se conformer à ce cahier des charges, les journalistes de l’AFP peuvent s’appuyer sur la dépêche d’agence [11], format de diffusion agencier par excellence, qui « rapporte un fait », souligne le manuel de l’AFP, de manière la plus exacte, rapide et concise possible. Cette dépêche, qui répond à des règles d’écriture standardisées et précises (construction en pyramide inversée avec un premier paragraphe respectant la règle rhétorique des 5 W, attribution de chaque fait ou déclaration relaté à une source citée…), est un outil essentiel à la production « afpienne » de faits journalistiques.
10Le travail journalistique d’ordonnancement de l’événement électoral se manifeste de différentes manières. D’abord dans l’indispensable planification de la couverture de l’élection par l’AFP qui va préparer sa mise en dépêches en la réduisant à une suite de faits découpés dans le continuum du réel. Ensuite, dans le travail de couverture et d’écriture proprement dite, la construction en pyramide inversée de la dépêche imposant précisément d’ordonner les différents faits rapportés, comme on va le voir avec l’exemple de la couverture d’un meeting électoral. Enfin, et contrairement à l’impression que peut laisser la lecture hâtive d’un fil d’agence compilant des dépêches sur des événements fort disparates selon le seul ordre chronologique, la traduction « afpienne » n’est pas un empilement inorganisé de faits. Il faut ainsi signaler, contre une idée assez répandue, qu’à côté de la « dépêche de base », il existe une gamme de dépêches en réalité bien plus élargie (papiers d’analyse, portraits, papiers d’angle, magazines…) [12] qui permet à l’AFP de proposer sa propre mise en récit de l’événement électoral et de le saisir de manière plus globale.
Planification et réduction factuelle de l’élection
11Le travail de planification consiste à déconstruire en quelque sorte l’élection, d’abord en deux moments principaux, la campagne et la (ou les) soirée électorale. Puis la campagne est découpée à son tour en une série relativement limitée de micro-événements typiques (tableau 1) dont le traitement est confié à un ou plusieurs journalistes chargés de remplir des formats de diffusion prédéterminés et codifiés (tableau 2).
Planification/étape 1. Réduction factuelle de l’élection
Planification/étape 1. Réduction factuelle de l’élection
Planification/étape 2. Mise en formats par un agencier des micro-événements. Extrait du programme de couverture d’une journée de campagne type
Planification/étape 2. Mise en formats par un agencier des micro-événements. Extrait du programme de couverture d’une journée de campagne type
Classer élections, meetings et candidats
12Bien entendu, malgré les gros moyens (humains et matériels) [13] que l’AFP mobilise pour cette couverture, l’exhaustivité est impossible, et elle n’est d’ailleurs pas souhaitée. Il faut donc opérer une sélection dans la foule des micro-événements qui constituent une campagne électorale, conformément aux attentes des abonnés de l’agence qui la rémunèrent pour réaliser ce premier tri. La mise en formats « afpienne » est donc indissociable d’une mise en ordre de l’événement, une hiérarchisation des grands et petits faits qui le composent.
13En fait, cette hiérarchisation s’opère à plusieurs niveaux, et d’abord entre les différents types d’élections qui ne font pas l’objet de la même attention de la part de l’AFP. On peut prendre ici un indicateur simple de la mobilisation de la machine « afpienne », le nombre de dépêches relatives à l’élection sur le fil France de l’agence. Comme on le voit dans le graphique suivant, une hiérarchie des élections se dégage alors clairement, avec, sans surprise, une prépondérance accordée à la présidentielle (8358 dépêches sur la période des quatre derniers mois avant le second tour en 2002) et aux législatives (7325 en 2002), devant les municipales (5636 en 2001), alors que les régionales (3106 en 2004) et les européennes (1926 en 2004) arrivent loin derrière.
14Pour chaque élection s’opère un travail de sélection parmi les micro-événements de la campagne. Prenons l’exemple des meetings électoraux. L’attention que l’AFP leur accorde dépend principalement de la qualité du principal ténor politique qui l’anime. Lors d’une élection présidentielle, la priorité sera ainsi clairement donnée aux meetings des « grands candidats » qui seront systématiquement couverts par des journalistes du service politique attachés à leurs basques pendant toute la campagne. Des meetings de moindre importance, autour d’un « candidat moyen » ou d’un « petit candidat » ou encore de quelques soutiens de poids d’un « grand candidat », feront l’objet d’un traitement de moindre envergure et seront souvent laissés à la charge d’un journaliste du bureau de province qui couvre la ville où se déroule la réunion électorale. Enfin d’autres meetings, jugés encore plus secondaires (petits meetings en province d’un petit candidat), peuvent carrément passer à la trappe, parfois pour des raisons d’intendance (ou de formats de production), comme le raconte cet ancien journaliste du service politique.
« On demande au bureau de province et le bureau a tout latitude pour dire s’il peut y aller ou pas et parfois un meeting qui n’est pas couvert, c’est un meeting où on ne peut pas envoyer quelqu’un faute de moyens, de personne si tu veux, le bureau ne pouvait pas non plus et dans ce cas là, on laisse tomber ». [14]
16On peut ainsi dégager à gros traits une typologie (très simplifiée) des meetings électoraux et de leur couverture (tableau 3).
17Comme on le voit, cette typologie des meetings s’appuie sur une hiérarchisation des candidats qu’elle contribue en retour à renforcer par la différence de traitement que l’AFP leur réserve. Pour simplifier, on peut dégager en terme de visibilité médiatique trois grandes catégories, les « grands », les « moyens », et les « petits » candidats, qui apparaissent assez nettement quand on essaie de mesurer l’importance de la couverture quantitative (nombre de dépêches) consacrée à chaque protagoniste (tableau 4). Il faut toutefois distinguer entre la hiérarchie des candidats qui se dégage ainsi ex post aux yeux de l’analyste et celle, plus implicite, mise en œuvre par les journalistes, lors de la planification ex ante. Il est clair dès le départ, pour l’AFP comme pour les autres médias, que le président Jacques Chirac et son premier ministre Lionel Jospin, par leur fonction et parce qu’ils sont présumés assurés de figurer au second tour, doivent bénéficier d’un traitement privilégié. A l’inverse, les candidatures de Daniel Gluckstein, Corinne Lepage ou Christiane Taubira par exemple sont regardés comme anecdotiques. Mais si les outsiders potentiels (Chevènement, Le Pen, Bayrou) font l’objet d’une attention particulière parmi les candidats moyens, aucun document de travail n’a au préalable établi un classement très précis [15]. Car c’est aussi et surtout la dynamique de la campagne, « l’activisme » plus ou moins grand des candidats (ou leur capacité à faire parler d’eux) qui expliquent ces différences de traitement.
Typologie simplifiée des meetings de campagne présidentielle et couverture afférente
Typologie simplifiée des meetings de campagne présidentielle et couverture afférente
Hiérarchie de visibilité des candidats selon nombre de dépêches qui leur sont directement consacrées par l’AFP (1er février-20 avril 2002 et 1er avril-20 avril 2002)
Hiérarchie de visibilité des candidats selon nombre de dépêches qui leur sont directement consacrées par l’AFP (1er février-20 avril 2002 et 1er avril-20 avril 2002)
18La sélection des meetings tient également compte de la hiérarchisation que les candidats et les partis eux-mêmes opèrent au sein de leur activité électorale, comme le montre l’exemple de Daniel Gluckstein, le candidat du parti des travailleurs à la présidentielle de 2002, évoqué par le journaliste du service politique de l’AFP déjà cité.
Il importe de noter que cette mise en ordre agencière n’influe pas seulement sur la décision de parler ou non de tel ou tel meeting mais aussi sur la manière dont il sera traité. Un grand meeting, couvert par plusieurs journalistes, fera en effet l’objet d’une couverture plus riche, avec plusieurs factuels sur les déclarations importantes diffusées au fur et à mesure et un grand papier général (autour de 600 mots), annoncé et donc attendu par les clients pour faire le point sur cette réunion. Pour un meeting de moindre envergure, le compte rendu peut se résumer à une seule petite dépêche factuelle de 300 mots reprenant quelques déclarations. Avant même de parler, suivant le traitement programmé de leurs meetings, les orateurs n’ont donc pas tous les mêmes chances de voir leurs propos repris par l’AFP (et le cas échéant commentés dans d’autres médias).« Un meeting présidentiel, quel que soit le candidat, s’il n’est pas fantaisiste bien sûr, sera toujours couvert, et ensuite, effectivement, les candidats de moindre importance, les partis de moindre importance auront une couverture un peu plus limitée… Par exemple, les partis d’extrême gauche, je vais commencer par le plus petit, le parti des travailleurs, un parti troskiste qui présentait un candidat à la présidentielle, lui, on a couvert de ce parti là que ce que lui-même appelait ses grands meetings nationaux, qui se déroulaient pour la plupart à Paris. Il a du en faire trois, ils ont été couverts. Ce candidat, qui s’appelait Daniel Gluckstein, a fait un nombre incalculable de réunions publiques partout en France, aucune n’a été couverte. Voilà, ça s’est probablement celui qui a bénéficié de la moins grande couverture de l’AFP, il a quand même eu droit, enfin eu, une couverture de ses meetings principaux. A l’opposé, les deux, trois ou quatre candidats principaux eux verront tous leurs meetings couverts. Avec une personne, ou plusieurs personnes attachées à leur basque. »
Transformer le meeting en « petites phrases »
19Il faut ajouter une dernière étape au travail de réduction factuelle de l’événement électoral, c’est-à-dire, dans l’exemple qui nous retient ici, l’écriture des dépêches sur le meeting par le (s) journaliste (s) qui y assiste (nt). Là encore, il ne saurait être question pour l’agencier de restituer la totalité des propos tenus par tous les orateurs. Il lui faut procéder à une sélection des déclarations qui lui paraissent les plus importantes, avec une contrainte supplémentaire et essentielle pour un agencier, celle de la rapidité d’exécution, comme le rappelle le journaliste de l’AFP interrogé.
« La couverture du meeting a pour particularité de se dérouler le soir la plupart du temps, donc on a un impératif de temps qui est très fort, il faut qu’on rende une copie, qu’on envoie les dépêches le plus tôt possible, alors ça s’est vraiment l’impératif majeur quand on couvre un meeting qui se déroule le soir ».
21C’est ici que le travail du journaliste et le respect de l’impératif de rapidité sont grandement facilités par les règles d’écriture de la dépêche en général et la maîtrise du format « factuel meeting » en particulier qui guident l’agencier dans ce qu’il a à faire : retenir quelques déclarations importantes (en nombre plus ou moins élevé selon la taille du format imparti) et leur donner l’habillage habituel, c’est-à-dire une mise en forme (en dépêche) conforme.
22Entendons nous bien, ce n’est pas le format qui choisit les citations, mais bien le journaliste qui le remplit. Il ne saurait être question de prétendre que les formats décident à la place des agenciers, mais seulement d’insister sur leur prégnance dans les pratiques journalistiques, leur importance en tant que guides pour l’action qui tout à la fois facilitent et contraignent le travail du journaliste. Il faut d’ailleurs noter d’inégales marges de manœuvre laissées au rédacteur par les différents types de dépêche. Par contraste avec l’incontestable air de famille entre toutes les dépêches « factuel meeting », on relève ainsi des variations stylistiques bien plus marquées dans l’écriture des « papiers généraux meeting ». Alors que certains agenciers s’en tiennent pour ces derniers à un verbatim organisé juxtaposant par ordre d’importance décroissante les propos en ajoutant le minimum de background nécessaire à la compréhension du propos, d’autres (ou les mêmes dans d’autres contextes, quand ils ont plus de temps ou maîtrisent mieux le sujet abordé…) s’autorisent davantage de mise en perspective, jusqu’à les faire davantage ressembler à un mixte entre compte rendu factuel et analyse à chaud.
23Reste à se pencher un peu plus en détail sur l’alchimie mystérieuse qui permet de transformer un discours d’une heure ou plus en une dépêche de 300 mots restituant quelques citations du candidat. Sans prétendre épuiser ici le sujet, il convient d’indiquer qu’en la matière, c’est surtout la compétence du spécialiste de la politique qui est mise à contribution. Pour comprendre leurs critères de jugement, il faut souligner la position un peu particulière, qui n’est pas propre aux agenciers, de ces journalistes qui suivent un candidat donné d’un meeting à l’autre. Elle est bien résumée dans les propos suivants du journaliste du service politique de l’AFP :
« Quand on couvre un même candidat sur une assez longue période de campagne, le plus difficile c’est de trouver quelque chose de nouveau à dire quand les meetings se répètent soir après soir éventuellement, et au moins deux soirs par semaine ».
25Le journaliste chargé du compte rendu va donc chercher en priorité la nouveauté, au moins à ses yeux, c’est-à-dire pour l’essentiel les « commentaires sur l’actualité ».
« Le meeting est un passage obligé pour les candidats qui doivent présenter leur programme, développer leurs idées force, à chaque meeting, le public est différent, donc ils se répètent. Ce ne sont pas ces aspects qui vont intéresser au premier chef les journalistes qui eux couvrent tous les meetings, donc qui entendent pour la énième fois les mêmes arguments, les mêmes programmes, les mêmes idées. Elles ont déjà été développées lors de la présentation du programme qui fait l’objet d’une conférence de presse, donc ça, on s’y intéresse peu. Le meeting en revanche permet aux candidats des commentaires sur l’actualité, c’est assez souvent cela qui nous intéresse. Les commentaires sur un sujet d’actualité peuvent le plus souvent faire l’objet d’informations, de dépêches, il y a aussi les réactions aux prises de position des adversaires, les attaques contre les adversaires… quand je parle d’attaques, c’est aussi des échanges d’argument hein, ce n’est pas forcément que la petite phrase qui nous intéresse… c’est forcément aussi la petite phrase qui nous intéresse mais on sort des infos sur ce qui distingue un meeting de l’autre, de son précédent, voilà. Parce que dans les meetings, il y a de longs tunnels où on peut pratiquement poser le stylo, on sait que le candidat va développer ses arguments ».
27Pour parler dans les catégories de la science politique, on dira que le journaliste donne assez naturellement la priorité au jeu électoral sur les enjeux et en cela, il ne se démarque pas vraiment de ses confrères des autres médias. Il faut d’ailleurs préciser que ce processus de sélection des « déclarations les plus importantes » doit être décrit comme une action collective. Non seulement parce que, le plus souvent, le candidat et son entourage (attaché de presse) cherchent, par exemple au cours de conversations avant le meeting [16], à attirer l’attention des journalistes sur les points forts de ce qu’il va dire et le cas échéant sur les fameuses « petites phrases » ciselées dont il espère la reprise. La sélection des déclarations passe aussi parfois par des discussions informelles entre confrères, y compris de médias concurrents, caractéristiques de ce qu’on peut appeler d’un « journalisme de meute » (pack journalism) typique des campagnes électorales [17], mais aussi des couvertures de guerre et ou des tribunes de presse sportive. Les agenciers jouent en la matière un rôle négligeable. Il est en effet fréquent de voir les autres journalistes venir les consulter à la fin du meeting pour leur demander les propos qu’ils ont retenus et souvent déjà diffusés sur les fils. Ces confrères, surtout ceux des radios et des télévisions, savent en effet que le premier retour que leur hiérarchie aura du meeting, ce sont les dépêches d’agence. Bien entendu, cela ne les oblige aucunement à retenir les mêmes extraits, mais cette sélection agencière leur sert souvent de référence commune [18]. L’expérience prouve d’ailleurs qu’un consensus se dégage très souvent entre journalistes qui partagent une même compréhension du jeu politique et un même sens de l’actualité.
Une grille de lecture institutionnelle et légitimiste
28Avant d’aller plus loin dans notre description de la traduction afpienne de l’élection, il faut mettre en garde contre une lecture hâtive de ce qui précède. Si nous avons jusqu’à présent insisté sur la planification de la couverture et le formatage qu’elle impose à l’événement électoral, il ne faudrait pas oublier en retour le travail permanent d’adaptation de la traduction journalistique à la dynamique de l’événement.
29La planification est en effet sujette à nombre d’ajustements, de modifications pour tenir compte des inflexions de la campagne. Elle fait donc l’objet de révisions régulières. Si par exemple un candidat prend de l’importance dans le débat public et les sondages, sa couverture pourra être revue à la hausse. La planification n’est pas non plus absolument impérative. Certes, si l’AFP n’a aucun rédacteur présent à une réunion jugée au départ secondaire, il n’y a quasiment aucune chance que les propos qui y seront tenus fassent l’objet d’une dépêche et donc d’une reprise significative (en dehors peut-être de la presse locale). En revanche, un journaliste chargé de suivre un meeting a beau se voir attribuer a priori des formats à remplir, il lui est toujours possible de programmer sur le tard un papier général en avisant sa hiérarchie que le simple factuel initialement prévu ne suffit plus au regard de l’intérêt des déclarations du candidat. On a vu également que les formats de production et de diffusion sont des guides pour le travail de sélection des faits, qui encadrent mais ne réduisent pas à zéro les marges de manœuvre des journalistes, et n’empêchent donc pas les différences de style entre agenciers.
30Contrairement à ce que la terme de formatage peut suggérer, la relation entre format et événement n’est donc pas unilatérale. Si la structure rédactionnelle et les règles d’écriture des dépêches sont relativement fixes, le dispositif de couverture et l’usage des formats de diffusion sont en revanche à ajuster à l’événement à couvrir. Il y a donc à travers la traduction à la fois une mise en ordre journalistique de l’événement qui s’appuie sur les formats et une adaptation partielle des formats et de leur usage à l’événement.
31Il faut dès lors pointer les limites d’une explication de la traduction journalistique par les seuls formats. Car, on l’a vu, les formats appellent et renforcent la mise en ordre, ils ne la déterminent pas. Lorsque l’on s’intéresse aux critères de la sélection des micro-événements et des faits pertinents, il est manifeste que celle-ci demeure incompréhensible sans se référer à la grille de lecture, d’ailleurs souvent plus implicite qu’explicite, qui préside à ces choix.
32Cette grille, il est impossible de la décrire en quelques lignes. Tout simplement parce qu’au singulier, elle n’existe pas. Il faut en réalité parler de grilles au pluriel, selon les secteurs de la société et même les événements traités, distinguer selon les cas des degrés d’ancienneté, de rigidité ou de complexité de ces grilles, et s’intéresser aux grilles de chacun des journalistes, jamais totalement congruentes, voire sur certains points opposées, pour éviter de postuler d’entrée l’existence d’une grille commune à tout un service ou à toute l’AFP. Bref, il faut mettre en garde contre une réification abusive et bien considérer la grille de lecture comme un concept descriptif invitant à montrer, à chaque fois, comment s’élabore (conférence de rédaction, notes rédactionnelles, discussions en interne…) ou non une manière commune de voir et de traiter un événement donné, et comment on en trouve effectivement la manifestation dans les traductions proposées par le média.
33Une montée en généralité raisonnée permet néanmoins de relever un air de famille, une caractéristique commune à toutes les grilles de lecture afpiennes que nous avons étudié, à savoir une nette propension à dépendre des grilles de lecture des institutions dominantes dans le secteur traité, surtout lorsqu’un consensus se dégage entre elles pour faire émerger un sens commun partagé par une grande majorité de la population. En ce sens, la grille de lecture afpienne des élections, comme pour nombre d’événements politiques (mais aussi économiques, sociaux, sportifs, judiciaires…), peut être qualifiée d’institutionnelle, consensuelle et légitimiste. Cela ne veut surtout pas dire que l’AFP ne proposera que des traductions irénistes en gommant systématiquement les conflits, mais il est vrai que comme une grande majorité de médias, elle se montre plus à l’aise pour traiter les conflits institutionnalisés entre institutions reconnues que les conflits émergents. On peut bien entendu faire à juste titre des lectures critiques de ce légitimisme. Mais on peut aussi, et les deux ne sont pas contradictoires, signaler en se référant à l’événement qui nous intéresse ici qu’il existe de facto un certain consensus dans le monde politique, mais aussi plus largement dans la société française, pour estimer par exemple que l’élection présidentielle est aujourd’hui en France la reine des élections et qu’elle mérite donc d’être couverte de manière plus complète. Ou que tous les candidats ne peuvent pas être traité médiatiquement sur un pied d’égalité, en accordant strictement la même couverture au président de la République Jacques Chirac et à Daniel Gluckstein. On aura reconnu ici le fondement à quelques unes des hiérarchisations des élections et des candidats que nous avons identifiées plus haut.
34Mais, de la même manière qu’il ne faut pas surestimer le pouvoir des formats, il faut mettre en garde contre la tentation de transformer la grille de lecture en deus ex machina donnant la seule clé d’explication de la traduction afpienne. Ne serait ce que parce qu’il n’existe pas toujours dès le départ une grille toute faite et prête à l’emploi (ou seulement pour indiquer quelques grandes lignes de couverture comme ci-dessus), mais plutôt des bouts de grille avec lesquelles les journalistes s’efforcent, chemin faisant, de composer, en conservant là aussi des marges de manœuvre plus ou moins importantes (selon les événements) et plus ou moins exploités. Autrement dit, il n’existe pas de ligne éditoriale universelle leur permettant de trancher à chaque fois et à coup sûr, de sélectionner sans risque de se tromper et sans débat possible.
35Cela dit, l’existence, dans un nombre significatif de situations, de formats routinisés et de grilles de lecture largement partagées permet de rendre compte de la prégnance de la vision naturaliste des traductions journalistiques. C’est un effet parce qu’un grand nombre de choix peuvent s’appuyer sur l’évidence conférée par leur adéquation aux formats et aux grilles de lecture usuels qu’ils peuvent finir par les présenter comme naturels et s’imposant à eux. Contre cette naturalisation, les sciences sociales ne manquent pas de rappeler que, comme on vient de le voir dans le cas de l’élection, les faits journalistiques sont bel et bien construits à partir de formats et de grilles de lecture qui ont une histoire et peuvent donc être interrogés.
36Cherchant à prolonger cette critique, la dénonciation hyperconstructiviste du travail journalistique a toutefois le tort de réduire à un pur arbitraire ces formats et ces grilles de lecture et d’exagérer leur pouvoir sur les journalistes. Il n’en reste pas moins que, contre la propension des journalistes à la naturalisation de leurs traductions, il est politiquement légitime de faire pression pour une plus grande explicitation des formats et des grilles de lecture journalistiques et permettre ainsi une mise en débat des choix de couverture et de la traduction qui en découlent. Se pose alors notamment la question fondamentale du respect de la règle journalistique de conservation de l’initiative à travers la capacité des journalistes à maintenir un écart critique entre leurs grilles de lecture et celles des institutions qu’ils couvrent.
37La mise en débat des grilles de lecture est d’ailleurs d’autant plus importante que celle-ci est à l’œuvre non seulement dans le travail de réduction factuelle et mais aussi dans celui, analytiquement distinct mais pratiquement mêlé, de mise en cohérence de tous ces faits à travers une mise en récit de l’élection.
La mise en récit « afpienne » de la campagne
38La traduction afpienne de la campagne ne se laisse pas réduire à un empilement de dépêches sans cohérence, ni à une simple réduction factuelle de l’événement. La mise en ordre passe non seulement par une sélection/hiérarchisation des micro-événements, des acteurs et des faits, et une hiérarchisation des dépêches concomitante, mais aussi par une mise en récit explicite, avec la rédaction de dépêches, moins descriptives et plus narratives ou interprétatives [19] à travers laquelle l’AFP s’efforce, comme ces clients le lui demandent aussi, de raconter la campagne et donc de lui donner du sens (sinon un sens).
39Nous avons fait jusqu’à présent comme si toutes les dépêches se valent, ou plus exactement, ont la même importance (ont les mêmes chances d’être reprises par les clients). En réalité, il faut mettre l’accent sur une petite partie des dépêches (15 à 20 %), particulièrement importantes, annoncées aux clients dans des menus de prévision quotidien, (les prev dans le jargon agencier). A travers ces menus, sorte d’équivalent fonctionnel de la « une » des journaux, l’AFP présente sa propre hiérarchisation des événements de la journée en mettant l’accent sur ce qu’elle considère comme les « dominantes » de l’actualité. Parmi ces prev figurent par exemple les papiers généraux sur les grands meetings rencontrés plus haut.
40Mais aussi des dépêches narratives et interprétatives et clairement labellisées comme telles grâce à des « attributs ». Ainsi l’AFP a proposé quotidiennement pendant les deux élections étudiées (1997 et 2002) des « levers de rideau » pour annoncer et des « chapeaux » et des « récits de la journée » pour résumer les principaux événements du jour. Elle a diffusé aussi des « portraits », des « papiers d’angle » ou « des papiers d’éclairage », des « dossiers » pour mettre en perspective les candidats, leurs actions ou leurs programmes. Elle n’a pas négligé non plus de donner la parole à des politologues ou à d’autres commentateurs pour nourrir ces papiers d’analyse.
41Nous n’entrerons pas ici dans une analyse détaillée de cette partie de la production agencière. On soulignera simplement que dans ces dépêches plus que dans toutes autres, il apparaît clairement que la traduction agencière consiste non seulement à découper et certifier des faits, mais aussi à les relier entre eux pour les éclairer les uns par les autres. Bien entendu, un tel travail ne peut s’opérer sans recourir à des grilles de lecture de l’événement et il conviendrait de montrer, à travers des études de cas, que les interprétations proposées par l’AFP sont plus ou moins autonomes, c’est-à-dire plus ou moins dépendantes de celles qui dominent à un moment donné l’espace public.
42On peut maintenant mesurer la part que représentent les différentes activités journalistiques décrites en regroupant les dépêches rédigées [20] lors de la campagne des législatives de 1997 en fonction du mode recueil de l’information (et notamment des principales sources mentionnées) (tableau 5). On constate sans surprise qu’une partie importante du travail des agenciers (65 %) consiste à couvrir un petit nombre de micro-événements typiques (meeting, conférence de presse, passage à la télé ou à la radio, communiqués de presse) dont l’initiative revient pour l’essentiel aux partis, aux candidats et à leurs équipes de campagne.
43On peut en tirer la conclusion que la couverture afpienne est essentiellement réactive. A condition de ne pas oublier tout ce qui a été dit plus haut sur la sélection opérée par l’AFP dans le flot des événements de la campagne. Et de ne pas négliger l’activité de remise en perspective et d’analyse que les journalistes conservent, même à l’AFP (16 %). Réactivité ne veut donc pas dire passivité. Une fois encore, dans une perspective interactionniste, il est plus judicieux de décrire la traduction afpienne comme une coproduction dont les journalistes s’efforcent de conserver la maîtrise, même si, en fonction notamment de leurs formats, ils sont rendus plus ou moins dépendants de leurs sources.
44Il est temps de se pencher maintenant sur les principales caractéristiques de cette coproduction qu’est la traduction afpienne d’une campagne électorale. Ou dit autrement, à quoi ressemble la campagne au prisme des dépêches de l’AFP ? Il y a plusieurs niveaux de lecture pour se livrer à une analyse de ce traitement journalistique. On peut bien entendu, comme le font souvent les acteurs, examiner, avec une focale étroite, telle ou telle dépêche (ou petit groupe de dépêches) correspondant à la couverture de tel micro-événement, s’intéresser à ses conditions de production, puis suivre son parcours pour savoir comment, une fois publiée (mise sur le fil en jargon agencier) elle a été reprise, utilisée par les clients et le cas échéant, critiquée, en interne ou à l’extérieur.
Activités des journalistes AFP pour la couverture des élections législatives de 1997
Activités des journalistes AFP pour la couverture des élections législatives de 1997
45On peut également se situer à une échelle beaucoup plus large, en essayant, grâce à l’outil statistique, de ressaisir l’ensemble de la production textuelle de l’AFP sur une élection donnée. On a vu plus haut que cette production pouvait être considérable, avec, par exemple, une moyenne de près de 80 dépêches par jour sur les sept semaines avant le premier tour de la présidentielle de 2002 (hors week-end), ainsi que pour les cinq semaines avant le premier tour des législatives de 1997 (hors week-end). En analysant ce corpus, on peut faire apparaître quelques tendances lourdes de cette couverture.
46Il faut d’abord évoquer la « nationalisation » (au sens de renforcement de la dimension nationale) de la campagne, assez attendue dans la cas de la présidentielle, mais également manifeste dans le cas des législatives 1997. Même si 197 dépêches (soit 22 %) d’un corpus de 890 dépêches relatives à la campagne des législatives de 1997 (nous avons retenu toute la production afpienne sur onze jours choisis au hasard) sont consacrées à des situations locales en province, une très large majorité (78 %) concerne la scène parisienne et/ou nationale. Cette prépondérance s’explique bien sûr par des facteurs proprement politiques dans un pays aussi centralisé que la France mais elle est renforcée par le fonctionnement du média, à la fois le rôle d’agence nationale joué par l’AFP (la presse régionale par exemple s’appuie sur elle pour l’essentiel de la couverture de l’actualité parisienne/nationale) et la division du travail au sein de l’agence (62 % des dépêches du corpus ont été rédigés par des journalistes du service politique, stationnés à Paris et dont les sources sont essentiellement parisiennes et nationales).
47Il convient aussi d’insister sur la prépondérance du traitement des jeux politiques (compétitions entre candidats, stratégies électorales) sur les enjeux (programmes, politiques publiques), déjà évoquée plus haut pour la couverture des meetings. Cette priorité donnée à la « course de chevaux » (« horse-race-journalism ») est un des résultats bien établis de la recherche sur la couverture médiatique des élections [21] et l’AFP ne déroge pas à la règle, comme on peut le voir dans le tableau 6 ci-dessous, avec 85 % de dépêches centrées sur le jeu politique dans notre corpus pour les législatives de 1997. Là aussi, il faut noter une division du travail assez particulière puisqu’une partie non négligeable des dépêches consacrées aux enjeux, notamment les comparaisons des positions des différents candidats sur tel ou tel problème (issue), sont confiés non à des journalistes du service politique, mais à des rubricards d’autres services habitués à son traitement (un journaliste du social pour la protection sociale, un rédacteur du service société pour l’éducation…)
48Tout à fait révélatrice de cette course de chevaux est la forte personnalisation de la campagne dans la traduction afpienne, qui confirme là aussi le résultat de nombre d’études sur le traitement journalistique des élections, tous médias confondus. Pour n’en donner qu’une mesure, sur notre corpus de 890 dépêches, on compte pas moins de 686 dépêches personnalisées (77 %), c’est-à-dire mentionnant dans le titre et le lead au moins un nom propre d’une personne physique. Il faut noter bien entendu que toutes les personnalités ne bénéficient pas de la même exposition dans la copie AFP, comme le montre la très nette domination du duopole Chirac/Jospin en 2002 (voir tableau 4) ou, à un degré moindre, celle du triumvirat Chirac/Juppé/Jospin en 1997 [26]. On retrouve ce que nous avons dit plus tôt sur la hiérarchisation des candidats nécessaire à l’organisation de la couverture.
49A la lumière de tout ce que nous avons écrit plus haut, il est bien évident que ce n’est pas l’AFP qui produit à elle seule cette nationalisation de la campagne et sa transformation en une course de chevaux. Mais il est indéniable qu’elle la renforce, à travers les effets d’agenda et de cadrage qu’elle peut imposer à d’autres médias.
50Encore une fois, il ne s’agit en fait que de conséquences de ce que l’AFP fait de plus remarquable à une élection (à sa représentation médiatique plus précisément), à savoir la mettre en ordre. Couvrir une élection pour les journalistes, c’est d’abord cela. C’est ce travail d’ordonnancement par les formats et les grilles de lecture qu’il convient pour le sociologue d’analyser, et le cas échéant de questionner et de critiquer. Et on l’a vu, cette mise en ordre, parce qu’elle repose d’abord sur des logiques propres au média, n’est jamais le simple duplicata de celle portée par tel ou tel acteur politique ou tel ou tel institution. Mais elle n’est pas non plus complètement indépendante d’un jeu d’interactions avec les sources, les autres médias, ou le public.
Ce que fait aussi l’AFP pendant et avant l’élection
51Nous n’avons en réalité répondu que partiellement à la question posée en nous intéressant exclusivement ici aux dépêches que l’AFP produit sur la campagne proprement dite [27]. Or, comme le relève fort justement Jacques Gerstlé, les médias jouent aussi un rôle à travers les sujets « du reste de l’actualité » qu’ils traitent au même moment et les effets d’agenda ou d’amorçage (priming) qu’ils peuvent ainsi produire [28]. Nombre de commentateurs ont ainsi attiré l’attention sur l’importance conférée par les médias à plusieurs faits divers (meurtre du père d’un lycéen le 10 mars, fusillade au conseil municipal de Nanterre le soir du 26 mars, agression de « Papy Voise » le 18 avril à Orléans) dans la dernière ligne droite de la campagne de la présidentielle de 2002 et la réactivation de la thématique sécuritaire, mise en avant par le candidat Jacques Chirac, qui a pu en découler. Or, seule la polémique politique entre candidats engendrée par ces faits divers apparaît dans les dépêches directement consacrées à la campagne (slug « Présid »). En oubliant d’étudier le reste de la production journalistique, on risque dès lors de passer à côté de la contribution propre des médias à la construction de l’agenda électoral, et notamment les effets d’influence entre médias. A titre d’exemple, c’est une dépêche de l’AFP (avec les mots-clés « Violence-Incendie ») qui a mis en branle la machine médiatique dans « l’Affaire Paul Voise » en donnant un retentissement national à un article du quotidien régional La République du Centre [29].
52De la même façon, se pose la question des limites temporelles de l’étude de la couverture journalistique des élections. Reconnaissons en effet que, mis à part dans un cas de figure aussi particulier que celui des législatives de 1997 provoquées par une dissolution un mois avant, il est difficile de déterminer précisément la date de début d’une campagne, sauf à s’en tenir, de manière fort restrictive, aux dates de la campagne officielle appliquée par le CSA dans l’audiovisuel (deux semaines pour la présidentielle). Nous nous sommes intéressés ici à la période de quelques semaines où la campagne bat son plein après l’entrée en lice des principaux candidats [30]. Mais, on peut faire raisonnablement l’hypothèse que les médias, et l’AFP parmi eux, jouent également un rôle en amont, lors de la « pré-campagne » (mais là aussi, quand la faire débuter ?), surtout lorsque, à l’évidence, la lutte pour la désignation des candidats se livre non seulement au sein des partis, mais aussi, et de plus en plus si l’on se fie à la préparation de la présidentielle de 2007, dans l’espace médiatique.
Ce que l’election fait en retour à l’AFP
53En guise de conclusion, après nous être intéressé à « ce que l’AFP fait à l’élection » et pour assumer pleinement notre parti-pris interactionniste, nous ne saurions faire entièrement l’impasse sur la question inverse : « Que fait l’élection à l’AFP ? ». Il faudrait sans doute un autre article pour y répondre. Un angle d’attaque particulièrement heuristique serait de considérer la couverture de l’élection comme une mise à l’épreuve des journalistes et de leur travail. D’une certaine manière, chaque traduction journalistique peut être envisagée sous cet angle, mais c’est encore plus vrai pour un événement électoral particulièrement élevé dans la hiérarchie médiatique et politique. Mieux vaudrait d’ailleurs parler de mises à l’épreuve au pluriel, ce qui multiplie les pistes d’investigation. D’un point de vue collectif, la couverture des élections, surtout les plus importantes, oblige l’agence à se mobiliser fortement et à tester sa prétention à rendre compte « objectivement » (c’est-à-dire en déclenchant un minimum de critiques) de l’événement, sous le regard particulièrement vigilant des sources, des pairs, et des clients. Dans le cas de scrutin particulièrement disputé et/ou marqué par des confrontations idéologiques frontales, comme lors des présidentielles de 1974 et 1981, cela a pu conduire à des mises en cause directes de l’AFP (et d’autres médias) venant de tous les camps, comme le racontent Jean Huteau et Bernard Ullmann, avec, par exemple, des menaces à peine voilées des giscardiens en 1981 à l’encontre du PDG de l’époque Henri Pigeat, accusé de ne pas tenir ses troupes et d’avoir laisser l’AFP accorder trop d’importance à la fameuse « Affaire des diamants de Bokassa » [31]. On voit ainsi que l’élection ne fait pas la même chose à tout le monde à l’AFP, même si tous ceux qui concourent d’une façon ou d’une autre à la couverture, depuis le rédacteur sur le terrain jusqu’au PDG, peuvent se retrouver, à des degrés divers, sur la sellette. C’est d’une certaine manière le cas de chaque journaliste mobilisé qui doit faire la preuve, dans le rôle qui lui est dévolu, de ses compétences dans le maniement des formats et des règles du journalisme, pour en retirer bénéfices ou sanctions auprès de sa hiérarchie, ses pairs ou ses sources.
54Mais là où les choses se compliquent encore, c’est avec la nécessité de prendre en compte la pluralité des critères pouvant être invoqués pour juger de la qualité de la traduction journalistique. Celle-ci peut en effet être critiquée pour des défauts de distanciation (manquements à la neutralité politique) et son manque de « vérité », comme on l’a vu ci-dessus, mais aussi pour des raisons économiques et commerciales, parce que, par exemple, la couverture est trop onéreuse et met en péril les finances de l’agence ou ne correspond pas aux attentes des clients, ne seraient ce qu’en terme de délai, comme lorsque certains d’entre eux retrouvent pénalisés par une (courte) panne informatique lors de la première soirée électorale des municipales de 2001. Toute la difficulté pour l’AFP, comme pour tous les médias, consiste à frayer un compromis entre ces contraintes potentiellement contradictoires, un compromis qui s’incarne, on l’a vu, dans des formats de production et de diffusion (ce qui lui confère une certaine stabilité) mais qui se retrouve aussi d’une certaine façon remis en jeu à chaque traduction, particulièrement celle d’un événement aussi considérable qu’une élection majeure.
Notes
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[1]
Parmi les rares exceptions, nous pouvons signaler la comparaison entre la couverture de la campagne présidentielle de 1980 aux États-Unis par l’agence de presse américaine UPI et par le réseau de télévision CBS proposée par Robinson M. et Sheehan. M., Over The Wire and on TV. CBS and UPI’s Campaign’80, New York, Russel Sage Foundation, 1983.
-
[2]
En effet, à l’heure où le grand public a de plus en plus un accès direct, via d’innombrables sites internet, aux dépêches d’agence, sans réécriture ou intervention de la part de journalistes d’autres médias, il devient de plus en plus difficile de maintenir telle quelle l’ancienne distinction entre « grossistes » et « détaillants » sur les marchés de l’information.
-
[3]
Gerstlé J., La communication politique, Paris, Armand Colin, 2004, p.137.
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[4]
« La campagne électorale se présente alors comme une séquence privilégiée de construction de la réalité politique à laquelle contribuent tous les acteurs selon leurs ressources, leurs contraintes et leurs intérêts », résume Gerstlé. (p.138).
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[5]
Date de naissance de l’AFP, née à la Libération sur les décombres de l’Office français d’information (OFI), lui même « successeur » imposé par l’occupant allemand de la branche information de l’agence Havas.
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[6]
Pour plus de détails, nous renvoyons à notre étude : Lagneau E., Couvrir une campagne électorale. Les journalistes de l’Agence France Presse et les élections législatives des 25 mai et 1er juin 1997. Paris : Institut d’Etudes Politiques de Paris, 1997, 178 p., Mémoire de DEA de science politique.
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[7]
Nous avons choisi dans la suite de cet article de nous intéresser exclusivement à la seule couverture en dépêches, ce support d’information qui a fait le succès de l’agence et qui demeure la clé de voûte de sa production journalistique, même si les autres supports montent commercialement en régime.
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[8]
Un abonnement, que ces clients, précisons-le, ont souscrit non pour ce seul événement, mais pour recevoir tout au long de l’année la couverture par l’AFP de l’actualité nationale et internationale.
-
[9]
On retrouve l’étymologie latine du verbe informer (in-formare).
-
[10]
Pour une description plus précise, voir Lagneau E, « Le style agencier et ses déclinaisons thématiques. L’exemple des journalistes de l’AFP », Réseaux n°111, vol 20, 2002, p 57-100.
-
[11]
Nous nous intéresserons exclusivement ici à la production textuelle de l’agence, en laissant de côté les autres supports de diffusion de l’information également utilisés par l’AFP (photos, vidéos, infographies…).
-
[12]
Pour une présentation plus complète des différents types de dépêches, nous renvoyons à un article à paraître : Lagneau E., « La dépêche d’agence à l’épreuve du ballon rond. Ce que l’écriture agencière (s’) autorise pour rendre compte d’un match de football ».
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[13]
En première ligne, le service politique, composé de 24 journalistes en mars 1997, est par exemple renforcé par cinq nouveaux éléments après la dissolution pour assurer la couverture des législatives. Mais il faut aussi signaler les mobilisations exceptionnelles pour les soirées électorales, avec, rien que sur Paris, une cinquantaine de journalistes sur le pont pour la partie « production », une moitié d’entre eux étant détaché pour l’occasion d’autres services parisiens (sport, économie…), sans parler d’un desk France renforcé.
-
[14]
Entretien avec l’auteur.
-
[15]
Ce classement de visibilité peut d’ailleurs varier de manière non négligeable selon la période de campagne prise en compte. Jean-Pierre Chevènement, le présumé « troisième homme », se détache par exemple assez nettement des autres « candidats moyens » si l’on prend en compte la période allant du 1er février au 20 avril 2002, mais il est en perte de visibilité par rapport à ces concurrents à ce titre dans la dernière ligne droite d’avril, lors de la « campagne officielle » où l’AFP procède à un rééquilibrage pour rapprocher le traitement de tous les candidats.
-
[16]
Ils le font aussi parfois de manière moins subtile en surlignant dans le texte les passages importants, mais c’est souvent vu par les journalistes, attachés à la conservation de l’initiative, comme une insigne maladresse et risque au contraire de les braquer.
-
[17]
On trouvera une bonne illustration de « pack journalism » au cours d’une campagne électorale dans Crouse, T. The Boys on The Bus. New York : Random House, 1973.
-
[18]
Certains journalistes de presse écrite n’hésitent d’ailleurs pas à se reposer sur les dépêches des agenciers pour récupérer après coup les citations exactes qu’ils reprendront dans leurs articles lorsque les candidats ne fournissent pas de version écrite de leur discours.
-
[19]
Pour des développements sur ces distinctions, on renvoie à Lagneau E., « La dépêche d’agence à l’épreuve du ballon rond. Ce que l’écriture agencière (s’) autorise pour rendre compte d’un match de football ».
-
[20]
En fait, un échantillon regroupant les 890 dépêches produites pendant onze jours de campagne sélectionnés au hasard.
-
[21]
Pour une rapide synthèse, on renvoie à Legavre J.-B., « Les journalistes politiques : des spécialistes du jeu politique », in Matonti F. (dir.), La démobilisation politique, La dispute, Paris, 2005. Tout en l’utilisant, l’auteur signale à juste titre que « la distinction entre jeux et enjeux posent d’évidents problèmes », notamment d’un point de vue méthodologique. Il faut donc prendre les chiffres donnés comme un indicateur assez grossier de tendances avérées.
-
[22]
Source : Gertslé J. et al., « La couverture télévisée des campagnes présidentielles. L’élection de 1988 aux États-Unis et en France », Pouvoirs n°63, 1992.
-
[23]
Source : Gertslé J. « La campagne électorale au prisme de l’information télévisée », in Habert, P. et al. (dir), Le vote sanction. Les élections législatives des 21 et 28 mars 1993, Presses de Science Po, Paris, 1993.
-
[24]
Source : Lagneau E., Couvrir une campagne électorale. Les journalistes de l’Agence France Presse et les élections législatives des 25 mai et 1er juin 1997. Paris : Institut d’Etudes Politiques de Paris, 1997, 178 p., Mémoire de DEA de science politique.
-
[25]
Source : Legavre J.-B., « Les journalistes politiques : des spécialistes du jeu politique », in Matonti F. (dir.), La démobilisation politique, La dispute, Paris, 2005.
-
[26]
Sur les 686 dépêches personnalisées de notre corpus restreint, Alain Juppé est cité en titre et lead dans 93 (13 %), Lionel Jospin dans 85 (12 %) et Jacques Chirac dans 37 (5 %).
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[27]
Aisément identifiables dans la production agencière grâce à des mots-clés (slug en jargon agencier) spécifiques comme « Présid » pour la présidentielle ou « Légis » pour les législatives.
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[28]
Voir notamment Gertslé J., « La persuasion de l’actualité télévisée », in Politix, n°37, L’Harmattan, 1997.
-
[29]
Cf. Gautier A., « Affaire Paul Voise », Enquête sur un fait divers qui a bouleversé la France à la veille de la présidentielle, Paris, L’Harmattan, 2003.
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[30]
Il faut noter de ce point de vue des différences notables d’une élection à l’autre. En 2002, Jacques Chirac a fait acte de candidature le 11 février, Lionel Jospin le 20 février, alors que le 1er tour avait lieu le 21 avril. En 1995, Jacques Chirac s’était lancé en campagne bien plus tôt, dès le 4 novembre 1994 (1er tour le 23 avril 1995). A l’inverse, François Mitterrand avait attendu le 22 mars 1988 pour annoncer son intention de briguer un nouveau mandat (1er tour le 24 avril 1988).
-
[31]
Huteau J., Ullmann B., AFP. Une histoire de l’Agence France-Presse : 1944-1990. Paris : Robert Laffont, 1991, p.409 et suivantes.